Montaigne déclamateur ?
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
2013 – 2, n° 58. varia - Auteur : Boulet (Michaël)
- Pages : 53 à 74
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
Montaigne déclamateur ?
De Montaigne et La Boétie, on a dit beaucoup de choses : l’indéfectible amitié, la place centrale de l’un dans l’œuvre monumentale de l’autre, les origines sociales communes, les similitudes entre les familles, les situations et les parcours, le goût semblable pour les belles lettres, une certaine idée de ce que l’homme se doit à soi-même, etc. Nous voudrions, quant à nous, porter l’attention sur un élément culturel particulier qui les relie encore et qui, d’une certaine manière, relie sans doute aussi leurs œuvres. Les deux hommes furent parlementaires après leur licence de droit. Or les études de droit étaient censées développer l’aisance dans l’art du discours, qu’on se destine au barreau et à l’éloquence judiciaire, au parlement et à l’éloquence délibérative, comme ce fut le cas pour les deux amis, ou encore à la vie de cour et à l’éloquence d’apparat. Parmi les « exercitations » qui renforcent l’agilité mentale, le sens de la construction et l’art de l’élocution, la déclamation occupe, au xvie siècle, une place éminente, comme l’a montré Marc Van der Poel1. De son côté, Jean Lafond a souligné la dimension déclamatoire de la Servitude volontaire2. Il ne s’agit nullement de la déclamation théâtrale telle qu’on la pratiquera à partir du xviie siècle, mais d’une forme assez voisine de la déclamation antique, qui invite l’étudiant à improviser un discours dans une situation fictive, respectant certaines règles fixes, à partir d’un schéma ou d’une situation donnée. Disons d’un mot que, pour les Humanistes, la déclamation est un genre plasmatique, à la fois forme et matière, qui prend souvent l’aspect d’un discours rhétorique fictif, prononcé par un orateur qui ne coïncide pas nécessairement avec l’auteur, dont la thèse est paradoxale et mal démontrée, la construction délibérément maladroite ou incohérente, l’énonciation trouble et certains arguments problématiques, devant un public fictif qui est invité à se faire
un avis – implicitement ou explicitement – sur le sujet manifeste ou sur un des sujets latents de ce discours, parmi lesquels on trouve souvent la contestation d’une autorité intellectuelle, temporelle ou spirituelle3.
Le Discours de la servitude volontaire de La Boétie, dans son ensemble, affiche certains traits distinctifs de la déclamation : flou dans l’énonciation, feinte oralité, enchaînement d’arguments contradictoires ou incompatibles, retours en arrière, digressions, avalanche de citations et d’autorités hétérogènes et divergentes, plan compliqué, changement d’interlocuteur, etc. en sont, en effet, les ingrédients coutumiers. On sait que la déclamation était pratiquée au collège de Guyenne du temps de Gouvéa et que Montaigne y a donc été formé. Sans aller jusqu’à voir dans Les Essais une unique et proliférante déclamation, ni même une compilation de déclamations ponctuelles comme il en existe déjà de fameuses4, on a cherché quelques extraits dont l’éloquence particulière rappelle la déclamation. L’Apologie de Raymond Sebond mérite assurément, par son ampleur même, une étude particulière et nous n’en parlerons pas ici. Nous avons porté notre attention sur deux passages dont la forme et la matière évoquent la déclamation. Les deux, du reste, traitent du pouvoir réel de l’imagination, de son action sur le réel. Le premier est le plaidoyer pour le membre, extrait du chapitre I, 21 « De la force de l’imagination5 » ; le second est « l’éloge de la gravelle », extrait du dernier chapitre III, 13, « De l’expérience ».
Le chapitre « De la force de l’imagination » (I, 21), constitué en grande partie d’exemples de faits extraordinaires ou prodigieux, semble partager certains traits avec les ouvrages qui relèvent de la tradition de la compilation d’exemples dont parle Richard. A. Carr dans son introduction à Marconville6. Cependant, comme l’indique Michel Magnien7, la
plupart de ces exemples sont déjà dans La Philosophie occulte de Corneille Agrippa, lui aussi grand compilateur, qui constitue sans doute également une source majeure de Marconville. Toutefois, cette source – qui semble principale – n’est pas mentionnée par Montaigne : « l’intertexte rhétorique est à la fois marqué et masqué, et la référence est le plus souvent allusive. Comme s’il suffisait de citer telle formule pour que le diligent lecteur reconnaisse aussitôt l’emprunt et sa source. Comme si l’allégation faisait référence à un savoir commun, utilisable par prélèvement sans autre forme de reconnaissance explicite8 ». Gisèle Mathieu-Castellani considère que la formation rhétorique est assez uniforme et générale pour que tout lecteur un peu cultivé retrouve de lui-même la source de la plupart des allusions contenues dans le texte. La référence discrète, allusion à des textes bien connus fondée sur la connivence, ne vise pas ici à égarer le lecteur mais plutôt à le guider, à doubler le texte manifeste d’un arrière-texte latent qui en accroît la densité, qui en épaissit la signification. Point d’obliquité donc, ni d’auteur masqué. Si l’on veut parler de masque, c’est de masques à l’antique qu’on doit parler, non pas qui dissimulent, mais qui révèlent, qui signifient, qui amplifient, et qui supposent une culture commune, une complicité. Le masque n’égare pas, il montre une autre voie d’accès, un autre champ d’application.
Le récit d’histoires étonnantes occupe dans ce chapitre une grande place, tant en étendue qu’en substance, puisqu’il s’agit d’abord de commenter des exemples, de réfléchir à partir d’exemples. La citation, le récit ne viennent pas, ici, illustrer ou faire contrepoint à la méditation qu’ils accompagnent, mais véritablement la structurer et la nourrir : la réflexion prend les exemples mêmes, et les récits, pour objet. Montaigne évoque la puissance de l’imagination à travers les différents effets qu’elle peut avoir sur le corps. Le spectacle de la douleur, de la maladie ou de la folie, frappant l’imagination, peut provoquer la douleur, la maladie ou la folie. La terreur produite par les représentations mentales peut aller jusqu’à causer la mort. Il y a donc un premier effet de “sympathie” entre deux personnes, qui consiste, en quelque sorte, en une altération
du corps sain causée par l’image mentale que le corps sain construit à partir du spectacle du corps malade, ou de la guérison du corps malade par le spectacle du corps sain. Quelque chose qui n’existe pas vient à exister en modifiant quelque chose qui existe. La représentation prend corps dans le corps réel d’un être. Le fantasme, le fantôme, s’incorpore et triomphe du corps où il s’introduit. Ce qui n’existe pas finit par exister davantage que ce qui existe. Le sujet même de Montaigne est donc un paradoxe : une chose insaisissable et immatérielle peut accéder à un mode d’existence supérieur et triomphant. Ce paradoxe pourrait s’adosser à l’eschatologie chrétienne qui stipule la supériorité de l’âme sur le corps, ou sur une conception magique ou mystique de la réalité qui la remplit de démons et d’esprits – on verra qu’il n’en est rien. Un premier type d’altération morbide, qui relie la santé à la maladie et à la mort, conduit Montaigne à en envisager un second, de type érotique. Quelques anecdotes sur l’impuissance momentanée et imprévisible, mais en passe de devenir chronique, illustrent ce deuxième champ de la puissance de l’imagination : l’imagination a la puissance de transformer un homme puissant en impuissant. Il y a, dans les plus fières puissances, une impuissance qui sommeille. Deux anecdotes sont un peu développées : celle de Marie Germain qui, de fille, devint garçon quand elle fit « quelque effort en sautant9 » ; et celle d’un gentilhomme « de qui ie puis respondre, comme de moy mesme10 » sauvé par Montaigne lui-même d’une défaillance sexuelle inhabituelle. Le premier exemple ne relève guère de manière évidente de la perméabilité à l’image mentale. Quant au second, il introduit le développement de deux pages auquel nous allons nous intéresser et qui ressemble à un plaidoyer prononcé par le défenseur du phallus, dans le mauvais procès en faiblesse inexcusable qui lui est fait.
