Avertissement
- Publication type: Book chapter
- Book: Œuvres complètes. Tome II. Voyages
- Pages: 7 to 21
- Number of volumes: 2
- Collection: Eighteenth-Century Library, n° 43-44
Book chapter: 1/55 Next
Avertissement
Le lecteur trouvera dans ce second volume des Œuvres Complètes de Bernardin de Saint-Pierre l’essentiel des textes déjà publiés ou non qu’il est possible de ranger sous la rubrique « Voyages ». Sa publication a été retardée pour diverses raisons, la principale étant la masse importante des inédits et par conséquent les difficultés de tous ordres que soulève, comme à l’ordinaire, l’édition des manuscrits de l’auteur : identification et classement des feuillets pertinents, déchiffrement et mise au point des normes de transcription, choix parmi les versions concurrentes, établissement – forcément entaché de quelque arbitraire – d’un texte ne varietur. Néanmoins, conformément au principe suivi au sein de notre édition, nous prenons toujours pour texte de référence la version publiée du vivant de l’auteur et sous son contrôle lorsqu’elle existe, à défaut la version des Œuvres posthumes publiée par Louis Aimé-Martin (Paris, Lequien fils et Pinard, 1830-1831, 12 vol.). Conformément aussi à notre protocole habituel, nous avons normalisé l’orthographe mais respecté la ponctuation de l’imprimé ; cette dernière règle toutefois n’a pu être suivie dans tous les cas pour les manuscrits.
Mais que faut-il entendre par « Voyages » ? Une précision liminaire s’impose : c’est en réalité à peu près toute l’œuvre de Bernardin de Saint-Pierre qui est tributaire des voyages et des ouvrages de voyage, ceux des autres comme les siens propres, et pourrait presque paraître sous cet intitulé. C’est un lecteur compulsif de relations viatiques, depuis celles des voyageurs de l’Antiquité, comme la Description de la Grèce de Pausanias, à laquelle il emprunte une partie des itinéraires de ses héros Céphas et Amasis et des matériaux historico-géographiques mis en œuvre dans son « roman archéologique » de L’Arcadie (1788), jusqu’aux comptes rendus, tout récents à la date où il écrit, des trois grandes explorations de circumnavigation du globe menées par le capitaine Cook en 1768-1771, 1772-1773 et 1776-1779. Elles sont pour lui des sources privilégiées d’informations botaniques, zoologiques et géologiques, ainsi que des recueils d’arguments 8et de « preuves » à l’appui de sa théorie anti-newtonienne des marées et courants marins, expliqués par la fonte alternée des glaces polaires sous l’effet du soleil plutôt que par l’attraction lunaire. Les Études de la Nature (1788) et leurs divers paratextes, notamment l’« Avis sur cet ouvrage » précédant le quatrième tome ajouté dans l’édition de 1788, attestent l’impressionnante connaissance du corpus viatique de toutes les époques acquise par celui qui entendait être reconnu comme homme de sciences plutôt que littérateur et qui, n’étant pas un expérimentateur en laboratoire mais un scientifique autodidacte, cherchait sa documentation chez les voyageurs principalement.
L’œuvre de fiction du romancier est, elle aussi, fortement tributaire du voyage dans sa dimension personnelle, soit vécue, soit rêvée. Recyclant les observations naturalistes effectuées lors du séjour à l’île de France dans les années 1768-1770, réinterprétant sur le mode plus positif de la pastorale exotique et de l’utopie primitiviste les réalités humaines décevantes de la colonie esclavagiste que stigmatisait le Voyage à l’île de France de 1773, Paul et Virginie apparaît en 1788 comme un prolongement romanesque et une réélaboration fictionnelle fortement idéalisée d’un voyage réel aux couleurs plus sombres. Rédigés conjointement avec les Harmonies de la Nature dans les dernières années, les manuscrits inachevés de L’Amazone offrent plus nettement encore une réécriture aux lisières de la fiction des voyages de la jeunesse de l’auteur, bien que le vieillard qui en est le héros soit une figure à peine transposée de l’écrivain trente ou quarante ans plus tard. On y retrouve l’exil vers la Hollande en 1762 de l’aventurier désargenté, devenu un proscrit fuyant Paris sous la Terreur, puis son embarquement et son voyage sur la route des Indes à la recherche d’une terre d’accueil. Mais l’itinéraire oblique soudain vers la côte du Brésil, pour une remontée symbolique du fleuve Amazone qui est aussi un passage vers un autre monde : au terme du parcours surgit la vision grandiose de la cité idéale de la République des Amis, sorte de Jérusalem céleste qu’on atteint par la mort, célébrée dans certaines versions du roman comme le véritable accomplissement de l’existence terrestre. Encyclopédie documentaire au service d’un projet scientifique, composante d’un itinéraire biographique personnel ou horizon eschatologique de l’itinéraire de la vie, le voyage dans toutes ses modalités est donc indissociable de l’ensemble de l’œuvre bernardinienne.
