Book reviews
- Publication type: Journal article
- Journal: Ædificare Revue internationale d’histoire de la construction
2019 – 1, n° 5. L’entrepreneur de bâtiment : nouvelles perspectives (Moyen Age – XXe siècle) - Authors: Bernardi (Philippe), Gély (Jean-Pierre), Moussard (Michel), Simonnot (Nathalie)
- Pages: 215 to 228
- Journal: Ædificare
Frédéric Épaud, La charpente de la cathédrale de Bourges. De la forêt au chantier, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2017 (Collection « Perspectives historiques »), 207 p., ISBN 978-2-86906-435-5.
Frédéric Épaud a consacré en 2011 un gros article à « La charpente de la nef de la cathédrale de Bourges1 », qui avait jusque-là fait l’objet de peu de travaux historiques. Cette étude, engagée en amont d’un chantier de restauration de la charpente qui devait durer de 2010 à 2014, présente le bilan des données recueillies et propose « un nouvel éclairage sur l’histoire de la construction de la cathédrale, sur l’organisation de son chantier, notamment concernant son approvisionnement en bois d’œuvre et, enfin, sur les techniques mises en œuvre pour l’exécution et le montage de la charpente » (p. 502). Avec le présent ouvrage, et au terme du relevé et de l’analyse exhaustifs permis par la restauration, Frédéric Épaud revient donc une nouvelle fois sur la charpente de la cathédrale de Bourges qu’il traite alors dans son ensemble ; évoquant, en plus de la nef, le chœur, la croupe absidiale, et le beffroi de la tour occidentale sud. Le plan suivi est à peu près le même qu’en 2011 (historique de la construction, le bois d’œuvre, la structure de la charpente, le chantier), mais le livre ne se contente pas d’intégrer les premiers résultats à ceux d’une enquête élargie ; il ne se limite pas à un changement d’échelle. Le traitement « à chaud » des données recueillies pour la nef fait place aux résultats d’une recherche documentaire et d’une analyse fouillées, dégagées des contraintes du chantier archéologique lui-même. Le livre s’inscrit dans un autre temps : celui d’une réflexion scientifique exigeante et chronophage qui impose de revenir sur son objet et ses données, de les comparer et de les mettre en perspective et d’en soutenir l’exposé par une riche illustration.
L’objet de cet ouvrage est, en premier lieu, la charpente et plus particulièrement la charpente médiévale de la cathédrale de Bourges. La 216construction de cette église débuta, en 1195, par son chœur, achevé en 1214. Le chantier de la nef lui succéda (1225-1255) ; le voûtement de cette dernière n’intervenant qu’en 1266, tandis que la tour occidentale sud ne disposa de son beffroi qu’en 1270. Plus que de « médiévale » c’est d’« initiale » qu’il conviendrait de qualifier cette charpente car, bien que les multiples modifications subies par cette structure au cours des siècles soient scrupuleusement envisagées, c’est la restitution de la charpente bâtie au xiiie siècle qui se trouve au centre du propos de Frédéric Épaud. Plus que de parler de charpente, au singulier, c’est le pluriel qu’adopte l’auteur ; l’un des apports de son enquête étant, précisément, de bien mettre en évidence et de caractériser les divers « ensembles structurels » qui couvrent la cathédrale. Alors que le beffroi de la tour occidentale sud fait l’objet d’un traitement à part, dans le chapitre v de l’ouvrage, et que le cas des charpentes des bas-côtés, entièrement détruites dans un incendie en 1559, est évoqué de manière presque incidente, le corps du texte porte avant tout sur les diverses parties qui composent la charpente du vaisseau central. L’ensemble d’origine à chevrons-formant-fermes présente une trame homogène avec une répartition des fermes par travées courtes composées d’une ferme principale avec entrait et poinçon et d’une série de fermes secondaires, qui laisse à penser qu’il y a eu une conception générale basée sur un dessin originel. Mais l’analyse fine conduite par l’auteur à partir des données fournies par les campagnes dendrochronologique et archéologique met en évidence des différences, entre la nef et le chœur, dans la section des pièces, le marquage des bois, la structure des fermes, le sens de montage de ces dernières ou leur contreventement, qui le conduisent à distinguer ces deux parties. La première est constituée par la nef, charpentée en 1256, dès l’achèvement des maçonneries. La seconde, s’inscrit dans le prolongement immédiat de la précédente, en 1257, mais concerne le chœur, élevé pour sa part une quarantaine d’années plus