Avant d’en venir à ce plaidoyer, précisons qu’après lui, Montaigne cite encore l’homme au clystère fictif, la femme à la fausse épingle dans la gorge, la jeune fille morte d’avoir cru manger un chat en pâté, puis « les bêtes mêmes » puisqu’un chien peut se laisser mourir de deuil, et le cheval hennir et se débattre en dormant11. On voit se construire une
constellation fantastique : illusion proprement dite, souvenir, rêve. Il poursuit avec la femme Scythe, qui tue d’un seul regard, et termine par une réflexion sur la fonction de l’essai : « Les discours sont à moy12 ». La véracité des exemples cités n’est pas essentielle et chacun peut bien en ajouter, qu’il tirera de sa propre expérience ou des histoires qu’il a entendues. Ce qui est ici visé, c’est l’indubitable capacité des hommes à concevoir des fictions, et l’indubitable efficacité des fictions auxquelles on croit. C’est peut-être pourquoi la véracité des sources n’est pas de grande importance : qu’elles soient vraies ou fausses, les histoires ne sont-elles pas capables de produire des conséquences comme celles que produisent les fictions ? Le récit, fût-il une pure fiction, sert d’embrayeur à une réflexion sur le pouvoir de la fiction, sur le pouvoir bien réel, bien actuel, dont chacun connaît mille exemples – et ce, plus encore depuis les avancées de la psychanalyse qui nous a habitués à ce genre d’observation – de la fiction sur la réalité. Il ne s’agit donc pas de s’ébahir devant une magie incompréhensible de l’invisible, mais bien de scruter, le plus scrupuleusement possible, une série de faits que chacun peut enrichir de sa propre expérience, dans lesquels l’esprit humain montre un étrange pouvoir d’autosuggestion13. Le merveilleux ne réside pas ici dans l’intervention de forces magiques ou mystérieuses mais dans un singulier pouvoir de l’esprit humain sur lui-même. Voilà le décor, on le voit, puissamment orné de grotesques, qui entoure et encadre le discours apologétique du membre. Le texte met en scène le pouvoir de l’autosuggestion et du remède psychosomatique14.
Notre extrait commence par un constat : en effet le pénis peut nous défaillir inopportunément « refusant aueq tant de fierte et d’obstination nos sollicitations et mentales et manueles ».
Si toutesfois en ce que on gourmande sa rebellion et qu’on en tire preuue de sa condemnation, il m’auoit payé pour plaider sa cause : a l’auanture mettrois ie en supçon nos autres membres, ses compaignons, de luy estre alle dresser, par belle enuie de l’importance et douceur de son usage, cette querelle apostee, et auoir par complot arme le monde a l’encontre de luy : le chargeant malignement sul de leur faute commune15.
Voilà la situation d’énonciation. Après avoir évoqué divers exemples d’indocilité sexuelle, Montaigne imagine un tribunal fictif devant lequel des esprits chagrins intenteraient un procès au pénis, au motif qu’il se refuse au service quand la situation l’exige. Le tribunal est donc ici doublement fictif. Il n’existe pas, bien sûr, mais on peut dire plus : il ne peut pas exister. La situation est non seulement inactuelle, mais ridicule. On ne fait pas de procès à un organe16. Montaigne institue donc une fiction radicale pour juger du pouvoir de la fiction. Quels sont les juges de ce tribunal ? Peut-être les mêmes que chez Ménénius17 : les autres membres ; plus probablement ce « on » qui « gourmande sa rebellion » dans lequel le lecteur pourra éventuellement se reconnaître ; peut-être Montaigne lui-même… En tout cas, il s’agit d’une situation clairement judiciaire dans laquelle Montaigne prend explicitement le rôle de l’avocat. Tribunal héroïcomique donc, devant lequel il va prononcer un discours héroïcomique. La dimension bouffonne est encore soulignée par les modalités qui montrent toute l’absurdité de l’hypothèse de départ :
« si toutefois » le pénis me « payait » « pour plaider sa cause », alors « a l’avanture » je mettrais en cause la jalousie des autres membres, jalousie fondée sur les privilèges du pénis, dont l’usage est de tant d’importance et si doux. C’est donc parce qu’il est à la fois très utile et très agréable que les autres organes en sont jaloux. Le procès, reconnaissons-le, est fort peu probable, et a peu de chance de se présenter à Montaigne. On entre de plain-pied dans l’univers des fables qui produit un plaisir de l’imagination, lequel est ici redoublé par la verdeur du propos.
Les fictions qui égarent le pénis, égarent également tous les organes. Telle est la thèse de Montaigne. Le pénis n’est nullement un organe à part, qui aurait ses affections spécifiques. Comme tous les organes il est sujet à des irrégularités, à des fantaisies. Ces organes sont ses « compagnons » – substantif qui conviendrait mieux à l’estomac qu’au sexe. Toutefois, quoique l’orateur les disent « compagnons », il y a entre eux certaines différences, certaine hiérarchie qui fait qu’ils ne sont pas égaux, laquelle inégalité est source de jalousie. Compagnons inégaux, ils se ressemblent pourtant tous sur un point : ils ont chacun « des passions propres », qui les « esueillent et endorment sans nostre congé ». Ce « nostre » est intéressant. « Sans nostre congé » signifie sans doute sans le congé des hommes, ou plus précisément sans le congé de la volonté des hommes. Or Montaigne est un homme : il connaît lui-même ses endormissements inopinés puisqu’il s’inclut dans les rangs de ceux qui en souffrent. Habile manœuvre oratoire qui rend l’avocat proche et familier des victimes, l’un des nôtres, lui aussi frappé par les à-coups de la libido, faible lui aussi, guère donneur de leçons, nullement champion, nullement au-dessus, mais bien avec nous, comme nous dans l’incertitude et éventuellement la crainte. Il en sera de même pour « notre » visage qui nous trahit, pour « notre » cœur quand il bat la chamade sans qu’on le lui demande, pour ‘nos’ cheveux qui se hérissent ou « notre » peau qui frémit « de désir ou de crainte ». Et voici que ces organes nôtres s’éloignent de nous dans une inquiétante autonomie : ce n’est plus notre main mais « la » main qui « se porte souuant où nous ne l’envoions pas ». Le « nous » disparaît tout à fait dans la phrase suivante : « La langue se transit et la uoix se fige a son heure » pour souligner le caractère réfléchi des actions engagées sans notre réflexion. Nous voilà agis par nos membres, dont chacun fait un peu ce qui lui plaît, ou tout au moins sur lesquels notre maîtrise ne s’étend pas constamment ni uniformément. C’est à
cet endroit du plaidoyer, dans ce naufrage de la maîtrise, que l’orateur va quérir Augustin qui parle de :
quelcun qui comandoit a son derriere autant de petz qu’il en uouloit, et que Viues, son glosatur, encherit d’un autre example de son temps, de petz organisez suiuans le ton des uers qu’on leur prononçoit18.
