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Classiques Garnier

[Actualités scientifiques]

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Systèmes alimentaires / Food Systems
    2016, n° 1
    . varia
  • Auteurs : Touzard (Jean-Marc), Paché (Gilles), Condor (Roland), Cheriet (Foued), Dubois (Pierre-Louis), Abdessemed (Tamym), Savall (Henri), Zardet (Véronique), Babeau (Olivier), Lamarque (Éric)
  • Pages : 215 à 240
  • Revue : Systèmes alimentaires
  • Thème CLIL : 3306 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie de la mondialisation et du développement
  • EAN : 9782406068631
  • ISBN : 978-2-406-06863-1
  • ISSN : 2555-0411
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06863-1.p.0215
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 25/05/2017
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Les systèmes alimentaires dans les débats science-société : compte rendu des « Premières rencontres de lalimentation durable » (Paris, Institut Pasteur, le 8 novembre 2016)

La notion de système alimentaire, développée par Louis Malassis dans les années 1970 et 1980, sest progressivement invitée dans les débats entre scientifiques et acteurs économiques ou politiques. Cela a été le cas en Amérique du Nord dès les années 1990 à partir de travaux sur les « alternative food systems », puis en Europe à travers les discussions sur les « systèmes agroalimentaires localisés » (SYAL), les « systèmes alimentaires territorialisés » (voir les travaux de Jean-Louis Rastoin et Gérard Ghersi) et les enjeux de lalimentation durable (prospective Dualine, Inra-Cirad), en particulier pour nourrir les villes. La nécessité de reconsidérer les liens entre agriculture et alimentation et dévaluer ou promouvoir ces activités au regard du développement durable a poussé au renouvellement de ces approches systèmes.

Cest précisément autour dun questionnement sur les « systèmes alimentaires durables » que la fondation Daniel et Nina Carasso a organisé les « Premières rencontres de lalimentation durable » le 8 novembre 2016 à lInstitut Pasteur. Le succès de ces rencontres (450 participants, plus de 200 refus dinscription) illustre lengouement pour un thème, porté à la fois par des chercheurs et une grande diversité dacteurs économiques, politiques ou du monde associatif. Ce colloque a permis de mettre en débat les regards scientifiques sur les transitions agricoles et alimentaires et les expériences de ceux qui les mettent en œuvre. Il invite aussi à sinterroger sur le rôle des fondations et du mécénat dans cette transition.

Créée en 2010, sous légide de la Fondation de France, la Fondation Daniel et Nina Carasso1 sest engagée dans le soutien à des actions et travaux de recherche qui promeuvent des pratiques alimentaires durables et contribuent à léducation à lalimentation. Elle finance des initiatives 216internationales, comme IPES-Food (International Panel of Experts on Sustainable Food Systems), mais surtout des projets locaux, en France et en Espagne, retenus à lissue dappels sélectifs sur des thèmes comme « lalimentation durable pour lutter contre lexclusion » ou « systèmes alimentaires innovants ». Ce soutien aux projets de développement (130 en France depuis 2010, près de 20 millions d€ distribués) a permis à la fondation de tisser un réseau important dacteurs engagés et de se faire reconnaître dans le champ politique (colloque clôturé par le ministre de lAgriculture).

Les rencontres ont tout dabord fait le point sur les enjeux globaux de lalimentation grâce aux conférences de trois membres de lIPES-Food : Olivier de Schutter, ancien rapporteur spécial de lONU pour le droit à lalimentation, Hans Rudolf Herren, président du Millenium Institute et Claude Fischler, sociologue de lalimentation au CNRS. Ils ont rappelé les limites des évolutions récentes du système alimentaire mondial (empreintes écologiques, maladies nutritionnelles, risques duniformisation…) mais surtout insisté sur les enjeux politiques avec à la fois i) de multiples initiatives citoyennes engagées partout dans le monde autour de lalimentation et ii) une nécessité de construire un rapport de force pour imposer aux acteurs dominants de lindustrie agroalimentaire des changements dans la manière de produire les aliments (agro-écologie) et de les consommer (accessibilité, information, réduction des pertes et gaspillage…).

