Résumés
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : L’Humiliation. Droit, récits et représentations (xiie-xxie siècles)
- Pages : 589 à 597
- Collection : POLEN - Pouvoirs, lettres, normes, n° 15
Résumés
Lucien Faggion, Christophe Regina et Alexandra Roger, « Avant-propos »
Le principe de l’acte d’humilier a justifié l’approche interdisciplinaire de ce livre, composé de vingt-cinq contributions et consacré à une notion polysémique et ambiguë, qui méritait d’être analysée du Moyen Âge à nos jours et dans des espaces politiques, sociaux et culturels différents (France, Espagne, Italie, saint Empire, Balkans, Mélanésie). L’attention a été prêtée au lien social mis à mal par l’acte de l’humiliation, à l’injustice et au conflit créés par l’expérience de la dégradation.
Lucien Faggion, Christophe Regina et Alexandra Roger, « Introduction générale. “L’acte et le sentiment d’humiliation” »
L’analyse de l’humiliation nécessite que soit distingué l’acte, lequel peut ne pas affecter l’individu si celui-ci méprise la personne qui est à l’origine de l’attitude dégradante (humiliation objective) –, du sentiment, qui suscite la honte (humiliation subjective). D’abord vécue sur le plan familial, social et professionnel, l’humiliation connaît ensuite, dès la fin de l’époque moderne, un processus d’individualisation et de subjectivation.
Benoît Garnot, « Introduction »
Quels sont les liens entre l’humiliation et la justice ? Pour les victimes, l’humiliation, qui est considérée en justice comme un dol, doit être réparée ; pour les accusés, l’humiliation résulte du procès et participe à l’exercice même de la justice, même si ces deux aspects sont différents et ne peuvent pas être saisis sur le même plan.
590Bernard Ribémont, « L’humiliation en contexte judiciaire dans la chanson de geste (xiie-xiiie siècle) »
Détenant une place centrale dans les sociétés médiévale et moderne, l’honneur et la bona fama se doivent d’être défendus et préservés au sein de la société et de la justice. En effet, une fois l’honneur bafoué et le discrédit moral et social (infamia facti) jeté sur l’individu, celui-ci se trouve exclu de la communauté à laquelle il appartient. L’étude des chansons de geste contribue ainsi à éclairer le lien existant entre humiliation, renommée, crime et justice aux xiie et xiiie siècles.
Youna Hameau-Masset, « L’humiliation des juifs dans les normes catalanes aux xiie-xive siècles »
Les droits processuel et pénal en Catalogne au Bas Moyen Âge aménagent une place importante à l’honneur et, pour y porter atteinte, à l’humiliation. Cela se constate particulièrement au moment des sentences par l’emploi de peines humiliantes ou le fait de se voir appliqué le statut d’infâme qui limite fortement les droits du justiciable, allant jusqu’à une mort civile, et qui ternit définitivement sa réputation, ce que permet de révéler cette étude consacrée au statut des juifs.
Darko Darovec, « “Acte de la Réconciliation Publique”. Humiliation in the Ritual of Vendetta »
Fondé sur les études interdisciplinaires historiographiques et anthropologiques et des sources d’archives, l’article tend à reconstruire les rituels de la vengeance, en prêtant une attention particulière à l’acte d’humiliation et à la pénitence comme le reflètent les documents de l’Europe méridionale à l’époque moderne, comparés avec de nombreuses affaires du Moyen Âge.
Antoine-Marie Graziani, « “Caneggiare” : donner aux chiens. L’humiliation suprême ? »
Caneggiare se dit en Corse pour donner quelqu’un vivant aux chiens. C’est là une sorte de suprême humiliation dans une société pourtant réputée violente et le pendant masculin, pour un homme d’honneur, au poison donné par leurs époux aux femmes de mauvaise vie. Il faut dire que le chien « féroce » 591accompagne partout le Corse et ce jusque dans l’Iconologia de Cesare Ripa. Et que son image est ambivalente, à la fois fidèle compagnon et chien d’attaque, une arme et une bête impure.
Laura Viaut, « Mourir en Grève à Paris sous l’Ancien Régime. L’humiliation du criminel d’après les journaux manuscrits des gens de justice »
Parce que l’exécution publique d’Ancien Régime a souvent été considérée à la lumière des sources juridiques, la littérature de témoignage, moins connue, pouvait apporter de nouveaux éclairages. En suivant cette perspective, l’analyse des journaux personnels manuscrits des gens de la justice révèle des liens étroits entre l’humiliation du criminel et le regard du praticien. L’auteur du journal étudié destinait ses écrits au public en les remaniant dans un but pédagogique.
