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Classiques Garnier

Qualification processes out of labelling schemes. Alternative pathways to food product certification

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Systèmes alimentaires / Food Systems
    2017, n° 2
    . varia
  • Authors: Garçon (Lucile), Delfosse (Claire), Lamine (Claire)
  • Abstract: Based on a corpus of surveys conducted in France and Italy, this paper proposes an analysis of the trajectories of six different food collectives that turn away from geographical indications without being reduced to short supply chains. The qualification devices that are being set up prompt us to introduce the concept of territorial agri-food system to encompass their originality and to discuss their conditions of emergence and viability.
  • Pages: 57 to 80
  • Journal: Food systems
  • CLIL theme: 3306 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie de la mondialisation et du développement
  • EAN: 9782406071969
  • ISBN: 978-2-406-07196-9
  • ISSN: 2555-0411
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-07196-9.p.0057
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 11-17-2017
  • Periodicity: Annual
  • Language: French
  • Keyword: Quality, geographical indication, local exchange, food system, territorial construction
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Disqualifier les labels
pour requalifier produits,
acteurs et lieux

Lucile Garçon

Docteur en Géographie,
chercheuse indépendante

Claire Delfosse

Université Lyon 2, LER

Claire Lamine

INRA-SAD Avignon,
unité Ecodéveloppement

Au cours des enquêtes que nous avons menées ces dernières années en France et en Italie, divers acteurs sintéressant à des questions de qualité des produits alimentaires ont exprimé une volonté de prendre leurs distances vis-à-vis des dispositifs de qualification existants. Outre le label AB, dont plusieurs associations et militants pour la reconnaissance de lagriculture biologique discutent le bienfondé (Teil, 2012 ; Fouilleux et Loconto, 2017), les indications géographiques (IG) apparaissent particulièrement touchées par de tels mouvements critiques. Tandis que les produits qualifiés par une IG souffrent de banalisation auprès des consommateurs, certains agriculteurs et éleveurs envisagent de quitter les syndicats de défense et de gestion des appellations dont ils bénéficient pour envisager une commercialisation par le biais de circuits de proximité.

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Instrument de développement rural prisé par de nombreux agriculteurs et privilégié par les collectivités territoriales depuis plusieurs décennies (Delfosse, 2013), les IG sont également critiquées dans une littérature scientifique qui sétoffe depuis le début des années 2000 pour évaluer ces signes de qualité en termes de grandeur sociale et environnementale. Initialement conçues comme des alternatives, et définies comme telles par lInao (Letablier et Delfosse, 1995), les IG peuvent en définitive se rapprocher dun système assez conventionnel. Leur impact sur les territoires ruraux est en effet à double tranchant : si elles peuvent stimuler de nouveaux réseaux et enclencher une dynamique daction locale, elles peuvent aussi savérer incompatibles avec des perspectives de développement territorial, du fait de leur ancrage idéologique dans la théorie des avantages comparatifs (Tregear, Arfini, Belletti et Marescotti, 2007) et de leurs conséquences en termes de spécialisation de lagriculture. Plusieurs travaux de recherche sanctionnent avec les IG un modèle parfois concentré sur un nombre limité dexploitations agricoles (Linck et Barragan, 2009). Le coût dentrée dans le cadre normé que requiert un tel dispositif de certification par tierce partie (CTP) engendre des phénomènes dexclusion. Ces derniers touchent en particulier les territoires de montagne où dominent les petites exploitations (Allaire, 2011a).

Reconnues par les instances de commerce international depuis 1995, nombre dIG jouent de fait le jeu du marché mondial, en destinant les produits quelles qualifient à lexportation ou à des consommateurs venus dailleurs, parfois au détriment denjeux locaux. À lheure où les questions de qualité de lalimentation se posent en termes dapprovisionnement local et dadaptation aux spécificités des milieux agro-écologiques, les IG apparaissent comme un dispositif de qualification trop strictement sectoriel, négligeant la diversité qui caractérise la plupart des espaces ruraux. Un tel contexte invite donc à rouvrir le questionnement quant aux démarches de qualification des produits, et notamment des produits « ordinaires ». Dautres types dacteurs et dautres modalités de construction territoriale appellent à être caractérisés au-delà du modèle des IG.

Cet article se fonde sur un travail denquête réalisé dans deux pays champions des indications géographiques, la France et lItalie (Garçon, 2015). Menées entre 2011 et 2014, dans deux espaces de moyenne montagne, les enquêtes conduisent à sintéresser à divers collectifs constitués autour de projets de valorisation de pommes de terre locales : les uns sur les contreforts du Massif central, dans le département de lArdèche, un 59autre sur la partie septentrionale de lApennin (voir fig. 1, en annexe). En tant que produits tenant une place importante dans les régimes alimentaires dEurope occidentale, les pommes de terre nous permettent délargir la question de la qualité à des produits ordinaires. Ces derniers apparaissent, davantage que dautres biens de consommation, comme objets de médiation, aiguillons dune prise de conscience et déclencheurs dengagement (Dubuisson-Quellier et Lamine, 2004). Dès lors, ils permettent de toucher dautres acteurs que ceux habituellement considérés pour étudier la construction de produits de qualité.

