La « diversion » dans les Essais de Montaigne Sagesse et persuasion oblique
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
2016 – 2, n° 64. varia - Auteur : Gomez de Araújo (Sergio Xavier)
- Pages : 87 à 102
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
La « diversion »
dans les Essais de Montaigne
Sagesse et persuasion oblique
Montaigne nous présente la « diversion » dans le chapitre du même nom – le quatrième du troisième volume des Essais – comme un mode de consolation. Il nous raconte qu’il l’avait utilisée pour parler à une dame en deuil et il loue l’efficacité de cet expédient par lequel il était parvenu à sécher les larmes de son interlocutrice. Le sujet apparaît dans le contexte d’une réflexion plus générale sur l’inefficacité et les effets nocifs d’une autre méthode de consolation qu’il nous dit avoir abandonnée alors comme inappropriée, à savoir celle de l’« opposition » ou de la « contestation ». Lorsqu’on prétend remédier à cette passion en contredisant les plaintes des dames par les préceptes de la raison : « l’opposition les pique et les engage plus avant à la tristesse ; on exaspere le mal par la jalousie du debat1 ». La validité de cette leçon n’est pas uniquement vérifiable dans ce cas, poursuit-il, mais encore dans des « propos communs », comme par exemple, lorsqu’on s’obstine à défendre une opinion irréfléchie dans une conversation ordinaire car provoqués par une simple « opposition » (III, 4, 830). Pour cette raison, Montaigne avait choisi d’« ayder » et de « favoriser » les pleurs de la dame, en lui témoignant « quelque approbation et excuse » de manière à pouvoir « couler » ensuite par une « facile et insensible inclination » vers les discours « plus fermes et propres ». Ainsi, cette « intelligence », telle qu’il la désigne, avait permis de contourner l’hostilité naturelle de son interlocutrice « vraiement affligée ». Montaigne se compare en cela au médecin2 qui, considérant la résistance du malade à l’opération guéris88seuse, s’approche de lui par des moyens « gracieux, gays et aggreables ». Le consolateur qui, au contraire, se comporte comme un médecin « laid et rechigné », n’obtient jamais un bon résultat : se présentant « d’une entree rude » et imposant ses leçons contre la force des passions, au lieu d’apaiser il finit par l’aiguiser (III, 4, 830).
De fait, en recommandant la « diversion » comme la manière la plus efficace de consoler, Montaigne remet en question le pouvoir intrinsèque des formules héritées, les reléguant au deuxième plan. Comme il nous le dit, après s’être appliqué « un temps » au tourment de la dame, il a renoncé aux « diverses manières que la philosophie prescrit à consoler », par exemple : « Que ce qu’on plaint n’est pas mal […] Que se plaindre n’est action ny juste ny louable » (III, 4, 831). Au bout de l’exorde étant parvenu à se défaire des autorités – de Cléanthe à Chrysippe, des aristotéliciens à Épicure – il décrit et nomme enfin sa stratégie :
declinant tout mollement noz propos et les gauchissant peu à peu aus subjects plus voisins, et puis un peu plus esloingnez, selon qu’elle se prestoit plus à moy, je luy desrobay imperceptiblement cette pensée doulereuse, et la tins en bonne contenance et du tout r’apaisée autant que j’y fus. J’usay de diversion (III, 4, 831).
La « diversion » est ainsi définie proprement dans le domaine de la rhétorique comme une stratégie discursive de persuasion pour travailler les passions, s’inscrivant dans l’importante tradition philosophique et rhétorique des consolations3. L’image du médecin « aggréable » cependant correspond à une survalorisation de l’exordium et de la conciliation avec l’auditeur au détriment de la justesse des préceptes, faisant de la captatio benevolentiae le moment déterminant du discours. En effet, la simulation de condescendance apparaît comme garant fondamental de l’acceptation des « discours plus fermes et propres » par la dame quoique de manière irréfléchie, « imperceptible », par un « détour » vers d’autres objets. Sénèque explique pourtant, dans ses lettres morales, que le sage 89doit transmettre ses leçons afin de fortifier l’intelligence de l’auditeur « malade », de manière à rétablir l’état salutaire et correct de son âme, fondé sur le bon fonctionnement de sa raison – hegemonikon4. De fait, comme nous le verrons, l’éloge du « détour » en face des passions contredit les valeurs morales les plus traditionnellement acceptées à l’époque de Montaigne, liées au l’idéal stoïque de la constantia.
D’ailleurs, tout en s’éloignant des modèles, Montaigne ne cède pas pour autant à la fierté de son discours. Bien au contraire, il ne manque pas de souligner l’insuffisance de celui-ci, limité à « détourner » les passions et ainsi à « plastrer le mal » : « Ceux qui me suyvirent à ce mesme service n’y trouverent aucun amendement, car je n’avois pas porte la coignée aux racines5 ». Dans ce contexte, il semble même opposer la « diversion » aux procédés de la rhétorique et lui refuser le statut d’art, notamment quand il se penche sur lui-même et admet sa propre carence de « fortes et vives raisons » et sa « mauvaise main et infructueuse à persuader ». De ce fait, la « diversion » peut paraître de façon négative dans un premier temps, étroitement articulée à la condition particulière de l’auteur des Essais, auquel il manque, soi-disant, du talent pour persuader. Mais, comme nous le verrons, cette orientation négative sera développée tout au long du texte de façon de plus en plus ambiguë, puisqu’il ne faut pas 90dédaigner le fait qu’elle n’annule point l’éloge de l’efficacité du « détour » en face du plan général de la critique de l’opposition.
