Between “fantasy” and regulation The exercise of judgment and truth in the Essais
- Publication type: Journal article
- Journal: Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
2020 – 1, n° 71. varia - Author: Lajarte (Philippe de)
- Pages: 39 to 69
- Journal: Bulletin for the International Society of Friends of Montaigne
Entre « fantasie » et « reglement »
Exercice du jugement et vérité dans les Essais
La philosophie ne doit pas elle-même se tenir pour acquise dans ce qu’elle a pu dire de vrai, elle est une expérience renouvelée de son propre commencement, elle consiste tout entière à décrire ce commencement.
Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Avant-propos.
S’il est un trait commun aux études des cinquante dernières années consacrées aux Essais, c’est sans nul doute d’avoir conféré plus d’acuité à la question du rapport du discours montaignien à la vérité, et, surtout, d’avoir déplacé, plus exactement recentré cette question, essentiellement axée jusque-là sur la profession de foi pyrrhonienne de l’Apologie et examinée sous l’angle de l’évolution des idées de Montaigne et de l’influence exercée sur celles-ci par les grandes philosophies de l’Antiquité, en la rattachant plus étroitement qu’il n’avait été fait jusque-là à la structure et à l’économie interne de l’essai. Non toutefois que la perspective nouvelle commune à ces études abolisse leurs divergences et oblitère l’évolution significative que, si on les examine, l’on y perçoit. Si elles ne minimisent pas le rôle qu’y joue le doute et la volonté de leur auteur d’être fidèle à sa vérité intérieure, les lectures que, dans la longue série de travaux qu’il leur a consacrée, André Tournon a faites des Essais, n’en tiennent pas moins leur discours pour habité par la recherche de la vérité ; également éloignée de la position sceptique et de la position dogmatique, la « zététique » pyrrhonienne qu’André Tournon y voit à l’œuvre postule en effet que, s’il n’est pas certain que la vérité puisse être atteinte, il n’est pas non plus exclu qu’elle puisse l’être :
40Eux [les pyrrhoniens], ils n’affirment rien ; ils cherchent. Ils évitent ainsi l’outrecuidance des uns et le désespoir des autres. Leur attitude n’est pas assimilable à la crise négative que saint Augustin avait cru reconnaître dans tout scepticisme : inquiétude de l’esprit frustré d’une vérité définitive dont il ressentirait douloureusement le besoin. Elle est une « zététique », une perpétuelle recherche, salubre exercice de la raison humaine délivrée de ses mirages et des égarements qu’ils provoquaient, orgueil de savoir ou dépit d’ignorer1.
Dans cette perspective, le discours de l’essai est vu comme un discours visant la vérité, même s’il n’est pas assuré de l’atteindre ; loin d’être refermé sur lui-même et d’avoir sa fin en lui-même, c’est un discours tendu vers un objet situé au-delà de lui :
En l’adoptant [le pyrrhonisme], ou plutôt en le décelant dans ses paradoxes, le philosophe ne renonce pas aux investigations. Car le pyrrhonisme est aussi une « zététique », une philosophie de la recherche ; c’est à l’épreuve de celle-ci qu’il peut renouveler sans cesse ses aveux d’ignorance : « ils disent qu’ils sont encore à la recherche de la vérité2 ».
La lecture que, dans les deux premières études qu’il leur a consacrées3, Jean-Yves Pouilloux propose des Essais, donne elle aussi à voir le discours montaignien comme habité par la recherche de la vérité, même si, au terme d’une évolution dont, selon l’analyste, l’Apologie marque le tournant, le champ épistémologique au sein duquel s’effectue cette recherche s’est fondamentalement modifié :
Une nouvelle investigation entraîne une nouvelle forme de parole. La distribution appelait une juxtaposition cumulative des énoncés, au terme de laquelle apparaissait une somme. […] La distinction juxtapose, elle aussi, des énoncés, mais sans autre terme qu’elle-même ; elle ne cherche pas à produire une somme, mais des différences, sans commencement ni fin, sans gradation ni hiérarchie. Le commentaire premier allait à un contenu du savoir, opinion vraie excluant l’opinion fausse ; le commentaire dernier va à une forme de parole, justesse et rigueur en toute opinion ou coutume4.
41Par des voies différentes aboutissant à des conclusions assez différentes, les lectures plus récentes que Frédéric Brahami5 et Olivier Guerrier6 proposent des Essais donnent cependant toutes deux, du rapport du discours montaignien à la vérité, une vision sensiblement différente de celle qui se dégageait des travaux précédents. L’étude de Frédéric Brahami s’emploie à mettre en lumière la rupture que marque, par rapport à la doctrine pyrrhonienne de l’épokè, le statut et la fonction nouveaux assignés au doute dans les Essais et la disqualification radicale de la faculté de jugement qui en résulte :
Il n’y a pas de mise en balance, pas de pondération, pas de supériorité de la raison sur des opinions qui pourraient, à la manière de choses, être placées sous son regard panoramique. L’esprit passe d’une idée à l’autre, et par là même l’évidence de la première s’estompe et la seconde se renforce. Au fantasme de l’épokè, Montaigne substitue l’expérience des variations indéfinies de l’adhésion. […] Montaigne ouvre la voie au scepticisme moderne qui pensera la raison elle-même comme sentiment, affect, et la vérité comme simple adhésion à des impressions dotées d’une force particulière sans dimension fondatrice. […] L’esprit ne peut plus être une balance ni le jugement une pierre de touche, parce qu’il est lui-même mouvement, élan non dirigé vers un but extérieur à lui-même7.
À la différence des précédentes, la lecture que Frédéric Brahami fait des Essais donne à voir leur discours comme émanant d’une pensée murée dans une subjectivité absolue qui, laissant s’écouler son flux, se borne à enregistrer ses états – en l’occurrence, ses aspirations à la connaissance – à mesure que ceux-ci se succèdent, poursuivant un mirage – celui de la vérité – en toute conscience de son inconsistance : « Le désir de savoir vaut comme désir, et non plus par le savoir qu’il serait censé produire8 ».
Par certains côtés, la lecture qu’Olivier Guerrier propose des Essais se rapproche de celle de Frédéric Brahami. Comme cette dernière, elle 42prend pour arguments de base deux faits étroitement liés qui n’avaient pas échappé aux précédents analystes des Essais mais auxquels elle confère plus de radicalité et d’amplitude. Le fait, d’une part, attesté par les déclarations mêmes de Montaigne, que les jugements formulés dans les Essais ne sont rien de plus que l’expression d’une opinion personnelle :
L’affirmation de la relativité des jugements n’empêche donc absolument pas celle de l’« opinion » du moment, dans toute sa dimension occasionnelle. La vigueur qu’adopte cette dernière est le seul gage de son authenticité. Y voir autre chose, c’est dérégler la logique sur laquelle repose le livre, en réintroduisant peu ou prou un régime autoritaire ou illusoire de croyance là où il n’est question que de convictions provisoires9.
Le fait, d’autre part, attesté lui aussi par plusieurs déclarations de Montaigne, que le travail auquel celui-ci se voue consiste, non, comme le travail classique du philosophe ou du penseur, à produire un discours construit selon les règles et suivant une démarche continue et linéaire, mais à enregistrer les états fugaces et changeants de sa pensée. Ce qui s’inaugure dans les Essais, c’est, selon l’analyste, « une nouvelle activité » qui
ne consistera pas à donner une forme à la matière, mais à contempler l’informe. L’écriture ne vaut pas pour ses ressources habituelles, de discipline et de cohérence ; seul est retenu l’écart qu’elle permet, écart par rapport à un univers mouvant qu’elle enregistre dans le désordre de son apparition10.
À quelques nuances près, ces affirmations s’inscrivent dans le droit fil des analyses de Jean-Yves Pouilloux11 et d’André Tournon. Si la lecture 43qu’Olivier Guerrier propose des Essais est nouvelle, c’est pour autant qu’elle se propose de prendre toute la mesure de la place que le hasard occupe dans l’écriture de l’essai, du bouleversement qu’il introduit dans l’économie classique du discours et de la modification qu’il engendre au sein du processus de communication de la parole. Cette lecture a pour dessein
de prendre vraiment au sérieux l’association du hasard et de l’écriture, de retrouver dans les cheminements la trace de cette irruption, mais également celle de la manière déployée pour la gérer et lui conférer une positivité12.
Les derniers mots de cette phrase sont importants et témoignent de l’écart qui sépare la lecture qu’Olivier Guerrier propose des Essais de celle qu’en donne Frédéric Brahami. Tandis que le processus d’enregistrement des pensées dans l’essai tel que la décrit F. Brahami est un processus clos sur lui-même et n’ayant d’autre fin que lui-même, il s’inscrit, selon O. Guerrier, dans un dessein qui le dépasse et l’ordonne à la constitution d’un sens à venir aléatoire mais attendu :
L’innovation majeure de Montaigne consiste à faire de l’écriture le lieu et l’instrument d’un projet déterminé par une conception de la vérité qui a peu à voir là encore avec celle qui régit d’ordinaire le savoir. Ce qui est en cause ici, c’est la capacité de l’œuvre […] à mettre les ressources de la parole écrite au service d’une visée qui a pris acte de l’inconsistance fondamentale du message, et qui du coup s’oriente vers un partenaire qui seul pourra apporter à celui-ci la consistance qui lui manque13.
Mon propos n’est pas ici de me constituer en critique ni en commentateur des lectures dont je viens de dégager schématiquement l’esprit et les visées. C’est, en les prenant pour base, de revenir sur certains problèmes de fond auxquels elles se sont attachées, moins pour y apporter de nouvelles réponses que pour en préciser certaines données.
