Hommages
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
2020 – 3, n° 232. Premières correspondances - Auteur : Millet-Gérard (Dominique)
- Pages : 123 à 126
- Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
hommages
Cérémonie en l’honneur de notre président
Monsieur Hubert Martin
Le mardi 22 septembre se sont réunis, à l’invitation de la Renaissance Française, les proches d’Hubert Martin, dans le cadre d’une manifestation à la fois solennelle et intime. Solennelle en était l’occasion. La médaille d’or de la Renaissance Française fut remise à Hubert Martin par Gabriel de Broglie (académicien et ancien chancelier de l’Institut), pour son ouvrage récemment paru : Les sillons de la sagesse. À travers ce dernier était couronnée une vie d’auteur amoureux de la littérature et ouvert aux questions de société.
Prirent la parole successivement, outre Gabriel de Broglie, Denis Fadda (président international de la Renaissance Française) et Ayten Inan (présidente de la Délégation du Grand Paris) qui déroula la vie d’Hubert Martin avant de se mettre au piano. Ce fut le moment intime de cette jolie soirée, puisque nous entendîmes quatre poèmes d’Hubert Martin lus par quatre de ses amies sur le fond d’un délicat accompagnement musical.
Les rédatrices du Bulletin
124In memoriam
Tatiana Taïmanova
Nous avons eu la tristesse d’apprendre cet été le décès de Mme Tatiana Taïmanova, professeur de langue française à l’Université d’État de Saint-Pétersbourg, spécialiste de Charles Péguy, des suites d’un cancer contre lequel elle s’est battue pendant trois ans. Elle s’est éteinte le 19 août 2020.
Le premier contact entre Tatiana et les claudéliens français s’est fait lors du mémorable voyage de septembre 20031, petit colloque claudélien organisé dans le cadre merveilleux de Boldino, le village de la datcha de Pouchkine : occasion de découvrir la Russie profonde et son merveilleux automne. Notre petit groupe hétéroclite et sympathique a rencontré à cette occasion quelques universitaires russes, venus de Moscou, de Saint-Pétersbourg et de Nijni-Novgorod, parmi lesquels se trouvait Tatiana, qui y parla de « Jeanne d’Arc chez Péguy et Claudel » ; et surtout, ce fut le début d’échanges amicaux : en mars 2005 le petit groupe russe venait à Paris pour une journée d’étude à la Sorbonne, puis ce furent les colloques à l’Université de Saint-Pétersbourg, que Tatiana organisait tous les ans au printemps, au moment de la fonte des neiges et de la débâcle de la Néva ; elle m’y a souvent conviée, et me logeait chez sa vieille mère, disparue trois ans avant elle, qui logeait sur le même palier. Qui n’a pas connu cette hospitalité à la russe, dans la spontanéité généreuse et la plus grande simplicité, ne sait pas complètement ce qu’est l’amitié.
