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Classiques Garnier

Pourquoi réduire les effectifs en temps de crise ? Une étude empirique des logiques offensives et défensives dans les établissements français

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Socio-économie du travail
    2018 – 2, n° 4
    . La démocratie au travail : usages et catégories / Democracy at work: uses and categories
  • Auteurs : Berta (Nathalie), Jallais (Sophie), Thévenot (Nadine)
  • Résumé : Ce travail interroge les déterminants des réductions d’effectifs dans les établissements français sur la période 2008-2010 à partir de deux types de données : l’enquête REPONSE 2011 et des monographies d’établissements. Il montre que les ajustements d’effectifs entrepris ne sont pas tous des ajustements « de crise », de type défensif. Ils peuvent également être offensifs : les baisses d’activités ne sont alors pas subies, mais construites par des groupes en quête d’une plus forte rentabilité.
  • Pages : 119 à 153
  • Revue : Socio-économie du travail
  • Thème CLIL : 3319 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités -- Travail, emploi et politiques sociales
  • EAN : 9782406088578
  • ISBN : 978-2-406-08857-8
  • ISSN : 2555-039X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08857-8.p.0119
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/02/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Réductions d’effectifs, crise, enquête REPONSE, monographies d’établissement
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Pourquoi réduire les effectifs
en temps de crise ?

Une étude empirique des logiques offensives
et défensives dans les établissements français1

Nathalie Berta

REGARDS, université Reims et CES, université Paris 1

Sophie Jallais

PHARE, université Paris 1

Nadine Thèvenot

CES, université Paris 1

La conjoncture dégradée depuis 2008 a donné lieu à différentes modalités dajustements par le travail dans les entreprises : réductions deffectifs, modération salariale, chômage partiel, réorganisation du travail, etc. (Brochard, Perraudin 2017 ; Perez, Thevenot etalii 2015). Ce travail se focalise sur lune de ces modalités, les réductions deffectifs (« employee downsizing » dans la terminologie de Datta et alii 2010 ou 120« downsizing numérique » selon Cameron, 1994), pour en interroger les déterminants en période de crise.

La littérature établit traditionnellement un clivage entre dun côté, les ajustements réactifs ou défensifs, qui répondent aux effets dune contraction de la demande ou plus généralement dun choc externe, et de lautre, les ajustements offensifs ou stratégiques qui répondent à des déterminants internes daugmentation de la rentabilité et de la compétitivité (pour une synthèse des définitions et typologie des restructurations, voir Beaujolin-Bellet, Schmidt 2012). Dans le premier cas, la logique est qualifiée dindustrielle, elle cherche à répondre à une baisse dactivité subie. Dans le second cas, la logique est financière, elle vise à recouvrer ou augmenter des résultats économiques et financiers jugés insuffisants (voir par exemple Coutinet, Sagot-Duvauroux 2003 ou Cameron, Freeman, Mishra 1993)2.

En période de crise, les ajustements des entreprises dont lactivité sest dégradée appartiendraient a priori à la catégorie des ajustements défensifs. Pourtant, une précédente recherche (Perez, Thèvenot coord. 2014) effectuée pour la DARES montre que la crise de 2008 facilite le brouillage des frontières entre ces logiques typiques dajustements en matière demploi, en augmentant notamment leur porosité et les possibilités dinstrumentalisation de la crise. Dès lors, on tentera ici dy voir plus clair : les ajustements observés en temps de crise sont-ils véritablement des ajustements « de crise », à savoir des ajustements défensifs, de type conjoncturel en réaction à la crise telle que les établissements la subissent ? Si ce nest pas le cas, le contexte de crise a-t-il néanmoins joué un rôle ? En particulier, a-t-il favorisé des ajustements offensifs inscrits dans des stratégies à moyen terme de réduction de la force de travail ou de la masse salariale ? Autrement dit, la baisse dactivité au niveau macro-économique a-t-elle contribué à faciliter des ajustements deffectifs alors que ceux-ci nétaient pas dictés, ou en tous cas, pas dans leur totalité, par une baisse dactivité vécue au niveau de létablissement ?

Pour répondre à ces questions, nous proposons de poursuivre le travail empirique effectué pour la DARES, en combinant une analyse quantitative 121des données de lenquête Relations Professionnelles et Négociations dEntreprises (REPONSE) 2010-2011 appariée à la base Sinapse-Chômage partiel, avec une analyse qualitative exploitant les monographies de douze établissements ayant connu des baisses dactivité sur la période 2008-20123.

Tout dabord, à partir de lenquête REPONSE 2010-2011, il sagit de caractériser empiriquement les établissements réduisant leurs effectifs selon quils ont ou non connu une baisse dactivité sur la période 2008-2010, ce de façon à déceler léventuelle présence de deux logiques, défensives et offensives, dans cette période de crise (section 1). Le travail monographique confirmera lexistence de ces deux logiques en révélant, derrière la crise, la véritable nature des baisses dactivité constatées. En donnant du sens à ces baisses dactivité, il permettra de questionner le caractère réellement défensif des réductions deffectifs qui les accompagnent. Toutes les monographies exploitées concernent des établissements qui ont connu à la fois des baisses dactivité et deffectifs. Pour autant, on verra que tous les ajustements ne peuvent être considérés comme défensifs. En effet, les baisses dactivité peuvent savérer orthogonales à la crise, elles peuvent même être délibérées (section 2). Lorigine de la baisse dactivité constatée dans les établissements, et notamment son caractère subi ou construit, va alors déterminer la nature même des ajustements entrepris – leurs modalités concrètes, leur séquençage – et leur processus de légitimation. La crise macroéconomique, en modifiant les rapports de force, fournit un contexte favorable aux réductions deffectifs, considérées alors par les salariés et leurs représentants comme légitimes car jugées inévitables (section 3).

I. Les profils des établissements ayant baissé leurs effectifs en 2008-2010 : les apports dune analyse quantitative à partir de lenquête REPONSE

Lanalyse quantitative est menée à partir de lexploitation de la quatrième vague de lenquête REPONSE effectuée en 2010-11 qui fournit des informations sur la gestion de lemploi, lorganisation du travail 122et les relations professionnelles dans les établissements en France. Elle sappuie sur les réponses aux questionnaires envoyés aux représentants de la direction des établissements. Plusieurs des questions posées permettent de rendre compte, outre des caractéristiques structurelles des établissements, de certaines de leurs pratiques entre 2008 et 2010. Notre base comporte 39774 établissements de 11 salariés et plus représentatifs du secteur marchand non agricole en France métropolitaine, hors Corse et hors particuliers-employeurs. Nous lavons appariée à la base de données Sinapse-Chômage partiel, gérée par la Délégation générale à lemploi et à la formation professionnelle (DGEFP), qui recense de manière exhaustive le nombre dheures consommées au titre de lactivité partielle ainsi que les motifs de recours. Nous lavons utilisée pour construire une variable dichotomique renseignant sur la présence ou labsence pour chaque établissement dun recours au dispositif de chômage partiel pour une raison autre quun sinistre ou des intempéries sur la période 2008-2010.

Il ne sagit pas ici détudier de manière exhaustive les déterminants possibles des réductions deffectif5. Les « restructurations de crise » ou « défensives » (Beaujolin-Bellet, Schmidt 2012) concernent les suppressions demploi consécutives à des dégradations dactivité alors que les « restructurations offensives » ou « de compétitivité » relèvent plutôt de stratégies financières élaborées par les groupes. En mobilisant des variables pouvant servir de « marqueurs », nous tenterons de faire apparaître les types de logique à lœuvre (offensive ou défensive) et le rôle joué par la crise, et donc par les baisses dactivité.

I.1. Réductions deffectifs et baisses dactivité en temps de crise

Les réductions deffectifs et les baisses dactivité enregistrées dans les établissements pendant la crise de 2008 peuvent être renseignées à partir de deux variables présentes dans lenquête REPONSE.

Concernant la baisse des effectifs, cette enquête comporte une question, posée au représentant de la direction, permettant de rendre compte des ajustements ayant porté sur les variations de lemploi salarié (y compris les CDD) dans létablissement pendant les trois premières années de 123la crise : « Quelle évolution des effectifs a été enregistrée, au cours des trois dernières années (2008, 2009, 2010) : une hausse, une stabilité, une baisse ? ». Seuls 19 % des établissements ont baissé leurs effectifs salariés. Cette proportion peut sembler faible au regard de lampleur de la crise et dautres sources décrivant dimportants ajustements de lemploi sur la période. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce résultat. Tout dabord, les variations de lemploi intérimaire ne sont pas comprises dans ces évolutions des effectifs, alors quelles ont constitué une modalité très importante des ajustements de lemploi (Domens 2010 ; Amar etalii 2011). Ensuite, les réductions deffectifs ayant été relativement plus fortes dans les grandes entreprises et les groupes (Duhautois, Levratto, Petit 2014), il nest pas surprenant dobserver quelles sont le fait dun nombre restreint détablissements. Enfin, il existe probablement un biais de sélection des répondants à lenquête de 2010-2011 puisque seuls les établissements qui ont survécu jusquen 2010 sont en mesure de répondre à lenquête. Or, les défaillances dentreprises ont enregistré un pic en 20096.

