In the Shadow of the Mirrors for Princes The Standards of Good Government in the Abbasid Production of the 4th/10th century from the Case of al-Masʿ ūdī (d. 345/956)
- Publication type: Journal article
- Journal: Éthique, politique, religions
2021 – 1, n° 18. Philosophie politique et arts de gouverner à l’Âge classique de l’Islam - Author: Gareil (Rémy)
- Pages: 133 to 157
- Journal: Ethics, Politics, Religions
Dans l’ombre des Miroirs des princes
Les normes du bon gouvernement dans la production abbasside du iv/xe siècle à partir du cas d’al-Masʿūdī (m. 345/956)
Muʿāwiya b. Abī Sufyān (r. 41/661-60/680), le fondateur de la dynastie omeyyade, est souvent loué par les auteurs médiévaux, arabes comme non arabes1, pour son habileté politique et la prospérité de son règne. Le chapitre consacré à son califat dans la chronique d’al-Masʿūdī, Les Prairies d’Or, s’ouvre par une description minutieuse de la manière dont ce souverain réglait ses journées, détaillant le nombre de ses audiences, le menu de ses repas, le rythme de ses prières ou encore ses discussions avec ses ministres2. Après la prière du soir,
On laissait entrer ses courtisans, ses favoris, ses vizirs et les officiers de sa maison. Les vizirs conféraient avec lui pendant les premières heures de la nuit. Un tiers de la nuit était consacré à des récits sur l’histoire des Arabes et leurs journées célèbres (aḫbār al-ʿArab wa-ayyāmu-hā wa-l-ʿaǧam), sur celle des peuples et des rois étrangers, leur politique et leur façon de faire, leurs guerres, leurs stratagèmes, leur système de gouvernement, en un mot tout ce qui forme l’histoire des nations passées (wa-siyāsāti-hā wa-siyar mulūk al-umam wa-ḥurūbi-hā wa-makāyidi-hā wa-siyāsāti-hā li-raʿiyyati-hā wa-ġāyr ḏālika min aḫbār al-umam al-sālifa). […] Après quoi, il allait dormir pendant un tiers de la nuit. À son réveil, il se mettait sur son séant et se faisait apporter les cahiers renfermant les biographies des rois, leur histoire, leurs guerres, leurs stratagèmes ; des pages étaient spécialement chargés de cette lecture, ainsi 134que de la conservation de ces documents. Chaque nuit, il écoutait une série de traditions historiques, biographiques ou concernant la politique [des souverains du passé] (ǧumal al-aḫbār wa-l-siyar wa-l-aṯār wa-anwāʿ al-siyāsāt). Ensuite, il allait accomplir la prière du matin, et reprenait ainsi chaque jour l’emploi de son temps, tel que nous venons de le décrire3.
La ferveur avec laquelle ce calife étudie l’histoire des nations anciennes ne manque pas d’interroger. Plus exactement, c’est l’intention de l’auteur, qui décrit cette organisation réglée dans les moindres détails, qui mérite que nous nous arrêtions un instant. S’agit-il ici de légitimer la science historique en la présentant comme l’activité intellectuelle la plus noble, celle qui occupe les nuits du souverain, et qui n’est interrompue que par la prière et le sommeil ? Ne faut-il pas plutôt y voir une variation parmi d’autres sur le thème du souverain lettré, dont l’érudition constitue une qualité de plus, à mettre sur le même plan que son amour de la justice ou son courage au combat ? Ou bien doit-on voir là la mise en scène de l’histoire comme la science royale par excellence, riche en récits et en portraits qui viennent nourrir l’expérience du souverain ?
Chacune de ces hypothèses, qui ne s’excluent d’ailleurs pas mutuellement, est sans doute un peu vraie. Nous nous proposons cependant d’aborder ici la question sous un angle légèrement différent. Si l’histoire et le pouvoir sont si étroitement associées dans ce passage comme dans plusieurs autres, ce n’est pas seulement parce qu’elle constitue une réserve inépuisable de modèles à imiter. C’est aussi parce que les textes historiographiques sont porteurs d’un discours cohérent sur l’art de gouverner, et contribuent ainsi à définir les normes du bon gouvernement, entendues comme les conseils, les techniques et les valeurs que doit respecter un souverain pour garantir le succès de son règne, l’intégrité de son royaume et la satisfaction de ses sujets.
Nous proposons donc de voir dans les lignes qui suivent les ouvrages historiographiques comme un lieu parmi d’autres où se déploient les « rationalités politiques4 » de l’Islam médiéval. Si cette lecture s’inscrit dans une réflexion plus large sur le statut de l’histoire dans la pratique 135du pouvoir en Orient médiéval, l’idée d’aborder ici cette question sous cet angle est née d’une remarque d’Annliese Nef soulignant l’importance de tenir compte, à côté des textes juridiques, des traités de bon gouvernement et des ouvrages philosophiques, des « principes et idées générales véhiculées par les chroniques, nombreuses et objet de lectures publiques dans les différentes cours. S’en dégagent également, d’anecdotes en portraits de souverains, des définitions du bon ou du mauvais gouvernement qui mêlent normes religieuses et efficacité politique5 ».
Cette idée naît ainsi du constat qu’il existe des espaces et des périodes pour lesquels nous ne disposons pas de Miroirs des princes dans le monde arabe médiéval, et de l’hypothèse que ce sont les chroniques historiques, parfois lues publiquement, qui ont alors pris en charge cette fonction d’édiction des normes du bon et du mauvais gouvernement, mais il nous a paru utile d’aborder cette question dans le cas de l’Irak abbasside, en formulant cette interrogation : si l’absence de production de Miroirs des princes révèle la fonction normative des chroniques historiques, la présence d’une telle tradition, bien attestée dans l’Irak abbasside, vide-t-elle pour autant la production historiographique de cette fonction ?
Dans les lignes qui suivent, nous nous proposons de définir les contours du cadre théorique, des enjeux et de l’intérêt de la lecture des chroniques irakiennes comme sources de normes de bon et de mauvais gouvernement. Nous nous arrêterons ensuite sur le cas de l’ouvrage historiographique d’al-Masʿūdī, les Prairies d’or (Murūǧ al-ḏahab), et sur les normes que l’on peut déduire des anecdotes et des portraits qu’elle contient. Nous verrons alors quelles conséquences peuvent en être tirées à propos du statut de l’histoire comme science du pouvoir, en replaçant l’intérêt califal pour cette discipline dans le contexte particulier du ive/xe siècle.
L’art de gouverner et le discours historique
Le rôle de l’histoire dans les ouvrages à destination des princes en particulier et de la classe politique en général est bien connu. Les ouvrages historiographiques fourmillent en effet d’exemples qui peuvent servir 136d’objet de méditation aux souverains mais aussi aux vizirs et aux administrateurs qui les entourent et qui se trouvent au cœur du gouvernement impérial. Les exhortations faites à ces figures clefs de l’administration abbasside de maîtriser l’histoire préislamique et islamique ne manquent pas, et c’est leur maîtrise de ce savoir qui va déterminer leur capacité à servir efficacement le souverain. Tous ceux qui gouvernent, au sens large, qu’ils soient souverains, princes, gouverneurs ou administrateurs, ont donc un besoin impérieux d’apprendre et de mettre à profit les leçons contenues dans les chronographies auxquelles ils ont accès6. Les œuvres historiographiques, et en particulier celles qui relèvent du genre chronographique7, jouent de ce point de vue un rôle comparable en apparence à celui des œuvres de conseils aux princes – appelées naṣīḥat al-mulūk ou ādāb sulṭāniyya – dans la mesure où elles définissent une éthique du bon gouvernement « grâce à une série d’anecdotes proposant autant de leçons sur la manière de bien gouverner ou au contraire sur les méfaits qui provoquent la ruine de l’État8 ».
Le rapport entre science historique et science politique ne s’arrête cependant pas là. Les ouvrages habituellement consacrés à l’édiction des normes de gouvernement, et en particulier les Miroirs des princes, puisent abondamment dans le matériau offert par l’histoire pour construire les conseils autour desquels vient s’articuler l’armature de leur conception de l’art de gouverner. Il existe ainsi un lien extrêmement étroit entre traités de conseils aux princes et histoire des règnes notables9 ou, pour le dire autrement l’histoire fait partie des outils mobilisés prioritairement pour diffuser l’enseignement politique10. Ce lien se retrouve y compris sur le plan de la forme, dans l’alliance que ménagent ces auteurs, par souci de persuasion, entre narration historique et maxime11, la première explicitant la seconde, et la seconde synthétisant la première.
