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Classiques Garnier

Révolutions des agricultures urbaines : des utopies aux réalités Jean-Paul Charvet et Xavier Laureau Paris, Éditions France Agricole, 2018, 192 p. (TerrAgora)

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Systèmes alimentaires / Food Systems
    2019, n° 4
    . varia
  • Auteur : Rollet (Anne)
  • Pages : 237 à 242
  • Revue : Systèmes alimentaires
  • Thème CLIL : 3306 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie de la mondialisation et du développement
  • EAN : 9782406098294
  • ISBN : 978-2-406-09829-4
  • ISSN : 2555-0411
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-09829-4.p.0219
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 26/11/2019
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Révolution des agricultures urbaines : Des utopies aux réalités

Jean-Paul Charvet1 et Xavier Laureau2
Paris, Éditions France Agricole, 2018, 192 p. (TerrAgora)

Anne Rollet

Aix-Marseille Université, Cret-Log

Jean-Paul Charvet et Xavier Laureau ont construit un ouvrage divisé en 10 chapitres. Le livre débute par les nouvelles demandes de la cité pour introduire les problématiques organisationnelles des fragilités et des dynamismes des agricultures urbaines. Le concept essentiel de louvrage, la gouvernance alimentaire, insiste sur la diversité des initiatives en cours. Paris – et son histoire – est ensuite évoqué en tant que zone de gravitation dun développement agricole et urbain. Limportance du numérique sarticule avec les conditions de succès de filières innovantes. Résoudre le problème de la formation de ces nouveaux acteurs agricoles est essentiel pour aborder la prospective de cette révolution tranquille.

La nouvelle relation à laliment, de simple produit à produit/service, incite au réapprentissage du bon sens et à lengagement citoyen. Il sagit de définir des concepts partageables pour témoigner de réalités en marche.

Les auteurs présentent une définition de lagriculture urbaine comme étant pratiquée aussi bien à lintérieur de la ville que dans les 238aires périurbaines. Leur typologie distingue, dune part, des formes dagriculture hors-sol high tech aux localisations plutôt intra-urbaines et, dautre part, des formes dagriculture conventionnelles ou bio, plutôt localisés dans le périurbain favorisant une commercialisation au travers de circuits courts. Deux types dacteurs simpliquent : des urbains non formés et des professionnels souvent engagés depuis plusieurs générations dans des démarches de valorisation dune qualité spécifique, liée au lieu ou au mode de production (famille Pinard dans la production de pommes et famille Mervoyer dans celle de cerises).

Lagriculture urbaine est intimement liée au choix de gouvernance alimentaire des métropoles. Depuis lAntiquité, assurer la production et le stockage des denrées alimentaires pour alimenter la vie de la ville, est essentiel. Aujourdhui, des métropoles souhaitent reprendre la main sur lapprovisionnement alimentaire de leurs populations. Ces gouvernances alimentaires et agricoles tentent daller vers davantage de durabilité en réduisant la consommation despaces agricoles et en encourageant les innovations dans la consommation, la production et la commercialisation. La mobilisation des concepts de systèmes alimentaires métropolitains ou territoriaux insiste sur la nécessaire coordination dacteurs et la mutualisation de moyens pour répondre aux demandes sociales en faveur dagricultures durables. Ces programmes agri-urbains innovants sont construits par la négociation et la conclusion de contrats entre acteurs publics et privés multiples. Ces valeurs partagées sinscrivent dans le bâti et la logistique des espaces urbains ; ainsi larchitecte Carolyn Steel (2016) décrit la ville sitopique, caractérisée par limportance accordée à la nourriture et aux questions alimentaires, rappelant ainsi les écocités dEbenezer Howard (1902) entourées de campagnes productives.

De nombreux exemples prouvent les réalités de ces démarches, comme le parc de Shanghai où sassocient productions dalimentation, de loisirs et de tourisme. Si le monde est riche dexemples positifs comme Buenos Aires, Milan, Turin, Barcelone ou Genève, des dynamiques intéressantes se développent en France, à Lyon et Nantes. Des pratiques multiples apparaissent comme « Chapeau de paille », né en 1983, qui propose une cueillette à la ferme, mais aussi dautres exemples qui associent production, commercialisation et formation de consommateurs mais aussi de professionnels de cette agriculture. Des outils de gouvernance alimentaire variés existent maintenant ; à des initiatives ponctuelles 239sont associées des chartes alimentaires, des plans protégeant des espaces agricoles, voire des conseils de politique alimentaire (Food Policy Councils) intégrés aux administrations municipales canadiennes.

La révolution des agricultures urbaines implique des réflexions sur la filière et les territoires dans leurs dimensions agronomique, économique, stratégique et politique. Terroirs agricoles, agro-industriels, voire agrotouristiques, sarticulent avec des chaines dapprovisionnement afin de valoriser les produits et/ou les services fournis par les acteurs agricoles.