Sur le sens de la « diversion »
Remaniement d’élément rhétorique ou expression
de la nature individuelle du « moi » de Montaigne ?
La « diversion » tout compte fait, ne s’inscrit sur le terrain de la rhétorique que pour se démarquer de celui-ci. Ce motif du refus des éléments de l’ars au nom de l’adhésion aux caractéristiques du « moi » traverse les trois volumes de l’œuvre. Ainsi, la « diversion » est souvent comprise par les chercheurs en tant que reflet du bon sens naturel du « moi » et comme une manière improvisée, entièrement émancipée de la tradition. Comme le postule la tendance classique du commentaire représentée notamment par Pierre Villey et par Hugo Friedrich, le choix du « détour » exprimerait l’originalité de la philosophie morale de Montaigne dans les Essais, en tant que « livre consubstantiel à son autheur » (II, 18, 665)6. Cette perspective de lecture a pour horizon premier les desseins de l’autoportrait comme projet qui oriente l’auteur des Essais, celui de peindre son image, selon ses caractères et dispositions particulières : « en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c’est moy que je peins » (Au lecteur). De ce point de vue, le souci de représenter aussi fidèlement que possible sa « personnalité » ou « nature individuelle » irréductible à des modèles et à des règles discursives préétablis dicterait du dehors l’activité littéraire de Montaigne et ses récurrentes manifestations d’hostilité et de mépris envers les artifices de la rhétorique.
Contrairement à ce qu’une compréhension trop littérale du projet de l’autoportrait des Essais pourrait laisser entendre, nous prenons pour point de départ de cette lecture, la voie ouverte par Jean Paul Sermain qui conçoit la « diversion » montaignienne comme art, démontrant combien 91sa description reprend le modèle traditionnel de l’insinuatio rhétorique7. De fait, il y a une autre compréhension de la nature de l’autoportrait sous-jacente à notre lecture. Il est pris ici comme construction discursive, ou, plus exactement, comme un ethos, donné dans le domaine rhétorique de l’inventio8. De notre point de vue en choisissant la stratégie du « détour », Montaigne ne serait pas en train de se débarrasser des préceptes anciens mais, au contraire, d’intégrer à son écriture le dispositif de l’insinuatio pour forger sa « forme maitresse » (III, 2, 811). L’approche de Villey et aussi celle de Friedrich, liant la « diversion » à la voix du « moi » individuel et autonome de Montaigne – compris comme une donnée empirique et extérieure au travail de l’écriture – nous semble victime d’un certain anachronisme, se rapprochant trop du paradigme moderne de la subjectivité fondatrice.
Ainsi, l’approche que nous exposons ici présente la « diversion » comprise en premier lieu comme matière de persuasion, construite dans le domaine des techniques du discours. Sur le point essentiel, qui concerne les motivations et les effets de l’insinuatio et des autres éléments qui lui ressemblent dans l’essai III, 4, il faudrait souligner que nous nous éloignons considérablement de la perspective rhétorique adoptée par Sermain. D’après ce dernier, l’essai partirait dans l’exorde d’une appréhension essentiellement négative du « phénomène rhétorique » à travers lequel Montaigne viserait nous mener vers une « analyse psychologique » de la vie intérieure, révélatrice de la « faiblesse affective et intellectuelle du sujet ». Dans cette perspective, le sens de la « diversion » ne serait donc pas sur le plan éthique du bon ou du mauvais usage que l’on pourrait faire de ce mécanisme en tant que sagesse, mais illustrerait une condition nécessairement faible de l’homme, provoquant l’érosion de l’idée moderne de la subjectivité9.
92Par-delà des lectures suggérées par les commentateurs cités ci-dessus, nous nous efforcerons de comprendre le discours de Montaigne ancré dans son ambiance culturelle et philosophique, éminemment rhétorique, éthique et politique : c’est-à-dire, celle de l’humanisme de la Renaissance. Nous essaierons de comprendre les matériaux – tels que les digressions, les topiques, les récits, les métaphores – à partir desquels il développe son essai comme arguments du point de vue de l’idéal rhétorique de l’abondance – copia – qui, comme le remarque Cicéron, permet à l’orateur de s’éloigner des circonstances spécifiques de personne et de temps pour traiter sa cause en ce qu’elle peut comporter de plus général10.
