Comptes rendus
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Ædificare Revue internationale d’histoire de la construction
2021 – 2, n° 10. varia - Auteurs : Bizri (Mélinda), Bernardi (Philippe), Bühler (Dirk), Weber (Christiane)
- Pages : 319 à 334
- Revue : Ædificare
Cédric Moulis (éd.), Archéologie de la construction en Grand Est. Actes du colloque de Nancy – 26 et 27 septembre 2019, Nancy, Presses Universitaires de Nancy – Éditions Universitaires de Lorraine, 2021 (Collection Archéologie, Espaces, Patrimoines), 294 p.
L’ouvrage réunit 15 contributions réparties également en trois thématiques : un volet portant sur les pratiques de l’archéologie du bâti (cadre administratif, enjeux, méthodes), et deux volets dont l’entrée choisie est centrée sur le matériau : bois puis pierre.
Comme le souligne Cédric Moulis dans l’introduction des contributions (p. 7-10 Cursus Rerum), le colloque qui s’est tenu à Nancy en 2019 s’inscrit dans un contexte d’essor de rencontres et de publications autour du thème de l’archéologie du bâti. En effet, en 2019 s’est également tenu un autre colloque international sur ce thème1 ; en 2020, les actes du colloque de Guédelon ont paru2 et, en 2021, une nouvelle manifestation était consacrée à l’archéologie du bâti mené en contexte préventif3, pour ne citer que quelques exemples de cette actualité.
L’objectif affiché de la tenue du colloque de Nancy était de rassembler autour d’un moment de discussions et d’échanges, les différents acteurs concernés par le bâti ancien afin d’en améliorer ou favoriser la « synergie » sur les différences d’approches. Pour cette raison sans doute, l’expression « archéologie de la construction » qui se veut être un concept plus englobant des processus de production de l’œuvre, a été préférée à celle d’archéologie du bâti ou sur le bâti. Si le titre n’en fait pas état, les études présentées se concentrent sur les périodes médiévales et modernes.
320Le cadre géographique est large puisqu’il inclut des cas d’études d’Alsace, Lorraine, Champagne-Ardenne et Bourgogne-Franche-Comté. Cet espace n’est pas homogène. Les trajectoires historiques de ces territoires sont très différentes et par conséquent les corpus et cadres d’intervention nécessairement différenciés, car héritiers des caractères propres à la construction institutionnelle de chacun de ces espaces. Cet aspect est un peu discuté (notamment en partie I) mais peu rappelé dans le reste de l’ouvrage. Il transparaît surtout à la lecture des contextes décrits de manière détaillée dans les dossiers documentaires (sources et ressources) des études de cas (notamment partie II et III).
La partie I, intitulée Enjeux, méthodes et techniques de l’archéologie de la construction, rassemble des contributions diverses.
Deux mettent en évidence les cadres d’interventions dans lequel les opérations d’archéologie sur le bâti ancien ont eu cours. La première contribution (Sitâ André, « Les opérations sur le bâti en Lorraine. Synthèse et évolution des pratiques », p. 13-29) concerne plus particulièrement la Lorraine et les opérations sont replacées derrière l’histoire des cadres législatifs et institutionnels qui ont évolués entre 1991 et 2016. Sans grande surprise, un effet de loupe est dû soit à l’investissement de la recherche universitaire qui privilégie des secteurs ou des thématiques données (telles que les châteaux en Alsace par exemple), soit au dynamisme des centres urbains (moindre pour la Lorraine comparativement à l’Alsace) et notamment de prescriptions de diagnostics sur les maisons. Cet article s’appuie sur un remarquable bilan chiffré (quasi exhaustif) et traité de manière statistique. Il retrace aussi pertinemment les grandes réformes institutionnelles et leurs conséquences dans l’opérationnel archéologique.
Une seconde communication concerne une autre échelle, la Région Grand Est, plus particulièrement sur l’articulation de ces opérations d’archéologie avec les Monuments Historiques (Noémie Guérin, « Monuments historiques et archéologie de la construction : une orchestration complexe au service du patrimoine », p. 31-46). Des études de cas représentent la diversité des possibilités d’articulation des intervenants (nombreux face à la maîtrise d’ouvrage) dans le montage administratifs (variété des réglementations et aides financières…), techniques (complexité des calendriers…) et scientifique des dossiers (prise en charge 321de l’archéologie par exemple). Plus particulièrement l’impact de la réforme de 2009 sur la maîtrise d’œuvre (mise en concurrence des ACMH) y est remis en perspective avec pour conséquence des ajustements dans la pratique du CST (contrôle technique et scientifique) et la mise en avant de nouveaux outils plus efficaces dans les dossiers (par exemple rédaction du cahier des charges, demande volontaire de diagnostic-DVD).