tôt, amenant l’auteur à formuler l’hypothèse du recours à une couverture provisoire pour cette partie de l’église : peut-être par réemploi de la charpente de l’ancienne église, de même largeur. La charpente de la nef connut, en 1263, une première transformation dans sa partie orientale, avec démontage partiel et installation d’une flèche et d’un faux transept, modifié au xvie siècle puis encore en 1745-1747. La tour occidentale nord fut entièrement rebâtie au xvie siècle, nous privant d’informations sur sa 217charpente d’origine, alors que le beffroi de la tour sud, nous l’avons vu, remonte à 1270. Modifié aux xvie et xviiie siècles, ce couvrement fut encore l’objet d’une restauration importante en 1882 qui l’affecta dans son ensemble et aboutit au remaniement de la croupe absidiale et des premières travées occidentales de la nef. L’évocation de ces travaux du xixe siècle sont l’occasion pour Frédéric Épaud de « souligner la qualité et l’exemplarité de cette restauration de Boeswillwald qui a su consolider la charpente médiévale en conservant le maximum d’éléments en place par des systèmes de moisage efficaces et pérennes et qui a eu l’esprit de préserver l’histoire de cette structure en réemployant systématiquement les rares bois déposés » (p. 31). Car il faut insister, ici, sur ce que l’histoire patiente, minutieuse, de cette structure, comme de beaucoup d’autres2, doit au réemploi. Une partie de la mémoire de la structure se conserve, en effet, dans chacune des pièces qui la composent ou la composèrent et ce livre en est une démonstration lumineuse. L’analyse méticuleuse des traces d’équarrissage, de taille ou de marquage des bois permet de caractériser les techniques employées et de détailler la progression des travaux, tout en pointant certains défauts de conception (notamment dans le chœur avec des faux-entraits en deux morceaux) ou en restituant, par exemple, un dispositif disparu de contreventement de la charpente et de soulagement des fermes secondaires, formé d’un agencement de liernes et d’écharpes jugé « quasi expérimental » (p. 120).
Mais l’analyse des bois peut aussi aller bien au-delà, et c’est le deuxième objet de ce livre. La vaste analyse dendrochronologique menée à l’occasion de cette étude et rendue possible par les travaux de restauration, débouche sur une étude dendroarchéologique qui donne sa raison d’être au sous-titre de l’ouvrage : « De la forêt au chantier ».
C’est, en dehors des datations fournies, un des apports majeurs de la dendrochonologie que d’avoir contribué à lier étroitement l’étude technique des charpentes à celle de la ressource en bois. Le chapitre intitulé sobrement « Le bois d’œuvre » est, de ce point de vue, un modèle du genre tant l’analyse y est particulièrement développée. La question du stockage, souvent évacuée un peu trop rapidement, est ici discutée 218dans le détail et l’auteur la révèle dans toute sa complexité. Comment conserver des grumes coupées en 17 saisons d’abattage différentes et sur près de 25 ans avant leur mise en œuvre tout en conservant un bois aisé à travailler ? Comment faire face à une attaque de Grosses Vrillettes ? L’analyse des bois de la charpente de la cathédrale de Bourges permet à Frédéric Épaud d’aborder des questions forts diverses, en révélant, par exemple, le recours à un fumage curatif des grumes, et d’ancrer son propos dans le concret de l’approvisionnement en matériaux d’un grand chantier. L’auteur nous amène avec pédagogie à retrouver l’arbre dans les pièces de charpentes nous invitant à faire mentalement le chemin du chantier à la forêt. Ces chevrons, ces entraits, ces poinçons sont-ils issus d’arbres jeunes ou vieux, de futaies densément peuplées ou d’individus isolés, de la partie médiane ou haute du tronc, de peuplements homogènes ou non, de coupes rases ou d’un furetage ? Par touches, la forêt se dessine. Les quelques 1170 chênes nécessaires correspondent à une coupe de « presque 3 hectares, soit un carré de 173 m de côté » ; l’auteur relevant que nous sommes « très loin des idées reçues sur l’épuisement des forêts médiévales liées aux constructions des cathédrales » (p. 88). Les arbres proviendraient, pour l’essentiel, « de jeunes futaies très densément peuplées et qui furent régénérées sur souche, selon le régime du taillis » (p. 84). Pour Frédéric Épaud, c’est dans la forêt de Saint-Palais, à une vingtaine de kilomètres au nord de Bourges, qu’ils ont probablement poussé, protégés par des enclos mais sans autre intervention humaine.