Des contributions ciblées sur certains aspects des transitions agroalimentaires ont complété ces mises en perspective globales. Gilles Trystram, directeur général dAgroParistech, a insisté sur limportance des leviers de la transformation et de la logistique, donnant tout son sens aux approches en termes de système alimentaire et à lanalyse de leurs diversités. Nicolas Bricas, directeur de la chaire UNESCO « Alimentations du monde », et Joelle Zask, philosophe, ont analysé les enjeux de participation et de démocratie alimentaire, avec un regard critique sur les évolutions en cours, montrant souvent un décalage entre le souhait dêtre informé, de participer et les engagements limités dans des dispositifs de gouvernance alimentaires parfois exigeants.

Mais lintérêt de ces rencontres sest aussi joué dans une série de tables rondes associant des contributions plus courtes de scientifiques aux témoignages dacteurs sur leurs propres engagements autour de thèmes dactualité : les questions agronomiques et citoyennes posées 217par la transition agro-écologique ; les tensions entre enjeux nutritionnels et environnementaux (impact carbone notamment) ; le pari de conjuguer alimentation locale et lutte contre la pauvreté ; la construction de dialogues, politiques et partenariats multi acteurs à différentes échelles géographiques ; les enjeux dinformation et dimplication des consommateurs ; lexpérimentation de nouveaux modèles économiques dans les systèmes alimentaires, associant, par exemple, dons alimentaires, ventes à prix variables selon le revenu des ménages et contractualisation avec des agriculteurs en difficulté.

Ces présentations et échanges permettent de pointer une série de questions saillantes, transversales, repérées notamment par Bertrand Hervieu dans son « rapport détonnement » de fin de journée.

En premier lieu, la très grande diversité dacteurs et dinitiatives engagés dans des projets visant à rendre plus durables les systèmes alimentaires pose la question de leur mise en visibilité, de leurs collaborations et concurrences, et in fine de leur convergence politique nécessaire à la transition souhaitée. Le dépassement de qualifications, dhistoires et références différentes est en jeu (par exemple, entre les différentes formes dagro-écologie, les origines professionnelles ou géographiques), et les temps déchanges comme celui des « rencontres de lalimentation durable » ont été pour cela salués, y compris par le ministre de lAgriculture.

Parmi ces acteurs, deux catégories sont sans doute plus nouvelles dans le domaine alimentaire. Dune part les collectivités locales engagées dans la mise en œuvre de politiques agricoles et alimentaires locales et en recherche dingénierie sur les « systèmes alimentaires urbains durables », à limage de la Métropole de Montpellier ; dautre part des entrepreneurs agroalimentaires socialement engagés, pouvant se référer à la fois au monde des start-up, à léconomie du care, à léconomie circulaire ou à léconomie sociale et solidaire.

La dimension économique ressort de fait comme centrale, revisitée de manière pragmatique et innovante dans de nombreux projets, à la recherche de nouveaux modèles économiques. La question dun « juste prix » nest ainsi plus seulement posée dans le cadre du commerce équitable Nord/Sud ou de négociations syndicales au sein de filières (porc ou lait, récemment). Elle concerne de multiples initiatives de lalimentation durable, qui sinterrogent sur laccessibilité, la qualité des produits et leurs impacts environnementaux, mais aussi sur la répartition de la valeur 218ajoutée au sein des chaînes de valeur. Les témoignages du colloque ont ainsi rendu compte dexpérimentations économiques venant dacteurs de laide alimentaire (épiceries solidaires), dagriculteurs (Civam), de consommateurs (« La marque du consommateur »), dentreprises (Éco-emballages SA), dassociations de quartier (Vrac), de collectivités locales (Montpellier) ou même de la recherche.

La demande de participations et déchanges autour de lalimentation durable est de fait un trait majeur, médiatisé et à analyser. Elle concerne certes linformation de chaque acteur et la recherche de gouvernances plus ouvertes dans les systèmes alimentaires, mais elle est surtout prégnante dans lespace public et politique, faisant écho aux crises de la représentation politique. Elle se construit aussi de manière très pragmatique dans des projets concrets « enrôlant » progressivement de nouveaux acteurs. Elle traverse aussi aujourdhui la recherche, engagée dans des démarches participatives et plus ouvertes, comme la présenté Christophe Roturier, délégué « Sciences en société » à lInra.