Toutefois seuls les écrits directement issus des voyages réellement accomplis par l’auteur, rangés dans leur ordre chronologique, ont été 9réunis ci-après1. Ces expériences vécues de l’itinérance se situent toutes dans les années 1761 à 1771, celle de la jeunesse du futur écrivain, qui n’a alors que dédain pour cette activité. N’ayant encore rien publié, il ne se résoudra à le faire que beaucoup plus tard, après les déconvenues essuyées dans une autre carrière, celle de l’aventurier cosmopolite, tantôt militaire, tantôt courtisan, tantôt agent diplomatique voire espion, évoluant entre la Méditerranée, les pays de l’Europe du Nord et les lointaines colonies de l’océan Indien, d’où il revient début juin 1771 après avoir fait escale au Cap. Désormais il ne quittera plus jamais la France, malgré divers projets de grands voyages scientifiques ou politiques soumis sans succès aux bureaux ministériels (projet de voyage d’exploration de l’Asie jusqu’à l’Indus et au Tibet adressé au ministre de la Marine en août 1774, projet de voyage d’étude en Corse proposé à Necker en février-mars 1778…). Le plus élaboré d’entre eux, un projet de voyage sur la façade pacifique à l’ouest des colonies anglaises de l’Amérique du nord, est associé à un vaste plan géopolitique destiné à devancer dans cette région les Russes et les Espagnols par l’installation en Californie d’une colonie internationale susceptible de contrôler une partie du commerce mondial entre l’Orient et l’Occident (septembre-octobre 1778). Dans la réalité, Bernardin de Saint-Pierre se limite dorénavant à de modestes déplacements, deux en Bretagne et un en Normandie, ce dernier, effectué de mars à mai 1775 sur les lieux de son enfance, ayant seul donné lieu à un journal de voyage mêlé de notes2. L’aspiration insatisfaite au voyage est présente jusqu’à la fin : en 1807 encore, alors septuagénaire, il accueille avec enthousiasme une invitation du roi de Naples (Joseph Bonaparte) à lui rendre visite sur place, se proposant déjà un retour par la Suisse et une visite du Mont-Blanc après celle du Vésuve ; mais la promotion de son illustre protecteur au trône d’Espagne met fin au projet.
Pour s’en tenir aux voyages effectifs, c’est en 1760 que Bernardin de Saint-Pierre, élève contrôleur à l’École des Ponts et Chaussées, quitte la 10France pour la première fois (si l’on excepte un voyage à la Martinique dans son enfance sur le navire de son oncle capitaine qui ne semble guère avoir laissé de trace écrite) : malgré sa scolarité incomplète et l’absence d’un véritable diplôme, les nécessités de la guerre de Sept Ans entraînent sa réquisition dans l’armée du comte de Saint-Germain pour la campagne d’Allemagne en qualité d’ingénieur surnuméraire. Une dispute avec son chef qui provoque sa radiation l’oblige, de façon définitive semble-t-il, à chercher du service hors de France. Il trouve l’année suivante un engagement tout aussi bref à Malte, marqué une fois de plus par des querelles avec ses collègues.
Ce sera l’occasion du premier de nos textes, un bref récit inédit et apparemment inconnu appartenant à un fonds privé, intitulé Campagne et voyage à Malte en 1761. Si, comme il semble, ce manuscrit d’une forme inhabituellement soignée est de très peu postérieur aux faits relatés, il pourrait s’agir du plus ancien des textes de l’auteur. Malgré son titre, il ne dit rien de la « campagne » de 1761 – laquelle n’eut pas lieu, le différend avec les Turcs qui avait motivé le recrutement de l’ingénieur ayant été réglé entre-temps – ni de l’île de Malte, traitée dans des « observations […] recueillies en particulier » qui n’ont pas été retrouvées, mais il relate en détail le trajet aller en diligence de Paris à Toulon, où eut lieu l’embarquement, puis au retour les péripéties de la traversée de la Méditerranée jusqu’à Cannes et Marseille, qu’une tempête aggravée par le mauvais état du bateau et l’incompétence du capitaine transforma en une aventure périlleuse.