À partir dune analyse de comptes rendus de réunions, débauches de cahiers des charges et de dossiers de candidature pour lobtention ou le maintien dun label, et sur la base de données collectées lors dentretiens avec une diversité dacteurs (producteurs, commerçants, restaurateurs, chargés de mission des institutions territoriales, habitants consommateurs et membres de la société civile), nous proposons une analyse détaillée des trajectoires de cinq collectifs dont les membres ont fait évoluer les dispositifs de qualification quils envisageaient au moment de leur création. Nous mettons en lumière les raisons qui ont porté divers acteurs à se réunir autour dun projet dobtention dindication géographique (1), puis les points de controverse qui les conduisent finalement à abandonner la perspective dune telle reconnaissance (2). Cest vers des dispositifs de qualification hybrides que sorientent finalement les collectifs étudiés, privilégiant une commercialisation via des circuits de proximité, tout en mobilisant de nombreux opérateurs intermédiaires. Les observations réalisées nous permettent de décrire de manière fine le fonctionnement de ces dispositifs de qualification originaux que nous proposons détudier à travers le concept heuristique de « système agri-alimentaire territorial » (3).

1. Les indications géographiques,
instrument privilégié des politiques
de développement rural

En France comme en Italie, les indications géographiques apparaissent comme le principal instrument dont se saisissent les collectivités 60territoriales et les chambres dagriculture pour œuvrer au développement des territoires ruraux.

Sur les terrains étudiés, outre les appellations dorigine contrôlée obtenues dès les années 1980 pour qualifier la production de châtaigne et le picodon en Ardèche ou le basilic, le vin et lhuile dolive en Ligurie, de nombreux projets dindications géographiques émergent dans les années 1990 pour maintenir voire favoriser la relance de lactivité agricole sur le territoire. Initiés par des groupements de producteurs qui ne bénéficiaient quen partie des IG existantes, la plupart de ces projets ont finalement échoué. Cest par exemple le cas dun projet dAOC sur la pêche de lEyrieux en Ardèche (Praly, 2010) ou dun projet portant sur des variétés maraîchères cultivées sur la côte ligure, dans la plaine dAlbenga. Cest dans ce contexte quémergent les projets de valorisation de pommes de terre locales qui nous intéressent (voir fig. 1).

Fig. 1 – Les IG, un dispositif de qualification très prisé,
mais de nombreux projets abandonnés.

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Un des quatre collectifs identifiés en Ardèche est lAssociation de promotion de la Truffole, qui se constitue dès 1995 dans le village de Saint-Alban-dAy, puis sétend à un groupement de producteurs localisés entre les communes de Saint-Victor et Saint-Félicien. Cherchant à construire un produit de qualité leur permettant de mieux valoriser leur travail auprès des distributeurs qui commercialisent leurs produits, une dizaine dagriculteurs profitent dune dynamique locale engendrée autour de la pomme de terre par quelques passionnés dhistoire pour construire un projet de produit spécifique.

Un second collectif rassemble des producteurs de la vallée de lEyrieux qui étudient diverses possibilités de sécurisation de leurs exploitations, après une crise fruitière les ayant conduits à arracher une large part de leurs vergers. Mettant à profit des terres de coteaux bien exposées et bénéficiant dores et déjà de systèmes dirrigation performants, ils optent pour une production de pomme de terre primeur.

Enfin, deux autres collectifs se forment sur le plateau ardéchois, à la frontière du département de Haute-Loire. Dans les deux cas, les producteurs se saisissent de variétés de pommes de terre mises au ban de la modernité agricole et reléguées au jardin : une pomme de terre à chair blanche auréolée de rose pour les membres de lAssociation de promotion de la pomme de terre du Gerbier-de-Jonc, et une pomme de terre intégralement violette pour les membres de lAssociation de promotion de la Violine de Borée.

En Ligurie, cest aussi autour dune variété de pommes de terre spécifique que se constitue un groupe dacteurs préoccupés par le phénomène de déprise agricole et le déclin économique de lespace quils habitent. Fondé en 1999, le Comité de récupération de la pomme de terre de la montagne de Gênes (Co.Re.Pa.) rassemble plusieurs citoyens et élus impliqués dans un groupe de développement local, un expert en gastronomie, un restaurateur et quelques agriculteurs.

Comme cest le cas de nombreux autres collectifs constitués en Europe autour dun projet de valorisation de produits alimentaires, la qualification par indication géographique est généralement encouragée voire suggérée dès le départ par des experts (Fonte, 2008). Lensemble de ces collectifs sont, à leurs débuts, soutenus par une chambre dagriculture. Certains dentre eux bénéficient en outre de lappui dune municipalité ou dune collectivité territoriale. Tandis que le projet de la Truffole est 62appuyé par la mairie de Saint-Alban-dAy, puis par le pays dArdèche verte, le groupe qui se constitue dans la vallée de lEyrieux bénéficie du soutien du PNR des monts dArdèche, dont plusieurs chargés de mission sont fortement intéressés par le maintien du paysage de terrasses singulier que représentent les « échamps ». Il en va de même en Ligurie où la démarche du Co.Re.Pa. est soutenue non seulement par la chambre dagriculture régionale, mais également par la commune de Né, puis par la province de Gênes et le parc de lAveto.

Quelle que soit lalliance quils nouent avec les acteurs du développement rural ou agricole, lensemble des collectifs envisage dans un premier temps de faire labelliser le produit autour duquel ils se sont constitués par une indication géographique. Sils prennent dabord la forme dune association, plusieurs dentre eux évoluent dans leurs statuts ou simplement dans leurs noms lorsquils engagent la démarche de qualification. Le Co.Re.Pa. sinstitue par exemple en « Consorzio della Quarantina » en 2001, adoptant ainsi une forme juridique propre aux organismes chargés de la protection et de la promotion des produits agricoles et alimentaires en Italie, équivalant en France aux organismes de gestion des appellations dorigine et interprofessions régionales. Quant aux producteurs de la vallée de lEyrieux, ils sorganisent en 2003 en groupement dintérêt économique (GIE).