Concernant les baisses dactivité, la seule question posée au représentant de la direction renvoie aux variations du volume dactivité : « sur les trois dernières années (2008, 2009, 2010) le volume dactivité de votre établissement a-t-il été fortement croissant / croissant / stable / décroissant / fortement décroissant ? ». Nous avons regroupé les modalités « fortement croissant » et « croissant » en une modalité « croissant » ainsi que les modalités « fortement décroissant » et « décroissant » en une modalité « décroissant ». En effet, dune part les établissements en croissance ne constituent pas notre objet détude en tant que tel et, dautre part, les établissements dont lactivité est fortement décroissante ne sont pas suffisamment nombreux7 pour être étudiés de manière isolée. Un quart des établissements de léchantillon témoigne ainsi dune activité dégradée sur la période 2008-2010 (voir tableau 1). Cette proportion peut encore sembler faible au regard de lampleur de la crise de 2008 bien quelle reste supérieure à celle de la dernière enquête REPONSE (ils nétaient que 14 % entre 2002 et 2005, Pignoni et Reynaud 2013).

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Quoi quil en soit, le lien entre baisse du volume dactivité et réduction des effectifs sur la même période apparaît fortement dans le tableau 1. Les établissements ayant un volume dactivité décroissant sont bien plus nombreux parmi les établissements ayant réduit leurs effectifs (62,3 % contre 24,8 % parmi lensemble des établissements).

Tab. 1 – Évolution du volume dactivité
selon lévolution des effectifs 2008-2010.

Notes : données pondérées

Lecture : Parmi les établissements ayant baissé leurs effectifs entre 2008 et 2010, 62,3 % enregistraient un volume dactivité décroissant sur la même période.

Champ : Établissements de 11 salariés et plus du secteur marchand non agricole.

Source : Enquête REPONSE 2010-2011, volet Représentant de la direction et SINAPSE (3977 établissements)

Il reste toutefois que 37,7 % des établissements ayant réduit leurs effectifs nont pas vu leur activité décroître sur la période. Pour ces derniers, soit la crise sest manifestée autrement, soit elle a été loccasion de mettre en œuvre des ajustements opportunistes ou offensifs (voir aussi Datta etalii (2010) pour des constats similaires).

À lopposé de cette dernière logique, la réduction des effectifs nest pas la seule réponse possible aux baisses dactivités : 8,8 % des établissements ayant augmenté leurs effectifs et 21,7 % de ceux les ayant maintenus stables ont en effet enregistré une baisse de leur volume dactivité. Les réductions deffectifs, comme lexplique Boyer (2005), relèvent de choix stratégiques. Il nexiste aucun déterminisme en la matière, une conjoncture dégradée ne conduisant pas de manière systématique à une réduction demploi8.

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Nous avons distingué trois groupes détablissements selon que ceux-ci connaissent ou non des baisses deffectifs et les liens quentretiennent, le cas échéant, réductions deffectifs et baisses dactivité :

Parmi les établissements qui ont réduit leurs effectifs, nous distinguons tout dabord deux groupes selon quils ont ou non connu une baisse dactivité.

* Le premier (7,1 % des établissements) regroupe ceux qui nont pas connu de baisse dactivité. Pour cette raison, on les désignera par « EFF-/ACT+ ». Même si la crise a pu se manifester autrement que par une baisse dactivité, nous faisons lhypothèse que, ayant réduit leurs effectifs sans connaître de baisse dactivité (et donc sans que celle-là ait pu être dictée par celle-ci), ces établissements obéissent plus majoritairement à une logique offensive que ceux ayant connu conjointement des baisses dactivités et deffectifs.

* Ces derniers – qui représentent 11,8 % des établissements – forment le deuxième groupe, que lon désignera par « EFF-/ACT- ». Nous faisons lhypothèse que les ajustements deffectifs sont ici potentiellement porteurs dune logique plus défensive que ceux opérés dans les établissements du premier groupe qui ne peuvent avoir été contraints par une baisse dactivité. Pour autant, les établissements de ce deuxième groupe nobéissent pas nécessairement tous à une logique défensive. Car si les ajustements sur les effectifs peuvent certes avoir été effectués en réaction à une dégradation de leur activité, ils peuvent être surdimensionnés par rapport à celle-ci et obéir ainsi à des stratégies de réduction des effectifs indépendantes de la crise9.

Le dernier groupe, que lon désignera par « EFF+ » compte 81,1 % des établissements. Rassemblant ceux qui nont pas réduit leurs effectifs, il servira de référence dans lanalyse qui suit.

I.2. Offensifs versus défensifs : lambiguïté des pratiques
de réductions deffectifs en temps de crise

Nous proposons de caractériser les trois groupes détablissements, dabord du point de vue de leurs caractéristiques structurelles (1.2.1), 126puis selon deux blocs de variables permettant didentifier des mécanismes économiques alimentant des logiques plutôt offensives ou plutôt défensives. Certaines variables présentes dans lenquête REPONSE peuvent jouer, selon nous, on expliquera pourquoi, le rôle de « marqueurs » soit (1.2.2) dune logique offensive (lappartenance de létablissement à un groupe, ainsi que le fait quil ait retenu un objectif de rentabilité précis et quantifié), soit, au contraire, (1.2.3) dune logique a priori plutôt défensive (recours au chômage partiel, politiques de rémunérations restrictives). Conjointement aux statistiques descriptives, afin de mettre en évidence la présence de différences significatives entre chacun des groupes, nous avons recours à un modèle de régression logistique multinomial estimant leffet de chacune de ces variables sur la probabilité quun établissement procède à des réductions deffectifs plutôt quil ne le fasse pas (situation de référence : EFF+), selon quil a connu (EFF-/ACT-) ou non (EFF-/ACT+) une baisse dactivité. Lensemble des résultats est présenté dans le tableau 2.

I.2.1. Les caractéristiques structurelles des établissements
ayant réduit leurs effectifs

Les établissements de chacun des trois groupes définis dans la section précédente ont des caractéristiques structurelles distinctes.

On constate, en effet, que les établissements qui réduisent leurs effectifs sont relativement plus grands que les autres, puisquils sont sur-représentés (fortement pour le groupe EFF-/ACT- et très fortement pour le groupe EFF-/ACT+) parmi les établissements de 100 salariés ou plus. Cette différence peut résulter du fait que, dans les établissements les plus grands, les mêmes tâches pouvant plus souvent être effectuées par plusieurs salariés, il est plus aisé de réduire les effectifs. Lanalyse « toutes choses égales par ailleurs » confirme ce résultat (quoique la différence soit ici plus significative pour le groupe EFF-/ACT- que pour le groupe EFF-/ACT+) et fait également apparaître que la probabilité dappartenir au groupe EFF-/ACT- est plus forte pour les établissements de moins de 50 salariés, relativement aux établissements de taille intermédiaire.

Concernant les secteurs dactivité, les établissements qui réduisent leurs effectifs sont relativement moins présents dans les services, et plus dans lindustrie, voire dans le commerce pour ceux nayant pas connu de 127baisse dactivité (EFF-/ACT+). Ce sont également les plus anciens, mais lâge de létablissement ne permet pas de distinguer statistiquement les deux groupes réduisant leurs effectifs.

Tab. 2 – Profil des établissements réduisant leurs effectifs.

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Champ : établissements de 11 salariés et plus du secteur marchand non agricole

Source : Enquête REPONSE 2010-2011, volet représentant de la direction et Sinapse (3977 établissements), données pondérées pour les statistiques descriptives

Modèle : régression logistique multinomiale de la probabilité quun établissement baisse ses effectifs et son activité (dits « EFF-/ACT- ») ou quun établissement réduise ses effectifs sans enregistrer de dégradation de son activité (dits « EFF-/ACT+ ») plutôt quil ne réduise pas ses effectifs (groupe de référence : dit « EFF+ »). * ** *** coefficients significatifs aux seuils de 10, 5 et 1 % respectivement.

Lecture : Les établissements du groupe EFF-/ACT- représentent 15,2 % des établissements appartenant à un groupe alors quils représentent 11,8 % de lensemble des établissements.

Le fait dappartenir à un groupe augmente de manière significative, au seuil de 1 %, la probabilité pour un établissement de réduire ses effectifs et son activité (EFF-/ACT-) et de façon plus marquée encore de réduire ses effectifs sans connaître de dégradation de son activité (EFF-/ACT+), plutôt que de ne pas avoir réduit lemploi (EFF+) sur la période 2008-2010. La taille du marché est en revanche plus parlante. Si le marché des établissements nayant pas baissé leurs effectifs (EFF+) est plus local, celui des établissements du groupe EFF-/ACT- est plus national, quand celui des établissements du groupe EFF-/ACT+ est plus international. Enfin, les établissements ayant enregistré des réductions deffectifs et dactivité (EFF-/ACT-) sont sous-représentés parmi les établissements dans lesquels les cadres ou les techniciens forment la « catégorie la plus importante en nombre ».

