![Études digitales. 2020 – 1, n° 9. Capitalocène et plateformes. Hommage à Bernard Stiegler - Hypercapitalisme, l’accélération du Capitalocène](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/EdgMS09b.png)
Hypercapitalisme, l’accélération du Capitalocène Financiarisation et plateformisation versus infrastructures contributives et internation
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Études digitales
2020 – 1, n° 9. Capitalocène et plateformes. Hommage à Bernard Stiegler - Auteurs : Béraud (Philippe), Cormerais (Franck)
- Pages : 185 à 203
- Revue : Études digitales
Hypercapitalisme,
l’accélération du Capitalocène
Financiarisation et plateformisation versus
infrastructures contributives et internation
Le capitalisme use et corrompt. Il est un énorme consommateur de sèves dont il ne commande pas la montée. Or, non seulement le capitalisme ne fournit pas le principe et les ressources de l’ordre politique dont il a besoin, mais son développement met en péril les exigences et les techniques de l’intégration politique.
François Perroux, Le capitalisme, PUF, Paris, 1960, p. 104.
Une axiomatique du rendement
et de la rentabilité
Nous faisons l’hypothèse que l’hypercapitalisme est le régime d’accumulation et le capitalocène son externalité négative, celle dont nous pouvons constater l’existence dans un désastre qui s’exprime du point de vue de l’écologie-monde1. Le capital entre ainsi dans une nouvelle phase de sa puissance que l’on peut qualifier « d’informationnelle » avec les données massives, l’intelligence artificielle et le machine learning. En effet, une nouvelle instanciation machinique de la mobilisation du calcul et de la mémoire se réalise dans un système d’accumulation qui repose lui-même sur une nouvelle époque du transfert. Nous entendons par 186puissance informationnelle ce qui recouvre l’économie de l’information2, mais aussi l’économie de la connaissance3. Aussi, l’hypercapitalisme n’est pas une simple variante du capitalisme cognitif4 mais son aboutissement en quelque sorte dans une forme de gouvernementalité renouvelée, où tend à s’imposer un nouveau régime de la monnaie et de la financiarisation.
Pour saisir l’importance du transfert, depuis le transfert des choses (fonds d’argent) jusqu’au transfert des idées du sujet (psychanalyse), rappelons que des raisons économiques avaient suscité, durant la première moitié du 20e siècle, la recherche d’une théorie mathématique de l’information et de la communication. Les théorèmes de Claude E. Shannon s’inscrivaient dans l’aboutissement de recherches empiriques liées à l’exigence d’une société économiquement développée depuis l’apparition de l’âge industriel. Voyons comment le concept de conversion, qui désigne l’action de changer quelque chose en une autre se trouve, chez Shannon, lié dans une approche qui bouleverse l’organisation du monde par ses différentes applications. Les incidences de la théorie de l’information5 sont aussi importantes que la théorie de l’évolution au 19e siècle, elle va organiser des déplacements, des transports dans de multiples lieux.
La « grande conversion » dont parle Milad Doueihi6 ou encore la « nouvelle grande transformation » de Moulier Boutang7, celle qui nous fait passer du monde analogique continu vers des représentations numériques discrètes, est décrite par Shannon. Ainsi, il deviendra par la suite désormais possible que les données (texte, son, image, vidéo, etc.) soient stockées et manipulées sous forme numérique ; c’est-à-dire à l’aide de nombres entiers qui sont convertis en une succession de bits (des 0 et des 1). Cette conversion, qui s’avère le moment décisif d’un 187saut radical, repose sur trois étapes : a) l’échantillonnage pour passer de fonctions continues à une succession de nombres ; b) la compression pour passer à une succession la plus compacte possible de chiffres binaires ; c) le codage correcteur d’erreurs enfin, pour rendre le message binaire « lisible » car non faussé par du bruit. Un nouveau procès d’accumulation reposant sur des données informationnelles (data) peut alors s’engager.
Rappelons que la théorie de Shannon est d’abord une théorie du rendement informationnel compris comme opération de transfert et transport du message. Cette approche théorique se traduit ensuite dans les innovations guidées par les impératifs de rentabilité économique de la Bell Telephone Company, à laquelle collaborait Shannon, et qui possédait sa propre revue dans laquelle est publiée la première édition de son fameux article en 19488. Aujourd’hui, après que Shannon ait établi des formalisations sur les données et le canal de transmission qui restent des bornes d’optimalité, une nouvelle étape s’opère avec des méthodes et des algorithmes de calculs efficaces qui sont principalement mis en œuvre par les départements de R&D des GAFAM.
L’explosion de la communication numérique est en l’héritière, avec l’apparition d’un nouvel équivalent dans l’histoire de l’écriture, qui se comprend comme le passage du rendement des machines thermiques au rendement des machines informationnelles. La grande conversion, résultat du triptyque échantillonnage, compression, codage, devient l’axiome sur lequel repose la rentabilité économique. Aussi, on peut affirmer que le « souci de la rentabilité immédiate a dominé toutes les parties du développement technologique de la communication qui s’est déroulée dans des systèmes économiques où le projet conditionnait sinon la totalité de la recherche scientifique, du moins la mise en œuvre pratique de la plupart de ses découvertes9 ». Si la technologie opère un transfert entre l’analogique et le numérique, la question devient comment se réalise le transfert qui va du rendement à la rentabilité. Cette question du passage est décisive pour comprendre l’avènement de l’hypercapitalisme.