Telle quelle est décrite dans la littérature scientifique sintéressant à de tels processus de qualification, la construction de produit est généralement divisée en deux temps (Scheffer, 2002) :

un premier temps au cours duquel les acteurs visent à lidentification de caractéristiques dantériorité et de notoriété pour faire reconnaître une identité forgée sur le long terme,

et un second temps au cours duquel, à travers un dialogue avec les institutions en charge de la certification, sont abordées des questions de définition et de normalisation de la qualité.

Si les collectifs étudiés suivent un processus respectant globalement ces deux phases, la phase au cours de laquelle sont abordées les questions de définition de la qualité naboutit dans aucun des cas à lobtention dune indication géographique.

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En effet, construire un produit local dans une perspective de reconnaissance par une indication géographique suppose de se conformer à une doctrine de la qualité qui sappuie sur un puissant « faisceau normatif » (Allaire, 2011b, p. 75). Au moment où se forment les divers collectifs qui nous intéressent, se dessine en effet un nouveau contexte législatif qui influe directement sur la définition des produits de qualité. La période de 1989 à 1992 représente une charnière dans les modalités de qualification par indication géographique. Dune part, le plan de développement social économique et culturel français1 fait de la qualité une priorité stratégique nationale au nom de laquelle sont impliqués plusieurs cabinets ministériels et de nombreuses institutions de contrôle. Dautre part, lInao devient lacteur pivot dun appareil de qualification qui sétend désormais à lensemble des produits agroalimentaires, mais dont les procédures restent largement calquées sur le modèle des appellations viticoles2. Enfin, la reconnaissance des indications géographiques par la législation européenne impose un degré accru de normalisation des produits. Bien quils datent tous deux de 1992, le règlement européen reconnaissant la valeur des indications géographiques et la convention sur la diversité biologique apparaissent ainsi contradictoires dans les cas de spécialisation des systèmes productifs (Boisvert et Caron, 2010).

De nombreux producteurs contestent ces évolutions, refusant de codifier leurs pratiques aussi bien que de se soumettre à lobligation de mise en conformité de leurs produits quils considèrent comme une forme de standardisation. En outre, lappareillage technique et institutionnel que suppose la protection dune indication géographique et le coût que représente la certification par tierce partie savèrent finalement inadaptés aux situations de la plupart des exploitations concernées par un tel projet. La prise de distance davec les modèles de qualification existants se traduit par une reconfiguration des collectifs et de leurs alliances. Certains acteurs se démarquent des collectifs auxquels ils appartiennent dès lors que ces derniers séloignent dune perspective de reconnaissance par IG. Dautres excluent de fait certains types de partenariat, refusant 64par exemple le statut dadhérent à des chefs dexploitation employant plus de trois salariés et nouant des alliances avec de petits commerçants plutôt quavec des distributeurs. En Ardèche, la chambre dagriculture tente de réactiver les processus de labellisation par le lancement dun projet dIGP transversale, qui concernerait les quatre collectifs producteurs de pommes de terre dans le département, mais les producteurs ne se montrent guère intéressés. Le renoncement à la qualification par une indication géographique conduit ainsi dans la plupart des cas à une dislocation des partenariats engagés avec les chambres dagriculture. En effet, en labsence de projets de labellisation, de nombreux collectifs cessent dintéresser les institutions qui les accompagnaient voire certains de leurs membres. Un vif débat anime les collectifs dont la composition évolue au fur et à mesure que divers points de controverse sont soulevés.

2. Des trajectoires collectives
qui séloignent du modèle des IG

La plupart des collectifs sinterrogent quant à la meilleure stratégie à adopter pour valoriser leur spécificité, et ainsi se préserver de la concurrence. Enregistrer une variété apparaît dans la plupart des cas comme un moyen de « consolider » ou de « solidifier3 » une définition du produit, et ainsi de favoriser une relance économique sous couvert de protection réglementaire. Toutefois, si une telle démarche nest pas possible dans la vallée de lAy en Ardèche, où les producteurs des environs de Saint-Alban-dAy prennent conscience quils nont « pas le terroir4 » nécessaire au maintien dune variété originale, sur le plateau ardéchois et dans les Boutières, en revanche, les conditions sont réunies pour la mise en œuvre dune telle stratégie, qui apparaît dailleurs aux acteurs comme la seule valable. Le président de lAssociation de promotion de la Violine de Borée dénigre par exemple toute démarche 65de qualité qui ne serait pas fondée sur un code génétique singulier et spécifiquement protégé. La comparaison avec des démarches existant à propos des races animales, comme lAOC du Fin Gras du Mézenc qui définit une méthode délevage et un type de viande, mais pas une race particulière, sert de repoussoir pour critiquer les produits de qualité existant dans le département :

Il y a un truc quils nont pas compris en Ardèche, on le voit bien quand ils font lAOC du Fin Gras5.

La spécification dune variété ou dune race apparaît comme une étape fondamentale, sans laquelle ne vaut aucune codification du système de production.

Quand on a lAOC du Taureau de Camargue, on sait ce quon mange, cest pas un mélange, on est dans une race. Dans le Fin Gras, vous mangez aussi bien de la Charolaise que de lAubrac. [] Cest un problème cette affaire ; à la fin vous mangez quoi ? Tant quà faire, ils navaient quà faire leur AOC avec du yack !

