Comptes rendus
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Ædificare Revue internationale d’histoire de la construction
2022 – 2, n° 12. La perspective de l’accident - Auteur : Bernardi (Philippe)
- Pages : 249 à 256
- Revue : Ædificare
Ivan Lafarge (éd.), L’archéologie des matériaux dans le Val-d’Oise et le Vexin Français, Revue archéologique du Vexin français et du Val-d’Oise, no 45, 2022, 382 p., ISSN 1140-7409.
Le numéro 45 de la Revue archéologique du Vexin français et du Val-d’Oise, créée en 1966, illustre, avec ses neuf articles et ses vingt-et-unes notices de sites, le caractère foisonnant de nombre de publications archéologiques. De l’extraction des silex (Philippe Simon et Joël Vital, « Une minière d’extraction de silex à Maule (Yvelines), lieu-dit Pousse-Motte », p. 17-58) à l’exploitation des matières dures animales (Jean-François Goret et Dorothée Chaoui-Derieux, « Os, bois de cerf, ivoire et corne : l’exploitation des matières dures animales de l’Antiquité aux temps modernes », p. 165-176), en passant par les haches en pierre polie (Roger Martinez et alii, « De la hache polie au territoire, production et diffusion dans le Val-d’Oise et le Vexin français », p. 59-82) et les céramiques (Yves-Marie Adrian, « Une importante production de céramique commune gallo-romaine aux porte du Vexin : le site potier de la forêt de Lyons-la-Forêt (Eure) », p. 83-106 et Stéphane Regnard et alii, « Un atelier de potier du ixe siècle au hameau de Chaudry à Vienne-en-Arthies (Val-d’Oise) », p. 107-164), les objets étudiés marquent par leur diversité et font la richesse de telles entreprises éditoriales auxquelles chacun peut puiser suivant ses centres d’intérêts. L’ambition de ce numéro thématique consacré à « L’archéologie des matériaux dans le Val-d’Oise et le Vexin Français » va toutefois au-delà de l’actualité des fouilles pour, comme le précise Ivan Lafarge son coordinateur, « faire une synthèse à l’échelle du Vexin français et du Val-d’Oise » (p. 8) qui permette de « penser les matériaux comme une composante de la culture matérielle, mais aussi de la société et de ses réseaux » (p. 9). Le projet est ambitieux ; son promoteur ne s’en cache pas. Il rejoint des entreprises comme celles conduites par Jacqueline Lorenz, Jean-Pierre Gély et François Blary pour la pierre à bâtir1 ou de Sylvain Burri et Mohamed 250Ouerfelli sur l’artisanat et les métiers en Méditerranée2 (entre autres) et qui consiste à passer outre la focalisation sur certains produits pour tenter de mieux saisir les modalités de productions et d’échanges qui irriguent et animent les sociétés anciennes.
Les matériaux de construction ne sont qu’une des composantes de ces flux de productions et d’échanges, et leur étude ne peut que s’enrichir par une ouverture aux multiples éléments de comparaison proposés. Mais en-deçà de l’analyse synthétique qu’engage à mener la lecture de l’ensemble du dossier d’études réuni par Ivan Lafarge, il est à souligner que l’Histoire de la construction peut aussi faire son miel, au sein de telles publications, d’une actualité de la recherche archéologique qui permet d’approcher au plus près la richesse des données fournies par les enquêtes conduites à l’échelle d’un site ou d’une région. Les quatre articles qui ferment ce dossier portent ainsi, suivant des approches diverses, sur des matériaux de construction.
Le premier, rédigé par Jean-Pierre Gély (« Inventaire de la ressource en pierres de construction du Vexin français », p. 177-191), se présente comme une vaste entreprise d’identification des ressources lithiques menée à l’échelle d’une région naturelle. Il s’agit là, comme l’explique l’auteur, de « la première investigation nécessaire afin de mettre en évidence le schéma d’approvisionnement des chantiers de construction dans un temps long » (p. 177). L’exposé méthodologique de la « reconnaissance cartographique » engagée est, à lui seul, d’une grande richesse et se poursuit par une description détaillée de diverses formations géologiques présentes et exploitées dans le Vexin français. Jean-Pierre Gély livre avec cet inventaire un état des connaissances sur les ressources et les anciennes exploitations de pierres de construction identifiables à l’échelle d’une région qui s’avère être la plus variée d’Île de France dans ce domaine. La « liste » proposée se veut exhaustive en ce qu’elle ne se concentre pas sur les « pierres dimensionnelles » ou pierres d’appareil mais envisage aussi les moellons, sables, argiles et le gypse tirés du sous-sol du Vexin français. Elle adopte également un point de vue dynamique, mettant en avant les évolutions que l’exploitation de certaines ressources a pu connaître au cours du temps avec la création, le développement ou l’abandon de centres carriers. Elle pointe aussi les 251variations observables dans la diffusion de produits exploités au niveau local et/ou pour l’exportation, à l’exemple des calcaires du Lutécien. La ressource en pierres de construction se dégage d’un caractère immuable ou de l’alternative entre présence et absence auxquels elle est encore trop souvent réduite pour s’animer et devenir objet d’histoire.