C’est ainsi que peut s’expliquer au premier abord la valorisation des différents modèles, comme celui vu en ouverture, de souverains versés 137dans les sciences historiques. Cette célébration de l’histoire comme science du pouvoir prend ainsi la forme d’une série d’anecdotes, comme le long échange entre le calife al-Qāhir (r. 320/932-322/934) et l’historien (aḫbārī) al-Ḫurāsānī12. Des variantes existent même, comme lorsque des vizirs cherchent au contraire à détourner leurs souverains de la lecture d’histoires, de peur qu’ils n’y acquièrent un savoir qui viendrait limiter la liberté dont jouissent leurs puissants conseillers13. Les livres d’histoire apparaissent dans tous les cas comme une source de sagesse et comme des guides précieux pour orienter l’action politique.
Cette manière de présenter le discours politique des ouvrages historiques nous paraît cependant laisser dans l’ombre une question importante, celle du contenu des normes diffusées par ces œuvres, et du rapport qu’elles entretiennent avec le contexte dans lequel elles sont élaborées. Il existe en somme, de ce point de vue, un angle mort des approches consacrées à la littérature politique de l’Islam médiéval. Soit les études se concentrent sur les Miroirs des princes et la conception du gouvernement qui s’en dégage, et l’histoire n’est alors le plus souvent mobilisée que comme toile de fond, comme réserve d’anecdotes édifiantes qui ne prennent sens que dans la structure du traité dans lequel elles sont convoquées. Soit les études abordent les chroniques historiques, mais ne prennent alors pas la peine de reconstituer la pensée politique qui s’y dessine, au-delà de la simple parenté déjà mentionnée entre chroniques et Miroirs des princes en raison de la source commune, l’adab, à laquelle les deux genres empruntent thèmes et formulations. Lorsque la production historiographique est réellement étudiée sous l’angle de la conception du pouvoir qui la sous-tend, c’est le plus souvent pour des périodes plus tardives que celle qui nous intéresse ici, pour des textes qui relèvent justement de ce que Tarif Khalidi a appelé l’« histoire-siyāsa », une catégorie particulièrement représentée selon lui entre les ve/xie et ixe/xve siècles14.
138Il s’agit donc pour nous de nous de partir de l’examen d’une œuvre, Les prairies d’or d’al-Masʿūdī, célèbre chronographie universelle qui entend embrasser l’ensemble de l’histoire de l’humanité, depuis les origines jusqu’au règne d’al-Muṭīʿ (r. 334/946-363/974), contemporain de l’auteur, et d’y examiner les normes de gouvernement qui se dégagent des portraits et des anecdotes qui la composent. Avant de passer à cette étude de cas, il convient cependant de nous interroger sur ce qu’implique le fait de considérer les chroniques du ive-xe s. comme des vecteurs de normes de gouvernement, et ce que cela a comme conséquences sur notre méthode et notre approche.
Avant d’aller plus loin dans l’examen de ces chroniques, il importe de définir les implications théoriques d’une démarche consistant à présenter ces textes comme des sources normatives concernant le gouvernement, par contraste avec les seuls Miroirs des princes.
Il est vrai qu’il serait excessif de qualifier les Miroirs des princes de littérature « élitiste » ou « marginale » : d’une part, la diffusion de ces écrits, que l’on peut mesurer par la persistance de leurs thèmes et le nombre des manuscrits qui ont survécu, paraît relativement importante, et en tous les cas non limitée aux seuls milieux de cour15. D’autre part, leurs thèmes peuvent être interprétés comme infusant dans l’ensemble de la société, pour traverser les frontières des genres littéraires. Inversement, la production historiographique n’a pas toujours eu l’ampleur qu’on lui prête parfois spontanément, le nombre de manuscrits conservés laissant penser que les chronographies en particulier ont été produites et consommées à des degrés moindres que d’autres formes de récits savants, en particuliers ceux fondés sur la tradition16.
Cependant, une fois ramenées à de plus justes proportions la relative confidentialité des Miroirs des princes et la relative ampleur de la diffusion des ouvrages chronographiques, il convient de souligner que, de ces deux genres, seules les chroniques sont explicitement destinées à un plus 139large public. Les sources elles-mêmes vont dans le même sens : s’il n’est pas question ici de lectures publiques de chroniques, nombreux sont les témoignages attestant de la diffusion de ces œuvres dans la société lettrée, sans parler des nombreuses « continuations » dont elles ont fait l’objet au fil des siècles. En outre, les chroniques visent un public plus large, par leur seule conception : à l’époque abbasside, les Miroirs des princes s’adressent à des élites, sont parfois construits selon la rhétorique du secret dévoilé, destiné à un tout petit cercle – même si cela n’est pas forcément vrai dans les faits – tandis que par définition, les historiens visent un public différent et plus large, la bonne connaissance du passé faisant partie de la formation de base de tout adīb digne de ce nom17.
La position du conseiller, qui s’impose avec plus ou moins de force à tout auteur de miroir des princes, est nécessairement risquée : la parole du conseiller recherche perpétuellement un difficile équilibre entre la sincérité de ses observations – qui garantit leur pertinence – et la prudence de sa parole – qui le protège du courroux de son maître. Les chroniques elles-mêmes ne manquent pas de faire apparaître la fragilité et la difficulté du conseiller, victime de ces injonctions contradictoires. Rien que dans les Prairies d’Or, qui vont constituer le fil rouge de notre étude, plusieurs conseillers payent de leur vie la sincérité de leurs avis, comme Buzurgmihr et Ḫabrārīs, tous deux exécutés par Parvīz18.
À cet égard, l’historien jouit d’une parole beaucoup plus libre, lui qui peut se retrancher derrière sa fonction essentielle, celle de rapporteur de faits du passé, et qui quand il les commente court beaucoup moins de risque d’être accusé de manquer de respect à son patron – lorsqu’il en a un. Tarif Khalidi a déjà souligné combien l’histoire des « nations anciennes », en particulier, est perçue comme plus neutre et donc comme pouvant faire l’objet de critiques plus franches et de jugements de valeur plus nets. On a ici un phénomène similaire : décrire les évènements passés, remontant à l’époque antéislamique ou datant simplement des premiers siècles de l’Islam, sous un jour plus ou moins flatteur, ne serait-ce qu’en appuyant les éloges décernés à tel souverain ou en redoublant 140de critiques à l’égard de tel autre, revient à prendre position sans pour autant s’exposer au moindre blâme.
Indépendamment de ce que l’on vient de dire de la plus grande liberté dont peuvent jouir les auteurs de chroniques par rapport aux auteurs de miroirs des princes, l’examen des chronographies invite à dépasser cette simple question, et à interroger les normes de gouvernement qui se dégagent de ces œuvres indépendamment de l’intention de leurs auteurs. Il s’agit ici de proposer un déplacement du regard. Les normes ne se limitent pas à ce que les auteurs ont voulu définir comme telles, à ce qu’ils exposent explicitement. L’accumulation d’exemples livrés à la curiosité du lecteur, et assortis de jugements de valeurs finit par former un système, un ensemble de positions cohérentes, qui délimitent les contours de l’action louable et de l’agissement blâmable, ouvrant une fenêtre sur les conceptions – même implicites – de l’auteur en la matière. Il faut donc garder à l’esprit que les normes de gouvernement peuvent être exprimées aussi de façon plus ou moins inconscientes. Pour les saisir, il faut élargir le périmètre de notre enquête pour dépasser les seules théorisations explicites, et mettre au jour ce que la société (lettrée) dans son ensemble promeut ou au contraire réprouve en matière d’éthique de gouvernement, y compris dans le domaine des représentations. Nous verrons en outre que cela ne concerne pas que les exemples et anecdotes concernant les anciennes nations, domaine naturellement plus facile à investir, mais se retrouve aussi dans la manière de rendre compte d’évènements et de règnes situés dans les premiers siècles de l’Islam.
