The new world of Montaigne
- Publication type: Journal article
- Journal: Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
2021, n° 73. varia - Author: Veiga França (Maria Célia)
- Pages: 309 to 336
- Journal: Bulletin for the International Society of Friends of Montaigne
Le monde nouveau de Montaigne
La rencontre et la conquête du continent américain ont posé aux Européens d’innombrables questions de droit, de religion, de politique et d’anthropologie, entre autres. Questions qui continuèrent à être débattues longtemps après. Giuliano Gliozzi, dans son Adam et le Nouveau Monde1, développe brillamment les questions sous-jacentes à la Conquête en lien avec le contexte religieux, dans le cas de Montaigne pour montrer que cette connexion n’existe pas. Nous reviendrons dans cet article sur un des aspects soulevés par Gliozzi, qui est fondamental pour comprendre les Essais. Il s’agit de la « nouveauté » du continent américain. Nous développerons une lecture à propos de ce que cette nouveauté du continent américain pourrait vouloir dire, en rapprochant les chapitres indigènes du texte De la vérité de la religion chrétienne2 de Du Plessis-Mornay – que Montaigne avait dans sa bibliothèque.
Les deux principaux textes de Montaigne consultés pour ce travail – le chapitre « Des Cannibales3 » et le chapitre « Des coches » – ont pour thématique centrale la question indigène. Le texte de Du Plessis-Mornay, quant à lui, concerne la religion chrétienne et fait mention de l’Amérique en tant qu’exemple, quand cela lui permet d’illustrer sa discussion. Curieusement, tout en fixant son attention sur la religion chrétienne, et non sur la Conquête, Du Plessis-Mornay développe explicitement plusieurs questions centrales liées à cette dernière, que Montaigne semble passer sous silence dans les textes dont le sujet est spécifiquement la conquête de ce monde nouveau.
310Cela voudrait-il dire que Montaigne ignorait les conséquences théoriques les plus importantes de la conquête américaine ? Ou qu’il les connaissait, mais ne s’y intéressait pas ou, tout simplement, les rejetait ? Le fait que l’œuvre de Du Plessis-Mornay – qui aborde ces questions et lie le contexte religieux au continent américain – soit une des œuvres qui composèrent la bibliothèque de Montaigne nous offre un premier argument pour dire que notre auteur connaissait ces questions, malgré le fait qu’il ne les mentionne pas, du moins explicitement. Nous ne nous pencherons pas ici sur les possibles raisons de ce silence. Nous essayerons, en revanche, à l’aide de l’érudition de Gliozzi, d’examiner si ces éléments ne seraient pas, de façon tacite, présents dans les deux chapitres des Essais.
L’argument communément utilisé pour démontrer, dans l’œuvre de Montaigne, l’autonomie du Nouveau Monde par rapport au monde biblique ou à l’histoire sacrée, serait son absence du texte des Essais. Tout d’abord, rappelons que, ce que notre auteur dit explicitement, ce qu’il destine aux entre-lignes et ce qu’il essaye de nous cacher4 ne sont pas toujours la même chose. Par exemple, il affirme ne pas connaître, ni utiliser, les discours érudits des cosmographes à propos du Nouveau Monde, et dit s’appuyer uniquement sur le récit et l’expérience d’hommes simples, qui auraient vécu dans ces terres nouvelles5. Or, nous savons que cela est loin d’être vrai puisque, encore que la présence de ces auteurs ne soit pas toujours visible, il en a lu et utilisé plusieurs dans la construction de sa lecture de la Conquête – tels Gomara, Thevet, 311Léry, Chauveton, entre autres. Fait qu’aucun interprète de Montaigne ne rejetterait aujourd’hui. Nous croyons qu’il serait important d’utiliser la même précaution dans le cas de l’histoire sacrée : le fait qu’elle ne soit pas explicite dans les textes sur la conquête, et dans les Essais de façon plus générale, ne signifie pas qu’elle n’y soit pas, de façon implicite.
Dans la partie de son livre destinée à l’interprétation des Essais, « Montaigne : de l’Atlantide au Nouveau Monde », Gliozzi rappelle l’influence de Gomara, auteur et chroniqueur espagnol, qui utilise l’association de l’Atlantide et du continent dans le but d’affaiblir le droit de la couronne espagnole sur le Nouveau Monde, et dans l’intention de l’assurer au conquistador Cortés. C’est, en effet, une des plus importantes sources de la conquête espagnole retenue dans « Des Coches ». Et l’Italien appuie son interprétation des « Essais américains », en grande partie, sur la comparaison entre ces deux auteurs. Gliozzi dit son embarras interprétatif face à la reprise que Montaigne fait, selon lui, de l’Hispania Victrix de Gomara. Cet embarras serait dû à la différence de point de vue des deux auteurs sur le Nouveau Monde, alors qu’ils utilisent les mêmes faits et la même présentation. Nous constatons l’empreinte de l’Espagnol pour ce qui concerne l’héritage des faits, mais nous ne la voyons pas pour ce qui est du positionnement de Montaigne face à la conquête. Nous dirions que leurs lectures (celle de Montaigne et celle de Gomara) sont tout à fait opposées.
Nous suivons la lecture de Gliozzi au sujet d’une rupture de Montaigne avec Gomara, lors de sa véhémente critique de l’action des conquistadores, que défend l’Espagnol, mais nous ne sommes pas aussi sûrs que les arguments gomariens contre l’extension des droits de la couronne en faveur de Cortés figurent chez Montaigne comme une critique de la légitimité de l’empire hispano-américain. Gliozzi voit en la critique du requerimiento6 la preuve d’une volonté commune « chez Gomara et Montaigne de trancher les liens a priori entre l’Ancien et le Nouveau Monde, qui découleraient du rattachement de ce dernier au contexte biblique7 ». La critique du requerimiento dans « Des Coches » signifierait, selon lui, la négation de l’histoire sacrée :
312Qu’ils estoient gens paisibles, venans de loingtains voyages, envoyez de la part du Roy de Castille, le plus grand prince de la terre habitable, auquel le Pape, representant de Dieu en terre, avoit donné la principauté de toutes les Indes ; Que s’ils vouloient luy estre tributaires, ils seroient trebenignement traictez ; leur demandoient des vivres pour leur nourriture et de l’or pour le besoing de quelque medecine ; leur remontroient au demeurant la creance d’un seul Dieu et la vérité de nostre religion, laquelle ils leur conseilloient d’accepter, y adjoustant quelques menasses8.
Nous ne reprendrons pas les arguments montaigniens contre la Conquête et l’évangélisation, que nous avons développés ailleurs9 mais, quelle que soit la position de Montaigne, il pourrait maintenir sa critique envers la Conquête et le requerimiento, tout en embrassant le contexte biblique. En tant que catholique, aurait-il le devoir d’accepter la donation papale du Nouveau Monde faite au monarque espagnol, ou aurait-il quand même la liberté de critiquer cette donation ? Nous pourrions interpréter la critique de Montaigne vis-à-vis du Pape à la suite de celle faite par le juriste et théologien espagnol Francisco Vitoria, qui évoquait le manque de pouvoir temporel du Pape, lequel, ne possédant que le pouvoir spirituel, ne pourrait pas faire une telle donation.
D’un autre côté, la présence de la figure papale dans la citation ci-dessus ne nous oblige pas à y voir une critique adressée au Pape, ou à la religion chrétienne. Sa formulation permet parfaitement de lire une critique limitée à l’usage que les Espagnols font de cette donation, visant plus spécifiquement les conquistadores. D’ailleurs, dans ses critiques de la religion chrétienne, Montaigne tend à viser la personne des chrétiens, non l’institution en tant que telle10. Ce qui nous semble sûr, c’est qu’il est plausible qu’il ait refusé la Conquête, telle qu’elle s’est déroulée, sans pour autant rejeter l’histoire sacrée.
Réévaluons maintenant l’affirmation de Gliozzi selon laquelle la position gomarienne serait maintenue dans les pages « américaines » autour des deux axes interprétatifs posés par le chroniqueur de Cortés, que sont « l’identification de l’Amérique à l’Atlantide et l’affirmation de la nouveauté du Nouveau Monde11 ». Commencée lors de la Renaissance 313italienne, l’articulation entre le mythe platonicien de l’Atlantide et le Nouveau Monde a tout d’abord servi, selon Gliozzi, a une revendication d’autonomie des terres américaines par rapport au monde biblique. Lorsque cette articulation est arrivée au sein du monde espagnol, elle a souffert de grandes transformations. Du désir italien de répondre de façon naturaliste et rationnelle aux « questions américaines », nous sommes alors passés directement à un besoin pratique d’arguments visant à valider ou à invalider la conquête faite par les monarques espagnols.
Gliozzi soutient que l’Hispania victrix de Gomara fut, de loin, la plus importante source des passages américains de Montaigne, en particulier en ce qui concerne l’assimilation de l’Amérique à l’Atlantide12. Assimilation qui permettrait à Montaigne d’assurer l’autonomie du Nouveau Monde, y compris par rapport à l’origine de ses populations. Au début des « Cannibales », Montaigne évoque l’Atlantide. Comparé au traitement fait par d’autres auteurs de la Renaissance de l’île, il le fait de façon assez superficielle :
Platon introduit Solon racontant avoir apris des Prestres de la ville de Saïs en Aegypte, que, jadis et avant le deluge, il y avoit une grande Isle, nommée Athlantide, droict à la bouche du destroit de Gibaltar, qui tenoit plus de païs que l’Afrique et l’Asie toutes deux ensemble, et que les Roys de cette contrée là, qui ne possedoient pas seulement cette isle, mais c’estoyent estendus dans la terre ferme si avant qu’ils tenoyent de la largeur d’Afrique jusques en Aegypte, et de la longueur de l’Europe jusques en la Toscane, entreprindrent d’enjamber jusques sur l’Asie, et subjuguer toutes les nations qui bordent la mer Mediterrannèe jusques au golfe de la mer Majour : et, pour cet effect, traverserent les Espaignes, la Gaule, l’Italie, jusques en la Grèce, où les Atheniens les soustindrent : mais que, quelque temps apres, et les Atheniens, et eux, et leus isle furent engloutis par le deluge. Il est bien vray-semblable que cet extreme ravage d’eaux ait faict des changements estranges aux habitations de la terre, comme on tient que la mer a retranché la Sycile d’avec l’Italie13.