L’autorité de Saint Augustin est ici sollicitée pour évoquer cette magnifique preuve de maîtrise ! Elle est aussitôt soutenue par Vivès, le commentateur de Saint Augustin, qui lui « encherit d’un autre exemple de son temps », mais qui, aux yeux de l’auteur, vient au contraire montrer un défaut de maîtrise. En effet cet exemple « ne suppose non plus pure l’obeissance de ce membre : car en est il ordineremant de plus indiscret et tumultuere ». Il poursuit l’examen des pétomanes par un troisième exemple d’homme ayant eu à subir ce trouble quarante ans, trouble qui le « maine ainsin a la mort19 ».
On a ici, très manifestement deux contre-emplois d’autorités. Le premier sollicite Saint Augustin pour évoquer la (rare) possibilité d’un homme à maîtriser ses entrailles. Or, non seulement cette référence, très irrévérencieuse, relie le saint homme à un sujet pour le moins scabreux, mais encore elle paraît en complète contradiction avec la thèse soutenue qui était que les hommes ne peuvent pas toujours commander à tous les organes. La seconde, pire encore, évoque un homme qui ponctue chaque vers d’un pet de tonalité différente. Là aussi, on s’apprête à applaudir devant tant de virtuosité, de maîtrise et de puissance de la volonté. Mais Montaigne renverse l’exemple en soutenant que tel exemple n’empêche pas « qu’ordinairement » il en va tout autrement. C’est-à-dire qu’il allègue un exemple pour ensuite dire que cet exemple ne prouve rien, et même qu’il peut illustrer le contraire de ce qu’il semble prouver. Du point de vue de la stratégie oratoire, on peut comprendre ces deux exemples comme des concessions ; certes, certains hommes maîtrisent leur anus, mais ce n’est ni le cas de tous les hommes, ni le cas pour
tous les organes. Si ce sont bien des concessions que nous avons là, convenons qu’elles sont bien faibles et ridicules. L’argument d’autorité est renvoyé au statut d’exception, quand l’expérience commune et le bon sens convergent à montrer le contraire. Montaigne s’amuse à imaginer que le seul argument qu’on saurait lui opposer est celui des pétomanes d’Augustin et de Vivès. Il n’a pas cru bon d’aller rechercher d’autres exemples de maîtrise qu’il aurait pu détruire dans sa confirmation. La défense du pénis appelle apparemment sous sa plume la réfutation de l’anus. Les organes donc, quels qu’ils soient, nous manquent et nous échappent souvent. Ils se refusent à obéir à la volonté. Mais il y a pire : la volonté elle-même fait preuve de « rebellion et sedition par son desreglement et desobeissance » :
Veut elle tousiours ce que nous uoudrions qu’elle uousit ? Ne ueut elle pas souuant ce que nous luy prohibons de uouloir : et a nostre euidant domage20 ?
Brillant paradoxe, soutenu d’une antithèse, qui vient pointer, après la commune responsabilité des organes qui se ressemblent dans leur indocilité, une véritable dissemblance de la volonté avec elle-même. Il semble, pour être plus précis, qu’il y ait deux volontés : ce que nous voulons, et ce que nous voudrions vouloir. Ce que nous voulons caractérise très probablement les désirs du corps ; et ce que nous voudrions vouloir, les aspirations de la raison. Les membres sont entre eux jaloux et deux niveaux différents de volonté s’affrontent dans le même homme ; le paysage psychologique que nous dépeint Montaigne est celui d’un royaume où règnent l’anarchie, le conflit, les dissensions. Le vocabulaire politique qu’il emploie est celui de la guerre et de l’affrontement. L’âme et le corps sont des peuples naïfs et crédules qu’une fiction emporte dans un sens et à qui il faut une autre fiction pour les rétablir dans le droit chemin. S’il n’y prend garde, l’homme est gouverné par l’image, non par la raison ; le fonctionnement véritable de la psyché n’est guère rationnel, il est imaginaire, c’est-à-dire analogique. Et le seul outil dont dispose la raison pour mettre de l’ordre dans un tel chaos, c’est la fiction même. Il faut que la raison invente un conte qui assure le bon fonctionnement et de la volonté et des organes. Aux deux niveaux de volontés correspondent deux niveaux de fiction : l’une est involontaire, on la reçoit, on la subit ;
l’autre est volontaire, elle vise à rétablir la maîtrise menacée par les fictions extérieures qui menacent notre autonomie. Les questions oratoires soulignent encore la dimension paradoxale du propos : ne voulons-nous pas ce que nous voudrions ne pas vouloir, et ce pour notre plus grand dommage ? Cette histoire de dommage pourrait placer la question sur un tout autre plan. Nous voyons le bien, mais nous désirons ce qui cause notre dommage. La connaissance du bien n’est pas suffisante, elle n’est pas efficace. En somme, cette conception de l’homme déchiré entre deux niveaux de volonté rappelle la conception de l’homme après la chute selon Augustin, qui peut faire un mauvais usage de sa volonté et croire bon ce qui ne l’est pas. Rappelons en passant que cette affaire de liberté de l’homme et de grâce suffisante est au cœur du débat entre catholiques et calvinistes. Les pétomanes d’Augustin et de Vivès ont-ils été placés un peu plus haut dans le discours pour suggérer cette dimension théologique de la question de la volonté ? Sont-ils de plaisants indices d’une réflexion possible sur les indocilités de la chair, sur les troubles du corps terrestre ? Si tel était le cas, on peut dire que l’allusion ne se fait pas avec la déférence qu’on attendrait d’un fervent catholique.
La péroraison de ce bref discours d’avocat constitue un véritable pastiche de la parole judiciaire :
En fin ie dirois pour monsieur ma partie, que plaise a considerer qu’en ce faict, sa cause estant inseparablement coniouinte a un consort et indistinctement, on ne s’adresse pour[tant] qu’a luy, et par des argumans et charges telles, ueu la condition des parties, qu’elles ne peuuent aucunemant apartenir ny concerner son dict consort21. Partant se uoit l’animosité et illegalité manifeste des accusateurs. Quoi qu’il en soit, protestant que les aduocats et iuges ont beau quereler et sentancier, nature tirera cependant son trein : qui n’aroit faict que raison, quand ell’ aroit doué ce membre de quelque particulier priuilege, autheur du seul ouurage immortel des mortels. Pour tant est a Socrates action diuine que la generation ; et amour, desir d’immortalité, et Daemon immortel luy mesmes22.