Devant l’accumulation de données fournies par l’étude dendrologique, la mention de « bois », voire de « chêne sessile » revêt un caractère presque trivial. La forêt y apparaît dans toute la subtilité et la fragilité d’un écosystème complexe et l’approvisionnement en bois comme une action raisonnée, s’inscrivant dans un temps relativement long. On mesure bien, à l’aune des résultats obtenus, ce que la non conservation des pièces de bois changées lors des restaurations représente alors comme perte d’information.
Cet ouvrage sur La charpente de la cathédrale de Bourges se présente, bien sûr, avant tout comme une monographie. De ce point de vue, sa portée dépasse le cas des seules charpentes pour intéresser toute l’histoire du bâtiment, à commencer par celle des grandes voûtes sexpartites du chœur, dont l’auteur, rejoignant l’hypothèse émise par Marc Ferauge et 219Pascal Mignerey3, propose de situer la construction après l’achèvement de la nef, peut-être vers 1266. L’étude que livre Frédéric Épaud va toutefois bien au-delà du seul cas de Bourges. Sans revenir sur sa dimension méthodologique, il faut souligner l’application de l’auteur à replacer autant que possible les observations faites à Bourges dans le contexte plus large de la construction des charpentes médiévales, ou de tirer parti de cette connaissance pour nourrir les hypothèses proposées pour Bourges. La monographie prend en ce sens bien souvent les accents d’un manuel, ce qui en fait l’une des richesses. L’auteur y démontre une maîtrise et une maturité qui font espérer qu’il s’attèle bientôt à la rédaction de la synthèse qui, pour la construction des charpentes médiévales, manque encore.
Philippe Bernardi
CNRS, LaMOP – UMR 8589
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Karine Boulanger, Cédric Moulis (dir.), La pierre dans l’Antiquité et au Moyen Âge en Lorraine. De l’extraction à la mise en œuvre, Collection « archéologie, Espaces, Patrimoines » dirigée par Gérard Giuliato, PUN – Éditions Universitaires de Lorraine, 2018, 685 p.
Cet ouvrage est le résultat d’un Projet collectif de recherche (PCR) intitulé « la pierre aux périodes historiques en Lorraine » lancé en 2008 et achevé en 2014 qui regroupe au final dix-sept contributeurs.
La préface de Jean-Claude Bessac brosse tous les enjeux actuels et futurs de la pierre de construction dans nos sociétés, à la lumière de 220l’étude des carrières et des monuments anciens. Cette publication scientifique contribue ainsi à cette prise de conscience du rôle essentiel des matériaux lithiques depuis 2000 ans en Europe du Nord.
