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- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Dictionnaire du lyrique. Poésie, arts, médias
- Pages : 241 à 251
- Collection : Dictionnaires et synthèses, n° 27
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Narration
Lorsqu’il publie une anthologie personnelle de ses poèmes, en 1912, W. B. Yeats, qui devait recevoir le prix Nobel en 1923, choisit de classer les Collected Poems extraits de ses douze premiers recueils en deux sections de proportions inégales, intitulées respectivement « Lyric » pour une grande majorité d’entre eux, parmi lesquels « The Wind among the Reeds », et « Narrative and Dramatic », moins nombreux, mais tout aussi connus, comme « The Wanderings of Oisin » et « The Death of Cuchulain ». L’œuvre de Yeats, majeure pour le renouvellement de la poésie européenne au tournant du siècle, ouvre sur le « modernisme » de Pound et d’Eliot, tout en recueillant l’héritage des « Lakists » romantiques et des Victoriens, aussi bien que les échos du symbolisme français.
Avec une grande virtuosité, Yeats pratique à peu près tous les genres de la poésie anglaise du xixe siècle : l’ode et la ballade à la manière de Keats ou de Coleridge, le « dit » épique dans la tradition d’Ossian et des idylles de Tennyson, le monodrame byronien, entre autres. Il maîtrise mieux que quiconque les formes de la poésie narrative ou dramatique ; mais par la distribution des pièces dans le volume des Collected Poems, il privilégie le genre lyrique, illustré par « The Lake Isle of Innisfree » ou « Sailing to Byzantium », qui appartiennent au patrimoine de la poésie mondiale. Certes, comme initiateur d’un « Irish Revival », Yeats reprend le modèle des anciennes épopées et légendes gaéliques dans de longs poèmes narratifs, ou dans des drames poétiques qu’il fait représenter à l’Abbey Theatre de Dublin. L’essentiel du volume des Collected Poems est cependant composé de poèmes qualifiés par son auteur de « lyriques », comme « The Wild Swans at Coole », qu’il ajoute à la seconde édition de l’anthologie, si bien que le lecteur contemporain retient d’abord la part lyrique de l’œuvre de Yeats. Le « chant » du poète, qui assume sa subjectivité et l’élargit aux dimensions de l’univers, naît de la remémoration des années de jeunesse et de la rencontre avec les paysages et figures aimés de longue date.
En 1912, le choix éditorial de Yeats ne fait qu’entériner un partage des genres qui s’est imposé peu à peu au fil de l’histoire de la poésie anglaise, française et européenne, depuis le romantisme. Fondé sur une définition restrictive du genre lyrique, supposé étranger à la mimèsis d’action caractéristique de l’épopée et de la tragédie dans la poétique aristotélicienne, ce partage a conduit à opposer l’état lyrique du poète au « drame » dans son acception première. Ainsi isolée des genres narratifs et dramatiques, la poésie comme telle tend à se confondre avec la poésie lyrique, jugée désormais incompatible avec l’action narrative, alors même que les genres lyriques anciens comme l’idylle, la ballade, l’ode ou l’hymne incluaient souvent des récits. Le narratif dans l’épopée ou poème héroïque, mais dans aussi dans
242la fable, le récit historique ou mythologique, se porte plus volontiers vers la prose, dans le roman en particulier, ou dans le poème en prose, après Baudelaire. En 1936, dans l’introduction à The Oxford Book of Modern Verse 1892-1935, Yeats revient quelques années avant sa mort sur la génération de poètes qui, comme lui, ont voulu s’affranchir de la rhétorique des Victoriens et « purifier la poésie de tout ce qui n’est pas poésie », dans la lignée de Catulle, Verlaine et Baudelaire. S’inspirant de Walter Pater, il évoque les descriptions de la nature, le discours moral et scientifique qui détournent la poésie de l’expression « techniquement parfaite » d’une « émotion d’intensité élevée », selon une conception « religieuse » de l’Art.
Depuis l’époque romantique, nombreux sont les critiques, surtout en France, qui dénoncent le caractère fastidieux des longues épopées en vers sur le modèle homérique ou virgilien, au point que Chateaubriand, qui a traduit Milton en prose, choisit d’écrire également Les Martyrs en prose, et que Hugo réduit le vaste projet de La Légende des siècles à deux longues séries de « petites épopées » en vers. Dans le Journal d’un poète, Vigny déclare que « l’étendue en vers français est insupportable ». Au regard de sa propre production poétique, essentiellement lyrique, Pouchkine considère le « roman en vers » EugèneOnéguine comme assez incongru, en 1833. La narration désinvolte et ironique multiplie du reste les digressions et les « blancs », qui laissent au lecteur un sentiment d’inachèvement, malgré le dénouement par lequel le poète « se sépare de son Onéguine ».