Célia Magras, « L’instrumentalisation de l’humiliation en droit de la faillite. Un mécanisme d’ostracisme commercial »
L’étude de l’histoire de la faillite est une parfaite illustration de l’instrumentalisation de l’humiliation par le droit. Le commerçant incapable d’honorer ses engagements même sans avoir commis de faute représente un danger pour l’ordre social et une nuisance pour ses créanciers. L’humiliation paraît alors la meilleure voie pour assurer la visibilité et l’exclusion du commerçant défaillant.
Jérémy Bourgais, « L’humiliation infligée par la justice. Humiliation et peine, du Moyen Âge au xxe siècle »
L’humiliation de la personne semble inhérente à sa mise en cause par la justice pénale, et ce, quelle que soit l’époque considérée. Partant, il convient de s’interroger sur les éventuels effets de l’humiliation quant à l’efficacité du traitement pénal. Il semble pertinent de mettre en lumière les interactions entre l’humiliation inhérente au traitement pénal et les fonctions assignées au droit et à la procédure pénale en général, et à la peine en particulier.
592Fabrice Micallef, « Introduction »
Les espaces de la politique sont ouverts sur le social, le culturel, le juridique et le littéraire : ils se situent tous à la croisée d’expériences multiples, marquées par des trajectoires individuelles ou collectives propres, par les usages de l’humiliation dans les rapports existant entre les représentants du pouvoir et ceux qui doivent obéissance à ce dernier.
Mélanie Thoinet, « Les pouvoirs de l’humiliation. La répression de la conjuration du Poggio (1465-1466) contre les Médicis »
À Florence, la succession médicéenne en 1465-1446 donne lieu à la conjuration du Poggio. La répression de celle-ci prend la forme d’une humiliation mettant en jeu espaces physiques et dimension symbolique. Dans l’espace citadin, il s’agit d’abord de faire disparaître physiquement les ennemis, en ciblant leur résidence ; cette action se double d’une portée symbolique. Au-delà, l’humiliation de la sanction redéfinit les relations extrafamiliales et produit des discours variés.
Olivier Zeller, « Humiliation publique, morale civique et autorité politique à Lyon au xvie siècle »
Cette étude de cas s’attache à analyser un événement survenu en 1594 à l’époque de la restauration de l’autorité royale à Lyon. Un jeune orfèvre avait refusé de participer aux patrouilles nocturnes menées par la milice de son quartier, puis avait frappé son sergent. L’humiliation publique consista à implorer pardon devant tous les soldats de son quartier. Mais elle ne se solda par aucune mort sociale.
Giovanni Florio, « S’incliner devant un Prince républicain. Images de la souveraineté et de l’assujettissement dans les ambassades d’obéissance aux doges de Venise »
L’élection du doge de Venise est un sujet amplement étudié du point de vue politique et procédural, mais, plus récemment, une perspective interdisciplinaire a suggéré l’opportunité de considérer l’élection ducale dans la dimension du rituel civique : dans la procession ducale, dans la représentation du doge au peuple et dans l’idéale humiliation à ses pieds de toute la ville, on a voulu reconnaître une certaine image de la souveraineté et de l’ordre républicain.
593Carlos Antolín Rejón, « “And I, truly heartbroken, again throw myself full of humility at your Majesty’s royal feet”. Diplomacy, Reputation and the Humiliation of Prince Filiberto of Savoy in Madrid (1610) »
Le 19 novembre 1610, le prince Philibert s’humilie devant Philippe III pour éviter la guerre entre son père, le duc de Savoie, et la monarchie hispanique. L’humiliation de Philibert ne fut un acte ni spontané ni volontaire, mais une mise en scène soigneusement calculée et négociée. Grâce à l’abondante documentation conservée en Espagne et à Turin, il est possible de reconstituer les termes, le langage et quelques-uns des gestes que le prince se vit obligé d’employer.
Jérôme Lecompte, « Le courtisan humilié. Les risques de l’éloge sous le règne de Louis XIV »
Toute la carrière du P. Rapin s’est faite auprès des Grands. En 1686, il réunit quatre panégyriques illustrant une conception nouvelle du sublime, le « sublime dans les mœurs ». Mais l’attribution à Condé du « sublime de la retraite » déplaît à son fils le duc d’Enghien, ce qui l’oblige à publier en réparation Le Magnanime, ou l’éloge de Condé, en 1687. De l’humiliation consentie à l’humiliation subie, quelle a été l’attitude de Rapin ?