Une première partie présente une belle et utile synthèse articulée en six chapitres qui portent sur une présentation de la géologie de la région, un recensement des outils du carrier, du tailleur et du sculpteur de pierre découverts lors des fouilles ou présentés dans les musées régionaux, un inventaire des traces de ces outils, une typologie des carrières lorraines, les modalités du transport de la pierre par voies de terre et d’eau, la mise en œuvre des matériaux. Cette chaîne technologique, inscrite dans un temps long, de l’Antiquité aux Temps modernes, forme la structure économique de la ressource lithique de cette région riche en pierres de construction, allant du granite et des grès vosgiens jusqu’aux calcaires des côtes de Moselle et de Meuse. Cette synthèse définit le cadre dans lequel s’inscrit logiquement la suite de l’ouvrage.
Une seconde partie consiste en une présentation de sites de carrières, de monuments emblématiques, mais aussi de mobiliers lapidaires comme les stèles funéraires antiques ou les sarcophages du haut Moyen Âge conservés dans les musées de Metz, de Toul et de Verdun. Trente notices se succèdent, classées chronologiquement entre le ier siècle et le xvie siècle.
Naturellement, le champ de la recherche étant si vaste tant dans l’espace que dans le temps, sur des objets aussi variés que des carrières ou des monuments, les notices portent sur des sites prospectés et parfois fouillés par les archéologues. Il est paradoxal de constater, comme dans d’autres régions de France et d’Europe, que les carrières antiques sont en général mieux connues que les carrières médiévales ou même modernes. Comme elles sont souvent bien structurées et qu’elles n’appartiennent pas un continuum d’exploitation avec les périodes plus récentes, elles ont souvent été fossilisées, épargnées par les extractions modernes et contemporaines. Ainsi, les cinq centres carriers présentés ici appartiennent tous à la période antique, les carrières de la Neuve Grange et de la Croix-Guillaume près de Saint-Quirin, de la Bure près de Saint-Dié (grès du Buntsandstein) pour la fabrication essentiellement de stèles, carrières du Quévenay et sa belle sculpture rupestre à Monthureux-le-Sec (grès du Muschelkalk), les grandes carrières ayant exploité la pierre de Norroy pour une remarquable production de stèles dans la vallée de la Moselle près de Pont-à-Mousson (calcaire du Bajocien).
221Lorsque la ressource en matériaux lithiques est présente sur le site du chantier de construction, l’extraction est logiquement située à proximité immédiate ou participe même aux travaux de nivellement dans le cas de sites militaires. Ainsi dans les grès du Buntsandstein qui forment les Vosges gréseuses, ont été façonnés le site castral et la carrière associée du château des Fées à Plombières-les-Bains, le donjon de Fontenoy-le-Château, le château d’Ischeid et les carrières du Streitwald à Abreschviller (xie-xiiie siècles), le donjon de Pierre-Percée, les tours Séchelles (xiiie siècle), le donjon de Forbach (xve siècle). L’ouvrage gallo-romain du Pont des Fées a également bénéficié des affleurements locaux des grès du Buntsandstein. Les études en archéologie du bâti du donjon de Blâmont (xiie siècle) et de la maison forte de Niederstinzel (xive siècle) permettent d’apprécier la maitrise des bâtisseurs utilisant les calcaires locaux du Muschelkalk, aptes à ne produire que des moellons et du petit libage. Au pied de la côte de l’infralias, la mise en œuvre de la Dolomie de Beaumont et des cargneules associées du Keuper dans la tour maîtresse de Bainville-aux-Miroirs (xve siècle) est remarquable, les tailleurs de pierre ayant donné le meilleur de cette pierre si particulière. La fouille archéologique effectuée dans la citadelle de Rodemack (xive-xvie siècles) édifiée en grès et calcaires locaux du Jurassique inférieur comporte quelques éléments architectoniques sculptés en différents calcaires du Jurassique moyen de la vallée de la Moselle, éloignée d’une vingtaine de kilomètres à l’ouest. Effectivement, les calcaires du Jurassique moyen et supérieur renferment de nombreuses assises ayant fourni de belles pierres dimensionnelles qui ont largement diffusé, bénéficiant des voies fluviales mosane et mosellane. Dès l’époque antique, les ressources lithiques sont mises en exploitation comme l’atteste l’étude de la villa gallo-romaine de Larry à Liéhon ou le mobilier lapidaire de l’amphithéâtre de Metz. L’exploitation des calcaires, concomitamment aux remplois de blocs de grand appareil, se poursuit au Bas-Empire et à l’époque carolingienne à Dieulouard-Scarpone, aux xe-xie siècles dans le donjon de Vaudémont (calcaires du Bajocien). La construction particulièrement soignée du logis seigneurial du château de Beaufremont (xve siècle) utilise deux types de calcaires du Bajocien dont les lieux d’extraction n’ont pas été retrouvés. La belle tour-porte de Gombervaux à Vaucouleurs (xive siècle) présente également deux natures de calcaire, ici de l’Oxfordien, dont la provenance a été recherchée dans des carrières très anciennement abandonnées, non datables en l’état comme malheureusement dans bien des cas.
