Présentation
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Œuvres. Tome IV. Correspondance
- Pages : 13 à 15
- Collection : Textes de la Renaissance, n° 205
PRéSENTATION
J’ay encor par devers moy […] cinq livres de lettres missives : le premier de familieres, pleines de railleries non communes, le second de poincts de doctrine desmeslez entre ses amis, le troisiesme de poincts theologaux, le quatriesme d’affaires de la guerre, le cinquiesme d’affaires d’Estat.
Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, Promethee « Aux lecteurs », 1616.
Devenus Livre des missives et Discours militaires, Livre du second recueil contenant lettres et mémoires d’Estat, Lettres d’affaires personnelles, Lettres familières, Lettres de pieté ou poincts de Theologie, et Lettres de poincts de sience, les « Lettres de feu Monsieur d’Aubigné » occupent un volume des manuscrits de la collection Tronchin, dit T 152. D’autres lettres en tas ou isolées existent en dehors du T 152. La présentation des manuscrits en T 152 est une chose, qui témoigne de l’état du travail de recopiage et de classement effectué par Aubigné, ses secrétaires et/ou sa famille dans les derniers temps de sa vie. Sa « correspondance » ou ensemble des échanges qu’il a effectués par lettres durant sa vie en est une autre. Nous sommes donc sûrs à la fois qu’Aubigné avait commencé à faire rassembler des volumes de lettres en vue d’une publication, prévue dès 1627, qu’il n’a pas fait cette publication, et que le T 152 ne représente qu’une partie des lettres qu’il a conservées. Trois évidences qu’il faudra interpréter à la lumière de l’état des manuscrits, d’une part, et des habitudes de publication de ce début de xviie siècle d’autre part.
Notre préoccupation principale est la correspondance dans son ensemble, qui n’est pas un texte unifié d’Agrippa d’Aubigné, mais un chantier : savoir ce que dit cette correspondance, comment elle nous
permet de renouveler l’œuvre (et en cela la thèse de Barbara Ertlé-Perrier ouvre des horizons prometteurs1) et de renouveler la question de la biographie de l’auteur. Loin de nous l’idée de croire à une correspondance entièrement spontanée, conservée intacte à travers les recopiages que sont le passage de la lettre expédiée à la « minute » conservée, puis au recollement dans un cahier. Bien des lettres sont trop polies pour être honnêtes jusqu’au bout, ou conservant les blancs pour une inspiration ultérieure (Lettre LXXV sur les hommes d’État), ou effaçant les circonstances des demandes qui les justifient (Lettres CLV à CLIX dites à M. de La Rivière), ou préparant leur mise en page (double version CLI et CLII de la Lettre à l’Évêque de Maillezais). Voire comportent des erreurs étonnantes qu’on ne peut imputer à l’auteur initial. Mais dans leur brièveté et parfois leur caractère énigmatique, d’autres semblent bien ne pas prêter à la pose pour la postérité, et garder leur vigueur de lettre réelle, avec des référents et des motivations qui n’ont rien de factices. Les dater, en découvrir les référents, les énigmes, serait aussi élucider pourquoi Aubigné les a conservées malgré leur pauvreté littéraire, dans des sections aussi prestigieuses que les Lettres d’État par exemple.
D’autres ont été conservées dans des circonstances indépendantes des fonds d’Aubigné : vraiment reçues, retrouvées, ou seulement vues et recopiées par quelqu’un dans le passé qui s’en est fait le relais sans que nous puissions suivre leur devenir. Loin de nous aussi l’idée que le texte, intact et sacralisé, serait une valeur intangible et indiscutable : beaucoup trop de mains, on le verra, sont intervenues dans la conservation, pour croire qu’Aubigné serait responsable de tout dans une volonté homogène d’écriture. Nous les gardons, quitte à indiquer en vertu de quel témoignage elles subsistent. Chaque lettre est un cas.
Nous ne suivrons donc pas seulement l’ordre du T 152, pour prendre l’ensemble, préparées, authentiques, ou fabriquées. À ce compte cependant nous nous créons des difficultés et offrons les verges pour nous faire battre. Car la présomption de vouloir tout dater est une grande présomption, qui va se heurter justement aux lettres préparées par l’art épistolaire, indatables, encore moins s’il fallait leur assigner deux
dates (écriture, retouche). Une part non nulle de résidus et de flou va surgir, pour ne pas parler d’imaginaire et d’arbitraire. Nous espérons indiquer des créneaux plausibles. Seconde faiblesse : nous contrarions Aubigné lui-même. En organisant un manuscrit de recopiage qui n’est pas chronologique dans son ensemble, il a aménagé des passerelles, des échos, des voisinages qui semblent bien voulus (les ratures quand le secrétaire se trompe nous informent qu’il suit un ordre précis) et qui portent sens comme le montre Barbara Ertlé-Perrier.
Il n’empêche, persiste et signe : voir l’effet chronologique, redonner de la dynamique au monument et montrer la multiplicité des interventions au sein de ce qui n’est ni un état spontané des textes ni une œuvre close, donnent une lisibilité différente et utile. Idéalement, il nous faut deux présentations : l’une selon T 152 et l’esquisse du monument prévu, l’autre selon la chronologie et l’amplitude de la correspondance réellement retrouvée.
Ce chantier n’est pas ce qu’Aubigné aurait pu vouloir : une œuvre organisée. Faut-il voir en particulier dans la dernière partie l’image de ce qu’il souhaitait montrer, un scripteur aussi savant que probe, témoin de l’histoire de toute une société déjà disparue ? Pouvons-nous nous réjouir des textes plus directs, plus en prise avec l’action, moins fignolés, qui ne correspondent à aucune esthétique, dans l’urgence de relations qui parfois nous échappent ? Faire la part des choses n’est pas facile, et tous les mystères ne sont pas résolus, graphies obscures, mains multiples, flou chronologique, de quoi douter des notions si sécurisantes d’œuvre et d’auteur. Faire la part de la subjectivité de l’auteur n’est pas non plus facile, en l’absence souvent d’informations extérieures, bien que nous ayons cherché à restituer par de nombreux points de vue inédits le contexte bruissant des admirations et des hostilités.
1 Barbara Ertlé-Perrier, Agrippa d’Aubigné épistolier ; des lettres à l’œuvre, Champion, 2008 ; voir aussi « Les lettres d’Agrippa d’Aubigné ; manuscrits, éditions et études, » in Lettre et poésie, Revue de l’AIRE no 31, hiver 2005, diff. Champion, p. 203-216, qui synthétise l’inventaire des manuscrits, les éditions et les travaux critiques les concernant.
- Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
- ISBN : 978-2-406-05878-6
- EAN : 9782406058786
- ISSN : 2105-2360
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-05878-6.p.0013
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 01/10/2016
- Langue : Français