Ces deux retours d’expériences d’agents de l’État en fonction à la CRMH (Conservation Régionale des Monuments Historiques, DRAC -Grand Est) dressent un panel de cadres d’interventions très diversifiés, complexes, non normatifs et hétérogènes, de l’intervention d’archéologie sur les constructions anciennes et concluent sur la nécessité d’un dialogue entre les acteurs, à poursuivre.
L’intervention de Vincent Cousquer amène une réflexion sur les pratiques de la restauration de la statuaire de la Cathédrale Notre-Dame (Vincent Cousquer, « Les artisans de l’œuvre Notre-Dame de Strasbourg, recherches et pratiques ; l’exemple de la sculpture et l’évolution des principes de restauration », p. 47-67). Il témoigne d’une démarche originale de recherche expérimentale en histoire de l’art où sa pratique de la restauration de la sculpture est bien restituée. Les grands courants de restaurations de la sculpture depuis le xixe siècle à nos jours sont décrits à partir des statues restaurées de la cathédrale (médiévales et du xixe siècle notamment). L’auteur s’interroge sur ce que ces pratiques révèlent de notre rapport au patrimoine artistique. En effet, selon les moments, le choix esthétique a parfois prévalu sur la valeur historique de l’œuvre sculpté restitué ou réparé et inversement. Aujourd’hui, face à une vision « mécaniste » (qui s’appuie sur la géométrie, la mesure) pour réaliser des copies conformes ou des empiècements, l’auteur plaide pour retrouver l’intention, restituer l’intangible, dans une démarche davantage « vitaliste », par la recherche du geste créateur. Il nous oblige à nous réinterroger sur ce qui rend œuvre d’art et en cela, bouscule certaines considérations toujours actuelles sur ce qui est digne de valeur historique ou ne l’est pas.
Avec la contribution sur la cathédrale de Metz, le propos poursuit une réflexion autour du matériau et du chantier, où sont également interrogés les pratiques de restaurations du xixe siècle (Alexandre Dissier, Maxime L’Héritier, Philippe Dillmann, Marc Leroy, « Approvisionnement du chantier et usage des métaux dans la construction gothique », p. 69-90). 322Le sujet traite du métal dans l’étude du beffroi de la cathédrale, menée à l’occasion d’une restauration. Les objets (crampons, scellements) sont analysés à partir de critères morphométriques et spatiaux. Les auteurs ont fait appel à des descriptions archéologiques (mise en œuvre des scellements, archéologie du bâti pour détecter les réemplois), techniques (réalisation des attaches), métallographiques (chimie des matériaux), et des datations 14C afin d’en approcher la chronologie. Les procédés de productions sidérurgiques (direct et indirect) sont clairement présentés. Ils questionnent de manière plus élargie la chronologie de l’émergence de ces procédés et de l’économie du métal pour l’époque médiévale dans ce secteur (croisement des sources textuelles et archéologiques des zones d’extractions et de production du métal). Cette contribution pluridisciplinaire éclaire le chantier de construction du beffroi pour les périodes médiévales (xiiie-xve s.) à industrielles (charnière xixe-xxe s.).
La partie I s’achève avec la présentation d’une base de données intitulée IMAGE : Itinéraire médiéval des sites archéologiques du Grand Est (Isabelle Mangeot, Cédric Moulis, « La base de données “IMAGE” : un archivage en ligne du bâti archéologique du Nord-Est de la France », p. 91-98). La base est pensée comme « bibliothèque numérique » et décrite dans son architecture numérique. Elle recense 205 sites concernant le bâti médiéval répartis sur un large secteur Grand Est de la France, pour 4234 documents issus de fouilles ou de travaux universitaires (documentation produites tels que plans, coupes, photographies etc.).
Les usages du bois sont décrits à travers 3 études de cas et 2 synthèses dans la deuxième partie.