Al-Masʿūdī et le portrait impressionniste
du souverain idéal
Nous entendons illustrer la méthode que nous venons de définir en l’appliquant à un cas précis, l’œuvre foisonnante et abondante d’al-Masʿūdī, ses fameuses Prairies d’or, vaste histoire universelle composée durant la première moitié du ive/xe siècle. Elle nous paraît constituer un bon point de départ en raison de l’ampleur du matériau qu’elle rassemble, de la 141nouveauté du genre qu’elle représente alors, et de la célébrité qu’elle a très rapidement acquise. Notre travail a consisté, à travers les centaines de pages qui la composent, à collecter les nombreux récits et anecdotes qui émaillent la prose d’al-Masʿūdī et se rapportent à l’art de gouverner. Nous avons ensuite cherché, à partir de ce matériau épars et fragmenté, à rendre compte des caractéristiques de la pensée politique qui s’y déploie et à en faire ressortir les principales articulations. L’idée sous-jacente est qu’une telle enquête, reproduite sur d’autres textes, permettra de mieux faire apparaître les points de convergence, dans la conception du gouvernement, entre les textes historiographiques et les miroirs des princes qui exploitent et sélectionnent leur contenu.
Ce travail fait la part belle aux anecdotes, principal vecteur de ces normes de gouvernement, ce qui nécessite une approche particulière. Nous écartons ici volontairement la question de l’authenticité ou de la véracité de ces récits, car elle ne joue aucun rôle dans l’analyse. Que les traits, les paroles ou les vertus attribués à tel ou tel souverain soient véridiques ou non ne change rien à la démonstration. Ce qui nous importe, c’est l’accumulation de motifs et de thèmes qui finissent par former un système de normes. En outre, le caractère manifestement forgé de certains de ces récits ne fait aucunement obstacle à notre démonstration : beaucoup d’entre eux n’ont justement pas pour fonction de première de transmettre une vérité historique, mais de diffuser un message, de construire une représentation, de façonner une mémoire.
Bien qu’al-Masʿūdī écrive une histoire universelle, le traitement qu’il réserve à ce vaste matériau n’est pas homogène. La partie qui couvre l’histoire des nations préislamiques se concentre principalement sur l’établissement des chronologies dynastiques et des généalogies qui en découlent, ainsi que sur des récits édifiants qui touchent à l’art de gouverner. La partie qui aborde l’histoire islamique à proprement parler, depuis la vie de Muḥammad jusqu’au règne d’al-Muṭīʿ, compense son resserrement géographique autour du Dār al-Islām par une grande diversité thématique et un traitement beaucoup plus approfondi des différents règnes califaux autour desquels est structuré le propos de l’historien. Ce que nous donne à voir al-Masʿūdī, c’est une histoire universelle qui culmine avec l’histoire de l’Islam, et les enjeux ne sont évidemment pas les mêmes du point de vue de l’écriture de l’histoire et que des résonnances avec le contexte dans lequel évolue l’auteur.
142Pour autant, une véritable continuité apparaît entre les deux parties, tant sur le plan des valeurs promues que des modalités de leur exposition, entre les pratiques des souverains antéislamiques et celles des califes de l’Islam. Selon une logique qui peut également être observée dans les Miroirs des princes, l’accent est ainsi mis sur la permanence des techniques de gouvernement, puisées dans une « sagesse universelle » ou « intemporelle », consacrant les nations anciennes comme les modèles par excellence du bon gouvernement19.
À travers l’œuvre, ce sont des valeurs similaires qui sont mises en avant dans la description des princes du passé et des souverains islamiques. La figure du roi juste et intègre est par exemple abondamment développée à partir de de la figure royale sassanide Ardašīr – al-Masʿūdī puisant abondamment dans l’ensemble de maximes rassemblées sous le titre Testament d’Ardašīr (ʿAhd Ardašīr) –, qui déclare ainsi « Ma justice (ʿadl) sera la même pour le puissant (qawī) et pour le faible (ḍaʿīf), pour les petits (danī) et les grands (šarīf) ; j’en ferai une ligne de conduite louable (sunna maḥmūda), une voie fréquentée (šarīʿa mawrūda)20 » et affirme qu’« un roi doit être débordant de justice (fāʾiḍ al-ʿadl). La justice est la source de tous les biens ; c’est une citadelle (ḥiṣn) élevée pour la défense de l’État (mulk) contre la destruction et la ruine ; la suppression de la justice est le premier symptôme du déclin d’un pays21 » . Des traits similaires sont prêtés à ʿAbd al-Malik (r. 65/685-86/705), exhortant ses agents à la justice et à la droiture morale, avant de le révoquer en raison d’actes « empreints de bassesse, de fraude et d’ignorance palpable22 ».
De la même manière, on pourrait établir d’autres parallèles entre la piété d’Ardašīr – al-Masʿūdī reprend là encore une maxime très célèbre du fameux Testament, qui constitue une sorte de lieu commun de tous les miroirs des princes, dans laquelle le souverain exhorte son fils et successeur Sābūr à préserver la religion et la royauté : « Sache, mon fils, que la religion (dīn) et la royauté (mulk) sont deux sœurs qui ne peuvent se passer l’une de l’autre, car la religion est la base de la royauté et la royauté la gardienne [de la religion] ; or tout [édifice] qui ne repose pas 143sur une base s’écroule, et tout ce qui n’est pas gardé périt23 » – et la piété attribuée aux quatre premiers califes par ʿAbd Allāh b. ʿAbbās, interrogé par Muʿāwiya. Abū Bakr y est décrit comme « lecteur assidu du Coran, hostile à tout ce que la religion réprouve [et consacrant] la nuit [à la prière] et le jour au jeûne24 ». ʿUmar b. al-Ḫaṭṭāb est quant à lui présenté comme « l’allié de l’Islam, […], le centre de la foi, […] la forteresse des Musulmans25 », tandis que ʿUṯmān apparaît comme « le plus vertueux des dévots26 ». Quant à ʿAlī, il était « le jalon de la voie droite, l’abri de la piété27 ».
À cette continuité des thèmes abordés répond la continuité des formes employées pour transmettre les normes du bon gouvernement. Deux de ces formes, couramment employées par les auteurs de miroirs des princes, sont ici particulièrement représentées. La première est celle des maximes et sentences, très fréquente dans la littérature politique de l’Islam médiéval28, et qui se retrouve ici dans un ouvrage historique comme les Prairies d’Or. Les maximes attribuées aux souverains des nations antérieures à l’Islam font là encore la part belle aux enseignements d’Ardašīr et de son fils Sābūr. Celui-ci, interrogé par l’empereur byzantin qui souhaite connaître les règles qui lui permettent de diriger son armée, d’asseoir son pouvoir et de garantir la sécurité de ses sujets avec tant de succès, répond en énumérant huit règles auxquelles il se montre fidèle :
Je n’ai jamais donné d’ordres ni [exprimé] d’interdictions pour plaisanter ; je n’ai jamais failli à mes promesses ni à mes menaces ; j’ai fait la guerre pour enrichir [mon royaume] et non pour satisfaire mon ambition ; j’ai su inspirer à mes sujets une confiance exempte de témérité et me faire craindre sans me faire haïr ; j’ai puni pour [réprimer] le crime et non pour [passer] ma colère ; j’ai assuré la subsistance de tout le peuple et retranché le superflu29.
144Le successeur de Sābūr, Hormizd Ier, aurait également énuméré à l’un de ses officiers les cinq qualités que doit nécessairement posséder celui à qui l’on confie « la garde des frontières, la discipline militaire, l’administration et le gouvernement des provinces30 », à savoir la prudence, la science, le courage, la fidélité à ses promesses et la générosité31. De la même manière, Anūširwān32, interrogeant des sages afin qu’ils lui donnent des conseils garantissant son bonheur et celui de ses sujets, assiste à l’énumération par l’un des savants présents, Buzurgmihr, de douze sentences contenant tout ce que le souverain peut désirer savoir, et qui couvrent les différents domaines dans lesquels peut s’appliquer l’art de gouverner : la piété, la droiture morale, le rapport avec les sages, les rapports avec tout l’entourage du souverain, le contrôle des juges, l’inspection des prisons, l’économie, le maintien de la justice, l’équipement militaire, la famille, les frontières et les serviteurs33 .
Nous retrouvons par exemple ce même goût pour les maximes et pour l’énumération de sentences chez al-Maʾmūn (r. 198/813-218/833), dont al-Masʿūdī rapporte qu’il « disait souvent : “Un roi peut tout pardonner, excepté l’atteinte portée à sa puissance, la divulgation de ses secrets et un outrage fait à ses femmes.”, ou encore “l’affabilité [consiste en] un extérieur aimable, un caractère qui réchauffe et féconde les cœurs ; en un abord facile, une bienveillance étendue, une large distribution d’éloges34” ».