La conclusion du discours fictif opère un double déplacement. Il n’est plus question ici de l’égale insoumission de tous les organes, ou de
leur malveillance jalouse à l’égard du membre. L’emploi plaisant du vocabulaire juridique souligne que la responsabilité est à partager non pas avec eux mais avec un « consort » : le sexe féminin, qui partage « inseparablement » sa cause. En effet la défaillance du pénis vient aussi des sollicitations « inopportunes » de la partenaire, laquelle a beau jeu de le convier puisqu’elle est toujours en état de recevoir, quand lui n’est pas toujours en état de donner. L’action érotique est toujours à sa charge, quand il suffit aux femmes d’attendre « tacitement et quietement ». Ainsi, la responsabilité de l’échec de l’acte est-elle à rechercher autant du côté de la demande, excessive, que du côté de l’offre, insuffisante, et peut-être aussi du côté de la passivité féminine, que suggère l’adverbe « quietement ». L’allusion licencieuse à l’appétit érotique des femmes renforce la dimension parodique de la péroraison23. La méchanceté des accusateurs est manifeste puisqu’ils s’en prennent à un organe qui est, peu ou prou, lui aussi, victime d’appétits excessifs, peut-être rendus plus insupportables par un dynamisme érotique insuffisant24. Le caractère parodique de cet argument est souligné par la proposition subordonnée conjonctive « quoi qu’il en soit », l’argument antérieur est annulé par cette proposition qui introduit un nouvel argument de défense en effaçant d’un coup tout ce qui vient d’être dit. Or ce dernier argument quel est-il ? C’est le fameux argument de la nécessité : on pourra plaider autant qu’on veut, dans un sens ou dans l’autre, la nature continuera à dicter sa loi. Et, en définitive, le membre est le seul organe qui produise quelque chose d’immortel : la génération, comme le dit Socrate lui-même, modèle de toute sagesse. Voilà l’éloge final, souligné par l’oxymore. En somme, bien qu’il ne soit nullement plus coupable qu’un autre organe, ni plus coupable que le sexe féminin, encore serait-il juste qu’il jouisse d’un privilège particulier puisque seul il confère une certaine éternité à une humanité mortelle.
Quels sont les caractères propres à la déclamation qu’on retrouve dans cet extrait ? La situation d’énonciation tout d’abord : on a bien un procès fictif, devant un auditoire fictif d’accusateurs malveillants. Montaigne semble donc bâtir une controverse. Dans ce cadre, il prend explicitement la parole à la façon d’un avocat pour défendre une cause paradoxale qui peut très bien n’être pas son opinion véritable ; le pénis n’est pas responsable de ses accidents. Il suffit de considérer un instant que ce plaidoyer prend place dans le chapitre sur la force de l’imagination pour qu’on soit autorisé à supposer une certaine duplicité du discours. La défense se fait en quatre points : les autres membres sont aussi coupables que lui de désobéir à la volonté ; la volonté elle-même n’est pas toujours conforme à la raison ; le sexe féminin est aussi coupable que le masculin dans les naufrages érotiques et enfin, quoi qu’on fasse, il ne nous appartient pas d’en décider. Ainsi, le chapitre « De la force de l’imagination » offre un fort bon exemple de la démarche de Montaigne, de la subtilité de ses compositions, même lorsqu’elles paraissent ressortir à la compilation, de ses tactiques d’égarement25.
En somme, le discours se termine par une sorte d’annulation symbolique de la procédure judiciaire et du tribunal : il n’est pas raisonnable de débattre des choses nécessaires. Le membre répond aux quatre catégories traditionnelles de l’utile, de l’agréable, du juste et du nécessaire. Montaigne emploie un argument analogique : le membre n’est pas plus coupable qu’un autre membre qui fait exactement comme lui ; un argument a fortiori : si la volonté elle-même est déraisonnable, comment un organe de chair le serait-il ? ; et un argument qui réfute l’accusation même : ce n’est pas le membre qui donne trop peu, c’est le sexe féminin qui demande trop. En somme, les impuissances momentanées ne sont guère coupables, elles ne tirent pas à conséquence. Or, quelle est la cause première de l’impuissance momentanée selon Montaigne ? L’angoisse de l’impuissance, la crainte de la rechute, le souvenir d’avoir failli26. Ce qui provoque l’impuissance c’est le surinvestissement de l’acte, comme on
dit maintenant. En le dédramatisant, Montaigne vide l’incident de son impact psychologique, de sa valeur symbolique, de sa charge émotionnelle. Il en ôte ce qui le rend possible. Derrière le plaidoyer héroïcomique, il n’est pas impossible que se dissimule une intention thérapeutique véritable, soit en direction du lecteur, soit en direction de l’auteur lui-même, puisqu’on a vu qu’il ne se désolidarisait pas des accidentés de la libido. Vois, lecteur, comme ces choses arrivent souvent, et à des gens très bien. Il n’y a rien là que de naturel. Le texte du plaidoyer pourrait très bien, pour un lecteur doutant de sa virilité, jouer le rôle qu’a joué la pièce d’or plate pour le comte « de trèsbon lieu » et la lui restaurer. Comme l’exemple précédent, « il trouua quelque remede a cette resuerie par un’autre resuerie27 ». Cette hypothèse de l’écriture comme remède ou de la rêverie thérapeutique se trouve clairement validée dans un autre texte, tout aussi étonnant, tout aussi oratoire : l’éloge de la gravelle, dans le chapitre III, 13, « De l’expérience ».
Ce chapitre, qui clôt les Essais, propose un texte qui semble partager la même nature « plasmatique ». Il s’agit de l’éloge de la gravelle. Montaigne y rapporte au lecteur le discours que son esprit tient à son imagination.
Or ie trete mon imagination le plus doucement que ie puis et la dechargerois, si ie pouuois, de toute peine et contestation. Il la faut secourir et flatter, et piper qui peut. Mon esprit est propre à ce seruice : il n’a point faute d’apparences par tout ; s’il persuadoit comme il preesche, il me secourroit heureusement28.
L’imagination, ici comme dans le chapitre I, 21, est de nature à susciter une souffrance augmentée si on la laisse se charger des images terrifiantes et des récriminations et jérémiades qui l’accompagnent. Il faut donc la décharger. Comment s’opère cette décharge ? De deux manières : il
faut la secourir, il faut la flatter et piper. Le secours prend nécessairement, dans ce cas précis, la forme du mensonge, de la fiction. C’est par la représentation d’une fiction, par l’interposition d’un écran, qu’on va masquer la représentation douloureuse de la maladie, que l’imagination tient déjà toute prête. Cet écran, cette représentation est de l’ordre du langage. Il s’agit de se tenir à soi-même un discours réconfortant29. Le discours intérieur est présenté comme une prosopopée de l’esprit. « Je trete mon imagination » devient « mon esprit est propre à ce seruice », le « je » raisonnable doit faire la leçon à la source des images et des rêveries, il doit l’encadrer, la conduire à envisager d’autres images et d’autres rêveries. Trois instances sont donc en présence : Montaigne l’auteur qui rend compte d’une expérience intérieure ; l’esprit de Montaigne qui déploie ses fictions ; et enfin l’imagination de Montaigne, qu’il s’agit d’étourdir. À ces trois instances, il conviendrait d’ajouter le destinataire réel : le lecteur. Ainsi, nous observons un premier enchâssement du discours : Montaigne parle à son lecteur, d’une manière qui semble orale et familière, de son esprit qui parle à son imagination. Examinons quelles sont les principales caractéristiques d’un tel dispositif énonciatif. Les trois traits distinctifs de la déclamation que nous avons déjà observés dans le chapitre I, 21 se retrouvent ici : l’abondance, l’hétérogénéité et l’ordre problématique des arguments utilisés ; l’énonciation troublée et, enfin, la dimension perlocutoire.