188Ce dernier superpose deux éléments dans un double mouvement de transfert : la conversion en data, comprise comme triple opération (échantillonnage, compression, codage) en vue d’accroître un rendement, et une valorisation du capital reposant sur le triptyque captation, contrôle, extraction dans la recherche d’une rentabilité.
Critique de l’information
et grammatisation de l’hypercapitalisme
Le passage des machines thermiques aux machines informationnelles va faire l’impasse sur les caractéristiques physiques du concept d’entropie, ou du moins, en restreindre la portée. En effet, pour Shannon, l’entropie ne sera finalement qu’une façon de réduire le bruit sur le canal. L’information devient ainsi un vecteur de « néguentropie » autour du triptyque de la conversion que nous avons présentée. Des implications plus tardives de cette vision d’ingénieur se retrouveront chez des auteurs qui vont utiliser dans différents domaines la référence à la théorie de l’information. En biologie Léon Brillouin, en anthropologie Lévi-Strauss, vont concevoir l’information comme l’inverse de l’entropie. Ainsi l’information se met à circuler parmi les choses du monde, il est fréquemment prétendu qu’elle repose sur quatre opérations majeures : recevoir, émettre, stocker, traiter10. Cette interprétation se détourne de la conception thermodynamique de l’entropie en réduisant son approche à du calculable.
Cette position sera partagée à travers le paradigme du « tout information », largement mis en œuvre par les tenants du structuralisme ; elle se transformera par la suite dans le « tout calcul » d’une computation qui écrase le symbolique. Citons Lacan qui réintroduit la dimension symbolique dans l’économie psychique, là où elle avait tendance à disparaître dans la descendance de la cybernétique : « Le mot-clé de la cybernétique, c’est le message. Le langage est fait pour ça, mais ce n’est pas un code ; il est essentiellement ambigu, les sémantèmes sont toujours des polysémantèmes, les signifiants sont toujours à plusieurs 189significations, quelquefois extrêmement disjointes11 ». Si Lacan tente d’échapper ainsi à un réductionnisme, où le symbolique se retrouve sous la domination de l’instance du code, le « signifiant maître » dans sa terminologie, il nous faut revenir sur le statut du symbolique pour comprendre l’avènement d’un hypercapitalisme. La relation entre instrument (machine informationnelle) et capital se comprendra autour de l’inscription dans une mémoire artificielle d’une double opération de conversion et de valorisation. La mémoire devient ainsi le lieu du dépôt d’un jeu d’écriture12, et la base de données (Database) deviendra la banque de données (Data Bank) dans un enchaînement de différents transferts, depuis des programmes intégrés dans des logiciels vers des ensembles organisés d’information de toutes natures. Notons que dans son usage la banque de données comprend un système de recherche d’information qui vient compléter le système de gestion de la base de données.
Avec l’informatique, le symbolique se trouve lié à un procès indissociable d’une progression qui passe par l’avènement de l’écriture comprise comme grammatisation13. La grammatisation désigne la transformation d’un continu temporel en un discret spatial : c’est un processus de description, de formalisation et de discrétisation des comportements humains (calculs, langages et gestes) qui permet leur reproductibilité. La grammatisation réalise une abstraction de formes par l’extériorisation des flux dans les rétentions (exportées dans nos machines, nos appareils). Le procès de la symbolisation superpose différents régimes de l’échange (verbal, commercial, numéraire, etc.). Ainsi, la relation entre le mode de conscience et le mode d’échange suppose l’apparition d’un équivalent général ; un invariant qui permet une certaine métastabilité. Il existe dès les sociétés anciennes un lien fort entre l’alphabet, la rationalité et le commerce. Ce lien explique une situation où « la rationalité scientifique ne peut naître que comme contemporaine de l’équivalent universel circulant et du mode de symbolisation désaffecté qu’il inaugure. Comme l’alphabet, et pour les mêmes raisons, la rationalité scientifique est solidaire d’une 190certaine phase du commerce14 ». L’universel, ou l’un métastable, suppose un milieu (signe, alphabet, chiffre, science, métrologie, etc.) dans lequel s’organise une liaison entre l’abstraction théorique et l’intérêt pratique autour d’un invariant central. Le sujet connaissant (épistémique), qui comprend l’invariant de la logique et l’activité de la raison, dépend de la pratique socialisée du symbolique et de ses échanges.
Avec le saut qu’opère l’hypercapitalisme, dans sa dépendance de la conversion numérique, se comprend d’autant plus aisément qu’avec l’ordinateur et plus largement l’environnement des télécommunications : « la machine à penser est l’apport de la société capitaliste-technocratique à l’histoire de l’écriture. Si les Phéniciens et les Grecs, ces commerçants, ont été capables d’un mode de signifier diacritique, avec l’écriture par signes alphabétiques décomposant la parole en ces unités minimales pertinentes, la société a su porter plus loin encore, un certain procès d’autonomisation des marques symboliques. Substituant le montage de circuit à l’organisation des signes linguistiques, et le jeu électronique de ce montage aux opérations cérébrales, le moderne ordinateur réalise un nouveau saut dans l’inscription. Écriture opératoire qui manipule des signes insensés, désémantisés15 ». L’écriture du monde qui vient est bien celle de l’informatique qui superpose au signe linguistique le codage informatique. Le capitalisme technocratique aujourd’hui n’est plus un capitalisme d’État, mais un hypercapitalisme que nous nous proposons de décrire.