Gliozzi semble soutenir que Montaigne, comme Gomara, identifie l’Amérique à l’Atlantide. Et qu’il fait cela dans le but d’éviter une quelconque approche du continent américain dans le contexte de l’histoire sacrée.
314Une telle préoccupation de reconduire le Nouveau Monde dans l’enclos de l’histoire sacrée est étrangère à la perspective de Montaigne, et les tentatives faites en ce sens ne lui paraissent pas dignes, à l’évidence, d’une considération rationnelle. Le fait d’avoir choisi uniquement l’hypothèse d’une identification de l’Amérique à l’Atlantide (en même temps que la possibilité d’une identification, de sens analogue, aux îles anciennement découvertes par les Carthaginois) représente, d’une part, une reconnaissance de la respectabilité rationnelle de l’hypothèse sur l’Atlantide, mais, de l’autre, implique également un choix clair en faveur de l’autonomie du monde américain à l’égard du monde biblique. En ce sens, il existe une volonté commune, chez Gómara et Montaigne, de trancher les liens a priori entre l’Ancien et le Nouveau Monde qui découleraient du rattachement de ce dernier au contexte biblique14.
S’il est vrai que Montaigne se réfère au mythe de l’Atlantide, il ne l’assimile pas à l’Amérique pour autant. D’ailleurs, dans la suite des « Cannibales », il le dit lui-même : « Il n’y a pas grande apparence que cette Isle soit ce monde nouveau que nous venons de descouvrir : car elle touchoit quasi l’Espaigne, et ce seroit un effect incroyable d’inundation de l’en avoir reculée, comme elle est, de plus de douze cens lieuës15 ». Et il conclut, de plus, que l’île découverte par les Carthaginois n’était pas l’Atlantide non plus16. Si Gliozzi fondait son postulat de séparation et d’autonomisation sur l’association de l’Amérique à l’Atlantide, alors nous dirions que cette autonomie se dissout. Pour ce qui est de la justification rationnelle qu’une telle théorie apporte, nous essayerons de montrer, par la suite, que Montaigne pouvait la trouver dans d’autres théories, y compris au sein même de l’histoire sacrée.
Si Montaigne semble délaisser assez vite l’Atlantide, le mythe sert d’introduction à un thème qui nous semble de bien plus grande importance : celui du Déluge et des inondations. Après avoir utilisé le terme « déluge » deux fois, pour se référer à l’inondation qui a couvert l’île de l’Atlantide, Montaigne se corrige et parle d’extrême ravage des eaux, indiquant à son lecteur qu’en vérité, il ne s’agirait peut-être pas là d’un « vrai » déluge, puisque le vrai Déluge ne se serait passé qu’une seule 315fois. De l’affirmation qu’Athéniens et Atlantes auraient été submergés par les eaux, il passe à une réflexion sur les mouvements et les bouleversements naturels, qui se déroulent un peu partout dans le monde, et dont il témoigne y compris aux alentours de chez lui. Après avoir donné d’autres exemples de transformation de la terre, il introduit un paragraphe en couche [B], pour parler des mouvements et des transformations apportées par les eaux :
Il semble qu’il y aye des mouvemens, naturels les uns, les autres fievreux, en ces grands corps comme aux nostres. Quand je considere l’impression que ma riviere de Dordoigne faict de mon temps vers la rive droicte de sa descente, et qu’en vingt ans elle a tant gaigné, et desrobé le fondement à plusieurs bastimens, je vois bien que c’est une agitation extraordinaire : car, si elle fut tousjours allée ce train, ou deut aller à l’advenir, la figure du monde seroit renversée. Mais il leur prend des changements : tantost elles s’espendent d’un costé, tantost d’un autre ; tantost elles se contiennent. Je ne parle pas des soudaines inondations de quoy nous manions les causes17.
Les « Cannibales » ne sont pas le seul texte américain de Montaigne où il introduit la question de la conflagration universelle et des transformations par les eaux. Singulièrement, dans « Des Coches », il présente – là aussi de façon succincte – une croyance mexicaine que certains auteurs essayèrent de faire équivaloir au Déluge de Noé. Les Mexicains, « plus civilisés et artistes que les autres », jugeaient que l’univers était proche de sa fin. Et Montaigne explique rapidement leur croyance en un monde composé de cinq âges, qui accompagnent la vie de cinq soleils consécutifs. De ces cinq âges, quatre seraient déjà révolus et autant de soleils auraient déjà péri. Le premier, avec toutes les créatures, aurait péri par une inondation universelle des eaux18.
Montaigne n’utilise pas le terme « déluge » à propos de cette croyance, mais adopte l’expression « inondation universelle ». Il semble, là aussi, rappeler à son lecteur la distinction entre le Déluge biblique et les inondations advenues dans le monde. Parmi tant de sujets différents à propos de la culture et l’histoire des Mexicains, il choisit de parler de cette croyance de la destruction du monde par les eaux. Malgré la différence dans les termes, sous-entendrait-il que cette croyance pourrait confirmer une lointaine mémoire de l’épisode de l’Arche ? Si tel était le 316cas, il établirait une liaison entre ces peuples et les descendants de Noé, et la nécessité d’un passage établi entre le vieux monde et le nouveau – et il ne pourrait alors embrasser la doctrine polygéniste19.
Si nous donnons tellement d’importance à ce lien entre l’Atlantide et les bouleversements causés par les eaux, c’est surtout en raison de la proximité de ce développement avec celui que nous retrouvons chez Du Plessis-Mornay, au chapitre vii : « Que le monde a eu commencement20 ». Il y introduit ces mêmes changements et bouleversements naturels21 dans le texte, pour démontrer, contre l’éternité du monde prônée par Aristote, que ce dernier a eu un commencement et ne pourrait pas être éternel :
Or, la premiere consideration qui se presente à qui contemple cest ouvrage, c’est s’il a eu commencement ou non : question, qui, peut estre, seroit icy inutile, si chacun vouloit consulter son entendement propre, auquel rien ne repugne plus, que de penser une éternité, es choses que non seulement nous sentons, mais aussi que nous voyons perir. Mais puisque le Monde parle, dit le Psalmiste, & en toutes langues, & à toutes nations, examinons le, & tout entier, & selon les parties. Car peut estre que les gens du monde, s’ils se deffient de leur tesmoignage propre, acquiesceront au moins à ce qu’en deposera le Monde. Interrogons donc les Elemens tous ensemble, ils passent de l’un a l’autre, la terre en eau, & l’eau en l’air, & derechef l’air en eau, &c. Ceste vicissitude ne se peut faire qu’en temps, & le temps est une mesure de mouvement, & où il y a mesure, il n’y peut avoir d’eternité. Interrogons les à part : la terre a ses saisons, l’Esté succede au Printemps, l’Automne à 317l’Esté, & à l’Automne l’Hyver. La mer a son flux et reflux perpétuel, qui va croissant & decroissant par certaines mesures. Le nil mesme, & quelques autres rivières ont leurs accroissemens en certaines saisons, & mesurez à la coudee. […] Ces changements qui se font ainsi tour à tour, ne peuvent estre sans commencement. Car où il y a un ordre, il y a un premier & un dernier, & toute mutation est une espece de mouvement, & faut nécessairement que ces tours, qui se font ainsi successivement, ayent commencé par quelque bout. […] Que si nous considérons derechef, que celle Lune qui fait les marees en la mer n’a clarté que par le Soleil qui fait les saisons en la terre, conclurons nous pas incontinent que les saisons de la terre, & les marees de la mer, les mouvements & changemens perpetuels, & par manière de dire les respirations des Elemens, ont un comun commencement22 ?
Dans la suite du texte, au chapitre viii : « De quand le monde a eu commencement », Du Plessis-Mornay souligne, lui aussi, le besoin d’établir la différence entre le « vrai » Déluge, biblique, et les conflagrations qui ont altéré, par les eaux, la face de la terre.
