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Classiques Garnier

Ressources immatérielles de l’entreprise et développement durable

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Entreprise & Société
    2021 – 1, n° 9
    . varia
  • Auteur : Tertre (Renaud du)
  • Résumé : Les ressources immatérielles de l’entreprise constituent un puissant levier qui lui permet de s’engager dans le développement durable à deux conditions. Tout d’abord, il est nécessaire de « traduire » les objectifs de développement durable termes opérationnels grâce à l’adoption de la démarche RSE. Ensuite, il faut intégrer le développement planifié des ressources immatérielles dans les outils de gestion de l’activité de l’entreprise, conçus en termes de processus. Ces conditions présupposent l’existence d’un référentiel d’évaluation des ressources immatérielles, dont l’article examine les caractéristiques aux plans institutionnel et opérationnel.
  • Pages : 177 à 214
  • Revue : Entreprise & Société
  • Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
  • EAN : 9782406122036
  • ISBN : 978-2-406-12203-6
  • ISSN : 2554-9626
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12203-6.p.0177
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 25/08/2021
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : capital immatériel, Information extra-financière, Développement durable, Responsabilité sociale des entreprises RSE, Gouvernance d’entreprise
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Ressources immatérielles de lentreprise et développement durable

Renaud du Tertre

Université de Paris-Ladyss

Introduction

Une invitation à revisiter
le modèle économique de lentreprise

Il est un sujet aujourdhui qui, plus que tout autre, invite au dialogue pluridisciplinaire : le développement durable. Larticle présenté ici cherche à y répondre en se fondant sur deux présupposés. Le premier, dordre théorique, consiste à considérer que léconomie fait partie à part entière des sciences sociales, ce qui implique daccorder un rôle déterminant aux institutions socio-économiques, aux acteurs et à lhistoire. Le second, dordre méthodologique, tient au fait de concevoir léconomie comme une science de lobservation, ce qui exige quelle soit constamment interrogée par les phénomènes observés. Selon ces deux impératifs, léconomie partage avec la gestion, la comptabilité et la finance, un questionnement lié à létude des facteurs qui permettent à lentreprise dincorporer le développement durable dans sa stratégie. Dans lesprit dune convergence de préoccupation, lanalyse développée ici adopte une démarche délibérément pragmatique et repose sur quatre propositions énoncées au plan factuel.

La première proposition consiste à constater la grande difficulté des entreprises à intégrer les objectifs de développement durable (ODD) dans 178leurs stratégies. Lune des raisons, trop souvent sous-estimée, provient du fait que la formulation des 17 objectifs et des 169 cibles de développement durable, définis par lAssemblée générale des Nations Unies en septembre 2015, dans le cadre de lAgenda 2030 (United Nations Global Compact, 2017)1 ne possède pas un caractère opérationnel qui les rendrait directement accessibles aux entreprises. Dans la pratique, il leur faut un « traducteur », qui aurait pour fonction de décliner au plan microéconomique des défis définis au départ sur un plan macroéconomique et macrosocial.

La seconde proposition implique de considérer que la Responsabilité Sociale dEntreprise (RSE) représente le moyen privilégié pour réaliser cette intégration, parce quelle est conçue par définition comme une démarche qui doit faire partie de la stratégie industrielle et commerciale de lentreprise. En outre, elle fait lobjet dun accord important entre deux organisations professionnelles internationales en 2014, qui porte sur la mise en correspondance entre le référentiel RSE de lISO (International Organisation for Standardization), ISO 26000 créé en 2010, et celui du GRI (Global Reporting Initiative), le G4 créé en 2013 (GRI et ISO 26000, 2014). Toutefois, cette fonction de « traduction » savère insuffisante pour échapper au caractère normatif et, par conséquent, formel, que comporte nécessairement toute démarche de certification et qui en limite la portée opérationnelle.

La troisième proposition vise à lever cet obstacle en considérant que lincorporation de la démarche RSE dans la stratégie de lentreprise peut acquérir une véritable efficacité à condition dêtre elle-même fondée sur le développement de ses ressources immatérielles. Lenjeu est dadopter une approche dynamique de la RSE, en adéquation avec le déroulement de lactivité de lentreprise et en mettant en relief le rôle stratégique des ressources immatérielles. Celles-ci, en tant quinputs, sont parties prenantes de la création de valeur par lentreprise et de sa réalisation, et cest à travers leur impact sur son modèle économique que se nouent les liens entre ressources immatérielles et développement durable.

Dans cet esprit, et cest la quatrième proposition, il existe une autre bonne raison de sintéresser aux relations entre la RSE et les ressources immatérielles de lentreprise. En effet, lun des apports décisifs de la 179démarche RSE est dattribuer à la gouvernance dentreprise un rôle primordial dans la définition des ODD visés par lentreprise et le contrôle de ses résultats. Ce rôle sapplique par conséquent aussi aux ressources immatérielles de lentreprise et en conditionne les finalités.

Ces prises de position doivent être comprises comme une invitation à revisiter le modèle économique de lentreprise2. Dans cette perspective, larticle comporte cinq sections.

La section 1 a un caractère introductif et décrit le consensus qui est en train de se construire aujourdhui en matière dévaluation des ressources immatérielles, consensus qui se base sur un lien explicite entre linformation extra-financière dentreprise et le développement durable.

La section 2 met en évidence les caractéristiques qui sont propres à la démarche dévaluation des ressources immatérielles de lentreprise, en examinant successivement les raisons et les conséquences de leur caractère intangible.

La section 3 sintéresse aux fondements dun référentiel dévaluation des ressources immatérielles, qui comporte nécessairement trois registres : la délimitation du champ du capital immatériel ; la définition dune nomenclature permettant didentifier les différentes formes que celui-ci prend ; la liste des indicateurs quil convient de mobiliser pour en entreprendre lévaluation.

La section 4 examine limpact des ressources immatérielles sur lactivité de lentreprise et sur son environnement en considérant 180tour à tour leurs conséquences en matière de risques entrepreneuriaux, de création de revenus et de contribution au développement du territoire dans lequel lentreprise est insérée.

La section 5 est de nature conclusive et sattache à déterminer les modalités organisationnelles, en termes de gouvernance dentreprise et de processus de gestion, auxquelles doit obéir la démarche RSE afin de concilier compétitivité et développement durable par lentremise des ressources immatérielles.

1. Le consensus naissant pour évaluer
les ressources immatérielles de lentreprise

Commençons par dresser un bref état des lieux concernant lapproche de limmatériel dans lentreprise, en sintéressant à ses liens avec la RSE et le développement durable. Ce premier tour dhorizon nous permettra de cerner dans quelles conditions et sur quels registres, un consensus de nature conventionnelle est en train démerger à propos de lévaluation des ressources immatérielles et de leur rôle stratégique dans lentreprise.

1.1. Les liens entre les ressources immatérielles de lentreprise, la RSE et le développement durable

Dans un article marquant, Françoise Quairel et Michel Capron (2013) montrent que le couplage des concepts de RSE et de développement durable date du début des années 2000 dans les pays anglo-saxons, avec une adhésion en Europe continentale plus tardive, mais en même temps plus forte. Selon les deux auteurs, cette association est devenue irréversible sous leffet dun double mouvement. Dun côté, la RSE nest plus conçue en considérant uniquement ses devoirs éthiques vis-à-vis de ses parties prenantes sur un plan social ; de lautre, il ne revient plus uniquement à lÉtat dadopter les moyens adéquats pour répondre aux défis du développement durable. Dorénavant, ce sont les entreprises elles-mêmes qui sont considérées comme un agent privilégié qui doit prendre en charge le développement durable en intégrant dans leurs stratégies la lutte contre les inégalités, lexclusion et les injustices, et en 181faisant face au défi climatique, la dégradation de lenvironnement et de la biodiversité. Et parallèlement, il incombe à lÉtat de créer les conditions incitatrices et les mesures de soutien susceptibles de stimuler les bonnes pratiques dentreprise qui doivent, quant à elles, rester volontaires.

Comme le soulignent avec insistance Françoise Quairel et Michel Capron (2013), le seul engagement volontaire des entreprises, même sil est encouragé par des mesures incitatives de la part de lÉtat, est insuffisant pour leur permettre de sinscrire véritablement dans une stratégie RSE. Leur aptitude à lautocontrôle en la matière est défectueuse, parce que les marchés nont pas la puissance organisatrice que lidéologie libérale leur prête. De fait, ils sont incapables de modifier en profondeur le comportement des agents, quils soient dirigeants dentreprise ou financiers, sans changements socio-institutionnels notables, sans règlementation coercitive accrue, sans prise en charge par lÉtat de nouvelles responsabilités aux plans économique, social et environnement.