La seconde de ces formes qui établissent une continuité entre la sagesse antique et la sagesse islamique est celle du « testament » dans laquelle un souverain, au bord du trépas, communique à son successeur ou à ceux qui vont lui survivre ce que son expérience lui a appris être l’essence même de l’art de gouverner. De Yūnān, roi des Grecs, nous lisons ainsi que
avant de quitter la vie, il donna ses dernières instructions à l’aîné de ses fils, nommé Cécrops. Il lui dit : « Ô mon fils, me voilà arrivé au terme, et tout près de l’arrêt fatal. […] À toi maintenant de pratiquer la libéralité (ǧūd), ce pivot de l’empire (quṭb al-mulk), cette clef du gouvernement (miftāḥ al-siyāsa), cette porte de la souveraineté (bāb al-siyāda). Applique-toi à gagner les hommes 145par tes bienfaits, tu régneras avec droiture. Garde-toi bien de dévier de la voie exemplaire sur laquelle est bâtie la raison (ʿaql). Quiconque délaisse les inspirations du jugement et les fruits de la raison est précipité dans l’abîme et tombe dans les griffes de la perdition35 .
C’est cette même configuration qui est reprise lorsqu’al-Rašīd (r. 170/786-193/809), alors qu’approche la fin de son règne, rassemble les Hāšimites de son armée et déclare :
Tout ce qui vit doit périr ; tout ce qui est jeune doit vieillir ; vous voyez ce que le destin a fait de moi. Je vous adresse trois recommandations : observez religieusement vos engagements ; soyez sincères dans les avis que vous donnerez à vos imâms et restez unis entre vous ; surveillez Muḥammad et ʿAbd Allāh : si l’un des deux se révolte contre son frère, étouffez son insurrection, flétrissez sa perfidie et sa déloyauté36.
Cette triple mise en garde, dont la plus décisive est celle qui concerne ses deux fils, les futurs al-Amīn et al-Maʾmūn, voit sa gravité rehaussée par le fait qu’elle est immédiatement suivie d’une variation sur le thème de la mort inéluctable37.
Cette continuité se traduit même par endroits par un certain flou, volontaire ou non, autour de l’identité du souverain auquel peut être attribuée telle ou telle parole édifiante. Par exemple, dans le domaine militaire, al-Maʾmūn aurait affirmé : « On doit différer autant que possible de livrer bataille et, si elle devient inévitable, il faut en donner le signal à la fin de la journée38 ». Immédiatement après, al-Masʿūdī précise que « cette maxime est attribuée aussi à Anūširwān39 ». La confusion ainsi établie autour de la paternité d’une telle maxime apparaît ici comme un artifice commode visant à souligner encore d’une autre manière la forte continuité entre les principes de gouvernement des rois anciens et ceux des califes de l’Islam.
Tout concourt donc à présenter l’art de gouverner comme un savoir pragmatique, fondé sur l’expérience, déterminé par la nature humaine, et par conséquent universel, partagé par tous les souverains, indépendamment du peuple qu’ils ont à régir, de l’époque à laquelle ils 146règnent, et de la divinité au nom de laquelle ils gouvernent. Comme dans les miroirs des princes, al-Masʿūdī fait ainsi apparaître l’ancrage des pratiques de gouvernement islamiques dans les conceptions et les modèles perses et grecs, dont les biographies de souverains servent en particulier de source d’inspiration40.
Les vies de souverains comme fondement
de la réflexion politique
L’un des aspects frappants du discours tenu par al-Masʿūdī sur l’art de gouverner est qu’il est pour une large part véhiculée par la longue galerie de portraits de souverains qu’il égrène au fil de son œuvre, et qui viennent scander cette histoire. Lorsque celle-ci atteint la période islamique, elle est d’ailleurs organisée en chapitres qui trouve chacun sa cohérence autour du règne du calife alors au pouvoir. La description de ces souverains, de leur caractère et de leurs bons mots, de leurs vertus et de leurs tares, joue ici un rôle qui n’apparaît pas au premier regard. Loin de constituer de simples anecdotes divertissantes, ces portraits disséminés à travers les Prairies d’or forment, quand on les contemple dans leur globalité, un autre portrait, celui du souverain idéal, composé de la lumière des rois du passé érigés au rang de modèle, et de l’ombre de ceux dont sont mentionnées les seules défaillances.
La lecture des Prairies d’or permet de faire apparaître une série de qualités jugées comme décisives chez les califes précédents, dont nous ne rappellerons ici que celles qui reviennent le plus fréquemment. Il y a bien sûr la piété, déjà évoquée plus haut, qui apparaît par exemple lorsqu’al-Masʿūdī rapporte que « la piété (nask) de ʿUmar et son humilité (tawāḍuʿ) étaient extrêmes41 », et qui, après avoir reçu comme conseil de n’employer « que des gens de bien42 » afin que son règne soit prospère, y voit « un conseil qui suffit à tout43. » De même, du calife al-Muhtadī 147(r. 255/869-256/870), il est dit qu’il « ordonna la pratique du bien et poursuivit rigoureusement les mauvaises action44 », qu’il « avait fait de l’équité et de la religion le but de sa vie », et qu’il se conformait scrupuleusement aux prescriptions de la foi musulmane45. Après son décès, l’un de ses serviteurs, interrogé sur la présence d’une robe de bure et d’une sorte de carcan métallique dans un coffre de son défunt maître, explique que « dès que la nuit était venue, al-Muhtadī mettait cette robe de bure, se passait ce collier autour du cou et, jusqu’au matin, il ne cessait de se prosterner et de prier ; il dormait un peu après la seconde prière du soir et se relevait ensuite46 ».
Dans un registre proche, l’accent est également mis sur l’austérité et la frugalité. Abū Bakr est ainsi loué pour avoir surpassé « tous les musulmans par son austérité, la simplicité de ses manières et de son extérieur et sa frugalité. Durant son califat, il ne porta qu’une simple chemise et un manteau47. » Recevant dans cette tenue les chefs des tribus arabes et les rois du Yémen, parés de riches étoffes et d’imposantes broderies, il les impressionne par sa mise humble, au point qu’ils décident de l’imiter et de renoncer à leurs habits de prix48. ʿUmar b. al-Ḫaṭṭāb, de son côté, laisse également le souvenir d’un souverain qui « vivait simplement, portait des vêtements grossiers et se montrait sévère pour tout ce qui concernait le culte de Dieu49. »
La générosité fait aussi partie des qualités mises en avant chez plusieurs souverains : ʿUṯmān apparaît « généreux et bienfaisant à l’extrême (fī nihāyyat al-ǧūd wa-l-karam) ; parents ou étrangers, tous avaient part à ses dons et à ses faveurs50 » ; al-Mahdī (r. 158/775-169/785) se distingue par sa propension à distribuer des sommes d’argent considérables51 ; al-Muntaṣir (r. 247/861-248/862) apparaît comme un souverain généreux (saḫī)52, dont un proche dit n’avoir jamais vu « un homme comparable à al-Muntaṣir et qui sût être généreux (akram) avec moins de morgue 148et d’affectation53 » ; al-Rāḍī bi-llāh (r. 322/934-329/940) loue également ce trait de caractère chez le fondateur de la dynastie abbasside, al-Saffāḥ (r. 132/749-136/754), à propos de qui il rappelle que « nul de ses courtisans, aucun chanteur ou musicien, ne sortait de chez lui sans emporter un cadeau plus ou moins considérable en argent ou en vêtements de prix. Al-Saffāḥ n’attendait jamais au lendemain pour récompenser le mérite54 ».
D’autres traits de caractère sont également mis en valeur, comme le courage – al-Hādī (r. 169/785-170/786) fait preuve de sang-froid et de vivacité d’esprit lorsqu’il est confronté à un prisonnier ḫāriǧite qui tente de l’assassiner55, tandis qu’al-Amīn ose affronter seul un lion féroce, qu’il abat à mains nues56. La sagesse et la maîtrise de soi apparaissent aussi comme des qualités décisives pour l’exercice du pouvoir : malgré une accumulation de nouvelles douloureuses en peu de temps, ʿAbd al-Malik « n’eut jamais tant de gaieté, le visage plus tranquille, la langue plus déliée, le cœur plus ferme, donnant ainsi un exemple royal d’empire sur soi-même et de sagesse politique (taǧalludan wa-siyāsatan li-l-mulūk), en ne laissant point paraître de découragement à la suite de ses échecs57 ». L’érudition et la culture font également partie des qualités qui valent à certains souverains d’être loués, comme al-Rāḍī, décrit comme « lettré, poète, raffiné », et dont son précepteur al-Ṣūlī loue « la noblesse de caractère […], ses belles inclinations, son instruction solide, ses goûts littéraires, son érudition et la connaissance approfondie qu’il avait des discussions religieuses et philosophiques58 ».
