Review of autograph manuscripts
- Publication type: Journal article
- Journal: Bulletin de l’Association des amis d’Alfred de Vigny
2018 Nouvelle série, n° 3. Vigny et la presse - Author: Bodin (Thierry)
- Pages: 171 to 175
- Journal: Bulletin for the Association of Friends of Alfred de Vigny
Revue des autographes
Dans le prolongement de la chronique consacrée à la vente des archives Sangnier, nous consacrerons cette rubrique aux autographes et manuscrits de Vigny présentés lors des ventes Aristophil. La société Aristophil, qui proposait des investissements dans les autographes, et avait ouvert un beau Musée des lettres et manuscrits dans le VIIe arrondissement, est aujourd’hui en liquidation. La dispersion des trésors accumulés par Aristophil a commencé en décembre 2017 ; en décembre 2020, on comptait déjà plusieurs milliers de documents présentés au fil de quarante catalogues, abondamment illustrés (consultables en ligne ou téléchargeables : http://collections-aristophil.com/html/calendrier.jsp?t=p). On compte qu’il faudra encore deux ou trois ans pour terminer ces ventes et venir à bout de toutes ces richesses.
Malheureusement, la tendance que nous avions signalée dans notre chronique précédente se confirme : les grands bibliophiles ne s’intéressent plus à Vigny, et la plupart des manuscrits ou ensembles importants n’ont pas trouvé preneur, sans que les institutions profitent de l’aubaine pour enrichir leurs collections à bon compte.
Un recueil provenant de la collection Louis Barthou rassemblait 18 lettres de Vigny à Victor Hugo, entre 1820 et 1830, témoignage de l’amitié fraternelle entre les deux poètes [vente 11, no 542]. Une autre lettre, du 25 mars 1831, dit son admiration pour Notre-Dame de Paris[17, 744]. Une lettre, probablement à Charles Nodier, du 24 janvier 1842, concerne la candidature de Vigny à l’Académie française [11, 543]. Le 12 avril 1849, Vigny réclame à son éditeur Charpentier des exemplaires de ses œuvres [17, 746].
L’importante collection consacrée à l’Académie française, rassemblée sur près de deux siècles par les marquis de Flers et parachevée par Philippe de Flers avant son acquisition par Aristophil, a fait l’objet de deux catalogues [ventes 24 et 25], dont le second présente de nombreux 172documents de Vigny. Le 18 août 1836, il raconte à Antoni Deschamps son séjour en Angleterre [25, 1159]. Le 30 janvier 1842, c’est le manuscrit de la fameuse relation de sa visite académique à Royer-Collard, qui sera insérée dans le Journal d’un poète[25, 1160]. En mai de la même année (le 20 ?), Vigny raconte à Victor de Laprade son échec académique : « depuis que je pense, j’ai une telle habitude de compter pour rien le tems présent et la Postérité pour tout que je me suis peu occupé, peut-être trop peu de ce qui s’est passé. La France n’attend pas pour s’enthousiasmer d’un nom qu’il soit inscrit à l’Institut. Mes ouvrages ne sont pas plus mauvais aujourd’hui et lorsque j’aurai été élu, je doute qu’ils en deviennent beaucoup meilleurs » ; et il fait allusion à La Maison du Berger : « Je viens d’écrire encore un nouveau Poëme et je l’ai mis dans une cellule du même couvent où sont les autres, jusqu’au jour où tous mes moines sortiront en procession » [25, 1161]. Trois lettres sont adressées à Victor Hugo, en février-mars 1844, entre deux scrutins [25, 1162]. Le 17 mai 1845, Hector Berlioz félicite Vigny de son élection à l’Académie : « Je ne vous ai pas encore félicité du fauteuil qui vient de vous tomber sur la tête. Cela rapporte de 16 à 18 cents francs par an ! et puis, à tout prendre, ce n’est pas absolument déshonorant ! Il y a d’autres grands poëtes qui ont eu à subir comme vous cet accident. Un académicien n’est pas tenu d’être plus bête qu’un autre homme (pour parodier le mot de votre Quaker) et si vous, Hugo, Lamartine et Chateaubriant voulez vous donner la peine de frotter ferme vos confrères, peut-être parviendrez-vous à les enduire