Or, cest précisément par rapport aux difficultés rencontrées par les entreprises pour relever les défis du développement durable que le capital immatériel apparaît comme un atout de poids. Par définition, le capital immatériel représente un ensemble de ressources humaines, organisationnelles et relationnelles qui permettent dassocier de façon efficace la force de travail dont dispose lentreprise à son capital matériel, utilisé à des fins productives et commerciales. Son développement planifié, fondé sur une gouvernance élargie aux différentes parties prenantes de lentreprise, constitue le principal vecteur de lintégration dune démarche RSE dans le modèle économique dentreprise.

Cependant, des liens solides et cohérents entre ressources immatérielles, RSE et développement durable ont du mal à se mettre en place dans la pratique pour de multiples raisons. La première tient bien sûr à lexistence de puissants intérêts économiques et financiers, dont la force est intimement liée au régime de croissance du capitalisme financiarisé et qui font obstacle à linstauration dun nouveau régime de croissance, à caractère durable et inclusif (M. Aglietta, dir., 2019). Mais, il y en a bien dautres au plan microéconomique notamment. Parmi les dérives financières quil sagit de combattre, il en est une particulièrement pernicieuse, parce quelle érige la création de valeur actionnariale comme le principe directeur de la stratégie des entreprises (R. du Tertre et Y. Guy, 2019). Fondée sur une gouvernance actionnariale de lentreprise, encore 182dominante de nos jours, cette stratégie repose sur une perception restrictive des performances de lentreprise en rivant leur évaluation aux cours de ses actions. Aussi exerce-t-elle un effet délétère sur linvestissement et lemploi, parce quelle est prisonnière dune approche court-termiste qui consiste à conférer à la liquidité des titres la priorité sur tout autres considérations. De telles pratiques sont indissociables de la domination de la finance sur lactivité réelle de lentreprise, et cette domination est elle-même le produit de la suprématie de la finance de marché sur la finance de banque (R. du Tertre, 2021).

1.2. Les conditions dun consensus à réunir pour évaluer
les performances extra-financières de lentreprise

Lintérêt quil y a de relier les ODD aux ressources immatérielles de lentreprise est de se situer demblée sur le terrain de la gestion des entreprises et de sengager dans une voie qui consiste à saffranchir de la logique financière qui prévaut jusquici. Ce changement de cap conduit à concevoir lacquisition de ressources immatérielles et les performances de lentreprise sur un registre extra-comptable et extra-financier, cest-à-dire comme un complément indispensable à la comptabilité dentreprise existante.

Lun des principaux atouts dont la comptabilité privée tire sa force et sa grande maniabilité, tient à son aptitude à circonscrire un champ dévaluation de lactivité de lentreprise qui est strictement défini et qui nécessite de recourir à un instrument de mesure unique, à savoir la monnaie. En revanche, un tel cadre unifié nexiste pas encore dans le cas de lévaluation des ressources immatérielles de lentreprise et de ses performances extra-financières, dont lune des causes tient à la grande variété des phénomènes à prendre en compte, et à lhétérogénéité des indicateurs susceptibles den appréhender les manifestations.

Pour surmonter cet handicap et acquérir une légitimité qui simposent à tous les acteurs, comme dans le cas de la comptabilité privée, il est nécessaire que lapproche de limmatériel fasse lobjet dun large et solide consensus entre dirigeants dentreprise, financiers et pouvoirs publics. Ce consensus doit prendre la forme dun accord conventionnel au plan formel, qui comporte trois domaines :

Une méthodologie dévaluation connue par avance et « transparente », cest-à-dire susceptible dêtre appliquée par toutes les 183entreprises et faire lobjet dune vérification par des experts habilités dans ce sens par une autorité publique de régulation et contrôle, comme cest le cas pour la comptabilité privée3 ;

Un classement des ressources immatérielles qui soit à la fois exhaustif pour en dresser un inventaire complet, et suffisamment souple pour sadapter à toutes les situations dentreprise ;

Une liste dindicateurs, dont le nombre peut varier dune entreprise à lautre, mais qui aient pour qualités dêtre à la fois comparables dun secteur dactivité à lautre, robustes et pertinents.

Malgré les difficultés pour réaliser un consensus qui fasse pleinement autorité, il ne faut pas sous-estimer les avancées significatives qui ont été réalisées au cours de la dernière décennie. En effet, cest tout un arsenal qui sest construit au fil du temps sur les trois registres évoqués précédemment, sous limpulsion dorganismes internationaux privés, regroupant dirigeants dentreprise, gestionnaires, comptables et financiers. Sans chercher à être exhaustif et en mettant de côté les organismes à vocation comptable qui nentrent pas directement dans notre champ danalyse4, désignons ceux qui ont exercé une influence déterminante. Lun des tous premiers est le GRI, cité en introduction, qui se préoccupe de promouvoir une approche globale de lévaluation des performances des entreprises en matière de développement durable(GRI, 2016, 2018). Parallèlement, il convient de mentionner deux autres organismes qui préconisent, lun comme lautre, dintégrer les dispositions prises par la direction de lentreprise pour développer le capital immatériel et préserver le capital naturel dans leurs rapports annuels, afin de fournir une information complète sur la stratégie de lentreprise en matière de création de valeur. Le premier, WICI (World Intellectual Capital Initiative), est fondé en 2007 et publie un référentiel (WICI, 1842016) qui sattache à discuter les caractéristiques auxquelles doivent répondre les « indicateurs clés de performance », KPIs (Key Performance Indicators). Le second, lIIRC (International Integrated Reporting Concil), est créé en 2010 et édite un référentiel (IIRC, 2013, 2018) qui définit un guide méthodologique afin dintégrer les informations financières et non financières dans le rapport dactivité de lentreprise5.

Les initiatives de ces organismes privés sont activement relayées par les institutions internationales concernant lévaluation du capital immatériel dans lentreprise et lharmonisation de linformation non financière en matière de développement durable. Les travaux de lOCDE envisagent le capital immatériel comme un facteur de création de valeur qui a un impact bénéfique sur la croissance macroéconomique (OCDE, 2008, 2013). Plus récemment linitiative conjointe de lOCDE, lONU Programme pour lenvironnement et la Banque mondiale, sintéresse au changement climatique, à la transformation des infrastructures et leur financement (OCDE, UN-Environment Programme and The World Bank, 2018). De son côté, la Commission européenne se préoccupe de normaliser linformation sur le capital immatériel et son intégration dans le rapport annuel dentreprise, avec la publication de deux rapports qui font date : MERITUM Project (EU, 2002) et le Rapport Ricardis (EU, 2006). Par la suite, elle a cherché à intégrer les objectifs du « Programme mondial de développement durable à lhorizon 2030 », adopté par lAssemblée générale des Nations Unies en septembre 2015 (cité en introduction), ainsi que laccord de la Conférence de Paris en 2015 sur la lutte contre le changement climatique, sous la forme dune Communication de la Commission intitulée « Les lignes directrices sur linformation non financière » (EU, 2017). Depuis peu, la Commission a décidé de donner un véritable coup daccélérateur pour développer et harmoniser au plan européen linformation non financière des entreprises en chargeant lEFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) de préparer une révision de la directive européenne actuelle qui date de 20146. Il faut bien reconnaître que celle-ci est restée sans effet notable en matière de développement durable. Dans ce contexte, la Commission 185na pas uniquement pour but dharmoniser les pratiques dévaluation des intangibles dans les pays européens, mais aussi de renforcer les obligations réglementaires et délargir le champ dapplication de la directive à des entreprises de taille moyenne, afin dinciter lensemble des entreprises à sengager plus profondément dans le développement durable.

2. Les spécificités de la démarche dévaluation
des ressources immatérielles

Pour comprendre les raisons à lorigine des spécificités de la démarche dévaluation dans le domaine des ressources immatérielles, il convient de sintéresser aux difficultés qui surgissent lorsquon sengage dans une telle démarche et les précautions quil importe de prendre pour les surmonter. Dans cet esprit, il convient dexaminer successivement les facteurs qui expliquent le caractère intangible des ressources immatérielles, puis les conséquences qui en découlent et qui font leur originalité par opposition aux ressources matérielles de lentreprise.