La contribution suivante (« Le plâtre, un matériau d’Île-de-France dans la longue durée. Approche des modes de production en Val-d’Oise et en Vexin », p. 193-207) est due à Ivan Lafarge et se concentre sur le seul gypse. Alors que « l’Île-de-France présente un des gisements de gypse les plus importants à l’échelle mondiale » (p. 194) et que ce matériau se présente comme « une des ressources naturelles les plus abondantes au nord de Paris » (p. 193), il faut bien reconnaître que son exploitation a laissé peu de traces archéologiques. L’approche des modes de production conduite par Ivan Lafarge n’en est que plus méritoire même si elle se heurte à une cruelle faiblesse de l’information obligeant l’auteur à osciller entre la présentation des données régionales et une synthèse débordant de ce cadre strict. Les premiers paragraphes introductifs généraux cèdent la place à une approche du plâtre envisagée à travers la chaîne d’opérations qui jalonnent sa fabrication : de l’extraction à la cuisson, au broyage et à sa mise en œuvre. L’auteur y évoque, grâce à une maîtrise remarquable d’une information encore trop dispersée, la diversité des solutions adoptées, entre concentration et dispersion des opérations, mais aussi l’impact du recours à ce matériau sur la forme du bâti ou le passage d’usages traditionnels à une industrialisation de la production, sensible à l’époque moderne. Inlassable promoteur de ce matériau méconnu, Ivan Lafarge nous livre ici un aperçu de la richesse de son histoire à ce niveau régional mais aussi de la fragilité des témoins qui subsistent encore de son exploitation et de la nécessité que revêt leur étude.
Avec l’article de Céline Blondeau (« Exploitation du calcaire à l’âge du fer et au Moyen Âge. L’édification de l’éperon barré du “Camp-de-César” à Nucourt (Val-d’Oise) », p. 209-233), nous quittons l’échelle régionale pour une étude de site passionnante par sa richesse et la précision des informations recueillies. Le rempart en question est une construction de pierre imposante de près de 140 m de long (ouverte à l’origine de deux entrées en chicane), avec une largeur de 4,90 m et une hauteur restituable d’environ 4,50 m, sans doute surmontée d’une palissade de bois. Ce rempart, grossièrement orienté nord-sud, est bordé sur sa face 252est d’un fossé d’où ont été tirés les matériaux ayant servi à l’édifier. S’il barre un éperon rocheux, son caractère défensif n’est pas assuré et l’auteur n’écarte pas qu’il ait pu avoir une fonction symbolique ou sacrée. Les observations faites sur cette construction lors d’une fouille programmée menée de 2004 à 2008 permettent de restituer les chantiers d’édification, de récupération et de réparation qui se sont succédé sur le site pendant près d’un millénaire.
Le mur originel, construit à la fin du premier âge du Fer, probablement dans le dernier quart du ve siècle avant notre ère, se compose de deux parements de grandes dalles de pierre de 250 à 650 kg mises en place grâce à une rampe d’accès rehaussée pour chaque assise et composée d’une succession de couches de calcaire surmontées chacune d’une couche de limon argileux permettant aux blocs de mieux glisser. Entre ces parements, les bâtisseurs ont disposé des écailles de pierre, inclinées et se recouvrant partiellement l’une l’autre, pour composer une fourrure qu’ils ont scellée avec une poudre de calcaire. L’intérêt de cette étude ne réside toutefois pas uniquement dans les éléments qu’elle fournit sur les modalités de construction du mur. Parallèlement, une observation attentive des traces d’outil présentes dans les fossés ayant servi de carrière pour les blocs de pierre employés en élévation a permis de distinguer trois modes d’extraction distincts. Le colossal travail d’inventaire des marques d’outils renseigne ainsi sur le type d’outil employé (singulièrement, un marteau taillant) comme sur les gestes du carrier et les modes opératoires de l’extraction. La grille de lecture des traces d’outils et de la chaîne opératoire a ensuite permis de caractériser différents modes d’exploitation et d’identifier, au-delà d’une phase d’intenses récupérations autour du ive siècle après J.-C., trois phases de reconstruction du rempart protohistorique, vers 950-1015, qui peuvent être mises en relation avec le traité de Saint-Clair-sur-Epte par lequel, en 911, Charles III, roi des Francs, concéda au chef viking Rollon la partie occidentale du Vexin et plaçant Nucourt dans une zone frontière. Il n’est pas question de prétendre épuiser ici les apports de l’étude originale de Céline Blondeau qui se présente comme exemplaire.