Certes, cette désaffection progressive au fil du siècle pour l’épopée et tous les genres narratifs en vers au profit du lyrique est toute relative. Au xixe siècle, le « Poème », dans le sens d’un « poème héroïque », réduit à des proportions comparables à celles de l’ancien epyllion, apparaît comme une solution pour raconter en vers sans lasser le lecteur. D’un côté et de l’autre du Channel, le « Poème » est illustré par Vigny dans les Poèmes antiques et modernes et les « poèmes philosophiques » des Destinées, par Hugo dans La Légende des siècles, recueil de « petites épopées », par Tennyson dans les Idylles du Roi inspirées des cycles arthuriens. « Le Voyage », qui clôt Les Fleurs du mal, tout comme « Le Bateau ivre », gardent la mémoire du « Poème », qui associe l’émotion lyrique à l’action narrative.
La poésie anglaise du xixe siècle perpétue la veine épique, dans la filiation ancienne de The Fairy Queen de Spenser et surtout de Paradise Lost de Milton, qui demeure la référence. Mais, si elle demeure sans doute plus vivace qu’en France, la tradition de l’epic verse est de plus en plus contestée. Sur le mode ironique, dans Don Juan, Byron la tourne en dérision. Il reste fidèle au modèle narratif tout en le détournant. Passée la mode du poème byronien en France et partout en Europe vers 1830, la poésie européenne moderne a surtout retenu du romantisme anglais le lyrisme « personnel » de Keats ou de Shelley. Les Lyrical Ballads sont encore préférées aux vers autobiographiques du Prelude de Wordsworth, traduit en français seulement au xxe siècle. Ainsi, l’évolution des formes et des genres conduit à une spécialisation de la poésie en vers, réduite au genre lyrique. La prédominance du lyrique, après le déclin des formes narratives de la poésie, fait l’objet d’une réflexion théorique qui s’explicite en une véritable poétique dans la seconde moitié du siècle, passé l’âge romantique.
À la fin du xixe siècle, c’est donc la légitimité même du poème narratif qui est interrogée, dans le domaine français plus encore qu’anglais. Dans « Crise de vers », Mallarmé lie étroitement la narration, l’enseignement et la description à « l’état 243de la parole, brut ou immédiat », voué à l’échange « commercial » comme un « numéraire facile ». La poésie, elle, doit au contraire atteindre à « l’état essentiel » de la parole, affranchi de « l’universel reportage ». « Pure et subjective », la poésie d’Hérodiade écarte le « drame », au profit du lyrique. Du cygne prisonnier du lac glacé, le poème ne peut représenter que « le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui ». Dans le monde anglophone, l’ombre du poète lauréat Tennyson, auteur du vaste cycle narratif The Ring and the Book, plane encore sur la poésie de langue anglaise, tout comme celle, bien sûr, de Milton. Mais la possibilité d’un poème narratif linéaire ou chronologique, comme Yeats pouvait encore en écrire au début du siècle, ne paraît plus guère envisageable pour Eliot ou Pound.
Le récit en vers est ainsi frappé d’une condamnation ou d’une interdiction par les avant-gardes du symbolisme et du « modernisme » anglo-saxon, dans les années 1880-1920. Il aurait très bien pu figurer sur la liste noire des techniques poétiques à proscrire dans le manifeste imagiste de Pound « A Few Don’ts by an Imagist », en 1913. Cette poétique nouvelle, « restreinte » au lyrique et placée sous le signe de l’exclusion du narratif, puise à la source vive des échanges entre poésie française et poésie anglaise, en un dialogue transatlantique. C’est en effet sur les thèses d’Edgar Poe quant au « principe poétique », relayées et amplifiées par Baudelaire, puis par Mallarmé et les symbolistes, jusqu’à Valéry, que se fonde la poétique « restreinte » au lyrique. À vrai dire, la question du récit n’est abordée que de manière seconde par Poe, à travers celle de la longueur et de l’effet produit sur le lecteur, qui est sa principale préoccupation. Un « long poème » – dont la définition peut varier selon l’horizon d’attente des lecteurs, Poe écrivant lui-même des poèmes « longs », au regard de la production contemporaine – est une « parfaite contradiction de termes ». L’état poétique ou lyrique, apparenté au « ravissement » du sublime longinien ou de l’épiphanie, ne peut se poursuivre dans la durée. À la brièveté correspond l’intensité lyrique maximale, née de « l’unité dans l’impression ». De là une formule célèbre, citée et assimilée par Baudelaire : « voilà évidemment le poème épique condamné », qui fait référence à la tradition des vastes épopées en vers, et en particulier à Paradise lost de Milton, dont Poe récuse le modèle. La narration, en ce sens, est une victime collatérale – comme la description, le didactisme et, de manière plus générale, toutes les formes de « discours » en vers – de l’exigence de « brièveté » posée par la nature de l’émotion lyrique. Elle n’exige d’ailleurs pas la longueur, comme le montrent les nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon. C’est le genre de l’épopée, et non le récit comme tel, qui impose le critère du « long poème ». Et la brièveté n’est pas constitutive du genre lyrique en soi, comme le montrent les Méditations poétiques de Lamartine et une tradition ancienne d’hymnes, d’odes et d’élégies de vastes proportions. Pour Poe, et Baudelaire avec lui, ces longs poèmes ne font naître l’effet poétique ou lyrique que par moments, au milieu du discours.