Enfin deux enjeux porteurs de sens dans la société actuelle se sont combinés tout au long de ces rencontres de lalimentation durable : la santé et la culture. Les questions de santé ont certes été abordées à partir des positions des consommateurs, notamment avec la présentation de lenquête Ipsos sur « les Français et lalimentation durable ». Mais ces questions de santé se rejoignent avec laffirmation dune approche globale au sein des systèmes alimentaires : santé des sols, des plantes, des animaux, des humains producteurs, voisins ou consommateurs. Cette vision dune alimentation « one health » sera amenée à se développer. Les relations entre culture et alimentation sont aussi à revisiter, pas seulement du fait de « questionnements identitaires » traversant la société française, mais surtout comme une composante de la coexistence possible de différentes composantes sociales (en milieu urbain mais aussi rural) et comme source de créativité, dinnovation, de recréation du lien au lieu et aux hommes, thèmes auxquels des collectivités locales sont aussi sensibles.

Enfin le succès de ces rencontres pose la question du rôle des fondations et du mécénat dans la transition de lagriculture et de lalimentation. Les fondations se multiplient en effet dans ce secteur, finançant des « chaires dentreprise », des projets de recherche, des initiatives économiques ou des projets à caractère social ou environnemental. Certaines 219de ces fondations sont directement adossées à des entreprises agroalimentaires (Nestlé, Danone, Ferrero, Mars, Avril) et forcément suspectées de « sustainable food washing », alors que dautres sont issues de legs, à linstar de la Fondation Carasso, ou de dons comme la fondation Hulot. Une relecture de lhistoire de lagriculture et de lalimentation sur les deux siècles derniers montre que ces formes de soutien privé ne sont pas nouvelles et surgissent souvent à des moments où lagriculture et lalimentation sont confrontées à des enjeux majeurs dans la société : la première révolution industrielle et agricole du xixe siècle a ainsi conduit des mécènes privés à créer en France les écoles denseignement agronomique ou à développer les bureaux de bienfaisance et dassistance pour limiter lalcoolisme et promouvoir une alimentation saine dans les milieux populaires ; la seconde révolution agricole, combinant motorisation, chimie, progrès génétique (la révolution verte) a aussi été soutenue par de puissantes fondations (Ford, Rockefeller) visant à accroître la productivité pour vaincre la faim, notamment dans les pays en voie de développement ; on peut penser quune troisième révolution agricole et alimentaire est en marche intégrant les enjeux denvironnement, de santé et de réduction de la pauvreté et impliquant de nouvelles fondations partagées entre un soutien à la transition agro-écologique et à une orientation privilégiant lusage des biotechnologies. À chaque transition, la question du progrès et de la diffusion des connaissances est en débat et motive des fondations guidées par des visées différentes et parfois en opposition. La forme du financement privé, au-delà dintérêts économiques plus ou moins explicites (recherche dinfluence, dimage, défiscalisation) peut donc donner lieu à différentes orientations véhiculant des projets de société et des valeurs morales quil convient danalyser et critiquer. Certaines fondations sont animées par des valeurs de progrès qui vont dans le sens du développement des entreprises auxquelles elles sont liées. Dautres fondations avancent des valeur humanistes plus éloignées denjeux économiques particuliers, soutenant le self help et laction collective, léducation, le dialogue et les confrontations didées tout en étant exigeantes et transparentes dans leur fonctionnement. Curieusement, elles peuvent même accompagner des projets plus radicaux et ouvrir des espaces de dialogue plus larges (en tout cas différents) que ceux soutenus par des organisations publiques, politiques ou professionnelles. Les rencontres 220de lalimentation durable, soutenues par la Fondation Daniel et Nina Carasso, témoignent à lévidence de cette deuxième orientation.