Du Consilium à l’Insinuatio
L’image du consolateur qui ressort dès les premiers paragraphes de ce chapitre s’approche moins de l’idée moderne de l’individu et de son bon sens qu’elle n’incorpore certaines qualités de l’homme de prudentia ancien et de l’orator perfectus. La déclaration de son inaptitude en tant qu’orateur participe au processus de constitution de la figure du « moi » comme exemple et preuve fondamentale de la justesse de sa cause. Agissant de la sorte, Montaigne cherche justement à nous persuader de son honnêteté et de sa modestie, recevant la confiance – fides – de son lecteur. En dépréciant ses forces, la première image qu’il donne de lui-même, en tant qu’un homme qui emploie la « diversion », l’éloigne immédiatement de tout soupçon de présomption par excès de confiance – fiducia – et d’assurance qui, d’après Quintilien, dispose toujours mal les juges : « Cacher l’art est même le summum de l’art11 ».
93Le choix du « détour » est motivé par le consilium, qui est, selon Quintilien, l’une des plus grandes capacités à distinguer l’orator perfectus12. Comme nous le dit le philosophe, la perception du moment où il devient nécessaire de se diriger aux juges de manière indirecte – averso – rompant avec l’ordre ordinaire du discours établi par les manuels pour se tourner vers des figures de pensée et de mots, est un signe de l’altissima prudentia et du praesentissimo consilio de la part de l’orateur13. Quintilien recommande l’utilisation de cet artifice pour l’exorde des situations où l’on ne peut postuler de manière directe, par le biais de raisons explicites, de la bienveillance et de l’attention des auditeurs. L’insinuatio est ainsi définie comme une manière oblique de persuader, en « détournant » de la cause vers les circonstances particulières, étrangères à la cause même, parce que celle-ci ne semble pas « suffisamment honnête » ou parce qu’elle est « condamnable » ou « peu approuvée par les hommes14 ». Car ce sont les causes qui excitent la haine ou incitent la pitié : par exemple quand un patron fait appel contre un client ou un père contre un fils, ou si l’opposant est un vieillard, un aveugle ou un enfant15. Autrement dit, ce sont les causes plaidées contre la doxa, celles qui n’ont point d’appui auprès de l’opinion générale, pouvant provoquer l’hostilité et la résistance de l’auditoire16. L’insinuatio permet que l’orateur puisse s’introduire « subrepticement dans l’âme » – subre patanimis17 – de ses auditeurs ou comme le dit l’Ad Herennium – le plus ancien manuel latin de rhétorique qui nous soit parvenu – afin de pouvoir persuader « implicitement, par dissimulation » – occulte par dissimulationem18.
À la façon de l’insinuatio, la « diversion » ne reflète pas vraiment le manque d’ars de Montaigne, au contraire, elle est le résultat d’un effort plus grand de l’ars pour s’adapter aux circonstances les plus adverses à son application. L’emploi du « détour », en tant qu’action délibérée après réflexion et calcul, met en évidence davantage le consilium et la capacité de discernement de Montaigne en tant qu’orateur capable d’identifier 94ce qui est « convenant » et « avantageux » à la situation particulière du deuil19. Adoptant cette stratégie, pourtant Montaigne la réinterprète, en lui attribuant des implications plus vastes qui vont bien au-delà des classifications traditionnelles. Tout compte fait, la « diversion » ne reflète pas uniquement les cas éventuels et déterminés où la cause proprement dite n’est pas suffisante pour atteindre la persuasion. Elle s’appuie aussi sur une preuve plus générale qui démontre la faiblesse constitutive de l’« opposition » dans la vie pratique et quotidienne, comme expérience partagée par tous dans des « propos communs ». De ce point de vue, la présentation péjorative de la « diversion » est déjà suffisamment ambivalente pour montrer le chemin de son inversion : si elle n’est pas capable de guérir le mal, au moins elle procède autrement de l’« opposition », en atténuant les passions au lieu d’aiguiser ses excès.
De cette façon, préconisant le « détour » Montaigne met en valeur une autre idée de sagesse, fondée sur la conscience des limites de la raison face à l’extension du pouvoir des passions et de leurs conséquences les plus destructrices sur l’âme et les affaires humaines. Il s’agit d’une idée plus modeste de sagesse, de nature nettement défensive, qui mesure de près la dynamique des affects, liée aux qualités de la cautio et de la circumspectio qui sont des parties de la prudentia20. Mais telle n’est pas l’idée reçue et exemplaire à propos de la sagesse partagée par la doxa en vigueur à cette époque. En la louant, Montaigne se met lui-même dans la condition d’un écrivain confronté à des situations similaires à celles énumérées ci-dessus. En effet, les traités pédagogiques, qui prolifèrent alors, nous montrent combien les modèles de la constantia stoïcienne séduisaient ces auteurs là et comment ils orientaient leur réflexion morale. De Sadolet à Guillaume Budé, l’éducation laïque chez les anciens est valorisée en tant que moyen d’instruire l’esprit à chercher à l’intérieur de soi-même la force supérieure et inépuisable de sa raison qui triomphe, souveraine, sur les sensibilités étant inébranlable malgré les caprices et les revers de la fortune21. De la perspective d’un idéal si élevé, incarné par des héros moraux comme Socrate, Pythagore, Caton et Cicéron, la « diversion » ne peut être considérée que comme une marque catégorique de mollesse, 95d’indolence et de lâcheté. C’est contre cette vision endoxale, en y répondant, que Montaigne construit son argumentation, cherchant ses moyens parmi les procédés classiques de l’insinuatio.