La thèse – paradoxale – à soutenir est la suivante : « C’est pour mon mieux que i’ay la grauele ». L’esprit déploie pour ce faire des arguments autour desquels elle construit des variations et qui sont organisés en trois séries.
Dans la première, et par deux fois pour chacun d’eux, on trouve cinq arguments principaux : l’argument du prix à payer (la gravelle est une maladie liée à la sénescence qui a le mérite de ne pas contrarier les plaisirs de la jeunesse, qu’il ne faut payer qu’ensuite) ; l’argument de l’honneur
(c’est un mal aristocratique qui frappent de nobles personnes et mon père) ; l’argument du pire (il y a des maladies pires et des malades pires que moi) ; l’argument de l’angoisse (l’angoisse est pire que le mal, et sa connaissance l’affaiblit) ; enfin l’argument de l’effet sur autrui (c’est un mal qui attire sur moi la bienveillance des dames et la pitié du peuple). La maladie est en somme nécessaire, honnête, juste, et agréable.
Dans le deuxième série, on trouve que la gravelle n’est pas plus mortelle qu’un autre mal (pas plus que la vie même) ; elle rend la fin de la vie désagréable et prépare bien à la mort ceux qui s’en approchent ; elle le fait par à-coups et ménage de longues plages de sages méditations au malade, au contraire des maladies violentes ou continues ; l’ayant habitué à la rémission elle le laisse espérer la guérison jusqu’au bout. Elle est ainsi doublement utile : utile quant à la mort à laquelle elle prépare bien ; utile quant à la vie qu’elle remplit de sages pensées.
Dans la troisième série, on trouve l’éloge des rémissions et leur effet sur l’espérance ; cette maladie correspond à la nature de Montaigne ; elle laisse espérer une guérison sur le tard ; le soulagement en est un plaisir immédiat et intense ; elle est plus supportable que les maladies à longue convalescence ; elle guérit d’autres maux ; elle est un remède moins douloureux que la médecine ; on peut vivre normalement avec elle ; enfin elle est sans surprise et prévisible. Cette troisième partie tourne essentiellement autour du thème de la guérison : elle peut guérir, chaque expulsion est une petite guérison ; la maladie est la manifestation de la régulation du corps, un signe de bonne santé. Il y a, en quelque sorte, contestation de la cause, qui devient conjecturale. On peut noter que cette troisième série termine par l’idée assez curieuse que la maladie, connue pour être chronique, pourrait fort bien guérir et qu’elle est, en somme, un signe de la santé. Contradiction argumentative qui n’échappera pas à un lecteur vigilant : si la gravelle est signe de santé, pourquoi souhaiter en guérir ? On le voit, l’éloge comporte des arguments faibles et contradictoires, notamment à la fin, qui ne sauraient emporter l’adhésion du lecteur. Du reste, Montaigne en convient lui-même puisqu’il parle d’arguments « et forts et foibles30 ».
On peut, d’autre part, rassembler ces arguments autour de trois pôles : le premier pôle s’organise autour de la maladie elle-même : elle
est tolérable, courte, prévisible, non-mortelle, ses soulagements sont plaisants. Ensuite un deuxième pôle autour du malade : il est frappé ponctuellement, tard, au milieu de gens honorables, il est rendu intéressant ou touchant pour les autres. Ces arguments sont, plus ou moins, véritables et vérifiables. Enfin, tout ce qui concerne l’imaginaire : elle permet d’envisager la mort, ou la délivrance, ou même une hypothétique guérison, au gré du malade, sans lui présenter trop d’angoissantes images, contrairement à d’autres maladies, autrement effrayantes ; elle frappe le corps, mais non pas l’âme qui peut vivre normalement, avec un peu de fermeté, et qui peut notamment continuer à imaginer librement. En somme, c’est un mal qu’on peut traiter par le discours puisque sa partie la plus douloureuse réside en l’imagination, mais n’affecte pas la faculté d’imaginer.
On le voit les arguments sont nombreux, variés, volontiers redondants, parfois nettement insuffisants, de l’aveu même de l’auteur. L’esprit n’use pas que d’arguments rationnels en s’adressant à l’imagination « conformant ie croy son propos plus au temps quà la verité31 ». L’objet poursuivi par le discours n’est pas de convaincre, ni même, peut-être, de persuader, mais d’engourdir et de « graisser les plaies ». L’esprit parle, non pour raisonner, mais pour fasciner l’imagination. Ce premier constat, d’une grande importance car il suppose une réévaluation du mérite et des bienfaits de l’éloquence aux dépens de la vérité, invite à réfléchir sur ce qu’est un discours véritable.
Le deuxième aspect qui nous semble apparenter cet extrait avec l’art de la déclamation est son extrême complexité énonciative. Nous en avons dit un mot en introduction, en soulignant le processus d’enchâssement et de discours rapporté qu’il met en place. Qu’il nous soit permis d’entrer un peu dans les détails. En effet, si Montaigne, qui s’adresse à son lecteur, se distinguait nettement de son esprit quand il parle et de son imagination quand elle écoute, les choses seraient certes complexes mais relativement claires. Or, il n’en est rien. Non seulement le texte opère des glissements entre Montaigne et son esprit, entre Montaigne et son imagination, mais aussi, ce qui est plus grave, entre son esprit et son imagination et entre luimême, Montaigne, et son lecteur. Tant
et si bien que par endroit, il est bien difficile de distinguer qui parle à qui, qui entend faire profiter autrui de son expérience et à quelles fins.
La prosopopée de l’esprit est introduite par « il dict que32 », qui commande la première série d’arguments signalées ci-dessus. La seconde est, elle aussi, étroitement liée à la situation d’énonciation, par l’expression « faict-il » : « La crainte de ce mal, faict-il, t’effraioit austrefois, quand il t’estoit incongneu33 ».
L’esprit s’adresse paternellement à l’imagination. Toutefois, ce « tu », par transparence, pourrait très bien s’adresser à Montaigne lui-même et, à travers lui, à tous ceux qui souffrent de la gravelle. En effet, ce même « tu » se fait une gloire de sa résistance à la douleur, et « tu »continues à vivre une vie ordinaire : s’agit-il encore de l’imagination seulement ? On peut en douter.
La première édition des Essais dans la Pléiade, de Maurice Rat, souligne la rupture dans le texte en ajoutant des guillemets à tout le passage suivant, qui souligne une prosopopée :
Te souuient-il de ces gens du temps passé, qui recerchoyent les maux auec une si grand faim, pour tenir leur vertu en haleine et en exercice ? Mets le cas que nature te porte et te pousse à cette glorieuse escole, en laquelle tu ne fusses iamais entré de ton gré34.
Par un glissement insensible du discours indirect au discours direct, la parole de l’esprit se fait vive, propre à interpeller. Et quel est le sujet de cette interpellation ? Le sujet en est l’exemple des philosophes stoïques – ou peut-être cyniques ? – de la « glorieuse escole » qui recherchent les peines pour endurcir leur âme. Philosophie admirable peut-être, mais aride et exigeante. Du reste, est-ce bien l’imagination qui est poussée « à cette glorieuse escole » ? N’est-ce pas plutôt Montaigne lui-même, et son esprit ? On le voit, la situation de l’éloge se trouble et les repères initiaux sont insensiblement abandonnés. Ce déplacement discret de l’énonciation est corroboré par la suite de l’extrait :
Tu ne meurs pas de ce que tu es malade ; tu meurs de ce que tu es uiuant. La mort te tue bien sans le secours de la maladie35.
