From Confessions to Essays From popular emotions to the call of the divine
- Publication type: Journal article
- Journal: Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
2021, n° 73. varia - Author: Comparot (Andrée)
- Pages: 23 to 31
- Journal: Bulletin for the International Society of Friends of Montaigne
Des Confessions aux Essais
Des émotions populaires à l’appel du divin
Des Confessions d’Augustin aux Essais de Montaigne, les points communs ne se sont point toujours imposés. Pourtant l’éloignement dans le temps rend pour nous les ressemblances surprenantes. Bien davantage à la Renaissance, les troubles religieux et politiques vécus pouvaient rappeler alors aux Chrétiens les efforts de conciliation du grand théologien en son temps, et dans l’apaisement de son esprit, son aspiration au divin. Lecteur d’abord, puis auteur lui-même, Montaigne a cherché, dans son exemple, dans son ouvrage, pouvons-nous dire aujourd’hui, à lutter contre les perversions humaines.
Les Confessions apportaient au monde les épisodes de la vie de leur auteur, et par la réflexion qu’elles suscitaient au lecteur, un apaisement dans les controverses. L’analyse de l’esprit humain également prétendait éclairer « les opacités profondes de la pensée ». Par là, Augustin préparait la voie à celui qui se disait « soi-même la matière de son livre ». L’un, tourné vers la contemplation ouvrait l’homme à l’illumination du divin, l’autre tourné vers l’action, dans un monde déchiré, dénonçait la violence des passions.
Augustin dit s’adresser à Dieu, mais écrit aussi pour donner leçon au monde. Auteur ainsi, il ouvre son livre en peignant l’enfance, avant la vie responsable de l’homme. Soucieux de l’équilibre de son ouvrage, il en lance initialement les principaux thèmes et se refuse à compter son premier âge comme partie de la vie qu’il a passée en ce monde, puisqu’il n’en conserve ni souvenir, ni connaissance1, et le ramène au mystère divin que poursuivra le reste de l’ouvrage. Le temps où il n’existait pas par la pensée, il le compte dans ses obligations envers Dieu, non sans en rendre grâce. Plus étonnant, lui qui fera de la mémoire le fondement de l’esprit 24humain, puisqu’il n’a point souvenir de cet âge des balbutiements, il les repousse dans les ténèbres de son esprit, jusqu’au temps de la gestation même : « Puisque, écrit-il, pour ce qui regarde ma propre connaissance et mon souvenir, il ne m’en reste non plus d’idée que de celui que j’ai passé dans les entrailles de ma mère, et qu’ils sont tous deux ensevelis pour moi dans l’obscurité des mêmes ténèbres2 ». Sans cette mémoire autour de laquelle il découvre toutes les facultés de l’esprit, l’enfant n’a point d’existence. De la vie seulement. Mais dans un monde que nous ignorons, qui est sans doute celui de ce Dieu qu’il ne saurait remercier d’une existence qui ne lui appartient pas encore. Par suite Augustin confond ce temps avec celui de la gestation, tout aussi peu consciente. Ouvrait-il ainsi la voie à son émule de la Renaissance qui prétendra à onze mois de gestation ? Vérité, faut-il dire, erreur d’origine familiale, ou imitation d’un auteur par l’autre ? Il reste qu’en effet, ce refus de la vie de l’esprit à l’enfant nouveau-né ou à naître, le place dans la volonté de Dieu, et par suite, avant son existence même, lui impose le lien avec le divin, comme un besoin irrésistible. Dans la pensée de Montaigne, comme dans celle d’Augustin, l’aspiration à l’éternel s’inscrit dans la condition humaine.
Que Montaigne se soit d’abord intéressé aux pages des Confessions qui, plus clairement, comportaient pour lui, et pour ses contemporains, un intérêt d’actualité, s’impose aussitôt à nous. Négligeant les premiers balbutiements de l’auteur, l’ouvrage s’attache à la faute de l’adolescent : le vol des mauvaises poires. Il en avait de meilleures chez lui. Cependant il n’en est pas resté sur l’arbre, pour la plus grande déconvenue des propriétaires, faut-il croire. Cela nous vaut une longue analyse de tous les vices humains dans laquelle chacun se caractérise par un manque, ou parfois seulement par le danger qu’entraîne ce manque. Ainsi, finissant la liste, la tristesse devait, plus que tout autre, toucher le lecteur : « La tristesse se dessèche dans le regret des choses qu’elle a perdues et que le cœur avait aimées avec passion, parce qu’elle voulait qu’on ne lui ôtât rien de tout ce qu’elle possède, comme il est impossible de vous ôter rien de ce que vous possédez3 ». Plus nettement la colère donnait ses raisons : « La colère veut se venger avec une souveraine justice4 ». 25Comme dans tous les vices, dans le désir de vengeance résidait une rivalité avec Dieu. L’acte fautif se doublait encore ainsi du désir du divin, dans la vaine poursuite d’un infini refusé, et la dépossession d’un état de perfection perdu.