Or à mesure que ces peres de familles se sont accreus, ils ont espandu chacun ses branches plus loing, tant que cest estoc a couvert & enombré toute la terre, & l’Arche de Noé, par manière de dire navigué par tout le monde. Mais voicy une objection qui semble plus forte. Ces raisons, diront-ils, nous conduisent jusqu’au Deluge : mais comme le Deluge a réduit le genre humain à ce petit nombre, par lequel le Monde de petit à petit a esté comme renouvellé, aussi y peut-il avoir d’autres Deluges paravant, qui auront fait le semblable ; tellement que c’est plustost un renouvellement du Monde qu’un commencement. Et à ce propos ils allegueront Platon au Timee, Que les inondations & conflagrations rafreschissent le Monde de temps en temps, & font perdre la memoire des premiers Siècles, des Arts, des Sciences, & autres inventions, &c. Cela merite d’estre un peu exanimé [sic]. Certes de conflagrations ny universelles, ny grandes au regard de l’Univers, il ne s’en trouve mention en aucune histoire : de Deluges, depuis celuy que nous tenons le premier tout aussi peu, s’ils n’appellent de ce nom le desbordement d’un fleuve en quelque petit quartier, où le gain qu’aura fait la mer par impetuosité, d’une lieüe ou deux de pays, qui ne serviroy rien à leur propos. Or s’ils alleguent celuy la à la bonne foy, & comme le croyans à bon escient, bien leur soit de leur confession. Je leur demande donc, si ce deluge là fut ou universel, ou particulier à quelque pays seulement. Si particulier, d’où vient que toutes nations confessent qu’il fut universel : & d’où vient aussi que celles qui n’en ont eu leur part, n’en ont laissé quelque chose, ou par mémoire, ou par escrit ? Si universel, s’en est-il eschapé quelques uns ou non ? Si nul, d’où le sçavons nous ? Et d’où sommes nous sinon par une nouvelle création ? Et qui nous a peu recreer, pourquoy 318ne nous aura-il peu créer par devant ? Si aucuns, comme nous consentons tous, ainsi que nous les croyons du deluge, que ne les croyons nous aussi de ce qui l’a precedé ? Et qui sont ceux là, sinon Noé & ses descendans, qui nous menent jusqu’au commencement & du monde & des hommes23 ?
Revenons à Montaigne. Le refus de prendre l’Atlantide pour l’Amérique permet de présenter une pièce qui nous autorise à introduire une nouvelle lecture des « Cannibales ». Une des raisons de ce refus est dans le fait qu’à son époque, les Européens savaient qu’il ne s’agissait pas d’une île, mais d’une terre ferme :
Outre ce que les navigations des modernes ont des-jà presque descouvert que ce n’est pont une isle, ains terre ferme et continente avec l’Inde orientale d’un costé, et avec les terres qui sont soubs les deux pôles d’autre part ; ou, si elle en est separée, que c’est d’un si petit destroit et intervalle qu’elle ne merite pas d’estre nommée isle pour cela24.
Gliozzi montre que la reprise du mythe de l’Atlantide à la Renaissance répond à un besoin d’expliquer l’origine des peuples qui vivent sur le territoire américain. Lorsque Montaigne mentionne l’Atlantide et la quitte tout aussi rapidement, en refusant d’associer l’île au continent américain, refuse-t-il de rechercher l’origine des Américains ? Propose-t-il plutôt à ce sujet une théorie géogénique ou polygénique, comme le suppose l’auteur italien ? Or Montaigne explique que le monde nouveau n’est pas une île, mais une terre ferme. Quel est l’intérêt d’apporter cette information au lecteur ? En affirmant cela, il souligne encore la contiguïté du monde nouveau avec l’Inde Orientale et les terres en dessous des deux pôles. Il nous semble, au contraire de ce que propose Gliozzi, que dans cette affirmation se trouve la réponse des Essais à question de l’origine des Amérindiens. Faisons un saut vers Du Plessis-Mornay, dont une lecture proche de son texte apporte une lumière à notre question. Nous retrouvons la discussion à propos de l’île Atlantide dans le chapitre « De quand le monde eu son commencement » :
On continue encores à demander : Mais par où peut avoir esté habitée la terre Australe, & par où le Bresil & le Peru, &c. Et par où, je vous prie, l’a esté l’Afrique, dont tu ne peux ignorer les Colonies ny par mer ny par terre ? 319L’Afrique s’est peuplee premièrement par l’Isthme qu’on appelle Catabathme, & depuis rafreschie par le detroit de Gibalthar : & la terre Australe s’est peuplée d’une part par la Taprobane, & de l’autre par le destroict de Magellan, qui la joint au Bresil : & le Peru aussi par l’Isthme de Darien, & le Bresil par iceluy mesmes. Lors que les Espagnols entrerent premièrement en ceste grande Péninsule, qui contient le Peru & le Bresil, ils croyoyent que c’estoit une isle : & si les Peruviens aussi eussent abordé à l’Afrique par la mer Atlantique, trouvans une coste si longue, comme est celle d’Afrique, qui va jusques à la Mer rouge, & s’ennuyans comme les Romains de la suyvre, ils eussent fait pareille question. Lors nous nous fussions moquez d’eux, par ce que nous cognoissons le passage, par où les hommes y sont venus : & ils ont pareille occasion de se moquer de nous, par ce qu’ils cognoissoient le leur. Mais derechef ces peuples qui se sont espandus de ce qu’on appelle l’Espagne Neuve, par l’Isthme de Darien, d’où sont ils venus ? Passe encore plus outre tu trouveras le Cathay & l’Indie, qui se joint avec ces terres : & le Groenland du costé de Septentrion qui les regarde : & le detroict d’Anian vers l’Occident qui les voit presque d’aussi pres, que l’Espagne l’Afrique par le destroit de Gibalthar. Et quelle merveille, je vous prie, qu’ils ayent passé par ce destroit, moins que les Latins en Sicile par le far de Messine : les Vuandales en Afrique par Gibalthar, ou mesme les Sarrazins en Espagne25 ?
Dans les premières années de la Conquête, l’ignorance géographique et l’éloignement du Nouveau Monde, cumulée aux intérêts politiques de chaque nation mais aussi de chaque parti, ont rapidement posé la question de l’origine des habitants du Nouveau Monde. La difficulté pour comprendre comment ces peuples descendants de Noé seraient arrivés en de terres si lointaines était grande. Tant que l’on crut qu’il s’agissait d’une île, beaucoup adoptèrent l’alternative de son association avec l’Atlantide, pour répondre à la question du passage des habitants jusqu’aux nouvelles terres. Du Plessis-Mornay nomme alors certains endroits du Nouveau Monde pour faire connaître la géographie américaine et les deux Français confirment qu’il s’agit d’une terre ferme comportant des connexions avec les autres continents. Montaigne passe la conséquence de cette liaison sous silence mais, connaissant le développement proposé par Du Plessis-Mornay, nous pourrions supposer qu’il l’accepte aussi.
La transformation de l’Amérique en une terre ferme contiguë aux autres continents donne une réponse à une des plus grandes controverses de l’époque, portant sur l’origine des Américains. Si ce grand pays est lié à plusieurs autres, dont l’Asie, il devient beaucoup plus facile de 320dire que ceux-ci sont passés d’un continent à l’autre. Reprenons notre question : l’intérêt de démontrer que le Nouveau Monde est une terre ferme qui a des liaisons avec les autres continents semble clair. Et la justification rationnelle d’une telle hypothèse semble indubitable. C’est donc avec une telle réponse en mains qu’un auteur chrétien comme Du Plessis-Mornay s’insurge contre l’horreur des théories polygéniques, que certains commencent, déjà au xvie siècle, à suggérer :
Mais le mal est que rien ne nous est assez probable pour la vérité, & contre icelle nous recevons en tesmoignage, & l’ignorance & l’ouyi-dire, & le doute, & les moindres souspeçons qui nous puissent tomber en l’esprit. Car qu’y a-il, je vous prie, de plus puerile, ou comme dit Varro en ses Eumenides, plus digne de l’Enfer, que de dire que les hommes naissent en un pays comme les Bestes ou les Naveaux ? Ainsi se sont dits les Atheniens Aborigenes, c’est-à-dire, naiz sur le lieu : & pour enseigne portoyent une Cigale au bonnet26.
Du Plessis-Mornay se révolte contre l’idée d’une origine multiple des humains, alors qu’il démontre que la proximité du Nouveau Monde avec les autres pays ne pose aucune difficulté pour établir les passages des peuples d’un continent à l’autre. Pour échapper à l’ignominie de la géogénie, il cherche la solution du côté du récit biblique, seul capable de dire la vraie origine des êtres humains. C’est donc vers Moïse qu’il se tourne, pour montrer que tous les hommes descendent d’Adam. La proximité entre les terres affermit selon lui la thèse monogénique du peuplement du monde, mais aussi la thèse de l’humanité commune et de l’origine commune des Américains et des Européens. Le peuplement du Nouveau Monde par les descendants de Noé se confirme :
Demandez aux Sauvages, il [sic] en diront tout autant que ces sages peuples là, car ils n’en sçavent ni les uns ni les autres, qu’autant que leur mémoire s’estend. Mais venez à Moyse, il vous dira l’origine des premiers peuples, & la genealogie de l’Univers : & les noms qui leur en sont demeurez jusques à nous rendront à tout homme d’entendement la chose hors de doute27.
En plus du passage des « Cannibales » énonçant la contiguïté du Nouveau Monde avec l’Inde et avec les terres en-dessous des pôles qui offre à Montaigne, à la suite de Mornay, une lecture monogénique de 321l’origine des Américains, nous pourrions entreprendre une deuxième lecture qui semble mener le lecteur dans la même direction. Montaigne ajoute une citation de Sénèque en couche B, disant que les indigènes sont « des hommes fraichement sortis des mains des dieux ». Si les hommes sont sortis de la main des dieux, ils ne naissent pas de la terre, comme les navets. Si nous acceptons que Montaigne soit catholique, comme il l’affirme, nous pouvons relire la citation comme une formule chrétienne pour dire que Dieu a créé tous les êtres humains. En fonction de toutes ces données, ne serait-il pas plus logique de dire que Montaigne confirme subtilement que les indigènes sont des descendants d’Adam – réfutant par-là tout polygénisme – et que l’humanité a eu un seul commencement ?