Jean-Marc Touzard

Inra, UMR 0951 Innovation

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Colloque RIRL 2016 à Lausanne : éclairages logistiques sur les chaînes agroalimentaires

Tous les deux ans, la communauté à dominante francophone des chercheurs en logistique et supply chain management se réunit lors de rencontres pendant lesquelles sont évoquées les thématiques les plus porteuses de leur champ disciplinaire. Début septembre 2016, à Lausanne, les 11es Rencontres internationales de la recherche logistique (RIRL 2016) se sont tenues en présence dune centaine de spécialistes venus dune quinzaine de pays dEurope, mais aussi dAmérique du Nord et dAfrique. Sur les 80 papiers retenus, après un strict processus de sélection en double aveugle, un bon tiers porte directement ou indirectement sur des sujets qui renvoient à des questionnements en écho aux systèmes alimentaires, ce qui est un juste retour de lHistoire : après tout, les prémices de la logistique nont-ils pas été identifiés aux États-Unis, dès 1910, dans les travaux dagronomes sintéressant à la manière dapprovisionner au mieux les villes en produits alimentaires venant de la ferme ? Le slogan contemporain « de la fourche à la fourchette » nest finalement pas si original que cela !

Si lon excepte une communication portant spécifiquement sur des problématiques dordonnancement sur des lignes datelier de production dengrais et une autre portant sur les risques opérationnels liés à lapprovisionnement alimentaire, les autres contributions relatives aux chaînes agroalimentaires, présentées lors des 11es Rencontres, se placent clairement, non pas dans une perspective de recherche opérationnelle, mais dans une double perspective stratégique et organisationnelle. Ceci 221correspond à une ligne de partage assez traditionnelle dans la recherche en logistique, entre les tenants dune « ligne » Sciences de lingénieur et les tenants dune « ligne » Sciences du management, dont les frontières restent finalement assez peu poreuses (chaque « ligne » possède ses propres associations et ses propres congrès). Sans doute faudra-t-il penser un jour à un décloisonnement permettant des « regards croisés » bénéfiques à tous, mais pour lheure, rien de tel nest vraiment envisagé.

Que retenir des papiers présentés à Lausanne ? Incontestablement, les questions de logistique de distribution des produits agroalimentaires restent dominantes et témoignent denjeux très actuels en la matière. En effet, la mise à disposition des produits au consommateur connaît de profondes mutations depuis une quinzaine dannées. Loin du modèle unique de la grande surface alimentaire, nous voyons se multiplier des modes alternatifs de commercialisation mêlant la récupération des produits sur des drives, la vente à la ferme ou encore la livraison à domicile. Les spécialistes évoquent désormais une réalité multi-canal dont les implications logistiques sont majeures dans la mesure où ils « cassent » des modèles anciens bien établis et diffusés massivement (des générations détudiants en logistique ont été formés aux seules techniques dapprovisionnement des super et hypermarchés). Les 11es Rencontres ont ainsi donné lieu à des présentations originales sur la logistique singulière des circuits courts alimentaires, la logistique « expérientielle » des cueillettes dans les champs, ou encore les problématiques de logistique urbaine pour livrer le consommateur à son domicile, ou via les petites supérettes de centre-ville.

Il serait cependant réducteur den tirer la conclusion que la logistique alimentaire se résume à des dimensions distributives. Bien au contraire, il est à noter lémergence (ou plutôt la redécouverte) dune thématique essentielle liée au rôle capital du packaging à la fois dans la performance des chaînes agroalimentaires à lexport et dans le développement dune économie circulaire plus soucieuse dune gestion parcimonieuse de ressources rares. Nul doute que lapproche en termes de closed-loop supply chain devrait connaître un bel avenir dans la recherche en logistique et supply chain management tant il est vrai que la finitude de notre Monde interpelle désormais (enfin !) les sciences humaines. À plusieurs reprises, différents congressistes ont ainsi souligné combien la logistique circulaire ouvrait des perspectives importantes de renouvellement de nos cadres de 222pensée, et quelles méritaient des investigations approfondies, notamment en termes de recherches doctorales. À bon entendeur…