222La reconnaissance des faciès et des microfaciès n’est pas toujours discriminante pour distinguer des carrières ouvertes dans une même formation géologique et pas toujours aisée à réaliser sur des objets de collection. La caractérisation des carrières antiques du centre carrier Norroy-lès-Pont-à-Mousson par l’analyse des éléments chimiques majeurs et en trace reste à confirmer ce qu’admettent bien volontiers les auteurs. C’est un commencement qui nécessitera un vaste échantillonnage afin de connaître la variabilité chimique de chaque banc de roche dans chaque carrière.
Ainsi, l’association d’archéologues, de géologues et d’historiens dans ce projet collectif de recherche a exprimé tout le potentiel scientifique d’une prospection de terrain multidisciplinaire effectuée par des professionnels et des bénévoles. Par la qualité de ces résultats, cette publication ouvre la voie de la recherche future dans le vaste champ des savoirs que représente la pierre de construction. Toutes les régions de France et des pays européens devraient bénéficier d’une telle recherche, portée à connaissance sous la forme d’un bel ouvrage comme celui qui nous ait offert aujourd’hui.
Jean-Pierre Gély
LaMOP, UMR 8589
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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Bernard Espion, Michel Provost, Romain Wibaut, Ine Wouters (dir.), Patrimoines de fonte, fer et acier – architecture et ouvrages d’art, Bruxelles, FABI (Fédération Royale d’Associations Belges d’Ingénieurs civils, d’Ingénieurs Agronomes et de Bioingénieurs), 2018, 296 p.
Cet ouvrage est la synthèse de 5 journées d’étude qui se sont tenues à Namur entre février 2015 et novembre 2017, sous l’égide du Comité 223Patrimoine et Histoire de la FABI. Il s’agit d’un ouvrage très structuré, et non pas de simples « proceedings ». Les 54 articles qui le composent ont été regroupés en six chapitres thématiques, à l’exception du premier qui porte sur la période préindustrielle, les cinq suivants étant intitulés : fabrication, transformation, typologies structurales et technologies ; ponts et passerelles ; bâtiments et charpentes ; structures mixtes ; préfabrication et architecture. Chaque chapitre est précédé d’une introduction permettant de situer la thématique abordée. En tête d’ouvrage, une chronologie générale et une liste chronologique d’ouvrages remarquables apportent les repères permettant de situer chacune des contributions ; en cours d’ouvrage quelques encarts très didactiques rappellent quelques notions de base de la construction métallique et de la typologie de certains ouvrages ; en fin d’ouvrage un glossaire rappelle les définitions des termes spécifiques de la charpente métallique et de la sidérurgie. Le comité éditorial (Bernard Espion, Michel Provost, Romain Wibaut, Ine Wouters) et l’ensemble des auteurs nous offrent ainsi une vision très cohérente et très complète de l’usage structural des métaux ferreux, fonte, fer et acier dans la construction depuis l’antiquité jusqu’aux années 1970, en Belgique avant tout, mais aussi dans le monde, du fait bien sûr des influences réciproques entre la Belgique, l’Europe et le reste du monde, mais aussi par la volonté du comité éditorial d’accueillir des articles concernant des ouvrages et des personnages historiques étrangers ayant eu une influence notable. On notera à ce propos un article sur les charpentes métalliques du Palais de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, qui apporte un éclairage nouveau sur le rôle de précurseur de la Russie au xixe siècle dans ce domaine (Pages 138 à 147 : Les charpentes métalliques du Palais de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg [1838-1852] – Werner Lorenz), et un article sur Jean Prouvé écrit par un de ses collaborateurs qui résume avec beaucoup de sensibilité la vie et l’œuvre originale de cet artisan ferronnier devenu concepteur et constructeur (Pages 254 à 259 : Jean Prouvé, chercheur, constructeur : l’élégance du métal – Raoul Pastrana).