L’hypermodernité produit une « écriture désaffectée », par laquelle l’opérativité des machines informationnelles superpose la data au signe dans un surcodage. Le mode signifiant devient une opération de calcul (computation) qui intensifie la circulation des flux du capital. Il devient possible d’automatiser un traitement du « symbolique », indépendamment de tout contexte concret de production. Voici caractérisé un saut décisif dans l’histoire des technologies intellectives et dans l’histoire du capitalisme, saut qu’esquissait Jean-François Lyotard16 et que confirme Bernard Stiegler avec la génération automatique des protensions17. L’autonomie 191opératoire d’un symbolique « désaffecté », autrement dit a-sémiotique, renvoie au danger d’un « tout informationnel » qui se trouve confirmé par l’envahissement de cette notion dans divers champs scientifiques, depuis la biologie moléculaire jusqu’aux sciences cognitives. Le vivant, au sens de l’existentiel, devient secondaire derrière le logiciel ; il est pris dans les boucles rétroactives et se situe désormais entre les inputs et les outputs des boîtes noires d’une informatique en réseau dotée d’une puissance de calcul toujours croissante venant alimenter le projet d’une intelligence artificielle générale (General AI).
Deux conclusions s’imposent avec la nouvelle étape de la grammatisation que réalise l’écriture numérique : a) le concept de gradient du symbolique, progressivement décroissant, permet d’apprécier la trajectoire qui va des capitalismes anciens à une modélisation de l’hypercapitalisme actuel. La loi d’une désymbolisation « affective » qu’opèrent les systèmes formels se met au service d’une circulation du capital à la vitesse de la lumière18 dans une mise entre parenthèses de la conscience humaine ; b) L’impensé des théories de l’information, en lien avec la disparition de l’entropie réduite à du bruit19, rend impossible la prise en « compte », c’est-à-dire la comptabilité des externalités négatives de l’économie capitaliste. En effet, l’économie de l’information, depuis Hayek, se limite principalement à souligner les imperfections des structures de coût de l’information sans prendre en considération l’état du monde et sa finitude20.
Ce phénomène explique la situation d’une mondialisation des marchés reposant sur une « im-mondialisation », c’est-à-dire un effacement de la spécificité des localités et des territoires. La caractéristique majeure d’une théorie économique de la data consiste donc à produire un métasystème où l’automatisation de syntaxes (codification) de plus en plus complexes recouvre toujours plus de situations organisationnelles à partir d’une accumulation dans des bases, des banques, puis des fermes de données21. Aussi, nous sommes en droit de postuler que l’hypercapitalisme est bien 192un nouveau régime d’accumulation, de plus en plus décorrélé d’un mode de production (l’économie réelle face à l’économie virtuelle), témoignant ainsi de la décroissance du gradient symbolique, où une nouvelle forme d’exploitation du travail vivant s’opère dans le digital labor22
Hypercapitalisme et plateformisation numérique
En tenant compte de ce qui précède, nous définirons l’hypercapitalisme comme un régime d’accumulation, au sens des approches de la régulation23, qui s’appuie sur les infrastructures numériques pour faire converger l’extension illimitée des places de marché propres à l’économie de plateforme, la captation et la valorisation des données personnelles, l’externalisation et la sous-traitance généralisées des activités, ainsi que l’émancipation du capital vis-à-vis des régulations étatiques et institutionnelles. Bien qu’il puisse apparaître comme un puissant facteur d’entropie pour l’organisation économique, qualificatif qui redouble tout en le précisant celui de disruption, et surtout qui permet de faire le lien avec la nature du Capitalocène, le régime d’accumulation de l’hypercapitalisme n’en renvoie pas moins à l’émergence de régularités favorables à la constitution du nouveau cadre de l’accumulation du capital, « permettant de résorber ou d’étaler dans le temps les distorsions et déséquilibres qui naissent en permanence du processus lui-même24 ». En faisant émerger des organisations nouvelles, porteuses de rapports marchands animés par une vitesse d’intégration et de désintégration apparemment illimitée, l’hypercapitalisme fait entrer les économies et les sociétés dans les cycles d’une accumulation globale dont le mode de régulation est assuré par la dynamique économique des plateformes et par le caractère cumulatif des externalités qu’elles contribuent à générer.
Ainsi l’hypercapitalisme ne renvoie pas seulement à la fragmentation des chaînes de valeur du capitalisme industriel post-fordiste, à la libération 193du compte de capital et au décloisonnement des marchés monétaires et financiers, caractéristiques des stratégies d’entreprise et des réformes d’obédience néolibérale des décennies précédentes. Les dérégulations de l’économie réelle et monétaire, caractéristiques du régime de croissance patrimonial25, sont bien constitutives de son développement et lui offrent des opportunités dont il se saisit pour fluidifier et accélérer les moteurs de l’accumulation. Mais l’hypercapitalisme en démultiplie les effets, en donnant naissance à des conditions qui superposent à l’environnement dérégulé ses propres règles de fonctionnement, combinant exit social, exit fiscal et exit économique et réglementaire territorial. L’épuisement progressif des facteurs favorables à la mondialisation industrielle d’obédience néolibérale, qui ont puissamment contribué à amplifier les externalités négatives du Capitalocène, se traduit par de fortes pressions sur les formes de régulation prévalant depuis les années 1980, avec le point d’orgue de la crise financière de 2007-2008 et ses répercussions. Le capitalisme numérique, avec l’économie de plateforme comme moteur de l’accumulation, tend depuis lors à supplanter le capitalisme industriel et ses institutions, entraînant à la fois la crise et la mutation du mode de régulation post-fordiste.