Si toute faute porte en soi, excuse ou condamnation, la marque de l’aspiration au divin, Augustin apportait une autre raison à l’émotion collective des troubles humains. Que le théologien, pour comprendre sa propre faute, l’ait ramenée à ce désir du divin en tout dévoiement, l’auteur de la Renaissance, jugeant son époque déchirée par les soulèvements des guerres de Religion, ne pouvait l’accepter et montrait son refus dans l’énergie des termes employés. L’émotion populaire, comme les guerres ouvertes, renferme bien toutes les passions humaines qu’Augustin avait analysées. Mais alléguées par une religion pervertie, elles prennent un caractère d’urgence. L’hypocrisie, en s’autorisant de la religion, entraîne le refus de Dieu. Initialement à « Apologie de Raymond Sebon », Montaigne souligne le scandale de la perversion de ces guerres, en opposant à un christianisme authentique, toutes les perversions développées dans les Confessions et dénoncées dans les mobiles véritables des chefs des différents soulèvements collectifs : « La justice qui est en l’un des partis, elle n’y est que pour ornement et couverture ; elle y est bien alléguée, mais elle n’y est ni reçue, ni logée, ni épousée5 ». La preuve est apportée par la condamnation divine : « Dieu doit son secours extraordinaire à la foi et à la religion, non pas à nos passions, les hommes y sont conducteurs et s’y servent de la religion. Ce devrait être tout le contraire6 ». Le dévoiement du divin dans tous les vicesqu’avait affirmé Augustin, repris par Montaigne, explique les malheurs déplorés par les Essais : « Notre zèle fait merveille quand il va secondant notre pente vers la haine, la cruauté, l’ambition, l’avarice, la détraction, la rébellion. Notre religion est faite pour extirper les vices, elle les couvre, les nourrit, les excite7 ». L’homme de guerre, ou de loi, dépasse le théologien. La condamnation de l’émotion collective est sans appel. Ce n’est plus le seul dévoiement des passions qui entraîne le crime, mais la religion même qui les « nourrit ». Ce renversement des valeurs est la pire des condamnations.
26Le premier jugement de son acte rapporté par Augustin en entraînait ainsi la réprobation, comme celle de toute faute devant Dieu. Inquiet cependant devant la loi des hommes, Augustin poursuivait. Reconnaissant la honte qu’il éprouvait encore, il l’expliquait par l’amitié. Dans l’entente du groupe : « l’âme devient en cela si aveugle et si déréglée que, pour satisfaire sa passion, elle ne fait pas seulement des choses honteuses et infâmes, mais qu’elle trouve sa propre satisfaction dans sa honte8 ». Ensuite venait l’explication : « Pourquoi donc, s’interroge-t-il, le plaisir que je prenais en cette action venait-il de ce que je la faisais en compagnie des autres9 ? ». La réponse se clamait ensuite : « O amitié pernicieuse et ennemie de la vertu, est-ce ainsi que tu séduis malheureusement les esprits. » La source de l’émotion collective se trouvait ainsi dans le plus noble des rapports humains, mais restait déplorée dans ses effets.
