Introduction
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Œuvres complètes. Tome II. Relation autobiographique, entretiens et textes divers
- Pages : 109 à 111
- Collection : Univers Port-Royal, n° 52
Introduction
Les entretiens de la mère Angélique Arnauld avec son neveu Antoine Le Maistre sont un recueil de conversations qui s’échelonnent de janvier 1652 à la fin de l’année 1655. Durant cette période, la mère Angélique séjournait à Port-Royal des Champs autant que ses obligations d’abbesse le lui permettaient. Quant à Antoine Le Maistre, le fils de sa sœur aînée Catherine Arnauld, il s’était retiré à côté du monastère des Champs depuis 1638, sous la direction de l’abbé de Saint-Cyran, inaugurant l’expérience de retraite de ceux que l’on appela bientôt les Solitaires de Port-Royal. Si les entretiens entre la tante et le neveu s’interrompent à la fin de 1655, c’est en raison de l’éloignement d’Antoine Le Maistre, qui choisit de quitter les Champs pour accompagner son oncle Antoine Arnauld dans ses cachettes parisiennes successives, après la censure de ses écrits par la Faculté de Théologie. Antoine Le Maistre meurt trois ans plus tard, en 1658, âgé de cinquante ans. Sa cousine Angélique de Saint-Jean Arnauld d’Andilly poursuit seule l’entreprise de collecte des relations et témoignages au sujet de la mère Angélique. Elle relit, annote et complète la relation transmise par son cousin, qui figure en bonne place dans les Mémoires pour servir à l’histoire de Port-Royal et à la vie de la révérende mère Marie-Angélique de Sainte-Madeleine Arnauld, réformatrice de ce monastère, désignés sous le nom de Mémoires d’Utrecht, publiés dans cette ville en 1742.
De concert avec Angélique de Saint-Jean, Antoine Le Maistre met à profit toutes les rencontres avec la mère Angélique pour lui faire évoquer ses souvenirs, qu’il couche sur le papier après leur rencontre. L’abbesse n’est pas dupe des intentions de son neveu : n’a-t-elle pas déjà compris que l’on ouvrait ses lettres adressées à la reine de Pologne pour les copier avant leur expédition1 ? Ainsi la mère Angélique sait que les conversations avec son neveu sont destinées à être partagées à un plus 110grand nombre et c’est en connaissance de cause qu’elle s’exprime sur des sujets qui lui tiennent à cœur.
Les entretiens rapportés par Antoine Le Maistre prennent des formes variées, qui vont des confidences reçues au parloir en tête-à-tête jusqu’à des conversations plus informelles à l’occasion d’un voyage en carrosse vers Port-Royal des Champs. Lorsque la conversation se tient en présence d’autres personnes, Antoine Le Maistre prend soin de nommer celles-ci : Antoine Arnauld, Robert Arnauld d’Andilly, le solitaire François Bouilly ou l’avocat Jean Issali. D’autres religieuses que la mère Angélique peuvent également assister à ces entretiens. Antoine Le Maistre cite Angélique de Saint-Jean Arnauld d’Andilly et Marie-Dorothée de l’Incarnation Le Conte. Il est intéressant de remarquer que ces deux religieuses comptent parmi les plus actives dans l’équipe de transcription des manuscrits consacrés à la mémoire de la mère Angélique. Marie-Dorothée de l’Incarnation Le Conte supervisa le travail de copie des 1850 lettres de l’abbesse, effectuant elle-même le tiers de ces copies. Aussi est-il significatif que ces deux religieuses entourent la mère Angélique lors de ses conversations avec son neveu : collaboratrices du solitaire, Angélique de Saint-Jean et Marie-Dorothée de l’Incarnation peuvent relire et compléter la relation effectuée après l’entretien et garantissent une parfaite fidélité à la parole de l’abbesse. On surprend même Angélique de Saint-Jean à demander à sa tante si elle est toujours en possession d’une lettre de François de Sales qu’elle vient d’évoquer. Ses intentions sont claires, comme nous le relate Antoine Le Maistre : « comme ma cousine [Angélique de Saint-Jean Arnauld d’Andilly] lui demanda si elle avait cette lettre, ou si elle l’avait donnée lorsqu’on lui demanda celles qu’elle avait de ce saint prélat, pour les faire imprimer avec les autres, elle répondait qu’elle n’avait point voulu donner celles qui parlaient d’elle trop avantageusement. »
Contemporains de la rédaction par la mère Angélique de sa propre Relation autobiographique, les entretiens avec M. Le Maistre sont un complément au témoignage de l’abbesse sur ses premières années au monastère et sur la mise en œuvre de la réforme de Port-Royal. Le caractère bref et fragmenté de ces échanges n’offre pas la continuité du récit autobiographique de la mère Angélique, mais ces conversations viennent approfondir ou préciser certains aspects de la réforme, en fournissant notamment les noms des nombreux directeurs et prédicateurs 111qui se succédèrent à Port-Royal dans les années 1609-1618 : ces hommes aux connaissances et aux personnalités variées permirent à la mère Angélique de préciser sa propre conception en matière de gouvernement communautaire et de prendre la distance nécessaire vis-à-vis de l’autorité de l’ordre de Cîteaux, jusqu’à s’en affranchir en 1630 pour placer le monastère sous la responsabilité de l’archevêque de Paris. On mesure également l’interrogation lancinante qui tourmente la religieuse au sujet de sa propre vocation, au beau milieu de la réforme de Port-Royal : une fois son monastère renouvelé, la mère Angélique s’interroge sur une entrée au Carmel, ou plus tard à la Visitation. Davantage que dans la Relation autobiographique, les entretiens avec Antoine Le Maistre nous donnent à voir les fruits que tire l’abbesse de sa fréquentation de différents religieux, de l’expérience qu’elle acquiert rapidement dans le gouvernement de sa communauté, des critères de discernement des vocations qu’elle se forge peu à peu au fil des rencontres. Certaines confidences offrent une percée dans l’intimité de la religieuse. On peut regretter qu’elles soient peu nombreuses, mais ce bref éclairage suffit à révéler les thèmes qui hanteront Angélique jusqu’à son dernier souffle : l’attachement aux siens, le sens du devoir et le goût pour l’action, mêlés à une insurmontable peur de la mort et du jugement divin.
Anne-Claire Volongo
1 A. Arnauld, Œuvres complètes. Tome 1 – Lettres, Paris, 2020, vol. 2, lettre 873.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-15009-1
- EAN : 9782406150091
- ISSN : 2491-2530
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15009-1.p.0109
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 15/11/2023
- Langue : Français