Pourtant, ainsi que l’a montré Paul Ricœur dans Temps et récit, le récit est constitutif de la conscience temporelle, du rapport du sujet à lui-même et au monde. Comment, dès lors, envisager la possibilité d’un poème, fût-il de nature lyrique, sans narration ? Si le poème lyrique « moderne » ou « moderniste » met à mal le récit comme « séquence » et « configuration » dans la « mise en intrigue », il n’en comporte pas moins « en profondeur » une histoire latente ou implicite – une « fable », qui sollicite l’imagination narrative du lecteur. 244Même le sonnet tardif de Mallarmé « À la nue accablante tu… », au lyrisme réputé abstrait, peut faire l’objet d’une lecture narrative puisqu’il « suggère » une « histoire » de naufrage sans la raconter, et a fortiori le poème visuel Un coup de dés, qui « suspend le récit » et où « tout se passe, par raccourci, en hypothèse ». La disparition du récit comme forme ne signifie pas l’absence de fable, bien au contraire. Bonnefoy remarque dans sa leçon inaugurale au Collège de France, en 1983, que « tout poème recèle en sa profondeur un récit, une fiction, aussi peu complexes soient-ils parfois ». Ainsi, en 1953, Du mouvement et de l’immobilité deDouve, né d’un récit en prose détruit, laisse affleurer des figures et des motifs narratifs, affranchis selon le poète de leur « gangue » primitive de fiction et de prose – « lyricisés », en quelque sorte. Échappant aux genres traditionnels de la poésie narrative, la poésie moderne n’en est pas moins riche, en profondeur, des « récits du monde » – qui, écrit Barthes, « sont innombrables ». Si éclaté soit-il dans sa forme et dans sa construction, le poème fait référence à des « histoires » ou « séquences », souvent virtuelles ou implicites, que la conscience du lecteur tend à « reconfigurer » en récits. Ainsi, dans les Illuminations, qui portent le lyrique à son intensité maximale, aux limites de la représentation, une « parade sauvage » donne bien à voir une série d’événements et d’actions dont ni lecteur, ni le poète n’ont « la clef ». Les événements auxquels le lecteur assiste dans « Après le Déluge », « Barbare » ou « Démocratie » renvoient au Grand Récit – la Genèse, la Fin du monde et l’Apocalypse, la guerre et les conquêtes coloniales – sans pour autant s’ordonner dans une narration. Du travail de l’imagination narrative hors de la narration témoignent encore les grands poèmes « modernistes », dans les années 1920-1930. The Waste Land, par exemple, repose entièrement sur les mythes épiques fondateurs d’Homère, Virgile, Chrétien de Troyes ou Dante. Mais les poèmes « se contentent d’y faire une allusion », selon la formule de Mallarmé, par un montage savant de fragments discontinus, dont les motifs appellent une lecture narrative. Sur le mode de la citation ou de l’allusion, les Cantos de Pound sont également saturés de mythes, de fragments et d’ébauches de récits entrecroisés dans différentes langues, mis à plat par une écriture délibérément prosaïque. De cette composition polyphonique héritent les « Objectivistes » américains et leurs héritiers français « anti-lyriques » et « littéralistes » qui, à partir des années 1960-1970, multiplient les récits éclatés. Le sujet lyrique tend à s’effacer derrière un « lyrisme de la réalité ». Mais du kaléidoscope des récits fragmentaires, dans le prosaïsme de la « poésie objective », s’élève encore, fugitivement, la voix lyrique jusque-là contenue, comme dans le dernier Canto (CXVI), qui se conclut sur un constat d’échec proche de l’« Adieu » d’Une saison en enfer :
I have brought the great ball of crystal ;
Who can lift it ?
Can you enter the great acorn of light ?
But the beauty is not the madness
Tho ’ my errors and wrecks lie about me.
And I am not a demigod,
I cannot make it cohere.
► Backès J.-L., Le poème narratif dans l’Europe romantique, Paris, PUF, 2003. Combe D., Poésie et récit, une rhétorique des genres, Paris, José Corti, 1989. Combe D., « La temporalité originaire : essai d’une phénoménologie du style dans la poésie moderne », La pensée et le style, Paris, Éditions universitaires, 1991, p. 133-178. Ricœur P., Temps et récit, t. I, Paris, Seuil, 1983.