2.1. Les raisons à lorigine du caractère intangible
des ressources immatérielles

Lorsque lon cherche à cerner ce que recouvrent les ressources immatérielles de lentreprise au plan pratique on se heurte à trois difficultés qui résultent des raisons à lorigine de leur caractère intangible. La première tient au fait que ces ressources nappartiennent jamais entièrement à lentreprise ; la seconde à leur nature qualitative ; la troisième au constat selon lequel elles nexistent au départ quà létat latent et quil faut déployer des efforts particuliers pour les identifier et les rendre actives.

2.1.1. Des ressources n appartenant jamais entièrement à l entreprise

La première raison qui explique le caractère intangible des ressources immatérielles provient de ce que celles-ci ne disposent pas 186dune autonomie en soi et quelles ne peuvent être appréhendées que de manière indirecte. Quatre observations factuelles le prouvent aisément.

Trois dentre-elles tiennent à lintrication des ressources immatérielles au fonctionnement lui-même de lentreprise. En effet, ces ressources ont pour caractéristiques dêtre tour à tour :

Portées par les salariés de lentreprise, y compris léquipe de direction, à travers les compétences individuelles et collectives que ceux-ci déploient dans lexercice de leurs métiers et de leurs fonctions ;

Enchâssées dans des dispositifs organisationnels, des processus de gestion, des méthodes dacquisition de savoirs pratiques et conceptuels que lentreprise accumule au cours du temps ;

Consubstantielles aux liens socio-économiques que lentreprise noue avec ses clients dun côté, et avec ses fournisseurs ou ses financiers de lautre, et dont la qualité se traduit par des rapports de confiance, de fiabilité et de fidélité.

Par ailleurs, il est nécessaire dajouter une quatrième observation qui porte sur linsertion de lentreprise sur le territoire où celle-ci développe son activité (G. Colletis et B. Pecqueur, 2005 ; C. du Tertre, 2008). Du fait de son implantation, lentreprise bénéficie de ressources immatérielles fournies par le territoire, telles que la qualité de son bassin demploi, les facilités détablir des relations avec dautres entreprises ou de rencontrer des interlocuteurs financiers attentifs au projet de lentreprise… Parallèlement, lentreprise contribue à enrichir les ressources immatérielles du territoire à travers des externalités réelles aux plans économique, social et environnemental. Ce double constat constitue lun des apports majeurs de lapproche des ressources immatérielles.

2.1.2. Des ressources pour l essentiel de nature qualitative

La seconde raison qui témoigne du caractère intangible des ressources immatérielles provient de leur nature qualitative. De fait, cest le principal point dachoppement qui rend leur évaluation si difficile et sujette à nombre dincompréhensions, notamment en confondant lévaluation des ressources immatérielles, fondée sur une information extra-financière, et leur valorisation en attribuant une valeur monétaire à des ressources qui en sont dépourvue a priori.

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Certes, ces ressources ont des fondements très différents dune catégorie à lautre, mais, elles ont aussi en commun de posséder une nature dessence qualitative, dans le sens où elles ont pour propriété de conférer par leur présence une efficacité plus ou moins vigoureuse, une consistance plus ou moins robuste, aux facteurs humains, organisationnels et relationnels dans lesquels elles sincarnent. Cette propriété se manifeste sous une forme qui est spécifique au type de ressources immatérielles considérées et, à ce titre, elle implique des mécanismes propres à chacune delles. Toutefois, la qualité des ressources immatérielles peut être observée sur des registres essentiels quil importe de souligner :

Lintelligence collective accumulée dans lentreprise sous la forme de connaissances spécifiques, de savoirs pratiques et de savoir-être ;

Le sentiment dautonomie, de créativité et de bien-être dans le travail, qui suscite ladhésion des individus au travail accompli, ce qui implique de préserver leur santé à la fois aux plans physiologique et psychologique ;

La validité de lorganisation de lentreprise au regard de sa stratégie et la pertinence de son offre par rapport aux attentes de ses clients, qui ont pour conséquence, chacune à sa façon, de modeler la capacité dadaptation de lentreprise et sa robustesse face au changement ;

La confiance qui prévaut dans les relations que lentreprise établit à lextérieur avec sa clientèle, ses fournisseurs, les détenteurs de son capital, en incluant aussi les pouvoirs publics locaux ayant la charge du territoire dans lequel lentreprise est insérée.

Toutefois, il importe décarter une ambigüité à lorigine dune confusion de langage dommageable pour lanalyse. En effet, il faut relever que lintelligence collective, le sentiment de bien-être, la pertinence de lorganisation ou de loffre de lentreprise, la confiance inhérente à ses relations avec son environnement, ne constituent pas des ressources immatérielles en soi. En revanche, ces phénomènes représentent les résultats bénéfiques qui sont susceptibles dêtre obtenus grâce à un développement judicieux des ressources immatérielles et fournissent ainsi la preuve de leur rôle positif dans lactivité de lentreprise. Autrement dit, ces phénomènes doivent être compris comme les principaux critères 188à partir desquels on peut jauger lefficacité des ressources immatérielles et, par suite, apprécier les enjeux de leur développement.

2.1.3. Des ressources à l état latent
et nécessitant d
être activées pour agir

La troisième raison permettant de mettre en évidence le caractère intangible des ressources immatérielles provient du fait que celles-ci nexistent au départ quà létat latent, cest-à-dire possédant une efficacité qui nest que potentielle (C. du Tertre, C. Perrier, et R. du Tertre, 2018). Pour identifier les ressources immatérielles qui existent dans lentreprise, il est nécessaire dinterroger et découter les employés qui sont les porteurs de savoirs et de savoir-faire, de procéder à des examens dévaluation de lorganisation et du fonctionnement de lentreprise, de mener des investigations auprès de ses parties prenantes en externe soit comme clients, soit comme fournisseurs, afin de mieux connaître leurs attentes… Ensuite, il faut déployer des efforts particuliers pour les développer, en améliorer la qualité et discerner leurs effets bénéfiques. En tant que ressources vivantes, leur capitalisation suppose de mettre en place des dispositifs de retour dexpérience (REX), afin de tirer profit de lexpérience acquise au cours du temps.

2.2. Les conséquences du caractère intangible
des ressources immatérielles

Si les ressources immatérielles dotent lentreprise datouts sur lesquels sa stratégie peut prendre appui, leur évaluation nen reste pas moins problématique compte tenu des conséquences induites par leur caractère intangible. Pour le montrer, il convient de mettre en relief leurs spécificités en les opposant aux ressources matérielles. De ce point de vue, quatre caractéristiques apparaissent déterminantes (C. du Tertre, 2007).

2.2.1. Des ressources susceptibles de s enrichir
au cours de l
activité de l entreprise

Au lieu que leur usage dans la production et la commercialisation les détériore, comme cest le cas pour les ressources matérielles qui susent en fonction de leur emploi, les ressources immatérielles ont pour vertu de se développer et se bonifier au fil du temps avec la mise en œuvre de 189lactivité de lentreprise et lexpérience qui en résulte. Lopposition ici entre les ressources matérielles et immatérielles est flagrante. En effet les dirigeants dentreprise savent pertinemment que lobtention de lefficacité attendue des biens en capital utilisés et lattrait des biens et des services produits nécessitent une montée en puissance du processus de production et de trouver graduellement la clientèle désireuse dacheter les produits offerts. Cet ajustement progressif repose sur des effets dapprentissage. Autrement dit, si lemploi de ressources matérielles constitue un préalable qui conditionne la création de valeur et sa réalisation, la capacité de lentreprise à mobiliser efficacement des ressources immatérielles apparaît, en revanche, comme le produit de ce processus.

2.2.2. Des ressources soumises au risque
d
une dévalorisation brutale et inattendue

Dans limpossibilité de figurer à lactif du bilan de lentreprise, autrement que très partiellement, et de faire par conséquent lobjet dun processus damortissement étalé dans le temps à linstar des ressources matérielles, les ressources immatérielles encourent le risque dune dévalorisation inattendue et brutale, lorsque des évènements imprévus surgissent et mettent en cause leur existence ou, plus simplement, jettent un doute sur leur véritable qualité. Lentreprise subit de façon continue des chocs dintensité variable certes, mais qui sont susceptibles de faire apparaître son offre comme inadaptée par rapport aux attentes de la clientèle, de mettre en cause la pertinence de son organisation, ou débranler sa cohésion sociale… Il sensuit que les ressources immatérielles appellent une vigilance et un entretien constants, qui doivent être pensés par la direction de lentreprise dans la durée sous la forme de dispositifs de veille ou, de façon plus prévoyante, de dispositifs permettant de faire face à une crise.