Les techniques agronomiques mobilisées associent low tech et high tech, bio et/ou non-bio… Ainsi certains projets se basent sur la permaculture, reconnue dès 1844. Cette forme dagriculture biologique à la fois bio-intensive et low tech associe des savoirs traditionnels et des savoirs scientifiques récents. Elle implique des charges de travail importantes tant au niveau de la production que de la commercialisation. La valorisation de cette pratique suppose un consommateur conscient de la nécessité de payer des prix relevés pour maintenir une démarche gestionnaire de la biodiversité.

Concomitamment, laspect high tech de lagriculture explore robotisation et révolution digitale. Des start-up comme Agricool, HRVST (ferme urbaine du groupe Florentaise), FUL (la Ferme urbaine lyonnaise) ou encore le poulailler urbain de Troy viennent bouleverser les logiques agraires classiques. Lagriculture se dégage du risque climatique et elle apprend à produire en milieu confiné comme à Fukushima, au Japon. Des multinationales technologiques – General Electric, Panasonic – créent des usines de production agricole, afin dalimenter le marché en aliments non radioactifs. Les innovations de rupture, comme lusine maraichère de Miaji au Japon, ou les usines à salades de Growing Underground à Londres, de Green Sense Farm aux États-Unis, de Singapour ou les recherches de Philips aux Pays-Bas sont basées sur dimportants investissements.

Au niveau économique et stratégique, de nouveaux modèles daffaires, associant des circuits courts et de proximité, singénient à diminuer les « kilomètres alimentaires » (food miles). Une grande variété de situations existe : ventes à la ferme, aux marchés, par les paniers ou à des restaurateurs ou des négociants. Les rapprochements entre producteurs et consommateurs, pour une alimentation de proximité, impliquent une synergie entre acteurs : consommateurs et associations de consommateurs, acteurs du marché et administrations et élus. Ce nest quen appréhendant globalement préoccupations sociales (créer du lien), environnementales 240(préserver la biodiversité et lutter contre le réchauffement climatique), économiques (générer des emplois), sanitaires (assurer la traçabilité des productions) et territoriales (mettre en valeur les aspects culturels et identitaires) que fonctionneront les systèmes alimentaires de proximité.

Cependant, lagriculture urbaine noffre pas que des produits, elle élabore aussi des produits/services, des formations et des services écosystémiques. Les modèles daffaires innovants offrent des formations aux professionnels mais aussi aux consommateurs via des visites éducatives sur le lieu de production.

Dans cette logique, léconomie circulaire redevient centrale comme elle létait historiquement. Elle nous rappelle le modèle de fertilité des terres des maraichers parisiens du xixe siècle valorisant les fumures organiques issues des chevaux de trait et de transport et des déchets urbains.

Confrontés à ces modèles, les clients ne cherchent pas uniquement à consommer des produits alimentaires, mais, organisés en communautés, ils construisent des espaces déchanges autour de valeurs de vie et de création de sens. La citoyenneté de chaque consommateur est alors appelée et lengagement bénévole est une réponse courante.

Pour certains acteurs, la rentabilité à court terme est secondaire et le prix de revient des innovations techniques nest pas même évoqué. Dautres peinent à valoriser financièrement leurs offres de services écosystémiques. Un troisième groupe sappuie sur des logiques entrepreneuriales où la structure des coûts est pensée en fonction de celle des revenus. Parfois, lappel aux nouveaux modes de financements participatifs permet de soutenir les investissements nécessaires.

Les soutiens politiques favorisent la réussite, car une efficace et efficiente gouvernance alimentaire est liée à la gouvernance foncière autour des villes. Le pacte alimentaire de Milan, auquel 100 métropoles ont adhéré en octobre 2015, a favorisé lémergence dune réflexion collective partagée et partageable pour créer une ingénierie territoriale innovante pour les espaces périurbains. Le problème de la sécurité foncière figure parmi les principaux problèmes rencontrés à cause de la rareté et de la cherté du foncier. En effet, pour investir, les agriculteurs doivent bénéficier de garanties dans la durée car lengagement productif porte sur cinq ou dix, voire vingt ans. De nombreuses initiatives politiques combinent mesures protectrices et incitatives. Des supports juridiques voient le jour : la ZNE (zone naturelle déquilibre), la ZAP (zone agricole 241protégée), le PPEANP (périmètre de protection des espaces agricoles et naturels périurbains), le PRIF (périmètre régional dintervention foncière), etc. Dautres outils, moins spécifiques à lagriculture urbaine permettent toutefois dépauler les projets centrés sur le territoire comme le SCOT (schéma de cohérence territoriale), les associations patrimoniales ou la charte de gestion patrimoniale des paysages. Au niveau de lÉtat français, la loi 2014-1170 du 13 octobre a listé les critères permettant détablir des marques collectives autour des projets alimentaires territoriaux.

