Préface du Poème sur la vie de Jésus-Christ
- Publication type: Book chapter
- Book: Œuvres chrétiennes (1644)
- Pages: 75 to 76
- Collection: The Universe of Port-Royal, n° 40
Préface du Poème
sur la vie de Jésus-Christ
Le langage magnifique et figuré de la poésie ayant sans doute quelque majesté proportionnée à l’éminence des actions héroïques, c’est une heureuse rencontre de ce que plusieurs excellents esprits quittent maintenant pour un sujet si noble les illusions de l’amour profane. Il est raisonnable qu’ils célèbrent les louanges des conquérants et des plus grands personnages de leur siècle. Mais il serait à désirer que ceux qui ont tant de soin de rendre ce qu’ils doivent aux créatures eussent la même passion de s’acquitter de ce qu’ils doivent au Créateur. Étant si fertiles en conceptions pour louer les vertus limitées des hommes, appréhenderont-ils d’être stériles en parlant de la puissance infinie de Dieu ? Et les Muses qui, durant qu’elles étaient païennes, chantaient avec tant d’art et de grâces la fausse gloire de leurs dieux, perdront-elles, en devenant chrétiennes, ces ornements et cette pompe si convenables à l’éternelle Majesté que nous adorons ? Il faut au contraire que cet incomparable objet les élève au-dessus d’ellesa-mêmes, et leur inspire des pensées dignes de sa grandeur incompréhensible.
En tous les autres sujets d’écrire, cette généreuse liberté de la poésie se trouve resserrée dans certaines bornes. Et quand même elle veut publier les merveilles de la vie d’un prince que la prudence et la justice conduisent en toutes ses entreprises, et que la fortune et la victoire ne se lassent jamais d’accompagner dans les conquêtes et les triomphes, encoresb qu’il semble qu’elle puisse lorsc s’abandonner entièrement à la belle fureur qui la transporte, il faut avouer néanmoins qu’elle a besoin de se retenir, de peur qu’en donnant aux rois tout ce que le comble de la grandeur humaine peut recevoir d’honneur et de gloire, elle ne passe jusques aux louanges qui n’appartiennent qu’au Roi des rois.
Mais ceux qui consacrent leurs plumes à Dieu peuvent sans crainte déployer toutes les forces de leur esprit : rien ne leur saurait donner 76de bornes dans un champ qui n’en a point ; tout y est infini, éternel, adorable : la perfection y consiste en l’excès ; et cet excès mêmed est toujours beaucoup au-dessous de la vérité.
Ceux qui se plaisent à faire des vers devraient donc choisir principalement des sujets de piété ; et il y a de quoi s’étonner que plus de personnes n’y travaillent en un temps où nous avons pour exemple celui qui possède si dignement la qualité de chef de l’Église1. Qui ne sait que ce pasteur souverain des âmes joint aux sacrées occupations de la première charge du monde le soin de nous faire voir les miracles de la Divinité dans ses illustres ouvrages, où la foi triomphe de l’idolâtrie par les mystères de notre religion, et Rome se voit encore triomphante par la magnificence de ses vers2 ?
Ces raisons m’ayant fait connaître que les charmes de la poésie peuvent être rendus utiles en les employant à des choses saintes, j’ai cru qu’on ne me blâmerait pas si je mêlais ma voix, bien que très faible, avec ceux qui chantent les louanges de Dieu. Et entre divers sujets qui s’offraient à moi, j’ai pris celui de la vie de Jésus-Christ, comme le plus capable d’arrêter les esprits des chrétiens, en leur mettant devant les yeux ce tableau des actions miraculeuses qu’il a faites pour notre salut.
[Je voulais prendre pour titre, Stances sur la vie de Jésus-Christ : mais à cause que ce nom de Stances convient proprement aux écrits qui n’en ont que peu ; que lorsqu’il y en a plusieurs on leur donne le nom d’ode ; et qu’il n’y aurait point d’apparence d’appeler Ode un ouvrage de près de mille vers : j’ai cru être obligé de lui donner le titre, non pas de Poème de la vie de Jésus-Christ, ce qui marquerait un poème héroïque, et ne conviendrait nullement à celui-ci ; mais de Poème sur la vie de Jésus-Christ, ce qui montre que c’est beaucoup moinse.]
Je ne doute point qu’il ne se trouve grand nombre de fautes en cet ouvrage : aussi suis-je bien éloigné d’en prétendre aucune louange : je m’estimerai assez favorisé pourvu que l’on approuve mon intention, et plus heureux que je ne mérite si quelqu’un en tire de l’utilité.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-09566-8
- EAN: 9782406095668
- ISSN: 2491-2530
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09566-8.p.0075
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 03-02-2020
- Language: French