Que la singularité de l’essai montaignien trouve son origine dans l’aimantation des Essais à deux pôles opposés – l’intériorité du moi d’une part, l’objectivité du réel de l’autre, le souci de soi d’une part, la curiosité pour le monde de l’autre – c’est le fait premier dont, je pense, il faut partir. Y sont directement liés en effet à la fois l’économie interne 44de l’essai et le rapport que ce dernier entretient avec la question de la vérité. Tandis, en effet, qu’un discours ouvert sur la subjectivité du locuteur ou du scripteur sera naturellement porté à mettre au premier plan, dans le procès de la connaissance, les variations d’état auxquels celui-ci est sujet et la subordination de sa saisie du réel aux aléas de la temporalité, un discours principalement ou exclusivement aimanté au pôle de l’objet (comme l’est le discours classique du savoir) tendra inversement, sinon à exclure toute prise en compte des états du sujet et de leurs fluctuations, du moins à reléguer ceux-ci à l’arrière-plan et à donner la prévalence, dans le procès de la connaissance, à la structure sur la temporalité, à la nécessité sur la contingence. De la double aimantation de l’essai montaignien au pôle du sujet et au pôle de l’objet, il est trois principaux témoignages. Celui, d’abord, que fournissent les propos mêmes de Montaigne. Tandis que son adresse Au lecteur – « C’est moy que je peins » – et des propos comme celui-ci :
Il y a plusieurs années que je n’ay que moy pour visée à mes pensées, que je ne contrerolle et estudie que moy. […] Ce ne sont mes gestes que j’escris, c’est moy, c’est mon essence14.
donnent la peinture du moi comme l’unique objet des Essais, excluant implicitement toute curiosité et toute quête de savoir relatives au monde extérieur, en revanche d’autres propos comme celui-ci :
Le jugement est un util à tous subjects, et se mesle par tout. A cette cause, aux essais que j’en fay ici, j’y emploie toute sorte d’occasion15.
en plaçant au centre de l’essai, non plus le moi objet de description, mais le moi sujet, le moi actif du jugement, inscrivent le désir de connaissance au cœur du dessein des Essais. De la double polarité de ces derniers, le second témoignage est fourni par les Essais eux-mêmes et la présence en leur sein de deux types de discours à polarisation unique (ou quasi unique) : l’un aimanté quasi exclusivement au pôle de l’objet, comme le discours du chapitre Par divers moyens on arrive à pareille fin (I, 1) ou celui du chapitre L’heure des parlemens dangereuse (I, 6), l’autre aimanté uniquement au pôle du moi, comme le discours des passages ou des 45chapitres des Essais qui constituent les fragments d’un autoportrait et relèvent d’une pratique plus « picturale » que proprement gnoséologique. Le troisième témoignage est celui que fournit une critique qui oscille entre deux lectures des Essais, l’une donnant la prévalence au pôle « objectif » du livre et aux idées que l’on y décèle, comme celle que, dans son livre De la Sagesse, Pierre Charron est le premier (mais non le dernier16) à produire, l’autre focalisée sur son pôle subjectif, ne retenant des Essais, comme le font Pascal (« Le sot projet qu’il eut de se peindre ! ») ou Rousseau (au yeux de qui Montaigne s’est peint seulement « de profil »), que la peinture du moi – la critique plus récente, jusqu’au Lire les « essais » de Jean-Yves Pouilloux (1969), réactivant cette oscillation sous la forme d’une opposition entre les essais « impersonnels » du premier Livre (essentiellement aimantés au pôle de l’objet) et les essais « personnels » du troisième (plus fortement aimantés au pôle du moi). Bien que, cependant, le projet de peinture du moi et le souci gnoséologique puissent donner naissance dans les Essais à deux types de discours différents, c’est en règle générale leur interférence et leur interaction qui commandent l’économie de l’essai. Toute la question est de savoir quel(s) aspects(s) revêtent cette interférence et cette interaction.
La réponse à cette question, c’est évidemment dans le texte des Essais qu’il convient de la chercher. S’il n’est pas facile d’y répondre, c’est que sont à considérer, dans ce texte, deux niveaux de discours : celui du discours même de l’essai et celui du métadiscours que, fréquemment, Montaigne tient sur ce discours premier.
De ces deux niveaux de discours, le plus facilement déchiffrable, parce que le plus explicite (quoique, on va le voir, il soit ambivalent), est celui du métadiscours. S’y retrouve, lorsqu’on l’examine, la double aimantation précédemment observée du discours au pôle du moi et au pôle de l’objet. À l’aimantation au pôle du moi se rattache un ensemble de propos qui, qualifiant de « fantasies », de « resveries » ou d’« humeurs » les idées et les jugements énoncés dans les Essais, les assujettissent aux vicissitudes de l’existence et aux fluctuations de la vie de l’esprit de leur auteur, mettant l’accent sur le rôle joué par le hasard dans leur émergence :
Je n’ay point d’autre sergent de bande à ranger mes pieces que la fortune. A mesme que mes resveries se presentent, je les entasse ; tantost elles se pressent 46en foule, tantost elles se trainent à la file. Je veux qu’on voye mon pas ordinaire et naturel, ainsin detraqué qu’il est17.
Ce sont ici mes humeurs et opinions ; je les donne pour ce qui est en ma creance, non pour ce qui est à croire. Je ne vise icy qu’à descouvrir moy mesmes, qui seray par adventure autre demain, si nouveau apprentissage me change18.
En ce que je dy, je ne pleuvis autre certitude, sinon que c’est ce que j’en avoy en ma pensée, pensée tumultuaire et vacillante19.
Je vais au change, indiscretement et tumultuairement. Mon stile et mon esprit vont vagabondant de mesmes20.
Je prends de la fortune le premier argument. Ils me sont également bons21.
Tout argument m’est également fertile. Je les prends sur une mouche22.
et sur le désordre qui préside à leur mise en discours :
Que sont-ce icy aussi, à la verité, que crotesques et corps monstrueux, rappiecez de divers membres, sans certaine figure, n’ayants ordre, suite ny proportion que fortuite23 ?
On serait tenté, tant leur sens en est proche, d’inscrire les propos qui suivent dans la même série que les précédents :
Je ne me tiens pas bien en ma possession et disposition. Le hasard y a plus de droict que moy. L’occasion, la compaignie, le branle mesme de ma voix, tire plus de mon esprit, que je n’y trouve lors que je le sonde et employe à part moy24.
Ainsi j’arreste chez moy le doubte et la liberté de choisir, jusques à ce que l’occasion me presse. Et lors, à confesser la verité, je jette le plus souvent la plume au vent, comme on dict, et m’abandonne à la mercy de la fortune : une bien legere inclination et circonstance m’emporte25.
On notera cependant qu’à la différence des précédents, ces deux propos ne font pas – du moins pas explicitement – référence aux pensées et aux jugements de Montaigne exprimés dans les Essais ; il est donc permis de penser qu’ils concernent non l’auteur des Essais, mais l’homme 47Montaigne et la vie de son esprit. Sans doute l’homme et l’écrivain, dans les Essais, sont-ils indissolublement liés. Il ne s’ensuit pas cependant qu’ils se confondent. Il n’est pas interdit, il est même de solides raisons de penser qu’en donnant aux phénomènes qui se produisent dans sa conscience la forme d’un discours, l’essai leur fait subir une profonde transformation. Il est difficile et même impossible de déterminer si les propos précités font référence à des pensées et à des jugements exprimés dans les Essais ou à de purs phénomènes de conscience. Reste que cette ambiguïté soulève une question qui ne doit pas, au motif qu’il n’est pas simple d’y répondre, être éludée : les propos des Essais dans lesquels Montaigne nous confie la manière dont se forment ses pensées et s’exerce son jugement doivent-ils être systématiquement considérés comme s’appliquant au discours des Essais ? Et doit-on, en vertu de ce postulat, les tenir sans discrimination pour des grilles de lecture de ce discours ?
L’assujettissement de la pensée et du jugement de Montaigne aux fluctuations de sa vie intérieure atteint son sommet dans les propos qui pointent les contradictions auxquelles ceux-ci sont sujets. Tandis que certains de ces propos concernent les pensées exprimées et les jugements énoncés dans les Essais :
C’est un contrerolle de divers et muables accidens et d’imaginations irresoluës et, quand il y eschet, contraires ; soit que je sois autre moy-mesme, soit que je saisisse les subjects par autres circonstances et considérations. Tant y a que je me contredits bien à l’adventure, mais la verité, comme disoit Demades, je ne la contredy point26.
Si je parle diversement de moy, c’est que je me regarde diversement. Toutes les contrarietez s’y trouvent selon quelque tour et en quelque façon. […] Quiconque s’estudie bien attentifvement trouve en soy, et en son jugement mesme, cette volubilité et discordance27.
d’autres se rapportent à des états de la vie de l’esprit de Montaigne non nécessairement destinés à recevoir une expression dans les Essais :
Que ne nous souvient il combien nous sentons de contradiction en nostre jugement mesme ? Combien de choses nous servoyent hier d’articles de foy, qui nous sont fables aujourd’huy28 ?
48Ce que je tiens aujourd’huy et ce que je croy, je le tiens et le croy de toute ma croyance ; tous mes utils et tous mes ressorts empoignent cette opinion et m’en respondent sur tout ce qu’ils peuvent. Je ne sçaurois ambrasser aucune verité ny conserver avec plus de force que je fay cette cy. J’y suis tout entier, j’y suis voyrement ; mais ne m’est-il pas advenu, non une fois, mais cent, mais mille, et tous les jours, d’avoir ambrassé quelqu’autre chose à tout ces mesmes instrumens, en cette mesme condition, que depuis j’ay jugée fausse29 ?
Maintes-fois (comme il m’advient de faire volontiers) ayant pris pour exercice et pour esbat à maintenir une contraire opinion à la mienne, mon esprit, s’appliquant et tournant de ce costé là, m’y attache si bien que je ne trouve plus la raison de mon premier advis, et m’en despars. Je m’entraine quasi où je penche, comment que ce soit, et m’emporte de mon pois30.