Mais il existe encore de nombreux freins au développement de lagriculture urbaine. Le premier problème est lié au foncier. Malgré les innovations juridiques de lÉtat, il faut parfois accompagner financièrement les exploitations (exemple de portage foncier du conseil départemental des Yvelines). Lagriculture urbaine est jeune et les acteurs publics ont encore besoin de dix ans dexpérience pour être opérationnellement efficaces.

La formation des acteurs est aussi un point faible. Pour préparer la réalisation des agricultures urbaines, de nouveaux cursus scolaires, parascolaires et universitaires sont à élaborer. Les grands campus des sciences agronomiques offrent déjà des diplômes : AgroParisTech, AgroCampus Ouest, Gembloux, Université Paris Ouest-Nanterre. Au-delà des cycles dingénieurs, des licences professionnelles spécialisées et des formations techniques courtes par apprentissage sont impérativement à créer.

Heureusement, de nombreuses opportunités se révèlent autour des innovations « agriculture urbaine ». Lacceptation de la complexité englobant, au sein dune logique systémique, les parties prenantes intéressées par le vivant et le social, permet dopérationnaliser les préoccupations de durabilité.

Ainsi, des experts, tant scientifiques que professionnels commencent à disposer de retours dexpérience afin de dispenser un savoir de qualité. Les innovations digitales viennent greffer leur potentiel sur ces évolutions concernant le travail et la communication sur ce travail au sein dune économie numérique. Des travaux scientifiques sur lagriculture urbaine commencent à percer dans la communauté des chercheurs. Un grand nombre de travaux sont à consulter comme celui dAnne-Cécile Daniel (2018) qui propose une typologie des micro-fermes urbaines, ou les réflexions de Jean-Louis Rastoin et de Christian Férault (2017) sur les systèmes alimentaires. Des travaux émanant de centres techniques valorisent lexpérimentation 242et la diffusion. La connaissance des meilleures pratiques émerge doucement grâce, par exemple, à lassociation Terres en ville, au travers des projets AgriSCoT, AgriPLUi, ou en collaboration avec lAPCA (Assemblée permanente des chambres dagriculture) dans le cadre de recherche-action avec le PSDR4 Frugal (Recherche Pour et Sur le Développement Régional centré sur Formes urbaines et gouvernance alimentaire).

Un grand nombre dacteurs de lagriculture urbaine profitent de la révolution technologique et sinsèrent dans léconomie numérique. Le Farming 4.0, les plateformes déchanges dinformation et dexpérience, les portails dachat en direct sont au cœur dune agriculture connectée permettant la communication politique et laccompagnement militant. Lagriculture de précision sappuie sur cette facilitation des échanges de données pour prendre des décisions rapides et mieux informées. La traçabilité permet de relier le consommateur, le producteur et le territoire mais aussi de prouver la véracité des informations, dans lespace et le temps, sur lengagement pour le durable.

Louvrage développe une partie prospective afin de présenter les futurs des agricultures urbaines. Lagriculture de précision et lagroécologie sont les deux mouvements de fond. LAcadémie américaine des sciences liste trois scénarios durbanisation portant sur la période 2000-2030 : progression faible, moyenne ou importante. Associée à une diminution globale des terres agricoles pour lensemble de la planète, la perte de production agricole est estimée entre 3,4 et 4,2 %. Toutefois, pour atteindre, ne serait-ce quun objectif – déjà ambitieux – de 10 à 15 % de couverture des besoins alimentaires des habitants des villes, la métropole doit rémunérer les agriculteurs pour les services écosystémiques. Dans cette logique, lIFPRI (International Food Policy Research Institute), en 2017, dans son rapport Food security and nutrition in an urbanised word, précise que lagriculture doit être pensée, portée et accompagnée par lensemble de la société, pour constituer un laboratoire dinnovations sociales, économiques et environnementales. Plus précisément, il faut donner aux collectivités territoriales une compétence alimentaire associée à des moyens et à des outils.

Lagriculture urbaine dispose de concepts partageables mais aussi de nouveaux outils qui gagneront en efficacité et en efficience en parallèle à lexpérience des acteurs dans le développement durable. Chacun et tous pouvons participer à cette révolution en associant un bon sens retrouvé et un engagement citoyen.

1 Jean-Paul Charvet est professeur émérite de géographie à lUniversité de Paris Ouest-Nanterre et membre de lAcadémie dagriculture de France. Ses principales publications ont porté sur les agricultures urbaines et périurbaines ainsi que sur lalimentation et lagriculture dans le monde.

2 Xavier Laureau est ingénieur LaSalle Beauvais, titulaire dun MBA HEC, agriculteur et entrepreneur périurbain, co-dirigeant des Fermes de Gally et membre de lAcadémie dagriculture de France.