I.2.2. Les réductions deffectifs : des décisions prises
par les groupes et liées à des objectifs de rentabilité

Dans les restructurations obéissant à des logiques financières, les réductions deffectifs sont souvent des décisions stratégiques prises au niveau central des groupes, souvent très éloignés des lieux de travail (Bourguignon, Guyonvarch 2010 ; Reynaud 2012 ; Beaujolin-Bellet, 1999).

Les variables de lenquête REPONSE décrivant les liens financiers et la structure du capital dont dépend létablissement – lien à un groupe, type dactionnaires, cotation en bourse –, peuvent éclairer cette dimension financière des réductions deffectifs et notamment la « pression » exercée par les groupes. On distingue alors les établissements 129qui réduisent leurs effectifs selon quils appartiennent ou non à un groupe10. On considère en effet que lappartenance à un groupe peut servir de marqueur de la présence dune logique financière et stratégique ayant présidé aux réductions deffectifs plutôt que de la présence dune adaptation « numérique » à une baisse dactivité (en suivant la terminologie de Cameron, 1994).

Or il savère que les établissements qui réduisent leurs effectifs, avec ou sans déclin dactivité sur la période, appartiennent effectivement davantage à un groupe que ceux qui nont pas détruit demploi (voir tableau 2). Par ailleurs, parmi ces établissements, cette sur-représentation est davantage marquée chez ceux qui nont pas connu de baisse dactivité. En considérant lappartenance à un groupe comme un marqueur des stratégies offensives de réduction de lemploi, cela semble conforter la présence de la logique offensive dans les établissements EFF-/ACT+, mais questionne, en revanche, le caractère défensif des réductions deffectifs mises en œuvre dans les établissements en déclin dactivité (EFF-/ACT-).

Ces résultats sont confortés par les données sur la structure du capital des entreprises auxquelles appartiennent les établissements, sur leur cotation en bourse et, pour ce qui concerne les filiales, sur leur autonomie de décision en matière demploi (voir tableau 3). En statistiques descriptives, cest chez les établissements du groupe EFF-/ACT+ que sont le plus sur-représentés les établissements dentreprises cotées en bourse11, ceux ayant pour actionnaire principal une société financière, lÉtat ou une collectivité locale12, ainsi que les filiales disposant de la plus faible autonomie en matière demploi. Ces signes de logique offensive 130sont également présents, mais dans une moindre mesure, chez les établissements du groupe EFF-/ACT-13.

Tab. 3 – Structure de gouvernance des établissements
et autonomie des filiales en matière demploi.

Notes : données pondérées

Lecture : Les établissements ayant pour actionnaire principal une société financière représentent 14,1 % des établissements EFF-/ACT+, et 8,2 % de lensemble des établissements.

Les filiales ayant une autonomie de décision limitée ou nulle en matière demploi représentent 56,8 % des filiales EFF-/ACT+, et 43,8 % de lensemble des filiales.

Champ : Établissements de 11 salariés et plus du secteur marchand non agricole (3977 établissements dont 1635 filiales)

Source : Enquête REPONSE 2010-2011, volet Représentant de la direction et SINAPSE

Pour mettre en évidence le lien existant entre réductions deffectifs et difficultés économiques, il aurait été intéressant de connaître lévolution de 131la rentabilité des établissements. Malheureusement, lenquête REPONSE ne comporte pas une telle variable14.

En revanche, une question posée aux représentants de la direction porte sur la présence dun objectif de rentabilité précis et quantifié dans létablissement, traduisant alors, le cas échéant, une attention particulière portée à cette dernière15. Toutes choses inégales par ailleurs, les établissements ayant réduit leurs effectifs (EFF-/ACT- et EFF-/ACT+) sont relativement plus présents que les autres parmi ceux ayant un objectif de rentabilité fixé et quantifié. Toutes choses égales par ailleurs, cette différence nest cependant significative que pour ceux ayant enregistré en outre une baisse dactivité (EFF-/ACT-). Ce résultat semble conforter lhypothèse selon laquelle ces établissements inscrivent aussi leurs pratiques dans des stratégies damélioration des performances financières caractéristiques des groupes.

I.2.3. Réduction deffectifs et autres ajustements :
quelle logique ?

Nous avons apparié les bases REPONSE et Sinapse afin de repérer les établissements ayant eu recours au chômage partiel entre 2008 et 2010. Historiquement, ce dispositif légal fut, en effet, créé en 195116 dans le but de préserver lemploi consécutivement à un sinistre, une insuffisance de matières premières ou de combustibles, ou une crise ponctuelle des débouchés (Dalmasso 2013, p. 206-207). En 2008, une instruction de la DGEFP stipule encore que le chômage partiel est « la principale mesure alternative au licenciement au motif économique17 ». De ce point de vue, ce dispositif sinscrirait donc dans une logique de 132type défensif et permettrait de préserver lemploi permanent face à une baisse dactivité. Mais on peut aussi noter que depuis 1979, les motifs légaux de recours au chômage partiel ont été étendus aux restructurations. Ainsi, comme le souligne Dalmasso (2013, p. 206), il peut également être utilisé comme instrument de gestion de la main dœuvre et notamment comme « moyen de se donner du temps avant de décider du sort des salariés (réemploi ou licenciement) ». Sa présence est donc aussi compatible avec une logique offensive18.

Nos résultats plaident plutôt pour une logique défensive. Pour le montrer, nous avons distingué les établissements nayant pas baissé leurs effectifs (EFF+) selon quils ont connu ou non une baisse dactivité. Dans le premier cas, on peut en effet penser que le recours au chômage partiel a contribué à empêcher les réductions deffectifs dans une logique purement défensive. À lopposé, sa présence dans les établissements nayant pas connu de baisse dactivité mais ayant pourtant réduit leurs effectifs témoignerait dun recours plutôt offensif. Et de fait (voir tableau 4), toutes choses inégales par ailleurs, le recours au chômage partiel est légèrement plus présent dans le premier groupe détablissements (8,6 %) que dans le second (7,6 %).

Tab. 4 – Recours au chômage partiel selon le profil de létablissement.

Notes : données pondérées

Lecture : Les établissements ayant eu recours au chômage partiel représentent 3,3 % des établissements nayant pas baissé leurs effectifs contre 5 % de lensemble des établissements.

Champ : Établissements de 11 salariés et plus du secteur marchand non agricole.

Source : Enquête REPONSE 2010-2011, volet Représentant de la direction et SINAPSE (3977 établissements).

Si, de ce point de vue, le recours au chômage partiel semble donc parfois protéger des réductions deffectifs, on constate cependant que, 133dans un contexte de baisse dactivité, il est plus important dans les établissements ayant baissé leurs effectifs (15,3 % dans le groupe EFF-/ACT-)19. Ceci nexclut cependant pas nécessairement la logique défensive. Il est en effet tout à fait possible que les établissements aient recours au chômage partiel pour protéger lemploi, mais que ce recours savère insuffisant face à lampleur des baisses dactivité.

Concernant les politiques de rémunération20, Brochard et Perraudin (2017) montrent, à partir dune classification des établissements en fonction de leurs pratiques en matière dajustements, que les baisses deffectifs sont souvent combinées avec des ajustements sur les salaires. Dans la lignée méthodologique des travaux de Deroyon et Romans (2014), la présence dun lien positif « toutes choses égales par ailleurs » avec les pratiques de baisse deffectifs permet de corroborer une telle complémentarité des ajustements portant sur lemploi et les salaires en période de crise. En effet, les établissements qui ont baissé leurs effectifs ont également pratiqué des politiques de modération, mais surtout de gel ou de baisse des salaires (tableau 2). Ceci est particulièrement vrai de ceux ayant connu en outre une baisse dactivité. En effet, alors que ces établissements (EFF-/ACT-) représentent seulement 11,8 % de lensemble des établissements, ils représentent 14,5 % et 28,3 % de ceux ayant pratiqué une politique de modération salariale, ou de gel ou baisse des salaires, respectivement. Une telle combinaison laisse penser que les établissements ayant connu une baisse dactivité enregistrent bien des difficultés dont limportance nécessite davantage dajustements, ce qui signalerait une attitude défensive. Sa présence significative dans les établissements nayant pas connu de baisse dactivité relativise cependant cette conclusion en signalant quelle peut aussi prendre toute sa place dans une logique offensive.

Amossé et alii (2016) constatent que lexistence dajustements sur lemploi ou les salaires est positivement corrélée à la présence syndicale. Selon eux, les syndicats, plutôt que dempêcher les ajustements, en négocieraient les modalités. Dans cette optique, la présence relativement plus forte des syndicats en France dans les établissements ayant procédé 134à des ajustements sur lemploi révélerait les ententes entre directions et syndicats pour privilégier les salaires au détriment de lemploi. Mais cette corrélation positive peut aussi révéler un ciblage offensif des baisses deffectifs sur les établissements les plus syndiqués, comme arme de lutte anti-syndicale. Quoi quil en soit, le tableau 2 confirme que les baisses deffectifs sont sur-représentées dans les établissements ayant un délégué syndical21. Et, toutes choses égales par ailleurs, ce sont bien les établissements ayant réduit leurs effectifs sans connaître de baisse dactivité (EFF-/ACT+) qui disposent plus souvent dun délégué syndical.