À cette première catégorie de propos dans lesquels Montaigne présente ses pensées et ses opinions, exprimées ou non dans les Essais, comme assujetties aux fluctuations et aux aléas de la vie de son esprit, s’oppose une seconde, où, au rebours, il affirme s’être astreint à canaliser l’impulsivité naturelle de son esprit en lui imposant un « reglement », et à soumettre ses pensées et ses opinions, exprimées ou non dans les Essais, au contrôle d’un jugement bien réglé :
Le jugement tient chez moi un siège magistral, au moins il s’en efforce soigneusement31.
Le jugement est un outil à tous sujets, et se mêle partout. À cette cause aux essais que j’en fais ici, j’y emploie toute sorte d’occasion32.
La recommandation que chacun cherche, de vivacité et promptitude d’esprit, je la pretends du reglement33.
Je veux ici entasser aucunes façons anciennes, que j’ai en mémoire : les unes de même les nôtres, les autres différentes : afin qu’ayant en l’imagination cette continuelle variation des choses humaines, nous en ayons le jugement plus éclairci et plus ferme34.
Qui voudra se desfaire de ce violent prejudice de la coutume, il trouvera plusieurs choses receues d’une resolution indubitable, qui n’ont appuy qu’en la barbe chenue et rides de l’usage qui les accompagne ; mais, ce masque arraché, rapportant les choses à la verité et à la raison, il sentira son jugement comme tout bouleversé, et remis pourtant en bien plus seur estat35.
49Cette importance attribuée à l’exercice du jugement, on la retrouve dans l’essai De l’institution des enfans :
La vérité et la raison sont communes à un chacun, et ne sont non plus à qui les a dites premièrement, qu’à qui les dit après. Ce n’est non plus selon Platon, que selon moi : puisque lui et moi l’entendons et voyons de même. Les abeilles pillotent deçà delà les fleurs, mais elles en font apres le miel, qui est tout leur ; ce n’est plus thym, ni marjolaine : Ainsi les pièces empruntées d’autrui, il [l’enfant à éduquer] les transformera et confondra, pour en faire un ouvrage tout sien : à savoir son jugement, son institution, son travail et étude ne vise qu’à le former36.
À cette seconde série de propos l’on joindra ceux qui donnent le discours des Essais comme une tentative pour « mettre en rolle » les « monstres fantasques » qui hantent l’esprit de leur auteur, c’est-à-dire pour donner forme à l’informe et imposer au désordre un certain ordre37 :
Dernierement que que je me retiray chez moy, deliberé autant que je pourroy, ne me mesle d’autre chose que de passer en repos, et à part, ce peu qui me reste de vie ; il me sembloit ne pouvoir faire plus grande faveur à mon esprit, que de le laisser en pleine oisiveté, s’entretenir soy mesmes, et s’arrester et rasseoir en soy : ce que j’esperois qu’il peut meshuy faire plus aisément, devenu avec le temps plus poisant, et plus meur. Mais je trouve,
variam semper dant otia mentem,
que au rebours, faisant le cheval eschappé, il se donne cent fois plus d’affaire à soy mesmes, qu’il n’en prenoit pour autruy ; et m’enfante tant de chimeres et monstres fantasques les uns sur les autres, sans ordre, et sans propos, que pour en contempler à mon aise l’ineptie et l’estrangeté, j’ay commencé de les mettre en rolle, esperant avec le temps luy en faire honte à luy mesmes38.
Aux fins de ranger ma fantasie à resver mesme par quelque ordre et projet, et la garder de se perdre et extravaguer au vent, il n’est que de donner corps et mettre en registre tant de menues pensées qui se presentent à elle. J’escoute à mes resveries par ce que j’ay à les enroller39.
On reconnaît, dans l’opposition de ces deux séries de propos, celle des deux paradigmes auxquels s’ordonne le discours des Essais : celui, d’une part, de la subjectivité, de la contingence et du désordre, et celui, de 50l’autre, de l’objectivité, de la nécessité et du règlement. Doit-on attribuer à ces deux séries de propos, comme grilles de lecture des Essais, une égale validité ? Contentons-nous pour le moment d’observer que, de ces deux séries, c’est à la première que la philosophie qui, à partir de l’Apologie, inspire les Essais – le scepticisme pyrrhonien – semble apporter à la fois une confirmation et un fondement. Un parallélisme significatif se trouve en effet établi, dans les Essais, entre les fluctuations et les contradictions auxquelles Montaigne observe qu’est sujette la vie de son esprit, et celles auxquelles il constate que l’a été, au cours de l’histoire, la pensée des savants et des philosophes, et que le sont en général les opinions des hommes :
Sçachons si on s’accorde au moins en cecy, de quelle maniere les hommes se produisent les uns les autres. […] Or, pour mener à effect cette semence, combien en font-ils d’opinions contraires ? Aristote et Democritus tiennent que les femmes n’ont point de sperme, et que ce n’est qu’une sueur qu’elles eslancent par la chaleur du plaisir et du mouvement, qui ne sert de rien à la generation ; Galen, au contraire, et ses suyvans, que, sans la rencontre des semences, la generation ne se peut faire. Voylà les medecins, les philosophes, les jurisconsultes et les theologiens aux prises, pesle mesle avecques nos femmes, sur la dispute à quel terme les femmes portent leur fruict40.
Mais ce, qu’il ne se void aucune proposition qui ne soit debatue et controverse entre nous, ou qui ne le puisse être, montre bien que nostre jugement naturel ne saisit pas bien clairement ce qu’il saisit41.
Si nature enserre en les termes de son progrez ordinaire, comme toutes autres choses, aussi les creances, les jugemens et opinions des hommes ; si elles ont leur revolution, leur saison, leur naissance, leur mort, comme les chous ; si le ciel les agite et les roule à sa poste, quelle magistrale authorité et permanante leur allons-nous attribuant42 ?
L’observation des hommes, comme celle de soi, donne plus de raisons de douter de la valeur du jugement humain que de lui faire crédit. Reste que, quelque méfiance qu’il puisse et doive inspirer, le jugement demeure le seul instrument dont dispose l’homme pour bien conduire sa pensée. C’est pourquoi, en dépit de sa suspicion, Montaigne lui assigne, dans sa vie comme dans son travail d’« essayiste », un « siege magistral ».
51L’on s’est jusqu’ici, pour évaluer la place tenue et le rôle joué dans les Essais par la « fantasie » et le « reglement », référé, parce qu’ils constituaient le donné le plus aisément interprétable, aux propos métadiscursifs de Montaigne. Ne suffirait-il pas de s’en tenir à ces derniers ? Ne constituent-ils pas des témoignages suffisamment probants ? Au bénéfice de ce point de vue, l’on pourrait faire valoir deux faits. Le fait, d’une part, que les propos tenus par Montaigne sur son propre discours font, en vertu du caractère réflexif de ce dernier, partie intégrante de ce discours. Le fait, d’autre part, que, si la lecture qu’un écrivain fait de son œuvre n’est pas, pour l’accès à cette dernière, la seule clé possible, ni même, parfois, la clé la plus opératoire, le lien singulier qui, dans le cas des Essais, rattache l’auteur à son œuvre, confère à cette lecture un poids également singulier. Tout cela est vrai ; reste qu’étant de type métadiscursif, les propos précédemment cités peuvent et doivent être distingués, en droit comme en fait, du discours auquel ils se rapportent. C’est donc le discours même de l’essai que l’on considérera maintenant pour essayer de déterminer le degré de prégnance qu’exerce sur lui chacun des deux paradigmes auxquels, comme on peut le présumer, il s’ordonne : celui de la « fantasie » et celui du « reglement ».
Si l’on considère, comme il est logique de commencer par le faire, les Essais dans leur ensemble, c’est incontestablement au paradigme de la « fantasie » qu’il convient d’attribuer la prévalence. De celle-ci témoignent les deux traits caractéristiques de leur structure, traits communs, au demeurant, à un ensemble de productions particulièrement en vogue à la Renaissance43 (qui en ont pris le modèle dans les Nuits Attiques d’Aulu-Gelle44) : l’ordo 52fortuitus et la disparitas rerum45. Les Essais sont constitués de chapitres sinon indépendants, du moins autonomes, ayant chacun un objet différent dont le choix, n’étant dicté par aucun dessein d’ensemble préétabli, doit être rapporté à des faits ou à des phénomènes inhérents à la vie de l’esprit de Montaigne et relevant de ce fait en grande partie de la contingence. L’on ne contreviendra pas au protocole d’analyse adopté il y a un instant en alléguant ici deux propos métadiscursifs des Essais : à la différence, en effet, de ceux précédemment cités, ces propos ne sont pas de l’ordre de l’élucidation, mais du constat, le fait qu’ils dénotent pouvant être objectivement vérifié par le lecteur des Essais :
Je prends de la fortune le premier argument. Ils me sont également bons46.
Tout argument m’est egallement fertille. Je les prends sur une mouche ; et Dieu veuille que celuy que j’ay icy en main n’ait pas esté pris par le commandement d’une volonté autant volage47 !
