[Introduction de la troisième partie]
- Prix du musée d'Orsay 2019
- Publication type: Book chapter
- Book: À la conquête du marché de l’art. Le Pari(s) des enchères (1830-1939)
- Pages: 329 to 330
- Collection: Library of Economics, n° 36
- Series: 1, n° 14
L’année 1881 peut être considérée comme le point de départ d’une nouvelle époque car elle introduisit de nouveaux acteurs dans l’arène des ventes publiques parisiennes. En mars, un nouvel expert, Georges Petit (1856-1920), orchestra la vente après décès de John Waterloo Wilson. Fils de Francis Petit, il avait repris le commerce de son père quatre ans plus tôt. En 1881, il marqua les esprits en achetant, lors de la vente Wilson, L’Angélus, de Jean-François Millet, pour 160 000 francs hors frais1 ; des travaux étaient alors en cours, aux chantiers de la Madeleine, pour construire une nouvelle galerie, véritable palais des arts avec lequel Petit allait révolutionner le marché de l’art parisien. Quelques mois plus tard eut lieu la première vente d’un nouveau commissaire-priseur, né au même moment que l’hôtel Drouot en 1852 : Paul Louis Chevallier (1852-1908), ancien clerc de Charles Pillet, succéda à ce dernier le 5 novembre 18812. Sur le plan économique, l’année 1881 fut également exceptionnelle : le chiffre d’affaires des commissaires-priseurs, qui s’était stabilisé entre 1875 et 1880, bondit de 44 % en 1881 (annexe I et fig. 3), sous l’effet de trois ventes exceptionnelles3, avant de retrouver doucement son niveau de 1880, en 1885. Le krach de la banque de l’Union générale, en 1882, s’il entraîna avec lui celui de la Bourse4, n’eut pas un impact aussi brutal sur l’ensemble des ventes aux enchères publiques parisiennes. Au contraire, l’année 1882 marqua l’ouverture de la « Salle Petit », qui apporta un nouveau souffle au marché de l’art.
Georges Petit, en effet, s’imposa comme un marchand-entrepreneur incontournable, à partir de 1881-1882 et modifia en profondeur la valorisation des objets mis aux enchères, par l’invention de ce que nous pourrions appeler le « modèle Georges Petit », fondé sur la concentration des « procédés de fabrication » d’une vente publique : la tenue des vacations 330dans une galerie luxueuse, la publication d’un catalogue-beau livre et sur la reproduction des œuvres facilitée par les procédés photomécaniques (septième chapitre). Ce modèle segmenta les ventes aux enchères de tableaux, dessins et sculpture, entraînant l’éviction des jeunes artistes (huitième chapitre) mais transforma, dans un même temps, les « bibelots » extraeuropéens en « objets d’art », grâce également à l’action des collectionneurs-connoisseurs qui modifièrent le regard porté sur ces derniers.
1 Lugt 40851, lot 170.
2 Archives nationales, dossier de nomination de Paul Chevallier, BB/9/1603.
3 AdP, quitus de l’année 1881, D1E3 198. La vente après décès de John Waterloo Wilson (Lugt 40851) produisit un total de 2 032 425 francs, celle du Baron de Beurnonville (Lugt 41077) 2 171 495 francs, et celle de la collection de Léopold Double (Lugt 41161), 2 413 766 francs.
4 Jean Bouvier, Le Krach de l’Union générale (1878-1885), Paris, Presses universitaires de France, 1960.