→ Actes de langage ; Fiction, représentation ; Genre, mode ; Poème en prose ; Prose ; Séquence, configuration
Dominique Combe
245Noir, négritude
Sur le sujet des littératures d’Afrique subsaharienne et de ses diasporas, y compris la poésie de langue française dont il sera question ici, bien des débats aussi artificiellement binaires qu’ils sont authentiquement tautologiques pourraient être évités en s’accordant sur quelques prolégomènes : la création littéraire et le discours savant contemporain n’appartiennent pas à des plans de réalité radicalement hétérogènes, mais procèdent d’un même monde social et culturel ; pour cette raison, ces deux types de discours répondent à leur manière, certes fort différente, aux mêmes grandes questions anthropologiques, nommées et délimitées selon des lignes de partage propres à leur époque ; ni accoutrement particulariste qui barrerait l’accès à « l’universel », ni essence victimaire mythico-magique qui précéderait toute prise de parole, l’identification d’écrivains à l’Afrique*, à ses diasporas, à la Caraïbe*, à l’héritage de la colonisation ou de l’esclavage, à la « négritude » ou à toute autre manière de penser le fait d’être ce que l’histoire nous a appris à nommer un homme ou une femme noire, constitue l’un des aspects de gestes artistiques complexes, qui mettent en jeu avec les ressources qui sont celles de la poésie une pensée du monde, du sujet et de l’histoire ; aborder une œuvre littéraire du point de vue de son affiliation aux littératures de l’Afrique subsaharienne ou de ses diasporas, ce n’est pas en soi préjuger d’une quelconque essence « raciale » ni prétendre circonscrire les possibles du geste herméneutique : ce peut être, tout simplement, l’aborder du point de vue de ce qui en elle se rattache à ces problématiques, sans pour autant exclure la possibilité de lectures qui se donneraient d’autres points de départ (thématiques, formels, géographiques, etc.). Lire Le Sel noir de Glissant ou Cahier d’un retour au pays natal de Césaire comme des œuvres qui interrogent l’expérience de la diaspora africaine, n’est pas en soi plus « essentialiste » que de lire Les Tragiques d’Aubigné comme un poème sur l’expérience des Protestants durant les guerres de religion ou La Rose de personne de Celan comme évoquant l’expérience des Juifs d’Europe. L’anti-essentialisme ne peut pas, par définition, être différentiel. Si ces remarques inaugurales nous paraissent nécessaires, c’est que par leur extraordinaire richesse et leur vivacité, les poésies de langue française venues d’Afrique comme de ses diasporas méritent mieux que d’être utilisées par le discours académique comme les marionnettes de duels agonistiques autour du « postcolonial » ou de la « race », sur fond de rivalité entre les mondes intellectuels français et états-unien. La poésie issue de Martinique, de Guadeloupe, d’Haïti, de Madagascar, du Sénégal, de Côte-d’Ivoire ou encore des deux Congo, pour ne citer que ces exemples, offre au chercheur intéressé par la question du lyrique un terrain d’exploration vaste et fécond qui peut, tout aussi légitimement que n’importe quel autre, être arpenté selon des démarches qui relèguent au second plan la question de son lien au contexte historique et culturel, ou qui au contraire s’en saisissent. Parmi les virtualités ouvertes par ce deuxième type d’approches, nous esquisserons ici deux lignes de force qui nous semblent dignes d’intérêt du point de vue de la question lyrique.
Un premier ensemble de questions concerne le lien entre une poésie lyrique au sens moderne (écrite, publiée, émanant d’un « auteur ») et des formes d’expression lyrique, ou pouvant être décrites comme lyriques, spécifiques à certaines cultures africaines ou caribéennes. Cette question recoupe en partie, mais pas entièrement, celle des liens entre écriture et oralité, étant entendu que nombre d’arts de la parole africains et caribéens 246s’épanouissent dans un médium oral. Pour peu que l’on abandonne les préjugés évolutionnistes et l’idéologie de l’authenticité qui gâtent trop souvent les approches de ce type, la question de ce lien problématique entre des pratiques lyriques hétérogènes est du plus grand intérêt. L’expression poétique d’émotions* et de sentiments se trouve au cœur de nombreux arts verbaux étudiés par les anthropologues et ethnomusicologues, que l’on songe aux poèmes de la solitude étudiés par Katell Morand chez les Amhara éthiopiens ou aux poèmes pastoraux des Peuls du Massina (Mali) analysés par Christiane Seydou. Chez nombre de poètes modernes africains et caribéens, les genres locaux font l’objet d’un effort d’appropriation créative au sein du texte, plaçant le lyrique au-delà de la « Grande Division » entre oral et écrit : chanson créole haïtienne chez René Philoctète (Poèmes de îles qui marchent), gwoka guadeloupéen chez Ernest Pépin (Salve et salive), séga mauricien chez Édouard J. Maunick (En mémoire du mémorable), taga wolof dans Hosties noires de Léopold Sédar Senghor (« Taga de Mbaye Diop (pour un tama) »), didiga et wiegweu des Bété (Côte d’Ivoire) dans le Fer de lance de Bernard Zadi Zaourou (Gnaoulé-Oupoh, 162-165 et 265-267), poèmes courts hain-teny des Merina (Madagascar) dans Rien que lune d’Esther Nirina… Le poème comme zone de contact entre des médias et des conceptions hétérogènes du lyrisme échappe à tout déterminisme culturaliste pour laisser entrevoir de nouveaux devenirs, produits imprévisibles de la délicate alchimie entre l’histoire, qui confère à ces gestes leur portée collective symbolique, et le travail intime de pensée à travers les mots et les formes par lequel chaque poète invente à tâtons le dessin de sa parole. Ces écritures, qu’elles tendent vers la célébration ou la déploration, s’emparent de modèles spécifiques d’expression des sentiments et des idées, formés au sein de circonstances sociales bien précises, pour les transplanter dans un système de signification (ou de « signifiance ») distinct, celui de la poésie moderne. Pour comprendre le sens et la valeur poétique de ces