2.2.3. Des ressources non mesurables et non dénombrables

Par opposition au caractère appropriable des ressources matérielles et donc à leur aptitude dêtre cessibles sur un marché, ce qui leur confère une valeur monétaire, les ressources immatérielles sont intrinsèquement liées à la mise en œuvre de lactivité de lentreprise, ce qui les rend inappropriables en tant que telles, à de rares exception près comme les marques ou 190les brevets, et ce qui leur retire une valeur déchange en soi. En tant que ressources de nature qualitative, elles ne peuvent pas faire lobjet dune véritable mesure au sens mathématique, ce qui requerrait la définition dune unité de calcul sur une base objective, cest-à-dire indépendante du jugement de lobservateur. En tant que ressources non divisibles, elles ne peuvent pas non plus faire lobjet dun dénombrement, ce qui supposerait de les décompter une à une comme les éléments constitutifs dun ensemble homogène, tels que les arbres formant une forêt.

Lévaluation des ressources immatérielles doit nécessairement être menée de manière indirecte et fragmentaire par le bais dindicateurs de nature très diverse. Ces indicateurs portent soit sur les moyens mobilisés pour acquérir des ressources immatérielles, soit sur des phénomènes perçus comme leurs conséquences.

2.2.4. L absence de lien direct
entre les efforts fournis et les résultats obtenus

À la différence des ressources matérielles qui comprennent des performances techniques déterminées a priori, de sorte quil est possible den prévoir lefficacité en fonction de leurs conditions dusage, les ressources immatérielles concourent à lefficacité de lentreprise par un ensemble de qualités, ce qui interdit détablir un lien direct et proportionnel entre les moyens mobilisés pour développer ces ressources et leurs effets sur lactivité de lentreprise. Il nest pas possible dassocier de façon fiable à ces ressources un taux de rendement interne, un ROI (Return on Investment), même de façon approximative.

Dans la pratique, ce constat reste largement méconnu, voire le plus combattu, en arguant que les difficultés rencontrées dans la mesure dun ROI fiable en matière de ressources immatérielles sexpliquent par une carence dinformation ou des techniques de calcul insuffisamment développées. De fait, le problème soulevé ne réside pas dans une défaillance dordre méthodologique quil conviendrait de corriger, mais dans labsence dune distinction rigoureuse entre ce que recouvrent la démarche dévaluation et la démarche de valorisation. Comme nous lavons déjà noté, la première nécessite de mobiliser une information extra-financière ; la seconde suppose dattribuer une valeur monétaire à des phénomènes qui nen ont pas à lorigine.

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2.3. Des ressources exerçant une action
à travers des effets de synergie

Il existe une ultime caractéristique des ressources immatérielles quil convient disoler, parce quelle a un statut différent de celles que nous venons dévoquer. Elle concerne limpact des ressources immatérielles sur lactivité de lentreprise et son environnement. Pour en saisir la portée, il convient de remarquer que, à la différence des ressources matérielles qui sadditionnent les unes aux autres dans le cadre de relations de complémentarité objective, de sorte que lon peut isoler leur impact en fonction de leur présence ou de leur absence, les ressources immatérielles apparaissent interdépendantes, dans le sens où limpact des unes dépend de la présence ou de labsence des autres. Les ressources immatérielles nagissent pas isolément sur lactivité de lentreprise ou sur son environnement. Bien au contraire, elles forment un tout et elles exercent leur action sous la forme deffets de synergie, cest-à-dire des effets qui résultent dun agencement particulier de ces ressources au sein de lentreprise considérée. Cet agencement apparaît lui-même comme la résultante de la stratégie de lentreprise, i.e. sa capacité à se projeter dans lavenir, et de sa trajectoire, i.e. le cheminement quelle a parcouru et qui a façonné son expérience.

3. Les fondements dun référentiel dévaluation
des ressources immatérielles

Après avoir débattu des caractéristiques des ressources immatérielles qui conditionnent la méthodologie à employer pour les évaluer, il convient daborder maintenant les deux autres registres qui font lobjet dun consensus croissant entre les organismes privés et publics se préoccupant de lévaluation du capital immatériel de lentreprise. Ces deux registres concernent le classement des ressources immatérielles et les caractéristiques des indicateurs à mobiliser sur la base dune information extra-financière. Cependant au préalable, il convient de délimiter le champ du capital immatériel par opposition aux autres formes du capital utilisé par lentreprise.

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3.1. Le six classes de capital composant le capital de lentreprise

Laccord entre les différentes organisations internationales, privées et publiques, qui est à lorigine de la définition de capital immatériel porte sur le fait de diviser en six grandes classes dactifs lensemble du capital dont lentreprise doit disposer pour créer de la valeur et obtenir en contrepartie un flux de revenus. Conformément à la terminologie en usage7, ces six classes ont pour nom :

Le capital financier (Financial capital) ;

Le capital productif (Manufactured capital) ;

Le capital humain (Human capital) ;

Le capital structurel (Structural capital) ;

Le capital social et relationnel (Social and relationship capital) ;

Le capital naturel (Natural capital).

Les deux premières classes font lobjet dune évaluation monétaire fondée sur la comptabilité privée dentreprise, le capital financier représentant le passif du bilan, le capital productif lactif.

Les trois classes suivantes constituent le capital immatériel (Intellectual capital), et le critère utilisé pour diviser celui-ci en trois consiste à prendre en compte la nature de sa dépendance par rapport à lactivité de lentreprise. Selon cette logique, il convient de constater que :

Les personnes physiques sont les porteurs du capital humain ;

Lorganisation de lentreprise et son fonctionnement constituent les supports du capital structurel ;

les liens socio-économiques de lentreprise avec son environnement sont sous-jacents au capital social et relationnel.

La dernière classe, désignée sous le nom de capital naturel, concerne lensemble des ressources naturelles dont lentreprise bénéficie pour mener 193son activité, ainsi que toutes les détériorations quelle provoquent sur son environnement naturel. La préservation de celui-ci ou la compensation des dommages subis sont mesurées sous la forme dexternalités négatives et positives en unités physiques (empreinte carbone, pollution de lair, de leau, déforestation, atteinte à la biodiversité…).

3.2. Les dix catégories
des ressources immatérielles de lentreprise

Pour définir une nomenclature du capital immatériel qui acquière un caractère opérationnel aux yeux des dirigeants dentreprise, il est nécessaire délaborer un classement des ressources immatérielles en se préoccupant de leur place et de leur rôle par rapport au modèle économique de lentreprise (figure 1 et tableau 1). Selon cette approche, les trois classes de capital immatériel sont divisées en dix catégories de ressources immatérielles ; puis celles-ci sont divisées en vingt-six thématiques afin dappréhender les différentes facettes dune catégorie donnée de ressources (C. du Tertre, C. Perrier, et R. du Tertre, 2018).

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Légende :

Fig 1 Les 6 classes de capital et les 10 catégories de ressources immatérielles.

Le capital humain comprend deux catégories : « Dirigeant » et « Collaborateur », dont lun des enjeux porte sur lintégration de la démarche RSE dans le plan stratégique de lentreprise, et sur la solidité de la cohésion sociale qui en résulte.

Le capital structurel comporte quatre catégories : « Marque », « Organisation », « Connaissance » et « Transformation numérique ». Ces catégories ont une forte corrélation entre elles et constituent les piliers de la stratégie de lentreprise. À ce titre, leur conception et leur mise en œuvre au service du développement durable représentent lun des principaux enjeux de la stratégie de lentreprise en la matière.

Le capital social et relationnel recouvre des catégories nettement distinctes compte tenu de leur place et de leur rôle dans le modèle économique de lentreprise. À cet égard, trois remarques méritent dêtre soulignées.

1. Il importe de mettre sur un pied dégalité la relation-client et la relation-fournisseur compte tenu de leurs poids au regard de la RSE et des ODD, bien que lun agisse en aval de lactivité de lentreprise et lautre en amont.

2. Quant à la catégorie « Actionnaire », sa qualité est avant tout dépendante du modèle de gouvernance adopté dans lentreprise, en sachant que lengagement effectif de celle-ci dans le développement durable implique de substituer le modèle partenarial (de type stakeholder) au modèle actionnarial (de type shareholder).

3. Notons enfin que la catégorie « Écosystème territorial », dont limportance dépend des liens tissés par lentreprise avec le territoire dans lequel elle est insérée, constitue lune des « 7 questions clés » de la RSE, sur laquelle nous serons amené à insister.

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Tab. 1 – Les 10 catégories de ressources immatérielles et les 26 thématiques.