En témoigne la puissance de marché de l’oligopole numérique, sans équivalent dans l’économie contemporaine, qui bat en brèche le droit et l’économie de la concurrence et réduit à la défensive, voire à la quasi-impuissance, lorsqu’ils existent véritablement, les efforts d’intervention des États, des agences gouvernementales et des institutions supranationales. Une autre des conditions de dépassement, plus disruptive encore, repose sur la capacité de l’économie de plateforme à s’émanciper de l’intermédiation bancaire et des régulations monétaires étatiques et supra-étatiques (banques centrales, BCE), entraînant deux conséquences importantes pour la dynamique économique d’ensemble. La première consiste à élargir de manière significative le spectre du système de financement non bancaire (shadow banking26, fintechs, crowdfunding). La seconde réside dans la circulation de 194nouveaux équivalents des valeurs d’échange, qui puissent favoriser la mutation des transactions vers les cryptomonnaies et les blockchains qui les sous-tendent, érigeant ainsi autant d’alternatives privées aux monnaies des banques centrales et au pouvoir régalien des États.
En ce sens, l’hypercapitalisme articule deux formes d’expression atypiques de la valeur d’échange, à la fois comme marchandise dont la commensurabilité et la circulation sont fonction d’un espace marchand tout entier déterminé par les effets de réseau, et comme expression monétaire encapsulée dans une création indéfinie et un circuit propre, déliés des normes du système monétaire et du marché des changes où circulent et s’échangent les devises des banques centrales. Comment expliquer ces deux phénomènes ?
Hypercapitalisme et démultiplication
des effets de réseau
En premier lieu, l’hypercapitalisme se nourrit d’une économie de plateforme dont l’une des principales caractéristiques consiste à maximiser les effets de réseau, en favorisant le rapport entre l’attractivité de ses marchés multifaces et les demandes supplémentaires qui s’y développent, selon une fonction croissante. C’est à partir de la médiation des algorithmes d’appariement qui mettent en relation les différentes catégories d’utilisateurs présents sur les plateformes que s’opèrent la mobilisation et la captation de la valeur au profit de celles-ci. Ces mécanismes de coordination ont été analysés dans le modèle des multisided platforms formalisé par des économistes comme Jean Tirole27 et Mark Amstrong28, 195et illustrés notamment à travers les typologies de la plateformisation élaborées par Nick Smicek29 et Antonio Casilli30. Si l’on considère le marché comme un mécanisme de communication d’information, ainsi que le définissent Friedrich Von Hayek et plus tard Israël Kirzner, où l’inefficience réside dans « un volume énorme d’ignorance des participants au marché31 », dissimulant les incitations et les opportunités, l’introduction de la coordination algorithmique par les plateformes multifaces se substitue puissamment au processus de tâtonnement des « would be buyers » et des « would be sellers », où seule la participation au marché peut conditionner l’acquisition de l’information.
En corollaire, la deuxième source d’externalités, qui va fortement contribuer à intensifier la première, consiste à transférer la création et la captation de valeur sur les nœuds des relations contractuelles de ce qu’il est convenu d’appeler l’écosystème des plateformes, c’est-à-dire la masse des contractants et utilisateurs, à tous les niveaux de l’activité, dont les effets de réseau ne cessent d’étendre le nombre, à coût marginal faible ou nul. À la coordination technique par l’appariement algorithmique et la coordination économique par les incitations s’ajoute ainsi la coordination systémique, à l’intérieur de laquelle l’intermédiation des plateformes est synonyme de position dominante, déterminée par l’appropriation de l’information et la valorisation des différences, dépendances et asymétries qu’elles contribuent à susciter. Au total, les plateformes bénéficient à la fois d’effets de réseau cumulatifs vis-à-vis respectivement des utilisateurs et des contractants, et des interactions des effets de réseau entre utilisateurs et contractants, qui se renforcent les uns les autres en favorisant la croissance et la valorisation de leurs marchés multifaces.
La démultiplication des effets de réseau met en relief la fonction spécifique des plateformes dans le régime d’accumulation induit par l’hypercapitalisme. Celles-ci ne sont pas seulement des organisations hybrides entre marché et entreprise. Plus précisément, elles contribuent à renforcer les défaillances de marché en organisant leurs propres marchés intégrés, élargissant les offres à l’ensemble de leurs contractants, en relation avec la spirale cumulative des demandes des utilisateurs. Les 196plateformes se substituent à la fonction du marché en matière d’allocation des ressources, en fixant à leur avantage les règles de circulation et de captation de la valeur dans les mécanismes d’échanges qu’elles mettent en œuvre, et en y monnayant les externalités de réseau.
À l’instar du marché, les plateformes de l’hypercapitalisme se substituent également à l’entreprise, en tant que celle-ci crée de la valeur à partir de la combinaison productive des facteurs travail et capital et des effets conjugués de l’investissement et de l’innovation. La contractualisation généralisée inhérente à l’économie de plateforme s’inscrit en faux contre l’entreprise du capitalisme concurrentiel ou managérial, dont la fonction d’intégration conditionne la productivité des facteurs et la réduction des coûts de transaction32. C’est vers l’approche financière de l’entreprise qu’il faut se tourner pour identifier la nature et la forme d’organisation des plateformes. Dans la théorie de l’agence de Jensen et Meckling qui fait de l’économie de l’information l’objet central de l’analyse microéconomique33, l’entreprise devient un ensemble de relations contractuelles, un « nœud de contrats », une « fiction légale » qui la fait disparaître comme institution productive identifiable et la conforte comme structure créatrice de valeur pour l’actionnaire34. Cette interprétation s’applique bien à l’économie numérique de l’hypercapitalisme, où les places de marché et les réseaux sociaux, avec la captation et la valorisation des données, constituent la source principale du profit, et partant le cœur du modèle économique et financier des plateformes qui les organisent.