La force dangereuse qui porte si facilement au mal, toute promiscuité, trouvait son origine dans le meilleur de l’homme, par suite de la complexité de sa condition. Cette poursuite du divin dans la faute, cette présence de Dieu comme une ombre dans la volonté humaine, même perverse, c’est la vision du théologien, celle aussi qui séduisit l’auteur qui voulait apaiser le monde de son temps. Plus importante pour le lecteur, parce qu’il se trouve plus immédiatement intéressé par tous les maux humains, se trouve la protestation des Essais. C’est en homme politique que Montaigne a lu le texte d’Augustin, lui qui, en son adolescence a très probablement assisté à la mort du Lieutenant Général De Moneins10. Il avait sans doute alors, à peu près exactement l’âge d’Augustin quand il mangea ses mauvaises poires, quinze ans dit la chronique. Mais Montaigne ne relate pas le soulèvement sans déformation : « dans mon enfance » situe-t-il l’évènement, peut-être pour affaiblir un jugement des faits qui ranimerait facilement les passions, plus sûrement pour s’exclure de toute responsabilité dans une passivité qu’on peut juger coupable. Il n’avait point participé à l’acte, mais, profondément marqué ne le relate point sans une sévérité qui ne lui est pas habituelle. Le Maire de Bordeaux qui avait assuré la paix à sa ville, sous sa direction, en juge en l’occurrence la population : « Il n’est rien moins espérable de ce monstre ainsi agité que l’humanité et 27la douceur11 ». Extérieur désormais àl’agitation politique, il juge le choix de la confiance affiché par De Moneins comme « une résolution plutôt brave (à mon gré précise-t-il) que téméraire12 ». Ce n’est plus alors l’adolescent profondément touché qui s’émeut, mais l’homme de guerre expérimenté qui, quant à lui, aurait imposé « la révérence et la crainte13 ». Il reste que cet épisode bordelais, ce crime collectif, s’il n’a pu marquer « son enfance », en son adolescence a touché sa sensibilité la plus profonde. La politique de l’apaisement qu’il essaie partout d’imposer, représente donc un effort sur une profonde sensibilité et une animosité irréprimable contre la violence, soit le triomphe de la sagesse chez l’émule d’Augustin et le lecteur des philosophes antiques.
Avec lui choisissons dans Tite Live un des exemples de massacre collectif. Dans la dernière rédaction des Essais, il emprunte à l’histoire un épisode où l’individu, mais aussi la troupe vaincue exercent à l’envie violence et cruauté. Le tyran vainqueur, Philippe V de Macédoine, s’il faut préciser un récit dont Montaigne ne rapporte que l’horreur finale, avait accordé aux vaincus un délai de trois jours avec l’obligation de se tuer eux-mêmes « avec plus d’ordre et plus à l’aise14 ». L’ironie sur l’homme seul éclate dans la suite de la phrase qui rapporte l’autodestruction du groupe entier : « lesquels ils remplirent de sang et de meurtre, au-delà de toute hostile cruauté15 ». La conclusion alors s’impose, générale pour toute guerre et particulièrement pour les massacres contemporains des Essais : « Il y a infinis exemples de pareilles conclusions populaires qui semblent plus âpres d’autant que l’effet en est plus universel. Elles le sont moins que séparées. Ce que le discours ferait en chacune il le fait en tous, l’ardeur de la société ravissant les particuliers jugements16 ». La réflexion d’Augustin sur l’entraînement engendré par l’amitié n’allait pas si loin. L’essai la prolonge à la lumière des troubles vécus : Augustin avait accusé la honte qui « du particulier ravit les jugements ». Pour Montaigne l’émotion collective étouffe le discours, c’est-à-dire la raison. Mais la promiscuité touche toute la personne, le corps autant que l’esprit. Il accuse ainsi « l’ardeur de la société », une chaleur humaine qu’il 28faut prendre au sens propre, autant qu’au figuré. La force ainsi libérée s’exerce, désormais incontrôlée. Dans l’exemple apporté par Tite Live à Montaigne, le phénomène psychologique est monté jusqu’au cas extrême de destruction de soi-même par le sujet touché, dans la libération de la violence la plus extrême. Dans la complexité de toutes choses humaines, celle-là méritait particulièrement en effet, la considération de l’auteur des Essais, en son temps de déchaînement des passions collectives, sinon le respect. Retourné contre soi-même, le mouvement de masse révèle la nature destructrice de sa force, une brutalité dépourvue de toute conscience humaine. Le dépouillement du récit historique rapporté par l’essai dénonce, dans la passion de tous, un esprit « au-delà de toute hostile cruauté », la perte de la conscience individuelle, l’abandon de chacun à la force meurtrière, jusqu’à l’autodestruction du groupe dans une collective violence. Ce cas extrême, par la brièveté du texte, exprime toute l’horreur de Montaigne pour les soulèvements populaires.
Montaigne ainsi, se détachant du vol des poires, faute d’adolescent bien légère pour la conscience des hommes, a recouru à la plus grande histoire pour pousser jusqu’à l’extrême le dévoiement du divin dans l’action humaine, soit l’autodestruction du groupe, voulue par la conscience collective et justifiée par une analyse profonde de cet étouffement de la raison individuelle dans l’acte. L’antiquité était généreuse, mais le présent aussi sur lequel Montaigne se tait. Augustin du moins n’en était pas resté à l’affirmation dans le groupe d’une force du mal. Son analyse supposait que cette force pouvait être tournée vers le bien.