Capital humain

1) Catégorie « Dirigeant »

2) Catégorie « Collaborateur »

Dirigeant stratège :

* Plan stratégique, appartenance à des réseaux, recours à des conseils

* Intégration de la démarche RSE dans la stratégie de l entreprise

Dirigeant et équipe de direction

Stratégie de communication en interne et en externe, associant notamment informations financières et extra-financières

Développement des compétences :

* Plan de formation, formations informelles sur les lieux de travail et dispositifs REX

Implication des personnels, créativité…, Environnements propice au bien-être

Intégration dans l entreprise, cohésion sociale de l entreprise, et engagements dans la RSE

* Santé et sécurité dans le travail

* Concertation sur le projet d entreprise

* Système de valeurs partagées

Capital social et relationnel (I)

3) Catégorie « Client »

Satisfaction et fidélité des clients

Diversité et stabilité du portefeuille-client

Dynamique de marché et clients potentiels

Capital structurel

4) Catégorie « Marque »

6) Catégorie « Organisation »

Protection de la marque

Notoriété et réputation de l entreprise

Robustesse et flexibilité de l entreprise face aux aléas de court terme

Capacité réflexive de l entreprise et conduite du changement à moyen-long terme

Management de type inclusif des personnels

5) Catégorie « Connaissance »

7) Catégorie « Transformation numérique »

Veille stratégique

Expérience acquise par l entreprise (REX)

Capacité d innovation technologique et organisationnelle

Protection des savoirs

Architecture, pilotage et sécurité du système d information

Engagement de l entreprise dans le numérique :

* Métiers et processus

* Outils collaboratifs

* Communication interne et externe

196

Capital social et relationnel (II)

8) Catégorie « Fournisseur et Partenaire »

9) Catégorie « Actionnaire »

Fiabilité de la relation-fournisseur

* Équité et respect des engagements réciproques, priorité accordée à la médiation

Relation partenariale et coopération formalisée

Soutien stratégique, conseil et expertise

Actionnariat stable et patient :

* Attente d un rendement « raisonnable » en longue période

* Capacité d autofinancement privilégiée, et distribution modérée de dividendes

Capital social et relationnel (III)

10) Catégorie « Écosystème territorial

Appartenance à des réseaux territoriaux

Contribution au développement des compétences et des emplois locaux

Engagements sociétaux et environnementaux

3.3. La définition dun ensemble dindicateurs significatifs, pertinents et fiables

Par définition, lévaluation du capital immatériel de lentreprise repose sur un ensemble dindicateurs de nature extra-financière, qui ont pour fonction destimer limportance des ressources immatérielles dont lentreprise dispose, et de juger lintérêt ou non quil y a de les développer. Indépendamment du secteur dactivité de lentreprise, de sa taille et de son degré de maturité, qui constituent tous des caractéristiques orientant le choix des indicateurs, il importe dopérer une distinction entre différentes types dindicateurs en fonction de la nature de linformation extra-financière recherchée, puis de porter un jugement sur leurs qualités.

3.3.1. Une typologie des indicateurs fondée sur leur contenu en information

Bien quil nexiste pas de typologie unique des indicateurs, il utile dopérer une distinction entre trois ensembles dindicateurs en fonction de la nature de linformation recueillie, son orientation temporelle et son historicité (tableau 2).

197

Tab. 2 – La variété des indicateurs dévaluation des ressources naturelles.

Type dindicateurs

Phénomènes observés

Nature de linformation recueillie

1) Indicateur qualitatif

Objectifs visés, décisions et engagements pris

Dispositifs organisationnels généraux, de type REX, de veille, de prévention des risques

2) Indicateur quantitatif

Mesuré en unités monétaires

Flux de dépenses (coût)

Flux de revenus (avantage)

Mesuré en unités physiques

Phénomènes diversifiés, non comparables entre eux et, par suite, non agrégeables

Pris isolément, analyse centrée sur les profils d évolution

Perspective temporelle

1) Indicateur prospectif

Objectifs visés,

Efforts consentis

Risques

2) Indicateur rétrospectif

Changements constatés

Résultats obtenus, progression ou détérioration

Dommages subis

Historicité

1) Indicateur suivi dans le temps

Interprétation en fonction du profil d évolution

2) Indicateur occasionnel

Observation contingente propre à :

* Un changement de contexte

* Un évènement ou un accident dommageable

* Une opportunité fortuite

Il nexiste pas de hiérarchie entre indicateurs ; tout dépend de la situation particulière de lentreprise et de sa stratégie. En revanche, laccessibilité de linformation et son coût constituent un élément décisif à prendre en compte. En tout état de cause, la qualité des indicateurs doit répondre à des normes identiques pour tous et applicables à toutes les entreprises. Il sagit là de recommandations dordre méthodologique qui occupent une place primordiale dans un référentiel dévaluation des ressources immatérielles.

198

3.3.2. Les exigences de comparabilité,
transparence et cohérence des indicateurs

Dans la mesure où les indicateurs fournissent nécessairement une information qui est indirecte et partielle sur les ressources immatérielles, puisque celles-ci ne peuvent pas faire lobjet dune mesure sur une base objective, il convient de sinterroger sur leur portée en sintéressant aux qualités dun indicateur donné et aux exigences auxquelles lensemble des indicateurs doivent répondre (tableau 3).

Tab. 3 – Les deux approches normatives et complémentaires des indicateurs.

Les qualités dun indicateur donné

La signification …

La pertinence …

La fiabilité …

S apprécie au regard des conclusions qu un observateur peut raisonnablement tirer de l indicateur considéré.

Se juge par rapport au phénomène que l on cherche à observer.

Résulte des modalités de recueil et de traitement de l information.

Les normes contraignant lensemble des indicateurs

Comparabilité

Transparence

Cohérence

Possibilité de comparaison :

* Intra-sectorielle

* Intersectorielle

Possibilité de vérifier le bien-fondé ou l exactitude d un indicateur par un organisme tiers indépendant

Résulte des modalités de recueil et de traitement de l information.

Les qualités dun indicateur donné sapprécient par rapport au phénomène que lon cherche à observer en utilisant trois critères : la signification dun indicateur8, sa pertinence et sa fiabilité. Le premier critère vise la clarté et la portée de linformation, les deux autres peuvent avoir un caractère contradictoire. Un indicateur qualitatif peut être pertinent, mais peu fiable, tandis quun indicateur quantitatif peut être fiable, mais peu pertinent.

Indépendamment des qualités propres à chaque indicateur, ceux-ci sont soumis dans leur ensemble à trois types de normes contraignantes : la 199comparabilité, la transparence et la cohérence. Lexigence de comparabilité est la plus complexe à traiter, car elle doit garantir la possibilité deffectuer des comparaisons aux plans à la fois intra-sectoriel et intersectoriel. La seconde répond à limpérieuse obligation de pouvoir vérifier le bien-fondé et lexactitude de linformation extra-financière, afin de faire lobjet dune certification par un organisme tiers indépendant (OTI), comme dans le cas de la comptabilité privée. Lexigence de cohérence relève dune norme de bonne conduite et elle a pour but de faire respecter un équilibre entre le nombre dindicateurs mobilisés et limportance attribués aux phénomènes observés.

4. Limpact des ressources immatérielles sur lactivité de lentreprise et sur son environnement

En labsence de lien direct et strictement défini entre les ressources immatérielles mobilisées et leurs conséquences sur lactivité de lentreprise, il importe de spécifier par quelles médiations ces ressources sont susceptibles dagir et quelle est la nature de leur impact sur les performances économiques et financières de lentreprise. Selon cette perspective, il convient de retenir trois registres essentiels.

4.1. Une résilience accrue de lentreprise face à lincertitude

Le premier registre concerne laccroissement de la résilience de lentreprise face à des chocs de toute nature. Soit au plan macroéconomique, à travers des crises qui se succèdent sans répit depuis la crise financière globale de 2007-2008, puis la crise de la dette souveraine de 2011-2012 en Europe, sans oublier la crise écologique latente à lorigine de conflits sociaux multiples – mouvements migratoires climatiques au plan international, révolte des « gilets jaunes » au plan national –, et aujourdhui la crise sanitaire de la Covid-19. Soit au plan microéconomique sous la forme de changements technologiques, organisationnels, parmi lesquelles la révolution numérique en cours occupe le premier plan et na toujours pas fini de dévoiler toutes ses potentialités.