C’est avant tout dans sa propre écriture qu’il illustre la valeur supérieure de cette sagesse, en la prenant comme une stratégie argumentative déterminante, comme un élément essentiel à la constitution de son ethos. Ainsi, suite à son introduction au sujet, dans laquelle il fait appel à son expérience personnelle en tant que consolateur, il avance du particulier au général, dépassant progressivement le discours de la sphère privée vers celle des « diversions publiques ». Il nous renvoie hors de l’essai lui-même au chapitre 23, « De mauvais moyens employez à bonne fin », du deuxième volume, qui montre combien les histoires sont pleines d’exempla d’utilisation de cet expédient parmi les anciens et les modernes, comme une ressource contre l’éclosion de guerres civiles, permettant de détourner les forces qui les poussent vers une guerre extérieure. De manière significative, dans cet autre contexte, politique et militaire, la « diversion » devient une marque de l’intelligence stratégique des grands hommes d’action engagés dans la protection de leurs états. L’essai III, 4 diversifie cette idée en la déployant et la renforçant par d’autres exempla et récits. C’est de cette façon qu’opère ici le mode de l’insinuatio, par lequel les images nous présentent, en d’autres plans, littéraux et concrets, l’utilité de la « diversion » afin de conduire les chemins de la fortune en notre faveur. Elles fonctionnent comme « comparaison » – collectione – ou « nouveauté » – novitate – exprimant une ressemblance – similitudine22 –, offrant une « petite volupté » – petita iudicis voluptas23 – pour stimuler le jugement.
Après cette série d’exempla, Montaigne revient à son sujet ajoutant une remarque selon laquelle les hommes ont l’habitude de se défendre des maux de l’âme en employant le « détour ». Il s’agit même, comme il le déclare, de « la plus ordinaire recepte » contre le joug des passions : « on ne luy en faict ny soustenir ny rabatre l’ateinte, on luy faict decliner et gauchir » (III, 4, 833).
96La digression sur la mort
À ce stade donc, le sens positif de la « diversion » est déjà loin de se limiter au plan privé de la faiblesse que l’auteur des Essais s’attribue. Néanmoins il faut encore démontrer la légitimité d’une sagesse qui ne s’oriente pas vers les plus grands et extraordinaires modèles de l’Antiquité. En d’autres termes il faut élucider en quoi l’acte de prendre le comportement ordinaire des hommes pour règle de conduite peut être interprété comme une sagesse et non pas, justement, comme un signe de complaisance excessive par rapport à l’incapacité humaine. Le « détour » du texte vers le problème de la mort se produit ensuite bien à propos en tant que « digression » – egressio. En élevant le discours à un plan universel, Montaigne proclame l’insuffisance de nos capacités à faire face à la réalité de la mort et nous invite à la modestie, rendant évidente la distance incommensurable existante entre nous et les dits « esprits de première classe ».
La digressio ou egressio est définie par Cicéron dans son De Inventione comme insertion de tout un développement étranger en principe à la question principale du discours, mais qui la déploie et l’amplifie, fonctionnant comme un mode de confirmation – confirmatio – de sa propre position, ou alors de réfutation – refutatio – de celle de l’adversaire24. En effet, ce dispositif reproduit la structure de l’insinuatio. Quintilien comprend l’egressio comme une sorte de second exorde pour nous réconcilier avec les auditeurs, puisque nous devons nous assurer toujours de leur attention et de leur bienveillance, surtout lorsque notre cause présente des aspects défavorables. Pour rompre avec la logique du plaidoyer l’egressio est parfois assez utile à la persuasion et, pour cette raison, Quintilien admet son utilisation dans les situations les plus variables sans lui réserver de partie spécifique du discours : l’egressio pourra convenir à n’importe quel moment25.
En écrivant sur la mort, Montaigne commence effectivement à parler d’autre chose, en faisant surgir la « diversion » sous une perspective bien différente de celle que nous avons comprise jusqu’à présent. D’art 97ou d’action réfléchie et délibérée sur autrui, elle devient portrait d’une condition nécessaire, et presque universelle de l’homme, intériorisée en chacun comme mouvement subi inconsciemment26. D’après Montaigne, c’est parce que nous ressentons un si grand effroi devant l’idée de la mort que nous sommes poussés à « divertir » cette pensée vers d’autres objets. C’est aux esprits de « premiere classe » que revient l’autre leçon « trop haute et trop difficile », « de s’arrester purement à la chose, la considerer, la juger », « Il apartient », continue Montaigne, « à un seul Socrates d’accointer la mort d’un visage ordinaire » (III, 4, 834).
Par opposition à l’exemple solitaire de Socrate, le texte met l’accent sur l’insuffisance de la raison et de la volonté humaine : « ils courent, ils visent à un estre nouveau » (III, 4, 834). Même des modèles célèbres de bravoure de l’Antiquité tels que Xénophon et Épaminondas, ou de sagesse, tel Épicure, n’échappent pas non plus au portrait véhément de la vanité humaine, qui émerge dans ce point de l’essai, « divertis » eux aussi en face de la mort vers d’autres choses, valeurs, croyances ou systèmes.