Hypercapitalisme
et nouvelle expression monétaire de la valeur
L’hypercapitalisme tend également à créer les conditions de formation d’espaces monétaires fragmentés, qui répondent aux besoins de 197développement de la monétarisation des transactions effectuées sur les marchés multifaces de l’économie de plateforme. L’enjeu dans ce cas consiste à superposer la circulation des biens et services et celle des cryptomonnaies, comme l’illustre notamment l’exemple du Libra de Facebook. L’expression monétaire de la valeur est donc encapsulée dans les limites de chacun des écosystèmes des plateformes. Elle peut en déborder, dans l’hypothèse où l’oligopole numérique cherche à unifier tout ou partie des contreparties monétaires des opérations des plateformes pour diminuer les coûts de transaction ou augmenter l’attractivité de ces cryptomonnaies pour les utilisateurs et les contractants.
Deux précisions s’imposent ici.
D’un côté, les règles monétaires captives de l’hypercapitalisme ne vont pas subvertir celles des marchés où s’opèrent la création monétaire et la circulation des devises garanties par les banques centrales. Au-delà du fait que les volumes concernés resteront très inégaux, il importe que les deux circuits coexistent et entretiennent des relations, à travers un marché des changes qui légitime la valeur de contrepartie des cryptomonnaies, des taux de change qui permettent à leurs détenteurs de s’assurer de la convertibilité de leurs actifs, et partant, un échange d’équivalents qui seul peut assurer la confiance des utilisateurs et des contractants dans les monnaies privées de l’économie des plateformes. Avec l’obligation de conversion, l’hypercapitalisme retrouve les impératifs de l’équivalent général comme représentant des valeurs échangeables35.
D’un autre côté, il importe de souligner que les effets de réseau jouent également pleinement dans l’adoption et la circulation des cryptomonnaies. L’attractivité des monnaies numériques dépend en effet de la demande d’encaisses alternatives des utilisateurs et contractants des plateformes, et celle-ci conditionne en retour l’attractivité des premières, selon un processus cumulatif et auto-entretenu.
Du point de vue de l’économie réelle et de l’économie monétaire, les plateformes peuvent donc être définies non seulement comme des places de marché et des agrégateurs de données, mais également comme des appareils de capture des externalités de réseau. En additionnant les effets combinés de l’appariement algorithmique des différentes catégories d’acteurs, utilisateurs et contractants, les plateformes peuvent déléguer à 198des réseaux articulés autour d’elles la création et la circulation de la valeur et de ses équivalents monétaires, ainsi que la diffusion de l’innovation. Figure centrale de l’hypercapitalisme, les plateformes contribuent puissamment à en diffuser le modèle, à l’échelle planétaire, sous la forme d’une accumulation globale, soutenant un mode d’extraction de la valeur qui imprime sa marque de diverses manières au Capitalocène36.
Hypercapitalisme et accumulation globale
Bien qu’il en traduise le caractère global et pervasif, l’hypercapitalisme n’est pas non plus réductible à une définition classique de la mondialisation de la production et des marchés, selon laquelle ce processus d’ensemble a nourri l’accumulation intensive du capital dans les pays industrialisés, en favorisant son accumulation extensive à l’échelle de la planète. En-deçà de la mondialisation, l’hypercapitalisme se traduit par une nouvelle accumulation primitive du capital. En imposant des droits de propriété et d’accès propres aux capacités de traitement, de transport et de stockage de l’information, aux infrastructures et aux services numériques, il contribue à exclure ou à précariser le travail salarié, à déstabiliser les relations sociales des entreprises du capitalisme managérial et à remettre en cause les agencements de production et d’échanges entre ces entreprises elles-mêmes.
En sens, l’hypercapitalisme apparaît identiquement comme un processus de « globalisation primitive du capital », c’est-à-dire une reproduction élargie fondée sur la convergence de deux phénomènes. D’un point de vue capitalistique, le premier renvoie à l’accumulation d’une « plus-value machinique », comme l’avaient qualifiée dans un autre contexte Félix Guattari et Éric Alliez37, issue ici de la financiarisation 199et de l’automatisation de l’activité et des transactions. Concernant la dynamique de l’organisation économique, le deuxième facteur s’appuie sur ce que Charles Bettelheim a nommé « la figure de double séparation », pour définir les rapports d’exclusion et d’inclusion des producteurs et des entreprises dans le procès de production38.