200

Certes, ces changements affectent de façon différenciée les entreprises selon leurs branches dactivité, leurs positionnements dans la chaîne de valeur à laquelle elles appartiennent, leurs implantations territoriales, ainsi que leurs tailles… Mais, ces facteurs de différenciation constituent de fait autant de raisons pour que les directions se préoccupent des moyens permettant de renforcer la résilience de leurs entreprises. Dans ce but, il est nécessaire de développer une action selon deux lignes directrices complémentaires : lacquisition dune meilleure maîtrise des risques inhérents à lactivité de lentreprise et, parallèlement, le renforcement de sa cohésion sociale.

4.1.1. Mieux maîtriser les risques inhérents à l activité de l entreprise

Lun des tout premiers résultats de laction qui résulte dun développement coordonné des ressources immatérielles est de conférer à la direction de lentreprise une meilleure connaissance et, par conséquent, une meilleure maîtrise non seulement des risques qui sont spécifiques à ces ressources, mais aussi plus largement des risques industriels et commerciaux qui sont inhérents à lactivité de lentreprise elle-même. De façon plus précise, les efforts déployés pour développer les ressources immatérielles de lentreprise dans le but daccroître la création de valeur et de faciliter la réalisation de celle-ci fournissent une occasion privilégiée pour identifier les risques dentreprise et, par suite, de mettre en place des dispositifs de veille et dapprentissage permettant de sen prémunir. Si les ressources immatérielles ne procurent pas, par définition, de collatéraux pouvant jouer le rôle de garanties financières en contrepartie de leur financement, elles offrent en revanche la possibilité de mieux maîtriser les risques dentreprise. Cest là lun des principaux arguments à faire prévaloir auprès des financiers.

4.1.2. Accroître la pérennité de l entreprise
en confortant sa cohésion sociale

La cohésion sociale de lentreprise constitue le second pilier de la résilience de lentreprise. En effet, elle représente le socle sur lequel se construit sa pérennité ou, plus précisément, sa capacité à face aux aléas qui ne manquent pas démailler sa trajectoire de façon plus ou moins inopinée et plus ou moins brutale. De ce point de vue, elle comporte deux aspects essentiels. Dun côté, la direction de lentreprise doit instaurer 201des relations de travail et des modalités de management, qui favorisent limplication personnelle des salariés, leur responsabilité et leur créativité. Une telle attitude nécessite de reconnaître les efforts et les initiatives dont les salariés font preuve dans leur travail, de prendre soin de leur santé et de leur bien-être. De lautre, il sagit de donner un sens à lactivité de lentreprise grâce à la mise en place de dispositifs dinformation et de concertation allant au-delà des dispositions règlementaires, afin de nourrir un agenda qui touche au plus près ses objectifs stratégiques. Lentreprise a intérêt à faire falloir, à travers une charte faisant lobjet dun bilan régulier, ses engagements éthiques, sociétaux et environnementaux qui constituent aujourdhui un élément fédérateur non seulement de ses personnels, mais aussi de ses autres parties prenantes.

4.2. Une croissance fondée sur des piliers
plus robustes et plus pertinents

Le second registre sur lequel les ressources immatérielles exercent une action bénéfique pour lentreprise concerne les fondements de sa croissance, cest-à-dire sa capacité à générer des revenus sur la longue période. À nouveau cet impact favorable comporte deux dimensions étroitement liées. La première concerne les sources de la compétitivité de lentreprise ; la seconde son aptitude à intégrer le changement et à innover.

4.2.1. Renforcer la compétitivité de l entreprise
en mettant en valeur sa singularité

Indépendamment des coûts de production, notamment des coûts salariaux, qui constituent le socle de la compétitivité-prix de lentreprise, celle-ci repose plus largement sur sa faculté à différencier son offre par rapport à ses concurrents et à fidéliser ses clients. Dans ce but, lentreprise doit mobiliser des compétences, des savoir-faire et des connaissances qui lui sont propres. Parallèlement, elle doit établir des relations de confiance avec ses clients en répondant de façon fine à leurs attentes, afin daccroître lattrait de son offre par différence avec les produits de ses concurrents. Elle doit aussi créer des liens fiables avec ses fournisseurs ou des relations de coopération durables avec des partenaires partageant tout ou partie de son projet, ces liens étant fondés sur le respect dengagements réciproques et équilibrés. Tous ces facteurs ont en commun de mettre en valeur la 202singularité de lentreprise et, à ce titre, de la doter dun pouvoir de marché. En clair, les ressources immatérielles en tant quactifs spécifiques, selon la terminologie habituelle des économistes, doivent être conçues comme des facteurs sur lesquels lentreprise doit fonder sa compétitivité-structurelle ou hors-coût, ce qui présage de revenus obtenus dans la longue durée.

4.2.2. Acquérir l aptitude d une organisation
apprenante et stimuler l
innovation

Dans le contexte actuel, lentreprise est confrontée à une série de défis qui lobligent à se transformer de façon continue. Les principaux défis ont pour noms : lintensification de la concurrence imputable à la mondialisation ; lavènement de léconomie de service qui supplante léconomie industrielle traditionnelle – ce qui bouleverse les relations de travail, modifie la relation biens-services, et fait bouger le périmètre daction de lentreprise – ; la révolution numérique qui transforme en profondeur son fonctionnement interne, ses modalités de gestion, ses rapports avec la clientèle et avec les fournisseurs ; enfin les exigences du développement durable. Au-delà denjeux très différents, tous ces défis ont un point commun. Ils sont à lorigine dun environnement plus incertain, plus instable et plus risqué pour lentreprise que par le passé. Dans ces conditions, le développement des ressources immatérielles de lentreprise doit être pensé par la direction de lentreprise comme le moyen dacquérir une plus grande souplesse dans son fonctionnement, et de développer une attitude prospective qui soit propice à linnovation. Le défi pour lentreprise est de devenir une organisation apprenante et daccroître sa capacité à innover.

4.3. Une contribution au développement des territoires

Une manière féconde dappréhender les effets bénéfiques des ressources immatérielles de lentreprise en matière de développement durable consiste à sintéresser à leur impact sur le(s) territoire(s) où lentreprise est implantée (C. Laurent et C du Tertre, éd., 2008). Cet impact sexerce à travers les liens directs et indirects que lentreprise tissent avec lécosystème territorial dans lequel elle sinsère.

Les liens directs comportent trois aspects essentiels : une contribution au développement territorial compte tenu des relations que lentreprise noue avec des fournisseurs locaux ; une participation aux dispositifs 203demploi et de formation locaux, notamment à travers laccueil de jeunes en apprentissage ou en stage dentreprise ; un engagement dans léconomie circulaire grâce à la réduction des matières incorporées dans la production et au recyclage des déchets.

Les liens indirects sont, par définition, diffus et dépendants de la nature des biens et des services offerts par lentreprise. Ils se manifestent par lexistence de bénéficiaires indirects, quil sagisse dindividus, dentreprises ou de collectivités publiques territoriales. Cet aspect occupe une place centrale dans léconomie de la fonctionnalité (G. Gaglio, J. Lauriol, et C. du Tertre, éd., 2011). En effet, les avantages dont les bénéficiaires indirects profitent proviennent dune densification et dun enrichissement des liens socio-économiques sur le territoire dans des domaines aussi variés que sont la santé, le bien-être alimentaire, léducation et la culture, lhabitat et les moyens de communication, lénergie renouvelable…

5. Une gouvernance dentreprise et une gestion
de limmatériel adaptées au développement durable

Indépendamment dun cadre règlementaire qui est rudimentaire actuellement, il faut bien le dire, au regard des défis énergétique, climatique et écologique…, les entreprises rencontrent de multiples obstacles pour intégrer les ODD dans leurs stratégies. Considérer que ces obstacles sont uniquement de nature financière, compte tenu de leur poids en la matière, serait une erreur. Par ailleurs, ne pas percevoir les changements engagés sous des formes variées, non systématiques et à caractère expérimental, dans nombre dentreprises, quelles que soient leurs tailles, serait une autre erreur. Lenjeu pour lentreprise est de trouver un modèle économique dentreprise qui soit adapté aux défis du développement durable. Sur ce plan il nexiste pas un modèle unique de création et de réalisation de valeur.

Nous nous proposons dévoquer deux changements dans les entreprises qui conditionnent un véritable engagement de leur part dans le développement durable. Le premier concerne la mise en place dune gouvernance dentreprise qui mette fin au pouvoir exclusif des actionnaires et qui soit fondée sur la concertation avec toutes les parties prenantes 204de lentreprise. Le second porte sur lintégration du développement des ressources immatérielles dans les outils de gestion existants de lentreprise.