Aux Essais considérés dans leur ensemble et à chaque essai considéré en particulier, il est un trait commun : la pratique systématique de l’ajout. Aux deux premiers Livres des Essais publiés en 1580, Montaigne a ajouté, en 1588, un troisième Livre, et à chaque édition des Essais, comme dans celle qu’il préparait au moment de sa mort, il a pratiqué des ajouts dans le texte de chacun des chapitres de ses précédents Livres. Cette pratique de l’ajout est accompagnée – c’est là son essentielle originalité – du refus de toute modification du texte déjà écrit : « J’adjoute, mais je ne corrige pas48 ». Quand Montaigne dit qu’il ne corrige pas, il ne veut pas seulement dire seulement qu’il s’est résolu à déroger au mode de composition habituel d’une œuvre ; il veut aussi et surtout dire qu’il aurait eu, ou du moins qu’il pense qu’il aurait pu avoir, des raisons de modifier son texte, et que les ajouts qu’il lui a apportés, parce qu’ils risquaient d’entrer en contradiction ou en discordance avec le texte déjà écrit, lui donnaient des raisons supplémentaires de le modifier ; mais qu’à toutes ces raisons, il est passé outre, donnant à l’engagement de fidélité à soi priorité sur le souci de cohérence de son discours, faisant 53prévaloir la « fantasie » sur le « reglement ». Quelle est, si l’on considère sa structure, l’incidence de ce choix sur le discours de l’essai ? Et de cette incidence, quelles conclusions peut-on tirer ?
Ces deux questions, ce sont celles qui sont à l’origine de l’étude magistrale qu’André Tournon a consacrée aux Essais et dont les analyses constituent la réponse la plus juste, je pense, qu’on puisse leur apporter. Le passage suivant que j’en extraie définit au mieux, me semble-t-il, le partage que l’on observe, dans la structure de l’essai, entre l’action de la « fantasie » et celle du « reglement » :
Réinterprétations et critiques accusent la mobilité d’une « fantasie » qui refuse de « se résoudre » en certitudes factices, et dénie aux sentences qu’elle allègue ou qu’elle prononce elle-même l’autorité d’un sens définitif. […] Ces commentaires s’inscrivent en marge de discours de toute espèce et de toute origine – « Je prends de la fortune le premier argument. Ils me sont également bons » – dont le seul trait commun est le statut paradoxal qui leur est assigné. Thèmes, matériaux présentés à la pensée, ils ne sauraient porter le sceau de la vérité objective ; le sens et la véracité du texte sont transférés de l’énoncé à l’énonciation, des maximes et constats accumulés aux opérations secondes d’examen critique, de remaniement, de réflexion par lesquelles s’effectue l’intervention personnelle de Montaigne49.
Relèvent de la « fantasie », d’une part l’arbitraire du choix de l’objet de la réflexion (« Je prends de la fortune le premier argument »), d’autre part les « réinterprétations et critiques », c’est-à-dire les retours réflexifs de l’essai sur lui-même. Ainsi comprise, la « fantasie » montaignienne apparaît comme le résultat d’une double rupture : rupture, d’une part, des liens exclusifs qui, dans le discours du savoir, relient l’exercice du jugement à certains objets spécifiques ; rupture, d’autre part, des liens de subordination qui, dans ce même discours, relient l’exercice du jugement à l’enchaînement rigoureusement logique des jugements énoncés. Ce que cette double rupture introduit dans le discours de l’essai, ce n’est pas la pure contingence – s’il n’est pas négligeable, le rôle qu’y joue celle-ci ne concerne néanmoins qu’une partie du champ d’élaboration du discours – mais un double espace de liberté, un double gain d’indépendance de l’essai au regard des lois auxquelles est assujetti le discours « savant ». Mais ce qu’elle y introduit, c’est aussi, de l’aveu même de Montaigne, le désordre : « Que sont-ce icy aussi, à la verité, que crotesques et corps 54monstrueux, […], n’ayants ordre, suite ny proportion que fortuite50 ? ». Ce désordre, sous quelles formes se présente-t-il exactement ? Et quel est le rôle qu’y jouent l’action de la « fantasie » et celle du « reglement » ?
Rejetant les principales explications proposées jusque-là par les analystes – l’explication psychologique (le tempérament « fantaisiste » de l’auteur), l’explication esthétique (le baroquisme de l’écriture), l’explication politique (une stratégie de la prudence) –, J.-Y. Pouilloux a donné, du désordre du discours dans les Essais, une analyse fondée sur l’hypothèse que l’on pouvait schématiquement distinguer dans l’essai deux strates de discours : sur un discours « coutumier », « idéologique », se grefferait un discours critique à fonction essentiellement discriminante51 :
S’il est désormais de la matière de l’essai […] de procéder à une analyse méthodique, méthodologique et critique portant sur le discours coutumier, si l’objet de l’essai est bien de découvrir le mensonge, l’illusion et l’erreur partout où ils se rencontrent dans l’opinion humaine, qu’importe l’ordonnance de ma critique ? […] L’analyse à laquelle se livre désormais l’essai ne se donne aucun objet privilégié, mais tous les sujets possibles et imaginables, sans aucune limitation d’extension ; par là-même elle ne se donne aucun ordre des raisons, mais toutes les successions éventuelles du discours coutumier. Le désordre des Essais reproduit le désordre du discours commun, le livre n’a aucun besoin d’ordre pour mener à bien son analyse52.
Cette analyse séduit par sa clarté et sa simplicité. Si elle ne manque pas d’une certaine justesse (l’on peut effectivement repérer dans les Essais certaines marques d’un examen critique du discours commun), il ne me 55paraît cependant pas possible d’y souscrire, pour plusieurs raisons dont la principale est que, loin d’être imputable à la strate idéologique de son discours, le désordre de l’essai est au rebours – les analyses d’A. Tournon l’ont bien montré – essentiellement lié au travail critique qu’il effectue. L’« irrégularité » de l’essai53 revêt différents aspects que, dans son étude, A. Tournon a minutieusement recensés et analysés. La plupart d’entre eux, cependant, ne sont pas exactement assimilables à du désordre. Ce sont les formes les plus caractéristiques que ce dernier revêt au sein de l’essai que je voudrais examiner ici.
Celle de ces formes qui présente le degré le moins élevé de désordre et qui n’est pas sans similitude avec la réflexivité de l’essai mais constitue néanmoins un phénomène distinct, est le va-et-vient de l’essai entre deux plans de référence ayant le ou les mêmes objets mais appréhendant ceux-ci dans deux perspectives différentes. De ce cas de figure, l’essai De l’inconstance de nos actions (II, 1) fournit une illustration caractéristique. On y observe un va-et-vient permanent du discours entre deux séries d’objets ressortissant, les uns à un plan de référence anthropologique (la série dont font partie les observations ayant pour objet le comportement humain), les autres à un plan de référence gnoséologique (la série dont font partie les observations ayant pour objet la connaissance de la nature humaine) :
plan de référence gnoséologique :
Ceux qui s’exercent à contreroller les actions humaines, ne se trouvent en aucune partie si empeschez, qu’à les r’appiesser et mettre à mesme lustre : car elles se contredisent communément de si estrange façon, qu’il semble impossible qu’elles soient de mesme boutique.
plan de référence anthropologique :
Le jeune Marius se trouve tantost fils de Mars, tantost fils de Venus. Le Pape Boniface huictiesme entra, dit-on, dans sa charge comme un renard, s’y porta comme un lion, et mourut comme un chien. Et qui croiroit que ce fust Neron, cette vraie image de la cruauté, comme on lui presentastà signer, suyvant le stile, la sentence d’un criminel condamné, qui eust respondu : Pleust à Dieu que je n’eusse jamais sceu escrire ! Tant le cueur luy serroit de condamner un homme à mort.
56plan de référence gnoséologique :
[…] Il y a quelque apparence de faire le jugement d’un homme par les plus communs traicts de sa vie ; mais, veu la naturelle instabilité de nos meurs et opinions, il m’a semblé souvent que les bons autheurs mesmes ont tort de s’opiniastrer à former de nous une constante et solide contexture.
plan de référence anthropologique :
[…] En toute l’ancienneté, il est malaisé de choisir une douzaine d’hommes qui ayent dressé leur vie à un certain et asseuré train, qui est le principal but de la sagesse. […] Nostre façon ordinaire, c’est d’aller apres les inclinations de nostre apetit, à gauche, à dextre, contre-mont, contre-bas, selon que le vent des occasions nous emporte.
plan de référence gnoséologique :
[…] A nous, […], autant d’actions, autant faut-il de jugemens particuliers. Le plus seur, à mon opinion, seroit de les rapporter aux circonstances voisines, sans entrer en plus longue recherche et sans en conclurre autre consequence.
plan de référence anthropologique :
[…] Celuy que vous vistes hier si aventurez, ne trouvez pas estrange de le voir aussi poltron le lendemain. […] Nous sommes tous de lopins, et d’une contexture si informe et diverse, que chaque piece, chaque momant, faict son jeu. Et se trouve autant de difference de nous à nous mesmes, que de nous à autruy.
plan de référence gnoséologique :
[…] Ce n’est pas tour de rassis entendement de nous juger simplement par nos actions de dehors ; il faut sonder juqu’au dedans, et voir par quels ressors se donne le bransle ; mais, d’autant que c’est une hazardeuse et haute entreprise, je voudrois que moins de gens s’en meslassent.
Du va-et-vient de l’essai entre un plan de référence gnoséologique et un plan référence anthropologique, l’essai De Democritus et Heraclitus (I, 50) fournit une autre illustration. Les discontinuités du discours y sont plus prononcées que dans l’essai précédent, car le changement de plan de référence s’y accompagne, ce qui n’était pas le cas précédemment, d’infléchissements thématiques. Le plan sur lequel l’essai commence par se situer est un plan gnoséologique :
57Le jugement est un util à tous subjects, et se mesle par tout. A cette cause, aux essais que j’en fay ici, j’y employe toute sorte d’occasion. […] Je prends de la fortune le premier argument. Ils me sont également bons.
