![Bulletin de la Société Paul Claudel. 2013 – 3, n° 211. Correspondance Paul Claudel - José María Sert - En marge des livres](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/BclMS05b.png)
En marge des livres
- Publication type: Journal article
- Journal: Bulletin de la Société Paul Claudel
2013 – 3, n° 211. Correspondance Paul Claudel - José María Sert - Author: Cagin (Frère Michel)
- Pages: 105 to 108
- Journal: Bulletin of the Paul Claudel Society
Marie-Ève Benoteau-Alexandre, Les Psaumes selon Claudel, coll. « Mystica » 2, Paris, Honoré Champion, 2012, 908 p.
On connaît la boutade de Claudel dans une lettre à Agnès du Sarment, à propos des psaumes : « On les a bien traduits dans toutes les langues : pourquoi ne les traduirais-je pas en claudélien ? » (cf. op. rec., p. 497). Dans la Préface à Paul Claudel répond les psaumes il dit à peu près la même chose : « Comment veut-on que je fasse ? Je ne suis pas un spécialiste. C’est à moi que l’on en veut, je suis bien forcé de répondre. Comme je peux. À ma manière. Pas une autre. Avec mon propre timbre. Dans mon déplorable idiome. Lingua amoris, cœteris barbara. » (op. rec., p. 612).
Mais qu’est-ce que c’est le « claudélien » (ou le « polclaudel ») ? Et qu’est-ce que c’est les psaumes ?
À la fin de Paul Claudel répond les psaumes une postface a été ajoutée sur épreuves, un fragment de lettre, une de ces grandes pages de Claudel que l’on aimerait mettre sous le nez de…
Dans cette page, Claudel dit aussi que « l’essentiel tout de même est de parler David à Dieu » (op. rec., p. 695). Parler David à Dieu, n’est-ce pas cela les psaumes ? « S’il y a quelqu’un qui a un besoin violent, immédiat, urgent, impérieux, naïf, d’un ami, d’un père, d’un secours, d’un camarade, quelqu’un qui hurle, qui sanglote, qui pleure, qui a mal, qui a peur, qui supplie, et tout à coup qui est transporté de joie, qui remercie, qui saute en l’air, qui raconte en extase à tout le monde, les choses qu’on lui a faites et qu’on lui a montrées, et qu’on lui a fait faire, quelqu’un possédé de Dieu, ivre de Dieu, et à qui Dieu sort de partout, on ne sait comment, par tous les pores, c’est l’auteur de ce recueil passionné et ses émules. Passion, voilà le mot ! » (ibid.).
Parler David à Dieu, c’est « quand on a besoin de Dieu non pas comme une relation mondaine, avec qui l’on entretient des rapports convenables et cérémoniaux, mais comme d’une nécessité vitale, essentielle, continuelle, indispensable… » Or les psaumes, dit Claudel dans cette page – et comment lui donner tort ? –, la façon dont ils sont traduits habituellement (« en latin ou dans le français “classique” »), donnent à nos rapports avec Dieu « un caractère majestueux, distant, pour ne pas dire lointain, conventionnel et un peu endormant ». « Or j’ai toujours senti que David, ce n’est pas ça ! » (ibid.).
Parler David à Dieu, est-ce que ce sera alors parler claudélien, traduire David en claudélien ?
Prenez votre édition des psaumes « traduits » par Claudel, n’importe laquelle. Est-ce David ou est-ce Claudel qui parle, qui pleure, qui supplie, qui exulte ? Vous ne savez pas ? Peut-être même qu’à certains moments vous avez comme l’impression que c’est vous. Et au fond n’est-ce pas là, croyant ou non, que vous êtes pris ? Rappelez-vous, par exemple, ces obsèques dans l’église Saint-Roch pleine à craquer, et le psaume 151 lu comme psaume responsorial par Philippe Girard, comment il a saisi tout le monde.
