![Traductions imprimées, traductions pour l’imprimé (1470-1550) - Avant-propos](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/EabMS02b.png)
Avant-propos
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Traductions imprimées, traductions pour l’imprimé (1470-1550)
- Authors: Barale (Elisabetta), Crosio (Martina)
- Abstract: Les décennies à cheval entre xve et xvie siècles s’avèrent être un moment crucial de transition pour l’accroissement du nombre de traductions vers le français, à partir du latin, des langues « modernes », et encore de l’ancien français. Le passage du livre manuscrit au livre imprimé représente une évolution dans la production, la diffusion, la réception des textes. En récusant toute idée de rupture, ce volume propose une réflexion sur les traductions réalisées avant la fin du xve siècle et publiées avant 1550.
- Pages: 7 to 10
- Collection: Encounters, n° 618
- Series: Medieval civilization, n° 58
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN: 9782406164593
- ISBN: 978-2-406-16459-3
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-16459-3.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 06-26-2024
- Language: French
- Keyword: Traduction, xve siècle, xvie siècle, livre manuscrit, livre imprimé
AVANT-PROPOS
Antoine Berman, dans un ouvrage fondamental consacré au traducteur le plus célèbre de la Renaissance en France, Jacques Amyot, constate que « La Renaissance est l’époque, l’âge de la Traduction. […] À la Renaissance, le champ du traduisible devient (virtuellement) illimité : n’importe quel texte, de n’importe quel genre, de n’importe quelle langue, est désormais considéré comme bon à traduire1 ».
Néanmoins, liée aux phénomènes politiques et culturels de la translatio imperii et de la translatio studii, la traduction joua un rôle capital dès le Moyen Âge ; comme le montre le répertoire Transmédie, « le Moyen Âge tout entier est une vaste entreprise de traduction2 ». L’œuvre monumentale de médiation, de transposition et d’innovation de la culture antique que réalisèrent les clercs médiévaux s’est développée au fil du temps comme un immense mouvement de traduction. C’est surtout aux xve et xvie siècles que l’augmentation quantitative et qualitative des traductions interlinguales – non seulement des langues classiques, mais aussi des langues romanes et germaniques – s’accompagne d’une large production de traductions intralinguales, incluant aussi bien les remaniements de traductions antérieures que les mises en prose de textes à l’origine en vers.
Phase de transition florissante et complexe, mais non pas de rupture, le passage de la fin du Moyen Âge à la Renaissance révèle ainsi de plus en plus ses nombreux éléments de continuité.
Le présent volume vise justement à réfléchir sur les traductions en français réalisées avant la fin du xve siècle et éditées entre 1470 et 1550. Dans son étude de synthèse, Matteo Roccati montre bien comment l’analyse des traductions passées à l’imprimé aide à percer la logique qui a guidé 8les choix éditoriaux des premiers éditeurs/imprimeurs. L’exploitation minutieuse des contenus des bases de données permet en effet de dresser un tableau emblématique de la présence des traductions dans les catalogues des ateliers typographiques pour la période considérée. Il en découle que, aux débuts de l’imprimerie, la traduction joue un rôle fondamental, tandis que, au tournant du siècle, le nombre de titres nouveaux diminue, avant d’augmenter à nouveau dans la seconde partie des années 1530. Parallèlement, il est notable que le nombre d’impressions concernant des champs du savoir différents n’évolue pas de manière uniforme. En plus d’apporter des éclaircissements significatifs sur plusieurs editiones principes, ces points de repères ouvrent de nombreuses pistes de recherche, dont certaines ont été suivies par les auteurs des contributions ici réunies.
En permettant de saisir les affinités et les divergences sous-jacentes aux projets de traduction et d’édition qui se sont concrétisés à des moments distincts et de façons différentes, la plupart des études se concentrent sur les rapports entre textes imprimés et textes manuscrits.