d’un peu d’esprit, de sentiment poëtique et d’amour de l’art. Adieu, adieu, tout est pour le mieux dans la meilleure des académies possibles » [25, 872]. Une lettre du 2 février 1846 concerne la distribution des billets pour la séance de réception [25, 1163]. Le 27 avril 1854, à Ernest Legouvé qui veut se présenter à l’Académie, Vigny refuse de promettre sa voix et affirme : « J’ai toujours voté pour quelqu’un, toujours pour un écrivain, un homme de lettres véritable ayant des œuvres visibles, dignes d’éloges et de durée » [25, 1164]. Enfin, un lot rassemblait le brouillon d’une note pour le Journal d’un poète, une lettre à un poète concourant pour un prix académique (28 mai 1857), et un commentaire concernant une circulaire de Lamartine [25, 1163]. Le 19 mars 1844, dans la vingtaine de lettres adressées à ses amis Juste et Caroline Olivier, Sainte-Beuve évoque son élection à l’Académie : « Me voilà nommé et content, bien fatigué de ce torrent, très touché des témoignages universels. – Il y a eu 173vers la fin une espèce de paix platrée entre Hugo, Vigny et moi : cela a aidé l’élection de Mérimée. La mienne était assurée sans cela. – Me voilà enfin indépendant » [25, 1120]. Dans une lettre à Louis Ratisbonne, le 26 septembre 1866, Sainte-Beuve revient sur la réception de Vigny à l’Académie et fait le point sur l’affaire des discours : « Quant à voir dans M. Molé l’instrument d’une vengeance politique, je ne saurais vous dire à quel point cela me paraît chimérique » [25, 1123]. En janvier 1862, Baudelaire, après avoir cité Texier qui estime que « tous les littérateurs de quelque mérite doivent oublier l’Académie et la laisser mourir dans l’oubli », conclut ainsi son article Une réforme à l’Académie : « Mais les hommes tels que M. M. Mérimée, Sainte-Beuve, de Vigny, qui voudraient relever l’honneur de la Compagnie à laquelle ils appartiennent, ne peuvent encourager une résolution aussi désespérée » [25, 862]. Relevons encore une lettre du 25 mars 1857 dans un recueil de 450 lettres d’académiciens [24, 834].
Quant aux manuscrits, une page d’album, datée de mai 1839, présentait un fragment du poème Le Déluge[17, 745] ; une autre, de mai 1851, cinquante vers des Amants de Montmorency[17, 747 ; représentée 33, 112].
Il convient de s’attarder sur le manuscrit de Stello[33, 111]. Ce manuscrit de travail, provenant de la collection de Louis Barthou, relié en maroquin rouge, comprend 276 feuillets ; rédigé à l’encre brune au recto de grands feuillets de papier vélin, il est surchargé de ratures, corrections et additions (parfois sur des feuillets plus petits ajoutés), et témoigne d’un important travail d’élaboration et de remaniement. Plusieurs versos présentent quelques lignes biffées, correspondant à des débuts de page abandonnés. La numérotation et l’intitulé des chapitres ont donné lieu à des hésitations dont le manuscrit porte la trace. Une « Table » finale dresse la liste des 42 chapitres. Le manuscrit a servi pour l’impression du texte de la Revue des Deux Mondes, et aussi pour la composition de l’édition originale en ce qui concerne les chapitres ajoutés au texte primitif.
Du côté des livres, l’édition originale de Servitude et grandeur militaires présentait un envoi à Pauline Duchambge [10, 39]. Sur la septième édition de Stello (1856), Vigny a inscrit, le 23 octobre 1861, un envoi à l’abbé Gratry, « témoignage de la plus sincère admiration » [23, 460]. 174La belle édition d’Éloa ou la Sœur des anges illustrée par Maurice Denis (1917), tirée à 126 exemplaires, celui-ci étant celui du graveur Jacques Beltrand, enrichi de 104 planches de décomposition des couleurs, était habillée d’une reliure en vélin peint par André Mare [10, 69]. La précieuse édition de Daphné illustrée par François-Louis Schmied (1924), tirée à 140 exemplaires, était enrichie de deux gouaches originales, dans une reliure de Cretté ornée d’un grand décor émaillé de Jean Goulden [32, 172].