Avançant dans ses Confessions, il rapporte, dans les conversions de l’Église Chrétienne, comment il faisait jouer un rôle important aux personnages de renom. Ainsi, disait-il, les convertis « s’ils sont moins connus dans le monde, ceux même qui les connaissent en reçoivent une moindre joie. Car lorsque l’on se réjouit avec plusieurs, la joie de chacun en particulier est beaucoup plus grande, parce qu’on s’enflamme les uns les autres. De plus ceux qui sont connus de plusieurs ouvrent aussi par leur exemple le chemin du salut à plusieurs, et l’autorité de leur personne rendant leurs actions considérables, il s’en trouve beaucoup qui les veulent suivre17 ». Grâce à l’illustration de certains, le petit nombre des convertis entraînait la foule, et par elle naissait ensuite cette joie beaucoup plus grande, cette flamme que chacun porte à l’autre, la foi 29collective dirons-nous. Augustin fait ainsi de l’élan des foules une aide au sentiment religieux. Le procédé tiré de l’expérience de son adolescence, après sa propre conversion, détourné de son condamnable usage, prenant valeur nouvelle, est élargi à l’Église tout entière. La puissance de l’assemblée, par son nombre, devient justification de la foi et se trouve ainsi valorisée.
Dénonçant tous les torts de son époque, et par excellence la cruauté, Montaigne ne s’attachait point au prosélytisme. Il ose formuler, au contraire « n’est point d’hostilité excellente comme la Chrétienne18 ». Loin de l’encourager, il s’attarde à ruiner le fondement de tout esprit de parti dans sa propre religion. Il reste que l’ouverture même de son ouvrage avait fait une place à la possibilité d’une valeur constructive de l’émotion des foules, par ce qui est « d’amollir les cœurs », comme il le proposait initialement pour l’entrée de son premier essai, sinon de son ouvrage. Il rapporte pour cela, après deux autres exemples la permission donnée par l’Empereur Conrad troisième ayant assiégé Guelphe duc de Bavière, à toutes les gentilles femmes de la ville, de partir avec tout ce qu’elles pouvaient emporter sur elles : « Elles, d’un cœur magnanime s’avisèrent de charger sur leurs épaules leurs maris, leurs enfants, et le Duc lui-même19 ». L’unité des suppliantes obtient alors de l’Empereur victorieux le changement de sa volonté, la pitié et l’humanité. Par cet exemple, les Essais commencent par l’éloge du pardon. Malheureusement ce succès moral de l’opiniâtreté des foules n’est qu’exceptionnel dans l’ouvrage. Dû à des femmes, de plus comme si la volonté n’appartenait qu’aux hommes, il reste unique sous la plume de Montaigne. Son monde de lutte entre les partis religieux et politiques semble inexorablement livré à la cruauté. Sauf les sursauts d’indignation et de répulsion qu’il veut, au contraire susciter au lecteur, tout y finit dans le sang.
Augustin avait meilleure part. Dans la fin de ses Confessions, désormais ministre de Dieu, témoin devant les hommes, il retrouve le divin dans le monde qui l’entoure. La mémoire, au centre de la pensée humaine, l’amène à la saisie même de Dieu. Si les philosophes anciens dont il avait, écrit-il, lu les traductions du grec en latin, lui avaient enseigné, dans les problèmes du temps, la disparition du présent, dérobé par le passé et l’avenir, il donnait la réponse chrétienne : l’homme venait se perdre en Dieu. C’est ainsi que 30l’illumination d’Ostie rapporte l’entretien qu’il eut avec sa mère et qui les mena jusqu’au sentiment d’une saisie de l’infini20. Se libérant de tout souvenir matériel, admirant les ouvrages de Dieu jusqu’à la saisie de leurs âmes, ils atteignirent à la sagesse où ils trouvèrent l’éternel21. L’émotion alors, et la vision rapportée par les Confessions travaillent à imposer la certitude apportée au lecteur, c’est à dire à l’humanité même, par l’évènement personnel. Augustin par là, non seulement par son ministère de prêtre mais surtout par son ouvrage d’auteur, avait détourné l’esprit de parti, si dangereux dans le monde, en sentiment religieux. La saisie ponctuelle du divin qu’il rappelait entraînait le désir de l’éternel.