Lucien Faggion, Christophe Regina et Alexandra Roger, « Introduction »
Hiérarchisée, la société du Moyen Âge et de l’époque moderne se fonde sur la réputation et des rites qui autorisent à dégager la place attribuée à chacun. Le statut ainsi détenu, qui repose sur la hiérarchie de l’honneur et celle de la richesse, ne peut accepter une quelconque atteinte à la réputation et, lors d’un affront, les mots et les signes aident à cerner ce qui est perçu/vécu comme un acte infamant que doivent endurer à la fois la personne blessée et le groupe social dans lequel celle-ci vit.
Olivier Caporossi, « L’expérience de l’humiliation dans une société militaire. Les gardes royales de la monarchie espagnole au xviie siècle »
Les Habsbourg confiaient leur sécurité à trois gardes royales (compagnie allemande, garde flamande, garde espagnole). Ces soldats dépendaient en première instance de leur capitaine et en appel de la Junte du Bureau et 594du Conseil de Guerre. Ils étaient logés au milieu de la société civile dans la capitale, dont la police se trouvait exercée conjointement par le corregidor de Madrid et les six Alcades de Cour. Cette situation était source de conflits avec les autorités civiles.
Pauline Landois, « Récits d’humiliation chez les apprentis et compagnons allemands du xviiie siècle »
L’humiliation est ici étudiée à partir de quatre autobiographies d’artisans allemands nés au xviiie siècle. La fonction de l’humiliation comme levier de régulation du groupe sous l’égide des corporations est analysée, en lien avec les notions connexes d’honneur et d’humilité. En relatant des expériences humiliantes dont ils ont été victimes de la part des maîtres, les auteurs contestent l’ordre corporatiste établi.
Hélène Savoie Colombani, « De l’humiliation (images et symboles) dans les mythes kanak »
Qu’est-ce que l’humiliation dans l’oralité mythique précoloniale des Kanak, peuple premier de la Nouvelle-Calédonie, qui fut colonisé au xviiie siècle ? L’humiliation, thème récurrent dans l’oralité océanienne, s’avère être un sentiment de honte qui résulte d’une offense, d’un acte qui porte atteinte à l’amour propre, à la fierté ou à la dignité d’un homme ou d’une communauté.
Catherine Tourre-Malen, « “Tu as tout d’un crapaud juché sur une boîte d’allumettes !” L’humiliation dans l’enseignement de l’équitation »
Jusqu’à la fin des années 1970, l’enseignement de l’équitation était souvent contraignant. L’humiliation y tenait une bonne place (moqueries, injures, vexations). Curieusement, ces pratiques n’ont pas dissuadé les objectifs du groupe de cavaliers enquêtés : tous eurent de longues carrières d’amateurs. La fierté qui transparaît dans leurs témoignages laisse entendre un consentement à l’humiliation résultant d’une acculturation dont les effets se font encore sentir.
595Claudine Sagaert, « La fabrication de la laideur. La tonte comme instrument d’humiliation »
L’humiliation est abordée dans les écrits scientifiques, mais rares sont ceux qui considèrent les conséquences de l’atteinte à l’apparence dans ce type d’avilissement qui est loin d’être anodin. L’enlaidissement a donc souvent été manié comme moyen de dégrader certains groupes de personnes. La fabrication de la laideur s’est inscrite avec force dans l’histoire du féminin : l’humiliation subie par les femmes tondue en est une des formes.
Thibault Catel, « Introduction »
La littérature est un instrument efficace pour rapporter, décrire, dénoncer et rendre publiques des scènes d’humiliation, fictives ou réelles, dont la valeur varie (de l’animalisation à la sanctification). Un tel processus d’écriture incite le chercheur à prêter attention à l’historicisation de la notion et des représentations de l’humiliation au cours des siècles, selon les contextes politiques, sociaux et culturels étudiés.
Corinne Denoyelle, « Le Roman de Perceforest. De l’humiliation à l’humilité »
La réalité médiévale semble avoir utilisé le processus d’humiliation comme régulateur social. Voyant l’état de chaque individu comme le reflet d’un péché à expier ou d’une grâce à célébrer, la société se moque sans compassion des plus faibles ou des condamnés soumis à une violence à nos yeux dégradante. Le Roman de Perceforest, écrit au xve siècle à la cour de Bourgogne, montre la hantise de l’humiliation dans le milieu aristocratique, tout entier tendu vers l’honneur.