gestes lyriques qui font trembler nos catégories habituelles (poésie « traditionnelle » et moderne, oralité et écriture), il est indispensable de ne pas s’en tenir à une appréhension stéréotypée des genres de l’oralité, grâce aux travaux de spécialistes qui les replacent dans leurs contextes d’origine sans céder à une fascination romantique pour « la tradition » ; ainsi seulement peut naître un véritable comparatisme écrit/oral susceptible d’éclairer ces démarches. Irréductibles à de simples revendications militantes ou à l’expression de supposées « identités », celles-ci font du poème un espace d’interrogation de la possibilité d’une continuité anthropologique au sein du monde moderne. Le sujet, caractérisé par un rapport d’altérité au monde et à lui-même, est le catalyseur de cette nature problématique du « faire monde » moderne. L’impossible synthèse des genres poétiques est sous-tendue par celles des langues, qui cohabitent dans la psyché de l’auteur de textes « hétérolingues » (Suchet 2014). Au sein du poème, palimpseste de langues et d’univers anthropologiques disjoints, le sujet (individuel, collectif) est toujours à venir. Alain Ricard l’avait bien compris, qui écrivait dans Le sable de Babel à propos de Fily Dabo Sissoko et de ses vers imprégnés de traditions orales mandingues : « La poésie est le laboratoire où de nouveaux énoncés essaient de s’imposer. » (Alain Ricard « La traduction comme principe créateur », dans 2011, p. 299-322)
Ces réflexions nous mènent assez logiquement à la question du lien entre l’énonciation lyrique et la possibilité d’une énonciation collective, autre 247champ de réflexion fertile sur les poésies d’Afrique et de ses diasporas. Par définition, une poésie qui se place sous le signe de la « négritude », quelle que soit la tradition intellectuelle dans laquelle se trouve définie l’extension de cette dernière, opère une mise en tension entre la voix* lyrique et un sujet* collectif. L’une des formes parmi d’autres qui a pu être privilégiée pour répondre à cette problématicité est celle du poème long d’inspiration épique ou néo-épique, dont les exemples ne manquent pas dans la Caraïbe : on citera Les Indes d’Édouard Glissant et Lémistè de Monchoachi pour la Martinique,ainsi que Caraïbe de René Philoctète et Rhapsodie pour Hispaniola de Jean Métellus pour Haïti. On peut aussi songer à La quête infinie de l’autre rive de l’écrivaine franco-sénégalaise Sylvie Kandé (voir Cazalas et Rumeau, 2021). Dans ces poèmes de la démesure, modelés par la « pression historique » dont parlait Césaire (« Calendrier lagunaire ») autant que par l’attachement des auteurs à la vertu exploratoire et ouverte de la poésie moderne, se fait jour quelque chose comme ce que Yannis Ritsos nommait un « lyrisme épique », où les lamentations de la voix lyriques sont l’exorcisation de souffrances collectives, et inversement, les souvenirs intimes gagnent une portée collective. L’un des avatars historiques de cette rencontre du lyrique et de l’épique a été la poésie de revendication de la négritude. Aujourd’hui, ses visages sont multiples, bien au-delà de ce que la mémoire culturelle des grands textes de Césaire ou Senghor peut nous amener à imaginer. La poésie née en Afrique subsaharienne, dans la Caraïbe et dans leurs diasporas développe volontiers les composantes conventionnelles du lyrique (désir amoureux, amours malheureuses, deuil) sous un certain nombre d’angles qui, pour des raisons historiques et sociales, ne se comprennent qu’à la lumière des éléments constitutifs de la « condition noire ». La souffrance exprimée par le sujet lyrique dans « Qui oubliera ? » de Lisette Lombé (Brûler brûler brûler) n’a de sens que dans l’optique d’une description de la mécanique de l’injure raciale, déjà analysée en leurs temps par W.E.B. Du Bois, Césaire et Fanon ; et elle dirige l’élan de son énergie lyrique vers l’éveil de consciences liées par cette expérience de l’injure. Dans Combien de solitudes… de Véronique Kanor, la mélancolie amoureuse du je lyrique trouve son exutoire dans l’action politique, et le corps collectif uni par l’énergie révolutionnaire vient suppléer le corps individuel abandonné par Eros. Cette « hésitation prolongée » (pour pasticher Valéry) entre lyrisme personnel et aspiration à une forme de subjectivité collective se retrouve, pour ne citer là encore que quelques exemples, dans la poésie de Gerty Dambury (Fureur enclose), de Véronique Tadjo (À mi-chemin), de Simone Lagrand (Pays-mêlé) ou encore de Louis-Philippe Dalembert (Pages cendres et palmes d’aube). Si cette problématique existe dans d’autres espaces géographiques et culturels, les poésies africaines et diasporiques constituent l’un des grands domaines d’exploration de cette frontière infiniment sensible entre le « je » et le « nous », entre la verbalisation de sentiments éprouvés intimement et l’esquisse – même vacillante et interrompue – de formes collectives d’expression et d’action. En somme, au moment de décrire et d’analyser ce qui de ces œuvres poétiques les rattache culturellement, historiquement, politiquement, subjectivement à l’expérience des Africains ou des membres de la diaspora africaine, le tout n’est pas tant de multiplier les professions de foi « anti-essentialistes » que de savoir être sensible aux contours des subjectivités individuelles et collectives (voir Communauté*) qui se dessinent et se dissolvent dans la parole 248lyrique, sans chercher à retrouver dans le poème le confort de figures préétablies. Édouard Glissant ne dit pas autre chose quand, rejetant les faux-semblants d’un lyrisme qui se voudrait purement individuel (ou « psychologique »), il affirme conjointement dans L’Intention poétique l’urgence d’écrire l’expérience collective de « l’arrachement à la matrice Afrique, l’homme bifide, la cervelle refaçonnée, la main violente inutile » (181) et la nécessité de préserver « l’opacité ardue de la parole » (188) par quoi la poésie ne manque pas de fait tendre les communautés ainsi rêvées vers « une insoupçonnée diffraction » (203).
