Préface
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Encomia
2019 – 2021, n° 43. varia - Auteur : Szkilnik (Michelle)
- Pages : 17 à 19
- Revue : Encomia
Préface
Encomia qui n’avait longtemps été qu’une bibliographie, puis, sous l’impulsion de Samuel Rosenberg, bibliographe et par la suite secrétaire de la société de 1981 à 2010,1 avait commencé à accueillir de brefs articles, devient une véritable revue scientifique, à comité de lecture, publiée en ligne, sous le titre Encomia : Journal of the International Courtly Literature Society. Cette mue, engagée par la nouvelle équipe internationale sous la présidence d’Emma Cayley, fait suite au XVIIe Congrès de la Société qui s’est tenu à Exeter en juillet 2019.
Les participants à ce congrès se rappellent que le sujet en était les réseaux et les communautés. Si le thème s’appliquait au monde médiéval, il résonne fortement avec notre réalité contemporaine, et ce d’autant plus étrangement après les mois de confinement que nous venons de vivre, lesquels ont précisément mis à l’épreuve nos communautés et nos réseaux. La pandémie a en un sens coupé nos circuits principaux en nous interdisant de nous réunir, en nous forçant à annuler de nombreuses manifestations, mais, paradoxalement, elle a activé des réseaux secondaires en nous obligeant, après un long moment de tâtonnement, il est vrai, à utiliser avec profit la visioconférence. Tous, nous nous sommes fait la remarque que grâce à ce moyen, nous pouvions attirer un public plus important, au point que nous réfléchissons à des formules hybrides, associant un petit nombre de participants physiques et un nombre plus important de participants virtuels.
Il n’est pas inintéressant, me semble-t-il, de réfléchir au lancement de notre journal dans ce contexte grandement altéré. Quelle est la fonction, quel peut être le poids d’un journal scientifique en ligne aujourd’hui ? Et d’abord, quels sont ceux d’une société savante consacrée à la littérature de cour ? La Société de Littérature Courtoise a une position unique 18dans le champ des études médiévales parce qu’elle est à la croisée de plusieurs sociétés savantes. La cour, son objet d’étude, se rencontre aussi bien dans la lyrique que dans la littérature arthurienne, la littérature épique, ou les chroniques, voire la tradition renardienne. Il n’y a guère que les fabliaux qui ne s’en soucient pas. En ce sens elle constitue une sorte de nœud de communication dans la compagnie plus large des médiévistes, comme la cour est elle-même un centre où se retrouvent et d’où se dispersent les chevaliers.
La cour renvoie aussi à l’idéal d’un monde policé, aux relations certes parfois conflictuelles, mais régulées par le roi et des valeurs communes. Le pouvoir d’attraction de celle d’Arthur, par exemple, est tel que même les chevaliers les plus cruels finissent par en adopter les coutumes. Cette définition, je la crois en partie métaphorique du fonctionnement de notre société depuis sa création en 1973. La communauté que nous formons est large, diverse et accueillante, tant par ses enjeux intellectuels que par son extension géographique, plus ouverte en vérité que la cour assimilationniste d’Arthur ou du duc de Bourgogne puisque nul n’exige l’adhésion à un idéal critique unique, fût-il remarquable et novateur. Notre communauté participe du ‘bon global’, elle contribue à la ‘mondialisation-plus’, pour reprendre les termes de Bruno Latour, c’est-à-dire à la multiplication des points de vue, à la prise en compte de phénomènes, de personnes et de cultures plus nombreux.2 Ce n’est donc pas de la cour qu’il conviendrait de parler, mais de cours. Les nœuds de communication sont multiples, eux aussi.
Le nouvel Encomia, ouvert à plusieurs langues, pour refléter celle de la Société de Littérature Courtoise, resserrera les liens internes à notre communauté, mais créera aussi, on peut l’espérer, des liens avec d’autres communautés, en donnant une plus large audience à nos travaux. Nul ne niera que la publication en ligne offre des avantages immenses : avoir, au bout des doigts, le pouvoir de faire apparaître sur l’écran de son ordinateur un article indispensable à notre recherche est une satisfaction que les nouveaux entrants dans le champ ne ressentent sans doute pas aussi vivement que les vieux routiers, qui devaient littéralement cheminer de bibliothèque en bibliothèque pour passer ensuite de longues heures auprès de la photocopieuse toujours défectueuse. Mais chacun peut 19évaluer le temps, l’argent, le CO2 et la frustration économisés grâce à la publication en ligne, ainsi que l’impact de notre recherche désormais accessible aux quatre coins du monde. Les nostalgiques des pèlerinages en bibliothèque objecteront que celle-ci était aussi un lieu de rencontre, que le trajet pour s’y rendre évitait la sédentarisation et l’excès de poids. Voilà qui multiplie le nombre d’acteurs/d’actants de notre réflexion, pour reprendre des concepts de la théorie de l’acteur-réseau (ANT) du même Bruno Latour, mise en vedette au congrès d’Exeter. À nous de faire en sorte que ce journal favorise des rencontres intellectuelles virtuelles, préludes à des rencontres physiques.
Je me souviens de m’être interrogée à la fin de ma communication à Exeter sur l’intérêt de faire appel à une théorie abstraite et en apparence absconse comme l’ANT pour décrire nos objets de recherche. Avec le recul (et quelques lectures supplémentaires), je plaide non pas pour adopter des théories inintelligibles – ce que n’est pas au demeurant celle de Bruno Latour – mais pour mettre en évidence la complexité des rapports entre êtres vivants, objets animés et inanimés, concepts. Dans un monde qui aspire à des distinctions et oppositions simples, à des dichotomies rassurantes mais réductrices, réfléchir sur ce qui constitue une communauté, mesurer l’interconnexion de tous les éléments qui nous entourent, imposent un décentrement salutaire. Que les articles de ce premier numéro, issus pour certains des communications présentées à Exeter, s’interrogent, en anglais ou en français, sur la notion de communauté et la création de réseaux est parfaitement en adéquation à la fois avec le lancement du journal et avec les conditions nouvelles auxquelles est confrontée la communauté scientifique en général.
Michelle Szkilnik
Présidente Honoraire
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-13094-9
- EAN : 9782406130949
- ISSN : 2430-8226
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13094-9.p.0017
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 24/08/2022
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : littérature médiévale, littérature courtoise, culture médiévale, réseaux, communautés, cour