C’est à la fois très simple et compliqué. Ces psaumes, on ne sait qu’en faire (ils ne figurent pas dans les Œuvres complètes, ni dans la Pléiade, ni dans Le Poète et la Bible), on ne sait qu’en dire (ils sont délaissés par la critique, littérature ou prière ? traductions ou création ? Quel casse-tête !), et pourtant on ne cesse de les rééditer, de les lire, de les dire et de les écouter et de les jouer comme un drame intérieur.
Il fallait alors une belle audace pour se lancer dans une thèse ! Il est vrai que le terrain étant vierge ou à peu près, la liberté était grande.
Le premier constat qui s’impose et que fait Marie-Ève Benoteau, c’est que ce psautier qui n’en est pas un (47 psaumes manquent alors que certains sont traduits deux fois) n’est pas un ensemble homogène. « Les traductions claudéliennes des psaumes sont des textes peu et mal connus. Leur déroutante singularité y est pour beaucoup. Composées par le poète entre 1918 et 1953, pour la plupart inédites du vivant de Claudel, elles forment un ensemble particulièrement hétérogène. » (p. 12 ; cf. p. 515). Hétérogène par l’étalement de la composition (1918-1953, trente-cinq ans, de façon discontinue, avec de grands trous !), par les circonstances qui les font naître, par la langue et par la conception même de la « traduction », qui se transforment, et peut-être aussi par le rapport au texte même des psaumes.
Le deuxième fondement sur lequel repose le travail de Marie-Ève Benoteau, c’est que les psaumes de Claudel sont des traductions. « Quand bien même l’emploi de ce terme pose problème, le statut de ces textes reste toujours second, dans un rapport au texte biblique que Claudel ne souhaite jamais rompre. Dégager une anthropologie ou une théologie des traductions claudéliennes des psaumes ne semble pouvoir se faire qu’après une confrontation minutieuse du texte de Claudel à celui de la Vulgate. » (p. 15).
L’auteur n’entend donc pas « laisser de côté la dimension de traduction » (p. 15). C’est même ce qui motive et détermine quasi exclusivement
ses vastes investigations : que ce soit pour resituer les psaumes dans l’ensemble diversifié des traductions claudéliennes, et en cherchant à définir le rapport au texte initial (« traduire librement » ? « répondre » ? faire « écho » ? « refléter » ? « calquer » ? « transsubstantier » ?) (chapitre 2), en confrontant à l’exégèse patristique et médiévale comme aux courants exégétiques contemporains le rapport de Claudel à l’Écriture, au plan de la traduction (cf. chapitre 3) et au plan de l’interprétation (chapitres 4 et 5).
Mais il fallait commencer par une histoire de ces textes et de leur publication, pour un premier éclairage sur leur nature et leur statut, car la chronologie révèle l’évolution du « traduire » claudélien (chapitre 1). Ce chapitre est un apport nouveau et précieux, car « les traductions claudéliennes des psaumes sont des textes dont l’histoire n’a encore jamais été étudiée. » (p. 27). Il annonce et introduit en outre la deuxième partie de ce gros livre, son couronnement en quelque sorte : une nouvelle édition des Psaumes de Claudel (p. 523-851), selon des principes et des critères différents de ceux qui ont présidé à l’édition 1966-2008, plus « scientifiques », et qui correspondent à la perspective qui se dégage de cette étude (« déconstruire l’idée d’un “psautier claudélien” », p. 525). Ces principes sont exposés en « préambule » (p. 523-529).
Il est impossible dans l’espace d’une note bibliographique de rendre compte en détail d’un tel travail, un travail de thèse, dans toute son amplitude2. Mais si vous voulez aller à ce qui peut-être approche le plus le cœur du sujet, sautez à la p. 264 : « Et alors moi, j’essaye d’être David à mon tour ». Il y a un moment où se produit une sorte d’identification de Claudel à David. Marie-Ève Benoteau le situe autour de la rédaction d’Emmaüs. « Les quelque cinquante pages qui lui [à David] sont consacrées dans Emmaüs montrent, plus certainement que pour tout
autre personnage biblique, une irrésistible empathie de Claudel. […] Le mécanisme d’identification joue dans les deux sens : d’une part Claudel prend le rôle de David, notamment lorsqu’il compose ses traductions de psaumes, et d’autre part il façonne dans Emmaüs un David à son image, à qui il éprouve une véritable jubilation de prêter sa voix. » (p. 270-271). En tout cas, ces cinquante pages, si elles ne sont pas le point de départ, témoignent de quelque chose qui est en train de se produire, et qui n’est pas sans rejaillir sur la manière de vivre et donc de parler les psaumes – « parler David à Dieu » –, avec ce « langage disons ‘raccourci’, je ne dis pas familier, c’est beaucoup plus brutal que le familier » (p. 695). « On est alors très loin de l’éloge du “latin incomparable” de la Vulgate, remarque Marie-Ève Benoteau, et le retournement a de quoi surprendre. » (p. 270).