L’hypercapitalisme n’est donc pas le devenir fortuit des formes empruntées par le capitalisme néolibéral, l’ordolibéralisme ou la domination du capitalisme financier et de la titrisation des actifs. Il n’est pas non plus un prolongement inévitable (téléologique) de ces différentes expressions du capitalisme contemporain, tant il est vrai que « le phylum machinique habite et oriente le rhizome historique du capitalisme, sans jamais maîtriser son destin, lequel continue de se jouer, à parts égales, avec la segmentarité sociale et l’évolution des modes de valorisation économique39 ». Il faut bien plutôt l’analyser comme une évolution créatrice possible, devenue probable grâce à une combinaison d’évolutions systémiques, structurales et processuelles40, permettant au capitalisme de renouveler les moteurs de l’accumulation à partir de la mise en valeur de la variété infinie des applications issues des technologies de l’information et de la communication, et, du point de vue de la demande, de la démultiplication des usages individuels et collectifs que ces applications suscitent. L’hypercapitalisme est un régime de croissance « inventif », si l’on peut dire. Il détruit en créant et crée en détruisant, pour reprendre ici dans les deux sens l’interprétation bien connue de Schumpeter.
De ce point de vue, l’économie de plateforme dont l’hypercapitalisme est à la fois la source et le produit met à mal l’entreprise managériale, son organisation et son fonctionnement. Elle transforme les relations contractuelles propres au salariat en relations marchandes, en une sous-traitance généralisée. Mais simultanément, le capitalisme de plateforme s’appuie sur les technologies numériques pour faire advenir le caractère illimité du désir au-delà des limites des besoins, pour insérer l’ensemble des démarches individuelles dans les pores du marché qu’il étend démesurément, pour susciter et intégrer des offres en nombre indéfini dans des places de marché qui n’ont plus rien à voir avec les marchés verticaux pris individuellement.
200L’accumulation propre à l’hypercapitalisme combine ici encore des caractéristiques intensives et extensives, un régime intensif avec la technologie et le general intellect, et un régime extensif avec les formes primitives, proto-industrielles, des enclosures à travers les droits de propriété et d’accès, du domestic labor et de la dérégulation du travail (tableau 1). L’inventivité de l’hypercapitalisme consiste aussi à les combiner, à les généraliser et, pour parler comme Deleuze et Guattari, à articuler en permanence déterritorialisation et reterritorialisation de l’accumulation du capital.
Capitalisme |
Hypercapitalisme |
|
Fonds d’accumulation |
Capital marchand et bancaire, rentes, profits, transferts État-industries |
Marchés financiers, shadow banking, fintechs et cryptomonnaies |
Forme de l’accumulation |
Accumulation primitive, puis concentration et centralisation du capital |
Globalisation primitive et accumulation globale |
Nature de l’accumulation |
Accumulation extensive, puis accumulation intensive dominante |
Nouvelle forme d’accumulation extensive comme substrat de l’accumulation intensive |
Rapport social caractéristique |
Salariat |
Sous-traitance généralisée et auto-entrepreneuriat |
Forme juridique du rapport capital/travail |
Contrat salarial |
Contrat commercial |
Source de la valeur |
Valeur travail |
Captation, traitement et stockage des données, digital labor et travail gratuit des utilisateurs |
Fonction du profit |
Investissement |
Création de valeur actionnariale |
Typologie des organisations |
Entreprise managériale |
Plateforme numérique |
Fig. 1 – Capitalisme et hypercapitalisme :
l’évolution des déterminants économiques.
Conclusion
Hypercapitalisme versus appropriation collective
des infrastructures à travers les institutions de l’internation
Dire que l’hypercapitalisme est un ordre machinique propre à recréer sans cesse de l’espace marchand à travers les places de marché des plateformes, la valorisation des données et la circulation de contreparties monétaires dérégulées, c’est aussi se poser la question des alternatives possibles et crédibles. Il ne suffit pas seulement de faire une critique, désormais bien balisée et presque banale, du capitalisme de plateforme et d’agiter l’épouvantail des GAFA, au nom de la préservation des données personnelles, des détournements fiscaux, des disruptions sectorielles prédatrices, ou encore, des débordements inacceptables du digital labor. Il ne suffit pas non plus d’opposer au capitalisme de plateforme les propositions éthiques des communs informationnels ou les promesses du coopérativisme de plateforme.
Ce qui est en jeu ici, c’est la capacité de s’approprier collectivement les infrastructures numériques formant le substrat d’un hypercapitalisme qui se présente sous la forme de places de marché, de transactions de données et d’échanges d’actifs financiers dérégulés. Cette appropriation collective ne peut pas être le fait de communs, animés de bons sentiments et soucieux d’une autonomie déliée de l’intervention publique41. Non seulement l’appropriation des infrastructures suppose la conjonction des forces de la société civile et de l’État, mais elle exige aussi la conjugaison de mécanismes de régulation internationaux. Si la production et la redistribution des richesses doivent changer de main, si l’accumulation doit servir la création collective, comme le préconisait François Perroux42, c’est au niveau des institutions de l’internation, au sens de Marcel Mauss43, 202que les efforts devraient être déployés, pour socialiser et développer les infrastructures numériques comme supports de ces richesses et des biens communs.
Dans le même temps, la gestion des infrastructures et des services numériques devrait s’opérer dans le cadre d’une économie de la contribution qui ferait converger à l’échelle de l’internation les dynamiques propres aux secteurs publics et privés, et aux formes d’organisation collective, dont les communs mais pas seulement. L’économie de la contribution ouvrirait ainsi la voie à la création d’institutions destinées à favoriser l’innovation, les investissements et les principes de redistribution, porteurs d’autres objectifs et indicateurs, d’autres critères de choix que ceux, facteurs d’entropie, de l’hypercapitalisme44. En témoigneraient notamment la réintermédiation publique dans les choix de production, la réorientation des investissements vers des activités associant numérique et écologie45, un cadre réglementaire renouvelé pour les marchés financiers afin de mieux servir les intérêts de l’économie réelle, ou encore, la constitution d’un droit international unifié soucieux du bien-être des producteurs et des droits de la personne46. Le transfert du pouvoir de négociation et de décision à ces nouvelles institutions47 203deviendrait ainsi le gage d’un engagement réellement prioritaire, constructif et coordonné pour contrer les facteurs d’accélération du Capitalocène.