L’ultime article dont il sera question est également consacré à un site (« La production de mortier au cœur d’un chantier de construction : le cas du four à chaux de la villa d’Arthies (Val-d’Oise) », p. 235-247). Aurélien Lefeuvre y présente les résultats d’une fouille réalisée en 2011 à 253l’occasion d’une déviation routière et qui a permis de mettre au jour une partie d’une villa gallo-romaine construite dans la première moitié du premier siècle après J.-C. et désaffectée à la fin du iie siècle. Plus qu’à la villa elle-même, c’est à une unité de production de chaux que s’intéresse cet article. Les fouilles ont, en effet, permis de découvrir, dans la partie nord du site, près de l’établissement balnéaire de la villa, un ensemble de huit foyers circulaires d’un peu moins d’1,70 m de diamètre disposés en deux alignements parallèles de quatre foyers. Ces derniers, creusés dans le substrat de sable de Fontainebleau, ont été identifiés comme des fours aériens ou plutôt comme un seul four doté d’une unique chambre de chauffe alimentée par huit foyers latéraux, suivant un type de structure de production assez rare mais dont plusieurs exemples ont été retrouvés en Île de France et en Normandie (Jouars-Pontchartrain « Ferme d’Ithe » ; Touffréville ; Courdimanche « Zac du Bois-d’Aton »). Dans ces foyers, alimentés avec du bois de hêtre, pour lesquels four et fournée ne font qu’un, les voûtes bâties avec les pierres à chaux semblent avoir été étayées par des treillis de branchages souples, suivant une technique qui n’a jusque là pas été observée en ethnoarchéologie. L’observation de cette structure de production antique s’enrichit de l’analyse menée par Aurélien Lefeuvre, du contexte de sa mise en œuvre qui a pu être reliée très clairement au chantier de construction de la villa mettant ainsi en évidence le caractère éphémère et pour ainsi dire « domestique » de la structure, en lien étroit avec la phase d’édification des bâtiments du domaine.
Ce volume 45 de la Revue archéologique du Vexin français et du Val-d’Oise témoigne du travail de fond mené par des associations qui, comme le Centre de recherches archéologiques du Vexin français, maillent le territoire national dans lequel elles s’ancrent et de la nécessité d’une diffusion de leurs travaux.
Philippe Bernardi
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Estefanía Martín, Còssima Cornadó, César Díaz, Pere-Joan Ravetllat, Sara Vima-Grau, « La arquitectura de la industria textil catalana : Can Bagaria y las técnicas constructivas en hierro – The architecture in the catalan textile industry : Can Bagaria and the iron constructive techniques », Loggia, no 35 – 2022, p. 94-113, [en ligne] DOI : https://doi.org/10.4995/loggia.2022.16975
L’article dont il va être question offre, en premier lieu, l’occasion de dire quelques mots de la revue Loggia, Arquitectura & Restauración dont le 35e numéro vient de paraître. Cette revue, disponible en ligne (https://polipapers.upv.es/index.php/loggia/issue/view/1196), a été créée en 1996. Elle est actuellement dirigée par deux enseignants de l’Universitat Politècnica de València (Espagne) : Camilla Mileto et Fernando Vegas López-Manzanares. Si les contributions sont majoritairement espagnoles, l’aire couverte par la revue dépasse très largement le cadre de la péninsule ibérique comme en atteste, par exemple, ce dernier numéro où se côtoient des articles consacrés aux aventures italiennes de Ruskin et Viollet-le-Duc, aux plans de conservation programmée au Costa Rica, aux édifices en pierre australiens, à l’église de las Escuelas Pias de Valence (Espagne), au cimetière nord de Montevideo (Uruguay), à l’architecture industrielle catalane et aux peintures murales d’un ermitage de Guadalcanal (Andalousie). Ce qui pourrait apparaître comme une forme d’éclectisme trouve toute sa cohérence dans le fait que la revue se concentre sur la restauration architecturale et les domaines connexes de la restauration picturale, sculpturale et archéologique. L’objectif avoué de la revue est de rassembler des travaux présentant les interventions sur le patrimoine historique d’un point de vue théorique, méthodologique et/ou technique, afin de diffuser ces recherches « de manière systématique et périodique » et de créer un forum de discussion autour des questions de conservation et de restauration. C’est là un gisement d’informations majeur, largement accessible du fait du bilinguisme (espagnol-anglais) des articles publiés.
