De la main à la bouche Une maison tombée de son tertre
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
2020 – 2, n° 72. Saveur du savoir Mélanges Alain Legros - Auteur : Giacomotto-Charra (Violaine)
- Pages : 141 à 163
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
DE LA MAIN À LA BOUCHE
Une maison tombée de son tertre
La réalisation, par Denis Mollat, d’un film consacré à la tour de Montaigne a été l’occasion d’un chaleureux moment partagé avec Anne-Marie Cocula et Alain Legros. Comme il s’agissait de parler de Montaigne en ses terres et en son terroir, un échange s’est engagé puis prolongé par écrit autour d’unte question, réglée par la force de l’usage sans avoir été tout à fait techniquement tranchée au sein de la communauté des montaignistes (ou montanistes ?), mais demeurée jusqu’à il y a peu un sujet plus sensible au cœur occitan des Gascons : celle de son nom. La prononciation de ce nom a donné naissance à d’innombrables discussions au cours des xixe et xxe siècles (qu’il est d’ailleurs de tradition que le Bulletin rouvre de loin en loin1), et s’il n’est pas question de reprendre ici le dossier, cette amicale contribution est l’occasion de poursuivre cette tradition en en modifiant l’angle d’attaque et en tentant de s’interroger sur ce qu’il signifie : la querelle sur le nom de Montaigne a-t-elle quelque chose à nous apprendre de la réception des Essais au fil du temps ?
Alain Legros, comme chacun le sait, s’est tout particulièrement penché et sur l’histoire des lieux dont Montaigne était le seigneur, et sur l’histoire des inscriptions autographes de l’auteur des Essais2. La question du toponyme domanial est à l’exact croisement de ces deux enquêtes3, car Michel Eyquem, était seigneur d’une terre que nous 142devrions logiquement nommer en français contemporain Montagne, toponyme présent dans toute la France et qui dans les terres de ce coin de Dordogne, ou dans la Gironde voisine4, désigne un tertre et tout relief visible dans la plaine pouvant servir de point de repère (vu du bas) ou de point de surveillance (quand on est au sommet). Le nom propre, quelles qu’aient été sa forme graphique et sa prononciation, ne différait alors pas du nom commun. C’est le seul point certain et réellement important, car Montaigne était attaché à sa terre et au nom de sa maison, qui avait une signification précise ; il était, dans un tout autre registre, attaché à des pratiques graphiques que l’on dit aujourd’hui conservatrices (mais que lui-même considérait sans doute plutôt comme coutumières), par opposition aux tentatives de simplification et parfois de réformes radicales de l’orthographe proposées au xvie siècle par des grammairiens comme Louis Meigret ou Jacques Peletier du Mans, et souvent par les imprimeurs eux-mêmes, et auxquelles avaient souscrit d’autres lettrés, comme Ronsard.
Or le second attachement a paradoxalement sapé une partie de la valeur du premier : si depuis 1936 on peut faire le lien entre l’auteur des Essais et la commune qui abrite sa tour, parce que le village de Saint-Michel a alors pris le nom de Saint-Michel-de-Montaigne, le respect de la graphie conservatrice montaigne, qui s’appliquait au xvie siècle aussi bien au nom commun qu’au nom propre, a au fil du temps, distingué le toponyme du substantif, rendant sa signification moins audible. L’histoire a ainsi fait entrer en contradiction deux remarques célèbres laissées par Montaigne, l’une imprimée (« ma maison est juchée sur un tertre, comme dit son nom ») et l’autre manuscrite (« [Cã]paigne espaigne gascouigne &c. mettez vn /i/ dauãt le /g/ come a montaigne »), qui se trouve au dos du frontispice de l’édition de 15885. Elle a aussi fait diverger les trois langues de Montaigne, car si ses choix graphiques ont imposé Montaigne en français, il se nomme lui-même Michael Montanus en latin, et le rude 143gascon qui lui est cher dit et écrit Montanha, le traitement graphique du n palatal ne présentant pas la même ambiguïté en occitan et en français6.
Il ne s’agit pas de s’interroger ici sur la prononciation exacte du nom de Montaigne de son vivant ; cette question a fait couler beaucoup d’encre7 et si la curiosité des lecteurs amoureux des Essais peut pousser à se demander comment sonnait alors le nom de leur auteur, il est à peu près impossible d’en reconstituer la prononciation d’époque, qui doit prendre en compte également les particularités articulatoires, les variations orales locales (certainement très prononcées), mais aussi la manière de poser la voix ainsi que sa hauteur8, qui ont varié au fil des époques9. Les enseignants de langue diachronique connaissent bien le 144fatal trio à usage pédagogique permettant de pointer les incontestables errances de la fixation de la norme écrite par rapport à un usage oral que cette norme a ensuite contribué à modifier : montagne – châtaigne – oignon, trois noms communs dont l’évolution phonétique et graphique auraient dû logiquement être identique (montagne, châtagne, ognon10), auxquels on peut ajouter les doublets montagne / Montaigne et Champagne / Champaigne, Philippe ayant été un peu mieux traité que Michel. Comme par ailleurs la voyelle [a] était peut-être encore nasalisée, la prononciation n’était très certainement pas [mõtɛɲ], mais probablement pas non plus exactement [mõtaɲ] comme aujourd’hui, et si un purisme abusif nous poussait à tenter une prononciation restituée, elle serait sans doute incongrue à nos oreilles. La question sur laquelle nous voudrions nous pencher n’est donc pas celle de la restitution phonétique, qui n’a qu’un intérêt anecdotique et archéologique, mais celle de la disjonction entre toponyme et nom de famille dans les usages graphiques et éventuellement oraux, la manière dont les amateurs de Montaigne, qui ont de longue date précédé les chercheurs d’aujourd’hui, se sont accommodés de cette double question de la préférence graphique et de la signification du toponyme.
L’AMI MONTAGNE
Les siècles passés sont demeurés plus conscients, parce que plus proches que nous, de l’instabilité graphique et de sa résolution progressive – même erratique – au cours du xviie siècle. Si nous nous intéressons 145ici au doublet Montagne/Montaigne, rappelons que ce ne sont pas les seules graphies attestées, puisqu’Alain Legros a noté, en dépouillant les archives du Parlement de Bordeaux, que « le nom de “montaigne” [est] écrit aussi “montagne”, “mõtaigne”, “mõtagne”, “montanhe”, “montanie”, “montanye”11 », graphies qui, soulignons-le tout de même, tendent à confirmer fortement le maintien du [a] et l’absence de toute diphtongue ayant pu produire un [ɛ]. L’imprimé a imposé une unification relative qui n’existait pas dans les pratiques manuscrites, où la liberté graphique se fait plus nettement sentir, et grâce auxquelles on perçoit mieux le tâtonnement de la main pour tenter de consigner la parole vive. On peut cependant avancer que toutes ces graphies correspondaient peu ou prou à une seule et même prononciation dans une aire géographique donnée et que sa transcription n’avait au fond guère d’importance, puisque chacun savait comment on devait prononcer selon les habitudes locales12.
146Pour les contemporains de Montaigne, l’usage graphique était donc logiquement flottant. Il n’existe certes qu’une seule édition des Essais au xvie siècle ayant eu recours à la graphie Montagne pour sa page de titre, la contrefaçon lyonnaise de 1595, qui porte le titre Les essais de Michel, Seigneur de Montagne, divisez en trois livres […]13. S’il peut paraître significatif que la graphie Montagne soit utilisée dans une édition que ni l’auteur, mort depuis trois ans, ni son héritière spirituelle, Marie de Gournay, n’avaient contrôlée, cela atteste néanmoins qu’elle était parfaitement usuelle, et la remarque même de Montaigne sur l’exemplaire annoté de 1588 indique nettement qu’opter pour la graphie conservatrice ign pour tout un ensemble de termes, dont son nom, était un choix qui ne s’imposait pas naturellement, à une date où des pratiques graphiques simplifiées étaient devenues fréquentes dans le monde de l’imprimé. Le privilège de l’édition de 1588 a d’ailleurs été délivré à Abel l’Angelier, « libraire Juré en l’Université de Paris, d’imprimer ou faire Imprimer les Essais du Seigneur de Montagne, reveus & amplifiez en plus de cinq cens passages », le 4 juin 1588.