L’idée exprimée dans cette dernière phrase et développée dans celles qui suivent opère le passage du discours du plan gnoséologique au plan anthropologique (si Montaigne estime que tous les sujets lui « sont également bons », c’est que, comme l’affirme la première phrase du passage suivant, « tout mouvement nous descouvre », c’est-à-dire que tout sujet est pour lui, comme pour l’homme en général, une occasion d’exprimer son être profond) :
[…] Tout mouvement nous descouvre. Cette mesme ame de Caesar, qui se faict voir à ordonner et dresser la bataille de Pharsale, elle se faict voir aussi à dresser des parties oysives et amoureuses. […] Entre les functions de l’ame il en est de basses : qui ne la void encor par là, n’acheve pas de la connoistre. […] Chasque parcelle, chasque occupation de l’homme l’accuse et le montre également qu’un autre.
Le glissement thématique qui s’opère dans ce passage a pour pivot la première de ses phrases. Tout mouvement découvre l’être profond de l’homme. Or cet être comporte à la fois des fonctions basses et des fonctions hautes. L’essai se poursuit sur ce thème, mais en l’appréhendant non plus, comme dans le passage précédent, sur le plan anthropologique, mais sur le plan gnoséologique :
[…] Democritus et Heraclitus ont esté deux philosophes, desquels le premier, trouvant vaine et ridicule l’humaine condition, ne sortoit en public qu’avec un visage moqueur et riant ; Heraclitus, ayant pitié et compassion de cette mesme condition nostre, en portoit le visage continuellement atristé, et les yeux chargez de larmes.
Montaigne préfère « la premiere humeur », et la raison qu’il en donne fait passer de nouveau son discours du plan gnoséologique au plan anthropologique (le « je ne pense point » est un simple modalisateur épistémique) :
[…] Je ne pense point qu’il y ait tant de malheur en nous comme il y a de vanité, ny tant de malice comme de sotise : nous ne sommes pas si pleins de mal comme d’inanité ; nous ne sommes pas si miserables comme nous sommes viles.
58Pour le faire derechef revenir au plan gnoséologique :
[…] Ainsi Diogenes, qui baguenaudoit apart soy, roulant son tonneau et hochant du nez le grand Alexandre, nous estimant des mouches ou des vessies pleines de vent, estoit bien plus aigre et plus poingnant, et par consequent plus juste, à mon humeur, que Timon, celuy qui fut surnommé le haisseur des hommes. Car ce qu’on hait, on le prend à cueur.
Et le ramener pour finir, dans la dernière phrase de l’essai, au plan anthropologique :
[…] Notre propre et peculiere condition est autant ridicule que risible.
Comme le passage d’un plan de référence à un autre, le passage, dans le discours de l’essai, d’un ordre – au sens que Pascal donne à ce concept54 – à un autre, correspond à un changement de perspective au sein du discours ; la différence – essentielle – est que, tandis que, dans le cas du passage d’un plan de référence à un autre, le sens du discours et sa visée argumentative demeurent inchangés, ils se modifient et même s’inversent dans le cas du passage d’un ordre à un autre. De ce type de passage, l’essai De la coutume et de ne changer aisément une loy receüe (I, 23) fournit l’illustration la plus remarquable. Le changement d’ordre commande l’économie entière de cet essai qu’il scinde en deux développements opposés. Le paradigme auquel s’ordonne la première partie de l’essai est l’ordre de la droite raison : sa logique le conduit à accuser le total arbitraire des coutumes et des lois qui régissent la conduite des hommes et l’inanité du crédit que ceux-ci leur attribuent. « En voicy d’un’autre cuvée » amorce le basculement du discours et son abandon comme paradigme de l’ordre de la droite raison pour l’ordre de la raison politique. Ce n’est pas une palinodie : la raison politique n’est pas moins « raisonnable » que la pure raison, elle est une raison d’un autre ordre, qui n’entraîne pas le retour aux illusions du sens commun : l’esprit du sage gardera, vis à vis de celles-ci, son entière liberté ; ce n’est pas en abandonnant la raison, mais en lui étant fidèle – plus exactement en comprenant qu’il existe, au sein de la raison, différents ordres – qu’il 59soumettra sa conduite à des coutumes et à des lois qu’il sait totalement arbitraires et continuera de tenir pour telles (on retrouve la même position d’équilibre chez Pascal55 qui sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, a peut-être puisé son inspiration chez Montaigne). Le rapport de l’arbitraire et du motivé, du contingent et du nécessaire, s’inverse lorsqu’on passe d’un ordre – celui de la pure raison – à un autre – celui de la raison politique : arbitraires et contingentes dans le premier, les coutumes et les lois acquièrent motivation et nécessité dans le second.
Le basculement du discours, dans le chapitre De la coutume, n’introduit pas la contradiction au sein de l’essai. Il n’en est pas de même dans celui, en apparence semblable, en réalité très différent, qui s’opère dans l’essai De la moderation (I, 30), amorcé par la phrase : « Mais, à parler en bon escient, est-ce pas un miserable animal que l’homme ? ». On ne saurait trouver analyse plus fine de cet essai que celle qu’André Tournon en a donné dans deux articles56 dont le dernier s’attache à mettre au jour « l’opération réflexive », non décelable de prime abord, effectuée par l’essai, et le « projet d’autorégulation » caché sous son apparent dessein d’enquête sur la notion de modération. Beaucoup plus simplement, c’est la place tenue par l’irrégularité dans cet essai que je considérerai ici. Dans le premier de ses deux articles, A. Tournon observait que le caractère problématique de l’essai De la moderation venait entre autres du fait que les ajouts de Montaigne à la première version de son essai (celle de 1580) se répartissaient également – et d’une façon quelque peu surprenante, si l’on considère que les ajouts apportés au texte auraient pu être l’occasion de trancher une question laissée en suspens dans sa première version – entre la première partie de cet essai (celle qui donne la modération pour une vertu positive) et la seconde (celle qui en dénonce les effets néfastes)57. Le fait est significatif : loin d’avoir pour fonction de 60résoudre ou même de minorer l’opposition des deux parties de l’essai, les ajouts apportés au texte la corroborent. Le basculement du discours, dans l’essai De la moderation, ne coïncide pas, comme dans l’essai précédent, avec le passage d’un ordre à un autre, mais avec le passage, au sein du même ordre – l’ordre éthique – d’un point de vue au point de vue contraire ; il introduit dans le texte un véritable retournement.
Facteurs à différents degrés d’irrégularité, au regard des normes classiques du discours, ni le passage d’un plan de référence à un autre, ni le passage d’un ordre à un autre, ni le revirement du discours n’introduisent dans l’essai ce qu’on peut appeler à proprement parler du désordre, dans la mesure où, dans ces trois cas, la continuité thématique et dialectique de l’essai se trouve maintenue. C’est ce qui différencie ces trois cas de figure de celui qu’illustrent des essais comme l’essai Des coches ou l’essai Sur de vers de Virgile.
Schématiquement, la composition de l’essai Des coches est la suivante :
1. L’essai débute par une réflexion sur la notion de cause et l’usage qu’en font les penseurs et les écrivains (p. 898-900).
2. Cette réflexion conduit l’essai à se focaliser sur l’objet que sont les coches (p. 901).
3. Par le jeu d’une association d’idées fortuite (« L’estrangeté de ces inventions me met en teste cett’autre fantasie »), l’examen historique de l’usage des coches conduit à une réflexion politico-historique sur la pratique de la magnificence et de la libéralité chez les princes, et à l’évocation de jeux donnés par les empereurs romains (p. 902-907).
4. Cette évocation d’une civilisation disparue donne une idée de l’ignorance dans laquelle nous sommes des formes qu’ont revêtues les civilisations passées et de celles que revêtent aujourd’hui celles que nous ne connaissons pas (p. 907-908).
5. Cette évocation de civilisations inconnues conduit naturellement à l’évocation de celle, récemment découverte, des habitants du Nouveau Monde : c’est à elle que sont consacrées les pages suivantes de l’essai (p. 908-910) qui se terminent par le récit de la conquête du Mexique et du Pérou par les Espagnols (p. 910-915).
Comme il appert, il n’existe, entre les développements successifs dont est constitué cet essai, ni lien thématique ni lien dialectique ; leur enchaînement est fondé sur le seul principe de l’association d’idées. 61Comme l’atteste l’antiphrase ironique sur laquelle il s’achève58, la composition de cet essai est une illustration parfaite du principe aulu-gellien de l’ordo fortuitus et de la disparitas rerum appliqué, non plus à la composition d’ensemble des Essais et à la diversité de ses chapitres, mais à la structure interne de l’essai lui-même. Ce principe est la source d’un véritable désordre qui ne diffère pas seulement des formes d’irrégularité précédemment observées par le plus haut degré d’incohérence qu’il introduit au sein de l’essai, mais aussi et surtout par sa nature. Les formes d’irrégularité précédemment observées s’inscrivaient dans ce qu’on peut appeler une dialectique de la pensée, elles étaient d’ordre proprement intellectuel ; le désordre que l’on observe dans l’essai Des coches n’est pas, lui, d’ordre intellectuel, mais d’ordre esthétique59 (bien que son emploi soit anachronique, je ne vois pas de terme plus adéquat à utiliser ici). Il n’est pas seulement – ce que n’étaient pas, ou n’étaient qu’à un degré bien moindre, le formes d’irrégularité précédemment observées – une illustration exacte du principe d’écriture défini par un propos comme celui-ci :
A mesme que mes resveries se presentent, je les entasse60.
Je vais au change, indiscretement et tumultuairement. Mon stile et mon esprit vont vagabondant de mesmes61.
Il est aussi et plus encore l’illustration du propos dans lequel Montaigne exprime son amour de la poésie62 :
J’ayme l’alleure poetique, à sauts et à gambades. Il est des ouvrages en Plutarque où il oublie son theme, où le propos de son argument ne se trouve que par 62incident, tout estouffé en matiere estrangere : voyez ses alleures au Daemon de Socrates. O Dieu, que ces gaillardes escapades, que cette variation a de beauté, et plus lors que elle retire au nonchalant et fortuite63.