Or Montaigne ne s’attarde pas sur de plus grandes considérations à propos de la vanité humaine et ses causes profondes. L’enjeu est de savoir de quelle manière cette image peut contribuer, en tant qu’argument, à l’amplification de sa cause et pour lui donner plus de vraisemblance27. Dans cette perspective, le mécanisme de la « diversion », proposé comme portrait de la condition humaine, est important dans le texte parce qu’il est le fondement d’une sagesse bien plus efficace, caractérisée par la vertu de la modestia, consciemment appropriée aux limites de nos capacités et dispositions. En effet, Montaigne place son essai sur la voie du « détour » comme une stratégie délibérée dont l’efficacité dépend de la manière dont elle manipule une sorte de loi de la vie intérieure qui nous comprend tous. L’idée du détour en tant qu’objet de choix libre et réfléchi – qui est le propre présupposé de l’agir éthique – s’intensifie alors dans le texte, comme nous le verrons, et s’affirme d’un ton plus positif après la réflexion sur la mort28.
98Diversion comme sagesse
La réflexion sur la mort remplit bien la fonction réservée à l’egressio par les anciens, comme l’une des figures de pensée – sententiarum ornamenta – que, d’après Cicéron, Démosthène utilisait pour élaborer et éclaircir ses pensées – illuminare sententias. Dans ce sens, elle doit s’articuler de façon si cohérente et étroite à la cause principale qu’elle semble former avec celle-ci une unité organique29. En fait, Montaigne reprend le même contexte que celui du début de l’essai de façon plus persuasive, en nous racontant comment il avait utilisé la diversion pour conseiller un « jeune prince » pris par la passion de la vengeance. D’après lui, il n’avait pas même considéré la possibilité du combat frontal avec des préceptes de la charitas chrétienne ou des « tragiques evenements » de la poésie païenne. Soulignant plutôt la force de cette passion sur les hommes, « de grande impression et naturelle », il a délibérément « diverti » la vengeance : « Je la laissay là et m’amusay à luy faire gouster la beauté d’une image contraire : l’honneur, la faveur, la bien veillance qu’il acquerroit par clemence et bonté. Je l’ay destournay à l’ambition » (III, 4, 835).
En détournant le désir de vengeance vers la « beauté d’une image contraire », il semble travailler à la manière de la thérapie aristotélicienne de la régulation des excès des passions en les conduisant vers l’extrême opposé30. Néanmoins, cette sagesse ne signale pas tant le souci de chercher la modération que celui de laisser intacte la vigueur 99de la passion pour s’en approprier et transformer celle-ci en élan pour des actes vertueux. En reconduisant le prince vers l’ardeur de l’ambition du renom, Montaigne installe un lieu commun important, consolidant son ethos d’homme de prudentia. Dans son célèbre discours en défense de M. Clodius Marcellus, Cicéron, lui aussi, exhortait César à la clementia, en la présentant comme l’une des qualités les plus distinctives des grands chefs d’état et le fondement de la plus solide de la célébrité31.
L’affirmation de la valeur thérapeutique du détour gagne à présent plus de poids, appliquée ainsi au domaine supérieur de la politique. De fait, le texte assume désormais un mode plus sentencieux. Montaigne nous interpelle ensuite directement pour nous prescrire le détour contre les excès de l’amour, à la manière du conseiller et du directeur de conscience : « de peur qu’il ne vous gourmande et tyrannise, affoiblissez le, sejournez le, en le divisant et divertissant » (III, 4, 835). Il rappelle encore le moyen qu’il avait employé, et qui l’avait sauvé de succomber à la puissante douleur qui s’était emparée de lui lors du décès de son grand ami, Étienne de La Boétie. Il avait alors reconnu l’insuffisance de ses forces et, ayant besoin d’une « vehemente diversion » pour se distraire de la souffrance du deuil, s’était rendu amoureux « par art et estude », se détournant avec la même vigueur de la douleur vers son opposé, le plaisir. Comme il nous le fait vite savoir, ce cas n’est qu’un exemple extrême d’habitude déjà consolidée face à toutes les autres « aigres imaginations » :
Par tout ailleurs de mesme : une aigre imagination me tient ; je trouve plus court, que de la dompter, la changer ; je luy en substitue, si je ne puis une contraire, au moins un’autre. Tousjours la variation soulage, dissout et dissipe. Si je ne puis la combatre, je luyeschape, et en la fuyant je fourvoye, je ruse : muant de lieu, d’occupation, de compaignie, je me sauve dans la presse d’autres amusemens et pensées, où elle perd ma trace et m’esgare (III, 4, 836).
Montaigne met ainsi au centre de l’essai cet autoportrait en tant qu’ethos marqué par la disposition – hexis32 – de « se divertir », en se constituant lui-même dans ces caractères et mode de vie comme la preuve la plus catégorique de la défense de son argument, vers lequel semble 100converger le discours dans son ensemble. La pratique de la « diversion », assimilée dans ce passage au goût de la variation, met désormais en relief non seulement la modestie et l’honnêteté, mais aussi l’affirmation de la valeur de la liberté d’esprit d’une part, et d’autre part, une disposition profondément étrangère à la tension et à la gravité qui caractérisent l’idéal stoïcien de la constantia. Au lieu de la résistance de l’âme inébranlable du sage, l’autoportrait de Montaigne souligne le caractère incontournable des passions, en décrivant les « aigres imaginations » comme un autre installé à l’intérieur de soi-même, dont il faudrait éviter les assauts afin que le moi ne se perde pas de lui-même.