Lanalyse quantitative nous a ainsi permis de distinguer deux types détablissements ayant réduit leurs effectifs selon quils ont connu ou pas une baisse dactivité. Sans surprise, les établissements ayant réduit leurs effectifs sans avoir subi de baisse dactivité (EFF-/ACT+) sont, davantage que les autres, dépendants des groupes, indiquant la présence dune logique plus offensive. Les établissements ayant enregistré une baisse conjointe dactivité et deffectifs (EFF-/ACT-) en cette période de crise sinscrivent dans une logique plus défensive marquée par un recours plus fréquent au chômage partiel ainsi que par un cumul dajustements portant sur les effectifs et les salaires. Pour autant, cet ensemble détablissements partage un certain nombre de caractéristiques avec les précédents (qui nont pourtant pas subi de déclin dactivité) : lappartenance à un groupe (même si de façon moins marquée), la présence dun délégué syndical, lexistence dun objectif de rentabilité quantifié (cette fois-ci, même, de façon plus marquée). Tous ces signes de la présence dune logique offensive sèment le doute sur le caractère réellement défensif des réductions deffectifs dans un contexte de baisse dactivité. Pour le moins, ils signalent sans doute lhétérogénéité des pratiques dans ce groupe détablissements, aux caractéristiques finalement ambigües.

Lever cette ambiguïté nécessite de regarder plus en détail ce que vivent ces derniers. Lanalyse qualitative et le recours à des monographies parmi ces établissements permettra, en particulier, de donner de lépaisseur 135aux motivations des baisses deffectifs et de révéler ce qui peut se jouer derrière les baisses dactivités. Dans certains établissements, on verra même les deux logiques se superposer, soulignant ainsi la difficulté de les détecter à partir du seul traitement des données de lenquête REPONSE.

II. Derrière les baisses dactivité
des établissements réduisant leurs effectifs

En saisissant la réalité du point de vue dune autre totalité22 – celle de létablissement voire de lentreprise à laquelle celui-ci appartient –, le travail monographique permet de donner corps à ces premiers résultats.

Tous les établissements enquêtés lors du travail monographique ont connu, on la dit, à la fois une baisse dactivité et une baisse de leurs effectifs23. Lenjeu est désormais de déterminer ce que traduit la baisse dactivité, de démêler ses origines diverses et surtout son lien avec la crise macroéconomique, afin de mieux comprendre la nature offensive ou défensive des ajustements entrepris en son nom. Notre compréhension des origines de la baisse dactivité vient alors essentiellement des entretiens que nous ont accordés les représentants de la direction et du personnel des établissements concernés et des documents quils nous ont fournis (encadré ci-dessous). Il savère que, si la crise, qui justifie les réductions deffectifs de type défensif, est souvent convoquée lors des entretiens, notamment par les directions, elle ne peut expliquer seule les variations de chiffre daffaires ou dactivité constatées.

Lun des grands apports des monographies est de montrer que souvent, lentreprise traverse plusieurs types de difficultés intriquées (pour plus de détails, voir Perez et Thévenot coord. 2014 et Perez et alii 2015). Ainsi, la baisse dactivité peut traduire la crise macroéconomique, mais aussi dautres difficultés propres à lentreprise ou au secteur dactivité (2.1).

De surcroît, lorsque létablissement appartient à un groupe, la baisse dactivité constatée dans létablissement peut être le résultat dun déport 136dactivité, dune délocalisation larvée : la baisse dactivité nest alors plus exogène, mais délibérée, construite par le groupe (2.2).

Cette détermination des origines précises des baisses dactivité permet partiellement de comprendre quels types dajustement elles vont justifier. La caractérisation précise des ajustements ainsi que les registres de justification sont véritablement traités dans la troisième partie.

1. Méthodologie

Douze établissements ont été sélectionnés à partir de REPONSE24. Leurs principales caractéristiques structurelles, ainsi que les pseudonymes que nous leur avons donnés (pour préserver leur anonymat), sont récapitulés dans le tableau 5.

Tab. 5 – Caractéristiques des douze établissements.

Source : Post-Enquêtes REPONSE 2010-2011.

Notre appréciation de lorigine, de la nature et de lampleur de la baisse dactivité constatée est issue des récits de nos interlocuteurs. Des entretiens semi directifs de 1h30 à 2h ont été menés avec au moins un représentant de la direction (RD) et un ou deux représentants du personnel (RP), et dans certains cas avec dautres salariés, entre janvier 2013 et mars 2014. Le questionnaire portait sur leffet de la crise 137macroéconomique sur létablissement, ainsi que sur la nature et la justification des ajustements entrepris. Ces informations ont été complétées à partir de bilans sociaux, dinformations comptables accessibles sur les sites des groupes, de sources compilant les bilans des entreprises, ou encore darticles de presse.

Les établissements ont pu procéder à différents ajustements par le travail (emploi, rémunération, organisation du travail) dans la période de crise. Notre focus sur les réductions deffectif ne signifie donc pas que dautres ajustements nont pas été entrepris. Ainsi, les douze établissements ont aussi procédé sur la période à des réorganisations du travail, et pour plus de la moitié, à des politiques de modération ou de baisse des rémunérations. Ils sont dans leur quasi-totalité de grande taille (un seul a moins de 50 salariés), ils font partie du secteur industriel (hormis un établissement dans la grande distribution), et seulement trois dentre eux nappartiennent pas à un groupe (voir tableau 5).

II.1 Derrière la baisse dactivité, des difficultés diverses

Une grande majorité des établissements enquêtés est affectée par la crise macroéconomique. Ainsi, la crise du secteur du bâtiment concerne directement BTP, Peint, Élevation ou Tractplus. La crise du secteur de lindustrie automobile et de laéronautique touche Forge dont les commandes chutent de 40 % en 2009, mais également Pneu, Aero, Equip et surtout Grenaille dont le chiffre daffaires est divisé par 2 en 2009. Leffet de cette crise macroéconomique nest bien sûr pas de même ampleur pour toutes les entreprises, mais il est parfois extrêmement brutal.

Chez Equip ou ELEVATION, par exemple, les RD décrivent des chutes dactivité très importantes : « on a fait 45 % de chiffre daffaires en moins. On est passé de 250 millions à 140 millions, un truc comme ça, cétait vraiment très violent» (RD, EQUIP)Si ces effets sont parfois violents, ils peuvent être néanmoins temporaires, certaines entreprises renouant assez rapidement avec la croissance (AERO, Forge et Pneu).

La crise nest cependant pas lunique origine des baisses dactivité. Celles-ci peuvent, en effet, résulter de mauvais choix stratégiques. Par exemple, pour Coop – acteur de la grande distribution –, la dégradation de la situation économique et financière de létablissement sexplique, certes par les effets sur la consommation de la crise économique, mais aussi par des erreurs dans les choix de partenaires et dinvestissements. Cest aussi le cas de Sansfil – entreprise spécialisée dans les nouvelles technologies – dont les difficultés semblent aggravées par de mauvais choix de positionnement de lentreprise, qui sest ainsi vue concurrencée 138par des produits à bas coût. La baisse de son chiffre daffaires de 30 % ne doit dailleurs rien à la crise puisque le marché sur lequel elle évolue connaît, à la même période, une croissance de 30 %.

Les « difficultés » peuvent enfin venir de changements plus ou moins structurels, internes au secteur dactivité, parfois liés à des modifications de réglementation. Ainsi, le RD de PHARMA évoque les mesures de maîtrise ou de baisse des dépenses de santé dans les pays industrialisés ainsi quune imminente vague dexpiration de brevets et la générification consécutive de certains « blockbusters », avec une perte de chiffre daffaires importante. « Il y a actuellement très clairement une crise25 des systèmes de santé : les prix de remboursement, les déficits de la Sécurité sociale dans tous les pays développés du monde. Donc il y a très clairement une pression : on nous demande de baisser les prix des médicaments. Alors ça a un aspect direct sur lentreprise puisque, par exemple, il y a les génériques, il y a la générification et on ne nous autorise à mettre sur le marché que des médicaments qui apportent réellement une meilleure qualité de soin. » (RD, PHARMA)

Loin dêtre la conséquence de la seule crise macroéconomique, la baisse dactivité peut ainsi traduire des difficultés dimportances diverses et plus ou moins subies. Or, il savère quelle peut également être, partiellement ou totalement, le fruit dune stratégie.