Ce récit essentiellement biographique donne beaucoup d’informations sur les contacts, amitiés et protecteurs de l’apprenti ingénieur, victime de ses débuts tumultueux qui barrent sa carrière d’officier, handicapé de surcroît par l’absence d’un véritable diplôme et par un titre de noblesse plus incertain encore. On comprend donc pourquoi, à son retour à Paris, il choisit de s’« abandonner à la fortune », prenant la route de la Hollande avec quelques lettres de recommandation et le vague projet de s’y embarquer pour Lisbonne afin de s’engager dans les troupes du Portugal, qui s’apprête à entrer en guerre contre l’Espagne, alors alliée de la France3. L’aspect le plus neuf de ces pages est peut-être l’image inattendue qu’elles donnent d’un auteur réputé sagement conformiste, celle d’un jeune militaire 11déluré voire libertin, compagnon de beuveries de deux moines débauchés, prêt à partager à l’auberge la chambre d’une troupe de comédiennes peu vertueuses et, tel Don Juan, lutinant au grand scandale du muletier une servante qu’on a fait monter dans sa voiture. Mais le tableau de la tempête en mer laisse aussi présager le talent descriptif des œuvres à venir.
Une nouvelle séquence biographique couvrant les années 1762-1765 s’ouvre avec le départ vers les pays de l’Europe du Nord. Elle sera à l’origine du premier ensemble important de textes de voyage rassemblé dans ce volume. Grâce à l’argent prêté par divers amis parisiens, le jeune homme est en mesure de prendre la diligence de Bruxelles et se retrouve en juin 1762 à La Haye puis à Amsterdam et enfin en Allemagne, à Lübeck, où son compatriote le chevalier de Chazot lui a promis un poste d’ingénieur. Mais la cessation des hostilités de la guerre de Sept Ans le laisse sans ressources et sans perspectives : ses lettres de recommandation restent sans effet, ses démarches pour trouver un emploi militaire où que ce soit en Europe échouent. C’est grâce au journaliste Jacques Mustel, le directeur de la Gazette d’Amsterdam, à qui il rendra souvent hommage, que Bernardin de Saint-Pierre peut poursuivre son itinéraire vers la Russie (Saint-Pétersbourg puis Moscou), où il trouve très vite les amitiés (Duval, joaillier de l’Impératrice) et les soutiens (le maréchal de Munnich, gouverneur de Saint-Pétersbourg, le général du Bosquet, le Grand-Maître de l’Artillerie Villebois) qui lui mettent le pied à l’étrier. Présenté à Catherine II, il entame une carrière prometteuse soudainement interrompue par la disgrâce de Villebois, qui entraîne la sienne, peut-être aussi par son recrutement comme agent diplomatique du Secret du Roi, le service de diplomatie parallèle de Louis XV, alors tout occupé de la sauvegarde des intérêts français dans les futures élections au trône de Pologne. Du moins cette hypothèse prend-elle une certaine consistance au vu de son départ brusqué pour Varsovie, avec l’aide financière de Duval et dix-huit cents livres gagnées au jeu, de ses relations suivies avec divers membres importants du Secret, notamment le diplomate Hennin, qui sera le plus fidèle de ses correspondants et protecteurs, et des intrigues compliquées auxquelles il semble avoir été mêlé entre les diverses factions de la haute aristocratie polonaise. Une arrestation retentissante en juin 17644, qui aurait pu conduire l’intéressé en Sibérie 12s’il avait été livré aux Russes, met un terme à ce qui peut apparaître comme une mission risquée d’agent double. Quittant la Pologne en mars 1765, il cherche vainement un emploi militaire à Dresde et à Berlin, où il aurait rencontré Frédéric II, et rentre en novembre à Paris, où nul ne l’attend. Sous les politesses d’usage, la singulière « recommandation », adressée par Hennin à Choiseul à son sujet, concerne visiblement un agent « brûlé » qu’il est préférable d’éloigner et dont on peut prévoir qu’il n’aura guère d’avenir militaire en France :
Je crois qu’il préférerait l’honneur de servir le Roi dans les colonies à tous les avantages dont on le flatte en Pologne. Il est instruit et sage et je prends la liberté de vous le recommander. Je le crois très propre aux découvertes et aux entreprises périlleuses5.