Pour le président de lAssociation de promotion de la Violine de Borée, qui est aussi le maire de la commune du même nom à la date de lentretien, lenregistrement dune variété spécifique au catalogue officiel apparaît comme un outil indispensable pour développer et défendre la valeur ajoutée dun produit, ici la pomme de terre.

Cette position, particulièrement affirmée au sein de lAssociation de la Violine de Borée, est partagée dans un premier temps par les membres de lAssociation de promotion de la pomme de terre du mont Gerbier-de-Jonc, qui inscrivent également une variété au catalogue officiel français : la Fleur de pêcher, dont les producteurs deviennent ainsi les seuls mainteneurs6 à léchelle nationale. Cependant, lenregistrement dune variété au catalogue fait débat au sein du collectif, et ce pour deux principales raisons : dune part les producteurs soulèvent des questions de légitimité dune entreprise dappropriation de ressources phytogénétiques que certains considèrent comme des biens relevant dun patrimoine commun ; dautre part ils contestent les critères de distinction, homogénéité et 66stabilité (DHS) requis pour linscription. Ils considèrent que ces derniers réduisent le taux de fluctuation intra-variétale et compromettent les possibilités dadaptation à une diversité de milieux.

En Ligurie, plusieurs membres du Consorzio della Quarantina voient le catalogue officiel comme un verrou technologique, empêchant laccès à de potentielles ressources pour linnovation végétale :

Si tu vas voir les magasins de semences, dans toute lItalie tu vas trouver les mêmes choses. Autrefois, il y avait des myriades de variétés, des choses intéressantes, et puis il y a eu cette homologation généralisée… Aujourdhui, il est plus important que jamais de sauver ces choses-là (entretien avec un restaurateur, membre fondateur du Consorzio della Quarantina).

Ces « choses-là », ce sont non seulement des variétés dont le nom ne figure pas au catalogue officiel, mais ce sont aussi des fruits ou des légumes dont la définition ne correspond pas à la catégorie « variété » telle quelle a été définie dans les années 1940 pour les plantes cultivées. La plupart des membres du Consorzio della Quarantina soulignent la nécessaire variabilité dans la façon de concevoir lidentité des plantes, afin de pouvoir tenir compte de la diversité de zones où des producteurs sont installés. Or, se conformer à la catégorie de variété, cest trahir lhétérogénéité des environnements dans lesquels les plantes sont susceptibles dévoluer :

Dun endroit à lautre, elle [la Quarantina] change un peu. Il y a par exemple des endroits où le rose se voit moins, et dautres où il se voit plus ; dans certains endroits, elle sort de terre plus allongée, dans dautres, elle est plus ronde. Quoi quil arrive, elle est bonne, mais dun endroit à lautre elle est différente. Probablement, cest une de ces variétés-populations qui ont un code génétique plus ample, et qui sadaptent aux différents terrains (entretien avec un producteur membre du Consorzio della Quarantina).

La notion de « variété-population » est alors mobilisée pour tenir compte de la diversité daltérations possibles dune même identité génétique en prise avec un milieu singulier, et ainsi reconnaître une diversité intra-variétale. De tels plaidoyers pour lhétérogénéité peuvent entrer en tension avec la possibilité dusage doutils de protection classiques tels que les IG, qui tendent au contraire à restreindre cette identité génétique, en exigeant quelle soit stabilisée.

Le second point de controverse porte sur le régime dadministration de la preuve auquel doivent se soumettre les collectifs prétendant à 67lobtention dune indication géographique. Rendre tangible les liens aux lieux ne consiste alors plus seulement à authentifier, par une combinaison de sources historiques, lantériorité dune espèce au sein dun espace donné, mais suppose de mettre en évidence un lien de cause à effet entre lécosystème où le matériel végétal est cultivé et le produit qui y est engendré. La plupart des membres des collectifs étudiés se refusent aux formes de codification des produits – et de fait des pratiques – présentes dans les cahiers des charges des IG ; ils contestent même ouvertement une telle conception de la qualité. À la qualité telle quelle est conçue par les institutions en charge de la certification, la plupart des collectifs étudiés opposent un système dévaluation des produits essentiellement fondé sur lappréciation des consommateurs locaux après dégustation.

Ce dispositif diffère pourtant des séances de dégustation mises en place par les syndicats de défense et de gestion des produits sous AOC. Il ne sagit pas de reconnaître un produit défini en amont ni de mesurer le degré de typicité des récoltes dune année. Dans certains cas, ces séances de dégustation servent à déterminer les produits les plus susceptibles de contribuer à loriginalité de la gamme valorisée. Dans dautres cas, les participants sont invités à mobiliser leur imagination pour trouver un nom ou plus simplement des adjectifs permettant de caractériser le produit vis-à-vis de potentiels partenaires commerciaux. Quelques producteurs sont toujours présents, accompagnés parfois de commerçants, restaurateurs et divers habitants.

En faisant essentiellement reposer le processus de qualification sur le goût, les collectifs sopposent à une conception de la qualité décomposable et donc réductible à une somme de propriétés. Par ailleurs, en donnant pleine autorité aux acteurs participant à ces séances de dégustation peu protocolaires, ils font exister un système de qualification alternatif à la certification par un organisme extérieur.