La cinquantaine d’auteurs comprend des ingénieurs, des architectes, des historiens, des professeurs et des artisans, qui à travers les ouvrages qu’ils décrivent apportent des regards croisés sur cette histoire aux multiples facettes. De plus chaque article, qu’il traite un sujet général ou un ouvrage en particulier, rappelle le contexte historique des événements décrits. Il s’agit donc bien d’un ouvrage d’histoire ; certes l’accent est 224mis sur les matériaux et leur élaboration, sur la technologie et sur les structures, mais sans que cela prenne le pas sur le contexte historique.
Il est difficile de décrire la richesse de ce recueil, qui aborde tous les sujets relatifs à l’usage des métaux ferreux dans la construction à travers les âges, sans en négliger aucun (à l’exception peut-être de l’histoire de la chimie et de la physique de ces matériaux – le diagramme fer-carbone – la cristallographie – qui ont joué un rôle important pour leur évolution), et chacun découvrira sans doute des aspects méconnus de cette histoire ; je citerais pour ma part un article sur la place du clou dans un écosystème médiéval (Pages 37 à 39 : le clou, témoin d’un écosystème médiéval. Le fer dans les comptes du Domaine comtal de Braine-le-Comte [1333-1450] – Gérard Bavay), un article sur diverses tentatives de réalisation de maisons préfabriquées en fer ou en acier, qui n’ont malheureusement jamais percé le mur des préjugés et traditions du monde du bâtiment (Pages 240 à 246 : Les maisons de fer en Belgique : émergence et expansion – Marc Braham), quatre articles sur les ouvrages en fer et verre au xixe, précurseurs des grandes structures de verre et d’acier du xxe siècle (Pages 223 à 238 : Couvertures en fer et verre au xixe siècle : Matériaux, connexions, structures et rénovation – Leen Lauriks, Ine Wouters et Jan Belis ; Les Galeries Saint-Hubert à Bruxelles : innovations typologiques et technologiques [1847] – Guy Conde-Reis et Armande Hellebois ; Analyse, entretien et restauration d’une serre à Mettet : le point de vue de l’artisan – Laurent Bouvy ; les charpentes métalliques des toitures et verrières du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles [1928] – Vincent Dister)
L’ensemble des articles est bien écrit. Le nombre et la variété des origines des auteurs ne nuisent pas à la cohérence de l’ensemble et au plaisir de la lecture, bien au contraire. Ce recueil pourra à mon avis intéresser un large public : les spécialistes, qu’ils soient historiens, architectes, ingénieurs ou entrepreneurs, les responsables du patrimoine, et les étudiants auxquels il apportera un éclairage indispensable sur ce que l’on peut appeler le pourquoi des choses ; sans oublier les honnêtes hommes soucieux de culture.
Michel Moussard
Vice-Président de l’Association française de génie civil (AFGC)
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Franz Graf et Giulia Marino, 1931-2014. Les multiples vies de l’appartement-atelier Le Corbusier, Cahiers du TSAM 2, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2017, 200 p. ill. n & b et couleurs.
