[Introduction à la première partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: De paysans à techniciens. Sociohistoire d’une qualification scolaire et sociale au Mexique
- Pages: 37 to 38
- Collection: History of Technology, n° 31
Les travaux de recherche concernant l’enseignement technique et professionnel au Mexique sont rares. Sa place au sein du système éducatif, son histoire et ses acteurs ont fait l’objet de peu de recherches en sciences sociales. Pourtant, ce type d’enseignement offre un prisme d’analyse particulièrement intéressant sur la société mexicaine tout entière.
La création du système de formation professionnelle, en tant que sous-système au sein du système éducatif, est récente et résulte d’une histoire où s’imbriquent différents projets, acteurs sociaux et choix politiques. Si les premiers établissements de formation professionnelle apparaissent dès l’époque coloniale, la création d’un véritable projet étatique de formation professionnelle scolarisée a dû attendre les années 1970. L’institutionnalisation de la formation professionnelle correspond à une période historique de forte croissance économique où s’est développé, au Mexique et ailleurs, un lien imaginaire entre formation et production. La figure du « technicien intermédiaire », main d’œuvre spécialisée et productive, incarnait en quelque sorte un nouveau projet national où la croissance économique reposerait sur les compétences professionnelles et l’accès à la technologie. De ce fait, le diplôme de technicien intermédiaire a représenté une promesse d’ascension sociale pour les jeunes issus des milieux populaires, car il symbolisa la possibilité de transformer les paysans et ouvriers sans qualifications certifiées en techniciens. Ceux-ci seraient mieux capables de s’adapter aux nouvelles régulations du monde du travail et aux nouvelles configurations sociales dans un pays en nette transformation. La Réforme éducative de 1973 tenta d’instaurer le projet du développement des compétences professionnelles à tout niveau éducatif : dès le niveau du primaire jusqu’aux études supérieures l’accent a été mis sur le principe d’apprendre en faisant et d’enseigner en produisant. Le contexte économique du Mexique des années 1970 était celui d’une industrialisation sans précédent, et dans ce contexte-là on est en droit de « croire » les promesses scolaires. L’importance de la figure du technicien intermédiaire à ce moment précis de l’histoire du système éducatif mexicain renvoie à un projet politique plus large, celui d’un développement économique durable fondé sur la formation et la production raisonnées.
38Cependant, des graves crises économiques successives ont rapidement montré les limites de ce projet, en mettant en évidence ses contradictions. Invention purement étatique, le technicien intermédiaire a eu du mal à trouver une place dans les catégories socioprofessionnelles du marché du travail, autre que celles des organisations crées aussi par l’État, comme les nombreuses entreprises publiques ou paraétatiques de cette époque. Au sein du secteur privé, la figure du technicien intermédiaire n’existait pas et ce diplôme représenta une certification renvoyant au stigmate social des populations qui l’acquièrent. Les jeunes défavorisés, même diplômés du niveau post-collège, subissent ainsi les contraintes d’une insertion professionnelle déterminée non pas par leur diplôme mais par les représentations qui lui sont associées, soit par sa valeur sociale et par sa valeur d’échange.
Dans cette première partie, nous poserons un regard historique élargi sur le système scolaire mexicain pour mieux comprendre ensuite l’émergence, le développement, les acteurs sociaux et les enjeux de la formation professionnelle scolarisée. L’émergence du technicien intermédiaire dans le processus de construction sociale de formation professionnelle s’inscrit dans une longue histoire où s’imbriquent des relations et des tensions, des continuités et des ruptures. Le qualificatif de technicien n’est pas que scolaire et résulte de relations, de négociations et de conflits entre des acteurs sociaux. Les rôles de ceux-ci, leur articulation possible et les logiques qu’ils mettent en œuvre ne sont pas des objets de recherche simples à traiter. Ces acteurs ne constituent pas un groupe homogène, cohérent et persistant dans le temps, bien au contraire. Cependant, nous allons nous efforcer de montrer quelles sont les logiques et les idéologies qui orientent leur action et le contexte socio-historique de celle-ci. La « valeur d’échange » du diplôme de technicien intermédiaire se construit dans les rapports que l’institution scolaire entretient avec d’autres acteurs sociaux. En ce sens, nous cherchons à montrer que la recherche d’une adéquation entre les formations et l’emploi, notamment concernant la transformation des paysans et des ouvriers en techniciens intermédiaires, n’a pas été aussi mécanique que l’État le préconisait.
- CLIL theme: 3378 -- HISTOIRE -- Histoire générale et thématique
- ISBN: 978-2-406-16033-5
- EAN: 9782406160335
- ISSN: 2264-458X
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-16033-5.p.0037
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 04-03-2024
- Language: French