Patrick Bouvard dresse une première expertise sur la charpente d’une église de la Marne (Patrick Bouvart, « La nef de l’église de Largery : une première piste explorée pour la constitution d’un corpus de toitures en lauze dans la Marne », p. 101-109). Il met en évidence le lien plus que déterminant dans ce cas d’étude entre type de charpente et type de couverture. L’analyse de la charpente (type d’assemblage, critique d’authenticité) mais aussi des murs porteurs, lui permet de supposer l’existence jusqu’ici insoupçonnable d’une toiture en lauze (calcaire) sur la nef, peut-être du xvie siècle et de plaider pour des compléments d’investigation sur ce site, ainsi que pour un inventaire et une reconnaissance plus large de ce type de réalisation.
323Dans le diocèse de Toul (Meurthe-et-Moselle), la quête du bois médiéval est aride pour Cédric Moulis (Cédric Moulis, « La bois dans la construction au xiie siècle dans le diocèse de Toul », p. 111-134) qui tente malgré tout une première synthèse. En effet, le secteur a pâti des destructions de la Guerre de Trente ans (milieu xviie siècle) et des transformations d’églises qui en ont suivi au xviiie siècle. Sans charpente médiévale complète et à partir d’un corpus fragmenté, l’approche est thématique (types d’usages du bois) et principalement comparatiste (analyses menées par analogies aux études de corpus voisins mieux connus notamment pour les charpentes ou la question soulevée de l’approvisionnement et du transport). Tous les éléments en bois sont recensés dans la construction : du bois formant armature ou cintrage à l’échafaudage (constitué d’essence de hêtre), contribution notamment à souligner pour ce type d’ouvrage de chantier, rarement mis en avant.
À Colmar (Haut-Rhin), l’analyse porte sur des ensembles conventuels des ordres mendiants (Lucie Jeanneret, en collaboration avec Willy Tegel, « Les charpentes médiévales du couvent des Dominicaines d’Unterlinden de Colmar (Haut-Rhin) : bilan des études (1999-2018) et comparaisons », p. 135-152). À parti des données collectées dans un cadre préventif, des charpentes anciennes (dispositifs médiévaux et modernes) sont mis en évidence là où l’état des édifices ne le laissait pas augurer.
La question des typo-chronologies de charpentes est cœur du projet Corpus Tectorum, (Patrick Hoffsummer et Sylvain Aumard, « Le projet de Corpus Tectorum des régions Grand-Est et Bourgogne-Franche-Comté de la France », p. 153-167), coordonné par la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine (MAP). La publication du corpus Grand Est et Bourgogne-Franche-Comté est en cours d’élaboration, recensant déjà 400 exemples regroupés dans 48 groupes typologiques médiévaux et modernes (majoritaire) ; mis en évidence à partir d’études archéologiques des édifices et de datations dendrochronologiques. Les charpentes sont classées à partir de leur forme, leur structure et de leur matériau, fiches comprenant des illustrations normalisées (relevé 1/20e, coupe transversale, coupe longitudinale des deux fermes) sur le modèle de publications déjà existantes pour le Nord et l’Ouest de la France. Quelques tendances ressortent déjà de ce corpus. Un changement dans la technique de construction est perceptible à la fin du xiie siècle. Sur les évolutions morphologiques des couvertures à tuiles, l’analyse de ces éléments montrent plutôt une 324adaptation des productions des ateliers au chantier. Le type de charpente est également corrélé aux types de couvertures et à la disponibilité de la ressource avec les problèmes d’approvisionnement en bois, connus pour la fin du Moyen Âge, entraînant des adaptations.
Une maison urbaine de construction mixte fait l’objet de la dernière présentation de cette partie (Maxime Werlé, « De briques et de bois. Une singulière maison médiévale (xiiie-xive s.), quai Saint-Nicolas à Strasbourg », p. 169-185). Cette maison strasbourgeoise conserve un pignon à redents en façade principale. La prise en compte de la maison dans son environnement urbain (îlot, parcelle, statut social des propriétaires) l’a révélé dans une autre dimension : avec un premier niveau sur rue en brique probablement du xiiie siècle (par analogie aux mises en œuvre du type de brique observé dans la ville) et un pan de bois construit à l’arrière (1376d) et possédé par un artisan au xvie s. qui dénote avec le quartier voisin plutôt caractérisé par des maisons à cour aristocratique.