À l’inverse, c’est aussi en creux qu’est exposé le portrait du souverain idéal, à travers l’évocation de contre-modèles, de figures honnies qui, depuis les anciens rois d’Asie, de Perse et de Grèce jusqu’aux califes les plus anciens, font voir les défauts qui nuisent le plus gravement à l’exercice du pouvoir et menacent la prospérité des sujets qui y sont soumis. Il va sans dire que ces portraits à charge, ponctués de reproches infâmants et de jugements implacables, s’expliquent en partie par des conflits politiques qui se sont sédimentés au fil des générations, et renferment en quelque 149sorte le souvenir des failles qui ont divisé la communauté islamique dès l’apparition des premières dissensions autour de la répartition et de la transmission du pouvoir. Le dénigrement des souverains omeyyades fait par ailleurs partie des éléments récurrents dans l’historiographie abbasside. Il ne faut donc évidemment pas être dupe de ces discours et de leur flagrante impartialité. En revanche, il est intéressant de voir le vocabulaire politique mis en œuvre pour disqualifier ces califes en tant que gouvernants.
Ces défauts constituent bien souvent le revers des qualités que nous venons de passer en revue. À la piété et à l’amour de la justice répondent la tyrannie et le non-respect des prescriptions religieuses. Yazīd Ier (r. 60/680-64/683) est ainsi critiqué pour son « autorité despotique (taǧabbur) » et « l’obéissance (inqiyād) servile de ses sujets59 » ; comparé à Pharaon pour ses excès, il laisse la mémoire d’un règne marqué par « l’injustice (ẓulm) » et l’« impiété (fisq)60 », et entaché en outre par « une foule de détails honteux concernant ses habitudes d’intempérances61. » Des reproches semblables sont adressés à Yazīd II (r. 101/720-105/724), dont « la tyrannie (ẓulm) et les rigueurs (ǧawr) […] pesaient sur ses sujets62 », tandis qu’il s’adonnait à la boisson et toutes sortes de frivolités, renonçant à la justice.
Les deux califes omeyyades sont aussi critiqués pour leur tendance à la débauche, qui répond à l’austérité et la frugalité des souverains modèles. Yazīd Ier est ainsi réputé pour son goût pour la débauche (fusūq) et pour ses excentricités63 , tandis que Yazīd II, sous l’emprise successive de deux esclaves, Salāmat al-Qass puis Ḥabāba, ne parvient pas à renoncer « à ses goûts de plaisir (lahw) et de débauche (qaṣf) », malgré les tentatives de son entourage pour lui faire perdre ces habitudes et le ramener vers la conduite attendue de la part d’un calife64. Al-Walīd II (r. 125/743-126/744) laisse également le souvenir d’un « libertin [aux mœurs] dissolues (munhatik), [perdu de] débauche (māǧin)65 », tandis qu’al-Muʿtamid (r. 256/870-279/892), seul parmi les souverains 150abbassides à être classé dans cette catégorie, aimait d’après al-Masʿūdī « passionnément les plaisirs et cédait à son penchant pour l’orgie, à son goût pour les divertissements et les concerts66 ».
De la même manière, al-Masʿūdī est aussi prompt à louer la générosité des uns qu’à blâmer l’avarice des autres : il remarque ainsi que, malgré un certain nombre de qualités qu’il lui reconnaît, « l’avarice (buḫl) dominait » chez ʿAbd al-Malik, qui était en outre « enclin à verser le sang67. » À l’idéal de la maîtrise de soi et de la sagesse viennent répondre l’inconstance et la violence qui caractérisent en particulier al-Qāhir, décrit comme « mobile et changeant », coutumier de violences qui « firent de lui la terreur et l’effroi de ses sujets », menaçant ses interlocuteurs d’une longue pique qu’il avait toujours à la main68. À l’érudition des uns correspond la faiblesse d’esprit des autres, et notamment d’al-Amīn, décrit comme « d’un esprit faible, incertain dans ses projets et incapable de pensées sérieuses69 ».
Il faut enfin ajouter le reproche, courant, qui est fait à certains califes de se laisser dominer par leurs conseillers, au point d’en perdre toute autorité. Al-Wāṯiq (r. 227/842-232/847) est ici réputé pour avoir été « entièrement dominé par Aḥmad b. Abī Duʾād et par Muḥammad b. ʿAbd al-Malik al-Zayyāt70 », incapable de prendre la moindre décision sans les consulter : « en un mot, il les investit de toute l’autorité (amr) et leur abandonna le gouvernement (mulk)71 » . Al-Mustaʿīn (r. 248/862-252/866), confronté aux menées de Waṣīf et de Buġā, se retrouve sans « aucun pouvoir (lā amra la-hu), et toute l’autorité était aux mains de Buġā et de Waṣīf72 ». Al-Muttaqī (r. 329/940-333/944) se retrouve quant à lui dans une situation comparable, « dépouillé de toute son autorité (lā amra la-hu wa-lā nahya)73 ».
Ce passage en revue des valeurs exaltées chez les souverains antéislamiques et islamiques appelle une remarque. Cette accumulation de qualités standardisées, semblant relever du lieu commun, pourrait appeler 151une première lecture, superficielle, qui y verrait l’inertie d’auteurs qui répètent et imitent des modèles anciens74. Il y a pourtant là quelque chose d’autre qui se joue. Il apparaît en effet, à travers les lignes qui précèdent, que le discours sur le bon gouvernement passe ici moins par la description de l’organisation théorique du royaume ou par la description du type de décisions que doit prendre le souverain, que par l’exaltation de certaines de ses qualités et de ses vertus personnelles. Ces portraits, loin d’être une simple série de caricatures simplificatrices, doivent être replacés dans le cadre d’une pensée qui établit un lien de continuité entre gouvernement de soi et gouvernement des autres75. L’insistance sur les valeurs personnelles du souverain, qui conduit souvent à reléguer ces descriptions du côté de l’anecdote et du cliché, correspond à l’idée que les qualités du souverain affectent directement sa compétence en tant que gouvernant. Ces descriptions, loin de renvoyer à la seule personne du roi ou du calife, concernent les qualités qui lui permettent de régner efficacement et d’assurer la prospérité de son empire.
Ce lien apparaît d’ailleurs à plusieurs reprises de façon explicite sous la plume d’al-Masʿūdī. À la mort de son père Yūnān, dont nous avons vu plus haut les recommandations qu’il a reçues de lui, Cécrops « accéda au pouvoir à sa place et, réunissant autour de lui ses parents et ses enfants, il mit en pratique les conseils paternels76. » Immédiatement après, l’accroissement de sa descendance, l’augmentation du pouvoir de cette dynastie et l’extension de leur domination sur de vastes territoires, apparaissent comme la conséquence directe du respect des conseils dispensés par Yūnān, et de l’adhésion aux valeurs qu’il a présentées comme centrales pour l’exercice du pouvoir, à commencer par la libéralité. À l’inverse, la corruption morale du souverain entraîne rapidement des effets néfastes sur ses sujets et son royaume. Nous avons déjà vu que les « goûts de débauche » de Yazīd se sont répandus « parmi ses courtisans et les agents de son pouvoir77 », comme contaminés par les écarts de 152conduite de leur maître78. Quelques années plus tard, le contraste est particulièrement souligné entre le règne de ʿUmar II (r. 99/717-101/720), célébré pour sa vertu, et celui de son successeur Yazīd II, décrit comme frivole et dominé par ses passions amoureuses. Maslama b. ʿAbd al-Malik, chef militaire omeyyade réputé, aurait explicitement attiré l’attention du nouveau calife sur cet écart et sur ses effets délétères sur ses sujets :
« Umar [II], dont la mort ne date que d’hier, lui dit-il, était le souverain équitable que tu sais. Il faut qu’à ton tour tu manifestes ta justice envers tes sujets et que tu renonces au plaisir, puisque toutes tes actions et ta conduite servent de modèle à tes agents. Dépouille-toi donc de ces funestes habitudes79.
Si cette exhortation est décrite comme n’ayant pas eu d’effet durable, elle a pour nous le mérite d’exposer clairement l’idée d’une correspondance directe, presque mécanique, entre la capacité du souverain à se gouverner soi-même, à être maître de ses désirs, à s’imposer une éthique personnelle, et sa capacité à gouverner les autres, à assurer la prospérité de son royaume, et à y maintenir la concorde, en particulier par l’intermédiaire de ses agents qui modèlent sur lui leur propre conduite.