Il nen reste pas moins que danciens questionnements continuent, fort heureusement, à retenir lattention. Plusieurs communications ont abordé la place que tient le prestataire de services logistiques dans la gestion efficace des interfaces entre industriels et distributeurs alimentaires en vue de réduire les coûts de distribution et daméliorer la qualité de service rendue au client. De même, les systèmes dinformation logistiques occupent toujours le devant de la scène tant il est vrai que la traçabilité totale des flux est au cœur des préoccupations des entreprises. Ce ne sont pas les crises alimentaires récurrentes qui contrediront les chercheurs travaillant sur ce sujet, certes ancien, mais toujours dune brûlante actualité. Dailleurs, de façon régulière, les meilleures revues académiques y consacrent des numéros spéciaux, comme cela fut le cas avec Supply Chain Forum : An International Journal en 2016. Sans doute doit-on voir ici la force de la communauté des chercheurs en logistique et supply chain management réunis lors de chacune des rencontres : savoir humer lair du temps des nouvelles thématiques, mais aussi consolider les savoirs acquis sur des thématiques déjà connues et reconnues.

Dores et déjà, les 12es Rencontres de la recherche en logistique (RIRL 2018) sont programmées dans le cadre des États généraux du management qui se tiendront à Paris en mai 2018. Sur le modèle marseillais de mai 2014, la plus grande partie des associations académiques françaises sy retrouveront pour échanger et débattre. Nul doute que les « logisticiens » auront à nouveau beaucoup à dire. Mais en attendant ce moment si important, il sera possible de prendre connaissance, début 2017, des best papers présentés lors des 11es Rencontres de Lausanne dans des numéros spéciaux de deux revues académiques : Logistique & Management et Supply Chain Forum : An International Journal. Il faut encourager les collègues de la communauté des systèmes alimentaires (au sens large) à sy pencher pour y trouver des pistes certainement intéressantes pour la poursuite de leurs futurs travaux ou, du moins, pour un éclairage stimulant de certaines de leurs problématiques actuelles de recherche.

Gilles Paché

CRET-LOG, Aix-Marseille Université

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Lentrepreneuriat rural au top ! Synthèse dun atelier sur lentrepreneuriat rural animé lors du congrès de lISBE organisé à Paris du 26 au 28 octobre 2016

Le 39e congrès de lInstitute for Small Business and Entrepreneurship (ISBE) sest déroulé à Paris du 26 au 28 octobre 2016. Au cours de ce congrès, nous avons animé un atelier avec Gérard McElwee sur lentrepreneuriat rural. Cest loccasion de dresser un bilan de cet atelier afin notamment didentifier les principaux centres dintérêt des chercheurs dans ce domaine. Nous en profitons pour présenter lISBE ainsi que son congrès annuel.

Présentation de lISBE
et de son congrès annuel

LISBE a été créé dans les années 70 au moment où émergeaient les premiers travaux de chercheurs sur les petites et moyennes entreprises et lentrepreneuriat. Cest une association britannique dont la mission est de diffuser les travaux de chercheurs. LISBE réalise cette mission à travers différentes actions. Dune part, elle pilote la revue International Journal of Entrepreneurial Behaviorand Research, revue classée 4 par la Fnege. Dautre part, elle organise chaque année un congrès (conference) qui réunit plus de 250 personnes.

Ce congrès est organisé dans différentes villes britanniques. Une exception a eu lieu cette année puisque lISBE a choisi de délocaliser sa conférence à Paris. Cest lEM Lyon qui la organisée, grâce notamment à notre collègue Alain Fayolle, toujours très investi dans la recherche internationale en entrepreneuriat. On ne sait pas si dautres délocalisations auront lieu dans lavenir. Cependant, le lieu du prochain congrès est connu : il aura lieu à Belfast en Irlande du Nord les 8 et 9 novembre 2017.

Le congrès de lISBE est organisé autour dateliers (tracks), modèle dorganisation assez courant dans le monde anglo-saxon, sorte de groupement de workshops sur différents sujets. Ce sont les tracks-chairs ou pilotes des groupes de travail qui assurent la promotion et la gestion 224des papiers de recherche. En back-office, une équipe coordonne lensemble des tracks et, dune manière générale, lensemble du congrès.