La partie III sur La pierre et le chantier s’ouvre avec une contribution sur un ouvrage en pierre sèche granitique, à la chronologie et la fonction imprécise, situé aux abords d’un site médiéval dont l’expansion est connue entre le ve et le xve siècle (Charles Kraemer et Axelle Grzesznik, « Le granite, un matériau de construction pérenne dans le massif vosgien cristallin : l’exemple du Saint-Mont (Vosges, ve-xve s.) », p. 189-205). La méconnaissance des élévations limite la possibilité d’interprétation de l’ouvrage dont plusieurs hypothèses de restitutions sont proposées (couronnement par clavage, palissage ou terre et végétaux). L’analyse des fondations des autres édifices du site est précise et met en évidence différentes techniques de mis en œuvre de cette roche (par exemple, la limousinerie ou limousinage de moellons presque bruts irréguliers sans liants, portant pour certaines parties des libages, sortes d’armatures de gros blocs).
Dans la Meuthe-et-Moselle, Marc Fellier s’empare de l’étude d’une église romane, avec une lecture classique d’archéologie des élévations (Marc Fellier, « L’étude du bâti de l’église romane de Mont-Saint-Martin (54). Premières observations, premiers résultats et premières hypothèses », p. 207-229). Avec l’analyse des supports, il propose de lire un changement du voûtement de la nef et du plan initial, aujourd’hui marqué par un chevet à trois absides. Si quelques relevés et une orthophotographie 325sont présents, il manque à cette démonstration la présentation d’autres relevés et du plan de l’édifice.
Le contexte favorable donné par le Département de l’Aube, propriétaire des lieux, a permis la réalisation d’une étude archéologique d’un corps de logis de la commanderie templière et hospitalière d’Avalleur (Vincent Marchaisseau, Cédric Roms et Pierre Testard, « Le corps de logis de la commanderie templière et hospitalière d’Avalleur », p. 231-257). Six états marquent l’évolution du bâtiment entre la fin du xiie-xiiie siècle et le milieu du xixe siècle avec des étapes marquantes comme la réduction de la hauteur de l’édifice et le changement de circulation au xve siècle qui en a complexifié la lecture globale. L’étude d’archéologie sur le bâti est croisée avec les données textuelles, stylistiques et des datations dendrochronologiques. Une fouille programmée poursuit les questionnements de la fonctionnalité des espaces en parallèle d’un projet de centre d’interprétation proposé comme affectation pour le bâtiment.
Sept états compris entre la fin du ixe siècle (première crypte et avant-corps) et le xviiie siècle sont avancés pour la collégiale Saint-Vivent dans les Ardennes (Cédric Roms et Patrice Bertrand, « La collégiale Saint-Vivent de Braux (08) à partir de ses fondations (ixe-xviiie s.). Premiers résultats de la fouille de son pourtour », p. 259-275). La particularité de l’étude archéologique est qu’elle n’a pu concerner que les fondations bien que les autres sources aient été mis à profit afin d’avancer les hypothèses de chronologie (matériaux, forme du plan, sources textuelles), dans l’attente d’une possibilité de poursuite de l’enquête sur les parties hautes.
Enfin, le dernier cas d’étude proposé autour de la thématique de la pierre et du chantier concerne l’enceinte urbaine de Metz (Mylène Parisot-Didiot avec la collaboration de Julien Trapp, « Étudier l’enceinte urbaine médiévale de Metz : méthode, résultats et enjeux », p. 277-288). Il fait état de la redécouverte et mise en valeur de cette enceinte à travers un programme portée par une association, Historia Metensis, créée en 2008 et de travaux menés dans le cadre d’une thèse pour l’étude d’un moineau (ouvrage défensif de fossé) du xvie siècle.
François Fichet de Clairfontaine souligne en conclusion l’intérêt des contributions de cet ouvrage (François Fichet de Clairfontaine, « Un instantané qui invite à poursuivre, approfondir et confronter les approches », p. 289-291). Il regrette aussi l’absence de représentation 326de plusieurs acteurs de l’archéologie sur le bâti, souligné à plusieurs reprises dans l’ouvrage (introduction et première partie) et appelle à « l’exigence » d’une collégialité d’actions.