Cette formule magnifique qui fait de l’homme, longtemps avant Heidegger, un être pour la mort, s’adresse à un auditeur masculin. Ce n’est pas l’imagination qui meurt, c’est Montaigne. L’esprit de Montaigne s’adresse ainsi, fort philosophiquement, derrière un premier destinataire (l’imagination), à celui qui est vivant aussi longtemps que son imagination est vivante. Le sort de l’un est indissolublement lié au sort de l’autre et l’on ne saurait parler à l’une sans que l’autre entende.
Du reste le discours opère ici une nouvelle inflexion. De la deuxième personne du singulier, il passe à la deuxième du pluriel et propose un élargissement, une généralisation36 qui semble inclure d’autres malades – voire tous les hommes. Du reste, ce n’est plus de « ta » pierre qu’il est question, mais de « la » colique, « souuent non moins viuace que vous » qui à son tour devient active, au conditionnel certes, « quand elle te presenteroit l’image de la mort voisine », se confondant ainsi avec l’imagination dont les fantômes nourrissent l’angoisse du malade. Aussitôt, le retour à la deuxième personne du singulier vient augmenter le trouble énonciatif : « Et qui pis est, tu n’as plus pour qui guerir. Ainsin comme ainsin, au premier iour, la commune necessité t’apele37 ».
Est-ce encore bien l’esprit qui parle, ou la maladie qui s’adresse directement à Montaigne en lui représentant sa mort prochaine, et, à travers lui, à tous les hommes ? Ainsi, la première prosopopée du discours de l’esprit pourrait comporter une deuxième prosopopée, en abyme, de la maladie au malade, dont Montaigne serait, en dernière instance, l’auteur et le destinataire. Enfin, Montaigne opère un ultime retour à la première personne :
Ie suis obligé à la fortune de quoy elle m’assaut si souuent de mesme sorte d’armes : elle m’y façonne et m’y dresse par vsage, m’y durcit et habitue ; ie sçay a peu pres mes-huy en quoy i’en doibts estre quitte. A faute de memoire naturelle i’en forge de papier, et come quelque nouueau simptome suruient [a] mon mal, ie l’escris. D’ou il auient que asture, estant quasi passé par toutes sortes d’examples, si quelque estonemant me menace, feuilletant ces petits brevetz descousus come des feuilles sybillines, je ne faus plus de trouuer ou me consoler de quelque pronostique fauorable en mon experiance passée. Me sert aussi l’accoutumance à mieux esperer pour l’aduenir ; car la conduicte de ce vuidange ayant continué si long temps, il est a croire que nature ne changera point ce trein et n’en aduiendra autre pire accident que celuy que ie sens38.
Le même argument, de l’accoutumance bénéfique aux assauts de la maladie, est repris et développé à la première personne. Ici, il ne fait guère de doute que le « je » qui subit les assauts de la maladie et qui les consigne est bien Montaigne lui-même, à la fois patient, observateur attentif de sa maladie et auteur, comme s’il constatait la réussite – provisoire – de l’entreprise de persuasion initiée par son esprit : l’homme Montaigne adhère pour un temps aux conclusions optimistes du plaidoyer. Dans le développement qui suit, on a un indice supplémentaire que c’est bien Montaigne qui parle, puisque quand il aborde les deux modalités de la maladie – qui peut attaquer « mollement » ou avoir « des excez vigoureux et gaillarts » – il avoue que l’une l’effraie plus que l’autre. Ce n’est donc plus ici l’esprit qui parle, lequel ne saurait être effrayé d’une imagination39.
On le voit, la feinte oralité du discours, son apparente désinvolture, et les libertés qu’elle autorise, rendent possible la prolifération des discours enchâssés, soulevant bien des interrogations et des incertitudes. La plus pertinente, à nos yeux, concerne l’adhésion à soimême, l’unité de l’être : la maladie institue différents états de la conscience, simultanés ou successifs, qui révèlent et soulignent l’épaisseur et la complexité de la psyché. Le regard réflexif de l’homme en bonne santé sur le malade qu’il est périodiquement, ou de l’homme malade sur ce qu’il pense, soit quand il est malade soit quand il est vaillant, mettent en évidence l’infinie fragilité et mobilité de nos « conditions et humeurs ». L’homme, et la maladie vient le lui rappeler avec une éclatante évidence, est une
« branloire pérenne ». Le caractère insaisissable de l’énonciation déclamatoire donne forme et figure à la philosophie de Montaigne, constituant une sorte de plasma, d’argument fondamental, dans tous les sens du terme, à l’entreprise des Essais.
Enfin, un dernier point nous paraît remarquable dans ce discours : sa dimension perlocutoire. On se souvient que par un discours rassurant Montaigne avait rendu sa virilité à un « seigneur de bon lieu ». Par un discours tout aussi rassurant, aussi proliférant dans son invention et aussi déconcertant dans sa disposition, il parvient, tout le temps qu’il écrit, à éloigner son esprit des sombres perspectives de la maladie. À la fois auteur et personnage de son œuvre, il en est aussi un des destinataires puisque c’est lui-même qu’il s’agit de calmer et d’endormir, soit par l’écriture, soit par la lecture des Essais ou des « pages sybillines », où l’on croit reconnaître certaines descriptions de crises contenues dans le Journal de voyage. Montaigne se montre ici doublement matière de son livre : c’est de lui dont il parle ; il est aussi la matière travaillée par le livre, comme la glaise ou le marbre du sculpteur, matière à laquelle le livre donne forme. Le livre façonne l’auteur autant que l’auteur façonne l’œuvre. Le plasma de l’œuvre est le lieu d’une rencontre et d’une interactivité : le verbe agit sur qui le prononce et l’entend, qu’on le sache et qu’on le veuille ou non.
Et quand personne ne me lira, ay-ie perdu mon temps de m’estre entretenu tant d’heures oisisues a pensemens si utilles et agreables ? Moulant sur moi cete figure, il m’a falu si souuent dresser et composer pour m’extraire, que le patron s’en est fermy et aucunement formé soimesmes. Me peignant pour autrui, ie me suis peint en moi de colurs plus nettes que n’estoint les mienes premieres. Ie n’ay pas plus faict mon liure que mon liure m’a faict, liure consubstantiel a son autheur, d’un’ occupation propre, membre de ma uie ; non d’un’ occupation et fin tierce et estrangiere come tous autres liures40.
Dans ce passage fameux s’entrecroisent les figures du masque, du moulage, de la peinture et de la littérature. Il est vrai que le livre et sa réussite font de Montaigne, gentilhomme périgourdin, un auteur. Mais il y a plus : la forme plasmatique du texte même, la dialectique permanente entre la volonté de dire ce qui est et l’impossibilité de savoir ce qui est, puisque nous sommes condamnés à « peindre le passage », dissolvent
en quelque manière l’idée naïve – dans les deux sens – que Montaigne pouvait avoir de lui-même, et à travers lui, de la condition humaine.