II.2 Les baisses dactivité programmées
ou la construction interne de la crise 

Le niveau « établissement », qui est celui de lenquête REPONSE, nest pas le plus approprié pour appréhender leffet réel de la crise. Dans les établissements appartenant à une entreprise ou un groupe, nos interlocuteurs – y compris les directions – sont souvent incapables de nous fournir des indicateurs portant sur les performances financières ou lactivité de leur établissement, ces derniers étant construits et consolidés au niveau de lentreprise ou du groupe. Le cas de Sansfil est à cet égard emblématique : les activités sont transversales (organisation en business unit) et mobilisent conjointement des équipes de différentes filiales ; limputation du chiffre daffaires à telle ou telle filiale relève alors de choix du groupe.

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Toutefois, si cest au niveau de lentreprise ou du groupe que sont consolidés les indicateurs qui seront convoqués pour justifier les ajustements, cest bien dans les établissements que ces derniers seront réalisés. Cette séparation entretient une forme dopacité quant aux stratégies de lentreprise ou du groupe. La baisse dactivité constatée peut ainsi relever dun choix plutôt que de difficultés économiques ; elle est alors délibérément « produite » ou construite par le groupe, au gré de stratégies de déport volontaire dactivités dune filiale vers une autre, de stratégies de délocalisation progressive guidées par la quête dune plus grande rentabilité. Cest ce que nous avons pu constater notamment chez Pharma, Sansfil, Pneu et EQUIP.

Certaines des difficultés de létablissement enquêté du groupe PHARMA, spécialisé dans la R&D, sont liées à la politique du groupe, qui cherche à réduire le ratio frais de R&D/chiffre daffaires, mais aussi parallèlement son ratio France/Monde au sein même de cette branche R&D. Ces « difficultés » de létablissement ne reflètent donc pas du tout la santé économique du groupe. Le groupe Sansfil, quant à lui, pâtit bien dune mauvaise gestion, mais il sengage aussi simultanément dans un déport dactivité vers lAsie, déport dénoncé par les salariés. Un scénario très similaire se joue chez PNEU : les baisses de commandes liées au choc macroéconomique se superposent à une stratégie de délocalisation dun atelier.

Enfin, Equip traverse une crise brutale, liée à la crise macroéconomique. Mais si la crise ne semble pas instrumentalisée par la direction, nos interlocuteurs, à lunanimité, minorent sa gravité. Le RP relate ainsi les effets dun autre « problème » lié à la stratégie du groupe qui conduit à la fermeture progressive des sites implantés en France alors que ces derniers affichent une bonne santé économique : « Maintenant les problèmes quon a, cest aussi des problèmes dune autre nature, cest vraiment lié à la stratégie du groupe et non pas à cette crise qui était soudaine et qui venait essentiellement de la chute des carnets de commandes, qui venait des constructeurs. Là, le volume de produits, y a des petites baisses dans ce quon fait, mais parce quils ne veulent plus faire faire ça par nous. Cest une autre problématique. » (RP-CFDT, EQUIP)

En effet,le groupe décide de manière unilatérale, sans concertation avec les directions des sites, quel site assurera la production de tel ou tel produit, instaurant une forme de concurrence intra-groupe à léchelle mondiale. Et de fait, depuis le milieu des années 2000, une partie des 140activités réalisées en France est transférée vers des pays dEurope de lEst. Alors, ce nest pas seulement la baisse dactivité mise en place en amont qui engendre une diminution des effectifs, cest au contraire la réduction des effectifs, de type offensif, programmée sur le long terme conformément à la stratégie de délocalisation, qui engendre en partie la baisse dactivité. La causalité entre baisse dactivité et réduction deffectifs est « inversée ». Ceci apparaît clairement dans les propos même dun représentant du personnel dEQUIP : « Les années quon a passées, ils nous donnaient du travail par rapport à leffectif. Donc vu quils baissaient les effectifs, à chaque fois la charge baisse. On avait le travail en fait, mais on nous lenlève parce quon nest plus assez. (…) La charge, vu quon nest pas les seuls à faire ces produits-là, il y a très peu de produits spécifiques et il y a très peu de produits où on est spécifique (…). Maintenant cest dans les pays [de lEst]. » (RP-SUD, EQUIP).

En résumé, lensemble de ces monographies permet de montrer que les baisses dactivité ne sont pas toujours dues à la seule crise macroéconomique. Elles peuvent en effet aussi traduire des difficultés dune autre nature ou être, au contraire, la conséquence dune stratégie délibérée des groupes. Le travail monographique permet ensuite, à travers les différents récits des acteurs, de comprendre la nature offensive ou défensive des ajustements entrepris au nom de ces baisses dactivité. Le tableau 6 résume le lien, pour chaque établissement, entre lorigine de la baisse dactivité et la nature des ajustements entrepris, en rappelant lappartenance à un groupe et le recours éventuel au chômage partiel. Au regard du profil ambigu des établissements étudiés dun point de vue quantitatif, il entend illustrer le lien entre crise macroéconomique et réduction des effectifs : quand la baisse dactivité est subie et fruit de la crise macroéconomique, les ajustements sont défensifs ; quand la baisse dactivité est délibérée et orthogonale à la crise, les réductions deffectifs sont offensives. Comme attendu, les ajustements offensifs ont tous été entrepris dans des établissements appartenant à un groupe. De même, le chômage partiel est toujours associé à la crise macroéconomique, ce qui alimente lhypothèse dun recours au chômage partiel de type défensif.

La troisième partie contribue à confirmer et préciser cette conclusion en sintéressant dune part à la forme précise que prennent ces ajustements 141selon quils sont offensifs ou défensifs, et dautre part aux registres de justifications alors mobilisés ainsi quà la légitimité de ces ajustements pour les salariés.

Tab. 6 – Nature des ajustements et origine
des baisses dactivité dans les douze établissements.

Source : Post-Enquêtes REPONSE 2010-2011.

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III. Nature et légitimité des ajustements

Lorigine précise de la baisse dactivité est donc déterminante pour comprendre la nature des ajustements entrepris. Dans le cas dune crise macroéconomique, les ajustements viseraient, de manière défensive, à maintenir lemploi permanent en priorité selon une logique de réduction des effectifs allant de la périphérie au cœur (3.1). En revanche, lorsque les ajustements sont offensifs, supprimer des emplois permanents devient la priorité, la réduction des effectifs pouvant même expliquer, du moins en partie, la baisse dactivité constatée (3.2). La distinction entre ajustements défensifs et offensifs est particulièrement difficile à opérer en temps de crise, quand les effets de la crise macroéconomique se conjuguent à des stratégies de délocalisation et que la baisse dactivité est à la fois subie et construite (3.3).

La nature de la baisse dactivité influence aussi la légitimité des réductions deffectifs aux yeux des salariés : les ajustements défensifs sont généralement mieux acceptés, malgré un fort sentiment de résignation (FORGE, ELEVATION, GRENAILLE), que lorsque les ajustements sont offensifs (PNEU, PHARMA, SANSFIL). Cest pourquoi la tentation est grande pour les directions, de présenter des ajustements offensifs comme des ajustements défensifs et inévitables (Boyer 2005). Bourguignon et Guyonvarch (2010) établissent que, dans 30 % des plans de sauvegarde quils étudient, la rhétorique de la crise est mobilisée par les directions alors que le plan était décidé avant.

Il sagit donc dans cette section tout dabord de caractériser plus précisément les ajustements résumés dans le tableau 6 en fonction de lorigine des baisses dactivité constatées, mais aussi, en filigrane, de sinterroger sur les processus de légitimation des ajustements par les directions.

III.1. Ajustements de crise

Lorsque la baisse dactivité constatée est une conséquence directe de la crise macroéconomique, lobjectif des ajustements est de maintenir autant que possible lemploi permanent. Cest le cas de PEINT, BTP, GRENAILLE, ELEVATION, AERO, FORGE, EQUIP et TRACTPLUS. 143Les ajustements sopèrent alors souvent selon une séquence type éprouvée, allant de la périphérie vers le cœur (Perez, Thèvenot coord. 2014) : tout dabord, le rapatriement des activités et le gel des embauches, la baisse de lintérim et des contrats temporaires ; puis le recours éventuel au chômage partiel – de type défensif, donc – et, si ces mesures savèrent insuffisantes, à des licenciements individuels ; enfin, seulement en dernier recours une réorganisation avec un plan de départs volontaires parfois adossé à un plan de sauvegarde de lemploi. La nécessité des ajustements est alors rarement contestée par les salariés26. Ces derniers tentent de négocier lampleur des ajustements et leurs modalités sans remettre en question le principe de la réduction des effectifs.

FORGE est emblématique de ce cas de figure. En réponse à une chute dactivité de 40 %, suite à une baisse des commandes des constructeurs aéronautiques, cet établissement a procédé à divers ajustements afin déviter les plans sociaux et préserver lemploi permanent. Les premières variables dajustement deffectifs sont lintérim (170 missions supprimées en 2009) et le rapatriement dune partie des activités sous-traitées (équivalant à 25 emplois). Ces mesures savérant insuffisantes, la direction recourt au chômage partiel en 2010 (728 salariés concernés). Aucun plan de départ, aucun licenciement nest envisagé, une stratégie rendue possible grâce au caractère temporaire de la baisse dactivité. En effet, grâce au dynamisme de laéronautique, porté par des commandes importantes pour les années à venir, la crise est perçue – et savère en effet de très courte durée27.