Au terme de trois parties portant sur autant sur de cas d’études ou de synthèse réalisés en contexte préventifs ou de recherches universitaires (principalement sur le bâti civil ou religieux), valorisées par les communautés territoriales ou non, en concertation DRAC ou non, menées principalement sur deux régions (Grand Est et Champagne-Ardenne, Bourgogne-Franche-Comté dans une moindre mesure), ce panorama fait d’abord état de l’actualité de l’archéologie de la construction sur les périodes médiévales (milieu et bas Moyen Âge principalement), modernes, et à la marge, industrielle (xixe-début xxe siècle). Cette actualité est dynamique pour le Grand Est où déjà des rencontres régulières consacrées à l’économie des matériaux sont organisées (3e éditions en 2021 à Charleville-Mézières- Pierre à Pierre III). Le retour d’expérience du domaine de la restauration – ici l’Oeuvre Notre-Dame – montre, comme lors du colloque de Guédelon, l’intérêt d’ouvrir la réflexion à tous les praticiens du bâti. Comme pour d’autres rencontres scientifiques sur le sujet, l’appel à inclure une plus grande diversité d’acteurs de la construction et du patrimoine dans le débat autour des pratiques d’études et de conservation est lancé.
Mélinda Bizri
Université de Bourgogne / UMR 6298 ARTEHIS
melinda.bizri@u-bourgogne.fr
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Jacobo Vidal Franquet, Gènesi i agonies de la catedral de Tortosa – Genesis and Agonies of Tortosa Cathedral, Barcelone-Tarragone, edicions de la Universitat de Barcelona-Publicacions de la Universitat Rovira e Virgili, 2020 (Lliçons, 12), 189 p.
L’Institut de Recerca en Cultures Medievals (IRCUM) de l’université de Barcelone a pris l’initiative de publier dans une collection dédiée (Lliçons) une série de conférences données en son sein. Le douzième volume de cette collection nous propose ainsi, en édition bilingue (catalan et anglais), le texte de la contribution inaugurale des 15e journées de l’IRCUM qui se sont tenues en 2016. Sous le titre évocateur de Genèse et agonies de la cathédrale de Tortose, Jacobo Vidal Franquet, enseignant en Histoire de l’art à l’Université de Barcelone et auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire médiévale de Tortose4, brosse l’histoire mouvementée d’un lieu de culte qui, de la conquête chrétienne de 1148 à nos jours, a connu de multiples transformations. Fidèle à l’argument de la collection, l’ouvrage demeure dans sa forme proche de l’exposé oral, adoptant un style très direct et réduisant l’apparat critique à une soixantaine de notes infrapaginales. Les illustrations sont également en nombre limité (six au total, en noir et blanc), tout comme les divisions internes ; le propos étant divisé en quatre parties inégales, sans sous-parties, dont on peut regretter qu’elles n’apparaissent pas dans une table des matières plus que succincte. La première partie de l’ouvrage, intitulée « Ciutat i territori », s’applique à brosser à grands traits le contexte médiéval d’érection de cette cathédrale, rappelant l’importance majeure, aujourd’hui quelque peu oubliée, de cette cité dont le pont sur l’Ebre était un passage obligé entre Barcelone et Valence et qui contrôlait le commerce de la laine, du blé et du bois descendant par le 328fleuve. L’histoire de la construction rejoint ici celle de la cité, évêché et cathédrale puisant leur richesse dans le dynamisme d’un vaste territoire. Les débuts de la cathédrale sont aussi ceux du pouvoir de l’Église dans cette région conquise en 1148. Du siège épiscopal roman, bâti à partir de 1158 et consacré en 1178, bien peu de souvenirs demeurent et son emplacement même a longtemps été sujet à controverses. Son souvenir sera emporté par les travaux engagés au xive siècle et qui affectent, tout d’abord le palais épiscopal dont la construction, impulsée par l’évêque Berenguer Desprats, s’inscrit dans la lignée des travaux contemporains d’Avignon ou de Narbonne. La cathédrale gothique, elle, devra encore attendre la fin des années 1330 pour voir sa construction engagée. La partie intitulée « Dues catedrals gόtiques, si més no » revient sur le déroulement de ce chantier, bien documenté par les travaux, notamment de Victòria Almuni Balada5. L’auteur y met en lumière et en valeur la richesse d’une documentation qui nous renseigne sur les voyages faits par le maître d’œuvre à la recherche de modèles comme sur les questions de métrologie, de traçage ou de plan. Si la première pierre du monument est posée en 1347, la Peste Noire va très vite arrêter les travaux qui ne reprennent que dans les années 1370-1380. L’impact