► Glissant É., L ’ Intention poétique, Paris, Seuil, 1969. Gnaoulé-Oupoh B., La littérature ivoirienne, Paris, Karthala, 2000. Ricard A., Le Sable de Babel, Paris, CNRS Éditions, 2011.
→ Afrique subsaharienne ; Caraïbes ; Communauté ; Oralité ; Primitivisme
Cyril Vettorato
Numérique, Internet
En poésie, pour parler du sujet de cette entrée, il faut partir de l’adoption des nouvelles formes poétiques dans un réseau qui a commencé à se répandre dans les années 1990 et qui sert de laboratoire au développement des formats numériques. Nous pouvons identifier aujourd’hui de nombreuses pratiques, telles que des slams de poésie sur Internet, des poèmes générés par des algorithmes, ou par des bots sur Twitter, de la poésie sous forme de jeux vidéo, dans des formats numériques interactifs, de la poésie faite par des cyborgs ou par des animés, entre autres. Rappelons que Marshall McLuhan, avec son ouvrage Pour comprendre les médias : les prolongements technologiques de l’homme (1964), fut l’un des premiers chercheurs à théoriser et à problématiser les nouveaux médias, et à annoncer comment ils allaient se répandre comme une extension de l’être humain qui vient compléter ou automatiser de nombreuses activités quotidiennes ou artistiques, comme la poésie, bien entendu.
En ce qui concerne les antécédents de la poésie numérique, on doit mentionner les poètes d’avant-garde* qui ont provoqué une révolution poétique à travers un changement formel de l’écriture en la transformant en une plateforme d’expérimentation du langage. Dans un premier temps, Stéphane Mallarmé a commencé par s’intéresser à la disposition des mots dans l’espace de la page dans son célèbre Coup de dés, tout comme Guillaume Apollinaire le fait plus tard avec ses Calligrammes. Dès premières décennies du xxe siècle, la matérialité du langage est mise en évidence par les théories structuralistes et formalistes en linguistique, qui ont continué à influencer la poésie avec un penchant pour l’expérimentation formelle et technologique. Dans l’après-guerre, Pierre Garnier, avec le mouvement Spatialisme et l’anthologie Spatialisme et poésie concrète de 1960, introduit en France le concrétisme, un mouvement qui a un déjà fort caractère supranational. L’anthologie comprend des auteurs tels que Eugen Gomringer (allemand), Ilse Garnier (française) Franz Mon (allemand), Carlo Belloli (italien), Dieter Roth (suisse), Jiří Kolář (tchèque), Décio Pignatari (brésilien) et Seiichi Niikuni (japonais), entre autres. La poésie concrète, comme d’autres pratiques d’expérimentation poétique de l’époque, est issue d’une opposition à la tradition littéraire. Mais elle s’intéresse en outre au travail sur la matérialité du signe et à ses relations avec les technologiques visuelles et sonores. Parallèlement, elle se proposait de traiter le langage de manière presque abstraite, ce qui l’a rapproché de l’art conceptuel. Ce courant concrétiste continue à se développer dans 249les années 1970, dans la revue Doc(k)s (1976), dirigée par Julien Blaine, qui donné une tribune à de nombreux poètes contemporains, ainsi que dans d’autres revues tels que Banana Split, Luna Park et Change.
