Georges Poulet et Jean-Pierre Richard Correspondance (1949-1984)
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Alkemie Revue semestrielle de littérature et philosophie
2023 – 2, n° 32. L’animal - Auteur : Orcel (Michel)
- Pages : 387 à 389
- Revue : Alkemie
GEORGES POULET
ET JEAN-PIERRE RICHARD
Correspondance (1949-19841)
Tous deux rangés dans l’École de Genève, liés par une forte amitié malgré leur grande différence d’âge (le premier avait vingt ans de plus que le second), Georges Poulet et Jean-Pierre Richard ont échangé pendant près de quarante ans une abondante correspondance. De cet échange, toujours passionnant et souvent amusant, c’est à coup sûr la figure de Jean-Pierre Richard qui émerge avec le plus de vigueur. Moins connu que Jean Starobinski (« Staro » pour les amis et les élèves), mais tout aussi écrivain, Richard a renouvelé la critique littéraire de son époque en abordant les textes sous un angle résolument sensualiste. Sans méconnaître le structuralisme (il repère vite Gérard Genette et Roland Barthes), il s’attache très tôt à l’apparente surface du texte pour en faire saillir les moteurs inconscients, dessinant ainsi des archipels de langage, des tissus de motifs qui renouvellent tout à fait la lecture des auteurs les plus classiques. Poulet avait bien compris cette singularité richardienne : « L’objet est pour vous chose avant tout convoitable, donc comestible et assimilable […]. … Vous êtes un mystique de la matière, donc un unioniste, et non pas un relationiste. Le relationiste (comme Staro) est celui qui tend à établir une connaissance de l’être, l’unioniste (Jean-Pierre) tend à saisir l’être et à devenir être, il fait de la critique ontologique et non épistémologique2 ! » (lettre du 30 décembre 1958). Il y a là un peu d’emphase (peut-être ironique), mais aussi beaucoup de vrai, et l’un des enseignements de cette correspondance est l’étonnante précocité de l’instrument à la fois critique et langagier (avec sa typique substantivation d’adjectifs) de Richard. Là encore, Poulet nous aide à 388mesurer toute la valeur de son jeune correspondant : « Ainsi devenez-vous vous-même, ce que presque jamais n’arrive à être un critique du temps passé (ou d’aujourd’hui) : un écrivain intégral, n’ayant aucun besoin de médiation pour exprimer son expérience, bref, non seulement […] un de nos premiers critiques, mais encore un de nos premiers écrivains3 » (lettre du 12 août 1973).
Parmi les mille petites découvertes de tous ordres qu’offre cette correspondance, on notera les difficultés que rencontrait Richard pour trouver un titre à ses essais (Poulet lui en envoie des listes) ; de brefs portraits amusants de contemporains (« Michel Foucault […] sorte de néo-Blanchot géantisé », « le gentil Deguy4 »…) ; les critiques acerbes contre Paris et le milieu universitaire (« l’université française […] malade », « les brouillards surpolitiques de Paris5 », les « petits marquis pédantesques de Tel Quel 6 », « la pression des philosophes en vogue, la fureur méthodologique et théorique7… »), sans parler de savoureuses remarques sur Bonnefoy, que Richard admire : « L’ennui […] avec Bonnefoy, c’est qu’il se charge d’être son propre critique et qu’il est difficile avec un écrivain vivant et admiré de se placer au troisième degré8 ». Mais le moment le plus drôle de cette correspondance est le récit que fait Poulet de ses démêlés avec l’ombrageux et tyrannique Char, qui veut à tout prix régenter jusqu’à la critique de son œuvre, et la réaction de Jean-Pierre Richard qui lui répond : « Char est fou, simplement, littéralement fou… Je l’ai vu […] dans une sorte de délire […] de sa propre grandeur non reconnue. […] C’est un homme vaniteux et blessé, qui a reçu en outre du surréalisme, et du romantisme, l’idée imposturale d’une poésie sacrée dont il serait sur terre le serviteur ébloui et crucifié9… » (lettre du 13 mai 1963). On notera au passage le néologisme « impostural » qui est tout à fait richardien.
Bref, cette correspondance est une mine dont il faut saluer la publication. Et l’on saluera du même coup Stéphanie Cudré-Mauroux, délicate 389et savante archiviste de fonds prestigieux (Starobinski en particulier), mais également éditrice scientifique de premier ordre, à laquelle on associera pour cet ouvrage le nom de Marta Sábada Novau.
Michel Orcel
- Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN : 978-2-406-16439-5
- EAN : 9782406164395
- ISSN : 2286-136X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-16439-5.p.0387
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 31/01/2024
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : École de Genève, sensualisme, critique unioniste, université, modes parisiennes