du fléau ne se limite pas ici à un ralentissement des travaux, à une désorganisation du chantier et de son approvisionnement et à une augmentation des coûts. Il débouche sur un changement de plan qui mène à l’adoption d’une solution peu catalane à double déambulatoire. Plus que sur la forme adoptée, Jacobo Vidal Franquet insiste sur le processus de prise de décision, sur le caractère collectif de la création architecturale, la réflexion menée et les échanges suscités, bien loin de la vision encore trop souvent proposée de l’architecte tout à la fois génial et solitaire. La durée même du chantier va à l’encontre d’une trop forte personnalisation de l’œuvre. Les travaux, ici comme ailleurs, s’étirent dans le temps l’édifice gothique ne se substituant que lentement à celui d’époque romane, se combinant plus avec lui que s’y substituant vraiment. Il faut attendre 1441 pour que sorte de terre le premier pilier de la nef et que près d’un siècle après le début des travaux, l’autel majeur soit consacré. Cela ne marque pas pour autant la fin de la construction. Au-delà de l’intervention de Pere Compte en 1490, l’auteur enjambe 329la césure académique du xvie siècle pour insister, sans nier l’existence de certains changements, sur la continuité de l’œuvre qui fait de la cathédrale de Tortose « un bon exemple de gothique moderne » (p. 70).
Le déroulé chronologique de l’exposé nous conduit ainsi jusqu’au xviiie siècle. C’est alors que le propos de la « leçon » change de ton pour prendre celui d’une critique sans concession d’une série de « restaurations » qui, des changements affectant le cloître à l’élimination de la façade fluviale de la cité, ont profondément modifié l’image du monument à partir des années 1990. Le lecteur jugera à la lecture de l’argumentation présentée si les restaurateurs ont usé là de pratiques peu licites, agissant plus par « caprice » que dans le respect du monument. Cette dernière partie de l’ouvrage peut paraître déroutante tant elle bouscule le confort d’une approche passive du lecteur pour l’impliquer dans ce que l’on pourrait désigner comme un débat de société. Elle inscrit, ce faisant, la démarche savante dans la cité en lui redonnant une parole que les décideurs lui dénient trop souvent. Elle semble en cela tout à fait stimulante.
Philippe Bernardi
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Stefan M. Holzer, Gerüste und Hilfskonstruktionen im historischen Baubetrieb. Geheimnisse der Bautechnikgeschichte, Berlin, Ernst & Sohn, 2021, 470 p. ill.
The third volume in the “Edition Bautechnikgeschichte” series, published by Karl-Eugen Kurrer and Werner Lorenz at Ernst & Sohn since 2018, is like the previous two a substantial volume in both senses of the word: with 470 pages and 459 illustrations, the 21 x 28 cm 330volume weighs in at 2.2 kilos. In many years of research, its author, Stefan Holzer, has pursued a much sought-after but hitherto scientifically little dealt with mystery of construction history and presents his results in an intriguingly written and richly illustrated work: „Scaffolds and auxiliary constructions in historic building operations“.
His research opens up an academic field of construction history that deals with ephemeral building structures, the study and knowledge of which provides essential information about historical building methods even beyond the historical-theoretical contribution to building technology. These temporary constructions could only be made accessible through the intense study of written and pictorially-based sources over many years. They could become not only visible but above all comprehensible through traces still perceptible on the building itself. Both, the study of sources and the search for traces on buildings, are of course particularly time-consuming in the case of non-permanent auxiliary constructions, but represent – as now displayed – an extraordinarily rewarding work that can only be achieved through profound study and meticulous detailed labor. The author’s approach to the research topic passes far beyond the previously published literature.
The historical and cultural scope of the book covers construction sites from antiquity to the beginning of the First World War, taking into account mainly sources and preserved traces from Western Europe, including above all Italy, France, Germany but also the Alpine countries, Great Britain, Belgium as well as a few from Spain. Similar studies for Eastern Europe, the Ottoman and Arabic-influenced Mediterranean region or even the Americas or Asia would certainly also yield surprising discoveries.