Philippe Béraud
et Franck Cormerais
1 Dominique Bourg, Le marché contre l’humanité, PUF, Paris, 2019.
2 Nous renvoyons à la première synthèse importante publiée en français sous la direction de Pascal Petit, L’économie de l’information, les enseignements des théories économiques, La Découverte, Paris, 1998.
3 Dominique Foray, L’économie de la connaissance, La Découverte, Paris, 2018.
4 Yann Moulier Boutang, « Le capitalisme cognitif », Multitudes, no 32, éd. Amsterdam, Paris, printemps 2008.
5 Nous n’aborderons pas dans cet article les querelles épistémologiques liées à l’importance de l’information dans le champ scientifique. Renvoyons à l’ouvrage d’Emmanuel Dion, Invitation à la théorie de l’information, Le Seuil, Paris, 1997.
6 Milad Doueihi, La grande conversion numérique, Le Seuil, Paris, 2008.
7 Yann Moulier-Boutang, Le Capitalisme cognitif : la nouvelle grande transformation, éd. Amsterdam, Paris, 2007.
8 Claude E. Shannon, « A mathematical Theory of Communication », Bell System Technical Journal, vol. 27, july-october 1948. L’article a été republié dans Shannon C. E. et Weaver W., The mathematical theory of communication, Urbana, University of Illinois Press, 1961. Traduction française avec une préface d’Abraham Moles, La théorie mathématique de la communication, C.E.P.L, Paris, 1976.
9 Robert Escarpit, Théorie générale de l’information et de la communication, Hachette, Paris, 1976, p. 13.
10 Michel Serres, Le gaucher Boiteux. Puissance de la pensée, Éditions du Pommier, Paris, 2015, p. 18.
11 Jacques Lacan, Le séminaire, livre 2, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Le Seuil, Paris, 1978, p. 322.
12 Franck Cormerais, « Les Technologies numériques et le numéraire : du capitalisme mondial à l’économie politique de la mémoire », Xo Colloque bilatéral franco-roumain, CIFSIC, Université de Bucarest, 28 juin – 3 juillet 2003. Article en ligne : https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000714
13 Sylvain Auroux, La révolution technologique de la grammatisation, Mardaga, Liège, 1994.
14 Jean-Joseph Goux, Les iconoclastes, Le Seuil, Paris, 1978, p. 162.
15 Jean-Joseph Goux, ibidem, p. 155.
16 Jean-François Loytard, La condition post-moderne, Éditions de minuit, Paris, 1979.
17 Bernard Stiegler, La société automatique 1, L’avenir du travail, Fayard, Paris, 2015. Rappelons que la protention, chez ce philosophe, est le temps qui suppose celui de l’attention et le temps des rétentions tertiaires qui sont des sédimentations accumulées au cours des générations en se spatialisant et en se matérialisant dans un monde d’artefacts.
18 Paul Virilio, L’horizon négatif, Galilée, Paris, 1984.
19 L’entropie informationnelle est une notion difficile à saisir, elle dépend d’une information réduisant l’incertitude ou bien encore d’une information qui mesure la complexité et l’originalité d’un message transporté. Nous ne commenterons pas plus avant le statut de l’information dans son lien avec la connaissance et la communication.
20 Cf. Servigne Pablo, Stevens Raphaël, Comment tout peut s’effondrer, Le Seuil, Paris, 2015.
21 Ce mouvement se traduit, par exemple, par l’existence du centre de calcul Aladdin (Asset, Liability, Debt and Derivative Investment Network) de la firme BlackRock qui se présente comme un système électronique de solutions.
22 Trebor Scholz, The internet as playground and factory, Routledge, Londres, 2012.
23 Cf. Robert Boyer et Yves Saillard (dir.), Théorie de la régulation, l’état des savoirs, La Découverte, Paris, 2002. Voir également, pour une approche différente de la régulation, GREEC, Crise et régulation, Université Pierre Mendès France, Grenoble, 1983 et 1991.
24 Robert Boyer, La théorie de la régulation : Une analyse critique, La Découverte, 1986, p. 46.
25 Voir Michel Aglietta, « Les transformations du capitalisme contemporain », in B. Chavance et alii (dir.), Capitalisme et socialisme en perspective. Évolution et transformation des systèmes économiques, La Découverte, Paris, 1999, p. 275-292.
26 Le shadow banking (SB) est un ensemble d’activités financières opérant en-dehors du système bancaire et de l’offre classique de crédit. Il s’agit de la partie immergée de l’iceberg que nous désignons ici sous le terme d’hypercapitalisme. Si l’on tient compte de la définition restreinte du Financial Stability Forum, n’incluant que l’activité des acteurs non bancaires, le SB représente 50.900 milliards de dollars en 2018, soit 13,60 % de l’ensemble des actifs financiers mondiaux, évalués à 378.900 milliards de dollars. Et 150 % du PIB mondial en 2015, en élargissant la nomenclature des acteurs du SB. Les fonds d’investissement comptent pour 72 % du total. Le SB représente plus de la moitié des prêts immobiliers aux États-Unis en 2019, contre 10 % dix ans auparavant, au moment de la crise des subprimes. Avec le shadow banking mais pas seulement, l’hypercapitalisme fait donc peser un risque systémique majeur sur l’économie mondiale. Voir Les Échos du 10/01/2014, 11/05/2017, 5/03/2018, 19/01/2020 et 9/03/2020.