Le discours politique de la production historiographique : une réponse aux troubles
du ive/xe siècle ?
La science historique se voit conférer par al-Masʿūdī un statut éminent. Écrivant à une époque marquée par une intense réflexion sur le statut et les classifications des sciences, il ne manque pas de mettre en valeur une conception du champ du savoir qui accorde à l’histoire une place centrale et une portée universelle :
Si les savants n’appliquaient leur esprit à [l’étude de l’histoire des] siècles, la science s’écroulerait de fond en comble. Car c’est à l’histoire (al-aḫbār) que 153toute science doit ses développements : […] la jurisprudence (fiqh) la consulte, l’éloquence (faṣāḥa) la met à profit, les tenants de l’analogie (qiyās) s’appuient sur elle […] ; l’homme lui doit tout ce qu’il sait. L’histoire transmet les sentences des sages (amṯāl al-ḥukamāʾ), c’est à elle que l’on peut emprunter [les exemples] des vertus et des hauts faits, c’est elle qui enseigne la conduite politique et militaire des rois (ādāb siyāsat al-mulk wa-al-ḥarb) ; tout ce qui charme, tout ce qui étonne, est recueilli chez elle. C’est une science qui captive l’oreille du savant et de l’ignorant, qui charme l’homme simple comme l’homme d’esprit ; le vulgaire comme l’aristocrate chérit son commerce et est attiré vers elle ; le non-Arabe comme l’Arabe prête une oreille attentive à son récit ; Tous les sujets sont en relation avec elle : c’est l’ornement des assemblées, l’agrément des réunions, l’indispensable auxiliaire de toutes les compagnies. Sa supériorité sur les autres sciences est évidente et tous les esprits lui accordent le premier rang. Mais celui-là seul pénètre dans son domaine, en approfondit les secrets et peut s’y mouvoir à son aise, qui a voué sa vie à l’étude, qui en comprend la portée, qui en goûte les fruits, tremble devant sa puissance et en savoure les douces jouissances80.
Cet éloge de la science historique, placé au cœur du chapitre 40, qui est consacré à une série de considérations géographiques sur les espaces où dominent les populations arabes, et est lui-même situé dans la partie de l’ouvrage où al-Masʿūdī aborde l’histoire de l’Arabie préislamique, fait ressortir trois points décisifs : l’histoire est le fondement de toutes les sciences, elle recueille la sagesse des temps passés, et elle est universelle. L’historien « professionnel » est en outre décrit comme le seul à même de prendre toute la mesure et de tirer le meilleur de cet océan de récits. Dans ce vigoureux plaidoyer sont contenus les différents modes selon lesquels est ensuite présentée cette discipline ainsi que les rapports qu’entretiennent avec elle les souverains à travers l’œuvre.
D’une part, elle apparaît comme un objet de curiosité, de plaisir et de divertissement. ʿAbd al-Malik est ainsi décrit comme recherchant la compagnie des traditionnistes et voulant « s’intéresser à l’histoire (aḫbār al-nās)81 ». Al-Saffāḥ apprécie également le « récit des compétitions de gloire entre les Arabes de Nizār et ceux du Yémen82 ». Al-Mustaʿīn se distingue particulièrement par son intérêt pour ces sujets : non seulement il place à la tête de chancellerie Saʿīd b. Ḥumayd, réputé 154pour avoir « orné sa mémoire des faits les plus intéressants de l’histoire (aḫbār) et des meilleures poésies83 », mais il se passionne lui-même pour « l’histoire et les journées célèbres (ayyām al-nās wa-aḫbāri-him) : tout ce qui se rattachait au passé (aḫbār al-māḍīn) excitait sa curiosité84 ». Les formules employées laissent bien voir la nature du rapport entretenu ici avec l’histoire, qui sert à divertir, à fournir des anecdotes piquantes, à agrémenter les conversations. De la même manière, al-Rāḍī « aimait à s’entretenir des choses et des hommes du temps passé (aḫbār al-nās wa-ayyāmi-him), recherchait les savants et les littérateurs, les appelait souvent en sa présence et les comblait des marques de sa générosité85 ». L’histoire apparaît donc ici comme l’un des matériaux principaux de l’adab, de la culture que tout homme éduqué se devait de maîtriser.
D’autre part, l’histoire se voit assigner une fonction didactique : porteuse d’une sagesse universelle, elle est une source d’enseignements pour ceux qui prennent le temps de la contempler. Cet enseignement peut se cantonner à la morale, comme lorsqu’un prisonnier demande qu’on lui fasse la faveur de lui procurer des « livres d’histoire des rois anciens (kutub min siyar al-mulūk al-ġābira) », et qu’apprenant que cet homme passe son temps à lire « l’histoire (siyar) des rois, de leurs guerres et de leurs désastres », le calife al-Muʿtaḍid (r. 278/891-289/902) se montre admiratif et s’écrie : « Cet homme s’exerce à mépriser la mort86 ! » Il peut également porter sur l’art de gouverner, et c’est là l’aspect qui retient ici principalement notre attention. Cela concerne chez al-Masʿūdī deux califes omeyyades, Muʿāwiya, comme nous l’avons vu en préambule, et Marwān II (r. 127/744-132/750), le dernier souverain de la dynastie, qui, au milieu de graves périls – en particulier celui que constitue alors la révolte du Ḫurāsān – renonce à la compagnie des femmes, mais reste absorbé par « la lecture de la chronique des rois perses (Furs) et étrangers (mulūk al-umam) ; il étudiait leur histoire (siyar al-mulūk wa-aḫbāri-hā) et leurs campagnes87 », comme pour y trouver une issue à la crise à laquelle il était confronté.
Ce sont cependant surtout les califes abbassides qui se trouvent ici associés à l’histoire comme source de principes de bon gouvernement 155ou comme instrument de résolution d’un problème pressant. Une tradition présente Muʿāwiya, ʿAbd al-Malik et Hišām comme les trois vrais hommes politiques omeyyades, ce dernier marquant la fin de la « période du sage gouvernement (siyāsa) et de la bonne administration (ḥusn al-sīra). On ajoute que dans la plupart des circonstances de sa vie politique (umūr, siyāsa) et de ses actes administratifs (tadbīr88), al-Manṣūr suivait les précédents établis par Hišām, dont il avait étudié à fond l’histoire (aḫbār) et le gouvernement (sīra)89 ». Envoyant son fils al-Mahdī à Rayy comme gouverneur, il l’accompagne d’al-Šarqī b. al-Quṭāmī, « pour instruire le prince des “journées” célèbres des Arabes, des beaux traits de leur caractère, lui enseigner leur histoire (aḫbār) et lui réciter leurs poésies90 », comme si l’histoire – en l’occurrence centrée sur l’histoire des Arabes préislamiques – constituait le point d’entrée incontournable dans l’art de gouverner. De même, al-Amīn, pour exprimer son désarroi face à la progression rapide de Ṭāhir b. al-Ḥusayn, général des troupes de son demi-frère al-Maʾmūn, avec qui il est en conflit ouvert, déclare :
Dieu sait si j’ai étudié les traditions des peuples anciens, si j’ai lu le récit de leurs guerres et l’histoire de ceux qui ont exercé l’autorité : eh bien ! par la mémoire de mon père, je jure n’y avoir pas trouvé une histoire comparable à celle de cet homme, pour son intrépidité et sa sagesse politique91.
Cet aveu d’échec, mis dans la bouche d’un souverain décrit comme voué à l’échec dans sa lutte contre al-Maʾmūn, révèle indirectement que l’histoire est conçue comme devant fournir des illustrations d’art de gouverner, permettant aux souverains de prévoir les mouvements de leurs adversaires à partir d’exemples passés. La formulation la plus nette de cette conception apparaît sans doute à la fin du long échange entre al-Qāhir et l’historien al-Ḫurāsānī : après avoir longuement interrogé son interlocuteur sur l’histoire de ses prédécesseurs, il le remercie et le congédie en ces termes : « Je suis enchanté de ce que je viens d’entendre : 156tu as ouvert l’accès du sage gouvernement (abwāb al-siyāsa) et montré la route de la [bonne] administration (riʾāsa)92 ».