C’est en effet ce que la suite confirmera. En attendant, Bernardin de Saint-Pierre se retire chez le curé de Ville-d’Avray, non loin de Paris, pour rédiger, à l’intention des bureaux et vraisemblablement dans l’intention de rentrer en grâce auprès du Ministère des Affaires Étrangères, son premier ensemble important de textes de voyages. Ces Observations ou Voyages concernant les pays du Nord de l’Europe (les deux titres sont d’Aimé-Martin, qui a publié le texte dans les Œuvres posthumes à partir d’un manuscrit qui n’a pas été retrouvé mais dans une version qu’on peut juger assez sûre6) ne sont pas cependant des « voyages » au sens usuel du terme. Il y manque à la fois le déplacement spatial au fil d’un itinéraire, le point de vue singulier d’un voyageur-narrateur personnalisé et la relation d’une aventure vécue. Consacrés tour à tour à la Hollande, la Prusse, la Pologne, la Russie, les quatre textes sont en réalité des notes de synthèse ou des mémoires diplomatiques construits 13selon le même plan – géographie physique, géographie humaine, analyse du mode de gouvernement – qui doivent peut-être quelque chose à la courte formation d’ingénieur que Bernardin de Saint-Pierre reçut à l’École des Ponts et Chaussées7, mais aussi aux modèles explicatifs de L’Esprit des Lois, bien que l’auteur se montre assez réservé face au déterminisme climatique à la manière de Montesquieu, et encore plus probablement à l’exemple du Télémaque de Fénelon : relevant d’une sorte de tourisme politique, le parcours des pays de la Méditerranée antique déroulait pour Télémaque, futur souverain d’Ithaque, une sorte d’encyclopédie des types de gouvernement en même temps qu’une galerie de portraits de rois de diverses sortes, bons, mauvais ou perfectibles. On retrouve quelque chose de cette pédagogie politique par la confrontation des modèles nationaux et des monarques placés à leur tête dans la succession des quatre Voyages dans les pays du Nord. Si Bernardin de Saint-Pierre admire la réussite éclatante de la république commerçante de Hollande, fondée sur le culte de l’intérêt et le principe de la tolérance, il ne croit pas son exemple plus généralisable que celui du « gouvernement militaire » de la Prusse de Frédéric II, nouvelle Sparte où la richesse tient au nombre des hommes en armes. Le pire des régimes semble être pour lui celui de l’anarchie féodale de la Pologne, dont le système de monarchie élective a produit une version dégénérée de la république aristocratique, dégradant la noblesse au profit de quelques clans prédateurs et entretenant une effrayante misère paysanne. Entre ces quatre régimes dont aucun n’est idéal, sa préférence irait plutôt au système despotique de Russie, où la nécessité de réformer un empire immense en apportant quelques lumières à un peuple barbare a pour contrepartie la suppression des libertés individuelles et l’arbitraire du prince ; dans la galerie de souverains des Voyages, Catherine II est l’unique dont le portrait soit plutôt positif.
À ces quatre voyages ou plutôt mémoires ont été annexés trois autres textes qui ne relèvent pas non plus vraiment de la littérature viatique, mais qui n’auraient pas existé sans le parcours de Bernardin de Saint-Pierre dans l’Europe du Nord et qui concernent à quelque degré les pays traversés, parfois même les décrivent. Le Projet d’une compagnie pour la découverte d’un passage aux Indes par la Russie est encore un mémoire, écrit 14pour l’Impératrice mais remis entre les mains de son favori Orlof, qui le reçut froidement. L’original est apparemment perdu, mais la copie du dossier 99 des manuscrits du Havre diffère peu de la version publiée par Aimé-Martin dans les Œuvres posthumes, notre texte de référence selon la convention adoptée dans cette édition. Ce projet, dont l’idée pourrait être antérieure au voyage en Russie, appartient à la famille des grandes rêveries cosmopolitiques bernardiniennes, comme le projet de colonie de Californie de 1778 ou beaucoup plus tard celui de la « République des Amis » située vers l’intérieur du continent sud-américain dans L’Amazone. Il s’agit à la fois d’un programme de politique étrangère proposé à la Russie afin de lui ouvrir l’accès aux mers chaudes de l’hémisphère sud, d’un projet commercial – une compagnie des Indes opérant par voie de terre et non par des liaisons maritimes – et d’une sorte d’utopie, les opérateurs formant « une petite république d’hommes libres sous la protection d’un grand empire despotique ». Si Le vieux paysan polonais met en scène, sous la fiction du discours d’un paysan voyageur venu se plaindre à l’impératrice de Russie de l’oppression nobiliaire dont il est victime dans son pays, la réalité sociale de la misère des campagnes en Pologne, les relations diplomatiques entre les deux pays en sont le véritable sujet. Quant au Voyage en Silésie, le seul de tous ces textes qui ne soit pas posthume (il fut publié plusieurs fois du vivant de Bernardin de Saint-Pierre et sous son contrôle, en 1807 et 1808), il s’agit d’une sorte de conte philosophique de type voltairien greffé cette fois sur une anecdote de voyage personnellement vécue. La leçon de relativisme et de tolérance résultant de ce voyage partagé entre gens de diverses nations, origines et confessions peut évoquer le conte-anecdote plus tardif Le café de Surate8 et ce qui doit en être la source commune, le chapitre « Le souper » de Zadig.
Laissant peu de place à la chose vue, à la personne du voyageur et à la relation de ce qu’il vit, n’étant donc ni « inventaire » ni « aventure », l’ensemble formé par les quatre Voyages dans le Nord n’a pas davantage atteint son but en tant que recueil de « Mémoires » destinés à retenir l’attention des bureaux et à favoriser la carrière de leur rédacteur, le manuscrit en réalité n’ayant même pas été lu. Bernardin de Saint-Pierre devra passer à une autre conception du voyage et du texte viatique, cette fois comme récit d’une aventure vécue et comme témoignage personnel 15d’une sensibilité, et aussi écrire pour une autre instance destinataire du texte de voyage : non plus l’administration, mais le public. Il n’y parviendra qu’au terme d’une nouvelle séquence biographique.