27 Cf. Jean-Charles Rochet & Jean Tirole, « Platform Competition in Two-Sided Markets », Journal of The European Economic Association, 1, 2003, p. 990-1029.
28 Mark Amstrong, « Competition in two-sided markets », The RAND Journal of Economics, Vol. 37, No 3, Autumn 2006, p. 668-691.
29 Nick Srnicek, Platform Capitalism, Polity Press, Cambridge UK, 2017.
30 Antonio A. Casilli, En attendant les robots, Seuil, Paris, 2019.
31 Israel M. Kirzner, Competition and Entrepreneurship, University of Chicago Press, Chicago, 1973, p. 216-217.
32 Cf. Ronald H. Coase, The nature of the Firm, Economica, Volume 4, Issue 16, November 1937.
33 Michael C. Jensen & William H. Meckling, « Theory of the Firm : Managerial Behavior, Agency Costs and Ownership Structure », Journal of Financial Economics, vol. 3, no 4, 1976, p. 305-360.
34 Cf. Aurélien Acquier, « Retour vers le futur ? Le capitalisme de plateforme ou le retour du domestic system », Le Libellio d’AEGIS, Vol. 13, no 1, Printemps 2017, p. 87-100.
35 Cf Jean-Joseph Goux, Économie et symbolique, Éditions du Seuil, Paris, 1973, notamment p. 53-113.
36 Sur la relation entre numérique et écologie, voir en particulier Éloi Laurent, L’impasse collaborative – Pour une véritable économie de la coopération, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2018. Nous avons rendu compte de cet essai dans la chronique économique du numéro 4 de la revue Études digitales.
37 Félix Guattari et Éric Alliez, « Systèmes, structures et processus capitalistiques », in Les années d’hiver : 1980-1985, Bernard Barrault, Paris, 1985, p. 167-192.
38 Charles Bettelheim, Calcul économique et formes de propriété, Maspero, Paris, 1971.
39 Félix Guattari et Éric Alliez, ibid., p. 181.
40 Félix Guattari et Éric Alliez, ibid., p. 177.
41 Sur la disqualification de l’État dans la gestion des communs, voir notamment Philippe Béraud, « Digitalisation et redistribution des raretés. Qui paie pour la gratuité ? », Études digitales, no 1, 2016, p. 231-240.
42 François Perroux, Industrie et création collective, 2 tomes, PUF, Paris, 1964 et 1970.
43 Marcel Mauss, « The Problem of Nationality », Proceedings of the Aristotelician Society, in Marcel Mauss, Œuvres, Paris, Éditions de Minuit, tome 3, 1969, p. 626-638. Voir également Marcel Mauss, « La nation », L’Année sociologique, 3e série, 1956, in Marcel Mauss, Œuvres, Paris, Éditions de Minuit, tome 3, 1969, p. 573-625.
44 Sur cette problématique que nous ne pouvons pas développer ici, voir notamment Philippe Béraud et Franck Cormerais, « Économie de la contribution et innovation sociétale », Innovations, no 34, 2011/1, p. 163-183.
45 Cet enjeu est important, tant il est démontré que les infrastructures et les services numériques représentent une part croissante de l’énergie consommée, et que la priorité accordée à ces activités détourne les ressources à leur profit, au détriment des investissements nécessaires dans les industries et technologies de l’environnement. Sur cet effet d’éviction, voir notamment Éloi Laurent, L’impasse collaborative – Pour une véritable économie de la coopération, op. cit., et plus particulièrement le chapitre 6 consacré à La guerre contre le temps. Du même auteur, « Et si nous nous trompions de transition ? », Libération, 17/11/2018.
46 Voir en particulier Alain Supiot, Le travail n’est pas une marchandise, Collège de France, Paris, 2019.
47 Les institutions dont il est question ici ne sauraient être synonymes d’un gouvernement mondial, au sujet duquel les expériences peu convaincantes des différents G7…G20, jouant en quelque sorte le rôle de variable proxy, ont montré les limites dans le cadre contraignant institué par l’hypercapitalisme. Pour revenir à Marcel Mauss et peut-être aussi à François Perroux, les institutions de l’internation devraient s’analyser bien plutôt comme des médiations synonymes de co-évolution et de co-développement des nations. En ce sens, nous pouvons accompagner Bernard Stiegler lorsqu’il en appelle à une nouvelle macro-économie propre à la « richesse de l’internation », renvoyant elle-même à « une nouvelle prospérité à l’échelle de la biosphère », « une économie de la néguanthropie », à l’intérieur de laquelle « l’internation entretient la dynamique commune de nations qui ne doivent évidemment pas disparaître ». Voir Bernard Stiegler, « L’ergon dans l’ère Anthropocène et la nouvelle question de la richesse », in Alain Supiot, Le travail au xxie siècle, Les Éditions de l’Atelier/Les Éditions ouvrières, Ivry-Sur-Seine, 2019.
- Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
- ISBN : 978-2-406-11521-2
- EAN : 9782406115212
- ISSN : 2497-1650
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11521-2.p.0185
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 26/05/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Hypercapitalisme, Capitalocène, régime d’accumulation, mondialisation, plateformisation, financiarisation