De ce fait, l’usage de la graphie simplifiée (ou moderne) se rencontre également chez ceux qui fréquentèrent l’auteur des Essais ou furent simplement ses contemporains. Ceux-ci écrivent son nom dans la variante graphique qui leur paraît adéquate, et non en suivant nécessairement celle que préférait Montaigne. Pierre de Brach14, ainsi, natif de la région, grand ami de Montaigne et qui écrit, point capital, avant la première publication des Essais, opte pour Montagne15. Il adresse son « Ode de 147la monomachie de David, et de Goliat » à « Monsieur de Montagne, Chevalier de l’ordre du Roi16 » (« Et toi, Montagne, enivré / De ce dous nectar sacré, / A qui sur le mont Parnasse / Les muses ont donné place… »), ainsi qu’un sonnet, « A M. de Montagne conseiller en la Cour17 ». Philippe de Marnix parlera également des « escrits de Michel de Montagne », la manchette comportant une dénomination à notre connaissance très rare, voire unique : Michel de la Montagne en ses Essais livre premier chapitre 2618, que l’on retrouve également dans le corps du texte, où il est question des « escrits du Seigneur de la Montagne19 ».
Ce sont surtout les textes des xviie et xviiie siècles qui sont intéressants, et ce, qu’il s’agisse d’éditions d’auteurs du xvie siècle ou de textes d’époque, car l’utilisation de la graphie Montagne y est écrasante20, alors que même que se multiplient les éditions des Essais avec comme nom d’auteur Montaigne. Après la mort de Montaigne, la forme montagne (comme campagne, Espagne) achève rapidement de l’emporter pour le nom commun, et, dès lors du moins que l’on n’est pas dans le cadre d’une édition des Essais, personne ou presque ne songe manifestement à écrire différemment nom propre et nom commun. On trouve « M. de Montagne » sous toutes les plumes, du moins imprimées21, et d’abord dans l’auto-traduction de la Chronique bourdeloise de Gabriel de Lurbe, qui raconte comment « Monsieur de Montagne fut esleu Maire de la Ville22 », ainsi que dans différentes 148éditions des Serées de Guillaume Bouchet (« Monsieur de Montagne, va remarquer quelqu’un, pourtant tient que les sourds naturels ne parlent point23 ») ou dans celles des Mémoires de De Thou (« Monsieur de Montagne me disoit souvent24… »). C’est également la forme graphique utilisée par exemple dans les textes publiés de Guillaume Colletet25, Pascal26, Mme de Sévigné27, Gabriel Naudé28, Malebranche29, dans des éditions du théâtre de Corneille30, par Robert Challe31 ou Marolles32 (liste non limitative). 149Dans le numéro du Bulletin consacré à la langue de Montaigne, nous signalions en introduction le cri d’amour de René-Louis de Voyer, marquis d’Argenson, secrétaire d’État aux Affaires étrangères de Louis XV, qui avait écrit ses propres Essais : « J’aime Montagne33 ».
Bref, on rencontre Montagne aussi bien dans l’Apologie pour Monsieur de Balzac34, que dans l’édition des lettres de Guy Patin35, ou dans une Histoire des philosophes modernes par Alexandre Saverien36. Entre autres curiosités37, on apprend ici ou là qu’« on ne peut lire les Essais de Montagne sans éprouver un charme particulier38 », que « le premier dessein du Bureau d’adresse est dans les Essais de Montagne39 », que « les Essais de Montagne ont été traduits en plusieurs langues » mais qu’il « est assez inutile de parler ici d’un livre anonyme, intitulé Pensées de Montagne propres à former l’esprit et les mœurs, Paris, 170140 », que « ce qu’il y a de meilleur dans les Essais de Montagne, c’est ce que cet Auteur dit des passions et des inclinations de l’homme41 », qu’un extrait des « Essais de Montagne » (I, 25) sert, en 1801, à illustrer l’annonce de la publication du Voyage des élèves du pensionnat de l’école centrale de l’Eure dans la partie occidentale du département pendant les vacances de l’an huit, annonce publiée dans les « Nouvelles Littéraires » du Journal de physique, 150de chimie, d’histoire naturelle et des arts42 (et oui…), et l’Abrégé du journal de Paris pour les années 1777-1781 ne manque pas de rappeler « une Anecdote qui peut n’être pas connue de tout le monde, c’est que les Essais de Montagne furent dénoncés à l’Inquisition romaine par deux Theologiens François43 ».
Signalons encore, pour le pur plaisir de l’enquête, quelques occurrences philologiquement ou historiquement intéressantes : un Mémoire sur la Vie et les Ouvrages de Michel de Montagne, publié dans le Mercure de France d’octobre 1740 ; un Eloge de Michel Montagne, Qui a remporté le Prix d’Eloquence de l’Académie de Bordeaux en 1774, par l’abbé Talbert44 ; un autre Eloge analytique et historique de Michel Montagne […], et un dialogue entre Montagne, Bayle et J.J. Rousseau, publié en 179145 ; une dénonciation « des emprunts de M. Rousseau, sur Michel de Montagne46 », des Memoires pour servir aux Essais de Michel seigneur de Montagne, comportant tout un ensemble de textes dont Le Traité de la Servitude volontaire, ou le contre-un par Etienne dela Boitiee [sic]47, une Histoire de la ville de Bordeaux datée de 177148 :
C’est dans ce temps, que vivoit à Bordeaux un de ces hommes, dont les noms font époque dans l’Histoire, et dont la célébrité rejaillit sur les lieux qui ont eu l’avantage de les posséder. On veut parler de Michel Eyquem de Montagne, né en Périgord au château de Montagne, le dernier jour de Février 153349.
Plus significatif encore, puisqu’il s’agit d’un remarqueur, Gilles Ménage utilise la graphie Montagne, témoignage important sous la plume de l’un des garants du bon usage :
Et une histoire de France, écrite en Latin de la sorte que Montagne la souhaittoit ; c’est-adire remplie de noms François ; ne seroit pas lisible, tant elle seroit 151desagréable : la pluspart des noms François, comme le mien par exemple et celui de Montagne, n’ayant pas une terminaison Latine. Et qui mettroit Ménage et Montagne dans des vers Latins, seroit plus ridicule50….
Autre point également intéressant, car la graphie du nom ne peut être ici laissée au hasard du choix de l’imprimeur, c’est sous la forme Montagne que notre auteur est recensé par les catalogues, les auteurs de Vies et les premiers auteurs de Bibliothèques, alors même que sont parfois mentionnées des éditions portant bien la graphie Montaigne, comme ces « Essais de Michel de Montagne. 8o. Bourdeaux. 1580 » et « Le Promenoir de Monsieur de Montagne par sa fille d’alliance […]. 12o. Paris. Langelier », présents dans le catalogue de la bibliothèque de Jacques-Auguste de Thou, au rayon « Prose françoise » des Literæ humaniores51. La Croix du Maine, le premier, écrit Montagne dans ses Bibliotheques françoises52, puis Charles Sorel indique que « les Essais de Michel de Montagne, sont à bon droict mis au rang de Livres meslez53 ». C’est de Montagne que parle Pierre Bayle dans son Dictionnaire historique et critique, comme le font aussi Jacques Le Long, Jean-Pierre Niceron ou Claude Pierre Goujet.
Cette pratique graphique ne se limite pas à la France, une enquête pourrait être menée dans les différents pays européens, puisque les Britanniques, par exemple, appellent eux aussi l’auteur des Essais « Monsieur de Montagne » :
This would be no Wonder, if it were as truly as it is colourably and wittily fait by Monsieur de Montagne, That Ambition it self might teach us to love Solitude54.
For, Monsieur de Montagne, has assured me, “that the person who receives a benefit obliges the “giver”55.