Le périple dans l’océan Indien (1768-1771) réalise à la lettre la prédiction contenue dans la missive adressée par son ami Hennin au ministre Choiseul. Ayant échoué à trouver un engagement en France, Bernardin de Saint-Pierre obtient grâce à Breteuil et à Rulhière, diplomates connus en Russie, un poste de capitaine ingénieur du Roi aux colonies, officiellement à l’île de France (aujourd’hui île Maurice), en réalité à Madagascar, afin de relever les murs de l’ancien comptoir de Fort-Dauphin, abandonné depuis 1674, lequel devait servir de point d’appui pour recoloniser l’île entière. Les relations avec le comte de Maudave, chef de l’expédition, se détériorent à tel point qu’à l’escale de l’île de France, où il est nominalement affecté, mais où l’on n’a nul besoin de lui, il refuse d’aller plus loin. Ingénieur surnuméraire en demi-solde, oisif ou chargé dit-il d’un travail de « maître maçon », pris malgré lui dans les conflits qui opposent les autorités administratives de l’île, scandalisé par l’horreur quotidienne du système esclavagiste, insensible à l’exotisme de la nature tropicale, il vit son séjour dans un sentiment d’insupportable exil. Il obtient enfin en septembre 1770 une autorisation de départ pour la France – départ définitif à ses yeux, simple congé impliquant un retour dans son poste semble-t-il pour l’administration ; d’où les années de conflit qui suivront avec les bureaux afin d’obtenir le règlement de la pension qu’il estime lui être due.
Deux escales d’un peu plus d’un mois chacune sur la route du retour, la première à l’île Bourbon (aujourd’hui La Réunion) en novembre-décembre 1770, la seconde dans la colonie hollandaise du Cap en janvier-février 1771, auront une énorme importance pour la suite, notamment dans le changement de sens du négatif au positif qui au retour en Europe accompagnera le passage à l’écriture. Toutes deux incarnent une autre vision de l’ailleurs et une autre conception de la colonisation, idéalisée à Bourbon dans le sens de la pastorale primitiviste des anciens temps, réinterprétée au Cap selon l’image de la Hollande vertueuse, domestique et bourgeoise des Voyages dans le Nord. En suggérant qu’il y a bien une alternative à la violence coloniale de l’île de France, qu’une autre voie plus heureuse est possible, Bernardin de Saint-Pierre, en parallèle à la dénonciation de l’insupportable, ouvre ainsi la voie à l’utopie.
16Commencé sur place dès les années 1768-1770 (l’auteur en a fait lire des passages, notamment sur l’esclavage, à Mme Poivre, née Françoise Robin, l’épouse de l’Intendant Pierre Poivre, son protecteur), le Voyage à l’île de France a été élaboré essentiellement dans les années qui ont suivi le retour en Europe, en juin 1771. Grâce à Condorcet et d’Alembert – Bernardin de Saint-Pierre oscille alors entre les Encyclopédistes et leur adversaire Rousseau, à qui il s’est également lié dès son retour – le livre trouve un éditeur, mais non le soutien espéré des autorités. Bien qu’il ait consenti aux retranchements imposés par la censure, l’auteur doit renoncer au privilège et se contenter d’une permission tacite, sans prise en charge administrative des frais d’impression. C’est donc du public seul qu’il dépend désormais lorsque l’ouvrage paraît en janvier 1773, sans grand profit pour lui cependant, puisqu’il doit intenter un procès à l’éditeur Merlin, qui ne tient pas ses engagements financiers.
La forme est atypique. Entre les modalités consacrées du récit de voyage de l’âge classique que sont la relation ultérieure écrite au retour, le « journal de bord » censément tenu au fil de l’itinéraire, les lettres, non moins fictives souvent, adressées à des amis restés en Europe, Bernardin de Saint-Pierre a privilégié le véhicule épistolaire, non sans intégrer largement les deux formes précédentes, plus d’autres non prévues. Divisé en vingt-huit lettres prétendument envoyées à son ami Duval en Russie – il lui a écrit en effet, mais la correspondance réelle a été considérablement remaniée et amplifiée – le Voyage se présente comme un « texte adressé » mais comporte peu d’indices d’épistolarité et ne met en scène aucun processus d’échange. La lettre V laisse la place, après la formule de courtoisie, à un « journal » relatant par entrées quotidiennes la navigation à bord du Marquis de Castries, lequel s’interrompt ici et là pour insérer des « Observations » sur divers sujets, nullement dépendantes de la progression temporelle, qui sont autant de dissertations. L’excursus dissertatif est encore plus marqué dans les considérations sur l’histoire de la Terre de la lettre XXVI (« Conjectures sur l’antiquité du sol de l’Ascension, de l’île de France, du Cap de Bonne-Espérance et de l’Europe ») ou dans la splendide lettre XXVIII et dernière, « Sur les voyageurs et les voyages ». Mais Bernardin de Saint-Pierre insère aussi, outre des tables nautiques et un descriptif du vaisseau, un lexique des termes de marine (lettre XXVII) et des dialogues inspirés de Fontenelle (« Entretiens sur les arbres, les fleurs et les fruits », ibid.) qui n’appartiennent pas à la norme viatique traditionnelle.