L’ouvrage de Franz Graf et Giulia Marino témoigne de la qualité d’expertise architecturale et scientifique de l’équipe du TSAM (EPFL, Lausanne) pour la sauvegarde de l’architecture du patrimoine monumental. Missionnés par la Fondation le Corbusier pour réaliser une étude architecturale et un diagnostic sanitaire de l’appartement-atelier de Le Corbusier en vue de sa restauration, les deux enseignants-chercheurs, réputés pour la qualité de leur expertise minutieuse et sensible, témoignent ici encore par ce travail que l’analyse de l’existant passe par une nécessaire phase d’investigation patiente dans une documentation pléthorique. De nombreux documents d’archives conservés par la Fondation Le Corbusier (correspondances, photographies, documents graphiques) sont croisés avec d’autres archives, des écrits d’architectes et d’historiens et des revues professionnelles ou grand public. Chaque source, quel que soit son statut, apporte un fragment utile à une analyse sans cela incomplète. Indéniablement, l’appartement-atelier est un objet singulier par la nature même de ce projet : à la fois lieu d’habitation du couple Le Corbusier pendant près de 30 ans (1934-1965) et support de nombreuses expérimentations architecturales servant pour l’architecte de banc d’essai à d’autres projets qui ont émaillé sa carrière. Soulignons le tour de force de cet ouvrage qui vient en conclusion de cette mission, servant à la fois l’expertise patrimoniale tout autant qu’il contribue à revisiter une histoire de l’architecture que l’on pensait pourtant bien renseignée.
L’ouvrage est articulé autour de deux chapitres – Histoire et Projet – de longueur inégale (118 pages pour « Histoire », 51 pages pour « Projet »), le chapitre « Histoire » étant quantitativement plus important sans que la cohérence du discours sur l’ensemble de l’ouvrage en soit impactée. L’originalité de l’étude de cet « hôtel particulier en superstructure » 226(p. 11) qui coiffe l’immeuble Molitor également réalisé par Le Corbusier, réside dans l’intelligence des auteurs à avoir pensé le projet, au travers d’une série de recommandations prospectives préalables à une opération de sauvegarde, tout en prenant en compte les multiples interventions successives qui ont transformé le lieu. Les questions relatives au type de restauration envisagée sont clairement exposées : faut-il restaurer le lieu dans son état initial, à supposer que ce dernier représenterait un état idéal de la pensée de l’architecte ? Ou a contrario, ne faut-il pas penser l’opération de restauration en prenant en compte la stratification des interventions réalisées par Le Corbusier lui-même pour régler des désordres structurels ou réaménager l’espace, et les interventions réalisées par les occupants ultérieurs (André Wogenscky et Fondation Le Corbusier) ? Enfin, on appréciera la manière dont le projet a été étudié dans son ensemble, non seulement du point de vue architectural, mais aussi dans ses aménagements, son mobilier, ses œuvres d’art. Les auteurs comblent des lacunes dans le savoir, formulant des hypothèses sur ce qui a pu motiver l’architecte à préférer telle ou telle solution. Les réponses ne sont pas toujours trouvées en raison de lacunes documentaires, mais la force du questionnement et des hypothèses soulevées satisfont aux enjeux d’une réelle démarche scientifique.
L’analyse architecturale sur laquelle repose la partie « Histoire » est établie selon une approche chronologique, permettant de suivre le destin de cet appartement-atelier de sa conception à son état en 2014. Ce mode de narration qui peut paraître conventionnel est ici parfaitement adapté à un discours basé sur les transformations successives du lieu, et l’on suit à la manière d’un roman la vie de cet appartement-atelier tellement lié à l’intimité de Le Corbusier. Il est le témoin de ses engagements mais aussi de ses doutes, en somme du cheminement théorique et affectif d’un homme qui a fait de son chez-lui un double de lui-même. L’étude est axée sur des points-clefs de la réalisation – ossature et couvrement, pan de verre et menuiseries, toit-terrasse, types de pièces – ayant fait l’objet de nombreuses adaptations. Le recours à de nombreuses citations de Le Corbusier (souvent issues de correspondances) sont autant de manières de comprendre la relation entre le lieu et l’homme ; de même, les aspects pragmatiques de la vie quotidienne y sont également évoqués, telle la configuration de la cage d’escalier mise à l’épreuve de l’impossibilité d’y faire descendre un cercueil après la mort d’un habitant 227de l’immeuble ! Il ressort de ces références savamment distillées dans le propos, une impression de proximité et une capacité de projection dans les lieux ; on imagine bien l’architecte dans ses murs. Le recours à de très nombreuses photos d’archives, certaines présentées en pleine page, est à mettre au crédit de la très bonne utilisation des sources. La figure de Le Corbusier chez lui y est très présente, favorisant d’autant plus cette immersion narrative.