152Une enquête exhaustive sur l’usage de la graphie Montagne se révèle ainsi tout à fait impossible, tant les occurrences sont nombreuses ; on peut en tirer une conclusion et une question. La conclusion est que son usage s’est naturellement imposé dans les pratiques écrites des xviie et xviiie siècles, en dehors, nous reviendrons sur ce point essentiel, de l’appareil formel de la publication des Essais. Qu’elle qu’ait été la prononciation phonétique exacte, Montagne est une graphie d’usage, au sens où c’est celle qui vient spontanément sous la plume des imprimeurs de l’époque ; elle s’impose dès lors qu’on ne sent pas obligé de respecter la consigne graphique laissée par l’auteur. On pourrait voir là simplement l’habitude de moderniser les graphies, qui s’impose également à certains noms propres au xviie siècle (même s’ils sont a priori plus stables que les noms communs) : on trouve couramment Étienne ou Amiot. Le cas, cependant, n’est pas le même, puisque ce Montagne ne figure jamais sur la page de titre des Essais. En outre, le choix de la graphie Montagne implique une prononciation à l’avenant, alors qu’Étienne ou Amiot relèvent de conventions purement graphiques56. On peut alors faire l’hypothèse que les lecteurs des xviie et xviiie siècles ont spontanément, sans doute en raison de la signification même de la tradition onomastique nobiliaire, nommé Montaigne conformément à son titre de Seigneur de Montagne, faisant alors logiquement épouser au nom de terre la même évolution que celle suivie par le toponyme d’origine, et l’usage devait en être d’autant plus habituel qu’il venait d’abord de l’oral et de la conversation.
Il faut en effet replacer la première réception de Montaigne dans le contexte d’une conscience aigüe, dans la noblesse de sang, celle de robe mais aussi dans la grande bourgeoisie aspirant à s’élever (donc une très grande partie des lecteurs de Montaigne au xviie siècle), des enjeux liés à l’hésitation entre « nom personnel » (nom de famille au sens strict) et « nom réel » (dits aussi « nom de terre »). La mutation de la noblesse dans les années où vécut Montaigne a provoqué de nombreuses substitutions du second au premier57, ce qu’a fait très exactement Michel Eyquem devenu Montaigne (non sans critiquer avec une grande mauvaise 153foi l’instabilité anthroponymique causée par un tel phénomène, alors qu’il s’y livre allègrement lui-même). Or c’est un enjeu très réel dans la société de l’Âge classique, et tandis qu’il continue de se nommer Montaigne par la loi de la page de titre, sa « maison », elle, s’écrit et se nomme incontestablement Montagne, même si sa lignée s’est rapidement perdue, faute d’héritier mâle. Pour un lecteur du xviie siècle, « maison » désigne la terre, mais aussi et surtout le phénomène de topolignée (on n’est ou on n’est pas de « bonne » ou de « grande maison », plutôt que de « bonne famille »). L’usage de la graphie Montagne, qui réfère au nom de la terre et non à celui du seul auteur des Essais, nous semble aller de pair avec des usages sociaux avant d’être littéraires, ainsi qu’avec la perpétuation d’une éthique nobiliaire qui fut la sienne, et donc, peut-être, avec la réception des Essais comme un livre de gentilhomme : il continu d’être « Michel, seigneur de Montagne » dès lors qu’il quitte la page de titre des Essais, sur laquelle il est encore seigneur, mais d’une terre de fiction, Montaigne.
NOM DE TERRE OU NOM D’AUTEUR,
LES EFFETS DU DOUBLE USAGE
La question qui en découle est alors logiquement de savoir pourquoi a eu lieu après la Révolution française une querelle du nom et pourquoi l’usage massif des siècles d’Ancien Régime ne s’est pas maintenu. Lorsqu’on s’amuse à parcourir, comme je viens de le faire, la littérature consacrée à « Montagne » pendant deux siècles, c’est finalement la raison du renversement d’usage qui laisse perplexe. L’explication que l’on peut en donner illustre la force de la page imprimée, mais aussi le changement de statut de l’auteur, car dans le même temps que, dans une société de gens de grandes maisons et de lettrés, on discourt des Essais de Montagne, les éditeurs de Montaigne, à commencer par L’Angelier, ont continué de respecter sa volonté graphique, même si elle entre rapidement en contradiction flagrante avec l’usage. Ce respect est lui-même le signe de la place que l’on accorde, déjà, à Montaigne au panthéon des belles et bonnes lettres. Le xviie et le xviiie siècles ont 154ainsi été les témoins de ce que l’on peut appeler un double usage, qui a fait co-exister un nom d’auteur institutionnel, patrimonial, et un nom d’usage donné à l’homme et surtout au gentilhomme. Ce double usage se retrouve jusqu’à l’intérieur mêmes des Essais. On observe en effet dans certaines éditions un curieux phénomène : si le nom de l’auteur est graphié Montaigne dans les éléments ressortant à la mise en page usuelle du livre (page de titre, titre courant, certaines préfaces à valeur historique comme celle de Marie de Gournay), ce dernier est désigné comme Montagne dans les notes et les commentaires.
C’est particulièrement net dans les éditions Coste puis dans toutes celles qui s’en sont inspirées ou ont repris son matériel critique. Si la page de titre porte Les Essais de Michel seigneur de Montaigne58, la préface de Pierre Coste s’ouvre par ces mots : « Tous les bons Esprits sont d’accord depuis long-temps sur le merite des Essais de Montagne ». Dans cette édition, la graphie chère à Montaigne est ainsi respectée pour son nom d’auteur, dans la reproduction de la « Preface sur les Essais de Michel seigneur de Montaigne par sa fille d’alliance » et dans le « Sommaire recit, sur la vie de Michel Seigneur de Montaigne, extraict de ses propres Escrits » (dans une orthographe qui n’est plus en usage), mais dès que ce que l’on pourrait appeler la conversation civile reprend ses droits sur la transmission patrimoniale, l’usage bascule. À la page liii commence un ample recueil des « Jugemens et critiques sur les Essais de Montagne », dont le titre courant alterne d’ailleurs (manque de vigilance révélateur de la part du compositeur ?) entre Montagne et Montaigne. Une alternance graphique s’observe également dans les différents témoignages recueillis, qui peut éventuellement traduire le respect de la graphie utilisée dans le texte source (à moins qu’il ne s’agisse d’une hésitation typographique) : Montaigne pour Pasquier ou Guez de Balzac, mais Montagne dans l’écrasante majorité des très nombreux autres textes recueillis (dont Scaliger, La Bruyère, Ménage, Segrais, Sorel, Saint Evremond, etc.). Les rééditions corrigées et augmentées données ensuite par Pierre Coste ne font que confirmer l’usage, puisque la quatrième (Londres, 1739), comporte sur la page du titre la mention « Augmentée de la Vie de Montagne ».
Ce double usage se perpétue dans les éditions données ensuite « Avec les notes de M. Coste », comme celle de Genève et Paris, chez Volland, en 1790, ou celle de Londres, chez Jean Nourse et Vaillant, en 1754 : cette 155dernière conserve la préface sur « le mérite des Essais de Montagne », le « Mémoire sur la vie et les ouvrages de Michel de Montagne », cite le fameux sonnet d’Expilly « À monsieur Montagne », et, fait remarquable, corrige la graphie de l’avis « Au lecteur » : « A dieu donq. De Montagne, ce 12 juin, 158059 ».
Plusieurs éditions témoignent de ce fait de ce qui devait être une difficulté à jongler intellectuellement et typographiquement entre la graphie patrimoniale et la graphie d’usage : l’édition parisienne partagée de 162560 porte bien Montaigne sur la page de titre et utilise cette graphie dans la préface de Marie de Gournay, mais si la « Vie de l’autheur » qui l’agrémente commence par signaler qu’il était « Seigneur de Montaigne en Perigord », on peut lire quelques pages plus loin que « son père luy laissa Montagne en partage » ; la page de titre du premier livre porte « Essais de Michel de Montagne. Livre premier », graphie que l’on retrouve dans le titre courant (à l’exception de quelques épisodiques Montaigne) dans le premier livre, mais on trouve ensuite les « Essais de Michel de Montaigne. Livre second », le titre courant restant (majoritairement) Montagne. L’édition lyonnaise de 1669 reproduit la même erreur (ou trace d’hésitation) : s’il s’agit bien des Essais de Michel, seigneur de Montaigne sur la couverture, on se trouve face aux Essais de Michel de Montagne au seuil du premier livre et le titre courant porte d’abord Montagne puis Montaigne. On trouve même certains volumes de l’édition Coste avec la graphie Montagne sur la page de titre (par exemple le Ve de l’édition de La Haye, chez Gausse et Neaulme, 1727, qui utilise les deux graphies à l’intérieur du même volume).
