Avertissement
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Œuvres complètes. Tome II. Voyages
- Pages : 283 à 285
- Nombre de volumes : 2
- Collection : Bibliothèque du xviiie siècle, n° 43-44
Avertissement1
[P. 5] J’ai écrit ce petit voyage2 lorsque j’étais professeur de morale à l’École normale ; il est le résultat de plusieurs conversations que j’avais souvent entendues dans mes courses lointaines. Mon but était d’inspirer aux hommes, qui sont les mêmes quant au fond, de la tolérance pour leurs opinions si diverses. Je n’eus pas occasion de le lire en public, l’École normale ayant trop peu duré ; mais j’en fis l’essai dans [p. 6] quelques sociétés particulières et même dans un lycée3 ; partout il me parut qu’il faisait plaisir. Enfin, je l’ai proposé dernièrement à l’Académie Française de l’Institut, pour terminer sa séance publique de distribution des prix de poésie, dont le sujet était l’éloge des voyages et des voyageurs. Il a été agréé de mes confrères, et ensuite applaudi de mes auditeurs. Cette lecture a eu lieu au palais des sciences et des arts, ci-devant Collège des Quatre-Nations, le 1er avril 1807, lorsque Napoléon repoussait loin de nos frontières les peuples du [p. 7] nord4, et fondait à l’Institut de nouveaux prix décennaux5.
284Le succès de cet opuscule m’a décidé à en faire jouir les lecteurs de mes Études6. En conséquence j’en ai fait cette édition in-18o afin qu’ils puissent l’ajouter à La Chaumière indienne, petit ouvrage du même genre et du même format, dont l’édition est épuisée7, et que je fais réimprimer avec Le Café de Surate, qui ne l’a été qu’in-12o8.
Le Journal de Paris, Le Publiciste, et d’autres9 en ont fait l’éloge même avant sa publication. Au contraire, Le Journal de [p. 8] l’Empire s’est exprimé à son sujet avec son indécence ordinaire10 : on pense bien qu’il n’a pas épargné ces mêmes prix décernés par l’Académie ; mais ce cerbère aboie en vain à sa porte, il ne peut mordre ceux qui y entrent, ou qui en sortent avec le rameau d’or.
J’ai déjà écrit contre les maux que font la plupart des journaux littéraires, et surtout celui-ci, à la littérature même ; cependant ils n’égalent pas ceux que produit leur dangereuse influence en politique. Sous prétexte du bien public, de liberté, de religion, etc., ils [p. 9] se font tour à tour les trompettes de divers partis dont ils réveillent et exaspèrent les haines ; ils soufflent le feu de la discorde au milieu de la paix ; ils sont aujourd’hui parmi nous ce qu’étaient des orateurs sans principe et sans frein chez les Grecs et chez les Romains. Notre dernière révolution ne l’a que trop prouvé.
Pour mettre le plus grand nombre de mes lecteurs à portée de juger d’une partie de leurs excès, j’imprimerai incessamment à la tête d’une 285nouvelle édition in-18o de Paul et Virginie la portion la plus intéressante du préambule [p. 10] de la grande édition du même ouvrage que j’ai publiée l’année passée11 ; ils y trouveront d’ailleurs quelques idées12 sur la nature qui les dédommageront du triste tableau13 des désordres de nos sociétés.
Sans doute je me prépare14 pour moi-même de plus douces et de plus sublimes spéculations15 ; j’espère bientôt développer quelques harmonies de ce vaste ensemble16, dont je n’ai présenté, au milieu des orages de ma vie, que des études morcelées ; je m’en occuperai au sein de ma famille et des campagnes, à la faveur des bien-[p. 11]faits dont m’a comblé cette famille illustre17 que la providence semble n’avoir élevé [sic] au-dessus des trônes que pour en réformer les abus, et dont le chef auguste, couronné à la fois de laurier et d’olivier, n’étend si loin l’empire terrible de la guerre, que pour raffermir à jamais celui de la paix18.