La lecture polygénique que Gliozzi trouve chez Montaigne construirait, en effet, une sérieuse coupure avec le monde biblique. Or, si la présence de l’histoire sacrée n’est pas explicite dans le texte, la rupture avec le contexte biblique et l’assentiment au polygénisme le sont encore moins. Pour trancher cette question, nous devons nous attacher aux indices laissés par Montaigne. Le plus probant, et qui s’approche le plus d’un acquiescement de la part de Montaigne, nous semble se trouver dans la théorie de la transmigration des peuples, résultante de la continuité des continents, puisqu’il rend possible le passage des peuples du vieux monde vers le nouveau, par les terres, les isthmes et les détroits. Théorie qui, en plus, remplit la condition de l’exigence rationnelle, comme Gliozzi lui-même reconnaît, dans la partie « Nouvelle science et Nouveau Monde » :
Quand, les premiers, Du Plessis-Mornay et Du Bartas rejetèrent la réponse polygénique au problème du peuplement américain, ils eurent le souci d’élaborer une réponse alternative, capable de présenter la solution monogénique, non seulement comme la seule conforme au récit biblique, mais encore comme la seule rationnelle28.
Outre le fait d’affirmer que les deux auteurs, français et espagnol, identifieraient l’Amérique à l’Atlantide, Gliozzi soutient que « chez Montaigne, comme chez Gómara, l’association à l’Atlantide projette sur l’Amérique une lumière de civilisation29 ». Et il suggère aussi que « c’est justement de cette exaltation de la civilisation américaine (motif récurrent de l’essai “Des Coches”) que dérive pour Montaigne la 322condamnation des conséquences barbares et destructrices de l’action des conquistadores30 ». Les exemples fournis par Gliozzi pour cette exaltation de la civilisation américaine sont tous tirés du chapitre « Des Coches », et semblent concerner uniquement les peuples du Mexique et du Pérou.
Or Montaigne n’est pas plus enthousiasmé par la magnificence des civilisations mexicaines que par la rusticité des Tupinambás. Chez chaque peuple américain cité par lui, nous retrouvons des éléments dignes de grands éloges. S’il avait loué et idéalisé seulement les civilisations les plus « développées », il ne se serait pas inquiété de la conquête et de la destruction des « sauvages » du Brésil. Or, nous savons que ce n’est pas le cas31, même s’il mentionne davantage la cruauté des conquistadores dans « Des Coches », que dans « Des Cannibales ». S’il est vrai qu’il peut y avoir une disparité dans les relations entre les différents conquérants et les Amérindiens, la principale raison de cette plus forte présence de la violence dans « Des Coches » nous semble tout d’abord chronologique. Les auteurs qui lui fournissent les informations sur le Brésil, qu’il utilise dans « Des Cannibales », sont allés sur les terres américaines à une période plus précoce, alors que les auteurs qui lui ont fait connaitre le Mexique et le Pérou ont traité d’une période plus tardive, dans laquelle la violence et la destruction avaient été pleinement intégrées dans la conquête.
Après avoir suggéré que Montaigne, à la suite de Gomara, identifiait le continent américain à l’Atlantide, Gliozzi conclut que, dans un deuxième moment, le Français déduit que le continent américain ne peut pas être associé à l’Atlantide, ni à l’île des carthaginois, car il s’agit d’un autre monde, ignoré par les anciens : un monde nouveau :
Mais la nouveauté du Nouveau Monde signifie, pour Montaigne, également autre chose. Dire que l’Amérique est un « nouveau monde », un « autre monde », revient à dire que le nôtre, l’Ancien Monde, n’est pas unique, et que peut-être le monde récemment découvert n’épuise pas non plus la série des mondes : « qui nous répond si c’est le dernier de ses frères, puisque les Démons, les Sybilles et nous, avons ignoré celui-ci jusqu’asture ». La découverte d’un « nouveau monde » constitue donc pour Montaigne une sorte de preuve expérimentale de la théorie épicurienne de la pluralité des mondes. Il 323n’est pas besoin de souligner à quel point, dans cette acception, la nouveauté du Nouveau Monde selon Montaigne, désormais fort éloignée de la perspective monogénique de la Bible et même en contradiction avec elle, se différencie du concept gomarien. Il suffit de rappeler que l’auteur espagnol, afin d’éviter toute interprétation contraire à la Bible, avait éprouvé le besoin de préciser que l’expression nouveau monde dont il faisait usage ne comportait pas une adhésion aux fausses élucubrations des philosophes païens sur la pluralité des mondes, mais plutôt leur condamnation32.
Montaigne utilise l’exemple de la rencontre du Nouveau Monde comme preuve de ce sur quoi il insiste tout au long des Essais, surtout dans « l’Apologie » : il ne faut jamais essayer d’établir la vérité et la certitude du savoir. Se trompent et font preuve d’arrogance ceux qui croient y être arrivés. La nouveauté proposée par Montaigne, selon Gliozzi, n’est synonyme ni de découverte, ni de jeunesse. Elle est signe de pluralité. Il nous rapporte deux citations pour démontrer que Montaigne embrasse, ainsi, la théorie épicurienne de la pluralité des mondes. La première, dans « Des Cannibales » : « Cette descouverte d’un païs infini semble estre de consideration. Je ne sçay si je me puis respondre que il ne s’en face à l’advenir quelqu’autre, tant de personnages plus grands que nous ayans esté trompez en cette-cy33 ». Si l’assurance des anciens par rapport au monde qu’ils connaissaient s’est vue ébranlée par la « découverte » d’une si grande partie du monde, il serait à nouveau téméraire de croire que désormais, il n’y a plus rien à connaître. L’autre passage est dans « l’Apologie » :
Ptolemeus, qui a esté un grand personnage, avoit estably les bornes de nostre monde ; tous les philosophes anciens ont pensé en tenir la mesure, sauf quelques Isles escartées qui pouvoient eschapper à leur connoissance : c’eust esté pyrrhoniser, il y a mille ans, que de mettre en doute la science de la Cosmographie, et les opinions qui en estoient receües d’un chacun ; c’estoit heresie d’avouer les Antipodes : voilà de nostre siecle une grandeur infinie de terre ferme, non pas une isle ou une contrée particuliere, mais une partie esgale à peu pres en grandeur à celle que nous connoissions, qui vient d’estre découverte. Les Geographes de ce temps ne faillent pas d’asseurer que meshuy tout est trouvé et que tout est veu, Nam quod adest praesto, placet, et pollere videtur34. Sçavoir mon, si Ptolomée s’y est trompé autrefois sur les fondemens de sa raison, si 324ce ne seroit pas sottise de me fier maintenant à ce que ceux cy en disent ; et si ce n’est pas plus vray semblable que ce grand corps que nous appelons le monde, est chose bien autre que nous ne jugeons35.
Remettons cette citation dans son contexte, et nous verrons qu’en vérité, il serait difficile d’en conclure une adhésion de Montaigne à quelque théorie que ce soit, mentionnée dans « l’Apologie ». Or, Gliozzi avance la thèse de l’épicurisme de Montaigne à partir de ce chapitre :
Ainsi, quand il se presente à nous quelque doctrine nouvelle, nous avons grande occasion de nous en deffier, et de considerer qu’avant qu’elle fut produite sa contraire estoit en vogue ; et, comme elle a esté renversée par cette-cy, il pourra naistre à l’advenir une tierce invention qui choquera de mesme la seconde36.
La difficulté à définir la constitution du monde est démontrée dans ce passage de « l’Apologie », qui précède une liste présentant les différentes théories développées par les auteurs anciens. Il nous semble que la « découverte d’un monde nouveau » est utilisée comme un outil contre l’arrogance des dogmatiques, et non pas en tant qu’argument pour prouver la théorie épicurienne de la pluralité des mondes.
Le but de ce chapitre sceptique est bien différent du but des deux chapitres indigènes, qui n’ont rien de sceptiques mais, au contraire, postulent les jugements de valeur de l’auteur. Cette différence de stratégie et de finalité vaut aussi pour ce qui concerne les passages de « l’Apologie », lorsque celle-ci fait référence aux indigènes du Nouveau Monde. Les Amérindiens que nous retrouvons dans ce chapitre ne sont pas les mêmes que ceux que nous retrouvons dans les chapitres américains, car ils sont un exemple parmi tant d’autres, un peuple exotique parmi tant d’autres.
Dans cette ambiance sceptique, nous retrouvons une autre référence à la pluralité des mondes d’Épicure. Cette fois-ci, dans un contexte où Montaigne s’insurge contre ceux qui veulent connaître et comprendre les mystères divins. Un peu comme Du Plessis-Mornay, lorsqu’il s’indigne à propos des humains qui se jugent capables de comprendre l’éternité. Face à cet ordre surnaturel, notre auteur explique comment, du point de vue de la raison humaine, il semble logique d’accepter certaines théories, comme celle de la pluralité des mondes :
325Ta raison n’a en aucune autre chose plus de verisimilitude et de fondement qu’en ce qu’elle te persuade de la pluralité des mondes. Les plus fameux esprits du temps passé l’ont creue, et aucuns des nostres mesmes, forcez par l’apparence de la raison humaine. D’autant qu’en ce batiment que nous voyons, il n’y a rien seul et un37.
S’il est vrai que Montaigne présente cette croyance comme raisonnable et vraisemblable, rappelons-nous que « l’Apologie » est un texte qui a pour tâche de déconstruire la raison humaine : « car la vraye raison et essentielle, de qui nous desrobons le nom à fauces enseignes, elle loge dans le sein de Dieu ; et c’est là son gîte et sa retraîte, c’est de là où elle part quand il plait à Dieu nous en faire voir quelque rayon38 ». Dans ce travail de déconstruction de la raison et de la connaissance humaines, Montaigne rappelle que, si la théorie de la pluralité des mondes était vraie, nous ne pourrions pas en tirer beaucoup de certitude :
Or, s’il y a plusieurs mondes, comme Democritus, Epicurus et presque toute la philosophie a pensé, que sçavons nous si les principes et les règles de cettuy cy touchent pareillement les autres ? Ils ont à l’avanture autre visage, et autre police. Epicurus les imagine semblables ou dissemblables. Nous voyons en ce monde une infinie difference et varieté pour la seule distance des lieux. Ny bled, ni le vin se voit, ny aucun de nos animaux en ces nouvelles terres que nos peres ons descouvert ; tout y est divers. Et au temps passé, voyez en combien de parties du monde on n’avoit connoissance ny de Bacus ny de Ceres39.