Cest là le troisième point de controverse que fait émerger lanalyse des entretiens : plusieurs acteurs tendent en effet à séloigner dun modèle où les produits sont évalués par des organismes certificateurs non seulement extérieurs aux territoires, mais aussi jugés trop procéduriers. Bien que lindication géographique apparaisse au départ comme le moyen le plus sûr de se préserver déventuelles contrefaçons, conçues comme des formes de concurrence déloyale, de nombreux producteurs se refusent aux formes de certification par tiers pour diverses raisons : 68ils jugent que la transparence se joue autrement ou encore que ces systèmes sont coûteux et peu fiables. Cest ainsi quils critiquent toute forme de certification :

Nous avons une façon de produire qui est proche de lagriculture biologique. Malheureusement, le signe « biologique » a un coût excessif, et pour cette raison, même les exploitations qui avaient le label sen défont petit à petit. Pour de petites productions, tu ne réussis pas à couvrir le coût de la certification (entretien avec une productrice, membre fondatrice du Consorzio della Quarantina, Zerli/Né – GE).

Plus encore que lindication géographique, cest le label AB qui se trouve au cœur de cette controverse quant à la légitimité du système de certification. Estimant « faire plus » que ne le requièrent les cahiers des charges nationaux de lagriculture biologique, certains producteurs refusent toute certification, craignant de voir leur travail finalement méprisé par une telle indication.

Un bio extrême comme on en fait nous, en faisant en sorte que la nature remplisse ses fonctions, sans interférer ou en le faisant le moins possible, il ny en a pas beaucoup qui en font autant (entretien avec le jardinier de lassociation Anidagri, Borzonasca – GE).

De telles déclarations font écho à des controverses classiques, propres à la filière biologique, où sopposent, dun côté, les partisans dune homologation des produits de sorte à permettre la reconnaissance institutionnelle de lagriculture biologique par un label et, de lautre, les militants refusant la récupération marchande dune forme de qualification dont ils estiment quune part des principes fondamentaux sont trahis par sa conventionnalisation (Fouilleux et Loconto, 2017). Au mieux, lorsque les labels ne sont pas critiqués, ils sont jugés purement inutiles :

Les Quarantine se vendent, les gens les cherchent et, grosso modo, il y a plus de demande que de production. Alors les certifications faites de tonnes de papier, ça va bien pour la grande distribution, mais nous, nous avons estimé que cela augmentait la charge de travail administratif des producteurs. Nous avons essayé davoir une certification fondée sur une connaissance directe, et de fait, avec le temps, nous avons vu que la DOP7 ne nous était pas utile (entretien avec un éleveur laitier, producteur de pommes de terre, membre fondateur du Consorzio della Quarantina).

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Lensemble des collectifs séloignent ainsi dun objectif initial commun de reconnaissance par une institution en charge de la certification des produits. La tension entre la variabilité inhérente aux produits et les exigences de normalisation dun label font échouer le dialogue entre les collectifs promoteurs du projet et les institutions en charge des procédures de certification qui se trouvent discréditées. À produit local, certification locale, revendiquent-ils, évoquant ainsi un problème propre à la certification AB où les organismes de certification locaux sont globalement peu représentés (Boivin et Traversac, 2011) et où les systèmes participatifs de garantie apparaissent comme des initiatives de plus en plus robustes (Lemeilleur et Allaire, 2016). Il sagit là dune revendication générale dun affranchissement par rapport aux formes de contrôle externes, les institutions nationales étant particulièrement discréditées. Labsence de certification se présente avant tout comme lexpression dun rejet des règlements coercitifs et un refus de se soumettre à des obligations de moyens qui excluraient une partie des exploitations pourtant destinataires du projet à lorigine. Cest finalement pour dautres dispositifs de qualification quoptent les collectifs étudiés.

3. Invention de dispositifs
de qualification hybrides ancrés dans des systèmes
agri-alimentaires territoriaux

Sil existe dans la plupart des collectifs de sommaires cahiers des charges, ces derniers sassouplissent progressivement et perdent en importance au profit dautres instruments de coordination. Bien quils se présentent a priori comme de simples outils de communication, bulletins dinformations, forums internet et lettres ouvertes opèrent tels des supports dexpression et de partage de valeurs. La valorisation des produits opère alors par un dispositif de reconnaissance mutuelle, des producteurs par les consommateurs, mais aussi par les restaurateurs et par les commerçants, ainsi que par leurs propres pairs. En outre, la qualification des produits ne sarrête pas au seuil des espaces de concertation que sont les lieux de réunion aménagés lors de la phase de conception 70et de spécification du produit, mais elle continue de se négocier dans dautres arènes qui apparaissent comme des espaces politiques engageant une diversité dacteurs dans des échanges dont le fonctionnement fait lobjet de règles singulières.

Cest principalement la responsabilité personnelle de chaque producteur qui est considérée comme garante de bonnes pratiques. La qualité est en effet envisagée sur la base dune convergence de propositions déclaratives au sein dun réseau constitué autour dune même idée didentité territoriale plutôt quà lissue dun dispositif de contrôle. Ainsi, le cahier des charges de production de la Truffole précise demblée que « chaque producteur est responsable de son application8 ». Les producteurs sont tenus deffectuer une déclaration de pratiques auprès dun représentant désigné par le collectif ou de consigner quelques données élémentaires sur un cahier spécialement dédié, ouvert à la consultation. La parcelle doit être localisée sur le cadastre communal, précisant la date de plantation, la quantité, les variétés et la provenance des tubercules plantés. LAssociation agricole de promotion de la Truffole institue la démarche en une procédure intitulée « notre champ à votre table ».

