The Rencontres de Brangues 2020
- Publication type: Journal article
- Journal: Bulletin de la Société Paul Claudel
2020 – 3, n° 232. Premières correspondances - Authors: Pérez (Claude), Parsi (Jacques)
- Pages: 119 to 121
- Journal: Bulletin of the Paul Claudel Society
Rencontres de Brangues 2020
Les Rencontres de Brangues (annulées en juin pour cause d’épidémie) eurent lieu à l’occasion des Journées du patrimoine. Le film de Gilles Blanchard, D’une folie l’autre, en constitua l’un des deux temps forts claudéliens, avec le court-métrage consacré à l’aventure du Soulier de satin porté par l’association Théâtr’ensemble. Deux spectacles l’un tiré de la mythologie : La Guerre de Troie (en moins de deux) d’Eudes Labrusse et l’autre de la vie et de l’œuvre de Tchekhov : Regardez la neige qui tombe de Philippe Mangenot, occupèrent les deux soirées d’automne. Un récit musical sur le thème des Voyages d’Ulysse réunit les enfants des environs, accompagnés de leurs parents. Un concert de chants baroques conçu par Claire Delgado Boge (soprano) clôtura, avec le soutien de la chorale de Brangues, ces Rencontres désormais inscrites dans le cadre plus large du festival du Solstice de Brangues.
D’une folie l’autre
Paul Claudel disait : « Les grands hommes sont des paraboles vivantes ». Cela vaut aussi pour les grandes femmes, naturellement, et donc pour Camille, qui est devenue l’une d’entre elles.
Camille est devenue une parabole ou comme on dit à présent une icône. Cette métamorphose est la clé de sa célébrité. C’est elle qui lui permet désormais d’éclipser sur la toile et sur les réseaux son dramaturge de frère. C’est peut-être aussi la cause de son infortune : en devenant une parabole, elle est devenue un cliché. Elle est devenue un exemple, et même le parfait exemple : celui de l’artiste opprimée et de l’injustice faite aux femmes. Dans cette opération, sa singularité s’est évaporée et, en même temps qu’elle, un peu, ou beaucoup, de sa vérité. Les icônes, les paraboles, exigent que les choses soient un peu arrangées : qu’on prête par exemple à Camille une passion pour Rodin dont le moins qu’on puisse dire est que les (rares) archives ne confirment pas la virulence ; ou qu’on 120donne à une femme usée et psychotique de cinquante ans le visage avenant d’une actrice qui en a trente-cinq. Si l’on veut faire du symbolique, il faut simplifier. Il faut éliminer ce qui ne cadre pas avec le symbole.
Le film de Gilles Blanchard D’une folie l’autre qui a été montré à Brangues le samedi 19 septembre, sous l’orage, ne propose pas une parabole. C’est une œuvre critique, une machine contre le cliché – ce cliché qui s’étale, dès les premiers plans, dans le discours d’une ministre inaugurant le musée de Nogent. (Coïncidence : au même moment, chacun pouvait lire sur son téléphone portable l’annonce de la proposition d’une panthéonisation d’Arthur Rimbaud…)
La machine de Blanchard est conçue de la façon suivante. Les dialogues d’abord : ils sont une sorte de centon, composé de textes empruntés aux archives, et notamment au dossier médical de Camille. Blanchard dit qu’il a « scénarisé les archives ». C’est bien ce qu’on constate en effet. C’est ce qu’avait fait aussi Bresson au moment du Procès de Jeanne d’Arc – autre femme, et autre symbole. Les deux films ont du reste en commun un même côté critique, abrasif. Ils sont exigeants l’un et l’autre, peu portés sur les concessions, le film de Blanchard devant aussi sans doute à ce choix du collage d’archives sa construction fragmentée.
Mais il n’y a pas que les dialogues. Il y a aussi les acteurs : pour s’en tenir aux deux protagonistes (il y a bien d’autres personnages : parents, médecins, malades, journalistes…) Blanchard lui-même, qui tient le rôle de Claudel, et Dominique Hubin, qui est Camille. Alors que la silhouette longiligne du premier aussi éloignée que possible de celle du poète-diplomate, bloque toute identification, la seconde, une actrice internée vingt ans en hôpital psychiatrique après des débuts éclatants, apparaît à l’écran comme une autre Camille. Allongée sur son lit et lisant son texte derrière un cendrier débordant de cigarillos, Hubin ne joue pas Camille. Elle ne la joue pas : mais elle la représente.
D’une folie l’autre, dit le titre, et c’est bien cela. Tout discours sur la folie, sur la psychose, court le risque de l’arrogance : « c’est bien simple, je vais vous expliquer ». Le film n’explique pas, il tente d’approcher. On songe à Conrad, dans Au cœur des ténèbres : « Come and find out », « Approche et devine ». C’est bien ce qui se passe ici. Les archives d’une part, Dominique Hubin de l’autre, permettent à Blanchard, nous permettent à nous, d’approcher ; elles permettent, le film permet, une connaissance approchée. Est-ce à dire qu’au terme de la projection nous aurions « deviné » comme nous y invite la courte sentence de Conrad ? Ce n’est pas sûr – comment être sûr qu’on a deviné juste ? Du moins 121sentons-nous de nouveau, grâce à cette actrice, ce médium dont l’aspect physique (tellement éloigné de celui d’Adjani ou de Binoche) ne peut pas ne pas rappeler Camille au moment de son internement, du moins sentons-nous de nouveau la pointe de l’énigme et de la souffrance : cette pointe, justement, qui s’était émoussée, usée par le frottement répété de la parabole et le ressassement du cliché.
Claude-Pierre Pérez
À la recherche du Soulier
Le 1er juillet 2018, au cours des Nouvelles Rencontres de Brangues, était donnée une intégrale des quatre journées du Soulier de satin par une troupe amateure de cinquante-cinq comédiens sous la direction de quatre metteurs en scène différents, un par journée1. Bertrand Petit, l’initiateur de l’aventure née à Grenoble est venu rappeler cette équipée insensée en présentant un petit film de trente-cinq minutes À la recherche du Soulier. Ce court-métrage garde la trace des répétitions qui se sont étalées sur plus d’une année, par des acteurs qui, parfois sinon souvent, ignoraient jusqu’au nom de Paul Claudel avant de se lancer dans l’entreprise. Les images de la représentation révèlent à ceux qui ne l’avaient pas vu le curieux dispositif qui, dans la scène de la charmille par exemple, voit trois Prouhèze dialoguer avec trois Camille… Les différents metteurs en scène viennent enfin témoigner devant la caméra de leur travail, de leurs intentions et de leur émerveillement devant la ferveur et l’enthousiasme de tous ces comédiens amateurs. La projection fut suivie d’un échange animé entre ceux qui gardaient le souvenir enchanteur de cette représentation de dix heures d’affilée, devant la Ferme de Brangues.
Jacques Parsi
1 Voir le compte rendu du Bulletin 226.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-11303-4
- EAN: 9782406113034
- ISSN: 2262-3108
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-11303-4.p.0119
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 12-21-2020
- Periodicity: Four-monthly
- Language: French