Montaigne ne nous semble pas adopter la théorie dont il fait mention et il rappelle que, si ces autres mondes existaient, nous ne saurions prévoir leur nature ou leur fonctionnement. Comme cela arrive souvent dans « l’Apologie », il est ici beaucoup plus question de doute, que de certitude. En citant explicitement la théorie de la pluralité des mondes d’Épicure, encore qu’il présente celui-ci imaginant ces mondes semblables ou dissemblables, Montaigne met ici en évidence plutôt leur disparité. Et il dévoile non seulement les variations entre l’Europe et ce monde récemment découvert, mais encore toutes les autres parties du monde qui diffèrent, elles aussi : dans l’exemple donné ici, pour manger autre chose que le pain et le vin. Pour démontrer l’épicurisme de Montaigne, 326Gliozzi prend en considération encore un autre passage de « l’Apologie », où il est question plutôt des ressemblances :
Mais la question abordée par Montaigne n’est pas ici celle des « conformités » dans le domaine des conduites qui peuvent avoir une explication naturelle (manger, se donner des structures politiques, avoir les mêmes pratiques idolâtres) : sur ce terrain, il n’est pas étonnant que Montaigne, à l’instar de Garimberto, fasse appel à l’œuvre uniforme de la nature. La question abordée par Montaigne est celle des « conformités » concernant des coutumes et des croyances non naturelles, ou, selon la définition de Garimberto, « artificielles », au sujet desquelles l’auteur italien avait dû admettre la possibilité d’un « transport » d’un continent à l’autre, avançant à cette fin l’hypothèse d’une ancienne liaison terrestre, l’Atlantide. Le fait d’avoir su éviter cette concession à une théorie de la propagation nous donne la mesure de la plus grande radicalité du philosophe français vis-à-vis de son prédécesseur italien, dont il était proche par certains côtés. C’est au sujet de ces conformités de croyances non naturelles, en effet, que Montaigne évoque la théorie épicurienne de la pluralité des mondes : « Epicurus – écrit-il – [dit] qu’en même temps que les choses sont ici comme nous les voyons, elles sont toutes pareilles, et en même façon, en plusieurs autre mondes. Ce qu’il eût dit plus assurément, s’il eût vu les similitudes et convenances de ce nouveau monde des Indes Occidentales avec le nôtre, présent et passé, en si étranges exemples40 ».
Dans ce passage de « l’Apologie » Montaigne fait référence, une fois de plus, aux mondes pluriels d’Épicure. Si, dans la première référence, il mettait en avant la diversité des sociétés, donnant comme exemple l’alimentation européenne à base de vin et de pain qui n’apparaissait pas dans les autres pays, cette fois-ci, il parle plutôt des ressemblances, visibles dans les rites et les croyances religieuses, qui se répètent un peu partout dans le monde. Un exemple serait la croyance mexicaine en un déluge qui aurait mis fin à un des âges du monde41, relevée dans « Des Coches ». Juste avant de mentionner les similitudes du monde nouveau 327avec l’ancien, Montaigne revient à la naissance et au développement des plus anciens peuples :
Alexandre escrivit à sa mère la narration d’un prestre Aegyptien tirée de leurs monuments, tesmoignant l’ancienneté de cette nation infinie et comprenant la naissance et progrez des autres pays au vray. Cicero et Diodorus disent de leur temps que les Chaldées tenoient registre de quatre cens mille tant d’ans ; Aristote, Pline et autres, que Zoroastre vivoit six mille ans avant l’aage de Platon. Platon dict que ceux de la ville de Saïs ont des memoires par escrit de huit mille ans, et que la ville d’Athenes fut bastie mille ans avant ladicte ville de Saïs42.
Notons que Montaigne fait référence à l’Antiquité des civilisations égyptienne, chaldéenne et perse, en y joignant le décompte des âges des différentes sociétés. Décompte qui, de façon plus détaillée, servait à Du Plessis-Mornay pour retrouver le principe de l’histoire humaine. Gliozzi rappelle que de telles affinités entre les coutumes et les croyances non naturelles ont été utilisées par les adeptes de la théorie bibliogénique43, tout en insistant sur le fait que Montaigne en aurait tiré une conclusion opposée :
La référence à la « pluralité des mondes » lui permet de rendre compte des similitudes de coutumes et croyances entre les deux mondes en ayant recours à un principe, quel qu’il soit, qui agit uniformément dans les diverses contrées géographiques, mais de manière absolument autonome et parallèle. Certes, il n’est pas question de réduire cette position à un polygénisme explicite, mais il est indéniable que, grâce à elle, Montaigne interdit toute possibilité de démontrer rationnellement la théorie monogénique fondée sur les affinités relevées entre Ancien et Nouveau Monde, puisque celles-ci ne peuvent plus fonctionner comme indices d’une provenance44.
Nous avons du mal à trouver chez Montaigne l’affirmation de cette autonomie absolue qui agirait de façon uniforme dans les différentes contrées, pour y apporter des coutumes similaires, ainsi qu’à voir en l’infinie variété des coutumes, l’expression de son relativisme. Nous n’avons pas trouvé, comme Gliozzi, une légitimité de l’équivalence des coutumes rendant vaine toute prétention de juger les coutumes des autres 328peuples « à la lumière des nôtres45 ». Au contraire, les textes indigènes des Essais, comme nous avons suggéré, établissent des jugements de valeur.
Un dernier argument utilisé par Gliozzi pour décrire la nouveauté de l’Amérique chez Montaigne, en tant que pluralité des mondes, se trouve dans l’annonce de l’enfance du monde : « L’Amérique est donc un monde nouveau, tout d’abord, parce que c’est un monde enfant. C’est en effet au degré de développement des arts que l’on juge, selon Montaigne, l’âge d’un peuple46 ». Du Plessis-Mornay fait aussi mention de l’enfance du monde, pour en tirer la preuve de son commencement :
Certes ce n’est icy le lieu de vuider les scrupules des chronographes : car entre une éternité & un commencement le different de quelques années, voire de siècles entiers, ne peut estre pour rien compté : mais si nous regardons le progrez de ce bas Monde, nous appercevrons évidemment, que comme un enfant, il a eu ses aages, muances & périodes, que petit à petit s’est acreu, peuplé & espandu : bref, qu’en ce que le monde pense durer à toujours, il ressemble le povre vieillard qui quelque vieil & caduc qu’il soit, pense tousjours avoir un an à vivre. Or avons-nous jà suffisamment prouvé que le ciel & la terre ont commencement, que l’un aussi estant pour l’autre, ils l’ont eu en mesme temps, & de mesme endroit l’un que l’autre. Et pourtant ce qui se demonstrera de la terre, sera demonstré aussi du ciel : & comme ainsi soit que la terre soit pour l’usage des animaux, & sur tout de l’homme, tel commencement que nous prouverons de l’homme, tel l’aurons nous aussi prouvé de la disposition de la terre. Car à quoy ny ciel ny terre, le ciel estant courbé comme un pavillon sur ces lieux bas, la terre affermie comme un plancher pour les habitans, s’il n’y a habitant aucun en terre ? Certes, si le monde estoit éternel, éternellement aussi seroit il habité, & nul peuple n’y seroit plus ancien que l’autre : et si pour le mois il estoit fort ancien, nous n’y devrions rien trouver de nouveau. Mais si les choses plus anciennes y sont nouvelles, nous doit ce pas estre un argument tout certain de sa nouveauté ? Je vous prie, que choisirons nous en ce monde pour exemple d’antiquité47 ?
La nouveauté chez Du Plessis-Mornay est opposée à l’Antiquité, et non pas au déjà connu. Le monde est un enfant, car il a été créé il n’y a pas longtemps. Non seulement le monde a eu un commencement, et un seul, mais l’humanité aussi a eu un commencement, avec Adam. La nouveauté présentée dans De la vérité de la religion chrétienne est non seulement la jeunesse du Nouveau Monde et des Américains mais, en fin de compte, la jeunesse du Vieux Monde et des peuples les plus anciens :
329Cette région c’est le pays où premier multiplia le genre humain au sortir de l’Arche, à sçavoir tout ce traict, depuis le mont Taurus, tirant par la Mesopotamie, Syrie & Phenicie, jusqu’en Egypte, auquel nous comprenons la Palestine, comme le milieu, qui pour sa petitesse est par les Historiens anciens Grecs & Latins, qui estoyent rudes en la Géographie, attribuée aux plus grandes régions qui l’environnent à sçavoir, selon les costez dont est question, tantost à la Syrie, & tantost à l’Egypte, tantost à la Phoenicie, & tantost à l’Arabie deserte. Et pourtant, que du temps & de l’antiquité il faut croire l’histoire de ces nations, & non des Grecs, ny des Latins, qui ne sont qu’enfans, veu mesme que nous pensierions ridicule es choses Grecques de tenir pour arbitre l’histoire de la Palestine. Mais oyons maintenant leurs contradictions. Si le monde est si nouveau, disent ils, d’où vient qu’il est si plein & si peuplé ? Ainçois s’il est éternel, ou si ancien que tu penses, d’où vient qu’il n’est de tout temps cognu, d’où vient qu’il l’est encore si peu, & comment n’est-il par tout peuple, ou pour le moins au meilleur de la terre, où de nostre temps se trouvent & des isles, & des terres fermes, & très-habitables & inhabitées ? Il n’y a que cent ans que nous ne cognoissions rien en plus de la moitié du monde. Nous n’estions qu’à l’entrée de la terre, & pensions estre à la perfection de la Géographie, nous pensions avoir cognu les bouts du Monde, & n’avions encor passé le cercle Meridionel qui my partit le Monde. Cependant, qui parloit autrement, estoit par les plus entendus reputé comme un fol48.