Ainsi l’enseignement de toutes les Confessions avait-il été préparé dès les premiers paragraphes du livre. La volonté divine se trouvait manifestée par l’absence de la mémoire dans la gestation de l’enfant et ses premiers vagissements. S’ils n’avaient pu obtenir de la part de l’auteur une aussi profonde action de grâce à Dieu que celle qu’il exprime ailleurs en toute occasion c’est qu’alors tout entier en sa création nouvelle par Dieu, il n’avait pas l’intelligence de sa condition humaine, trop récente encore. Présent jusque dans la faute, jamais perdu depuis son origine, le divin habitait l’homme au plus profond de son esprit, tout prêt à ressurgir. Possédé avant toute connaissance apportée par le monde, Augustin le voulait encore épanouir pour les générations à venir.
Montaigne, comme Augustin, lecteur de la philosophie grecque en traduction latine à l’occasion, ou française en son temps, termine l’« Apologie de Raymond Sebon »sur une belle page de Plutarque, puis sur un jugement de Sénèque qui impose l’existence d’un Dieu, pour s’en excuser en apparence : « À cette conclusion si religieuse d’un homme païen, je veux joindre seulement ce mot d’un témoin de même condition22 ». En fait ce n’est pas un « mot » mais, fécondé par le souvenir de la main de Dieu, sans cesse reprise dans les Confessions, un souhait personnel, le désir qu’il exprime alors comme essentiel à tout son ouvrage : « Il s’élèvera si Dieu lui prête extraordinairement la main. Il s’élèvera abandonnant et renonçant à ses propres moyens et se laissant hausser et soulever par les moyens purement célestes23 ». L’illumination 31souhaitée n’est pas visuelle, comme à Ostie, elle est spatiale. C’est une autre expression de l’infini. Sa place, en conclusion de l’essai central de l’ouvrage, l’élève en une affirmation définitive.
Ainsi, doublant la démonstration de la perversion destructrice des soulèvements populaires, les Essais, à l’imitation des Confessions, connaissaient même partie constructive, l’appel au divin. Le désir de la vérité, de l’éternel, de la stabilité de l’être qui n’existent qu’en Dieu, sans cesse répétés dans l’ouvrage, en faisaient l’unité. Les émotions populaires n’avaient de remède que par l’appel au divin.
Puisque les malheurs de l’homme dans les Essais se présentent comme exigeant un recours au divin, inspiré d’Augustin, au lieu de renouveler comme Montaigne la philosophie antique par un appel au christianisme, reprenons pour conclure la plus belle des infidèles du grand Arnauld. Là où Augustin avait écrit : « OstiaTiberina », il traduit par une vision illimitée : « Ostie où le Tibre se jette dans la mer24 ». La sobre mention du lieu d’embarquement projeté devient symbole de l’illumination toute proche, une vision de l’infini. Les soulèvements populaires peuvent mener ainsi à faire appel au divin.
Andrée Comparot
Professeur honoraire
à l’Université de Rennes II –
Haute Bretagne
1 Saint Augustin, Confessions, traduction d’Arnaud d’Andilly éd. H. Charpentier, Paris, Garnier, s.d., I, VII p. 17.
2 Ibid.
3 Ibid., II, VI, p. 62.
4 Ibid.
5 Essais, II, 12, édition de Denis Bjaï, Bénédicte Boudou, Jean Céard et Isabelle Pantin, sous la direction de Jean Céard, Paris, Le livre de Poche, 2001, La Pochothèque, p. 697.
6 Ibid.
7 Ibid. p. 698.
8 Confessions, II, IV, p. 57.
9 Ibid., II, IX, p. 66 et 67.
10 Essais, I, 23, p. 199.
11 Ibid., p. 200.
12 Ibid.
13 Ibid.
14 Ibid., II, III, p. 576.
15 Ibid.
16 Ibid.
17 Confessions, VIII, IV, p. 271.
18 Essais, II, 12, p. 698.
19 Ibid., I, I, p. 56.
20 Confessions, IX, VII, p. 321 et IX, X, p. 329.
21 Ibid.
22 Essais, II, XII, p. 932.
23 Ibid.
24 Confessions, IX, VIII, p. 321 et IX, X, p. 329.
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- ISBN: 978-2-406-12607-2
- EAN: 9782406126072
- ISSN: 2261-897X
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12607-2.p.0023
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 11-10-2021
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Montaigne, Confessions, Saint Augustine, wars of religion, passions, faith, God, infinity