Cette histoire de nom a donc un intérêt bien plus social que phonétique. Elle témoigne d’un intéressant conflit entre deux pratiques onomastiques, celle qui consiste à privilégier la figure de l’auteur, qui a laissé des volontés claires respectées par son éditeur puis reprises par ses successeurs, et dont le nom vaut pour lui seul, et celle qui consiste à privilégier le nom de la « maison », au sens de la topolignée. C’est aussi par ailleurs la trace d’un état de l’histoire de la langue où c’est l’oral, celui de la conversation, celui des gens « bien appris », qui modèle la norme, et non la pratique écrite. Ainsi, tandis que dans les textes des 156lettrés ou des érudits, comme dans les salons, on parle de Montagne, on lit parallèlement Les Essais de Michel de Montaigne. Ce double usage parfaitement conscient a eu pour conséquence un double usage involontaire, fruit probable d’erreurs de composition ou d’hésitations non corrigées résultant de la coexistence des deux formes graphiques et témoin de la difficulté à concilier les deux61.
BON USAGE OU MANIÈRES DE GASCON ?
Ce n’est donc probablement pas un hasard si c’est à partir du xixe siècle qu’il commence à y avoir débat sur la manière de prononcer le nom de Montaigne (question qui ne se pose pas avant). L’enjeu du nom de terre, si important pour celui qui a biffé son patronyme héréditaire au profit de son récent nom réel (comme bien d’autres hommes de son milieu), ne devait plus être perceptible, sauf exception, à un lectorat élargi et en quelque sorte démocratisé. En outre, la Révolution est passée par là, et de manière tout à fait significative, les Annales de statistique française et étrangère précisent, en 1803, que « Michel Montaigne », qui n’a plus ni titre, ni particule, est natif de « Saint Michel de Montagne62 ». Le lien avec le nom de terre est coupé. C’est tout juste s’il n’est pas question du citoyen Montaigne.
Par ailleurs, les linguistes connaissent bien la force croissante de la chose écrite, qui monte en puissance avec la massification du livre et fait que, de plus en plus, on lit « comme c’est écrit », et non comme on a appris à prononcer dans le cadre d’une éducation lettrée. Or la page de titre s’impose alors avec toute sa force et entraîne à sa suite la disparition très rapide de la graphie Montagne, sans doute jugée désuète ou sonnant très « Ancien Régime ». Ce phénomène provoque des doutes croissants au sujet de la « bonne » prononciation et produit pour finir l’alignement de la lecture sur une graphie mal comprise, erreur que l’on observe par 157ailleurs pour plusieurs noms communs ayant conservé une graphie ign du n palatal et que dénoncèrent longtemps les traités de prononciation, qui notent que plus personne ne sait que l’on doit prononcer po-gnet et non poi-gnet, par exemple.
Au fil du xixe siècle, la question devient ainsi purement orale : le poids de la page de titre et les hésitations graphiques que l’on observe sous l’Ancien Régime ont fait basculer l’usage écrit du côté de Montaigne, comme le confirme cette remarque glanée dans l’un des innombrables articles que la presse du xixe siècle a consacrés au sujet :
Michel Montagne ou Montaigne ? Tout le monde s’accorde à écrire Montaigne. C’est sur la prononciation seule que se produit la divergence. Mon collègue de Chemnitz, M. Fehse, veut bien me demander mon avis. Professeur au lycée Montaigne, je dois avoir des lumières particulières ! Je prononce comme j’écris Montaigne, et je crois que les 9/10 des Français de culture moyenne font de même. De tous mes collègues du lycée, je n’en ai jamais entendu qu’un seul prononcer Montagne63.
La question de la prononciation est donc entendue à la fin du xixe siècle, alors qu’elle était encore en discussion dans le premier tiers du siècle, puisque Joseph Droz écrit en 1826 que beaucoup de gens prononcent « Montagne », qu’il considère curieusement comme la prononciation moderne :
Doit-on dire Montaigne ou Montagne ? Beaucoup de personnes adoptent la seconde manière de prononcer ; elles sont déterminées par l’analogie, on ne dit plus Espaigne, campaigne, etc. Je crois cependant que pour un nom d’homme, il vaut mieux conserver l’ancienne prononciation. Tous les contemporains de notre philosophe l’appelaient Montaigne64.
En 1913, Philippe Martinon signale que la graphie Montaigne doit se prononcer théoriquement Montagne mais que cette prononciation est « surannée65 ».
L’usage graphique Montagne disparait donc presque totalement, à une très notable exception près : l’Inventaire de la collection des ouvrages 158et documents sur Michel de Montagne et lettres inédites de Françoise de Lachassagne66, publiés par Jules Delpit dans le dernier quart du xixe siècle, à partir des documents réunis en particulier par J.F. Payen67. Jules Delpit dédie l’ouvrage à R. Dezeimeris, concluant : « En éditant ce volume et en vous le dédiant, j’empêcherai que mon nom ne soit tout à fait oublié, puisqu’il sera protégé par le souvenir de Montagne et par celui de votre amitié ». La notice de Gabriel Richou présentant l’inventaire Payen utilise cependant la graphie Montaigne, qui cohabite donc à l’intérieur du volume avec le Montagne choisit par Delpit68.
Dans le même temps, la prononciation à adopter devient l’objet d’une incessante et parfois violente querelle. Sa détermination ne se fonde alors que rarement sur la question du nom de terre. Comme pour l’hypothèse que nous faisons au sujet de la graphie Montagne, cela ne nous semble pas tant une question de phonétique qu’un révélateur des évolutions de la société. Deux explications parfaitement contradictoires sont en effet avancées par les défenseurs (il y en a de nombreux) de la prononciation [mõtaɲ]. La première est un héritage manifeste de la culture lettrée et défend [mõtaɲ] au nom du bon usage et de l’érudition, la seconde, à l’inverse, voit dans [mõtɛɲ] une prononciation de « parisiens » (avec tout le mépris qu’un provincial peut mettre dans ce terme) et défend la première au nom de la Gascogne.
Ici encore, les attestations des deux positions sont nombreuses, il n’est pas question de revenir sur tout. Signalons que les traités de prononciation préconisent de dire [mõtaɲ]69, parfois jusqu’aux années 193070. 159Fait surprenant, cette désormais vieille question est encore aujourd’hui régulièrement posée sur des forums de langue française, et l’on peut mentionner le blog « la vie des mots » appelant à « sauver Saint-Aignan » à défaut de pouvoir encore sauver Montaigne71. Mais pour revenir au xixe siècle, l’un des témoignages les plus révélateurs est constitué par ce conseil paradoxal donné par Paul Stapfer :
Un aimable anonyme m’a fait l’honneur de m’écrire pour me demander s’il fallait prononcer Montagne ou Montègne. Je lui conseille de dire Montagne, c’est la vieille et bonne prononciation ; mais je dis Montègne72.
À la fois « vieille » et « bonne », mais en train de sortir d’usage, ainsi en est-il en effet de la prononciation [mõtaɲ] pour les philologues du xixe siècle. Sa défense reste néanmoins virulente : témoin exemplaire, L’École normale, journal de l’enseignement pratique, rédigé par une Société d’instituteurs, de professeurs et d’hommes de lettres, sous la direction de M. Pierre Larousse :
Beaucoup de nos lecteurs vont croire, sans doute, qu’il y a ici une faute de typographie, et que l’on doit prononcer Mon-tai-gne. Il n’en est rien cependant. Prononcer Montaigne, au lieu de Montagne, est un lapsus grossier ; et si l’auteur des Essais revenait parmi nous et qu’il s’entendit nommer ainsi, il aurait de la peine à se reconnaître dans ce barbarisme de prononciation73.
La querelle est parfois, et jusque tardivement, étonnamment virulente :
Il n’y a guère plus d’un demi-siècle que certains universitaires, distraits sans doute, et secondés en cela par les régents de village, ont introduit la ridicule prononciation Montègne. Et je dis bien : ridicule, n’en déplaise à mon vieil ami, pour qui Montègne, avec un è, s’avère aussi normal que châtaigne et musaraigne ! 160Car, si Michel Eyquem nous entendait le traiter de la sorte, il rirait fort à nos dépens, pour écorcher aussi vilainement son titre seigneurial. […] Cette grossière prononciation témoigne, aujourd’hui, de l’ignorance des uns, de l’insouciance des autres, voire même de ce que j’oserais appeler, d’une expression déjà vieillie, la « trahison de clercs » (Julien Benda)74.