17En quoi réside l’apport du Voyage à l’île de France9 ? On pourrait citer, quinze ans avant l’apparition d’un mouvement abolitionniste en France (en 1788 avec la Société des Amis des Noirs de Brissot), la condamnation apparemment radicale du principe de l’esclavage, curieusement associée avec une certaine prudence pratique dans la mise en œuvre de ces résolutions sur le terrain ; ou encore l’émergence d’une conception holistique de la nature comme réseau de corrélations infinies, « en sorte que tout est lié dans tous les sens, et que chaque espèce forme les grands rayons de la sphère universelle, et est à la fois le centre d’une sphère particulière » (lettre X), préfigurant le système de correspondances des Harmonies de la Nature. On peut en retenir surtout la nouveauté radicale du regard, toujours imprégné d’une sensibilité personnelle même lorsqu’il s’agit de produire une description naturaliste, qui tout à la fois rend manifeste l’exotisme de l’ailleurs et en conteste l’attraction au nom de la nostalgie du pays natal – « Oh ! quand pourrai-je respirer le parfum des chèvrefeuilles ! » (lettre XIII) –, de sorte que l’expérience du voyage se confond nécessairement avec celle du désenchantement.
C’est un double sentiment d’exil en réalité qui attend le voyageur sensible : dans la colonie lointaine, le regret poignant de la patrie au sein d’un décor étranger ; puis, de retour au point de départ, la nostalgie plus étrange de l’île quittée, et qu’il a tout fait pour quitter, mais que la distance et la déception face à l’ici retrouvé rendent paradoxalement désirable : en froid avec Breteuil, Bernardin de Saint-Pierre n’a trouvé aucun emploi et devra attendre pour percevoir la pension à laquelle il estime avoir droit le succès public des Études de la Nature (1784) et de Paul et Virginie (1788). Ce changement de perception, reflété par la mutation positive de l’image de l’île dans le roman s’opposant à la vision très sombre qu’en donnait le Voyage de 1773, explique sans doute aussi que l’auteur ait consacré tant d’années de sa vie à corriger et compléter ce dernier en vue d’une seconde édition considérablement augmentée qu’il ne publia jamais. Ce travail, commencé probablement dès la publication de la première version et même bien avant, si l’on tient compte de l’ajout de fragments inutilisés rédigés lors du séjour dans l’océan Indien, s’est poursuivi en plusieurs phases, dont les divers projets de préambule établissent la chronologie, jusqu’en 1796 au moins, la parution étant prévue pour l’année suivante.
18Révélée par une édition critique aujourd’hui épuisée et introuvable de Robert Chaudenson10, cette seconde version ignorée du Voyage à l’île de France soulève pour les éditeurs des difficultés particulières. La première tient à l’identification des ajouts dans la confusion des feuillets du fonds du Havre – il ne s’agit pas d’un ensemble organisé mais de fragments épars –, puis à la transcription de ces manuscrits d’une lisibilité problématique, ensuite à leur insertion dans l’ouvrage de 1773, dont la structure a été conservée. On doit pour cela se fier aux indications de l’auteur, souvent approximatives et parfois absentes. Un second problème se pose à l’éditeur lorsqu’il souhaite offrir au lecteur simultanément la version « canonique » du texte de Bernardin de Saint-Pierre tel que ce dernier l’a publié et la reconstitution de ce qu’aurait pu être la nouvelle version complétée, reconstitution forcément approximative puisque la position des inserts est rarement indiquée de façon précise. Cette incertitude, ajoutée à l’ampleur des matériaux nouveaux, exclut le recours au système habituel des variantes. En les signalant par l’italique, la présente édition se propose de séparer visiblement tout en les embrassant de façon simultanée les deux strates de l’ouvrage.