Cest en Italie quémerge le dispositif de qualification le plus abouti de ce point de vue. En effet, le Consorzio della Quarantina exige aussi une déclaration portant sur les pratiques damendement et les précédents culturaux. Cest ce que les membres du collectif décrivent par le terme d« auto-certification » :

Personne nest tenu de se faire certifier et de dépenser pour des marques, des timbres, pastilles et autres succédanés de la qualité, mais tous sont obligés de procéder à lauto-certification, en déclarant loyalement – sous peine de poursuites pour usage de faux et fraude en situation de commerce – aussitôt après la plantation : variétés et quantités plantées, jour et lieu de la plantation, provenance des tubercules semés, amendements utilisés et cultures effectuées sur le terrain lannée précédente ; aussitôt après la récolte, chacun doit déclarer le jour de récolte, interventions sur le terrain et éventuels produits utilisés, quantité totale produite et quantité de pommes de terre de premier choix récoltées (entretien avec le président du Consorzio della Quarantina).

Des formulaires sont mis à disposition des producteurs qui, chaque année, renseignent des rubriques concernant leurs pratiques (dates de 71semis, engrais utilisés, rotation effectuée ou non, etc.). Pour pouvoir faire usage des signes didentification établis par le collectif, chacun doit se livrer à un exercice de transparence, en rendant publics ses modes de production :

Nous disons que ne peuvent se vendre dans les sachets que les pommes de terre ayant un diamètre supérieur à 45 millimètres. Il ny a pas dautres règles, même sur le mode de culture ; chacun fait ce quil veut, mais il doit dire ce quil fait (entretien avec le président du Consorzio della Quarantina).

Le site internet qui collecte les fiches dauto-certification est un instrument de traçabilité pour les consommateurs, autant quun dispositif dobservation mutuelle, jouant sur un effet de proximité pour favoriser lapprentissage interpersonnel et valoriser ainsi des pratiques proches dun mode dagriculture biologique sans les imposer.

Ce système de lauto-certification sest mis en place au fil du temps. Au départ, des contrôles étaient réalisés dans les champs pour vérifier le respect des préceptes du cahier des charges interdisant les produits phytosanitaires, puis face aux difficultés de deux agriculteurs cultivant à léchelle dexploitations plus importantes, ce qui ne leur permettait pas dapporter aux différentes parcelles le même soin que dautres producteurs, linterdiction formelle a été supprimée. Toutefois, certaines pratiques sont proscrites de manière tacite ; sans nêtre jamais mises à lindex, elles sont néanmoins pointées du doigt. Cest ainsi quil en va, par exemple, de lusage des produits phytosanitaires. À loccasion des dix ans du collectif en 2010, le président rappelait que les producteurs sont « appelés à faire une agriculture propre, pour eux-mêmes, pour lenvironnement et pour les consommateurs9 ». Le contrôle opère sur deux plans : de pair à pair entre les producteurs et vis-à-vis des clients. La qualification repose ainsi sur un dispositif de reconnaissance mutuelle entre une diversité dacteurs habitant un même territoire et partageant une même vision de son devenir.

Si la plupart des collectifs renoncent donc à une reconnaissance par les signes de qualité nationaux ou européens, ils nen ont pas moins recours à des outils de protection de leur réputation. En Ardèche et en Ligurie, tous les collectifs déposent auprès des organismes garants de la propriété industrielle une marque collective. Bien quelle ne permette 72pas de sapproprier un produit, la marque protège celui-ci en rendant inaliénable le prestige social que le nom confère au produit. En outre, la marque permet de déplacer la focale de la qualification du produit vers une série de valeurs. Cest dans le cas du Consorzio della Quarantina que sexprime le mieux ce fonctionnement. Plus quune variété de pommes de terre, le nom seul de Quarantina est un esprit, qui porte avec lui latmosphère existant au sein du collectif :

Si tu parles de la Quarantina, déjà les gens te cernent, ils savent quel type de producteur tu es, quelle philosophie tu portes. Cest ça la chose importante que nous avons réussi à faire (entretien avec un éleveur de vaches laitières, membre du Consorzio della Quarantina).

Plutôt quun spécimen rare de pomme de terre, la Quarantina finit par apparaître comme laboutissement et lemblème dune aventure collective singulière, faite de débats gageant dune attention particulière portée à la définition de la qualité. En définitive, cette dernière fait peu de cas des critères classiques daspect visuel ou de calibre, pour mieux mettre en valeur des enjeux dentretien des établissements humains sur le territoire, de respect de lenvironnement ou de justice sociale dans laccès à une alimentation de qualité. Une telle définition de la qualité permet aux producteurs du Consorzio della Quarantina de valoriser des objets peu réguliers et détendre la réputation du collectif à une diversité dautres produits que la variété de pommes de terre éponyme. Dune part, le détachement vis-à-vis des critères physiques permet aux producteurs de se livrer à des expérimentations susceptibles de modifier laspect du produit10, sans pour autant mettre en péril sa valorisation. Dautre part, la teneur immatérielle du dispositif de qualification permet aux producteurs de valoriser conjointement, sous le nom et le logo de la Quarantina, plusieurs variétés de pommes de terre ainsi que des variétés anciennes de blé, de haricots, de châtaignes ou de maïs, et dautres produits résultant de savoir-faire quils reconnaissent, et sont reconnus par une diversité dautres habitants et acteurs (transformateurs, commerçants, restaurateurs, consommateurs) comme le gage dun lien entre environnement local, agriculture et alimentation, appuyé sur les 73spécificités agro-physiques et culturelles du territoire auquel ils sont attachés.