Ce « barbarisme », cependant, est également attaqué par ceux qui y voient au contraire un trait « français », sinon exclusivement parisien. Un contributeur bordelais, qui précise qu’il est voisin de la famille de La Chassaigne, lointains héritiers de Françoise, qui prononcent tous Chassagne, proteste ainsi :
Le nom de l’auteur des Essais se prononçait de son temps Montagne. Que l’on trouve aujourd’hui plus élégante et plus française la prononciation Montègne, c’est affaire de fantaisie et d’habitude : je n’y vois pas grand mal ; mais il ne faudrait pas prétendre appuyer cette prononciation sur une argumentation grammaticale sérieuse75.
Alors que les exemples relevés dans toute la littérature et plus largement l’imprimé des xviie et xviiie siècles montrent que la graphie Montagne, qui implique historiquement une prononciation similaire pour nom propre et nom commun, n’était en rien liée à une aire géographique particulière et clairement un usage des milieux lettrés de l’Âge Classique, à la cour comme à la ville, la « juste » prononciation du nom de Seigneur de Montagne est devenue au fil du temps une affaire régionale, régionalisation qui a pu donner lieu à quelques échanges savoureux, comme dans L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, dans lequel le débat ressurgit régulièrement. Un lecteur facétieux (mais néanmoins parfaitement lettré) a envoyé à « F.T., Blaisois », en février 1869, une lettre d’outre-tombe dans laquelle Michel de Montaigne réclame, non qu’on lui rendre son nom, mais qu’on accorde habitudes de prononciations et habitudes graphiques, admettant une variation entre usage parisien et usage gascon :
Oncques ne se meuvent autour d’aulcun nom tant de contre-poinctes et piaffes qu’il ne s’en meut depuis peu autour du mien ; et bien que j’aye demonstré 161(pensoys-je) quelle estoit la vraye et naifve prononciation d’icelui, encore me voy-je contraint revenir à la rescousse ; si feray-je doncques, me fondant asture sur ce que en langage et diction françoyse tous mots sonnent ainsy que ils sont escrits. Qui osast nier que le mien nom se soit prononcé et se prononce aultrement que Montagne en idiome et parler gascon ? Ores est-il ainsy, et la rayson en est-elle non difficile et laborieuse à deduire, le son aigne n’existant pas en nostre ramage, non plus qu’en grec et en latin, et chastaigne y sonnant castagne, comme montaigne montagne. Par quoy ces deux vers de Jehan de Meung, les quels ne riment et assonnent plus en vostre françoys d’au jour d’huy riment encores en nostres Gascongne :
Par plains, par vaus et par montaignes,
Pommes, poires, noiz et chastaignes.
Et Pierre de Brach, le quel estoit franc et naturel Gascon, escrivoit Montagne ; et Pasquier, le quel estoit par contre vray et pur Parysien et courtizan, escrivoit Montaigne. De quoy ne m’estonné-je point ; au contraire76.
La revendication apparaît comme d’autant plus « gasconne » que le nom de la commune est resté jusqu’en 1936 Saint-Michel de Montagne :
Michel Eyquem était seigneur de Montagne et la paroisse de Saint-Michel, dont cette terre faisait partie. C’est aujourd’hui la commune de Saint-Michel-de Montagne qui, depuis quelque temps, est réunie à celle de Bonnefare. Elle est située dans le canton de Vélines, arrondissement de Bergerac, et a toujours appartenu au Périgord. […] Aujourd’hui nous disons bien fontaine, chaine, comme à Paris, parce que c’est le français de Paris que nous apprenons ; mais dans les noms propres nous reprenons l’A pur, comme Fontanes, ou nous conservons la vraie diphtongue aï, que nous écrivons ay pour qu’on ne puisse s’y méprendre […] et de même nous disons Eïkem et non pas Ekem pour le nom de notre auteur77.
Cette revendication régionale n’a pas complètement disparu : n’est-il pas révélateur que Michel Serres, dans un entretien donné le 13 mars 2011 à Canal Académie, radio des Académies et de l’Institut de France, ait pris le temps d’expliquer qu’il se sentait plus familier de la langue de Montaigne que de celle de Rabelais parce qu’il était gascon comme Montaigne, alors que Rabelais parlait (dit-il) la langue de la Loire ? Si 162j’ai pu observer qu’enseigner la phonétique historique d’un français neutralisé à des étudiants du Sud-Ouest n’est pas toujours aisé, je n’ai jamais noté qu’ils entraient avec une particulière aisance dans le texte des Essais. Michel Serres se souvenait en tout cas que sa grand-mère prononçait Montagne78.
Parmi toutes ces explications que l’on peut glaner ici ou là au fil d’une querelle qui a beaucoup occupé le xixe siècle, celle des Annales agricoles et littéraires de la Dordogne est l’une des très rares à finir par poser rationnellement la question de l’abandon du patronyme personnel et de l’usage propre aux noms de terre en postulant que le fond de la question n’est en réalité pas phonétique :
On sait bien que notre philosophe n’était pas Montaigne : c’était Eyquem. Montagne est une terre seigneuriale qui s’appelait alors comme elle s’appelle aujourd’hui. […] Au surplus, fût-il prouvé, ce qui ne peut l’être, que du temps de Michel Eyquem son château s’appelait Montègne, il n’en faudrait pas moins aujourd’hui dire Montagne, puisque telle est la prononciation actuelle. En effet, presque tous les noms propres de lieux ou de personnes ont varié suivant les temps dans leur orthographe et leur prononciation, et cependant jamais, en parlant de ces lieux ou de ces personnes, on ne se sert que de la forme actuellement en usage. Ainsi, nous n’avons que des comtes de Perigord, quoique ce nom ait souvent changé de formes. Je n’entends parler non plus que des maires de Bordeaux, quoiqu’il y ait eu successivement plusieurs maires de cette ville, lorsqu’elle s’appelait Bourdeaux79.
Au terme de ce retour sur une vieille mais virulente histoire, le problème réel n’est donc pas celui de la prononciation d’époque, ni même de celle qu’il conviendrait d’adopter aujourd’hui, selon que l’on est érudit, parisien ou gascon : c’est le statut de Montaigne qui est en réalité en débat. Faut-il y voir d’abord un auteur, et le nommer Montaigne, ou un gentilhomme et le nommer Montagne ?
Le cadre social dans lequel on lit Montaigne, en dehors de la question de la topolignée, a lui-même changé. La trace d’un double usage généralisé sous l’Ancien Régime est aussi l’indice de la coexistence des normes de l’écrit (qui figent les graphies) et de celles de l’oral, toujours 163maître de l’usage effectif dans une société dans laquelle le salon et la conversation restèrent longtemps les ressorts essentiels de la sociabilité nobiliaire et lettrée, alors qu’aujourd’hui, la confiance va d’abord à la chose écrite. Pendant des siècles, et jusqu’à il y a quelques décennies, savoir prononcer certains noms (comme Philippe de Champaigne ou celui de la famille de Broglie) faisait partie de l’éducation élémentaire de certaines familles cultivées et sonnaient comme des signes de culture, or cette transmission a disparu en quelques décennies dans la deuxième moitié du xxe siècle, avec la massification de l’enseignement. L’histoire du nom de Montaigne, ainsi, épouse étroitement celui de l’identité des milieux qui le lisent et l’histoire même de la puissance de l’écrit. Ce qui n’explique pas tout : la virulence de la querelle provient sans doute, dans les milieux érudits du xixe siècle qui connaissaient bien Montaigne, du fait que celui-ci nous a laissé sans le savoir et sans le vouloir une injonction contradictoire : le souvenir de sa seigneurie et de sa maison « juchée sur un tertre », d’un côté, et l’obéissance au choix graphique fait pour son nom, de l’autre. Un contributeur (encore un !) de L’Intermédiaire des chercheurs et des curieux, confondant graphie et phonie, s’élève contre la dictature de l’usage qui préconise Montagne (« il conviendrait de ne pas s’y conformer, quand même ») mais concluait que « par obéissance pour [Montaigne], on doit, à notre avis, prononcer Montaigne80 ». Obéissance, le mot est lâché. Il n’est pas sûr que cette obéissance aurait convenu à l’auteur, ni au gentilhomme.
Violaine Giacomotto-Charra
Centre Montaigne
Université Bordeaux Montaigne
1 Comme le souligne J. Tournemille, « Montaigne, montaignistes, montanistes », Bulletin des Amis de Montaigne [désormais BAM], no 18, janvier-juin 1956, p. 57, après l’article de J. Saint-Martin, « Montagne et Montaigne », BAM, no 25-26, janvier-juin 1963, p. 3-9.