Si l’Antiquité équivaut à une jeunesse, cela est dû au fait que l’histoire de l’humanité se déroule dans le temps. Et le temps, à côté de l’éternité divine, ne peut être que court, ou « jeune » :
O pauvre homme que tu es ! qui fais gloire d’interroguer, & le sçavoir gist à respondre. Tu veux eternizer le monde par tes raisons, & en trois mots que tu as dit, tu monstres que tu ne sçais que c’est d’eternité. En l’eternité, mon amy, il n’y a ny bref ny long temps, le conseil éternel ne se tient point sur cas nouveaux. Recognoy que tu es homme. Les plantes ne peuvent juger du sens, ny les animaux des discours de l’esprit, ny toi aussi de l’eternité, qui est subject au temps. Car si mesme ton petit enfant qui est au temps, ne peut comprendre que c’est que temps, comment cognoistra l’eternité de l’Eternel celuy qui n’est qu’en temps ? Ainsi les animaux s’ils avoyent parole, deschiffreroyent l’estendue de ton esprit selon leur fantaisie. Et tu te moquerois, s’ils vouloient descrire quelle est ta memoire, qui conjoint le passé, le present & l’avenir tout en un. Et qui penses tu estre pour juger de l’éternité ? Qui te changes aux vents, aux Lunes, & aux brouillars, aux jours, aux heures, & aux minutes ? Tu dis, Dieu se seroit-il tenu coy si longtemps ! Ainçois, di plustost : pourquoy a-il voulu faire le temps, car par un moment indivisible l’eternité est joincte avec le commencement & la fin du temps. Appren aussi là où il 330y a une borne, il n’y a mesmes point de long temps. Le longtemps d’un ver c’est un mois, d’un fourmis un an, d’un cheval c’en sont trente, d’un homme c’en sera cent, de tout genre humain quelques millaines, du temps mesme un certain espace de temps, & tous l’appelleroyent long temps au regard de leur vie : mais à celuy qui a fait le temps, rien ne dure moins que le temps. Posons que le monde ait jà duré cent mil ans, posons un million, qu’auras-tu gagné pour cela ? Que le monde sera plus ancien : mais au regard de qui ? De Dieu, ou de toy ? D’un ver ou d’un esprit ? De l’eternité ou du temps ? Et que sera tout cela au regard de l’infini : La question sera elle pas tousjours de mesme ? D’où ce nouveau conseil, d’où ce changement ? aussi bien en cent qu’en mille, en mille qu’en un million ? Mais le conseil estoit éternel encores qu’il semble executé en temps, quand il a produit le temps, & le temps c’est mesure du mouvement, & le mouvement preuve du commencement, & le commencement, d’où qu’il prenne, est toujours nouveau. Qui doncques es convaincu par le mouvement d’un commencement, cede l’eternité, confesse la nouveauté, rien n’est plus nouveau que le temps49.
Revenons aux premières lignes de « Des Cannibales », où il est dit qu’il y a « des mouvemens, naturels les uns, les autres fiévreux, en ces grands corps comme aux nostres50 ». La mention des mouvements et changements dans ces différents passages, quoiqu’assez inspiratrice, n’est pas une preuve de l’influence de Du Plessis-Mornay sur la réflexion de Montaigne. Et ne démontre pas non plus un refus de la théorie aristotélicienne de l’éternité du monde. Toutefois, ce parallélisme et la ressemblance des thèmes chez les deux auteurs nous semblent suffisants pour y voir plus qu’un hasard.
Du Plessis-Mornay nous rappelle l’ignorance humaine, sa prétention et son arrogance. Les hommes croient connaître le temps, ainsi que l’éternité. Cette conscience des bornes de la capacité humaine apportée par l’éternité est la même que celle apportée par l’exercice de la découverte de l’Amérique. Elle démontre l’existence d’une géographie insoupçonnée et d’une finitude non désirée :
Quand tout ce qui est venu par rapport du passé jusques à nous seroit vray et seroit sçeu par quelqu’un, ce seroit moins que rien au prix de ce qui est ignoré. Et de cette mesme image du monde qui coule pendant que nous y sommes, combien chetive et racourcie est la cognoissance des plus curieux ! Non seulement des evenemens particuliers que fortune rend souvent exemplaires et poisans, mais de l’estat des grandes polices et nations, il nous en eschappe 331cent fois plus qu’il n’en vient à nostre science. Nous nous escriions du miracle de l’invention de nostre artillerie, de nostre impression ; d’autres hommes, un autre bout du monde à la Chine, en vouyssoit mille ans auparavant. Si nous voyons autant du monde comme nous n’en voyons pas, nous apercevrions, comme il est à croire, une perpétuelle multiplication et vicissitude de formes. Il n’y a rien de seul et de rare eu esgard à nature, ouy bien eu esgard à nostre cognoissance, qui est un miserable fondement de nos règles et qui nous represente volontiers une très-fauce image des choses51.
Une fois de plus, le thème de l’ignorance géographique sert en tant que support au programme critique des Essais. À côté de cet appel à reconnaître la misère et l’ignorance humaines (qui laisse le cadre de « l’Apologie », où il est plus fréquent, et entre dans les essais américains), nous retrouvons un indice qui nous mène à la théorie de Du Plessis-Mornay. La poudre de l’artillerie, dont l’invention est tenue pour un miracle en Europe, existait depuis des siècles à l’autre bout du monde, dans cette Chine qui est en même temps un « monde nouveau » ainsi qu’un « vieux monde ». Il pourrait être question, dans ce passage, de cette translation des arts que Du Plessis-Mornay utilise pour expliquer les différences entre les peuples. Dans ce nouvel appel à l’humilité et à la sagesse nous rencontrons, une fois de plus, le monde enfant :
Nostre monde vient d’en trouver un autre (et qui nous respond si c’est le dernier de ses frères, puis que les Daemons, les Sybilles et nous avons ignoré cettuy-cy jusqu’asture ?) non moins grand, plain et membru que luy, toutesfois si nouveau et si enfant qu’on luy apprend encore son a, b, c : il n’y a pas cinquante ans qu’il ne sçavoit ly lettres, ny pois, ny mesure, ny vestemens, ny bleds, ny vignes. Il estoit encore tout nud au giron, et ne vivoit que des moyens de sa mère nourrice52.
Dans cette chaîne de transit des humains et des arts, les « peuples sauvages » d’hier passent le bâton à leurs voisins qui, à leur tour, passeront le bâton aux « peuples sauvages » de demain. Ainsi, ce monde enfant qui vient d’être « découvert » vit encore des fruits de la nature. Comme les Grecs avant eux :
Nemrod fut le premier qui viola ce droit paternel des peres de famille, qui regnoient chacun entre ses descendans sans autre prerogative que de l’aage, lesques Manethon appelle Roys Pasteurs et dit avoir esté mille ans avant la 332guerre de Troye. Car quant aux Grecs & Romains, ou ils n’estoient point encor, ou certes ils vivoient encor de gland, comme ceux que nous appelons sauvages aujourd’huy53.
L’expression « monde enfant », retrouvée par deux fois chez Montaigne pour faire référence au monde nouveau, répète le terme utilisé par Du Plessis-Mornay54 ; or ce dernier ne faisait pas référence aux Amérindiens, mais aux Grecs et aux Romains – en jouant avec la notion communément utilisée par les Européens, qui attribuaient la notion d’Antiquité au monde grec et romain et non au monde sémite et arabe, comme le demande au contraire Du Plessis-Mornay. Revenons à Montaigne :
Comme vainement nous concluons aujourd’hui l’inclination et la decrepitude du monde par les arguments que nous tirons de nostre propre faiblesse et decadence, Jamque adeo affecta est aetas, affectaque tellus55 ; ainsi vainement concluoit cettuy-là sa naissance et jeunesse, par la vigueur qu’il voyoit aux espris de son temps, abondans en nouvelletez et inventions de divers arts :
Verum, ut opinor, habet novitatem summa, recénsque
Natura est mundi, neque pridem exordia coepit :
Quare etiam quaedam nunc artes expoliuntur,
Nunc etiam augescunt, nunc addita navigiis sunt Multa 56 57 .
Montaigne semble dire que ses contemporains se trompent en déduisant la décrépitude du vieux monde à partir de sa décadence, de la même façon que Lucrèce se trompait en concluant à la jeunesse du monde à partir de la vigueur des esprits de son temps. Nous pouvons interpréter ce passage de deux façons. Soit Montaigne nie que le monde soit décrépit et que la Grèce était jeune, comme le proposa Lucrèce. Soit il attribue la vanité de ces conclusions à la justification qui en était donnée. Quoi 333qu’il en soit, il faut souligner l’impressionnante proximité de ses propos avec ceux de Du Plessis-Mornay. La citation de Lucrèce reprend ainsi, de façon exacte, sa théorie ; pour dire, entre autres, que le monde est jeune :
Et Macrobe observant cela, vient à nostre conclusion, « Qui doute dit-il, que le Monde n’ait commencé voire depuis peu d’aage, veu que l’histoire Grecque mesmes contient à peine l’histoire de deux mille ans ? Car au delà de Ninus, qu’on dit avoir este pere de Semiramis, il ne se trouve rien par escrit ». Voire Lucrece mesmes, tout Epicurien & contempteur de Dieu qu’il estoit, est contraint de se rendre, quand il voit que tout l’histoire ancienne n’a autre borne que la destruction de Troye58.