Joseph Samson, dans un des rares articles sur les psaumes de Claudel, avait remarquablement saisi et exprimé ce que c’est, parvenu à ce point de maturation, un psaume selon Claudel :
« Il ne traduit pas. Rien cependant qui soit soustrait à son investigation. Scrutez les Écritures. […] D’autres veulent du littéral. Ce qu’il nous offre est plus littéral que le littéral. Non seulement il nous donne le sens, mais, grâce à la puissance de pénétration de son calame, au-dessous de ce sens, il semble qu’il rejoigne le choc premier, élémentaire, dont sont émanées à la fois l’idée et l’émotion. […] D’où ce sentiment d’extraordinaire authenticité qui nous gagne devant ces psaumes. Non cette authenticité que confère la stricte exactitude, mais celle plus profonde, comme provoquée par un parallélisme vital. À tout instant, nous nous croyons en présence d’un poète premier qui, devant nous, invente. Traducteur ? Oui, mais qui recrée. » (cité in op. rec., p. 275).
« Traduire en claudélien », serait-ce cela ? Mais alors ce n’est pas une question de langue seulement. Et si c’était la voix singulière qui va remuer chacun là où il ne s’y attend pas, ou le délivrer ou l’irradier quand il ne l’espérait plus, celle de Connaissance de l’Est, de Partage de Midi ou du Soulier de Satin ?
« O grammairien dans mes vers ! Ne cherche point le chemin, cherche le centre ! » C’est le chemin surtout qu’a cherché Marie-Ève Benoteau dans ce livre sur les psaumes. Il reste à chercher le centre vers lequel le chemin a conduit.
fr. Michel Cagin
1 Dans la version : « Seigneur, que l’on est bien avec Toi !… » (Op. rec., p. 729).
2 Signalons en passant quelques inadvertances dans le texte : p. 74 et passim, le substitut Montini n’est pas cardinal en 1949, lorsqu’il répond de la part de Pie XII à l’envoi de Paul Claudel interroge le Cantique des cantiques et de Paul Claudel répond les psaumes, il ne le sera que près de dix ans plus tard. – P. 18, la traduction latine de la Vulgate n’a jamais été considérée comme « inspirée », à la différence de la traduction des Septante. – P. 519, à propos du sens accommodatice de l’Écriture, rappelons qu’il a l’autorité de celui qui l’emploie. « Un sens accommodatice de saint Paul contient une vérité révélée. Un sens accommodatice de saint Augustin possède une valeur patristique qui sera souvent immense. Un sens accommodatice de l’abbé Tardif de Moidrey, ou de Léon Bloy, ou de Paul Claudel, pourra être riche d’observation morale, de poésie, de résonances humaines, mais sa valeur théologique, c’est-à-dire sa valeur de conformité avec la vérité révélée, sera chaque fois à éprouver. » Charles Journet, cité in Paul Claudel-Charles Journet, entre poésie et théologie, textes et correspondance, Ad Solem, 2006, p. 158. Le théologien suisse ajoute : « Sous bénéfice d’inventaire, le théologien et l’exégète pourront cependant recevoir des poètes, parfois même “l’intelligence” ou “l’esprit” d’un texte révélé. »
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-8124-2090-0
- EAN: 9782812420900
- ISSN: 2262-3108
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-2090-0.p.0105
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 01-17-2014
- Periodicity: Four-monthly
- Language: French