2 Tous ses travaux ou presque pourraient être ici cités ; retenons en un au titre symbolique pour le sujet que nous avons choisi : « Montaigne : une maison, un livre », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 109, 4, 2009, p. 797-808. Il s’ouvre par ces mots : « “Montaigne” est nom de terre : “ma maison est juchee sur un tertre, comme dit son nom”. Terre et maison tiennent en effet leur nom du relief de ce Périgord finissant, d’où l’on descend vers Castillon et la Dordogne, parmi les vois et les vignes ».
3 Il en avait d’ailleurs été déjà question dans le numéro du Bulletin de la Société Internationale des Amis de Montaigne [désormais BSIAM] (vol. 67, no 1, 2018) consacré à la langue de Montaigne, pour lequel Alain Legros avait donné un article sur ce les enseignements que l’on pouvait tirer des pratiques graphiques de Montaigne et dans l’introduction duquel Déborah Knop et moi-même avions déjà utilisé quelques éléments du dossier que je voudrais développer aujourd’hui.
4 Il existe en effet, tout près de chez Montaigne, un Montagne demeuré Montagne : la commune girondine de Montagne, proche de Saint-Émilion, et qui a donné naissance à l’excellent terroir des vins de Montagne-Saint-Émilion.
5 Annotations que l’on peut trouver intégralement reproduites à la suite de l’article d’Alain Legros, dans le BSIAM, vol. 67, no 1, 2018, p. 79-101.
6 En Occitan, donc, le village se nomme Sent Miquèu de Montanha.
7 Dans ce même Bulletin, dans L’intermédiaire des chercheurs et des curieux, auquel le Dr. Armaingaud écrivait avec une grande régularité à ce sujet, dans les préfaces et les ouvrages sur Montaigne (dont celui de l’abbé Neyrac, en 1904, curé de Saint Michel) et dans divers organes de presses comme dans les traités de prononciation française (voir infra). Rappelons rapidement que la phonétique historique enseigne que le i de la graphie Montaigne est un graphème, constitutif du trigramme ign, qui transcrit le n palatal ([ɲ]), graphie alors usuelle qui a pu, lorsque la prévalence de l’oral sur l’écrit s’est inversée, occasionner des modifications ou des confusions de prononciation. L’évolution des graphies données en exemple par Montaigne indique clairement que sa pratique scripturale n’a pas valeur de preuve phonétique, puisque personne n’a aujourd’hui de maison de campaigne en Gascoigne ni ne passe ses vacances en Espaigne, bien que l’on mange des châtaignes et que l’on chasse les araignées. Et les amateurs de Bordeaux boivent du Montagne-Saint-Émilion. Le débat sur la juste prononciation du nom au xvie siècle n’a jamais cessé, la prononciation [ɛ] étant parfois considérée comme dialectale ; dans ce cas cependant, ce serait une prononciation en contradiction avec les inflexions des parlers occitans. L’argument consistant à opposer à la prononciation [aɲ] les rimes que l’on trouve au xvie siècle entre baigne, desdaigne, campaigne, Espaigne ne prouve rien, la rime pouvant se faire pour l’œil, ou, piste qu’il faudrait sans doute explorer, pour la seule palatale, certainement plus marquée qu’aujourd’hui et dont le e n’était peut-être pas un e muet, mais une syllabe sonnant comme ce que laisse deviner une graphie montanye.
8 Remarque qui me donne l’occasion de remercier Jean Balsamo, qui a pointé lors d’un échange à ce propos (cette question du nom étant pour moi un vieux sujet de réflexion), le problème que posent en effet la voix et ses usages, au-delà des questions strictement phonétiques.
9 Par ailleurs, curieusement, le témoignage des grammairiens du xvie siècle n’est jamais évoqué dans ce débat. Or Louis Meigret écrit au sujet du n et du l palataux (qu’il nomme n et l « molles ») (nous transcrivons) : « Pource qu’outre leur commune prolation, nous en faisons une molle, que nos anciens ont d’une lourde invention figurée, chacune de trois lettres : qui ont ill, pour la l molle, et ign, pour n molle, sans avoir avisé à la confusion qui s’ensuivait, comme je l’ai montré au traité de l’abus de l’écriture française. Et pourtant j’ai avisé de retrancher cette trop grande dépense de lettres […] et d’emprunter des Espagnols leur ñ molle », Le Tretté de la grammere françoeze, Paris, Chrestien Wechel, 1550, f. 13vo. Dans son autre texte sur le sujet, Meigret pointe en effet que « nous abusons lordement avecq’ung i devant n molle, d’autant qu’elle n’y sonne aucunement », Traité touchãt le commun usage de l’escriture françoise, Paris, Jean Longis et Vincent Sertenas, 1545, n. p. Grâce à l’écriture phonétique qu’il pratiquait, nous pouvons avoir une juste idée de la prononciation que ce lyonnais considérait comme correcte, or il écrit Hespañol, temoñage, roñer…, pour les mots possédant un a ou un o étymologiques suivis d’une palatale, et creñans ou pleñet (plaignent) lorsqu’il s’agit d’un son [ɛ], issu d’une étymologie différente. Jacques Peletier, qui n’est pas de Lyon mais du Mans (comme le dit son surnom) et s’est appliqué à ce que sa prononciation ne « sente son terroir », propose lui aussi une orthographe de nature phonétique, et écrit espagnol, gagne, compagnie, mais note une nasalisation dans les mots en o (Gascongne, elongne) et ne consigne le son [ɛ], comme Meigret, que dans des mots comme dedeigner.
10 Les récentes querelles sur les rectifications orthographiques ont rappelé à tout un chacun qu’oignon est un vestige de la graphie archaïsante du n palatal.
11 Projet MONLOE, Montaigne à l’œuvre, https://montaigne.univ-tours.fr/arrets-parlement-bordeaux/.
12 Ce point est important : les grammairiens, au premier rang desquels Peletier et Meigret, soulignent que la langue est d’abord orale. La transcription n’est que la fixation imparfaite d’une langue qui vit dans la parole, voir par exemple ce que dit Peletier (faute du matériel graphique adéquat, nous remplaçons le signe suscrit sur certains e ogonek par une apostrophe droite placée immédiatement avant) : l’écriture « ‘ę̗t unɇ disposicion de lętrɇs, represantant les moz sinificatiɀ dɇ quelquɇ langagɇ quɇ cɇ so’ęt. Laquelɇ tient la placɇ de la parolɇ : dɇ sortɇ que si la voęs pouvo’ęt ‘ętrę par tout et pęrpętuelęmant antandue : nous n’aurions quɇ fęre de mętrɇ rien par ecrit. Voęlà l’usagɇ, auquel ‘ęt destineɇ l’Ecriture, qui ‘ęt dɇpuis le parler, commɇ chacun sèt. Voęlà l’une des prɇmiɇres causɇs pourquoę ęlɇ do’ęt obeïr a la parolɇ, tout einsi quɇ la parolɇ à l’esprit », Dialoguɇde l’ortografɇ e Prononciacion Françoęsɇ, Poitiers, Jean et Enguilbert de Marnef, 1555, p. 77). D’où les propositions de simplifier alors des pratiques graphiques qui, comme le disait Meigret, pouvaient défigurer la langue et occasionner de « fausses lectures » : « L’escriture secondement peut estre mauvaise, quant elle est composée de plus de letres que ne requiert la prononciation : par ce que telle escriture donne occasion de faire faulse lecture, et de prononcer voix, qui n’est point au vocable » (Traité touchãt le commun usage de l’escriture françoise, éd. citée, f. A5vo), ce qui est arrivé à Montaigne comme à quelques noms communs. Point que l’on peut ici souligner, Meigret accuse la coutume d’être responsable des réticences des scripteurs et des lecteurs à voir les pratiques graphiques simplifiées : « Je ne voy point de moyen suffisant ny raisonnable excuse, pour conserver la façon que nous avons d’escrire en la langue Françoyse. A la verité aussi est elle trop estrange, et diverse de la prononciacion, tant par une curieuse superfluité de letres, que par une vicieuse confusion de puissance entre elles. Or sont ce vices, que je ne sçay quelle supersticion, ou bien nonchallance de noz ancestres, et de nous, a miz en avant avec une grande observance : je dy observance, qui a esté et est en si bonne recommandation, et reverence tant bien gardée, que le devoir, et loix de bien escrire, et former l’Image au vray de la prononciacion, n’ont pas seulement esté delaissées, mais d’avantage reprouvées comme vicieuses, et inutiles. Et combien que la difficulté que nous sentons en la letre nous en donnes assez bonne evidence : pas ung de nous toutesfois n’a osé mettre en avant quelque moyen pour y remedier : tant pour la longue et commune façon de faire, que pour la crainte de sembler controuver nouvelles invencions, et de forger nouveaux troubles à ung peuple en ses coustumes tant usitées, et de si longue main receues : et qui au demourant nous sont si recommandées en toutes noz œuvres, que bien souvent sans autre cognoissance de cause, et sans en vouloir recevoir, nous les tenons par trop opiniatrement pour loix, et ordonnances justes, et necessaires » (ibid., Proësme de l’autheur, f. A2ro). Montaigne opte donc pour l’orthographe coutumière, en tout cas pour l’imprimé, car la leçon de ses autographes est différente (voir à ce sujet le travail d’Alain Legros, et en particulier « Langues et façons d’écrire dans les manuscrits de Montaigne », BSIAM, vol. 67, no 1, 2018).