Désordre, donc. Mais non incohérence, ni absolu arbitraire. L’attestent des propos comme ceux-ci :
Mes fantasies se suyvent, mais par fois c’est de loing, et se regardent, mais d’une veuë oblique64.
Les matieres se tiennent toutes enchesnées les unes aux autres65.
Ces assertions, le lecteur des Essais peut en vérifier la pertinence. Le « vent » auquel Montaigne « jette sa plume66 » et qui emporte ses pensées en conduit beaucoup à se rassembler sur la même aire. Relisons l’essai Des coches. Le développement qui l’inaugure – la réflexion sur l’usage qui est fait de la notion de cause – fait écho à ceux que consacre à cette notion le chapitre Des boyteux. Le troisième développement – la description des jeux donnés par les empereurs romains – est à rapprocher de celui que contient le chapitre Des coutumes anciennes (I, XLIX)67. Et le dernier développement de l’essai – l’évocation de la civilisation du Nouveau Monde – est jumeau de celui que consacre au même sujet le chapitre Des cannibales (I, XXXI). Ce qui apparaît comme discontinu et désordonné à l’échelle de l’essai cesse de l’être à l’échelle des Essais. Le désordre est la forme que revêt au sein de l’essai un trait inhérent aux Essais dans leur ensemble : la dissémination intertextuelle.
Même à son plus haut degré, le désordre, dans les Essais, demeure relatif. Il n’est pas le chaos. Corrélativement, la place tenue et le rôle joué dans l’exercice de la pensée par la « fortune » – principal facteur de désordre – loin d’être nécessairement un obstacle à l’acuité du jugement, peut se révéler pour celle-ci l’agent le plus efficace :
63Mon ame me desplaist de ce qu’elle produit ordinairement ses plus profondes resveries, plus folles et qui me plaisent le mieux, à l’improveu et lors que je les cherche le moins68.
Cette action de la « fortune » qu’il observe dans son cas, Montaigne la reconnaît à un plus haut niveau et avec des effets plus conséquents chez les poètes, les orateurs et les peintres :
Les saillies poëtiques, qui emportent leur autheur et le ravissent hors de soy, pourquoy ne les attribuerons à son bon heur ? Puis qu’il confesse luy mesme qu’elles surpassent sa suffisance et ses forces, et les reconnoit venir d’ailleurs que de soy, et ne les avoir aucunement en sa puissance. […] Mais la fortune montre bien encores plus évidemment la part qu’elle a en tous ces ouvrages, par les graces et beautez qui s’y treuvent, non seulement sans l’intention, mais sans cognoissance mesme de l’ouvrier69.
Plus qu’un adjuvant, cependant, c’est un facteur de précarité que constitue le plus souvent, pour l’exercice de la pensée, l’action de la « fortune ». C’est en raison du rôle important qu’il lui voit jouer dans sa pensée que Montaigne dénie à son discours toute capacité d’énoncer des vérités certaines :
En ce que je dy, je ne pleuvis autre certitude, sinon que c’est ce que j’en avoy en ma pensée, pensée tumultuaire et vacillante70.
Qu’il faille voir dans ce propos, comme dans d’autres précédemment cités71, sinon l’expression du pyrrhonisme de Montaigne, du moins son corrélat direct, la chose ne fait guère de doute. Mais cette constatation, si l’on en restait à elle, ne contribuerait guère à la connaissance de l’essai montaignien. S’il existe bien un rapport entre l’action de la « fortune » sur le discours de l’essai et le pyrrhonisme de Montaigne, il convient de se demander, comme on l’a fait pour la « fortune », quelle place exacte le pyrrhonisme occupe dans le discours de l’essai et quelles formes concrètes il y revêt.
Le pyrrhonisme, en effet, en tant que position philosophique, est une chose, et la pratique pyrrhonienne du discours – dans la mesure où 64l’on peut y rattacher le discours de l’essai – en est une autre. La preuve la plus évidente en est constituée par le fait que le discours de l’essai, non seulement ne coïncide pas avec ce que devrait être en toute rigueur un discours strictement conforme à la doctrine pyrrhonienne telle que l’expose l’Apologie, mais s’y oppose littéralement. Comme chacun peut le constater, les énoncés des Essais ont en effet dans leur majorité la forme de phrases affirmatives. L’observation serait triviale, la phrase affirmative étant de beaucoup la plus fréquemment employée dans tous les discours, si l’emploi de ce type de phrase n’était précisément récusé par la doctrine pyrrhonienne, le seul type d’énoncé admissible de son point de vue étant celui qui suspend le jugement, savoir l’énoncé interrogatif :
Je vois les philosophes Pyrrhoniens qui ne peuvent exprimer leur générale conception en aucune manière de parler : car il leur faudrait un nouveau langage. Le nôtre est tout formé de propositions affirmatives, qui leur sont du tout ennemies. […] Quand ils prononcent : J’ignore, ou : Je doubte, ils disent que cette proposition s’emporte elle mesme, quant et quant le reste. […] Cette fantaisie est plus sûrement conçue par interrogation : Que sais-je ? comme je la porte à la devise d’une balance72.
Le problème, dont Montaigne était évidemment conscient, est que, si l’on peut donner à un énoncé isolé, comme celui de la devise, ou à une répartie de dialogue73, une forme interrogative, il est exclu qu’on puisse tenir un discours suivi en n’employant que des énoncés interrogatifs. Confronté à son tour aux contraintes incontournables de la langue, Barthes dira qu’elle est « fasciste74 ». Le vrai est que, loin d’être arbitraires, certaines de ces contraintes ne font que traduire une logique inhérente au fonctionnement élémentaire de la pensée. L’emploi majoritaire, dans le discours des Essais, d’énoncés de forme affirmative, ne procède pas seulement d’une contrainte formelle : il traduit le fait qu’un discours suivi ne peut en pratique fonctionner qu’avec des énoncés de type 65assertif, autrement dit avec des énoncés chargés d’exprimer une vérité. L’assertion est en effet un acte de parole dont le sens et les implications sont les mêmes dans tous les discours, quelle que soit l’épistèmè, la philosophie ou l’idéologie à laquelle ceux-ci ressortissent. Je laisserai à un linguiste –Alain Berendonner – le soin de le définir et d’en expliciter les implications :
Il existe un certain nombre d’expressions, comme à mon avis, selon moi, je pense, personnellement, etc., dont la fonction sémantique semble être de restreindre la portée d’un acte d’assertion, en le commentant. Conjointes à une phrase simple, p, ces formules marquent que l’assertion de p ne prétend garantir qu’une vérité individuelle. Ainsi, lorsque j’énonce : À mon avis, le chat est sur le paillasson, l’opérateur initial – à mon avis – marque que l’acte qui suit – le chat est sur le paillasson – n’a d’autre prétention que d’être sincère : ce qu’il garantit alors, c’est une L-vérité (une vérité énoncée au nom du locuteur). […] S’il faut appliquer un opérateur spécifique à mon avis à l’assertion de p pour que cette assertion soit comprise comme garantissant seulement la vérité de p pour le locuteur, alors, c’est qu’en elle-même, et sans opérateur, elle garantit autre chose, qui ne peut être que la vérité de p selon la « personne d’univers ». Une phrase comme le chat est sur la paillasson semble donc bien constituer en elle-même un acte prétendant à la véracité, et engageant le locuteur sur la vérité de p selon la « personne d’univers75 ».