5.1. Une gouvernance dentreprise comme condition dintégration des objectifs du développement durable

Comme cela a été souligné dans lintroduction, lensemble des entreprises, y compris celles qui sont particulièrement bien dotées en compétences, rencontrent beaucoup de difficultés pour traduire sur un plan opérationnel les 17 ODD, déclinés en 169 cibles, sur lesquels sest entendue la communauté internationale en 2015. Formulés en termes généraux qui sadressent de façon indifférenciée à tous les acteurs économiques et sociaux, y compris lÉtat chargé den assurer le suivi, ces objectifs ne sont pas directement accessibles par les entreprises.

Énoncés dun point de vue macrosocial et dans une perspective de convergence des économies au plan international, on ne peut pas demander aux dirigeants dentreprise daborder de la même façon léradication de la pauvreté et la lutte contre la faim, objectifs 1 et 2, dun côté, et la promotion demplois décents et la construction dune infrastructure résiliente, propice à lindustrie durable et linnovation, objectifs 8 et 9, de lautre (tableau 4). Les enquêtes menées à ce sujet montrent que les entreprises hiérarchisent fortement leurs objectifs en donnant la priorité aux seconds, et en délaissant les premiers (Novethic et B&L évolution, 2019).

Tab. 4 – La liste des 17 ODD à lhorizon 2030 des Nations Unies.

1. Léradication de la pauvreté

2. La lutte contre la faim

3. La santé et le bien-être des populations et des travailleurs

4. Laccès à une éducation de qualité

5. Légalité entre les sexes

6. Laccès à leau salubre et lassainissement

7. Laccès à une énergie propre et dun coût abordable

8. Le travail décent et la croissance économique

9. La promotion de linnovation et des infrastructures durables

10. La réduction des inégalités

11. La création de villes et de communautés durables

12. La production et la consommation responsable

13. La lutte contre le changement climatique

14. La protection de la faune et de la flore aquatiques

15. La protection de la faune et de la flore terrestres

16. La paix, la justice et des institutions efficaces

17. Le renforcement des partenariats pour les objectifs mondiaux

205

Plus délicat, il faut admettre que les ODD comportent nombre de contradictions entre eux ; notamment entre une croissance économique soutenue et la protection de lenvironnement ; la liberté dentreprendre et légalité de droit accordée aux individus ; la protection du paysage et le développement des énergies renouvelables ; un développement intensif des services publics et léquilibre des comptes publics… En définitive, les ODD sapparentent moins à une série de buts indépendants, quà un ensemble complexe darbitrages à effectuer en cherchant à corriger des inégalités qui tendent à saccroître entre catégories sociales favorisées et défavorisées ; jeunes sans expérience et salariés expérimentés ; ruraux ou habitants de ville moyenne, dun côté, et grandes métropoles de lautre, … Certes, les entreprises sont en partie à lorigine de ces inégalités, mais elles sont aussi très mal armées a priori pour les réduire.

Seul un changement dans le modèle de gouvernance dentreprise, qui rompe avec le modèle actionnarial au profit dun modèle partenarial, permettrait de poser sur la table les questions inhérentes au développement durable et de les intégrer dans lagenda de la concertation en entreprise (P. Crifo, et A. Rébérioux, 2019). Ce changement est difficile à opérer, parce quil implique dintroduire une distinction entre, dune part, la concertation sociale entre les « parties constituantes » de lentreprise, à savoir ses dirigeants, ses actionnaires et ses salariés, et, dautre part, louverture de lentreprise à ses autres parties prenantes, au premier rang desquelles viennent les fournisseurs, des représentants de collectivités locales et dONG (O. Favereau, 2019). La démarche RSE constitue un moyen privilégié pour sengager dans cette voie, parce quelle envisage la gouvernance dentreprise comme la première des « 7 questions centrales », qui se déclinent en domaines daction (ISO 26000, 2014)9.

Il suffit de faire le tour horizon des sept questions clés de la RSE, mise à part celle de la gouvernance dentreprise, pour se convaincre quelles sollicitent directement, à un titre ou à un autre, les différentes catégories de ressources immatérielles (comparaison des tableaux 5 et 1). Aussi le développement planifié et concerté de limmatériel doit-il être compris comme un moyen qui permet de soutenir une politique RSE et de répondre ainsi aux ODD. À ce titre, la gouvernance dentreprise doit 206disposer dun référentiel dévaluation des performances extra-financières de lentreprise à vocation stratégique.

Tab. 5 – Les « 7 questions centrales » et les domaines daction de la RSE.

Questions clés

Domaines daction

1) Gouvernance
d
entreprise

Processus et structures de décision :

* Formels : explicitement définis ;

* Informels : dépendants de lhistoire, des valeurs et de la culture de lentreprise.

Domaines de compétence en matière de développement durable :

* Définition des domaines de la RSE dans lesquels la direction de lentreprise doit engager son action ;

* Contrôle des résultats en termes dévaluation dimpact ;

* Possibilité détudier des scenarii alternatifs afin denvisager des changements de cap.

2) Droits de l homme

Identification et prévention des risques susceptibles de menacer les individus ;

Gestion des conflits par la négociation et la médiation.

3) Relations et
conditions de travail

Aménagement des conditions de travail ;

Prévention des risques au travail, incluant les risques psycho-sociaux ;

Mise en place dun environnement de travail favorable au bien-être et à la santé des salariés.

4) Protection de l environnement

Identification des sources de pollution inhérentes à lactivité de lentreprise ;

Responsabilité en matière :

* dépuisement des ressources naturelles ;

* du réchauffement climatique ;

* du déclin de la biodiversité.

5) Bonnes pratiques dans
le monde des affaires

Lutte contre la corruption et la concurrence déloyales ;

Obligation de respecter les droits de la propriété intellectuelle.

6) Questions relatives
aux consommateurs

Pratiques loyales en matière dinformation et de contrat ;

Garanties pour la santé et la sécurité des clients ;

Respect de la vie privée des individus.

207

7) Communautés et
développement local

Développement des compétences et des emplois locaux ;

Recours aux fournisseurs locaux et développement de léconomie de proximité ;

Économie de matière et développement de léconomie circulaire

Contribution à lanimation de la vie locale.

5.2. La gestion des ressources immatérielles
et les processus de coordination de lactivité de lentreprise

Pour sengager dans une politique de développement durable, la direction de lentreprise doit disposer doutils de gestion adaptés. Des progrès notables peuvent être réalisés dans ce sens en reliant de manière explicite le développement des ressources immatérielles à des outils opérationnels existants, notamment en utilisant les processus formalisés de décision et de contrôle qui sappliquent au déroulement de lactivité de lentreprise.

Dans la pratique, lapproche de lactivité de lentreprise – approvisionnement, production et commercialisation – en termes de processus opérationnels a pour finalité de rompre avec lapproche en silos et déliminer les dysfonctionnements qui résultent dune gestion centrée sur lactivité interne dun service ou dun département. Pour pallier les défaillances dun tel fonctionnement, lapproche en termes de processus opérationnels vise à appréhender lactivité de lentreprise en la décomposant en une succession détapes et en repérant leurs interactions. Il sensuit que lanalyse menée en termes de processus a pour avantage didentifier les conséquences dune économie de moyens sur lintégralité dun processus ou, à linverse, de mettre en évidence lintérêt dy allouer plus de moyens. Elle permet également de repérer les risques de goulot détranglement et de gérer de façon efficace les interfaces.

Selon cette démarche, lélaboration dune cartographie des processus permet de figurer par quelles médiations sorganisent les liens logiques entre les différentes phases de lactivité de lentreprise, le recueil et la circulation de linformation, ainsi que les déplacements de matières. Son enjeu est particulièrement prégnant lorsque lon songe à la transformation numérique en cours. Toutefois pour être valide, une telle représentation 208doit être calquée sur le modèle économique de lentreprise. Bien entendu, il nexiste pas de formalisation dotée dune pertinence définie a priori. On peut néanmoins en tracer les lignes directrices pour illustrer comment le développement des ressources immatérielles peut être intégré de manière efficace dans la gestion de lactivité de lentreprise (figure 2).

Fig 2 Cartographie des processus, mobilisation des ressources immatérielles
et développement durable.

Dun côté, les prévisions reposent sur une analyse de la demande potentielle, cest-à-dire du marché perçu en termes dopportunités et de risques, en y intégrant les objectifs du développement durable. De lautre, les résultats atteints portent sur la demande solvable, la rentabilité de lentreprise et ses performances en matière de développement durable. Entre ces points de départ et darrivée, il convient de distinguer trois types de processus à lœuvre.