13 Que l’on peut voir ici : https://montaignestudies.uchicago.edu/h/lib/montaigne/essais/1595L.shtml
14 Dont le nom rime avec vache et non avec Jean-Sébastien Bach.
15 Nous aurions voulu pouvoir consulter une version numérique des deux lettres dans lesquelles Pierre de Brach annonce la mort de Montaigne mais n’avons pas pu nous en procurer une reproduction et n’avons pas de garanties sur les transcriptions disponibles. En effet, l’édition des Œuvres poetiques de Pierre de Brach, sieur de la Motte Montussan par Reinhold Dezeimeris donne en appendice la transcription de la célèbre lettre à Juste Lipse. Elle commence par « Monsieur de Montaigne est mort », mais se poursuit en disant « Or je sçay, Monsieur, que vous avez eu en beaucoup d’amitiés et en beaucoup d’estime feu Monsieur de Montagne », tome deuxième, Paris, A. Aubry, 1862, p. ciii. Dezeimeris conserve la graphie Montagne dans les deux dédicaces de Pierre de Brach.
16 Les Poemes de Pierre de Brach bourdelois, Bordeaux, Simon Millanges, 1576, f. 90vo.
17 Ibid., f. 137vo.
18 Response apologeticque de Philippe de Marnix Sr. du Mont Sainct’Aldegonde, A un libelle fameux : qui a esté publié en son absence […], Leiden, Jehan Paedts, 1598, f. H6vo.
19 Ibid., f. A7ro.
20 Précisons que nous n’avons ici ni fait l’inventaire de tous les auteurs, ni celui de toutes les éditions disponibles de chacun. Une petite collection des « Montagne » commencée il y a quelques années un peu par jeu, un peu par curiosité de linguiste, a donné naissance à un inventaire devenu tentaculaire. Nous en donnerons ici un aperçu significatif, sans nécessairement chercher à recenser toutes les occurrences existantes, dont les numérisations croissantes permettent d’augmenter presque chaque jour.
21 Il faudrait évidemment conduire une étude sur les manuscrits survivants, pour voir si s’observent les mêmes écarts entre pratique manuscrite et pratique imprimée qu’au xvie siècle, ce qui n’a pas été possible dans le cadre de cette petite contribution.
22 Chronique bourdeloise composée cy devant en latin par Gabriel de Lurbe […] et par luy de nouveau augmentée et traduite en François […] depuis continuée et augmentée par Jean Darnal, à Bourdeaus, Simon Millanges, 1619, f. 56ro. Même graphie dans les éditions ultérieures : Jean Darnal, Supplement des chroniques de la Noble Ville et Cité de Bourdeaus, Bordeaux Jacques Millanges, 1620, f. 56ro (et rééditions suivantes).
23 Second livre des Serées, Lyon, Thibaud Ancelin, 1608, f. 197vo. On trouve ensuite « Monsieur de Montagne » dans une édition de 1614 du premier livre (Lyon, Pierre Rigaud, p. 84).
24 Histoire universelle de Jacques-Auguste de Thou depuis 1543 jusqu’en 1607, tome quinzieme, Londres, 1734, p. 394 (même graphie dans d’autres éditions vérifiées par sondages : 1711, 1713, 1714…).
25 Qui signale que « Michel de Montagne […] préfère de bien loin les Epigrammes de Catulle à celles de Martial », dans les Epigrammes du Sieur Colletet, avec un discours de l’épigramme […], Paris, Jean-Baptiste Loyon, 1613, f. avo.
26 « Montagne a veu qu’on s’offence d’un esprit boiteux… », Pensées de Monsieur Pascal sur la religion et sur quelques autres sujets […], Lyon, Adam Demen, 1674, p. 328. Notons en revanche que l’édition des Pensées de Pascal, avec les notes et commentaires de M. de Voltaire (Genève, 1778) utilise la graphie Montaigne.
27 « À l’égard de la Morale, comme elle n’en feroit pas un si bon usage que vous, je ne voudrois point du tout qu’elle mît son petit nez dans Montagne, ni dans Charron, ni dans les autres de cette sorte », Sevigniana, ou recueil de pensées ingénieuses, d’anecdotes littéraires, historiques et morales, tirées des Lettres de Madame La Marquise de Sevigné, Grignan, 1768, p. 225.
28 Il évoque « le premier Chapitre des Essais de Montagne » dans son Apologie pour les grands hommes soupçonnez de magie, Amsterdam, Pierre Humbert, 1712.
29 Chapitre v, « Du Livre de Montagne », De la recherche de la vérité, tome I, huitième édition, Paris, Durand, 1749, p. 519.
30 « Qu’on me donne, dit monsieur de Montagne au chapitre 36 du premier livre, l’action la plus excellente et pure, je m’en vais y fournir vraisemblablement cinquante vicieuses intentions », Theatre de Pierre Corneille avec des commentaires, tome dixième, 1776, La Suivante, Epitre, p. 4.
31 « Je ne rapporte point ce que Monsieur de Montagne, Rabelais tout Medecin qu’il étoit, Moliere, et quantité d’autres, ont dit sur ce sujet [il est ici question de médecine] », Robert Challe, Journal d’un voyage fait aux Indes Orientales […], tome I, Rouen, Jean Batiste Machuel le Jeune, 1721, p. 164. Challe le cite également dans Les illustres Françoises (« Enfin il le quitta en bon état, après lui avoir cité ce que Monsieur de Montagne dit dans ses Essais sur un sujet pareil », Les illustres Françoises, nouvelle édition, revûe, corrigée et augmentée par l’Auteur, tome troisieme, Paris, La Compagnie des Libraires, 1725, p. 37.
32 « Si Michel de Montagne en doit estre crû, ce Livre est le plus parfait de tous les livres de l’Eneïde. Voyci de quelle sorte il en parle dans on chapitre des Livres qui est le dixième du 2. livre de ses Essais […]. Il est pourtant assez dangereux de porter un justement si decisif des choses. C’est pourquoy nous en laisserons la liberté toute entiere à Mons. de Montagne », « Remarques sur le cinquiesme livre de l’Eneide », Michel de Marolles, L’Eneide de Virgile, en latin et en françois, premiere partie, Paris, Guillaume de Luyne, 1667, p. 527. Marolles parle aussi de « Michel de Montagne » à plusieurs reprises dans ses mémoires.
33 Essais dans le goût de ceux de Michel Montagne, composés en 1736, par l’Auteur des Considérations sur le Gouvernement de France, Amsterdam, 1785, p. 1-3.
34 « … Charron, lequel en sa Sagesse n’a esté que comme le Secretaire de Monsieur du Vair, et de Monsieur de Montagne », Apologie pour Monsieur de Balzac Toul, Simon Bel-Grand, 1627, p. 25.
35 Qui mentionne « les Essais de Monsieur de Montagne, l’Histoire de Monsieur le President de Thou, la Sagesse de Charon, la Republique de Bodin » et d’autres encore dans les Lettres choisies de feu Mr. Guy Patin, tome troisieme, Paris, Jean Petit, 1647, p. 86.