Du Plessis-Mornay fait lui aussi référence à Lucrèce, en tant qu’exemple d’une vision qui suggère la nouveauté du monde. Cette parole païenne, proposée par un auteur censuré par les chrétiens, est quand même acceptée, pour étayer son propos. Ainsi nous avons, dans les deux textes, le positionnement d’un monde enfant, à côté d’une perception de l’histoire humaine en termes de passage ou de translation :
Si nous concluons bien de nostre fin, et ce poëte de la jeunesse de son siecle, cet autre monde ne faira qu’entrer en lumiere quand le nostre en sortira. L’univers tombera en paralisie ; l’un membre sera perclus, l’autre en vigueur. Bien crains-je que nous aurons bien fort hasté sa declinaison et sa ruyne par nostre contagion, et que nous luy aurons bien cher vendu nos opinions et nos arts. C’estoit un monde enfant ; si ne l’avons-nous pas foité et soubmis à nostre discipline par l’avantage de nostre valeur et forces naturelles, ny ne l’avons practiqué par nostre justice et bonté, ny subjugué par nostre magnanimité59.
Sans la mentionner explicitement, Montaigne fait allusion ici à la théorie de la translatio imperii. La grandeur européenne, en sa déchéance, laisserait la place à l’hégémonie du pouvoir américain, dans une « passation de pouvoir » qui se répéterait au long de l’histoire humaine. Pour présenter l’idée de la translation du pouvoir, Montaigne fait mention du sentiment d’angoisse eschatologique qui régnait en France à son époque et qui faisait vivre les gens dans la constante peur d’un jugement final imminent. Ainsi, certains « concluaient à propos de leur fin » ; mais nous ne rangeons pas Montaigne dans ce groupe-là. Pour ce qui est de Lucrèce, qui aurait bien conclu à la jeunesse de son siècle, Montaigne reprend 334le poète, déjà cité juste avant. Ce qui nous donne à penser qu’il revient sur la question de la jeunesse ou de l’Antiquité de la Grèce antique. Si Montaigne accepte la nouveauté de l’époque de Lucrèce, ne suit-il pas la théorie de Mornay qui affirme la primauté du Moyen-Orient où l’Arche aurait déposé les premiers hommes ?
Pour conclure, nous analyserons le dernier élément lié à la jeunesse du monde développé par Du Plessis-Mornay : l’évolution de l’humanité et des arts. La jeunesse du monde est utilisée par cet auteur pour rappeler l’existence du commencement du monde, mais aussi de celui de l’homme, à un moment donné et à un endroit donné.
Que si nous trouvons l’origine des Arts, des Loix & des Polices, du commerce, de la nourriture, & des lettre mesmes, c’est-à-dire, & du bien vivre, & du vivre tel quel, aymerons nous mieux confesser en l’homme une ignorance éternelle, qu’une jeunesse qui ait appris selon ses aages ? Et veu que les sciences, les arts, les grandeurs & les delices de la vie mesme, nous prouvent un commencement : y aura-il plus homme, ny sçavant, ny idiot, ny grand, ny petit, ny Philosophe, ny mechanique, ny laboureur, ny suivant les vanitez du Monde, qui ose debatre l’eternité de ce Monde ? Or que conclurrons nous donc de tout ce discours. Premièrement, que les inventions de toutes choses sont si nouvelles, qu’elles font suffisante foy à chacun de quelque mestier ou profession qu’il soit, de la nouveauté du Monde. En apres, que toutes icelles se rencontrent en un temps, & nous amènent à une certaine region, comme à un Centre, où le genre humain a premièrement flory, & puis s’est espandu à toute la circonference. Ce temps là, c’est cest espace qui est entre Moyse & le Deluge. Ceste region c’est ce pays où premier multiplia le genre humain au sortir de l’Arche60.
Du Plessis-Mornay remonte le chemin de l’histoire humaine, en cherchant son origine. Après avoir établi le commencement du monde et l’origine de l’homme, il tourne son regard vers les activités humaines. L’humanité, après le déluge, se multiplie à partir de Noé et de sa descendance, à l’endroit où l’Arche s’est établie. Cet endroit fut le centre du monde, où commencèrent l’histoire, les activités et la culture humaines. Au fur et à mesure que la population augmentait, la nécessité de se disperser sur la terre devint de plus en plus pressante.
Or que gaignons nous donc de ce discours ? À sçavoir, que le monde n’a point esté cognu par tous ces grands Empires : beaucoup moins donc par ceux qui ont vescu sous leur subjection. Qu’iceluy aussi n’a esté peuplé, que selon que 335le peuple a trop abondé en un endroit, & rencontrant un homme d’entreprise, s’est par sa conduite espandu sur les regions voisines. Bref, que plus pres sont les regions de nostre centre, & plustost ont-elles esté habitées, polies & cultuvées : ce qui se voit encores plus clairement par la Genealogie du Monde61.
La partie des hommes habitant ce centre où tout commença, pour avoir eu une histoire plus longue, développa davantage son art, sa science, sa technique et ses lois. Et cette connaissance fut transmise des peuples centraux à ceux qui en étaient les plus proches. Ainsi, petit à petit, l’humanité conquit et peupla les terres les plus lointaines, y développant encore la culture établie au fil du temps. Plus proches du centre étaient les hommes, plus grand était leur développement ; plus éloignés du centre, plus petit était leur développement :
Des Assyriens la Monarchie est venue aux Perses, des Perses aux Grecs, des Grecs aux Latins, des Latins aux François, des François aux Allemans, selon que les pays ont multiplié leurs Colonies, & que les peuples se sont polis, & ont adjouté de la prudence à leur force. Et l’Espaigne maintenant, qui estoit paravant le bout du Monde, nous a premier descouvert le nouveau Monde. Suyvons l’Orient, des Perses nous allons aux Indes, des Indes Orientales aux Occidentales, tant que nous rencontrons leur vout au mesme endroit où les Espaignols ont trouvé le commencement62.
L’émergence de la culture et de la technique et leur progressif déplacement sur le globe mènent l’auteur à un déploiement qui nous fait revenir aux Américains. Mise au service de la conquête, cette théorie explique de façon assez logique les différences entre les peuples américains, constatées par les européens ou les conquistadores, qui les rencontraient au fur et à mesure que la Conquête avançait :
C’est que le peuple s’acheminant tousjours, l’un d’un costé, l’autre de l’autre, en fin est nécessaire, si terre dure, qu’on se rencontre. Et de faict, comme les extremitez de nos peuples, Irlande, partie d’Escosse, Lapponie, Groenland, sont comme sauvages, aussi le sont les extrêmes Colonies des Indes Occidentales, venues des Indiens Orientaux, à sçavoir Canada, Baccaleos, le Bresil & les Patagons. Et comme au contraire nos regions, plus elles tendent vers le centre qu’avons pris, plus elles ont de traces de leur ancienneté, la Gaule plus que l’Allemagne, & l’Italie que la Gaule, & la Grèce que l’Italie, & l’Egypte que la Grèce, & ainsi des autres : aussi les Espagnols qui avoient trouvé des hurtes 336& des bauges en leurs premières conquestes, ont trouvé entrant plus avant de belles villes, & bien peuplees, une distinction de peuple & de noblesse, de gens de justice & de gens de guerre, des mestiers bien polis, des histoires de leurs faicts, des antiquitez merveilleuses, des chaussees qui surmontent les Pyramides d’Egypte, & tout ce que le monde a tenu pour miracle63.
Si nous passons du texte de Du Plessis-Mornay à celui de Montaigne, nous voyons se répéter l’observation des différents niveaux techniques, dans les différentes sociétés. Observons que Montaigne n’émet pas de jugement de valeur par rapport à ces différences. Au contraire, il trouve des éloges à faire, quel que soit le degré de développement dans lequel elles se trouvent. Les valeurs et coutumes des différents peuples semblent davantage l’intéresser que leur avancée technique. Ce n’est pas leur façon de travailler l’or ou les grands édifices de la justice qui l’intéressent, mais la façon dont ces peuples mènent leur vie. Ce qui peut être confirmé par leurs descriptions dans les deux chapitres indigènes des Essais. Montaigne ne loue pas moins les cannibales que les Mexicains. S’il ne semble pas préférer un peuple à l’autre, il montre clairement la différence entre la simplicité brésilienne et le luxe mexicain. Face à cette constatation, les raisons de ces disparités entre les cultures peuvent sans difficulté être expliquées chez Du Plessis-Mornay par la théorie monogénique du transport des cultures du centre du monde vers ses limites ; transport permis par la contiguïté des continents, thèse adoptée par Montaigne. Les affinités relevées entre monde ancien et monde nouveau peuvent donc, contrairement à ce que propose Gliozzi, fonctionner en tant qu’indice d’une même provenance. Les coutumes semblables, déjà relevées par Épicure, sont, comme le démontre Du Plessis-Mornay, la preuve du passage des sociétés des Anciens vers les nouveaux mondes. Contrairement à ce qu’en conclut Gliozzi, Montaigne peut, lui aussi, proposer une lecture monogénique du peuplement du territoire américain, embrassant, en outre, l’idée que l’âge d’un peuple est défini par le degré des arts de ce dernier.