La marque collective permet de protéger la rhétorique du terroir développée dans le cadre du projet de reconnaissance par une indication géographique, tout en sadossant à une diversité de circuits de commercialisation puisque ces acteurs investissent les marchés de plein vent, créent des points de vente collectifs ou négocient avec de grandes chaînes de distribution. Comme dans le cas de la Truffole, la marque « Belle des Échamps » a constitué un dispositif dintéressement qui a donné lieu à des contacts inédits avec une diversité de partenaires commerciaux. On observe ainsi une dynamique de développement des circuits courts à léchelle territoriale ; le GIE des Échamps de lEyrieux approvisionne en effet plusieurs sites de restauration collective, parmi lesquels plusieurs établissements scolaires locaux, lhôpital du Cheylard et les maisons de retraite de Saint-Pierreville et Saint-Sauveur-de-Montagut. À partir de la fin des années 1990 ont été créés en Ardèche divers points de vente collectifs qui servent de débouchés commerciaux à une diversité de produits locaux.

À linstar de nombreuses initiatives européennes qualifiées de « nouvelles » ou d« alternatives », ces dispositifs de qualification originaux reposent sur des circuits de proximité qui ne sont pas pour autant des circuits courts au sens strict puisquils font appel à une diversité dintermédiaires (Renting et al., 2003). Ce sont des systèmes hybrides, tant par les conventions sur la base desquelles ils sont bâtis que par les circuits de commercialisation auxquels ils font appel (ibid., p. 401). En analysant les formes de coordination et les structures internes de gouvernance qui permettent à ces collectifs de saffranchir de la certification par tierce partie, on voit comment des dispositifs de confiance peuvent se construire – sur des appuis souvent informels – une réputation, des relations de fidélité, des contrats tacites.

Le concept de « système agri-alimentaire territorial » (Lamine, 2012) apparaît particulièrement pertinent pour étudier les dynamiques qui président au fonctionnement de tels dispositifs. En effet, il permet dune part de comprendre, à travers une analyse de réseaux, les alliances et rapports de force qui permettent aux acteurs de reconfigurer les systèmes de production et dapprovisionnement alimentaires existants. Dautre part, en mobilisant la notion de « territoire », il invite à questionner la 74dimension politique des espaces concernés, entre action collective privée et action publique.

Sil sinscrit dans la lignée des travaux menés autour du concept de système agro-alimentaire localisé ou SyAL (Muchnik et De Sainte-Marie, 2010), il sen distingue néanmoins par la façon dont il conduit à considérer les acteurs et à analyser leurs alliances. Si les divers cas détude présentés ci-dessus apparaissent telles des formes socio-spatiales complexes, ils associent des acteurs qui ne sont ni émissaires de structures de développement, ni simplement opérateurs économiques des filières. Le rôle quils jouent dans la reconfiguration des systèmes alimentaires invite donc à mettre à lépreuve les catégories dacteurs habituellement mobilisées pour penser la connexion entre environnement local, agriculture et alimentation à léchelle territoriale. Les consommateurs ne sont plus simplement situés à l« extrême aval » des filières doù ils exprimaient un « pouvoir de la bouche » (ibid.) pour sanctionner la réussite dune construction de produits alimentaires de qualité. Ils apparaissent également à lorigine des initiatives ou en tant que moteurs participant aux débats déterminant la trajectoire des collectifs. De la même façon, la contribution de restaurateurs et de commerçants ne se résume pas à la mise en œuvre de savoir-faire spécifiques pour valoriser un produit. Ils agissent également en moteur dune dynamique territoriale, ouvrant régulièrement des arènes de débat qui sarticulent aux enjeux de qualité de lalimentation tout en les dépassant. Cest parce quils sont en relation avec dautres acteurs sensibles aux enjeux de conservation de la biodiversité et à lentretien dun territoire cultivé que les producteurs peuvent jouir dune liberté dinvention dans leur activité. Ainsi, des individus habituellement traités en opérateurs économiques occupant une place bien déterminée au sein dune filière sont requalifiés en acteurs et interviennent à dautres niveaux et à dautres fonctions pour la construction de systèmes agri-alimentaires.

La mise en regard des terrains et des collectifs étudiés suggère que les systèmes agri-alimentaires territoriaux se démarquent fondamentalement dune logique de filière, non seulement parce que la qualification procède en mobilisant une plus large diversité dacteurs, mais aussi parce que ces derniers entretiennent des relations qui ne respectent pas nécessairement la logique amont/aval. En effet, ces dispositifs de qualification se caractérisent par des structures de gouvernance favorisant les interactions 75entre une multitude dacteurs, faisant fi de la distinction qui conduit généralement à opposer circuits conventionnels et alternatifs et donnant lieu à des modes de qualification intégrée et évolutive.

Conclusion

On observe ainsi en Ligurie et en Ardèche des dispositifs de qualification originaux, qui ne correspondent pas aux principaux modèles décrits par la littérature scientifique qui sintéresse aux systèmes de valorisation de produits « locaux ». Ces dispositifs de qualification tirent du modèle des indications géographiques une rhétorique du terroir, mais celle-ci ne se traduit pas en contraintes réglementaires et sétend à une diversité de produits. Reposant essentiellement sur de la vente directe, ils sapparentent aux circuits courts de proximité sans entrer tout à fait dans cette catégorie. En effet, ils définissent lespace « local » par-delà des questions de distance, pour jouer davantage sur lappartenance dune diversité dacteurs à un territoire partagé.