Ces ajustements sont présentés comme directement liés à la crise et sont bien acceptés par les salariés, et ce, dans un contexte de relations sociales plutôt pacifiées, marqué par une culture du compromis. Ainsi les baisses dintérim et le rapatriement de sous-traitance ne sont pas contestés28. La négociation a surtout porté sur le chômage partiel dont les syndicats ont obtenu quil soit appliqué à tous de manière égalitaire 144et non centré sur les ateliers les plus touchés, et ce, en échange dune plus grande mobilité interne entre ateliers du site, souhaitée par la direction et mise en place de manière durable29.

Cette séquence dajustement des effectifs est aussi mise en place dans létablissement ELEVATION, même si le plan social ne pourra finalement pas être évité. Lentreprise subit la crise dans la construction immobilière et voit son chiffre daffaires divisé par trois entre 2008 et 2010. Quasi simultanément à larrivée de la crise, fin 2007, elle est rachetée par un groupe espagnol. Commence alors une série dajustements – sous légide du nouveau groupe – visant à retrouver des bénéfices (rationalisation des dépenses) puis à faire face à la chute dactivité : rapatriement dactivité, une petite dizaine de licenciements économiques ciblés en 2009, puis un recours au chômage partiel, et enfin, un plan de départs volontaires en 2010.

Et puis fin 2009 début 2010 on a fait du chômage technique, 3-4 jours fin 2009 et au moins autant début 2010, même un peu plus je crois et on a bien vu que les perspectives d activité étaient à nouveau en baisse par rapport à l année précédente (…), donc là vous n avez plus de moyen d agir pour arriver à compenser, donc on est passé à une action plus large sur les Ressources Humaines cette fois-ci, sur les effectifs et on a mis en place un plan de départs volontaires en 2010. Plan de départs volontaires parce qu on a jugé que c était moins douloureux que les licenciements économiques. (RD, ELEVATION)

Les premiers licenciements économiques de 2009 sont mal accueillis (manifestations, petits arrêts de travail) et, sur les 8 licenciements, 5 seront portés devant les prudhommes. Une expertise extérieure commandée par le comité dentreprise confirme alors le caractère économique de ces premiers licenciements, de sorte que le plan suivant est mieux accepté par les salariés, avec plus de départs quespéré (60 volontaires pour 40 emplois supprimés), même sil nécessite une réorganisation du travail (passage en journée continue dans les ateliers) et saccompagne dune modération salariale : « cest pour ça que quand on met en place le plan de départs volontaires lannée daprès, les gens comprennent tout à fait 145parce que ça va dans le sens du rapport de lexpert qui datait de moins de 6 mois » (RD, ELEVATION)30.

Ces deux exemples illustrent bien la volonté de maintenir lemploi permanent en cas de baisse subie dactivité et lacceptation, souvent emprunte de fatalisme, des salariés. Le recours au chômage partiel apparaît alors comme un signe dajustements plutôt défensifs ; il intervient ici pour éviter la réduction des emplois permanents. Parmi les établissements enquêtés, six ont recours au chômage partiel, et tous font des ajustements intégralement ou partiellement défensifs (COOP, ELEVATION, EQUIP, FORGE, GRENAILLE et PNEU). De manière symétrique, dans le cas de réductions deffectifs strictement offensives (PHARMA et SANSFIL), la séquence des ajustements ne contient pas de recours au chômage partiel (voir tableau 6).

III.2. Ajustements offensifs en temps de crise

Lorsque la baisse dactivité est délibérée, les ajustements sont offensifs, et la baisse de lemploi permanent nest plus le dernier recours mais lobjectif même des ajustements. Les réductions deffectifs visent à augmenter la rentabilité et à réduire le coût du travail. Les ajustements de lemploi permanent peuvent être progressifs, avec des départs en préretraites par exemple (EQUIP), notamment quand la délocalisation est masquée, suivant une logique dérosion constante de lactivité. Mais ils peuvent aussi être plus directs et prendre la forme de plans de départs volontaires ou de sauvegarde de lemploi. Ainsi, SANSFIL et PHARMA procèdent à des plans de départ dus à des transferts dactivité totalement indépendants de la crise macroéconomique. Cette dernière nest dailleurs pas particulièrement instrumentalisée : la direction de PHARMA névoque pas la crise économique pour justifier ses plans sociaux. Les salariés dénoncent alors une logique purement financière.

Le cas de Sansfil est plus compliqué. Le chiffre daffaires de létablissement baisse en 2008, baisse qui va en partie justifier un plan social en 2009 supprimant près dun tiers des effectifs (77 postes 146supprimés). Le RD invoque tout dabord la crise économique – « des ralentissements des grands marchés, les ralentissements des commandes où quelles soient, dans le monde entier » – pour justifier les ajustements entrepris : il fallait donc « ajuster notre échelle, notre organisation, la taille à léchelle de notre marché » (RD SANSFIL). La crise, et plus précisément la crise des subprimes, aurait, avec ses effets sur le marché immobilier américain, ralenti le marché de la sécurité domestique où le groupe (et non létablissement) était présent31. En réalité, leffet de la crise sur lactivité de létablissement est plus que discutable. Le RD le reconnaît par ailleurs lors de lentretien et la crise ne semble pas avoir été particulièrement instrumentalisée lors des négociations avec les salariés.

Le plan social sexplique par divers facteurs intriqués et difficiles à accepter par les salariés. Tout dabord, la baisse du chiffre daffaires de létablissement est ponctuelle et liée, on la dit plus haut, à une mauvaise anticipation par la direction de la concurrence de nouveaux produits. Or, comme le souligne Boyer (2005), aucun licenciement ne peut être justifié par une erreur de gestion de la direction32. Ensuite, les salariés contestent le motif économique du plan. Létablissement dispose en 2009 dune trésorerie abondante. Ce qui semble en jeu pour les salariés, cest la possibilité dinvestir cette trésorerie dans de nouvelles technologies et « non dans un plan social et des reclassements » (RP, non syndiqué) : il sagit dune confrontation entre une stratégie industrielle dinvestissement et une stratégie financière de court terme. Lexpertise commandée par le comité dentreprise confirme dailleurs que la politique de réduction de coûts et des effectifs choisie par la direction nest pas nécessairement la plus pertinente pour une entreprise opérant sur un secteur de nouvelles technologies en pleine croissance. Enfin, dernière explication, le groupe, 147coté en bourse, procède à des déports dactivité vers les pays émergeants visant à augmenter la rentabilité et à soutenir le cours de laction. Le RD reconnaît la logique « doptimisation boursière33 » qui a joué dans lélaboration du plan, et qui explique la faible légitimité de ce dernier aux yeux des salariés, notamment au regard de plans précédents qui, bien que plus importants, furent mieux acceptés : « Quelque part, cétait je dirais presque plus difficile que les plans sociaux que javais traversés en 2004-2005, qui étaient terribles, parce que cétaient des centaines et des centaines, mais qui étaient tellement évidents que… (…) 2008 [2009], il y avait une part doptimisation dans notre plan social, il y avait déjà des activités chinoises qui se développaient. Donc il y a du déport dactivités, des choses comme ça. Donc sur ce plan-là, la tension était plus vive ». (RD, SANSFIL)

En effet, le climat social est tendu, et ce, dans un établissement traditionnellement calme, avec un salaire médian et des qualifications bien supérieurs à la moyenne. Linstrumentalisation de la crise nest pas en jeu – elle est rendue difficile par lessor du secteur dactivité de lentreprise. Ce sont surtout le motif économique du plan et sa logique purement financière qui sont contestés.

III.3. Ajustements opportunistes et logiques poreuses 

Lorsque la baisse dactivité est à la fois subie (crise macroéconomique) et construite (déports dactivité), la frontière entre ajustements défensifs et offensifs devient extrêmement poreuse (PNEU, EQUIP). Comme le soulignent Beaujolin et Schmidt (2012, p. 19) à propos des restructurations, cette distinction est délicate en période de crise : « le développement de restructurations de compétitivité nempêche pas pour autant une accélération des processus de restructuration lors de crises, 148accompagnée dun accroissement des pertes demploi ». Ici, deux cas de figure se sont présentés à nous :

Soit, singulièrement, les deux logiques antagoniques – recherche de la préservation de lemploi versus recherche de la réduction de lemploi permanent – coexistent. Cest le cas à EQUIP.

Soit la crise économique produit un effet daubaine permettant de procéder à des ajustements opportunistes. La crise macroéconomique peut alors permettre de faire passer des ajustements offensifs pour des ajustements défensifs, pour en faciliter lacceptation (PNEU). Une telle instrumentalisation est facilitée lorsque les origines de la baisse dactivité sont intriquées, relevant à la fois de la crise et de stratégies de déport. Elle est, en revanche, plus délicate quand létablissement ne subit pas du tout la crise (PHARMA, SANSFIL).