Si l’on suit Berendonner et qu’à l’énoncé « le chat est sur la paillasson » l’on substitue par exemple l’énoncé par lequel débute le chapitre De l’yvrognerie (énoncé assertif du même type que la majorité des énoncés dont sont constitués les Essais) : « Le monde n’est que variété et dissemblance76 », l’on en conclura que, n’étant pas précédé d’un modalisateur subordonnant sa validité à la croyance de l’énonciateur, cet énoncé exprime une vérité selon la « personne d’univers » – qu’il formule, autrement dit, un jugement donné inconditionnellement pour vrai. Ce constat paradoxal – compte tenu de propos comme celui-ci : « Ce sont ici mes humeurs et opinions ; je les donne pour ce qui est en ma creance, non pour ce qui est à croire77 » – mais néanmoins irrécusable, conduit à s’interroger sur le rapport existant entre ce qu’on peut appeler le régime d’énonciation d’un discours – concept essentiel pour la question – et le 66rapport de ce discours à la vérité. Il faut, dans le régime d’énonciation d’un discours, distinguer deux niveaux. Le premier est linguistique. À ce premier niveau, le rapport qu’un énoncé entretient avec la vérité est déterminé à la base par les quatre types de phrases que comporte la langue française : la phrase affirmative, employée pour formuler un énoncé donné pour vrai ; la phrase exclamative, qui ne diffère de la phrase affirmative que par la nuance « émotive78 » qu’elle lui ajoute ; la phrase interrogative, employée (quand il ne s’agit pas d’une affirmation exprimée sous forme interrogative79) pour tenir en suspens le jugement formulé ; la phrase impérative, employée pour formuler un ordre, un conseil ou une prière (quand il ne s’agit pas d’une affirmation déguisée sous une forme impérative80). La phrase affirmative est quant à elle susceptible de revêtir les trois modalités d’énonciation que distinguent les logiciens : la modalité aléthique, lorsque la vérité qu’elle énonce est une vérité catégoriquement affirmée (une vérité énoncée au nom de la « personne d’univers », selon la terminologie de Berendonner) ; la modalité épistémique, lorsque la vérité qu’elle énonce est une vérité donnée comme subordonnée à la croyance de l’énonciateur ; la modalité déontique, lorsque la vérité énoncée est de caractère prescriptif et implique une obligation d’ordre théorique, éthique ou pragmatique. Comme la majorité des discours, l’essai montaignien est principalement constitué, à l’instar de l’exemple cité plus haut, d’énoncés de forme affirmative et de modalité aléthique81. Si donc l’on ne prenait en compte que ce niveau d’énonciation, l’on serait fondé à dire que l’adhésion de Montaigne aux 67thèses pyrrhoniennes et les propos métadiscursifs, comme celui cité plus haut, qui en sont le corrélat, n’ont aucun impact sur le discours de l’essai ; cette adhésion et ces propos n’empêchent pas en effet ce discours de fonctionner essentiellement selon le mode aléthique. Mais il faudrait alors en conclure, soit que la pratique d’écriture de Montaigne apporte un démenti aux propos dans lesquels Montaigne s’attache à définir cette pratique, soit qu’il ne faille voir dans les propos où Montaigne affirme ne prétendre rien de plus, dans ses Essais, qu’exprimer des convictions personnelles, qu’une posture rhétorique de modestie. La seconde de ces conclusions reviendrait à dénier aux Essais ce qui constitue leur essentielle originalité ; l’erreur de la première serait de se limiter à une vision logico-linguistique de la question. Le régime d’énonciation d’un discours et le régime de vérité qui en est le corrélat ne sont en effet pas réductibles aux modalités énonciatives définies par les linguistes et les logiciens, pour importantes que soient celles-ci. Ils relèvent de la réalité plus vaste et plus complexe que Michel Foucault a décrite sous le nom de formation discursive82, réalité qui dépasse de beaucoup la perspective d’analyse qui est ici la nôtre. Si la question du régime d’énonciation nous intéresse ici, c’est en tant qu’elle détermine le rapport qu’un discours entretient avec la vérité. Dans le monde occidental moderne qui est celui de Montaigne, les discours humains peuvent être rattachés à trois grands régimes d’énonciation et corrélativement à trois grands régimes de vérité. Le premier peut être qualifié de transcendantal : c’est le régime d’énonciation propre aux discours religieux qui, se réclamant de la transcendance, se donnent comme exprimant une Vérité absolue et suprahumaine – absolue parce que suprahumaine. Le second est celui qui est propre au discours des disciplines censées à chaque époque dispenser ce que Montaigne appelle la « science » (la philosophie, le Droit, l’Histoire, les mathématiques, la physique, les sciences de la Nature, la médecine). Ce discours a lui aussi pour prétention d’énoncer des vérités, mais en vertu de critères immanents propres au domaine de connaissance et à la sphère de compétence particuliers de chacune de ces disciplines. Le troisième régime d’énonciation est celui qui est propre aux discours 68que l’on pourrait qualifier d’ordinaires – l’ensemble des discours dont les vérités (quand ils en énoncent, car ce n’est pas leur principale fonction83) ne se réclament (comme celle que formule l’énoncé Le chat est sur le paillasson cité comme exemple par Berendonner), ni d’un principe transcendant ni de l’autorité reconnue aux disciplines consacrées par l’institution. La singularité des Essais réside dans le fait qu’ils ne sont rattachables à aucune de ces trois catégories de discours. Si Montaigne n’a pas besoin de marquer toute la distance qui sépare son discours de celui de la religion :
C’est à elle seule [la majesté divine] qu’appartient la science et la sapience : elle seule qui peut estimer de soi quelque chose, et à qui nous dérobons ce que nous comptons, et ce que nous prisons84.
il prend soin en revanche – c’est, on l’a vu85, l’un des leitmotive des Essais – de bien le distinguer du discours des disciplines « savantes » :
Qui sera en cherche de science, si la pesche où elle se loge : il n’est rien dequoy je fasse moins de profession86.
Cette récusation de toute parenté avec le discours du savoir ne rattache pas pour autant le discours de l’essai à la catégorie des discours « ordinaires ». De ces derniers, deux traits le différencient qui l’apparentent au rebours au discours du savoir. Tout en se démarquant soigneusement de ce dernier, l’essai entretient avec lui un dialogue permanent qui va jusqu’à l’échange des rôles :
Es raisons et inventions que je transplante en mon solage et confons aux miennes, j’ay à escient ommis parfois d’en marquer l’autheur. […] Je veux qu’il donnent une nazarde à Plutarque sur mon nez, et qu’ils s’eschaudent à injurier Seneque en moy87.
La verité et la raison sont communes à un chacun, et ne sont non plus à qui les a dites premierement, qu’à qui les dict apres. Ce n’est non plus Platon que selon moy, puis que luy et moi l’entendons et voyons de mesme88.
69Le dessein, d’autre part, dont procèdent les Essais – l’essai du jugement89 – est un dessein étranger au discours ordinaire qui apparente le discours de l’essai à celui du savoir. La prévalence précédemment observée du mode d’énonciation aléthique dans le discours de l’essai ne procède pas seulement d’une nécessité logico-linguistique : elle traduit le dessein « zététique » qui sous-tend et dynamise ce discours. Ce qui différencie la vérité à laquelle tend ce dernier de celle à laquelle prétendent les discours « savants » – différence capitale – est qu’elle n’a d’autre garant que l’effort déployé et la ténacité manifestée pour l’atteindre, avec pour contrepartie, comme l’a montré Olivier Guerrier90, la coopération du lecteur.
Philippe de Lajarte
1 A. Tournon, Montaigne en toutes lettres, Paris, Bordas, 1989, p. 87.
2 A. Tournon, Montaigne. La glose et l’essai, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1983, p. 253.
3 J.-Y. Pouilloux, lire les « essais » de Montaigne, Paris, François Maspero, 1969 ; Montaigne et l’éveil de la pensée, Paris, Honoré Champion, 1995.
4 J.-Y. Pouilloux, op. cit., p. 92 (mots soulignés par l’auteur). Rejoignant par certains côtés celle de J.-Y. Pouilloux, la représentation qu’A. Tournon donne de la modification épistémologique intervenue dans l’essai montaignien – représentation qui, au lieu du concept logique de « forme de parole », convoque celui d’énonciation – me paraît plus pertinente : « Le sens et la véracité du texte sont transférés de l’énoncé à l’énonciation, des maximes et constats accumulés aux opérations secondes d’examen critique, de remaniement, de réflexion par lesquelles s’effectue l’intervention personnelle de Montaigne. » (A. Tournon, op. cit., p. 256).
5 F. Brahami, Le scepticisme de Montaigne, Paris, Presses Universitaires de France, 1997.
6 O. Guerrier, Rencontre et Reconnaissance. Les Essais ou le jeu du hasard et de la vérité, Paris, Classiques Garnier, 2016.
7 F. Brahami, op. cit., p. 70, 76 et 104.
8 Ibid., p. 107.
9 O. Guerrier, op. cit., p. 178.
10 Ibid., p. 152.
11 Les pages du dernier ouvrage de J.-Y. Pouilloux consacrées à Montaigne mettent plus nettement que ne l’avaient fait ses deux premiers livres l’accent sur le rapport que l’essai montaignien entretient avec la conscience du sujet écrivant et la mobilité de ses états : « La phrase de Montaigne va tenter d’épouser les diverses divagations de son esprit (“comme un cheval échappé”, dit-il) tout en conservant l’orientation de son souci, souci de fidélité à soi, fidélité à l’humeur vagabonde d’un individu en proie aux fluctuations des événements, aux variations d’humeur (un corps au pied, un assombrissement de la lumière), mais toujours constant dans son engagement à enregistrer (“contrerolle”) avec la plus grande exactitude possible, au jour le jour, les inflexions d’un être de parole face aux événements infiniment divers du monde dans lequel nous sommes pris » (« Montaigne : ‘L’arrêt’ ou la renaissance de la pensée », L’art et la formule, Paris, Gallimard, L’Infini, 2016, p. 165).
12 O. Guerrier, op. cit., p. 15.
13 Ibid., p. 15-16.
14 Livre II, chapitre vi, p. 378-379 (éd. Villey-Saulnier).
15 Livre I, chapitre l, p. 301.
16 La liste de ces interprètes est donnée par J.-Y. Pouilloux dans Montaigne et l’éveil de la pensée.
17 Livre II, chapitre x, p. 407 et 409.
18 Livre I, chapitre xxvi, p. 148.
19 Livre III, chapitre xi, p. 1033.
20 Livre III, chapitre ix, p. 994.
21 Livre I, chapitre l, p. 302.
22 Livre III, chapitre v, p. 876.
23 Livre I, chapitre xxviii, p. 183.
24 Livre I, chapitre x, p. 40.
25 Livre II, chapitre xvii, p. 654.
26 Livre III, chapitre ii, p. 805.
27 Livre II, chapitre i, p. 335.
28 Livre I, chapitre xxvii, p. 182.
29 Livre II, chapitre xii, p. 563.
30 Ibid., p. 560.
31 Livre III, chapitre xiii, p. 1074.
32 Livre I, chapitre l, p. 301.
33 Livre II, chapitre xvii, p. 658.
34 Livre I, chapitre xlix, p. 297.
35 Livre I, chapitre xxiii, p. 117.
36 Livre I, chapitre xxvi, p. 152.
37 Ma lecture des deux passages cités ci-après diffère de celle qu’en fait Olivier Guerrier. Cf. O. Guerrier, op. cit., p. 152-154.
38 Livre I, chapitre viii, p. 33.
39 Livre II, chapitre xviii, p. 665.
40 Livre II, chapitre xii, p. 556-557.
41 Ibid., p. 562.
42 Ibid., p. 575.
43 Voir sur ce point, notamment, le dernier chapitre du Montaigne (« La conscience littéraire de Montaigne ») de H. Friedrich (Paris, Gallimard, 1967, Bibliothèque des Idées,, et, dans le Précis de Littérature française du xvie siècle (Paris, Presses Universitaires de France, 1991), le chapitre iii (« Formes discursives »), en particulier la troisième section de ce chapitre intitulée « Les formes du commentaire ».