Dans ce sens, la diversion se renforce en tant que figure d’une prudentia moyenne dans la mesure où sa puissance ordinatrice se retire du plan extérieur du monde et recule vers le domaine intérieur du gouvernement de l’esprit. Elle est réinsérée ainsi d’une autre manière dans la vie intérieure comme un mécanisme employé de manière calculée. Il s’agit d’un effet tout à fait contraire à celui auquel la diversion menait dans le contexte de la réflexion sur la mort. À présent, elle n’est plus un mouvement nécessaire d’aliénation de la propre conscience, bien au contraire, elle permet justement de s’approprier de la raison et de la volonté de l’homme chaque fois que leur intégrité est menacée. En adoptant cette stratégie comme une habitude, Montaigne parvient à usurper aux passions le pouvoir qu’elles ont de l’usurper de soi-même, d’empêcher ainsi la jouissance libre et intégrale de ses facultés et inclinations, qui constitue l’objet même de l’écriture des Essais.
Dans cette même perspective, de la régulation des passions, qui aurait pour but de préserver la santé et l’intégrité du jugement, la « diversion » réapparaît dans d’autres contextes tout au long de l’œuvre. L’idée de « divertir » surgit sous d’autres formes, avec des termes tels que : « destourner », « gauchir » ou « distraire », qui développent le sens étymologique précis par lequel Montaigne mobilise ce mot, c’est-à-dire, non pas dans la conception moderne et stricte de divertissement, mais plutôt comme « action de se détourner » de quelque chose33.
C’est probablement dans l’essai « De l’affection des pères aux enfans », écrit autour de 1580, que le terme apparaît pour la première fois incorporé comme règle pratique de vie. Comme nous l’explique Montaigne, 101il utilise déjà la thérapie du « détour » pour maintenir l’esprit tranquille, à l’abri des excès de soin et de prévoyance dans l’administration de ses biens. En se reconnaissant facilement « pippable », exposé à tout type de trahisons et d’usurpations, il se protège intérieurement en exerçant la « diversion » au lieu de se « ronger la cervelle » (II, 8, 395).
Certains chapitres renforcent l’assimilation de la « diversion » à l’ethos d’une « sagesse moyenne », le motif central de l’essai III, 4 comme nous l’avons démontré jusqu’ici. « De mesnager sa volonté », par exemple, explore le sujet sous la perspective de la vie politique favorisée par le récit de son expérience récente en tant que maire de Bordeaux. Tel qu’il procède en privé contre les passions, il se comporte de même dans la condition d’homme politique afin de préserver la paix et l’ordre dans ses domaines contre les revers de la fortune : il avait concentré tout son discernement et son habileté non pas dans la résistance glorieuse typique des hommes extraordinaires – se reconnaissant comme encore une parmi les « ames communes » – mais, dans l’emploi de son art « à se garder d’en enfiler les causes, et en destournent les advenues » (III, 10, 1014).
L’idée réapparaît aussi, de façon tout à fait significative, plus exactement dans le contexte de la réflexion sur son activité littéraire et sur le style des Essais. Dans « Du Repentir », il nous parle de sa disposition lorsqu’il adhère aux « raisons estrangeres » : s’il les prend à autrui, il ne le fait pas pour se « destourner » de lui-même, mais pour s’y « appuyer », comme pour donner une forme à l’informe (III, 2, 814). Un passage célèbre de « De la vanité » va reprendre à son tour cette idée, en faisant un éloge éloquent de la variatio, comme marque de son écriture et comme la figure distinctive par excellence de la forme personnelle des Essais. Montaigne nous instruit ici de façon suggestive sur la manière par laquelle il doit être lu :
O Dieu, que ces gaillardes escapades, que cette variation a de beauté, et plus lors que plus elle retire au nonchalant et fortuite. C’est l’indiligent lecteur qui pert mon subject, non pas moy ; il s’en trouvera tousjours en un coing quelque mot qui ne laisse pas d’estre bastant, quoy qu’il soit serré. Je vois au change, indiscrettement et tumultuairement. Mon stile et mon esprit vont vagabondant de mesmes (III, 8, 994).