III.3.1. EQUIP ou la coexistence des deux logiques

Le groupe EQUIP entreprend depuis le milieu des années 2000 une stratégie de délocalisation vers les pays dEurope de lEst, dans une logique de mise en concurrence de ses propres sites. Il réduit progressivement lemploi permanent de létablissement, principalement via des pré-retraites et la suppression de lemploi temporaire :

Le groupe EQUIP a implanté pour la partie qui nous intéresse (…) un site [ en Hongrie ] qui a démarré dans les années 2004-2005, et qui, petit à petit, a pris certaines capacités de production que nous faisions jusqu alors et donc on a accompagné ce transfert. Ça s est fait progressivement hein, c est pas du jour au lendemain qu on ferme la moitié de l atelier, heureusement et de toute façon, je pense que ce ne serait pas passé comme ça, facilement et donc on a accompagné ça de la mise en place de plusieurs plans d accompagnement, j ai envie de dire baisse des effectifs, mais dans des approches comme on aime bien les faire chez EQUIP, qu on appelle « socialement acceptables », c est-à-dire qu on l a fait par des dispositifs de préretraites financées par le groupe, sans faire appel aux pouvoirs publics. (RD, EQUIP)

Cest dans ce contexte dérosion volontaire des effectifs que survient la crise macroéconomique fin 2008 et 2009. La logique dajustements est alors défensive et consiste cette fois-ci à maintenir lemploi permanent, les compétences : « Notre volonté était de réduire [les effectifs] mais le groupe EQUIP a pris comme option de dire ça va repartir. Il y avait 149déjà eu des expériences passées en 1993 et 2001 qui avaient montré que réduire drastiquement, cest pas la bonne solution parce que quand ça repart, on na plus les forces en présence » (RD, EQUIP).

Les salariés sont alors contraints dépuiser leurs jours de congé, des mesures de chômage partiel sont mises en place et les activités sous-traitées sont rapatriées. Comme le souligne le RD,« plutôt que dacheter de lactivité à lextérieur, on va regarder ce quon pourrait faire faire à nos salariés qui soit dans leur domaine de compétences et que aujourdhui on achète, pour occuper des salariés ».

Ces ajustements nont pas véritablement affecté le climat social dans lentreprise. Face aux ajustements défensifs, les salariés oscillent entre acceptation et résignation (et sont en réalité davantage affectés par la délocalisation progressive, même si cette stratégie nest jamais évoquée par la direction). De surcroît, ces ajustements nont pas affecté lemploi permanent et le chômage partiel a été bien accueilli (« les gens étaient contents davoir le boulot – et ils étaient bien indemnisés – et de conserver leur emploi, de ne pas être menacés » (RP-CFDT, EQUIP)). Mais la résignation des salariés sexplique aussi par des possibilités de contestation limitées à cause dun chantage à la fermeture exercé par la direction du groupe en cas de grève.

III.3.2. PNEU ou linstrumentalisation partielle de la crise

La crise macroéconomique affecte PNEU en 2009, avec plus dun tiers de baisse des volumes produits (baisse qui affecte dans une moindre mesure le groupe). Immédiatement, le groupe met en place une réduction de lintérim et des CDD, puis du chômage partiel, totalement indemnisé par le groupe, et enfin, un an après, un plan de départ volontaire de 477 postes, avec notamment la fermeture de lun des ateliers de létablissement, latelier tourisme. Leffet de la crise sur létablissement et le groupe est reconnu par tous mais son rôle dans la décision du plan reste secondaire. La rentabilité du groupe baisse depuis le milieu des années 2000 et la crise ne semble quaccélérer la tendance.

Face à une « surcapacité de production » des véhicules de tourisme, lensemble des usines européennes étant« utilisées à 70 % de leurs capacités », le RD raconte que les raisons ayant dicté le choix de latelier qui allait fermer nont rien à voir avec la crise : « Donc il a été choisi 150de fermer lunité de PNEU pour plusieurs raisons. Une, liée au type de produits (…) Le deuxième aspect, cest la performance intrinsèque du site. Et le troisième aspect, cest aussi quelles sont les possibilités pour traiter au mieux la problématique sociale (…) Dans un site où il y a plusieurs activités, cest plus facile quand on ferme une activité de reclasser du monde » (RD, PNEU)

Quant au RP, il reconnait leffet de la crise, mais rejette lidée que celle-ci soit à lorigine de la fermeture de latelier. Tout dabord, le problème de surcapacité au niveau européen naurait pas dû, selon lui, affecter les sites français de PNEU : « aujourdhui, on est en sous-capacité de pneus tourisme. On en exporte 50 millions, en France, on en importe 75 millions (…) On aurait largement pu garder ces marchés-là chez nous » (RP-CGT, PNEU). Pour les salariés, la baisse dactivité est construite par le groupe qui stoppe les investissements et met leur site en surcapacité. Le RP évoque « les choix stratégiques industriels pour des gains de rentabilité, des augmentations de marge », cest-à-dire des ajustements offensifs. Pour les salariés, la performance du site par rapport à dautres semble être centrale dans la décision de fermeture de latelier mais difficile à vérifier. Le climat social est très tendu à lannonce du plan, le site est bloqué et des actions en justice et aux prudhommes sont menées34.

Conclusion

Les ajustements deffectifs entrepris en temps de crise ne sont donc pas tous des ajustements de crise, de type défensifs puisque les baisses dactivité en temps de crise ne sont pas toutes des baisses dactivité de crise. Le lien de causalité entre baisses dactivité et deffectifs est ainsi 151particulièrement difficile à interpréter quand les logiques défensives et offensives sont à lœuvre simultanément.

Si, quoi quil en soit, réductions deffectifs et baisses dactivité sont fortement corrélées, nous avons mis en évidence lexistence dune double causalité : dans la logique défensive, les baisses dactivité sont à lorigine des réductions deffectifs en temps de crise (PEINT, ELEVATION, FORGE par exemple) ; dans la logique offensive, cest tout le contraire : les réductions deffectifs produisent les baisses dactivité (comme chez PNEU ou PHARMA).

Ces deux logiques, se distinguent également par le séquençage des types dajustements opérés sur les effectifs. Dans la logique défensive, la séquence typique cherche à préserver lemploi permanent et la réduction des effectifs constitue la dernière étape. À linverse, la réduction de lemploi permanent est lobjectif même de la logique offensive.

Enfin, la légitimité et lacceptation des licenciements par les salariés est facilitée par la convocation dune cause exogène, présentée comme incontournable (Boyer 2005). En temps de crise, certaines directions peuvent alors chercher à rendre exogènes des baisses dactivité en réalité endogènes. Cette forme dinstrumentalisation de la crise ne caractérise pas les cas où la baisse dactivité est orthogonale à la crise. Jamais par exemple les directions de PHARMA ou de SANSFIL ne mobilisent clairement la crise pour justifier auprès des salariés leurs plans sociaux. Les effets daubaine apparaissent davantage quand la crise est avérée mais combinée à la mise en place de stratégies financières. La porosité de la frontière entre les baisses dactivité subies et construites facilite alors des formes dajustements opportunistes, des sur-ajustements, plus difficiles à déceler pour les salariés. Cest pourquoi lidentification précise des difficultés de létablissement est ici déterminante pour ces derniers. Se joue leur capacité, à travers notamment le recours fréquent aux expertises extérieures, à accéder à linformation pertinente sur les stratégies des groupes (Metzger et alii 2015). Plus précisément, se joue dans ces coexistences dajustements défensifs et offensifs difficiles à démêler, la légitimité du motif économique des baisses deffectif.

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1 Cet article sinscrit dans la continuité dun rapport de recherche réalisé pour la Direction danimation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du Ministère du travail suite à un appel doffres portant sur les post-enquêtes à lenquête Relations Professionnelles et Négociations dEntreprises (REPONSE 2010-2011). Voir Perez, Thèvenot coord. (2014). Nous remercions lensemble des chercheures impliquées dans ce contrat ainsi que les participants au séminaire STEP du Centre déconomie de la Sorbonne. Nous tenons tout particulièrement à remercier Corinne Perraudin ainsi que les deux rapporteur(e)s anonymes pour leurs précieuses remarques et suggestions. Nous restons seules responsables des éventuelles erreurs.

2 Notons que si cette distinction est répandue dans la littérature, certains auteurs proposent des variantes. Ainsi, Reynaud (2012) qualifie de « défensifs » des ajustements qui répondent à des « difficultés » non liées au chiffre daffaires, mais à une position financière faible dans les entreprises cotées.

3 Les monographies ont été conduites dans le cadre des post-enquêtes à lenquête REPONSE (voir Perez et Thévenot coord. 2014).

4 Nous avons exclu de lanalyse 46 établissements : ceux nayant pas répondu aux questions relatives à la variation du volume dactivité (31), à la présence dun délégué syndical (2), à la politique de rémunérations mise en place (10) ainsi quà lévolution de lemploi (3).

