L’imprimeur au lecteur
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Les Avantures du baron de Fæneste
- Pages : 115 à 117
- Collection : Classiques Jaunes, n° 747
- Série : Littératures francophones
Les avantures
du baron de Fæneste1 [1]
L’Imprimeur au Lecteur[1]
Lecteur qui cerches, et as trouvé à rire de contes esloignez du scurrile2, je te veux dire sans le reprocher, que si cet ouvrage merite quelque gré, il m’en est deu plus qu’à l’Autheur, lequel ayant perdu ses humeurs gaillardes, ou par l’aage, ou pour les afflictions, avoit condamné au feu ce dernier livre3, si bien que mes prieres, et celles de plus grands que moi estans esconduites, je trouvai moyen d’en desrober une grande [ii] partie4 par l’aide d’un gentil-homme qui estoit près de lui, et lors estant menacé que ce que je tenois au poing tout bourru5 et tout imparfait verroit le jour, il a esté contraint de faire comme la bonne mere ne pouvant voir son enfant mi-parti6 ; j’espere mettre la main sur quelques autres livres qu’il nomme τάγελοῖα7 de plus haut goust que ceux-cy, si j’en puis venir à bout, j’en ferai part au public : et qu’on ne me die pas comme faisoit nostre autheur, que les plaisants propos estoient dessaisonnez8 en un temps de guerre et d’afflictions : je dis ce que j’ay appris de lui-mesme, que lors les tristesses viennent aussi mal à propos que la peur dans les perils. Adieu. [iii]
1 Les avantures du baron de Fæneste, // Comprinses en quatre Parties // Les trois premieres reveuës, augmentees, et distinguees par Chapitres : // ensemble / La quatriesme partie / nouvellement mise en lumiere // Le tout par le mesme Autheur // Au dezert / Imprimé aux despens de l’Autheur // 1630
2 Scurrile : genre bouffon (latinisme). Le mot figure chez Martin de Braga : « Non erit tibi scurrilitas sed grata urbanitas », transposé par Aubigné dans Tragiques II, 1389 : « Tes bons mots n’aient rien du bouffon effronté » (voir J.-R. Fanlo, « Agrippa d’Aubigné et le stoïcisme chrétien : Le discours de Vertu dans Princes et la Formulae vitae honestae de Martin de Braga », RHR no 76, juin 2013, p. 119-131). On trouve dans La responce de Michau l’aveugle l’opposition entre « injures, et mots de cabaret » et « railleries supportables » (éd. J.-R. Fanlo, Paris, Champion, 1996, p. 7).
3 Sur la condamnation du livre plaisant, voir la Préface des Tragiques, 66-72. Pour le motif de l’œuvre vouée au feu et au martyre, voir la préface au Supplément à l’Histoire universelle, HU, X, 19 et 25. L’Histoire universelle fut condamnée par le Parlement de Paris en janvier 1620.
4 On devine ici « le larcin de Promethee » qui préside, dans le titre et l’avis aux lecteurs, à la publication des Tragiques.
5 Bourru : couvert de duvet, d’où mal dégrossi. Cf. IV, vii p. 318 : « je demourai à la boutique pour leur servir de truchement par ce qu’il venoit tout bourru de Gascogne ».
6 Renvoi burlesque au jugement de Salomon, 1 Rois 3, 16-28.
7 En grec, « joyeusetés ». Le terme figure dans T 160 au bas du 43 vo.
8 Dessaisonnez : hors de saison (Godefroy cite surtout des exemples au sens propre).