D’autres documents concernent Vigny. Un rarissime document d’Ambroise Paré mentionne un ancêtre de notre poète : le 4 janvier 1578, il confesse avoir reçu de Francois de Vigny, « receveur de la ville de Paris », un quartier de rente [31, 633]. De Nicolas Gilbert, un des personnages de Stello, on relève deux très rares autographes, une lettre et un poème (10, 134-135). Pierre Louÿs se moque des critiques (16 septembre 1910) : « les critiques ne comprennent jamais rien à leur époque. Vois le plus honoré d’eux tous […] Sainte-Beuve était convaincu qu’il y avait eu en France de grands classiques ; puis d’intéressants romantiques ; puis la fin de tout vers 1845. L’époque où il écrivait (1855-1870), c’était pour lui la pleine décadence. Et pour nous, c’est peut-être la plus brillante de notre histoire littéraire. Hugo (Légende, Contemplations, Misérables) – Michelet – Renan Vie de Jésus – Flaubert Bovary, Salammbô […] A. de Vigny (ses plus beaux poëmes). Tout ça, pour Sainte-Beuve, ce n’était rien » [11, 484]. Cocteau recommande à son amie Marie Scheikévitch la lecture du Journal d’un poète, « peut-être l’œuvre d’intelligence et de noblesse la plus haute que je connaisse » [27, 6]. Il encourage Montherlant pour sa réception à l’Académie (1er novembre 1962) : « La seule chose étrange c’est qu’on soit sous cette coupole qui refusait Chateaubriand Hugo Vigny Balzac et recevait des gens que ni vous ni moi ne connaissons et n’aurions voulu connaître » [11, 425].
Terminons, en dehors des ventes Aristophil, par quelques documents importants.
Dans la vente de la bibliothèque Tissot-Dupont, le 19 octobre 2016 (no 553), le fameux agenda de 1838 est rédigé en partie en caractères codés. Vigny y consigne les épisodes de sa double liaison érotique avec Marie Dorval et Julia Dupré.
175Le 26 avril 2017, puis à nouveau le 16 mai 2018, des souvenirs d’Augusta Bouvard provenaient de sa descendante, Yolande Froustey. Sur deux feuillets extraits d’un album, Vigny a recopié en juin 1845 quatre strophes (16 à 19) de La Maison du Berger. En tête d’un album d’Augusta, Vigny a copié, en septembre 1859, son poème Le Bateau ; à la suite, figurent une quinzaine de dessins d’Augusta, vues d’Allemagne et de Suisse. Un recueil rassemble dix des lettres de Vigny à Augusta, de 1861 à 1863, témoignage pathétique des dernières années d’amour et de souffrance du poète. Dans la vente de mai 2018, figuraient également deux lettres de Vigny (9 janvier 1855 et 16 mai 1856) au sculpteur Émile Chatrousse, auteur d’une médaille sur Cinq-Mars et de Thou.
Le 21 mai 2019, à l’Hôtel des ventes de Genève (no 108), passait en vente la correspondance de Vigny à Camilla Maunoir. Depuis sa publication en 1897 par Philippe Godet dans la Revue de Paris, sous le titre « Lettres à une puritaine », cette correspondance, qui n’avait jamais refait surface, était conservée par une famille de Neuchâtel. Ces 18 longues lettres, qui vont de 1838 à 1852, totalisent 106 pages, et comptent parmi les plus belles de Vigny.
Thierry Bodin
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-11519-9
- EAN: 9782406115199
- ISSN: 2554-9235
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-11519-9.p.0171
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 05-19-2021
- Periodicity: Annual
- Language: French