Tatiana Taïmanova était née le 4 octobre 1954, dans les brumes de la Leningrad soviétique. Elle me racontait que, quand sa fille est née, dans les années 80, il n’y avait rien dans les magasins, et qu’elle devait se lever à l’aube pour essayer d’y trouver un peu de lait pour bébé, au grand risque de faire la queue pour rien. Après un diplôme de l’École supérieure polytechnique, elle avait choisi de faire des études de français et décida d’écrire sa thèse sur « Péguy critique littéraire et publiciste » – sujet tout à fait neuf, car Péguy était en URSS objet de suspicion. Ensuite, aimantée par un rapprochement, autour du socialisme utopique, entre Boris Souvarine et Péguy, elle fit sa thèse d’État sur « Péguy et la philosophie de l’histoire ». En 1995 elle avait fondé à l’Université d’État le Centre Charles Péguy, auquel s’est associé en 1996 Le Porche, 125association franco-russo-polono-finlandaise, qui associe à Péguy les études « johanniques » (= sur Jeanne d’Arc). Elle a largement contribué aux premières traductions de Péguy en russe (Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc et Notre Jeunesse, éd. Nauka, 2002). Elle voyageait aussi beaucoup : elle venait souvent en France, notamment à Orléans pour les fêtes de Jeanne d’Arc, puisque c’est à cette grande figure aimée des Russes qu’elle s’était consacrée, d’abord chez Péguy, puis chez d’autres auteurs dont Claudel. Elle avait par la suite étendu son champ aux relations intellectuelles et culturelles entre la France et l’Union soviétique entre les deux guerres, et était revenue à Souvarine dont elle a exploré les archives à Nanterre. Elle a participé à plusieurs jurys de thèse en France, et elle m’avait encore donné son accord pour une soutenance prévue au début de 2021. Elle y venait aussi pour le plaisir, comme cette année où l’anniversaire de son mari Igor, pianiste de renom et professeur au Conservatoire, fut fêté avec des amis au Bouillon Racine. Elle aimait la compagnie, elle aimait la joie. De sa conversation n’était jamais oublié son chien – il y eut Gesualdo, et d’autres – choyé comme un membre de la famille.
Il ne s’agit pas ici de détailler la production de Tatiana. Nous mentionnerons Charles Péguy : une philosophie de l’histoire et de la littérature, ses articles autour de Jeanne d’Arc, ses travaux autour de questions d’histoire littéraire générale. Sur Claudel elle a écrit trois articles en russe : « Synthèse de musique, littérature et théâtre : Jeanne au bûcher, oratorio de Claudel et Honegger » (en collaboration, Saint-P. 2001) ; « Jeanne d’Arc, héroïne de Péguy et de Claudel » (actes du colloque de Boldino, 2005) ; « Jeanne d’Arc, mythème et archétype, Péguy, Claudel, A. France », 2006. Claudel était en outre présent à Saint-Pétersbourg aux colloques « Le Poète et la Bible » (avril 2005), « Modernisme, post-modernisme, anti-modernisme » (mars 2008).
Tatiana était essentiellement une femme de contact, qui avait beaucoup d’amis, aimait à travailler en collaboration, notamment avec Elisaveta Leguenkova, et à organiser des rencontres. En 2015, elle avait lancé un grand projet franco-russe intitulé « Communication inter-culturelle entre la Russie et la France dans les années 1920-1930 » (présenté en 2017 au colloque de mars à St-Pétersbourg, puis au Centre spirituel et culturel russe de Paris, et enfin en décembre au colloque de Strasbourg) ; elle se plaisait à réunir collègues russes et étrangers, doctorants, « aspirants » comme on dit en Russie, en une studieuse et joyeuse communauté intellectuelle. Elle était correspondante de l’ADIREL pour la Russie 126et a publié dans Travaux de Littérature. Ces activités lui ont valu une reconnaissance officielle des autorités consulaires françaises qui lui ont remis en 2016 les insignes de Chevalier des Arts et Lettres.
Jeanne d’Arc, sous la forme de la gracieuse statue de Boris Lejeune, symbole de l’amitié franco-russe, s’installe à Saint-Pétersbourg au moment où Tatiana nous quitte. Est-ce un signe ? Le poète Andréï Astvatsatourov qui était de ses amis l’a décrite au lendemain de sa mort comme une personne « lumineuse, forte, généreuse, une âme profonde (duchevnaïa) » ; à force de travailler sur Jeanne qui l’attirait tant, Tatiana ne pouvait que de plus en plus lui ressembler.
Dominique Millet-Gérard
1 Voir le compte rendu de M.-V. Nantet, « Un voyage en Russie », Bull. no 172, 4e trim. 2003.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11303-4
- EAN : 9782406113034
- ISSN : 2262-3108
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11303-4.p.0123
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 21/12/2020
- Périodicité : Quadrimestrielle
- Langue : Français