36 Paris, chez différents libraires, 1761, p. 5.
37 Comme un Montaigne devenu le patron tutélaire des « médecins de soi-même » : « Ce que Michel de Montagne dit de ses Ancestres, n’est pas de moindre force, pour faire voir qu’on peut, quand on le veut, trouver dans son propre fonds, les moyens d’estre à soi-mesme son Medecin », Jean Devaux, Le Medecin de soi-meme. Ou l’art de conserver la santé par l’instinct, De Graef, Leide, 1682, p. 23.
38 Pierre-Antoine de La Place, Recueil d’épitaphes sérieuses, badines, satiriques et burlesques […], ouvrage moins triste qu’on ne le pense, tome II, Bruxelles, 1782, p. 336.
39 Dictionnaire universel françois & latin […], Trevoux, Estienne Ganeau, 1704, entrée « Bureau d’adresse ».
40 Jean-Pierre Nicéron, Mémoires pour servir à l’histoire des hommes illustres dans la Republique des Lettres, tome XV, Paris, Briasson, 1731, p. 214-215.
41 Vigneul-Marville, Melanges d’histoire et de littérature, Paris, Augustin Besoigne, 1700, p. 27.
42 Volume 54, Nivôse an 10, p. 399.
43 Paris, Bureau du Journal de Paris, 1799, p. 1163.
44 Londres, se trouve à Paris chez Moutard, 1775.
45 Ouvrage de Nicolas Bricaire de la Dixmerie, Amsterdam, se trouve à Paris chez Valleyre l’aîné.
46 Dans Les plagiats de M. J. J. R. de Genève sur l’éducation, de Joseph Cajot, La Haye, se trouve à Paris chez Durant, 1776, p. 119.
47 Autre nom, autre histoire… Ce texte est publié à Londres, chez Guillaume Darres, nous avons consulté la seconde édition, de 1741.
48 Jean-Baptiste d’Agneaux Devienne, Histoire de la ville de Bordeaux, volume 1, Bordeaux, La Court, les Frères Labottière, Chappuis et Guillaume Labottière, et Paris, veuve Desaint, Saillant et Nyon et veuve Savoir, 1771.
49 Ibid., p. 119.
50 Gilles Ménage, Observations sur la langue françoise, [1672], seconde édition, Paris, Claude Barbin, 1675, p. 310.
51 Catalogus bibliothecæ Thuanæ a clariss. VV. Petro et Jacobo Puteanis, Paris, Quesnel, Joseph, 1679, p. 406.
52 Paris, Abel L’angelier, 1584, p. 328, et encore dans l’édition parisienne chez Saillant et Nyon, 1772, p. 129.
53 La Bibliotheque françoise de M. C. Sorel premier historiographe de France, Paris, la Compagnie des Libraires, seconde édition, 1657, p. 80.
54 The Works of Mr. Abraham Cowley, dixième édition, second volume, Londres, Jacob Tonson, 1707, p. 693.
55 Remarks on the Life and writings of Dr. Jonathan Swift […] in a Series of Letters from John Earl of Orrery o his to his Son, the Honourable Hamilton Boyle, ici quinzième édition, Londres, Millard, 1752, p. 39.
56 Le s intérieur antécosonnantique est tombé depuis le xie-xiie siècle, on n’a donc jamais entendu le s dans Estienne au xvie siècle.
57 Pour une synthèse claire sur la question de l’usage nobiliaire des anthroponymes, voir Elie Haddad, « Noms de famille et noms de terre dans la noblesse française à l’époque moderne », Annales de démographie historique, 2016, 131-1, p. 13-36.
58 Londres, [1724], ici seconde édition de 1725.
59 Essais de Montaigne, avec les notes de M. Coste, Londres, Jean Nourse et Vaillant, 1754, f. d7vo.
60 Exemplaires examinés : Robert Bertault et veuve Dallin.
61 Dans L’Eloge de Michel de Montagne qui a remporté le Prix d’Eloquence…, la première note précise d’ailleurs « Michel de Montagne ou Montaigne, naquit… », op. cit., p. 99. C’est la seule occurrence du volume où le nom est graphié avec un i.
62 Par Louis Ballois, Paris, Valade, an xi, p. 443.
63 E. Lombard, dans Le Correspondant international, année 1898, p. 156.
64 Joseph Droz, Œuvres, tome premier, « Éloge de Montaigne », Paris, Jules Renouard, 1826, p. 273.
65 Philippe Martinon, Comment on prononce le Français. Traité complet de prononciation pratique avec les noms propres et les mots étrangers, Paris, Larousse, 1913, p. 87, voir aussi p. 283.
66 Car bien sûr, la graphie Lachassaigne pose exactement le même problème ; l’Aquitaine et le Limousin comptent aujourd’hui de nombreux Chassagne.
67 Tablettes des Bibliophiles de Guyenne, tome II, Bordeaux, Imprimerie générale d’Émile Grugy, 1877.
68 Autres traces de l’usage ancien, on peut encore la trouver dans une édition de Rabelais de 1823 : Œuvres de Rabelais édition variorum, augmentée de pieces inedites […], tome IV, Paris, Dalibon, 1823, p. 476.
69 Comme ce manuel de 1871 qui note que la combinaison « ai » « a le son a dans Michel de Montaigne », M.-A. Lesaint, professeur de langue et de littérature françaises, Traité complet de la prononciation française dans la seconde moitié du xixe siècle, Hambourg, Wilhelm Mauke, 1871, p. 16, voir ci-dessus Martinon et note infra ; on trouve de nombreux autres témoignages qu’il serait fastidieux de relever.
70 « Les noms propres Montaigne et Philippe de Champaigne se prononcent Montagne, Champagne. Cependant quelques professeurs veulent qu’on prononce encore Montègne, Champègne », Alfred Cauvert, La prononciation française et la diction, à l’usage des écoles, des gens du monde et des étrangers, Paris, Albin Michel, 1931, p. 36.
71 « Ce n’est pas pour le plaisir de cultiver les exceptions que “oignon” se prononce ognon. Les érudits nous expliquent que, jadis, ce i n’avait pas pour fonction de produire le son oi. Il invitait à adoucir le gn, c’est-à-dire à le prononcer comme dans “gnon” et non comme dans “gnou”. La connaissance de cette règle s’étant perdue, Montaigne se prononce désormais montègne et non plus montagne. Certaines éditions des textes de Pascal restent fidèles à la prononciation d’origine en modernisant la forme : on y lit “Montagne”. “Oignon” est donc un rescapé. Pour Montaigne et quelques autres, l’aberration risque d’être difficile à corriger. Sauvons au moins Saint-Aignan » (http://viedesmots.canalblog.com/archives/prononciation/index.html).
72 Paul Stapfer, La Famille et les amis de Montaigne : causeries autour du sujet, Paris, Hachette, 1896, p. 129.
73 Premier volume, 1858-1859, Paris, Larousse et Boyer, col. 208.
74 L’intermédiaire des chercheurs et des curieux, juin 1959, vol. 9, no 94-105, col. 527. Une consultation restreinte par la force des choses aux outils numériques ne nous a pas permis malheureusement de voir la toute fin du texte et d’y lire le nom de l’auteur de cette virulente diatribe.
75 S.R.D., L’intermédiaire des chercheurs et des curieux, no 105, 10 mai 1869, col. 265.
76 L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 103, 10 avril 1869, col. 198. La question est également débattue dans le numéro 59 du 25 mai 1866 : « J’entends chaque jour des hommes très compétents, en fait d’érudition, prononcer le nom de notre grand écrivain périgourdin absolument comme on l’écrit, c’est-à-dire Montaigne […] [mais] l’i a jouté à Montagne ne doit pas empêcher de prononcer Montagne », col. 291.
77 Annales agricoles et littéraires de la Dordogne. Journal de la ferme modèle et des comices agricoles du Département, 1841, t. II, p. 311-312.
78 https://www.canalacademie.com/ida6416-D-un-philosophe-a-l-autre-Montaigne-par-Michel-Serres-la-musique-des-mots-pour-deux-Gascons.html/. Les parlers locaux encore nettement marqués par l’occitan continuent aussi de prononcer pogne, empogner et pas poigne, empoigner.
79 Annales agricoles et littéraires de la Dordogne…, p. 314.
80 J.B.G., L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, no 91-94, oct-nov. 1867, col. 334.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11356-0
- EAN : 9782406113560
- ISSN : 2261-897X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11356-0.p.0141
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 25/01/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : histoire de la langue, sociologie, prononciation, graphie, Montaigne