Celui qui serait un « indiligent lecteur » pourrait ne pas s’apercevoir de la richesse d’art que possèdent les variations et les « gaillardes escapades » 102de Montaigne, la manière dont elles sont employées avec calcul, produisant l’air « nonchalant et fortuite » de son style. Suivant le mode de la bonne digressio des anciens, bien que fréquentes, ces digressions ne font jamais perdre de vue le sujet, ni ne nuisent à l’unité et l’efficacité argumentative du discours, au contraire, elles s’y adaptent toujours pleinement, soulignant l’entendement ou le bon sens – iudicium – de Montaigne dans le maniement de ses matériaux34. En outre, dans une utilisation indiscriminée de la digression – sans tenir compte de son utilité pour la cause – l’image du « moi » deviendrait indécente, malséante, expression du vitium condamné par Cicéron et par Quintilien, au service uniquement du désir d’ostentation des propres habiletés35. Ainsi, si le lecteur n’est pas capable de discerner en quoi ces « gaillardes escapades » accomplissent plutôt qu’elles ne perturbent l’unité du discours des Essais, l’image d’ensemble du « moi » de Montaigne – homme de sagesse pratique, « roi incontestable de sa propre matière » – pourrait elle aussi lui échapper.
Sergio Xavier G. de Araujo
Université Federale de São Paulo (UNIFESP), Brésil
1 Les Essais, Paris, PUF – Presses Universitaires de France, 1988, III, 4, p. 830. Toute référence aux Essais sera prise de cette édition et notée entre parenthèses dans le texte ci-dessus.
2 Sur l’analogie proverbiale du philosophe comme médecin des « maladies » de l’âme voir par exemple : Platon, Timée, 86b, Le Sophiste 228d-e, Sénèque, Ad Lucilium Epistulae morales, 2. 22, 28. 99, 38. 1.
3 La tradition des consolations sous les formes les plus variées – discours, lettres, poésie élégiaque, dialogue, exhortation philosophique – possède une longue histoire dans l’Antiquité gréco-romaine. Elle a été largement pratiquée comme un important exercice rhétorique – progymnasmata – pris en général à l’intérieur du genre épidictique. Épicure et, plus tard, Plutarque, Cicéron et Sénèque, parmi tant d’autres, se sont exercé dans les consolations.
4 Sénèque dignifie le bon conseil – paraenesis – comme la tâche la plus importante du philosophe : « Philosophia bonum consilium est. » Il célèbre ainsi Socrate, Platon, Zénon, Cléanthe et Caton comme « maîtres du genre humain » car ils nous ont légué les enseignements les plus sages et les plus élevés qui nous rendent capables d’une pleine progression vers le bien suprême. Sénèque, Ad Lucilium Epistulae morales, Oxford, Oxford University Press, 1965, 38. 1, p. 76. Dans ses Tusculanae, Cicéron nous raconte à son tour comment les grecs distinguaient déjà les discours et les mots les plus adéquats pour combattre les angoisses – aegritudines – qui ravagent la destinée humaine, cherchant à rendre compte avec tout leur art de tous les cas que nous désignons comme malheurs – calamitates. Pour chaque type d’infortune – pauvreté, exil, esclavage, etc. – il énumère alors les mots de réconfort les plus habituellement utilisés et les manières adéquates de proférer un discours. Cicéron, Tusculanas Disputations, Cambridge, Harvard University Press, 2002, 3. 33. 80, p. 322.
5 L’approche de Jean Paul Sermain, dans son étude sur ce chapitre, prend cette insuffisance de la « diversion » comme point de départ en marquant la distinction entre la persuasion rhétorique et la « diversion » car cette dernière n’est capable de produire aucune conversion intérieure aux « discours plus fermes et propres. » Pour cette raison d’après le critique, l’action de « détourner » les affections d’autrui, pour ainsi dire contre la volonté de celui-ci, mettrait en évidence non une idée de sagesse déterminée mais surtout l’aliénation du destinataire et ainsi « la faiblesse et la passivité du moi ». Jean Paul Sermain, « Insinuatio, circumstantia, visio et actio : l’itinéraire rhétorique du chapitre “De la diversion” » Rhétorique de Montaigne. Actes réunis par Frank Lestrigant, Paris, Librairie Honoré Champion, 1985, p. 127-129.
6 Voir sur ce sujet l’introduction de Villey au chapitre iii, 4. Pierre Villey, Les Essais, Paris, PUF – Presses Universitaires de France, 1988, p. 830. Voir aussi Hugo Friedrich, Montaigne, Paris, Gallimard, 1968, p. 290-295.
7 Jean Paul Sermain, op. cit., p. 130-134.
8 Sur le statut artistique de l’ethos voir Aristote, The Art of Rhetoric, London, Loeb Classical Library, 2006, 1. 1356a 1-13, p. 14.
9 L’approche de Sermain s’alignerait ainsi sur les préoccupations caractéristiques qui ont motivé « le retour moderniste de la rhétorique », dissociée par un hiatus temporel de son origine, la rhétorique classique. Si celle-ci consistait proprement en un ensemble de règles et de procédures qui réglait la production du discours persuasif, l’intérêt renouvelé pour cette tradition tout au long du xxe siècle la met comme « champ transdisciplinaire de préoccupation pratique et intellectuelle » commandée par le questionnement des conditions cruciales du monde moderne. Sur ce sujet voir John Bender, « Retoricidade : sobre o retorno modernista da retórica », Neo-retórica e desconstrução, Rio de Janeiro, Eduerj, 1998, p. 29-31.