Sur la scène américaine, on assiste à l’émergence des poètes qui ont adapté et développé leur poésie à partir d’un point de vue convergent, influencés par des mouvements artistiques tels que le pop art. Le groupe Fluxus, l’un de plus représentatif de l’époque, était le foyer de toutes sortes d’expérimentations artistiques, parmi lesquelles la poésie jouait un rôle important, mais pas prépondérant. Parmi ses représentants, citons Emmett Williams, qui a publié l’une des premières anthologies de poésie concrète (An Anthology Of Concrete Poetry, 1967), et Dick Higgins, avec sa théorie de l’intermédia, qui a donné un nom à de nombreuses pratiques courantes et quelque peu incomprises initialement. Dans la sphère latino-américaine, on retrouve la poésie concrète brésilienne, en particulier celle du groupe Noigandres, avec ses trois membres principaux Décio Pignatari, Haroldo et Augusto de Campos qui, en association avec le Suisse Eugen Gomringer, inventèrent la dénomination de « poésie concrète » et donnèrent au groupe une base internationale. La poésie concrète brésilienne n’est cependant pas un fait singulier et isolé en Amérique latine ; ce continent avait déjà été fortement influencé par des mouvements d’avant-garde européens, comme le montre le Créationnisme de Vicente Huidobro. Il convient de noter que l’œuvre d’Augusto de Campos, comme un exemple de l’évolution de ce courant poétique international, ne reste pas dans l’expérience analogique de l’avant-garde, mais continue de s’étendre et de se développer à partir des années 1980 dans des formats numériques dans un processus que l’on pourrait appeler de remédiation (Bolter et Grusin, 1998). En effet, Augusto de Campos reprend des poèmes publiés en papier dans les années 1950 et en fait des nouvelles versions dans les années 1990, mais en utilisant cette fois un format numérique avec des effets sonores, graphiques et d’animation pour compléter le dessin (Funkhouser, 2012). Cela nous montre que ces poètes, avant même d’avoir accès aux outils numériques, avaient créé des œuvres anticipant la nécessité de ces effets pour leur réalisation intégrale. L’œuvre d’Augusto de Campos illustre le tournant entre la poésie concrète et la poésie numérique.
Comme le montrent de nombreux exemples contemporains, l’Internet et le numérique sont venus modifier par essence deux aspects fondamentaux de la poésie. Le premier est l’incorporation de pratiques d’écriture en réseau, et le second, les nouveaux formats numériques de ces pièces. L’écriture en réseau est une pratique très marquée par la condition postmoderne (Bootz, 2006), dans laquelle toute forme de hiérarchie et de centralisation sont rejetées. En France, plus qu’une œuvre ou un poète, une exposition a formulé les préoccupations de cette nouvelle ère, la post-modernité, que l’on voyait venir et dont les répercussions sur des notions comme « sujet », « auteur », « musique » et « art » en général, y compris la « littérature », ont été très importantes. Parmi les nombreuses œuvres présentées dans Les Immatériaux (1985), celles directement reliées à la poésie sont les générateurs de texte et les œuvres télématiques. La possibilité de générer du texte à partir d’instructions ou d’un corpus réduit, mais aussi l’interactivité qu’offrent les moyens de télécommunication, sont les deux outils qui ont le plus inspiré les poètes. Une telle expérimentation permet de remettre constamment en question le statut de l’auteur et de 250découvrir un nouveau texte. Et même si Roy Ascott avait déjà, avant cette exposition, inventé des œuvres télématiques et parlé de l’impact de la technologie* sur la conscience, Les Immatériaux a marqué les esprits à moment crucial. L’œuvre de poètes français, tels que Jean-Pierre Balpe, Jacques Donguy, Philippe Bootz et, de plus contemporains, comme Alexandra Saemmer, sont considérés comme les plus intéressantes dans ce courant de l’expérimentation.
L’écriture en réseau peut également être comprise comme la diffusion en réseau des œuvres puisque, en connectant diverses sources, on peut à la fois créer et partager. Les limites de la création, de l’interactivité et de la paternité des œuvres sont constamment redéfinies. Une des premières anthologies de poésie en format numérique et en libre accès est Ubu Web. Ce projet a rassemblé sur un seul site web des pièces, pour la plupart remédiées, d’auteurs d’avant-garde. Dans cet espace, la poésie concrète et la musique expérimentale sont présentées conjointement, et à cela s’ajoute une grande quantité de vidéos et de matériel de diffusion.
En ce qui concerne la périodisation, la critique a identifié comme œuvres de première génération celles qui sont antérieures au Web, avec beaucoup de textes et de liens, principalement en hypertexte, qui ont continué à fonctionner avec les paradigmes établis par l’imprimerie (voir Mise en page*) ; la deuxième génération se base sur le Web et réalise des œuvres avec interactivité et multimédia (Hayles, 2002) ; et la troisième génération est également identifiée comme basée sur le Web, mais dans des sites de circulation de grands publics tels que les réseaux sociaux, les œuvres s’adaptent à des formats préétablis et se connectent à la culture de l’Internet et du fandom (Flores, 2019). L’avant-garde ne peut pas être considérée directement comme la première génération si aucune remédiation ultérieure des œuvres n’a eu lieu, mais elles sont cruciales pour comprendre d’où viennent ces expérimentations et leur relation directe avec la tradition littéraire.