5 Pour une telle analyse, se référer notamment à la synthèse de Datta et alii (2010).

6 Le nombre de défaillances dentreprises dépasse 60 000 en 2009 et en 2010, alors quil se situait entre 40 000 et 55 000 avant la crise (source : INSEE, Banque de France). Selon Fougère et alii (2013), la proportion de défaillances imputables à la crise varie entre 25 et 50 % selon les secteurs.

7 217 établissements dans léchantillon, ce qui représente, une fois pondéré, 4,3 % des établissements.

8 Il est en effet toujours possible de jouer sur lemploi intérimaire, les salaires, les heures travaillées, la mobilité interne, le rapatriement dactivité, etc. (voir Perez, Thèvenot et alii, 2015, qui étudient la pluralité des modes dajustement par le travail pendant la crise). Le propos de Boyer (2005) est précisément de montrer en quoi une réduction des effectifs reste in fine un choix de la direction et non la conséquence inéluctable de certaines difficultés.

9 Par ailleurs, les deux variables renseignent sur lévolution des effectifs et du volume dactivité sur les trois dernières années, sans que lon ne dispose de linformation sur leur séquençage pendant cette période.

10 Les établissements constituant une tête ou une filiale de groupe sont regroupés dans la modalité « groupe » alors que lensemble des autres établissements (franchises, établissements liés à un groupement dentreprises, indépendants) sont qualifiés d« indépendants ».

11 Reynaud (2012) montre aussi à partir dune analyse comparative dentreprises qui ont supprimé des emplois au milieu des années 1990, que les entreprises cotées réagissent à des indicateurs financiers dégradés alors que les entreprises non cotées recourent davantage à une stratégie défensive en étant proches de la faillite.

12 Les établissements ayant pour actionnaire principal une famille sont très nettement sur-représentés dans le groupe EFF-/ACT-. Or, les travaux des gestionnaires font lhypothèse que les entreprises familiales privilégient une temporalité plus longue et sont davantage dans des logiques industrielles que les entreprises à gouvernance actionnariale (Beaujolin-Bellet et Schmidt 2012), même si les études empiriques ne le confirment pas toujours (Datta et alii 2010).

13 Ces variables complétant linformation sur lappartenance de létablissement à un groupe nont pas été intégrées au modèle du tableau 2 car elles nétaient pas significatives.

14 Une variable renseigne sur le niveau de rentabilité de létablissement par rapport à celle de ses concurrents (Inférieur, Supérieur ou égale, Ne sait pas), tel quil est perçu par le représentant de la direction. Sur lensemble des établissements, 17 % ne savent pas situer leur niveau de rentabilité par rapport à celui de leurs concurrents et 13 % considèrent quil est inférieur. Mais, dans la mesure où elle est déconnectée des pratiques et ne traduit aucune dynamique, une telle variable ne peut pas être considérée comme illustrative du caractère offensif ou défensif des baisses deffectifs.

15 La question est la suivante : « en 2010, des objectifs [de rentabilité] précis et quantifiés ont-ils été fixés (éventuellement par vous-même) pour létablissement ? ».

16 La première réglementation date du 12 mars 1951.

17 Instruction DGEFP no 2008/19 du 25 novembre 2008 relative au chômage partiel et à la prévention des licenciements, cité par Dalmasso (2013, p. 205).

18 Pour une autre analyse comparée du recours au chômage partiel en temps de crise, voir Calavrezo, Duhautois (2013).

19 Le tableau 2 montre que, toutes choses égales par ailleurs, les établissements de ce groupe recourent massivement plus au chômage partiel que les autres.

20 Le questionnaire de lenquête REPONSE demande aux représentants de la direction des établissements quelle « politique de rémunérations [a été mise en place] pour faire face à la crise au cours des trois dernières années » : aucune, modération, gel ou baisse.

21 La variable Présence dun délégué syndical a trois modalités : « dans létablissement » lorsquun délégué syndical est présent dans létablissement ; « dans lentreprise » lorsquun délégué syndical est présent dans lentreprise à laquelle appartient létablissement, mais pas dans létablissement lui-même ; « pas de délégué syndical » lorsquaucun délégué syndical nest présent dans lentreprise.

22 Pour reprendre les termes de Desrosières (2008).

23 La méthodologie denquête ainsi que le profil des établissements sont précisés dans lencadré page suivante.

24 Ils ont été sélectionnés à partir dune typologie statistique des établissements de lenquête REPONSE 2010-2011 construite selon leurs ajustements en matière deffectifs, de rémunération et dorganisation du travail. Seules les classes ayant effectué des ajustements défavorables ont été retenues (Perez et Thévenot coord., 2014).

25 Notons quon constate lors des entretiens un usage très polysémique du terme de crise qui renvoie à des difficultés très diverses – délocalisation, changement structurel du secteur dactivité, etc. (voir aussi sur ce point le constat de Bory et Oeser 2013).

26 À lexception de TRACTPLUS, où leffet de la crise est incontestable, mais où le plan mis en place par la direction américaine est sans départ volontaire et, en conséquence, jugé brutal. Il donnera lieu à un conflit très lourd, porté devant les tribunaux.

27 La direction a notamment un mauvais souvenir du dernier plan de réduction deffectifs mis en place en 2003 qui avait considérablement altéré la capacité de létablissement à faire face à la reprise dactivité ultérieure.

28 Les représentants des salariés ont une position ambigüe à légard de lintérim : ils luttent généralement pour lembauche des salariés en intérim, mais acceptent néanmoins quils constituent, en temps de crise, une des premières variables dajustements après le rapatriement de la sous-traitance. Voir aussi sur ce point, le constat plus général de Béthoux et alii (2011).

29 « Ce qu on a en fait dealé entre guillemets, avec les partenaires sociaux, c est qu on organisait la sortie de nombreux intérimaires, on ne rentrait pas tout de suite dans un chômage partiel qui aurait été différencié selon les secteurs d activité, en échange, ils ne nous mettaient pas des bâtons dans les roues dans notre politique de mobilité interne » (RD, FORGE).

30 Le climat se détériore ensuite : alors que lentreprise renoue enfin avec les bénéfices, son principal client et ancien propriétaire se désengage progressivement. Un second plan de départs est établi par le groupe pour faire face à cette nouvelle baisse annoncée dactivité. Il est moins bien accueilli car le motif économique du plan semble moins clair pour les salariés.

31 Le propos du RD est cependant passablement confus : « Donc on a pris un choc économique, cest une crise, cest la crise des subprimes. Aujourdhui, quand on dit la crise, elle est faite de quoi ? Cest des crises. Pour lentreprise, il y a des crises liées au marché, lévolution des marchés, à la concurrence. Puis, il y a des crises qui sont liées aux économies, selon les pays. Mais quand on parle de la crise aujourdhui, cest la bulle qui a éclaté en 2000, cest la crise des subprimes qui a entraîné un jeu de dominos terrible au niveau de léconomie mondiale (…) Donc la croissance, tout ça est impacté. On a vu ça aux États-Unis, premier choc, on la pris dans la figure. Cétait quand la crise des subprimes ? ».

32 Boyer (2005, p. 186) montre notamment en quoi les licenciements, pour être acceptés et donc considérés comme légitimes par les salariés, doivent avoir une cause exogène et objective. Ainsi, les licenciements justifiés par des causes endogènes ou personnalisées – comme une mauvaise gestion des dirigeants – sont souvent jugés illégitimes.

33 Il affirme notamment : « Laction peut passer par des phases où elle est basse, mais vos Conseils dadministration, ils réagissent assez vite à ce genre de choses. Ils vous demandent de prendre des mesures et les mesures cest quoi ? Soit vous avez un Conseil dadministration qui accepte dinvestir et accepte davoir une action basse, mais pour ça, il faut en général que dans ce Conseil dadministration, il y ait des actionnaires fondateurs ou autres, qui ont des parts importantes, qui réagissent en capitalistes au sens industriel du terme, qui réagissent en industriels donc qui disent : “Ok, mon entreprise, je sais quelle va bien, les marchés ne sont pas favorables, mais on tient, et on a des marchés, on va attendre, ça va passer”. Soit vous avez des fonds de pension, et eux disent Attends, on va changer de cheval. Si vous ny arrivez pas les gars, on va mettre nos sous ailleurs puis le résultat de notre action seffondre, et tout le monde hurle, tous les financiers ».

34 Si notre objet nest pas ici lanalyse des conflits, notons toutefois que les relations sociales dans lentreprise sont en général délétères et que lannonce du plan a engendré un important mouvement social, très relayé par la Presse. Labsence dinformation et léloignement géographique de la direction centrale, seule décisionnaire, empêchent les salariés et les syndicats de peser sur les décisions. Le mouvement social a permis de négocier labsence de licenciement et les conditions de certains départs (notamment certaines mesures dâge). Sont contestés aux Prudhommes les modalités dannonce du plan et le comptage des journées de fermeture du site (décidé par la direction) comme des journées de grève.