255La contribution livrée dans ce 35e numéro de la revue par cinq chercheurs de l’Universitat Politècnica de Catalunya – Barcelona Tech est un bon exemple de la qualité des travaux publiés et de l’intérêt que certains peuvent présenter pour l’Histoire de la construction. Elle porte sur les bâtiments de l’entreprise textile Can Bagaria, construits entre 1920 et 1925 par l’architecte Modest Feu i Estrada (1870-1933) dans la localité de Cornellà de Llobregat, au sud-ouest de l’agglomération de Barcelone. Les circonstances ayant amené ces cinq chercheurs à travailler sur la manufacture de Can Bagaria ne sont pas clairement indiquées mais il est plus que vraisemblable que leur intervention soit liée aux dégradations subies depuis la désaffection des bâtiments, dans les années 1970, et au projet de réutilisation des locaux. En plein accord avec les thématiques de conservation et de restauration qui fondent la revue, l’étude identifie en effet l’eau comme le principal agent pathogène et détaille les effets de l’oxydation sur les éléments métallique de cette architecture. La présentation ne se limite toutefois pas à un diagnostic et cherche à caractériser la construction de cette fabrique catalane tout en la replaçant dans le contexte de l’évolution de l’architecture industrielle du tournant des xixe-xxe siècles. Sur la base des travaux universitaires de Ramon Gumà i Esteve3, les auteurs reprennent en introduction de leur propos les différentes étapes de cette évolution en Catalogne. Ils retracent le passage, entre le milieu du xviiie siècle et les premières décennies du xxe siècle, d’une fabrication dispersée à une concentration des opérations en un même lieu. La « maison-usine » (vivienda-fábrica) puis l’usine fluviale laissent ensuite la place à la fabrique urbaine alimentée par la vapeur. Ce dernier type apparaît d’abord sous forme de bâtiments à deux travées et quatre ou six étages avant que ne se développe, au début du xxe siècle, un nouveau type d’architecture à portique, sur un seul plan, bidirectionnel et isostatique, dont Can Bagaria représente l’un des exemples les plus évolués. L’usage massif du fer et de la fonte, décrit en détail et abondamment illustré dans l’article, inscrit clairement l’architecture industrielle catalane dans l’évolution technique de son temps4. Mais les auteurs mettent également en évidence 256ce qu’un tel type de bâtiment doit à la maçonnerie traditionnelle en briques, notamment pour la confection de ses voûtes. Le recours, avec la voûte en briques planes (bóveda tabicada), à un type de couvrement communément employé dans l’ère méditerranéenne à partir des xiie et xiiie siècles tisse ainsi des liens entre des domaines que les découpages académiques nous engagent trop souvent à considérer comme distincts. C’est là un des apports de cet article dynamique auquel les spécialistes des architectures industrielles contemporaines trouveront à n’en pas douter beaucoup d’autres qualités.
Philippe Bernardi
1 Jacqueline Lorenz, Jean-Pierre Gély et François Blary (dir.), Construire la ville. Histoire urbaine de la pierre à bâtir, Paris, CTHS, 2014.
2 Sylvain Burri et Mohamed Ouerfelli, Artisanat et les métiers en Méditerranée médiévale et moderne, Aix-en-Provence, PUP, 2018.
3 Ramon Gumà i Esteve, Origen i evolució de les tipologies edificatòries i característiques constructives dels edificis de la indústria tèxtil a Catalunya (Període 1818-1925), Thèse de doctorat, UPC, Barcelone, 1997.
4 Voir, par exemple, Jean-François Belhoste et Paul Smith, Architectures et paysages industriels : l’invention d’un patrimoine, Paris, La Martinière, 2012.
- Thème CLIL : 3076 -- TECHNIQUES ET SCIENCES APPLIQUÉES -- Architecture, Urbanisme
- ISBN : 978-2-406-16730-3
- EAN : 9782406167303
- ISSN : 2649-177X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-16730-3.p.0249
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 24/04/2024
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français