Pour comprendre à la fois cette insistance sur l’importance de l’histoire et sa mise en avant comme source de discours sur l’art de gouverner, il faut revenir sur le contexte politique dans lequel écrit al-Masʿūdī, c’est-à-dire la première moitié du ive/xe siècle. Cette période est marquée par le contraste, bien connu, entre les difficultés politiques du pouvoir central, de plus en plus impuissant face au morcellement de l’empire, et le bouillonnement intellectuel qui touche les différents milieux savants.
Nous sommes tentés de voir un lien entre cette atmosphère politique et culturelle contrastée d’une part, et le statut accordé par certains auteurs à la science historique et aux normes politiques qui en découlent, d’autre part. Si l’on résume en effet, l’histoire apparaît à la fois comme une source d’inspiration politique, puisqu’elle véhicule des normes très claires, qui définissent sans ambiguïté le bon et le mauvais souverain, le gouvernement juste et le gouvernement tyrannique ; comme puisant dans un fonds universel qui vient ici contraster avec l’émiettement politique, comme s’il y avait une manière unique de gouverner, propre aux grands souverains, et dont l’adoption serait une garantie de succès et d’unité, d’où l’insistance sur les liens entre pratiques antéislamiques et islamiques93 ; comme particulièrement sollicitée pour trouver des solutions en des temps troublés, ce qui est illustré par les différents cas où des souverains sont mis en scène comme se tournant vers l’histoire en période de crise.
Il semble donc que nous touchions là à la véritable spécificité du bon gouvernement lorsqu’il est pris en charge par le discours historique. Il partage certes un certain nombre de caractéristiques avec l’enseignement contenu dans les miroirs des princes, pour des raisons évidentes, qui tiennent à leurs racines qui plongent dans le fonds commun de l’adab ainsi qu’à l’exploitation récurrente de la matière historique dans les miroirs des princes. Cependant, combinée au reste du discours historiographique, et associée au statut particulier dont commence alors à bénéficier celui-ci à la fin du iiie/ixe siècle et au début du ive/xe siècle, la rationalité politique 157qui se déploie chez les historiens médiévaux prend une autre dimension. Elle devient le lieu où s’exprime l’aspiration à un art de gouverner qui assure la stabilité et la prospérité du Dār al-Islām, l’espoir d’une science du gouvernement qui transcende les dissensions politiques, et qui inscrit le pouvoir islamique dans la lignée des glorieux royaumes du passé. En disséminant à travers son œuvre une multitude d’anecdotes et de portraits qui pris ensemble sont porteurs de règles et de normes clairement identifiables, al-Masʿūdī contribue non seulement à donner aux souverains de son temps les clefs de l’art du bon gouvernement, mais aussi à diffuser dans la société lettrée des critères d’évaluation du pouvoir, tout en affirmant l’universalité et l’unité de la science politique islamique.
Il faudrait naturellement prolonger cette enquête à partir de l’examen d’autres ouvrages du même genre et de la même époque, ce qui excèderait ici les limites de l’article. Il nous semble cependant avoir établi ici l’importance d’une partie au moins de la production historiographique du Proche-Orient au ive/xe s. dans la diffusion et la reconfiguration des normes du bon gouvernement, ainsi que son inscription dans le contexte politique troublé auquel elle appartient. Cette prise en compte des différents lieux où s’élaborent, se discutent et se diffusent ces normes rejoint ainsi la vigoureuse exhortation de Shahab Ahmed à ne pas rester prisonnier de représentations figées qui, dans d’autres domaines, comme celui de la définition de l’islamité et de la licéité de courants de pensée et de pratiques, voudraient faire croire à l’existence d’une seule source de toutes normes, rejetant tous les autres discours du côté de la dissension et de l’hétérodoxie94. Il nous paraît ici essentiel d’être sensible à la fois à la pluralité des voix qui, en un lieu et en un temps donnés, abordent le même objet, parfois en partie à partir de matériaux communs, et au contexte dans lequel se font entendre ces différences dans la hiérarchie des normes. Cette prise en compte de la polyphonie des normes peut seule nous garder du risque d’essentialisation lorsque nous abordons un sujet aussi central et aussi décisif que la pensée politique en Islam médiéval.
Rémy Gareil
Université Lyon 2 / CIHAM
1 Voir par exemple le témoignage de Jean Bar Penkayé, moine nestorien contemporain de Muʿāwiya (Martin Hinds, « Muʿāwiya Ier », Encyclopédie de l’Islam, 2e édition).
2 Al-Masʿūdī, Murūǧ al-ḏahab, vol. 5, p. 73-77 ; trad. fr. § 1832-1836. Sauf mention contraire, nous avons systématiquement repris tout au long de cet article les traductions de Charles Barbier de Meynard et Abel Pavet de Courteille, revues par Charles Pellat, assorties au besoin de nos remarques en notes de bas de page. Les références que nous indiquons renvoient toujours au texte arabe dans l’édition de 1861-1877 (volume et numéro de page), suivies du numéro de paragraphe correspondant dans la traduction parue en 1962-1997.
3 Al-Masʿūdī, Murūǧ al-ḏahab, vol. 5, p. 77-78 ; tr. § 1836.
4 L’expression, empruntée à Makram Abbès, renvoie aux techniques de gouvernement fondées sur l’exercice de la raison, qui permettent d’étudier la pensée politique en Islam médiéval autrement qu’à travers le prisme religieux. Voir son ouvrage Islam et politique à l’âge classique, ainsi que son Essai sur les arts de gouverner en Islam. L’expression « rationalités politiques » et la synthèse des apports de l’ouvrage précédent s’y trouvent en p. 12.
5 Annliese Nef, L’Islam a-t-il une histoire ?, p. 174-175.
6 Chase F. Robinson, Islamic Historiography, p. 114-115.
7 Par chronographie, nous entendons ici les ouvrages qui relèvent du domaine de l’histoire et suivent une organisation chronologique, que ce soit par année ou par succession de règnes. Voir notamment Ibid., p. 251.
8 Cyrille Aillet, Emmanuelle Tixier du Mesnil, Éric Vallet (dir.), Gouverner en Islam, xe-xve s., p. 61-62.
9 Makram Abbès, Essai sur les arts de gouverner en Islam, p. 12-13.
10 Ibid., p. 149.
11 Ibid., p. 153.
12 Al-Masʿūdī, Murūǧ al-ḏahab, vol. 8, p. 289-305 ; trad. fr., § 3444 – 3457.
13 L’idée se trouve dans le Faḫrī d’Ibn al-Ṭiqṭaqā, Le Caire, 1923, p. 9, d’après Chase F. Robinson, Islamic Historiography, p. 116.
14 Tarif Khalidi, Arabic Historical Thought in the Classical Period, p. 182 sq. C’est en effet plus tard, à partir du ve-xie siècle, que l’intégration des historiens dans l’élite politique et militaire d’un Dār al-Islām dont les pouvoirs connaissent de profondes recompositions les conduit à adopter un ton plus personnel et plus ouvertement tranché dans les débats politiques de leur temps. Voir notamment Konrad Hirschler, « Islam : the Arabic and Persian Traditions, Eleventh-Fifteenth Centuries », en particulier p. 275 sq., ainsi que ses analyses de la manière dont des œuvres historiographiques peuvent être façonnées en fonction des engagements de leurs auteurs (Id., Medieval Arabic Historiography : Authors as Actors).
15 Cyrille Aillet, Emmanuelle Tixier du Mesnil, Éric Vallet (dir.), Gouverner en Islam, xe-xve s., p. 62-63. Sur la difficulté d’évaluer la circulation des œuvres de conseils, et sur les indices de la concurrence qu’elles représentaient pour les ouvrages d’adab, voir Makram Abbès, Essai sur les arts de gouverner en Islam, p. 150-151.
16 Chase F. Robinson, Islamic Historiography, p. 112.
17 « If the courts played a role in patronizing historiography, its readership went well beyond rulers and those who served them. In the cosmopolitan cities of the Islamic middle ages, to be a man of culture and learning was to command not only the ability to express oneself in a refined and grammatically sound Arabic, but sufficient material to make doing so worthwhile. » (Chase F. Robinson, Islamic Historiography, p. 115-116).