La partie consacrée au « Projet » reprend les thèmes de l’analyse de la partie historique sur la base des points-clefs de la réalisation. Ici, sont évoqués les problèmes liés à l’architecture de la modernité telle la surchauffe estivale, les problèmes de condensation dans l’édicule, la stabilité de la terrasse ouest, l’impossible résolution de l’isolation du toit-terrasse végétalisé à l’origine de nombreux désordres et dégradations intérieurs. Les aménagements sont également passés au crible, tels les choix des enduits de couleurs ou des papiers peints dans les différentes pièces et sur le mobilier intégré. Les analyses stratigraphiques recommandées par l’équipe ont depuis, sur ce point, permis d’éclairer certaines zones d’ombre. Le choix de quelques photos prises selon un angle de vue identique mais à différents moments, est d’une réelle efficacité démonstrative : elles permettent de suivre d’un coup d’œil les transformations de l’appartement, permettant une lecture de l’ouvrage selon différents modes sans que la pertinence de l’argumentation en soit amoindrie. Par ailleurs, on appréciera également la manière dont les questionnements sur la restauration de l’appartement-atelier sont mises en relation avec des projets de sauvegarde d’autres réalisations de l’architecte où les problématiques de restauration ont donné lieu à des solutions variées : transformations des pans de verre de l’usine Claude et Duval par Le Corbusier lui-même, menuiseries des vitrages de l’immeuble Clarté, Cité refuge, Pavillon suisse, etc. De même, les aspects de présentation du lieu pour le public et sa possible occupation pour des besoins culturels (expositions, extension de la Fondation Le Corbusier au-delà de la seule maison La Roche-Jeanneret) soulèvent des questions muséographiques importantes que les auteurs, sans entrer dans les détails, proposent néanmoins à la réflexion.
On saluera enfin, et ce n’est pas un détail, la présence en fin d’ouvrage d’une synthèse de six pages en anglais reprenant les éléments essentiels de l’argumentation. Le questionnement international autour des 228problématiques de restauration du patrimoine architectural, décoratif et mobilier des édifices du mouvement moderne, trouvera ici matière à se saisir d’une argumentation solide et d’une méthode d’investigation scientifique de très grande qualité.
Nathalie Simonnot
École nationale supérieure d’architecture de Versailles, LéaV
1 Frédéric Épaud, « La charpente de la nef de la cathédrale de Bourges », Revue archéologique du Centre de la France, t. 50, 2011, p. 501-554, https://journals.openedition.org/racf/1686 (consulté le 20 octobre 2019).
2 On ne mentionnera ici que les remarquables travaux d’Émilien Bouticourt sur la charpente de la Livrée d’Arnaud de Via, à Villeneuve-lès-Avignon (Gard), Émilien Bouticourt, Charpentes méridionales. Construire autrement : le Midi rhodanien à la fin du Moyen Âge, Arles, Honoré Clair, 2016.
3 Ferauge Marc et Mignerey Pascal, « L’utilisation du fer dans l’architecture gothique : l’exemple de la cathédrale de Bourges », Bulletin monumental, 154-2, 1996, p. 129-148.
- CLIL theme: 3076 -- TECHNIQUES ET SCIENCES APPLIQUÉES -- Architecture, Urbanisme
- ISBN: 978-2-406-10058-4
- EAN: 9782406100584
- ISSN: 2649-177X
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10058-4.p.0215
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 02-03-2020
- Periodicity: Biannual
- Language: French