La liberté avec laquelle les médias peuvent se mélanger et interagir a permis de populariser ces nouvelles formes auprès des poètes. Cette diffusion a rendu nécessaire l’existence de deux termes clés pour définir les nuances dans l’utilisation actuelle de ces outils et pour faire la différence entre la remédiation des œuvres ou le fait de créer des pièces nativement numériques. L’une d’entre elles est la notion d’intermédialité employée lorsque nous parlons de la poétique dans laquelle un accent particulier est mis sur la pluralité que chaque médium construit dans le sens ou la perception du poème (Baetens, 2015), plus spécifiquement lorsque nous pensons à la typographie, à la mise en page graphique et au design d’un livre. D’autre part, nous avons la notion de transmédialité*, qui peut être comprise comme la tendance d’une pièce poétique à réapparaître dans différents médias, cela étant la cause d’une adaptation de l’œuvre à de nouveaux formats ou plateformes en raison de la dynamique de plus en plus accélérée des nouvelles plateformes de distribution, ainsi que des formats et outils numériques (Baetens, 2015).
Outre ces nuances qui existent entre l’utilisation du média et la création, les formats numériques apportent avec eux une série de nouvelles problématiques qui n’existaient pas de la même manière avec les œuvres imprimées sur papier. Si l’on entre dans les détails, la variété des formats numériques auxquels nous avons eu affaire au cours des vingt dernières années a changé si radicalement qu’il est probable que nous n’ayons pas plus facilement accès à un ouvrage publié sur papier en 1980 qu’à un ouvrage publié en format numérique au début des années 2000. 251Tout simplement parce que les réseaux de distribution sont plus stables pour les formats papier. En ce sens, l’obsolescence des œuvres en format numérique qui sont tombées en désuétude est courante. Jusqu’à présent, l’un des plus grands défis a été la récupération des fichiers au format Flash Player en raison de son interruption par Adobe.
En ce qui concerne l’étude formelle et académique de la poésie numérique, il convient également de mentionner plusieurs organisations qui se sont pleinement consacrées à la préservation et à la diffusion de cette littérature, et en particulier de la poésie. Nous avons ELO, qui signifie electronic literature organisation, une institution qui s’est chargée de produire des anthologies en ligne pour rendre ces œuvres librement accessibles, ainsi que d’organiser des conférences annuelles, des ouvrages académiques pour la diffusion et la critique littéraire en général. Après deux décennies de grandes révolutions en termes de médias et de marché, ce qui a été observé dans la dernière génération de poésie créée en format numérique et disponible sur internet, c’est qu’en général les réseaux sociaux ont conduit à une simplification et une standardisation des actes de création. La création poétique a été naturalisée et déconnectée de la tradition de telle manière qu’il a été affirmé que de nombreuses créations que nous voyons en ligne n’ont même pas été identifiées comme de la littérature numérique ou de la poésie, alors qu’elles le pourraient (Flores, 2019).
S’il est vrai que le numérique n’a pas complètement transformé le marché du livre, car il continue d’innover pour s’adapter aux besoins des lecteurs, au niveau cognitif, nous devons être conscients que son influence est bien présente. Il semble que le numérique encourage en quelque sorte l’individu contemporain à préférer les formes poétiques aux formes narratives. Car notre identité numérique semble favoriser un rassemblement d’instants et de fragments isolés plutôt qu’une trajectoire unique (Mayer et Bouchardon, 2020). On peut y voir de nettes transformations dans l’expression de soi, des subjectivités et dans la manière dont le numérique a influencé nos habitudes de lecture et de création. La poésie, qui a une longue tradition orale, a déjà été assistée en de nombreuses occasions par des outils que la critique littéraire a ajoutés comme appellatifs (la lyre, le lyrique), mais qui sont devenus au fil du temps des synonymes courants pour la désigner. Le numérique semble évoluer et s’incorporer à nous et à ce que nous faisons au quotidien au point qu’il est de plus en plus rare de faire de la poésie sans avoir recours aux outils numériques, que ce soit pour sa conception, sa lecture ou sa diffusion.
► Flores L. “Third Generation Electronic Literature”, Electronic Book Review, April 7, 2019, URL : https://doi.org/10.7273/axyj-3574. Funkouser C., New directions in digital poetry, New York, Continuum, 2012. Hayles N.,Electronic literature : new horizons for the literary, Notre Dame Ind, University of Notre Dame, 2008. Nachtergael M.,Poet Against the Machine, Marseille, Le Mot et le reste, 2020.
→ Avant-gardes ; Antilyrique ; Film ; Multimédia ; Radio ; Technologies
Gustavo Guerrero
et Gabriela Lazaro
- Thème CLIL : 3431 -- ENCYCLOPÉDIES, DICTIONNAIRES -- Encyclopédies et dictionnaires thématiques
- ISBN : 978-2-406-15975-9
- EAN : 9782406159759
- ISSN : 2261-5938
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15975-9.p.0241
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 21/02/2024
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