The content of the volume is arranged according to the type of construction and the use of the scaffolding and auxiliary constructions on the building site. A detailed introduction (chapter 1) provides an overview and thoroughly explains the thematic layout of the following five chapters, the selection of objects dealt with, as well as the sources available and those used. In doing so, Holzer outlines the specific and epistemic framework set not only for this study, but also for potential future researches. The title of this first chapter is programmatic, as the history of scaffolding is identified with the history of the building site. It is inherent to the nature of this broadly designed task that it is not 331possible to strive for completeness. Therefore, in his introduction (p. 13), the author refers to the equally important building auxiliaries that are not dealt with: such as pile drivers, cofferdams and their drainage, excavators, and vertical formwork.
Within the particular chapters, the chronology serves as a general guideline, but the focus is on specific techniques, their development, significance, modification and use in the building process. In the first place the text contains an astonishingly comprehensive knowledge, evaluation and detailed presentation of the research based on historical printed sources. The author collected and handled these theoretical and practical construction treatises himself for decades and exhibited them for the first time in 2006 in a fascinating exhibition at the Bundeswehr University in Munich. In addition, the text offers clear descriptions of still perceptible traces of scaffolding and auxiliary constructions on built structures. Again and again, the reader is guided with great sensitivity to the remaining distinguishing marks on the building, their documentation and interpretation: in this way, the readership is made aware of how to identify and read these traces. Where necessary, drawings illustrate the individual elements, their assembly, the technical terms and, above all, the way in which the scaffolding and auxiliary constructions worked. It is evident that the author owes his knowledge not only to the study of written and pictorial references, but especially to his practical knowledge of historical buildings; it is very helpful that, as a civil engineer, he is also familiar with modern calculation and construction methods as well as the work and conditions on a building site.
At the beginning (chapter 2), the focus lies on the analysis of representations of painted, drawn and written sources of scaffolds and a closer look at their still visible traces on the building. The presentation starts with the simple but timeless trestle scaffolds for bricklayers, plasterers and painters. The following section on historical cantilever scaffolding is particularly exciting because it reflects the procedures and decision-making processes on the building site. Pole scaffolding and its variant, the so called “Lantenengerüst”, constitute the largest section. Here, for the first time, the famous model of the scaffolding for the Perlach Tower by the Augsburg city architect Elias Holl is discussed and analyzed in detail. Finally, historical scaffolding for renovation work is also included.
332The two following chapters are devoted to an exciting display on centerings for vaults (chapter 3) and domes (chapter 4) and, in keeping with their importance, make up the main part of the book: an important contribution to the understanding and reconstruction of historical building processes, but also helpful for assessing and preserving historical buildings. First of all, types of centerings in vault construction made of ashlar and stone, bricks as well as for formwork in the Roman “opus caementitium” up to the first modern concrete applications are dealt with. It is noteworthy that methods such as the use of earth for formwork (p. 99 ff.) have also found their way into the book. The examination of a model of the centering for St. Anna in the Augsburg Model Chamber deserves special attention and shows the value of historical models for the history of construction. Centering for domes require even more art-skills from the master builders: in the following chapter, the construction of the Florentine cathedral dome occupies rightfully a central section before its successors, above all in Italy but also in France, are treated in detail. A critique of sources on historical documents of dome construction in the section “False friends” is methodologically and thematically significant, especially for future studies.
The subject of the fifth chapter on cranes, lifting and transport devices, has rarely been dealt with in a scientific manner. In this chapter, types of historical cranes and their respective development are described, classified and evaluated with scientific accuracy in a construction-site-specific representation. Thanks to good documentation, lifting gears of antiquity and the Middle Ages as well as their operating techniques are described thoroughly and precisely in this chapter on the basis of treatises from antiquity and illustrative representations from the Middle Ages. The same applies to the innovations in lifting technology at the beginning of the Early Modern Age. A large part of this chapter is devoted to the lifting techniques used during the Italian Renaissance, which are described based on treatises, drawings and traces on buildings, together with the almost timeless so-called lifting claws – this refers to the devices used to bracket the stones to be lifted attached to a rope. Scaffolding for the horizontal transport of elements or even entire buildings is also dealt with in detail. The relocation of the Vatican obelisk is analyzed as an example. Historical models, here from the Conservatoire des Arts et Métiers in Paris, again play an important role in this chapter. Finally, 333the reader learns about the beginnings of modern cranes powered by steam and electricity.