En même temps qu’elles apportent beaucoup de précisions concrètes sur le séjour de l’auteur, sur ses relations avec les autorités de l’île et notamment avec son ami l’intendant Pierre Poivre, passées sous silence en 1773, animateur d’un cercle physiocratique qui semble avoir beaucoup compté dans sa formation, ces additions qui sont bien plus que des compléments en font en réalité un nouveau livre. Comme l’explique le projet de prospectus de l’édition projetée pour 1797, cette superposition des niveaux textuels est de deux ordres. Elle creuse d’abord une distance spatiale du regard créatrice d’une sorte de double exotisme en miroir : « J’ai vu l’Europe de l’île de France, aujourd’hui je verrai l’île de France de l’Europe. »
Mais ce « regard éloigné » tient aussi à la distance temporelle entre le livre de 1773 (Bernardin de Saint-Pierre écrit bizarrement 1768, date du début de la rédaction) et celui de 1797 :
Ce sont 29 ans d’intervalle. C’est presque le temps d’une génération ; il sera ainsi écrit par deux hommes, l’un âgé de 31 ans, l’autre de soixante, l’un célibataire et l’autre père de famille. Cependant il sera rédigé par le même puisque ces deux hommes c’est moi.
19Ajoutant la dimension du temps à celle de l’espace, le voyage devient donc une annexe de la littérature personnelle (« depuis j’ai senti que ce qu’il y avait de plus personnel dans un voyageur était ce qui intéressait le plus du voyage », dit Bernardin de Saint-Pierre dans une version antérieure du préambule) et même de l’autobiographie : le souvenir des Confessions et des Rêveries est intensément présent dans cette version ultime du Voyage à l’île de France où l’exploration intérieure l’emporte sur le parcours du monde.
Un problème d’une toute autre espèce, déjà soulevé par Robert Chaudenson mais laissé en suspens, se greffe sur le projet d’édition augmentée du Voyage : quelles en sont exactement les limites ? que faire de divers ensembles de textes thématiquement liés à l’océan Indien, mais sur un autre mode que celui du récit de voyage et dont l’insertion dans le plan de l’édition de 1773 n’est pas prévue ni même vraiment possible ? Il s’agit notamment de ce que Bernardin de Saint-Pierre appelle l’« Article colonie », dont il a un moment envisagé de faire un chapitre séparé ou un appendice à sa nouvelle version du Voyage, mais dont il n’est plus fait mention dans le dernier état du préambule, probablement parce qu’ayant démesurément grossi il aurait déséquilibré l’ensemble. Ayant choisi de le retrancher de son projet, l’auteur aurait-il envisagé d’en faire un livre à part entière ? La présente édition apporte de nouveaux arguments à cette hypothèse, déjà suggérée par Robert Chaudenson, en publiant sous le titre Sur l’esprit de colonie (celui retenu pour l’une des versions de l’avant-propos qui en aurait fait l’ouverture) ce que nous croyons être les matériaux d’un ouvrage inconnu, resté à l’état de projet, sur tous les aspects de la colonisation : définition de ce qu’est une colonie (l’auteur la voit essentiellement comme une communauté agraire qui, idéalement, pourrait s’implanter en France même), typologie des colonies – contre les comptoirs coloniaux à but commercial ou les colonies de plantation orientées vers la production des denrées exotiques au bénéfice de la métropole, Bernardin de Saint-Pierre préconise des colonies de peuplement pratiquant la polyculture vivrière –, réflexion sur la politique coloniale de la France (très hostile au principe de l’Exclusif et favorable à la liberté du commerce) ainsi que sur la question d’une éventuelle émancipation politique des colonies, tout cela directement tributaire du voyage aux îles des Mascareignes, lesquelles ont offert à l’auteur sa documentation et restent le point d’application privilégié de ses propositions, mais ouvrant sur des perspectives plus générales.
20Mais si ces textes, malheureusement très hétéroclites et d’une forme encore plus négligée que ne le sont ordinairement les manuscrits de Bernardin de Saint-Pierre, révèlent chez lui un versant inattendu, celui de l’économiste et du théoricien politique, leur intérêt principal est ailleurs. Multipliant comme à son ordinaire les ébauches de rédaction mal liées entre elles, l’auteur paraît avoir hésité entre plusieurs manières de traiter son sujet. L’une, dont le plan est esquissé de façon assez détaillée dans le dossier 107, fo 30 vo, retrace chronologiquement, sous la forme pseudo-épistolaire de conseils pratiques adressés à un futur colon souhaitant quitter la métropole pour s’installer à l’île de France, toutes les étapes qu’il lui faudra parcourir : la décision du départ, le trajet maritime, le régime à suivre à bord pour prévenir le scorbut ; puis, arrivé dans l’île, le choix d’un site pour y créer une « habitation », l’achat de Noirs – Bernardin de Saint-Pierre part des conditions réelles de l’exploitation coloniale fonctionnant dans le cadre du système servile –, le défrichement des sols, le cérémonial de fondation de la plantation, la construction des bâtiments indispensables ; ensuite les débuts de la mise en culture, les précautions à prendre contre les sauterelles, les rats, les incursions des Noirs marrons, ou sur un autre plan la lutte contre la nostalgie de la patrie et l’ennui délétère d’une existence solitaire au fond des bois ; mais le mariage du colon et les joies simples de la famille y porteront remède ; enfin la gestion humaine d’une micro-société esclavagiste, héritée d’un système haïssable que l’on souhaite abolir, mais avec lequel on est contraint de composer. Transformant sa plantation en communauté patriarcale sur le modèle du domaine de Clarens dans La Nouvelle Héloïse de Rousseau, le maître se donne pour objectif lointain une sortie graduelle de l’esclavage.
