In memoriam Christiane Lefranc
- Publication type: Journal article
- Journal: Bulletin de l’Association des Amis d’Alfred de Vigny
2016 Nouvelle série, n° 1. Vigny, une ironie romantique ? - Author: Sabourin (Lise)
- Pages: 13 to 15
- Journal: Bulletin for the Association of Friends of Alfred de Vigny
In memoriam
Christiane Lefranc
Notre Présidente d’honneur, fondatrice de l’Association des Amis d’Alfred de Vigny, Christiane Lefranc, s’est éteinte dans sa centième année le 31 janvier 2016. Elle laisse à tous ceux qui l’ont connue le souvenir d’une femme de grande classe, d’une générosité débordante, d’une écoute chaleureuse, d’un esprit exceptionnel.
Quand elle songea à fonder notre Association, elle sut aller frapper à la porte des savants comme des gens du monde, à l’image de l’auteur qu’elle portait dans son cœur depuis son adolescence. En effet, élève d’un pensionnat de demoiselles comme on l’était encore dans sa génération, à l’instar de ce dix-neuvième siècle qu’elle appréciait tant, elle avait lu « La Mort du loup » bien sûr, qui a servi à tant d’hommes et de femmes à se fortifier le cœur dans l’adversité, mais aussi « La Maison du berger », ce sublime poème d’amour qu’elle aimait à se réciter, ainsi que bien d’autres, appris aussitôt par cœur, dans ses dernières années au souvenir de ses propres sentiments. Une fois ces poèmes découverts, elle s’était prise d’une passion pour le poète-philosophe dont elle avait lu, dès lors, tout l’œuvre. C’est pourquoi il lui apparut naturel, à elle qui n’avait pu, comme elle en rêvait, enseigner la littérature, de créer une association pour entretenir la présence de Vigny dans la société de l’après-guerre. Elle sut alors approcher la duchesse de La Rochefoucauld qui lui ouvrit maintes relations dans les milieux politiques et culturels. Elle fit entrer dans l’association les descendants directs et indirects de la famille de Vigny, dont Simone Pirard, son amie, qui l’a précédée de peu dans la tombe. Elle eut toute la confiance de Jean Sangnier, l’héritier de Louise Lachaud, qui allait assurer l’édition des Mémoires en 1958, puis ouvrir ses malles de papiers afin d’enrichir la connaissance de la Correspondance, toujours en cours de publication, vu la richesse de ses inédits. Elle sut intéresser à son projet Pierre Flottes et François 14Germain, Paul Bénichou et Pierre-Georges Castex, dont les travaux sur le romantisme ont été si fructueux.
Une fois les statuts déposés, elle se préoccupa de fonder le bulletin, au début avec de fort simples moyens matériels, et recruta des correspondants étrangers, en Europe, aux États-Unis, au Japon, avec lesquels elle entretint, quarante ans durant, des relations épistolaires régulières, les recevant chez elle lors de leurs passages à Paris. Et tous ceux qui ont vécu les assemblées générales annuelles dans son bel appartement empli de souvenirs vignystes, suivies d’un délicieux cocktail, payé de sa bourse et organisé avec l’aide de toute sa famille, savent quelles étaient la chaleur de son accueil et la qualité de ses attentions. Elle organisa des événements pour diffuser la connaissance de l’œuvre de Vigny, lança les déjeuners annuels autour d’un conférencier dans les grands hôtels de Paris, aidée par ses vice-présidents, ses secrétaires généraux et ses trésoriers dévoués. Elle réunissait chez elle le bureau qui bientôt s’occupa d’assurer une impression plus éditoriale du bulletin, de lui donner une structure plus formelle, laissant place à la vie de la société, à des articles d’analyse de l’œuvre, au relevé de sa présence dans les médias, à une bibliographie annuelle de ses manuscrits et des études imprimées, ce qui permit sa diffusion dans les bibliothèques universitaires aussi bien qu’auprès des lecteurs de l’association. La liste recensée à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Vigny dans notre numéro de 1997 en donne le riche panorama. Quelques-uns portent d’ailleurs sa signature, tels ceux sur les origines lochoises de Vigny, les romances autour de Chatterton ou ses lettres à des proches, donnant témoignage de la curiosité toujours en éveil de Christiane Lefranc.
Le centenaire du décès, en 1963, avait permis, aussi, une célébration digne de l’auteur, avec des colloques, une mise au programme d’agrégation des poèmes, des manifestations culturelles publiques. C’est ensuite que commença l’aventure des Prix Vigny, dotés d’une double médaille fabriquée par l’hôtel des Monnaies : un prix d’étude, réservé à une analyse de qualité ou une avancée bio-bibliographique de Vigny au sein du romantisme ; mais aussi un prix de création, afin de couronner une œuvre contemporaine, en chaque genre pratiqué par l’auteur, dans sa lignée intellectuelle ou faisant place à sa pensée. Ainsi furent lauréats, pour l’étude de l’œuvre, tous les universitaires ayant consacré un livre important à Vigny ; pour la création, des noms célèbres comme ceux 15de Léopold Sédar Senghor, de Pierre Emmanuel, de Michel de Saint-Pierre, de Pierre Seghers, de Jean Raspail, de Pierre Béarn, reçus dans les salons de l’Hôtel de Ville de Paris. Mme Lefranc assurait le discours de ces réceptions, analysant les œuvres des lauréats, les travaux nouveaux des historiens de la littérature. Cette passion l’a accompagnée jusqu’au dernier soupir, quand, devenue Présidente d’honneur après cinq décennies de travail et d’abnégation, elle s’inquiétait, auprès de chacun de ses visiteurs, du devenir des études vignyennes. J’ai eu la satisfaction de lui dire que, grâce à une jeune équipe relayant les anciens, avait eu lieu le colloque de Cerisy en 2013, pour le cent cinquantième anniversaire de la mort de Vigny, et qu’une nouvelle édition du Théâtre complet allait paraître aux Classiques Garnier, après la publication des tomes 5 et 6 de la Correspondance : ces livres, que sa vue ne lui permettait plus de lire, étaient pour elle les lueurs d’une espérance qui la faisait vivre toujours en communion avec l’âme de son poète bien-aimé.
Lise Sabourin
Au moment de la préparation de ce volume, nous avons également appris la disparition de Mme Simone Pirard-Lallemand, fidèle amie de Vigny – comme de Mme Lefranc. Nous présentons nos condoléances sincères à sa fille, présidente de notre Association. Nous publierons, dans le prochain Bulletin, l’hommage qui revient à sa mémoire.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-06295-0
- EAN: 9782406062950
- ISSN: 2554-9235
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-06295-0.p.0013
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 11-08-2016
- Periodicity: Annual
- Language: French