Du reste l’effet du discours faux, fiction inventée à des fins psychosomatiques, est luimême fluctuant et passager. La fin de notre extrait vient le rappeler avec une pointe de pathos :
Par tels argumens, et forts et foibles, comme Cicero le mal de sa vieillesse, i’essaye d’endormir et amuser mon imagination, et gresser ses playes. Si elles s’empirent demain, demain nous y pouruoyerons d’autres eschapatoires41.
Ainsi la leçon à tirer de cet éloge est-elle bien difficile à formuler : Montaigne nous donne l’exemple d’un homme qui arrive momentanément, par un discours argumentatif adressé à l’imagination, à atténuer la douleur que cause sa maladie. Un modèle aussi rassurant devrait inciter le lecteur – Montaigne lui-même ou tout autre – à faire de même. Toutefois, la conclusion en est si contrastées qu’elle vient presque invalider l’ensemble du dispositif qui ne produit jamais que des résultats fugaces. Mais la vie humaine comporte-t-elle des résultats qui ne soient pas fugaces ? L’exemple de Montaigne est-il satisfaisant ? Lui-même semble disposer à adopter une autre « chappatoire » en cas de besoin. Le lecteur, perplexe, doit peser pour lui-même les avantages et les inconvénients de l’autosuggestion. L’affaire n’est pas tranchée par Montaigne et chacun pour soi-même en est assez bon juge, semble-t-il suggérer.
Ainsi, ces deux extraits des Essais s’inspirent assez visiblement du discours déclamatoire : ils partagent avec lui la surabondance d’arguments variés, le caractère problématique de leur compatibilité et de leur disposition, l’extrême complexité de l’énonciation qui, plus ou moins insensiblement, mêle divers locuteurs et divers interlocuteurs, et enfin l’action qu’ils sont censés exercer sur l’auditoire. On pourrait y ajouter l’impossibilité radicale d’assigner à ces deux extraits une signification claire et distincte. Le Discours de la servitude volontaire, lui aussi, possède les mêmes caractéristiques. On y trouve abondance d’arguments parfois contradictoires (lesquels ont suscité les interprétations les plus contraires), des idées qui s’enchaînent dans un ordre fort déconcertant (où certains ont voulu voir une maladresse de jeunesse…), d’interprétations
épineuses. L’orateur en est insaisissable et s’adresse tantôt aux « misérables peuples insensés », tantôt à Longa, tantôt à un ensemble plus flou – dont il fait peut-être lui-même partie, comme le suggère le « nous » de la péroraison – d’hommes bien-nés qu’il exhorte à ne pas servir la tyrannie, et qu’il invite à « bien faire » sans du reste que ce « bien faire » soit jamais précisément décrit. Les deux amis ont grandi dans une culture où le discours occupe une place centrale, où les auteurs les plus fameux se sont illustrés par des œuvres oratoires extrêmement complexes, dans laquelle on n’hésite pas à employer des formes savantes et troublées. Or le choix de la déclamation nous semble souligner le propos tenu : pour l’un, il s’agit de faire apparaître ce qui est sous nos yeux et que pourtant nous ne voyons pas (la tyrannie) ; pour l’autre, de mettre en scène le pouvoir des fictions, parfois plus réelles que le réel. Dans l’ordre politique comme dans l’ordre domestique et privé, il s’agit d’interroger l’étrange puissance du langage et des représentations. Et chacun de ces discours, qui, à sa manière, déploie la magie du langage et des représentations finit sur une note déceptive – comme l’avaient fait Érasme et More avant eux – comme pour signaler le danger qu’il y aurait, pour le lecteur, à se laisser prendre aux séductions des beaux discours. Montaigne et La Boétie, se jouant des autorités42, semblent, dans les textes proposés, prendre soin de ne pas se constituer en autorité, de ne pas remplir la place du maître. Le lecteur, orphelin de certitude, est invité à poursuivre le chemin par lui-même.
Michaël Boulet
Université Toulouse II – Le Mirail
ELH-PLH
1 Van Der Poel M., De declamatio bij de Humanisten, De Graaf, 1987.
2 Lafond J., « Le Discours de la servitude volontaire de La Boétie et la rhétorique de la déclamation », Mélanges sur la littérature de la Renaissance, Genève, Droz, 1984, p. 735-745.
3 Pour une vision plus panoramique de la déclamation pendant la période, voir notre travail sur Les Avatars de la déclamation à la Renaissance, thèse de IIIe cycle, Toulouse le Mirail, 2013, à paraître dans la collection Classiques Garnier.
4 On pourra évoquer notamment Corneille Agrippa, De l’incertitude des sciences, et Estienne, Les paradoxes, adaptation française des Paradossi de Lando.
5 Voir Lestringant F., « L’action génitale. À propos du plaidoyer pour le membre (Essais, I, 21) », in Bulletin de la société des Amis de Montaigne, 8, 19-20, 2000, p. 65.79.
6 Voir l’introduction à Marconville, De la bonté et mauvaisetié des femmes, Paris, Champion, 2000.
7 Montaigne, Les Essais, Paris, Gallimard, p. 1365. Voir notamment, Corneille Agrippa, La philosophie occulte, vol. 1, Éditions traditionnelles, Paris, 1984, chap. lxiii, lxiv et lxv, p. 180 à 188. Notre édition de référence sera l’édition dite Municipale, Les Essais de Montaigne, Bordeaux, Imprimerie Nouvelle Pech, 1906.
8 Mathieu-Castellani G., « L’intertexte rhétorique : Tacite, Quintilien et la poétique des Essais. », Montaigne et la rhétorique : Actes du colloque de St Andrews 28-31 mars 1992, Paris, Champion, 1995, p. 19.
9 Strowski F., Les Essais de Michel de Montaigne, Bordeaux, 1906, vol. 1, p. 123.
10 Ibid., p. 124.
11 On notera au passage que le chagrin n’est pas une illusion. Quant au rêve, il n’intéresse pas la raison. Les exemples animaliers sont donc ici d’un autre ordre que les exemples humains qui ont en commun d’être, à l’état de veille, conditionnés par une illusion, une idée fausse, une sensation sans fondement.
12 Ibid., p. 133.
13 Voir La Boétie, Œuvres complètes, Blake, p. 87, juste après l’anecdote du gros orteil de Pyrrhus : « toujours ainsi le peuple sot fait lui-même les mensonges pour puis après les croire ». L’aveuglement fictionnel est donc souvent volontaire, chez Montaigne comme chez La Boétie. Il pourrait être l’effet d’un besoin de croire autant, sinon plus, que la cause accidentelle d’une croyance qui apparaîtrait ensuite. Si tel est bien le cas, la croyance, et la fiction qui en est le support, est le résultat rationnel d’un besoin d’irrationnel. Quand il n’y a plus de solution que magique, croire en la magie est, en dernière instance, le dernier rempart de la raison contre le désespoir.
14 Ou l’on retrouve La Boétie qui, dans son discours, se gausse des « beaux contes du Roi Clovis » de « l’oriflamme » et de « l’ampoule » qui viennent juste après, comble d’irrévérence, le récit du gros orteil de Pyrrhus, censé guérir les malades de la rate. Ces différents arguments visent clairement la fiction dans sa relation avec le pouvoir royal, dans son utilisation politique. Voir La Boétie, op. cit. p. 88-89. « Il est vray semblable, écrit Montaigne, que le principal credit des miracles, des visions, des enchantemens et de tels effects extraordinaires, vienne de la puissance de l’imagination agissant principalement contre les ames du vulgaire, plus molles. On leur a si fort saisi la creance, qu’ils pensent voir ce qu’ils ne voyent pas », p. 124.