Centré sur la traduction française des Disticha Catonis par Jean Le Fèvre, l’article de Maria Colombo Timelli compare l’editio princeps (Bruges, Colard Mansion, entre 1476 et 1484) à la version transmise par le ms Wien, ÖNB, 3391 (début du xvie siècle) : il en ressort la filiation directe du manuscrit par rapport à l’imprimé, ce qui prouve l’intérêt philologique des éditions anciennes et la nécessité conséquente de les inclure dans la recensio des textes à tradition mixte.
Dans le même sillage, la contribution de Stefano Benenati apporte quelques éclaircissements sur la tradition imprimée du Roman d’Alexandre en prose aussi bien que sur son rapport avec les témoins manuscrits ; ciblée sur l’édition publiée chez Michel Le Noir en 1506, qui constitue le modèle des impressions successives, elle permet d’observer comment cet imprimeur a traité, sur le plan tant textuel qu’iconographique, cette œuvre célèbre.
Alessandro Turbil se concentre quant à lui sur la traduction française en prose des Triumphi de Pétrarque, réalisée entre 1470 et 1490 par un poète obscur nommé Georges de La Forge ; cette œuvre a connu trois versions successives, dont la dernière correspond au texte imprimé en 1514 à Paris par Barthélemy Vérard. A.T. examine les différences entre les diverses phases rédactionnelles ainsi que les dynamiques de la circulation et de la réception de la traduction.
9L’étude de la Vie de saint Louis de Jean de Joinville par Marco Robecchi est précédée d’une introduction sur la définition des pratiques de transformation textuelle à l’intérieur d’un même diasystème linguistique. Située dans ce cadre théorique, l’édition de 1547 est comparée avec le seul manuscrit médiéval conservé de l’ouvrage, ce qui encourage à l’analyse des variantes lexicales et morpho-syntaxiques introduites par l’éditeur ; une fois de plus la valeur des imprimés se dégage de plusieurs points de vue.
Il arrive également que certaines traductions ne soient transmises que par des imprimés anciens, ce qui est le cas du Livre des Eneydes dont s’occupe Giuliano Rossi. Le retour à l’Énéide et au De casibus virorum illustrium de Boccace permet d’éclaircir quelques passages problématiques, alors que la traduction en anglais publiée par William Caxton, qui donne à plusieurs endroits des leçons préférables à celles de Guillaume Le Roy, s’avère un témoin précieux pour l’établissement de l’édition critique de l’œuvre.
En revanche, l’article de Jean-Benoît Krumenacker s’attache à l’importance des traductions dans l’ensemble de la production d’un éditeur/imprimeur. L’auteur attire notamment l’attention sur la figure de Barthélemy Buyer, riche marchand lettré et personnage central des débuts de l’imprimerie lyonnaise, en montrant que les éditions de traductions représentent environ 10 % de ses projets et sont influencées par des stratégies commerciales. L’analyse des paratextes permet d’entrevoir les goûts du public visé ainsi que de reconstruire partiellement son réseau de contacts européens et ses relations avec les religieux auxquels il confiait la tâche de traduire ou de réviser des traductions antérieures.
Enfin, cas paradoxal dans ce volume, le De eruditione principum de Guillaume Peyraut n’a connu aucune édition imprimée, ni dans sa version médio-latine (xiiie siècle), véritable succès médiéval, ni dans sa traduction française (xive siècle), qui ne nous est transmise que par trois manuscrits. Claire Lorillard formule quelques hypothèses sur les causes de l’échec de cette « translation » à l’époque de l’imprimerie.
En montrant que le passage du manuscrit à l’imprimé a eu un impact considérable tant sur les choix des livres à traduire que sur les modalités de traduction, nous espérons que ce recueil encouragera tous ceux et celles qui s’intéressent plus spécifiquement aux ouvrages traduits entre 10Moyen Âge et Renaissance à se pencher avec un regard renouvelé sur le rapport entre les textes, les supports de diffusion et leurs contextes de circulation.
Elisabetta Barale,
Martina Crosio