18 Al-Masʿūdī, Murūǧ al-ḏahab, vol. 2, p. 224-226 ; trad. fr., § 645-646.
19 Voir sur ce point le développement de Makram Abbès, Essai sur les arts de gouverner en Islam, p. 157-158.
20 Al-Masʿūdī, Murūǧ al-ḏahab, vol. 2, p. 152 ; trad.fr., § 577.
21 Ibid., vol. 2, p. 155 ; trad. fr., § 580.
22 Ibid., vol. 5, p. 273 ; trad. fr., § 2036.
23 Ibid., vol. 2, p. 162 ; trad. fr. § 586. Sur le caractère récurrent de cette maxime, voir Makram Abbès, « Essai sur les arts de gouverner en Islam », p. 89-90. Plus généralement, sur l’omniprésence de figures comme celles d’Ardašīr, Sābūr et Anūširwān dans les ouvrages de conseil, voir aussi Jocelyne Dakhlia, « Les Miroirs des princes islamiques : une modernité sourde ? », p. 1198.
24 Al-Masʿūdī, Murūǧ al-ḏahab, vol. 5, p. 121 ; tr. § 1878.
25 Ibid., vol. 5, p. 122 ; tr. § 1878.
26 Ibid., vol. 5, p. 122 ; tr. § 1879.
27 Ibid., Murūǧ al-ḏahab, vol. 5, p. 123 ; tr. § 1879.
28 Voir sur ce point Makram Abbès, Essai sur les arts de gouverner en Islam, p. 150-158.
29 Al-Masʿūdī, Murūǧ al-ḏahab, vol. 2, p. 164-165 ; tr. § 590.
30 Ibid., vol. 2, p. 166 ; tr. § 593.
31 Ibid., vol. 2, p. 166-167 ; tr. § 593.
32 Il s’agit du souverain sassanide Chosroès Ier (r. 531-579).
33 Ibid., vol. 2, p. 206-207 ; trad. fr., § 628.
34 Ibid., vol. 7, p. 7-8 ; trad. fr., § 2701.
35 Ibid., vol. 2, p. 245-246 ; trad. fr., § 667.
36 Ibid., vol. 6, p. 358 ; trad. fr., § 2556.
37 Ibid., vol. 6, p. 358-360 ; trad. fr., § 2557.
38 Ibid., vol. 7, p. 7-8 ; trad. fr., § 2701.
39 Ibid., vol. 7, p. 8 ; trad. fr., § 2701.
40 Voir sur ce point Makram Abbès, Islam et politique à l’âge classique, op. cit., p. 108-109.
41 Al-Masʿūdī, Murūǧ al-ḏahab, vol. 5, p. 419 ; tr. § 2171. Il est ici question de ʿUmar II, c’est-à-dire ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz (r. 99/717-101/720).
42 Ibid., vol. 5, p. 420 ; trad. fr., § 2172.
43 Ibid., vol. 5, p. 420 ; trad. fr., § 2172.
44 Ibid., vol. 8, p. 2 ; trad. fr., § 3111.
45 Ibid., vol. 8, p. 19 ; trad. fr., § 3130.
46 Ibid., vol. 8, p. 20 ; trad. fr., § 3130.
47 Ibid., vol. 4, p. 178 ; trad. fr., § 1512.
48 Ibid., vol. 4, p. 178 ; trad. fr., § 1512.
49 Ibid., vol. 4, p. 193 ; trad. fr., § 1525.
50 Ibid., vol. 4, p. 252 ; trad. fr., § 1578.
51 Ibid., vol. 6, p. 232-234 ; trad. fr., § 2441-2442.
52 Ibid., vol. 7, p. 302 ; trad. fr., § 2992.
53 Ibid., vol. 7, p. 309 ; trad. fr., § 3001.
54 Ibid., vol. 8, p. 339 ; trad. fr., § 3500.
55 Ibid., vol. 6, p. 262-263 ; trad. fr., § 2470.
56 Ibid., vol. 6, p. 432-433 ; trad. fr., § 2637.
57 Ibid., vol. 5, p. 225 ; trad. fr., § 1987.
58 Ibid., vol. 8, p. 309-310 ; trad. fr., § 3468.
59 Ibid., vol. 5, p. 158 ; trad. fr., § 1919.
60 Ibid., vol. 5, p. 159-160 ; trad. fr., § 1922.
61 Ibid., vol. 5, p. 167 ; trad. fr., § 1931.
62 Ibid., vol. 5, p. 447 ; trad. fr., § 2198.
63 Ibid., vol. 5, p. 157 ; trad. fr., § 1918.
64 Ibid., vol. 5, p. 446-449 ; trad. fr., § 2197-2199.
65 Ibid., vol. 6, p. 4 ; trad. fr., § 2238.
66 Ibid., vol. 8, p. 88 ; trad. fr., § 3213.
67 Ibid., vol. 5, p. 210 ; trad. fr., § 1973.
68 Ibid., vol. 8, p. 287-288 ; trad. fr., § 3442.
69 Ibid., vol. 6, p. 432 ; trad. fr., § 2637.
70 Ibid., vol. 7, p. 146 ; trad. fr., § 2832.
71 Ibid., vol. 7, p. 147 ; trad. fr., § 2832.
72 Ibid., vol. 7, p. 325 ; trad. fr., § 3016.
73 Ibid., vol. 8, p. 346 ; trad. fr., § 3509.
74 Voir sur ce point la critique, par A. Badawi, du caractère sclérosant de la maxime dans la pensée politique arabe médiévale (Makram Abbès, Essai sur les arts de gouverner en Islam, op. cit., p. 157-158).
75 Ibid., p. 11-12. La notion qui permet d’articuler ces différentes dimensions et qui joue un rôle central dans la définition des techniques de gouvernement tout en mettant en lumière la rationalité qui les sous-tendent est celle de tadbīr. Voir Makram Abbès, Islam et politique en Islam à l’âge classique, p. 51 sq.
76 Al-Masʿūdī, Murūǧ al-ḏahab, vol. 2, p. 246 ; trad. fr., § 668.
77 Ibid., vol. 5, p. 157 ; trad. fr., § 1918.
78 Une remarque similaire est faite au sujet d’al-Qāhir, victime d’un complot présenté comme la conséquence directe de « l’inconstance de sa conduite » et de « l’épouvante que ses emportements inspiraient » (Ibid., vol. 8, p. 288 ; trad. fr., § 3443).
79 Ibid., vol. 5, p. 447 ; trad. fr., § 2198.
80 Ibid., vol. 3, p. 135-136 ; trad. fr., § 989.
81 Ibid., vol. 5, p. 211 ; trad. fr., § 1974.
82 Ibid., vol. 6, p. 136-137 ; trad. fr., § 2350. Voir aussi la longue anecdote qui suit immédiatement ce passage, et qui illustre bien le goût d’al-Saffāḥ pour ce type de récit (vol. 6, p. 137-157 ; tr. § 2351-2369).
83 Ibid., vol. 7, p. 325-326 ; trad. fr., § 3017.
84 Ibid., vol. 7, p. 349 ; trad. fr., § 3043.
85 Ibid., vol. 8, p. 338-339 ; trad. fr., § 3500.
86 Ibid., vol. 8, p. 199-200 ; trad. fr., § 3338.
87 Ibid., vol. 6, p. 64 ; trad. fr., § 2288.
88 Nous avons maintenu ici la traduction de Charles Barbier de Meynard et Abel Pavet de Courteille revue par Charles Pellat, mais le terme tadbīr renvoie ici bien davantage à l’ensemble des techniques de gouvernement et d’administration, plutôt qu’à des « actes administratifs ». Voir notre remarque sur ce terme supra.
89 Ibid., vol. 5, p. 479-480 ; trad. fr., § 2234.
90 Ibid., vol. 6, p. 251 ; trad. fr., § 2458.
91 Ibid., vol. 6, p. 441 ; trad. fr., § 2647.
92 Ibid., vol. 8, p. 303 ; trad. fr., § 3457.
93 Il faut ici rappeler que l’existence d’œuvres historiques à portée universelle et qui proposent une telle vision unifiée de l’histoire de l’humanité constitue encore une innovation récente lorsqu’al-Masʿūdī écrit. Le premier à adopter une telle démarche et dont l’œuvre nous soit parvenue est en effet al-Yaʿqūbī (m. ap. 295/908), qui compose son Histoire (Taʾrīḫ) au cours de la seconde moitié du iiie/ixe siècle.
94 Shahab Ahmed, What is Islam ?, 2016, notamment p. 116 sq. et 220 sq.
- CLIL theme: 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- ISBN: 978-2-406-11576-2
- EAN: 9782406115762
- ISSN: 2271-7234
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-11576-2.p.0133
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 05-19-2021
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Abbasid caliphs, historiography, art of ruling, universal history, pre-Islamic and Islamic rulers, medieval Islam