Maria Célia Veiga França
Faculdade Cidade de João Pinheiro, Brasil
1 Giulano Gliozzi, Adam et le Nouveau Monde : La naissance de l’anthropologie comme idéologie coloniale : des généalogies bibliques aux théories raciales, 1500-1700, Lecques, Théétète, 2000.
2 Nous citons dans l’édition : Philippe Du Plessis-Mornay, De la vérité de la religion chrestienne, contre les athées, épicuriens, payens, juifs, mahumédistes et autres infidèles, Paris, Claude Micard, 1585. Disponible sur Gallica : [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k865651.image (consulté le 01 / 05/ 2021)].
3 Michel de Montaigne, Les Essais, Paris, PUF, 2004.
4 Cette « cachotterie » ou mensonge se dit chez Montaigne de plusieurs façons, dans des buts différents, comme le montre joliment la thèse de Fabien Pascal Lins, Usages et fonctions du « mentir » dans le chapitre Des Cannibales (I, 31) des Essais de Michel de Montaigne, thèse de doctorat en philosophie, sous la direction de M. Jean-François Dupeyron (Université de Bordeaux Montaigne) et de M. Enéias Forlin (Universidade Estadual de Campinas, Unicamp). Nous citons ici dans la version présentée pour la « Qualificação » soutenue le 08/04/2020 à l’Universidade Estadual de Campinas.
5 « Ainsi je me contente de cette information, sans m’enquerir de ce que les cosmographes en disent. Il nous faudroit des topographes qui nous fissent narration particuliere des endroits où ils ont esté. Mais, pour avoir cet avantage sur nous d’avoir veu la Palestine, ils veulent jouir de ce privilege de nous conter nouvelles de tout le demeurant du monde » (I, 31, 205). Du Plessis-Mornay ne semble pas rejeter le discours des cosmographes à la façon de Montaigne, mais ne leur donne pas grand crédit non plus : « Car mesmes que sont les Phoeniciens au regard de tous les Cosmographes que les habintans de la mer Palestine ? » (De la vérité de la religion chrestienne, op. cit. p. 112). Notons que la présence du cosmographe et de la Palestine chez les deux auteurs n’est peut-être pas anodine, et pourrait compter comme un premier indice de la proximité des textes.
6 Le Requerimiento est un texte juridique composé en 1512 par l’Espagnol Juan Lopez de Palacios Rubios pour donner une réponse légale aux problèmes posés par la Conquête : comme Dieu a créé le monde et l’a confié à Saint Pierre et à ses successeurs, le Pape a pu accorder légitimement l’Amérique à l’Espagne (NdT).
7 Adam et le Nouveau Monde, op. cit. p. 170.
8 Les Essais, III, 6, p. 911.
9 Maria França, O Selvagem como figura da natureza humana : o discurso da conquista americana, Porto Alegre, Fi, 2018 [www.editorafi.org/329mariaveiga].
10 C’est ce que nous pouvons voir de façon assez notable dans le chapitre « Des Prières ».
11 Adam et le Nouveau Monde, op. cit. p. 170.
12 Il nous semble pourtant que Montaigne n’accepte l’identification des deux pays à aucun moment, comme le suppose d’ailleurs Gliozzi : « il présente l’hypothèse sur l’Atlantide presque comme un moment, ensuite dépassé, de sa propre réflexion » (p. 172).
13 Les Essais, I, 31, 203.
14 Adam et le Nouveau Monde, op. cit. p. 170.
15 Les Essais, I, 31, 204.
16 « L’autre tesmoignage de l’antiquité, auquel on veut raporter cette descouverte, est dans Aristote, au moins si ce petit livret des merveilles inouies est à luy. Il raconte là que certains Carthaginois, s’estant jettez au travers de la mer Athlantique, hors le destroit de Gibaltar, et navigué long temps, avoient descouvert en fin une grande isle fertile […] Cette narration d’Aristote n’a non plus d’accord avec nos terres neufves » (I, 31, 204).
17 Les Essais, I, 31, 204.
18 Ibid., III, 6, p. 914.
19 Le polygénisme est la doctrine selon laquelle l’espèce humaine proviendrait de plusieurs souches différentes (NdT).
20 Dans ce chapitre, Du Plessis-Mornay essaie de prouver l’existence de Dieu par le mouvement.
21 Dans le chapitre « Du repentir », en parlant de la peinture de soi, Montaigne reprend le thème du mouvement, qu’il attribue non seulement au monde, mais à lui. « Le monde n’est qu’une branloire perenne. Toutes choses y branlent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Aegypte, et du branle public et du leur. La constance mesme n’est autre chose qu’un branle plus languissant. Je ne puis asseurer mon object. Il va trouble et chancelant, d’une yvresse naturelle. Je le prens en ce point, comme il est, en l’instant que je m’amuse à luy. Je ne peints pas l’estre, je peins le passage : non un passage d’aage en autre, ou, comme dict le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute » (III, 2, 805). Or, c’est ce que faisait déjà Du Plessis-Mornay, en attribuant ce même mouvement des astres à l’âme humaine. « Et toutefois oserons nous dire qu’elle [l’âme humaine] soit éternelle ? Mais comment le seroit-elle, veu que nous la voyons profiter & apprendre, mesme empirer bien souvent & oublier, d’aage en aage, & de jour en jour ? Comment encor, veu que la voyons passer d’ignorance en science, & de ténèbres en lumiere, de joie en tristesse, & d’esperance en crainte, non par années, mais par minutes & momens ? » (De la vérité de la religion chrestienne, op. cit. p. 97).
22 De la vérité de la religion chrétienne, op. cit. p. 93-95.
23 Ibid., p. 121.
24 Les Essais, I, 31, 204.
25 De la vérité de la religion chrétienne, op. cit. p. 119.
26 Ibid., p. 119.
27 Ibid., p. 120.
28 Adam et le Nouveau Monde, op. cit. p. 317.
29 Ibid., p. 170.
30 Ibid., p. 171.
31 « Trois d’entre eux, ignorans combien coutera un jour à leur repos et à leur bon heur la connaissance des corruptions de deçà, et que de ce commerce naistra leur ruyne, comme je presuppose qu’elle soit desjà avancée » (I, 31, 213).
32 Adam et le Nouveau Monde, op. cit. p. 173.
33 Les Essais, I, 31, p. 203.
34 « Car ce que nous avons sous la main nous plaît et nous paraît préférable à tout » (Lucrèce, De Rerum Natura, V, 1411) (NdT).
35 Ibid., II, 12, p. 571.
36 Ibid., II, 12, p. 570.
37 Les Essais, II, 12, p. 524.
38 Ibid., II, 12, p. 542.
39 Ibid., II, 12, p. 525.
40 Adam et le Nouveau Monde, op. cit. p. 174.
41 Croyance reprise dans « l’Apologie », à côté de plusieurs autres, qui ressemblent aux rites et dogmes chrétiens : « qu’autrefois ils ont esté submergés par l’innondation des eaux celestes ; qu’il ne s’en sauva que peu de familles, qui se jetterent dans les hauts creux des montaignes, lesquels creux ils boucherent, si que l’eau n’y entre poinct, ayant enfermé là dedans plusieurs sortes d’animaux : que, quand ils sentirent la pluye cesser, ils mirent hors des chiens, lesquels estans revenus nets et mouillez, ils jugerent l’eau n’estre encore guiere abaissée ; depuis, en ayant fait sortir d’autres et les voyans revenir bourbeux, ils sortirent repeupler le monde, qu’ils trouverent plain seulement de serpens » (II, 12, p. 574).
42 Les Essais, II, 12, p. 573.
43 Il s’agit de la conception interprétant l’ensemble des événements de l’histoire de l’humanité à partir du récit biblique (NdT).
44 Adam et le Nouveau Monde, op. cit. p. 175.
45 Ibid.
46 Ibid., p. 173.
47 De la vérité de la religion chrétienne, op. cit. p. 101.
48 Ibid., p. 113.
49 Ibid., p. 121-123.
50 Les Essais, I, 31, p. 204.
51 Ibid., III, 6, p. 908.
52 Ibid.
53 De la vérité de la religion chrétienne, op. cit. p. 107.
54 Reprenant l’argument contre l’éternité du monde, il rappelle que, si le monde était éternel, il aurait été éternellement habité, et nul peuple ne serait plus ancien que l’autre. Or, il démontre le contraire dans la suite du texte. De la même manière que, s’il était « fort ancien », rien de nouveau ne serait trouvé : « Je vous prie, que choisirons nous en ce monde pour exemple d’antiquité ? » (Ibid. p. 102).
55 « Tant désormais notre âge n’a plus la même vigueur, ni la terre la même fertilité » (Lucrèce, De Rerum Natura, II, 1136) (NdT).
56 « À mon avis, l’univers n’est pas ancien ; le monde est d’origine récente, et il n’y a pas longtemps qu’il a pris naissance. C’est pourquoi certains arts se développent encore aujourd’hui, et se perfectionnent encore, c’est pourquoi de nos jours l’art de la navigation a beaucoup progressé » (Lucrèce, De Rerum Natura, V, 331) (NdT).
57 Les Essais, III, 6, p. 908.
58 De la vérité de la religion chrétienne, op. cit. p. 110-111.
59 Les Essais, III, 6, p. 909.
60 De la vérité de la religion chrétienne, op. cit. p. 113.
61 Ibid., p. 115.
62 Ibid.
63 Ibid.
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- ISBN: 978-2-406-12607-2
- EAN: 9782406126072
- ISSN: 2261-897X
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12607-2.p.0309
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 11-10-2021
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Montaigne, Du Plessis-Mornay, New World