[Fin de l’avertissement]
1 Édition de référence pour le seul Avertissement : Voyage en Silésie…, Paris, P. Didot l’aîné, 1807. Les chiffres entre crochets renvoient à cette édition. Elle semble annoncer une autre édition parue la même année chez Didot qui comprend aussi La Chaumière indienne précédée de son Avant-propos et du Préambule, avec des notes légèrement remaniées (respectivement p. v-civ pour le paratexte et p. 1-136 pour le texte), ainsi que Le Café de Surate (p. 137-165). Le Voyage en Silésie (p. 175-198) y vient en troisième position, précédé de son Avertissement (p. 169-174). Cette édition groupant les trois contes réunis sera appelée variante 1807 bis. Dans le manuscrit de la Bibliothèque du Havre (MS 441/10, 3 p. nlb), l’Avertissement de 1807 est intitulé « Avant-propos ». Dans les notes de bas de page sont signalés quelques écarts avec ce manuscrit.
2 Le MS précise : « Voyage en Silésie. »
3 Lycée : « Tout lieu consacré à l’instruction » (DAF, 1798).
4 Il s’agit notamment de la Prusse et de la Russie que Bernardin de Saint-Pierre parcourut dans les années 1762-1765, au lendemain de la guerre de Sept Ans.
5 Prix décennaux : fondés par Napoléon Ier le 11 septembre 1804, ils distinguaient les « hommes qui auront le plus participé à l’éclat des sciences, des lettres et des arts ». Voir https://www.histoire-image.org/etudes/institution-prix-decennaux, consulté le 31 décembre 2016.
6 Études de la Nature : première édition en 1784, seconde en 1786, troisième – avec le 4e tome comprenant Paul et Virginie et L’Arcadie – en 1788.
7 Il s’agirait de la première édition, en 1791, et de sa réédition en 1792, dans le 5e volume des Études.
8 Le Café de Surate avait d’abord été rattaché aux Études : sa première édition eut lieu en 1792, avec la quatrième des Études, la suivante en 1804. En 1807, le conte est pour la première fois publié séparément. Voir OC, t. I, Ch. Meure, p. 883-884. En 1808, il aurait paru à Paris chez Didot une édition in-18o de Paul et Virginie, avec Café de Surate et Voyage en Silésie. Voir Gabriel Peignot, Manuel du Bibliophile ou Traité du choix des livres, À Dijon, chez Victor Lagier, 1823, t. II, p. 329. Cette édition de 1808 semble introuvable aujourd’hui. Ce paragraphe est absent de l’édition 1807 bis.
9 Le MS précise : quatre journaux, dont Le Moniteur.
10 « La séance a été terminée par la lecture d’un Voyage en Silésie, par M. Bernardin de Saint-Pierre. C’est une facétie philosophique qui a fort peu diverti les assistants. Nous en rendrons compte, s’il la fait imprimer ; ce que nous ne lui conseillerions point de faire, si nous étions de ses amis. / Enfin, comme il faut remarquer tout ce que cette séance a présenté d’extraordinaire, nous dirons que les places destinées au public étaient vacantes, au moins pour la moitié », Signé : P. (compte rendu de la séance de la Classe de la Langue et de la Littérature françaises à l’Institut national, le 1er avril 1807 : Journal de l’Empire, 3 avril 1807, p. 4).
11 Bernardin de Saint-Pierre fait allusion à l’édition de luxe in-quarto parue en 1806, « [sur papier] vélin avec fig. », comme il le précise dans le manuscrit. Dans le Préambule (OC, t. 1, p. 333-399) il règle ses comptes avec les journalistes (mais moins violemment que dans le Préambule manuscrit de la Bibliothèque Municipale d’Angers) ; en cause, sa théorie des marées (voir OC, t. I, Notice de Colas Duflo, p. 331-332).
12 Dans le MS : quelques idées nouvelles [raturé].
13 Dans le MS : spectacle [raturé].
14 Dans le MS : propose [écrit en surcharge].
15 Dans le MS : au couchant de ma lire [raturé], [de] mes jours [raturé encore].
16 Dans le MS : ensemble d’univers (?) [écrit en surcharge et raturé].
17 Les Bonaparte, dont Joseph, qui fut le bienfaiteur de Bernardin de Saint-Pierre.
18 Allusion transparente à Napoléon Ier. En effet, la couronne de laurier, associée d’abord à Apollon, revenait notammant à l’empereur romain victorieux, puis aussi aux savants et poètes ; celle d’olivier, le prix distribué aux jeux olympiques anciens, convenait à une compétition pacifique.
- Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
- ISBN : 978-2-406-09805-8
- EAN : 9782406098058
- ISSN : 2258-3556
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09805-8.p.0283
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 16/09/2019
- Langue : Français