Les tracks du 39e congrès

Comme le montre la fig. 1, le 39e congrès était structuré autour de 16 tracks dont celui sur lentrepreneuriat rural.

Tracks

Nombre de papiers présentés

Enterprise education

24

Rural enterprise

22

Networks and innovation

19

Business support, policy and practice

18

Entrepreneurship and small business realities

16

Finance, venture capital, taxation and regulation

16

Gender and enterprise

16

Entrepreneurial practitioner learning

15

Family and community business

14

Social, environmental and ethical enterprise

11

Entrepreneurship in minority groups

10

Business creation, early-stage development and business closure

9

International entrepreneurship

9

Creative industries entrepreneurship

7

SME growth and performance

7

Technology entrepreneurship

6

Fig. 1 – Tracks de la 39e conférence de lISBE.

Léducation à lentrepreneuriat est le track le plus important en nombre de contributions, devant lentrepreneuriat rural. On trouve également dimportantes contributions sur le thème des réseaux, de laccompagnement, de la finance, du genre ou de lentrepreneuriat familial. Les contributions sont moins nombreuses pour lentrepreneuriat technologique, la croissance des entreprises ou les industries créatives. Notons cependant quil peut y avoir des croisements entre les tracks, certains thèmes se retrouvant dans dautres tracks.

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Le track dédié à lentrepreneuriat rural

Le track sur lentrepreneuriat rural a donné lieu à 22 présentations, ce qui en fait le track le plus important juste après léducation à lentrepreneuriat (voir fig. 1).

Il est intéressant dentrer dans le track en lui-même en identifiant les contributeurs, leur provenance géographique et les sujets abordés. Concernant les contributeurs, compte tenu des origines britanniques de lISBE, on ne sera pas surpris dobserver quune majeure partie des contributeurs sont britanniques. On trouve à la marge des collègues provenant dInde, de Suède, de Russie, de Chine, des États-Unis, dÉgypte, dItalie et de France. Leurs travaux reposent généralement sur des études empiriques menées dans leurs pays.

Sur le fond, on note une grande variété de sujets allant des difficultés à obtenir des prêts pour financer lactivité agricole en Inde au rôle des coopératives en tant que mode dorganisation résilient, en passant par lobtention de subventions par les femmes en Italie. Les papiers présentés dans le track peuvent être regroupés en 8 grands thèmes (voir fig. 2, noter que trois textes sont communs à deux thèmes).

Thèmes abordés

Nombre de papiers
évoquant le sujet

Entrepreneuriat à la ferme

9

Le rôle du contexte dans lentrepreneuriat rural

4

Place de la femme dans la ruralité

4

Développement rural

2

Innovation et marketing agroalimentaire

2

Tourisme rural

2

Modes dorganisation

1

Croissance des PME rurales

1

Fig. 2 – Les thèmes abordés dans le track sur lentrepreneuriat rural.

Cest lentrepreneuriat à la ferme qui attire le plus lattention. Neuf communications sur 22 portent sur ce sujet. Lentrepreneuriat à la ferme renvoie à la fois au comportement entrepreneurial des agriculteurs, mais aussi à la gestion de lentreprise agricole. On trouve dans cet ensemble 226plusieurs travaux sur les difficultés des fermes de pays à bas niveau de revenu à entreprendre des changements. Certains auteurs sinterrogent également sur les spécificités de lagri-entrepreneuriat, non sans montrer que le secteur agricole a été lorigine dimportantes innovations qui ont facilité le travail des agriculteurs. Le développement personnel des agriculteurs est également évoqué comme manière de permettre aux agriculteurs de devenir des leaders.

Deux autres thèmes nous ont paru marquants : le rôle du contexte et la place des femmes dans lentrepreneuriat rural. Le premier renvoie à une interrogation sur le rôle de lentrepreneur comme agent individuel de changement. Les travaux montrent que dans le monde rural, le contexte joue un rôle important en matière de transformation sociale. Le second va dans le sens des travaux sur lentrepreneuriat au féminin en général : les approches par le genre touchent de nombreux pans de la recherche en sciences sociales, y compris lentrepreneuriat rural.