15 Ibid, p. 128.
16 Voir aussi La Fontaine et sa fable « Les membres et l’estomac ». La substitution, par Montaigne, du pénis à l’estomac de Ménénius, et sa réapparition chez La Fontaine donnent quelques indices sur l’évolution des sensibilités entre la fin du xvie siècle et l’âge classique. L’estomac lui aussi est sauvé par la harangue de Ménénius que La Fontaine ne rapporte pas, supposant sans doute qu’elle est bien connue de tous les lecteurs cultivés.
17 La légende veut que cet illustre Romain ait calmé la colère de la plèbe contre les patriciens en employant l’apologue de l’estomac et des pieds. La conspiration des membres qui refusent de nourrir l’estomac conduisant à la langueur, ils comprirent que la nourriture qu’il recevait, il la leur distribuait ensuite.
18 Ibid., p. 129.
19 Dans Montaigne, Les Essais, Gallimard, Paris, 2007, p. 1370, Michel Magnien indique qu’il s’agirait du duc de Ventadour, Gilbert de Lévis (mort en 1591), gouverneur du Limousin. Certains commentateurs des Essais ont voulu voir ici une allusion personnelle de Montaigne. Cette dernière hypothèse donnerait du poids à la stratégie de « communion » avec l’auditoire analysée ci-dessus.
20 Ibid., p. 129.
21 La note 1, p. 130 précise : « L’édition de 1595 ajoute ici : “Car l’effect d’iceluy est bien de conuier inopportunement par fois, mais refuser iamais : et de conuier encore tacitement et quietement” ».
22 Ibid., p. 129-130.
23 Dans le chapitre III, 5, « Sur des vers de Virgile », on se souvient que Montaigne ironise sur la sagesse de la Reine d’Aragon qui limite à six par jours les assauts autorisés d’un mari sur sa femme. « En quoy s’escrient les docteurs : quel doit estre l’appetit et la concupiscence feminine, puisque leur raison, leur reformation et leur vertu se taille à ce prix ? […] », op. cit. vol. 3, p. 88.
24 Sur le sujet des remèdes imaginaires aux défaillances sexuelles et leurs limites, on peut consulter le chapitre III, 5 et l’analyse qu’en propose Olivier Guerrier dans « Quand les poètes feignent » : « fantasie » et fiction dans les Essais de Montaigne, Paris, Champion, 2002, notamment le chapitre « Diversion ».
25 Matthieu-Castellani G., Montaigne ou la vérité du mensonge, Genève, Droz, 2000, p. 43.
26 Ibid., p. 124 : « ce sont volontiers des impressions et l’apprehension et la crainte » « et de la en hors fut subjet à y rechoir : ce vilain souvenir de son inconveniant le gourmandant et tirannisant » ; et p. 125 : « Ce malheur n’est à craindre qu’aux entreprinses, où nostre ame se trouue outre mesure tandue de desir et de respect, et notemment si les commoditez se rencontrent improueues et pressantes : on n’a pas moien de se rauoir de ce trouble ».
27 Ibid., p. 124. Voir La Boétie, op. cit., p. 91 « Ainsi le tiran asservit les subiects les uns par le moien des autres, et est gardé par ceus desquels, sils valoient rien, il se devroit garder ; et comme on dit pour fendre du bois, il faut les coings du bois mesme ». Par un jeu de figures symétriques, ici redoublé (la double anadiplose de « garder » et de « bois »), La Boétie souligne l’ambivalence des sujets : ceux qui devraient assurer notre liberté – s’ils valaient quelque chose – assurent notre servitude. Chez Montaigne, le même jeu d’anadiplose est utilisé pour souligner l’ambivalence de la rêverie, ambivalence qui joue ici dans le sens contraire : la rêverie qui asservit peut aussi être le remède et libérer celui qui est prisonnier d’elle. Celui qui était l’agent de l’asservissement peut opérer la libération.
28 Édition citée, vol. 3, p. 394.
29 Voir également, sur ce sujet, les chapitres III, 4 et III, 5. Cf. J. Starobinski, Montaigne en mouvement, Paris, Gallimard, 1982, notamment le chapitre « Le moment du corps », p. 169-222 et O. Guerrier, op. cit., p. 271 : « Mais dès le préambule, par les tours hypothétiques, Montaigne marque la précarité de ces remèdes propres à divertir, et enrôle l’esprit, non sans avoir opposé le prêche de ce dernier, en forme d’expédients spécieux, aux prestiges d’une rhétorique qui “persuade”. S’amorce ainsi un discours qui travestit la douleur pour flatter, autant que possible, l’imagination, mais qui ne convaincra pas, en dernier ressort, le régisseur, à l’abri des leurres comme des pièges de l’éloquence ».
30 Ibid., p. 400.
31 Cf. La Boétie, op. cit., p. 67, qui souligne, lui aussi, le caractère opportuniste et mensonger de certains discours efficaces (à la fin, Ulysse, l’orateur trompeur, gagne la guerre).
32 Ibid., p. 394.
33 Ibid., p. 395.
34 Ibid., p. 396.
35 Idem.
36 Ibid., p. 396. Voir aussi : I, 20, vol. 1, p. 115, la prosopopée de la Nature : « Tout ce que uous uiues, uous le desrobes a la uie ; c’est a ses despans. Le continuel ouurage de uostre [uie] c’est bastir la mort ». On voit que le motif du bâtiment est récurrent dans les Essais : il y a un bâtiment de la mort – la mort est l’œuvre continuée, l’aboutissement de la vie.
37 L’allusion à l’ami perdu apparaît également au chapitre III, 4 « De la diversion », op. cit., vol. 3, p. 63 : « Ie fus autrefois touché d’vn puissant desplaisir, selon ma complexion, et encores plus iuste que puissant : ie m’y fusse perdu à l’auanture si ie m’en fusse simplement fié à mes forces. Ayant besoing d’vne vehemente diuersion pour m’en distraire, ie me fis, par art, amoureux, et par estude, à quoy l’aage m’aidoit ». L’amour érotique vient ici, « par art et par étude » faire écran à la douleur écrasante de l’ami perdu. L’amour, l’ami ou le père perdus, le divertissement, le bâtiment, la maladie, la douleur, forment, on le voit, un réseau très dense qui traverse les Essais.
38 Ibid., p. 397 et 398.
39 Ce qui ici effraie Montaigne c’est la durée : « Quand elle m’assaut mollement, elle me faist peur, car c’est pour long temps ».
40 Ibid., vol. 2, II, 18, « Du Repentir », p. 453.
41 Ibid., p. 400.
42 Pour Montaigne, l’autorité de la raison incapable de soumettre l’imagination, l’autorité d’Augustin ou de Vivès, l’autorité du remède même qui est proposé et dont l’efficacité, à la fin, est mise en doute ; pour La Boétie, l’autorité d’Homère dès son exorde, l’autorité de la pensée politique traditionnelle, de la coutume, des princes ou des rois, etc.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-8124-3039-8
- EAN : 9782812430398
- ISSN : 2261-897X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3039-8.p.0053
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 13/08/2014
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français