44 Transmise au cours du Moyen Age par la tradition manuscrite mais restée longtemps dans l’ombre, cette œuvre de vingt livres éditée pour la première fois en 1469 à Rome chez les imprimeurs allemands Konrad Sweynheym et Arnold Pannartz a connu à la Renaissance l’apogée de sa fortune, ayant fourni leur modèle à nombre d’écrits humanistes comme les Lectiones antiquae de Caelius Rhodiginus et les Miscellanea d’Ange Politien. Des œuvres comme les Adages et les Colloques d’Érasme font elles aussi partie de cette grande famille d’écrits caractérisée par l’ordo fortuitus et la disparitas rerum. S’y rattachent également, au siècle suivant, la plupart des écrits dont sont constituées les Œuvres de Saint-Évremond (voir mon article « Saint-Évremond et Montaigne : l’écriture de l’essai », Saint-Évremond entre Baroque et Lumières, Actes du Colloque de Cerisy-la-Salle, 1998, Caen, Presses Universitaires de Caen, 2000, p. 213-239).
45 « Facta igitur est in his quoque commentariis eadem rerum disparitas, quae fuit in illis annotationibus pristinis : quas breviter et indigeste et incondite eruditionibus lectionibusque variis feceramus. » (Aulu-Gelle, Préface des Nuits Attiques).
46 Livre I, chapitre l, p. 302.
47 Livre III, chapitre v, p. 876.
48 Livre III, chapitre ix, p. 963.
49 A. Tournon, op. cit., p. 256.
50 Livre I, chapitre xxviii, p. 183.
51 « D’avoir reconnu que la somme du savoir n’est rien, produit que les distinctions seules conservent une légitimité, introduisant des discriminations dans les matières de connaître ou d’être, discriminations logiques – donc intellectuelles, dans des attitudes de pensée – donc intellectuelles. » (J.-Y. Pouilloux, op. cit., p. 93).
52 J.-Y. Pouilloux, op. cit., p. 95-96. Je n’ignore pas le risque d’imposture que l’on court à faire parler les morts. Au vu, cependant, de son itinéraire intellectuel (dont on trouve un aboutissement dans son dernier ouvrage L’art et la formule (Gallimard, L’Infini, 2016), il est permis de penser que Jean-Yves Pouilloux (qui déjà, dans son Montaigne, L’éveil de la pensée, reconnaissait que « Moi alors et moi aujourd’hui sommes bien deux ») n’aurait plus aujourd’hui donné de l’écriture des Essais la même analyse que celle que l’on trouve dans ces lignes du Lire les « essais » de Montaigne paru chez Maspero en 1969 et reproduites telles quelles en 1995 dans Montaigne et l’éveil de la pensée– analyse fortement marquée par la prégnance exercée sur nombre d’esprits, et non des moins brillants, dans les années 1960, par la pensée althussérienne et son principe central, l’opposition entre « science » et « idéologie ».
53 « L’irrégularité est la marque distinctive des Essais. » (A. Tournon, op. cit., p. 8).
54 « De tous les corps ensemble on ne saurait en faire réussir une petite pensée. Cela est impossible et d’un autre ordre. De tous les corps et esprits on n’en saurait tirer un mouvement de vraie charité, cela est impossible, et d’un autre ordre surnaturel. » (Pascal, Pensées, Présentation de L. Lafuma, Paris, Le Seuil, 1966, L’Intégrale, 308-793, p. 540).
55 « Rien suivant la seule raison n’est juste de soi, tout branle avec le temps. La coutume (est) toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue. C’est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramènera à son principe l’anéantit. Rien n’est si fautif que ces lois qui redressent les fautes. Qui leur obéit parce qu’elles sont justes, obéit à la justice qu’il imagine, mais non à l’essence de la loi. Elle est toute ramassée en soi. Elle est la loi et rien davantage. » (Pascal, op. cit., 60-294, p. 507).
56 « Les silences du premier Livre », Montaigne. Études sur le Livre I des Essais, Seconde Journée d’Études du xvie siècle, Université de Nice-Sophia Antipolis, 1993 ; « “Route par ailleurs”. Regards sur Renaissance, Humanisme, Réforme : des traboules lyonnaises aux inflexions des Essais », Réforme, Humanisme, Renaissance, 60, juin 2005, p. 63-65.
57 Voir le premier article cité dans la note précédente, p. 52.
58 « Retombons à nos coches » (Livre III, chapitre vi, p. 915) : précisément, les habitants du Pérou n’en utilisaient pas !
59 Il est significatif que ce chapitre – l’une des illustrations les plus caractéristiques du « désordre » des Essais – ne figure pas parmi ceux commentés ou analysés dans le Montaigne. La glose et l’essai d’A. Tournon, ce dernier s’étant essentiellement intéressé, dans son étude, aux aspects spécifiquement intellectuels du « désordre » dans les Essais.
60 Livre II, chapitre x, p. 409.
61 Livre III, chapitre ix, p. 994.
62 On peut s’étonner que J.-Y Pouilloux récuse la lecture « poétique » données par les analystes de certains chapitres des Essais, quand lui-même reconnaît que cette lecture « prend en considération les revendications explicites de Montaigne concernant l’allure poétique “à sauts et à gambades” » (J.-Y. Pouilloux, op. cit., p. 48). À la question qu’il énonce à titre d’objection (p. 49) : « est-il de la matière de l’essai de créer une poésie ? », il convient de répondre : oui, dans une certaine mesure.
63 Livre III, chapitre ix, p. 994.
64 Ibid., p. 994.
65 Livre III, chapitre v, p. 876.
66 « Je jette le plus souvent la plume au vent, comme on dict, et m’abandonne à la mercy de la fortune : une bien legere inclination et circonstance m’emporte. » (Livre II, chapitre xvii, p. 654).
67 Un propos comme celui-ci : « En ces vanitez mesmes nous descouvrons combien ces siecles estoyent fertiles d’autres espris que ne sont les nostres. » (Des coches, Livre III, p. 907) fait écho à celui-là : « Je veux icy entasser aucunes façons anciennes que j’ay en memoire […], afin qu’ayant en l’imagination cette continuelle varition de choses humaines, nous en ayons le jugement plus esclaircy et plus ferme. » (Des coutumes anciennes, Livre I, p. 297).
68 Livre III, chapitre v, p. 876.
69 Livre I, chapitre xxiv, p. 127.
70 Livre III, chapitre xi, p. 1033.
71 Cf. supra, p. 7, 8 et 9.
72 Livre II, p. 527.
73 « Et si j’eusse eu à dresser des enfans, je leur eusse tant mis en la bouche cette façon de répondre enquêtante, non résolutive : Qu’est-ce à dire ? je ne l’entends pas ; il pourrait être : est-il vrai ? qu’ils eussent plutôt gardé la forme d’apprentis à soixante ans, que de représenter les docteurs à dix ans : comme ils font. » (Livre III, chapitre xi, p. 1600).
74 « La langue, comme toute performance de langage, n’est ni réactionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. » (R. Barthes, Leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France, 7 janvier 1977).
75 A. Berendonner, Éléments de pragmatique linguistique, Paris, Les Éditions de Minuit, 1981, p. 66 et 67.
76 Livre II, chapitre ii, p. 339.
77 Livre I, chapitre xxvi, p. 148.
78 « La fonction dite “expressive” ou émotive, centrée sur le destinateur, vise à une expression directe de l’attitude du sujet à l’égard de ce dont il parle. » (Roman Jakobson, Problèmes de linguistique générale, Paris, Les Éditions de Minuit, 1963, chapitre xi, p. 214).
79 Comme dans la phrase : « Quelle bonté est-ce, que je voyais hier en crédit, et demain plus, et que le trajet d’une rivière faict crime ? Quelle vérité que ces montagnes bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au delà ? » (Livre II, chapitre xii, p. 579).
80 Comme dans la phrase : « Voulez-vous un homme sain, le voulez-vous réglé, et en ferme et sûre posture ? affublez le de ténèbres, d’oisiveté et de pesanteur. » (Livre II, chapitre xii, p. 492).
81 Rares y sont les énoncés de modalité épistémique (pourtant plus congruents à la doctrine pyrrhonienne que les énoncés de modalité aléthique) comme ceux-ci : « Il me semble que la vertu est chose autre, et plus noble, que les inclinations à la bonté qui naissent en nous. » (II, XI, p. 422). – « Je ne pense point qu’il y ait tant de malheur en nous, comme il y a de vanité, ny tant de malice comme de sotise. » (I, L, p. 303). Plus rares encore les énoncés de modalité déontique comme ceux-ci : « Il ne nous faut pas laisser emporter si entiers, aux alterations naturelles, que d’en abastardir nostre jugement. » (III, II, p. 815). – « Il se faut reserver une arriereboutique, toute nostre, toute franche, en laquelle nous establissons notre vraye liberté et principale retraicte et solitude. » (I, XXXIX, p. 241).
82 Voir M. Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, Bibliothèque des Sciences Humaines.
83 Comme l’a montré la philosophie « analytique » du langage. Voir notamment J.-L. Austin, Quand dire, c’est faire, Paris, Le Seuil, 1970, L’ordre philosophique (pour la traduction française).
84 Livre II, chapitre xii, p. 448.
85 Cf. supra, p. 7.
86 Livre II, chapitre x, p. 407.
87 Livre II, chapitre x, p. 408.
88 Livre I, chapitre xxvi, p. 152.
89 « Le jugement est un util à tous subjects, et se mesle à tout. A cette cause, aux essais que j’en fay ici, j’y employe toute sorte d’occasion. » (Livre I, chapitre l, p. 301).
90 Voir O. Guerrier, op. cit., Quatrième partie.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-10647-0
- EAN: 9782406106470
- ISSN: 2261-897X
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10647-0.p.0039
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 05-18-2020
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Pyrrhonism, (the writing of the) Essais, Montaigne studies, skeptical judgement