10 Cicéron, El Orador, Barcelona, Ediciones Alma Mater, S. A. 1967, 15. 46, p. 20.
11 « Sed ipsum istud evitare summae artis ; nam id sine dubio ab omnibus, et quidem optime, praeceptum est », Quintilien, Institution Oratoire, Paris, Librairie Garnier, 1934, 4. 1. 57, p. 28. De fait, quand Montaigne déprécie la rhétorique, il le fait souvent en employant à sa manière ses formulations mêmes, trouvées dans le répertoire classique. Comme l’a déjà bien observé Marc Fumaroli, le style personnel des Essais ne se défait pas tout simplement de la rhétorique, mais « s’appuie sur elle pour mieux la dépasser, l’injuriant pour s’encourager à la vaincre aussi bien que pour faire croire qu’il l’avait déjà vaincue. » Marc Fumaroli, « Introduction », Rhétorique de Montaigne, Actes réunis par Frank Lestrignant, Paris, Librairie Honoré Champion, 1985, p. I.
12 Quintilien, op. cit., 2. 13. 2, p. 232.
13 Ibid., 2. 13. 15, p. 236.
14 « fronscausae non satis honesta est », « quia ressitim proba vel quia hominibus parum probetur », idem, 4. 1. 42, p. 22.
15 Ibid.
16 Sur l`importance fondamentale d’adapter le discours à l’opinion de l’auditoire en tant que principe de la bonne éloquence voir Cicéron, El Orador, 8. 25-26, p. 10-11.
17 Quintilien, op. cit., 4. 1. 42, p. 22.
18 Retórica a Herenio, São Paulo, Hedra Editora, 2005, 1. 11, p. 62.
19 Cicéron, De l`Orateur, Paris, Belles Lettres, 2002, 3. 53, p. 22.
20 Francis Goyet, « Montaigne and the Notion of Prudence », The Cambridge Companion to Montaigne, Cambridge Companions for Philosophy, 2005, p. 133-134.
21 À ce sujet, voir Léontine Zanta, La Renaissance du Stoïcisme au xvie siècle, Paris, H. Champion, 1914.
22 Retórica a Herenio, 1. 10, p. 62.
23 Quintilien, op. cit., 4. 1. 49, p. 24.
24 Cicéron, On Invention, Cambridge, Harvard University Press, 2002, 1. 97, p. 146.
25 Quintilien reconnaît comme egressio tout ce qui est dit hors des cinq parties du discours – exordiun, narratio, confirmatio, refutatio, conclusio. Quintilien, op. cit., 4. 3. 12, p. 96.
26 Dans ce sens d’après Jean Paul Sermain, l’attente de la mort est la situation exemplaire du chapitre faisant de l’insinuatio l’expression de « l’obscurité de la conscience à elle-même », op. cit., p. 129.
27 Cicéron, On Invention, 1. 97, p. 146.
28 Les approches de Pierre Villey et d’Hugo Friedrich se concentrent toutes les deux sur le détour en face de la mort en prenant ce passage comme centre et non pas comme argument sur le plan général de la structure rhétorique de l’essai III, 4. Il y résiderait le pilier de leur entendement de la diversion comme énonciation d’une doctrine morale nouvelle, pénétrée « plus largement de la vie et de l’expérience personnelle ». Villey comprend ainsi l’emploi de cette sagesse pour atténuer les maux de la vie comme « corollaire de l’idée que Montaigne se fait alors de la nature humaine », en tant qu’expression privilégié de sa vanité. L’approche de Friedrich a une teneur métaphysique plus déterminante identifiant la « diversion » au mouvement de la « nature profonde du moi ». Selon l’interprète, en se détournant en lieu d’affronter courageusement la peur de la mort par les préceptes de la philosophie, Montaigne renoncerait à l’affirmation de sa propre raison pour s’abandonner au mouvement intérieur qui agirait au plus intime de son être. En se laissant divertir ainsi, l’auteur des Essais éprouverait un rencontre intérieure avec une « couche pré-volitive de l’âme » qui qui lui serait comme préexistant. Pierre Villey, Les Essais de Montaigne, Paris, Librairie Nizet, 1992, p. 103-114 ; Essais, Paris, PUF – Presses Universitaires de France, 1988, p. 830. Hugo Friedrich, op. cit., p. 292-293.
29 Cicéron, El Orador, 136-137, p. 56.
30 Aristote, Nicomachean Ethics, Oxford University Press, 2002, 2. 9 – 1109a 5, p. 121.
31 Voir sur ce sujet Francis Goyet, Le Sublime du lieu commun, Paris, Honoré Champion Éditeur, 1996, p. 264.
32 Aristote, Nicomachean Ethics, 2. 1 – 1103b 21, p. 112.
33 Jean Mesnard, La Culture du xviie siècle, Paris, PUF – Presses Universitaires de France, 1992, p. 76.
34 La mauvaise digression n’est pas cohérente avec le discours dans son ensemble, y pénétrant comme un corps étranger. Rhétorique à Herennius, 1. 11, p. 62, Quintilien, op. cit., 4. 3. 16, p. 96.
35 Quintilien, ibid., 4. 3. 3, p. 92.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-06632-3
- EAN : 9782406066323
- ISSN : 2261-897X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06632-3.p.0087
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 22/12/2016
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français