Scaffolding and centering in the engineering’s most prestigious discipline, bridge construction, is dealt with in detail and systematically in the concluding chapter (Chapter 6). This chapter is even preceded by a short overview on the history of bridge engineering. The discourse in this chapter initiates in Renaissance Italy and then moves on to the scaffolding for arch bridges in all their various designs produced outside of Italy. The surviving 17th century centering of the bridge at Grins/Tyrol is given prominent attention and its construction is explained by a graphically detailed analysis. After an excursus on British bridge construction, the bridge scaffoldings and centering in France after the foundation of the Corps de Ponts et Chaussées in 1716 and their dissemination over the continent are documented and analyzed, all of them illustrated by drawings. The concluding four sections are devoted to the origins of modern building materials and construction methods in bridge construction, scaffolding and centering techniques, already supported by the emerging engineering sciences.
In common over all chapters and particularly praiseworthy is the consistent mentioning of the dates of life of the master builders and their full first names, which are not abbreviated as it is usually the case. Unfortunately, this is still a common practice in engineering: both dates were not considered worth mentioning until the 20th century, which certainly sheds light on their self-assessment and the perception of the engineering profession and means time-consuming additional research for today’s historians of construction. The indexes of sources used, keywords, persons and image references in the appendix are helpful tools for reading. The consistent naming of primary sources is exhaustive. However, the strict limitation to mention just the secondary literature used in the text makes further work on the topic difficult.
After a cursory reading, a critic might just as well conclude that the selection of examples was arbitrary and along the best possible illustrations, but this criticism is not legitimate: the availability of sources simply does not allow any other approach and all illustrations clearly underline the written discourse. The easily understandable, often even entertaining style of writing and the exceptional, rarely published illustrations give Stefan Holzer’s book the ultimate touch. From these 334historical, geographical and thematic points of view, the book itself not only promises to become a work of reference and a classic in construction history, but also offers sufficient impulses for new, further research by encouraging the reader to continue looking for traces in documents and on the built structures themselves and by bringing about a new way of reading the physical constructions.
Dirk Bühler
Deutsches Museum, Munich
Christiane Weber
University of Innsbruck
1 Christian Sapin, Sébastien Bully, Mélinda Bizri et Fabrice Henrion (dir.), Archéologie du bâti Aujourd’hui et Demain, Nouvelle édition [en ligne]. Dijon : ARTEHIS Éditions, 2022 (généré le 08 juillet 2022). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/artehis/25779>. ISBN : 9782958072643. DOI : https://doi.org/10.4000/books.artehis.25779.
2 Anne Baud et Gérard Charpentier (dir.), Chantiers et matériaux de construction : De l’Antiquité à la Révolution industrielle en Orient et en Occident, Lyon, MOM Éditions, 2020. Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/momeditions/9752>. ISBN : 9782356681751. DOI : https://doi.org/10.4000/books.momeditions.9752.
3 Archéologie préventive sur le bâti : 5e séminaire scientifique et technique de l’Inrap, 28 et 29 octobre 2021.
4 Jacobo Vidal Franquet, La construcció de l’assut i sèquies de Xerta-Tivenys (Tortosa) a la Baixa Edat Mitjana. De la promoció municipal a l’episcopal, Benicarló, Onada Edicions, 2006 ; Idem, Les muralles medievals de Tortosa, Tortosa, Museu de l’Ebre, 2007 ; Idem, Les obres de la ciutat. L’activitat constructiva i urbanística de la Universitat de Tortosa a la Baixa Edat Mitjana, Barcelone, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 2008.
5 Victòria Almuni Balada, L’obra de la Seu de Tortosa (1345-1441), Tortosa, Dertosa, 1991 ; Idem, La catedral de Tortosa als segles del gòtic, Benicarló, Onada Edicions, 2007.
- Thème CLIL : 3076 -- TECHNIQUES ET SCIENCES APPLIQUÉES -- Architecture, Urbanisme
- ISBN : 978-2-406-13544-9
- EAN : 9782406135449
- ISSN : 2649-177X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13544-9.p.0319
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 31/08/2022
- Périodicité : Semestrielle
- Langues : Français, Anglais