Ceci permet aux collectifs étudiés de mettre en place des dispositifs de qualification saffranchissant de la certification par tierce partie, cest lexistence de réseaux denses et diversifiés, rassemblant une multitude dacteurs autour denjeux de qualité. Ces derniers ne sont pas seulement dordre alimentaire, mais également environnemental, à propos dun territoire auquel ils sont attachés. Les démarches des collectifs étudiés ici donnent à voir des processus de construction qui reposent principalement sur la convergence dexpressions dun attachement à un environnement spécifique, à la fois en termes agro-physiques et culturels. Ces modalités dattachement sont suffisamment variées pour que sy reconnaisse une diversité dacteurs, progressivement amenés à agir de concert.

Ces réseaux dacteurs ne se constituent pas avec la même densité sur les deux terrains. Faits dhistoires singulières, produits de jeux sociaux spécifiques et issus de cadres institutionnels et juridiques parfois sensiblement différents, les cas décrits ici montrent quil nexiste pas de formes territoriales a priori, mais plutôt des contextes plus ou moins favorables à la construction de systèmes agri-alimentaires originaux. 76La diversité des initiatives et des trajectoires collectives décrites ici ouvre de nouvelles perspectives de réflexion concernant les dispositifs de qualification des produits. Elle invite à considérer le territoire par-delà les périmètres définis pour laction publique, et à sintéresser aux habitants dun territoire par-delà les fonctions socio-professionnelles qui les qualifient au premier abord. Néanmoins, lhétérogénéité dobjets et dacteurs engagés dans ces dispositifs de qualification les rend fragiles, et porte à sinterroger quant aux cadres et structures institutionnels susceptibles de favoriser leur durabilité.

77

Annexe

Pommes de terre

La Truffole

Fleur de pêcher
(ex-Arly rose)

La Belle
des Échamps

Violine
de Borée

Quarantina

Début du projet

1995

1997

2001

2003

1999

Principaux acteurs impliqués

Habitants et agriculteurs

Agriculteurs

Agriculteurs

Habitants, agriculteurs, restaurateurs

Habitants, agriculteurs, restaurateurs, commerçants

Principaux soutiens

Commune, Pays, Chambre dagriculture

Chambre dagriculture

Chambre dagriculture, PNR

Chambre dagriculture

Commune, Province, Chambre dagriculture, PNR

Noms choisis

Association agricole pour
la promotion
de la Truffole

Gerzenc

Les échamps de lEyrieux

Association Violine de Borée

Consorzio della Quarantina

Structures juridiques

Association

Association

Association puis GIE

Association puis SARL

Consortium
puis association

Zone de référence

Haut-Vivarais (F)

Plateau ardéchois (F)

Vallée de lEyrieux (F)

Commune
de Borée (F)

Ancienne République
de Gènes (I)

Qualification visée

AOC

AOC

AOC

AOC

DOC

Qualification choisie

Marque collective

Marque collective + AB

Marque collective

Marque collective

Marque collective

78

Pommes de terre

La Truffole

Fleur de pêcher
(ex-Arly rose)

La Belle
des Échamps

Violine
de Borée

Quarantina

Mode de production

conventionnel

AB

conventionnel

en voie de certification AB

« bio »

Circuits de commercialisation

Leclerc Valence, Marché de gros de Pont dIsère, épiceries fines, restaurants

Magasins bio locaux, vente directe

Marchés de gros de Lyon et St-Étienne, Centrales dachat Grand Frais, RHD collectivités, PVC

Restaurants gastronomiques, METRO

Vente directe, Restaurants et épiceries fines membres du Consorzio

Production annuelle moyenne (t.)

150

110

160 (35 primeur)

5 (6-800kg transformés)

40

Prix au kg (€)

(0,6=prix de gros)

2

5-8

1,5-2

1,5-2

Membres

8

10

6

6

72 (400)

Fig. 2 – Tableau de présentation des collectifs étudiés.

79

Références bibliographiques

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80

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1 Loi no 89-470 du 10 juillet 1989.

2 Fondé par décret le 16 juillet 1947, lInstitut national des appellations dorigine des vins et des eaux-de-vie est chargé depuis 1990 des appellations dune diversité de productions. La loi dorientation agricole de 2006 poursuit le processus de transformation de linstitution à laquelle revient désormais la responsabilité de lensemble des signes de qualité, y compris le label AB par exemple.

3 Les deux termes sont employés par le président de lassociation agricole de promotion de la Truffole pour rendre compte des arguments favorables à lenregistrement dune variété que mobilisent certains des acteurs du collectif.

4 Entretien avec le président de lassociation agricole de promotion de la Truffole, Saint-Victor – 07.

5 Entretien avec lancien maire de Borée (2001-2014), président de lassociation Violine de Borée.

6 Le mainteneur dune variété peut être une entreprise, un syndicat ou une association de producteurs attestant de compétences de multiplicateurs suffisantes pour assurer la reproduction de variétés inscrites au catalogue officiel français.

7 Denominazione di Origine Protetta, équivalent italien de lAOP française.

8 Cahier des charges de la production de la Truffole rédigé par lAssociation agricole de promotion de la Truffole en 1998, p. 3.

9 Extrait dun bulletin dinformation du Consorzio della Quarantina.

10 Certains producteurs testent de nouvelles techniques de culture quand dautres se lancent dans des démarches dinnovation variétale qui peuvent les conduire à commercialiser des pommes de terre de différentes formes et différentes couleurs.