Une autre série de fragments, parmi lesquels on trouve quelques-uns des plus beaux textes de Bernardin de Saint-Pierre malgré leur présentation chaotique, suppose cet objectif réalisé à la faveur d’un saut dans l’utopie. Celle-ci est localisée non plus à l’île de France, mais dans celle de Bourbon, une île Bourbon fortement idéalisée, entrevue à l’occasion d’une escale à la fin de 1770 et devenue au fil des années une sorte de mythe personnel. Elle prend la forme d’une république champêtre d’agriculteurs libres, vivant comme aux premiers temps du monde, sans argent, sans livres et bien entendu sans esclavage du produit de leurs cultures en petites communautés autogérées, selon un 21modèle capable de se propager de proche en proche vers les pays voisins et peut-être jusqu’à la métropole elle-même, à l’instar des palétuviers projetant devant eux leurs racines, selon une image souvent reprise dans les utopies « coloniales » de Bernardin de Saint-Pierre.
On trouvera enfin en annexe quelques textes brefs qui ne concernent pas la question coloniale mais sont associés au séjour de l’auteur dans l’océan Indien et offrent un intérêt littéraire ou apportent un éclairage biographique.
Jean-Michel Racault
1 Cet Avertissement se propose seulement de fournir les repères indispensables au lecteur peu familier de la vie et des écrits de l’auteur. On trouvera des informations complémentaires dans la « Bio-bibliographie de Bernardin de Saint-Pierre » accompagnant le tome I des Œuvres Complètes (Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 19-32).
2 Ce Voyage de Normandie ou Voyage en Normandie sera publié dans le dernier volume des Œuvres Complètes (Mélanges philosophiques, scientifiques et littéraires). Le texte a fait l’objet en 2015 de deux éditions, la première publiée par Gérard Pouchain (Mont-Saint-Aignan, Presses Universitaires de Rouen et du Havre), la seconde par Malcolm Cook (Cambridge, MRHA).
3 L’auteur relate sans gêne particulière ce projet qui ne fut pas réalisé et qu’il aurait pu passer sous silence, ce qui suggère que le manque de loyauté qu’on serait tenté de lui reprocher était perçu différemment à l’époque.
4 L’affaire fait l’objet d’une intense correspondance au plus haut niveau qui en suggère la gravité aux yeux des diplomates. On se reportera notamment, dans la correspondance électronique de Bernardin de Saint-Pierre (Electronic Enlightenment, Oxford, The Voltaire Foundation, ci-après désignée par l’abréviation EE), aux lettres de Hennin à Choiseul du 28 juin, du 30 juin, du 7 juillet, du 27 juillet, du 4 août 1764 (BSP no 0007, 2703, 2734, 2704, 0017), de Bernardin de Saint-Pierre au prince Czartoryski de juillet 1764 (BSP no 0009), de Bernardin de Saint-Pierre à Hennin du 27 juillet 1764 (BSP no 0010).
5 Lettre de Hennin à Choiseul du 4 août 1764, EE, BSP no 0017.
6 Voir plus loin les notes accompagnant l’édition. La comparaison avec le manuscrit du même ouvrage appartenant à la Houghton Library (MS Fr 368, Harvard University, vraisemblablement un brouillon ou une copie) menée par Izabella Zatorska révèle certes quelques divergences ou suppressions dans la version publiée par Aimé-Martin, mais elles sont peu nombreuses, et rien n’indique si elles sont imputables à l’éditeur ou à l’auteur lui-même.
7 Voir Gabriel-Robert Thibault, Bernardin de Saint-Pierre. Genèse et philosophie de l’œuvre, Paris, Hermann, 2016, p. 57 et suiv.
8 Publié par Chantale Meure dans le tome I des Œuvres Complètes, Romans et contes, op. cit., p. 883-902.
9 Pour une vue d’ensemble, voir Robin Howells, « Bernardin de Saint-Pierre’s founding work : the Voyage à l’île de France », Modern Language Review, 107, July 2012, p. 756-771.
10 Bernardin de Saint-Pierre, Voyage à l’Isle de France, texte augmenté d’inédits avec notes et index par Robert Chaudenson, Île Maurice, Éditions de l’océan Indien, 1986.
- CLIL theme: 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
- ISBN: 978-2-406-09805-8
- EAN: 9782406098058
- ISSN: 2258-3556
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09805-8.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 09-16-2019
- Language: French