209

5.1.1. Les processus de management ou de pilotage

Lagencement des processus de gestion de lactivité dans lentreprise dépend dabord de la stratégie que la direction cherche à développer et sa manière dy intégrer la RSE. Par ailleurs, il convient dy associer la communication en interne comme en externe, compte tenu du rôle stratégique qui lui incombe aujourdhui. Dans ce contexte, les processus de management ou de pilotage ont pour finalité dorganiser le déroulement des activités clés et dassurer la mise en cohérence des interfaces. Parallèlement, leur conception doit intégrer les indicateurs de performance qui permettent de mesurer lefficacité des processus opérationnels.

5.1.2. Les processus opérationnels ou de réalisation

Lintégration des processus en matière dapprovisionnement, de production et de commercialisation comporte trois pôles : les processus de vente et dachat10, auxquels il convient daccorder la même importance à chacun des deux, et les processus de production qui, selon lorganisation de lentreprise, peuvent prendre la forme dune gestion par produits ou par projets11. La nouveauté qui consiste à raisonner en termes de RSE et de développement durable tient au fait dintroduire un quatrième pôle, à savoir le développement des ressources immatérielles, qui se trouve ainsi mis au cœur des processus opérationnels compte tenu de ses liens avec toutes les étapes de la création de valeur et de sa réalisation12.

5.1.3. Les processus de support

Selon cette approche, les départements généraux sont conçus comme des fonctions supports, entendues dans un sens élargi, puisque celles-ci désignent à la fois la direction administrative et financière, la direction des ressources humaines, la direction de maintenance des équipements, la direction du système dinformation (DSI). Il convient de souligner le rôle décisif de la DSI, compte tenu des problèmes darchitecture 210et de sécurité des outils numériques employés dans lentreprise, quil sagit de régler afin dassurer une gestion efficace des interfaces et une mise en compatibilité des outils numériques. De plus, il est nécessaire de mettre en place une politique de sécurité et de gestion des risques informatiques13, afin de garantir le capital de confiance acquis auprès des clients et des fournisseurs.

Trois enseignements décisifs méritent dêtre soulignés à partir du schéma que nous venons desquisser. Le premier tient au fait de concevoir la mobilisation des ressources immatérielles selon un agencement particulier qui vise leur congruence étroite avec le déroulement de lactivité de lentreprise. Le second consiste à apprécier leur efficacité au regard des processus opérationnels dans lesquels ces ressources sont intégrées. Le troisième porte sur lintérêt de recueillir et traiter linformation extra-financière en utilisant des indicateurs de performance adaptés à la fois aux ressources immatérielles et à la RSE.

Conclusion

Les ressources immatérielles
comme levier du développement durable

Si la démarche RSE représente un moyen efficace pour que lentreprise sengage dans le développement durable, le recours planifié et concerté aux ressources immatérielles en constitue le levier. Une telle démarche implique lélaboration dun référentiel en matière dinformation extra-financière qui doit être le produit dun large consensus entre les différents acteurs, privés et publics, et fasse lobjet dun accord au plan européen en ce qui concerne la France. Mais, celui-ci ne peut être construit que progressivement. Doù la nécessité de mener parallèlement à un processus dharmonisation des normes réglementaires, auxquelles les entreprises doivent souscrire, une expérimentation du référentiel en cours délaboration, en reliant le développement des ressources immatérielles aux processus de gestion de lactivité de lentreprise.

211

Toutefois, une telle démarche comportera une véritable efficacité quà la condition de trouver des modalités de financement appropriées au développement des ressources immatérielles de lentreprise. Ce second volet implique que les acteurs financiers modifient leurs comportements, quil sagisse de financement par crédits bancaires ou par fonds propres, et quils sengagent dans la « finance responsable ». Un tel changement ne peut advenir sans un soutien organisé des pouvoirs publics sous la forme dune politique industrielle prenant appui sur un système bancaire public mis en place aux plans national et européen. Parallèlement, il est nécessaire non seulement de trouver un accord entre dirigeants dentreprise et financiers sur les indicateurs ESG (Environnementaux, Sociétaux et de Gouvernance), mais aussi dapprofondir la mesure des impacts imputables aux moyens mobilisés par les entreprises pour répondre aux objectifs de développement durable. Cest dans cette direction quil est souhaitable de poursuivre la présente recherche.

212

Bibliographie

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1 « Le Pacte mondial des Nations Unies » est un organisme associé au Secrétariat général, créé en 2000 afin dinciter les entreprises à intégrer les ODD dans leurs stratégies.

2 Cet article sappuie sur trois missions menées auprès du Ministère de lÉconomie et des Finances (MEF). – La première mission (mars 2014 - Juillet 2015) a porté sur lélaboration dune grille dindicateurs dévaluation des ressources immatérielles de lentreprise, dans le cadre dun groupe de travail réunissant des experts de plusieurs disciplines, mis en place par la DGE (Direction Générale de Entreprises). – La seconde mission (septembre 2017 - juillet 2018) a été menée dans le cadre dune action pilotée par la DGE et lOI (Observatoire de lImmatériel), confiée à ATEMIS, laboratoire de recherche et dintervention privé, dirigé par Christian du Tertre. Fondée sur une enquête auprès dune dizaine de TPE-PME, elle a consisté à créer un site internet dédié à lévaluation du capital immatériel des entreprises : www.cap-immateriel.fr (C. du Tertre, C. Perrier, et R. du Tertre, 2018). – La troisième mission (en cours, décembre 2020 - Juin 2021), menée dans le cadre dun groupe de travail mis en place par Le Médiateur des Entreprises, un service du MEF, porte sur la mise en valeur du label RFAR (Relations Fournisseurs et Achats Responsables) en se fondant sur une enquête auprès dune dizaine de grandes entreprises et dETI.

3 La certification des comptes dentreprise est assurée par un commissaire aux comptes indépendant, affilié à la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), cet organisme étant soumis au Haut Conseil du commissariat aux comptes (H3C). De leur côté, lAutorité des normes comptables (ANC) fixe les règles de la comptabilité privée qui doivent être homologuées par le ministre de lÉconomie et des Finances, tandis que lAutorité des marchés financiers (AMF) est responsable de la régulation de la place financière française.

4 Le rapport de Patrice de Cambourg (2019), Président de lANC, dresse un tableau systématique des organismes professionnels qui se préoccupent de linformation extra-financière des entreprises.

5 Les deux organismes signent un accord sur la démarche dévaluation du capital immatériel en octobre 2016, qui est complété par un deuxième accord en décembre 2018 concernant lapproche des ODD (SDG, Sustainble Development Goals).

6 Le groupe de travail, lEFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), a été mandaté le 28 janvier 2020 par la Commission européenne pour préparer, sous la présidence de Patrice de Cambourg, la révision de la directive européenne actuelle sur « Linformation non financière des entreprises », Non Financial Reporting Directive (NFRD), 2014/95/UE.

7 Axée sur ce que recouvre linformation extra-financière, lanalyse menée ici ne discute pas les fondements conceptuels de trois notions : capital immatériel, actif immatériel et ressources immatérielles. En bref, la notion de capital désigne une avance monétaire pour engager un processus de production, dont les risques sont compensés par des droits portant sur un flux de revenus dans le futur. Un actif représente une immobilisation monétaire inscrite au bilan de lentreprise. Une ressource désigne un input, cest-à-dire un facteur de production, employé dans le processus de production.

8 Le mot « signification » est choisi par nous à la place de « matérialité » qui correspond à lexpression consacrée selon la terminologie financière en usage, et qui est directement traduit de langlais materiality, ce qui prête à contre-sens. Par définition, la « matérialité » désigne limportance qui peut être attribuée à une information extra-financière au regard de son aptitude à influencer raisonnablement le jugement de celui qui en prend connaissance.

9 La norme ISO 26000, « Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale des organisations », créée en 2010, est laissée inchangée depuis cette date.

10 Cf. Le Label RFAR (Relations Fournisseurs et Achats Responsables) attribué par le Médiateur des entreprises, Ministère de lÉconomie et des Finances, est certification selon la norme ISO 20400:2017, « Achats responsables ».

11 Cf. La norme ISO 9001:2015, « Système de management de la qualité ».

12 Cf. La norme ISO 14001:2015 « Systèmes de management environnemental ».

13 Cf. La norme ISO 27001:2013, « Technologies de linformation – Techniques de sécurité – Systèmes de gestion de sécurité de linformation ».