Jacques Guilhaumou et Isabelle Luciani, « Perdre sa dignité. Humiliation et comptabilité de l’existence dans les livres de raison (Provence, xviie siècle) »
Au cours de la première modernité, les livres de raison peuvent être prolixes en narrations de soi. En Provence, les vocables « humiliation » ou « humilié » n’apparaissent guère, mais les scènes d’humiliation, saisies comme atteinte à la dignité d’autrui, ne sont pas rares. À travers deux livres de raison du xviie siècle, il s’agit de comprendre si cette dégradation de l’honneur est évaluée à l’aune de l’économie dominante des valeurs ou si le bilan comptable permet à l’individu de repenser l’ordre social.
596Mathilde Vanackere, « Vivre en disgracié. Formes et enjeux de l’écriture humiliée chez Bussy-Rabutin »
Les écrits produits par Bussy-Rabutin à l’occasion de sa longue disgrâce suggèrent la complexité et la pluralité de l’humiliation publique qu’il vit alors. Aux différents aspects revêtus par l’humiliation subie par le courtisan déchu – dégradation physique, isolement social, atteinte à sa réputation – répondent des stratégies d’écriture multiples qui recouvrent les divers axes de la reconquête d’une dignité.
Pierre Blanchard, « L’humiliation comme un jeu. Pratiques satiriques au xviiie siècle »
Depuis ses origines antiques, la satire est un genre marginal. On prête au satirique un tempérament fielleux et volontiers revanchard. Les choses changent à la période classique, notamment grâce à Régnier et Boileau. Mais, au xviiie siècle, la satire évolue et se transforme en espace dévolu au droit d’humilier l’adversaire. Ce sont les circonstances et les modalités de cette évolution que nous nous proposons de retracer ici.
Virginie Yvernault, « Archéologie d’une rumeur. La flagellation de Beaumarchais à Saint-Lazare »
Cet article se propose d’observer les mécanismes de l’humiliation infligée à Beaumarchais en 1785. Il retrace le développement d’une rumeur de flagellation à Saint-Lazare et ses conséquences désastreuses sur l’image publique du dramaturge. L’examen conjoint des textes et des gravures, réalisées à cette occasion, permet d’analyser le passage d’une peine de prison dégradante à une humiliation publique.
Marie-Christine Garneau de l’Isle-Adam, « Chateaubriand, poète du devoir et “martyr de l’honneur” »
En France, Chateaubriand est peut-être le seul grand homme de lettres et grand homme d’État à avoir connu l’humiliation avant et après l’heure du succès. Sont explorés ici les délinéaments des humiliations qu’on lui infligea, sa conscience de l’humiliation (la sienne et celle de la patrie), les règles de conduite que très tôt il s’imposa, afin de conjurer toute vexation ; enfin, cette morale de l’honneur, de la liberté et du sacrifice qui est la sienne.
597Gilles Viennot, « Régis Jauffret ou la littérature de l’éreintement »
Houellebecq décrit un monde-simulacre où la toute-puissance de la science et du capitalisme érige la compétition comme loi unique et débouche sur la destruction de tout altruisme, prélude à la mort de l’humanité occidentale. Jauffret relate l’étape suivante, celle de la décomposition du monde, visible à travers les mutations de la famille devenue le creuset où se propage la folie. L’auteur déroute le lecteur, invité peut-être à retrouver la sagesse et la modération.
Augustin Voegele, « Un héritier méconnu de Sacher-Masoch ? Jules Romains et la langue humiliée »
Jules Romains, écrivain « de bonne volonté » s’il en fut, n’hésite pas à se comporter parfois en héritier de Sacher-Masoch. Accablé par le spectacle d’un univers en proie à la guerre, le pape de l’unanimisme renonce à ordonner le cosmos et choisit de l’humilier, afin d’y rendre possible l’apparition de quelques îlots d’humanisme. Il semblerait que l’offense, l’affront et l’outrage ne soient chez Romains rien d’autre que des actes de fidélité, de loyauté et de foi.
Lucien Faggion, Christophe Regina et Alexandra Roger, « Conclusion »
L’analyse de l’acte et du sentiment d’humiliation rend compte d’une mise en scène et en récit de ce qui a été observé, ressenti, vécu, subi ou consenti, tout comme d’une justification et/ou explication de faits passés, fondée sur la rhétorique et les représentations : le discours sur l’humiliation nous aide ainsi à cerner le fonctionnement d’une société à une époque spécifique de son histoire, avec ses hiérarchies, ses ostracismes, ses réticences et ses tabous.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-08603-1
- EAN : 9782406086031
- ISSN : 2492-0150
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08603-1.p.0589
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 30/07/2019
- Langue : Français