Conclusion

Pour conclure, le track sur lentrepreneuriat rural a été loccasion de percevoir quelques grands thèmes structurants dans des recherches habituellement situées à la frontière de lentrepreneuriat et des études rurales. Cest aussi loccasion de « réseauter », de rencontrer des ténors anglo-saxons de la discipline et davoir une oreille ouverte sur le monde. Sur la forme, lidée de track est un modèle à suivre par les communautés scientifiques françaises qui sinterrogent sur lorganisation de leurs conférences. Pour aboutir à un tel modèle, la construction de groupes thématiques forts ayant une résonnance internationale et pilotés par des leaders dans leur domaine semble incontournable. Enfin, il est intéressant de noter que lentrepreneuriat rural a constitué lune des thématiques majeures de la conférence de lISBE. Cela montre à la fois lintérêt des collègues britanniques pour ce thème, mais aussi lopportunité que peut constituer lISBE pour échanger sur la connexion entre entrepreneuriat et agriculture.

Roland Condor

Chaire Entrepreneuriat-
Projet-Innovation – EM Normandie

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Compte rendu du colloque des 5 ans du Labex Entreprendre2 : Entrepreneuriat et innovation durables : quelles perspectives pour la France3 ?

Dans le cadre des 5 ans du Labex Entreprendre, sest déroulé le 7 avril 2016, à la Faculté AES de lUniversité de Montpellier, un colloque portant sur lentrepreneuriat et linnovation durables. Cette manifestation a regroupé près de 250 personnes : chercheurs, universitaires, experts, entrepreneurs, représentants des organisations professionnelles, institutionnels, représentants de réseaux dentrepreneurs, etc. Lobjectif était de faire le point sur les recherches en cours et de proposer de nouvelles perspectives pour la France en termes dentrepreneuriat et dinnovation durables.

Après une conférence inaugurale de Gérard Leseur, président du Réseau Entreprendre (La France : nouvelle société entrepreneuriale ?), différentes thématiques ont été abordées à travers six ateliers : droit du travail pour les TPE, innovation et performance durable, gouvernance alternative, prévention des PME en difficulté et des dirigeants en souffrance, leviers de linnovation individuelle et collaborative et, enfin, les trajectoires de croissance des jeunes entreprises innovantes. Une table ronde de clôture, animée par divers représentants institutionnels et professionnels (LedeR LRMP, Pepite France, Medef, Moovjee, etc.), a permis de lister les principaux défis de la société entrepreneuriale.

Au-delà du bilan remarquable du Labex Entreprendre en termes de développement des programmes de recherche (6 chaires, 5 observatoires, 3 réseaux de chercheurs et lorganisation de nombreux échanges internationaux avec des universités internationales) et de publications scientifiques (9 ouvrages, 36 chapitres, 40 articles dans des revues classées, 118 communications, etc.), cette rencontre a eu le mérite de faire 228le lien entre les activités du Labex et des propositions claires (un document de synthèse de 30 propositions a été remis à chaque participant), structurées en deux parties (1. émergence et innovation ; 2. entreprendre durablement), mais avec des indications précises en termes dactions publiques en faveur de lentrepreneuriat et de linnovation aux échelles locale, régionale et nationale.

Lors des 6 ateliers thématiques, les différentes interventions ont permis de « balayer » de manière équilibrée les trois piliers génériques du développement durable : économique, environnemental et social.

Nous présentons ci-dessous trois exemples de résultats significatifs pour les recherches futures, notamment en termes dapplication dans le champ agroalimentaire :

1. Relation entre gouvernance coopérative
et structure, performance et stabilité financière

À travers lexploitation dune large base de données (observation de 6 320 coopératives et de 40 513 entreprises à structure actionnariale entre 2004 et 2012, tirées de la base Altarès-Insead OEE Data Services), cette première recherche a démontré que le modèle coopératif pouvait être conçu comme un outil de diversification qui procure une forme de stabilité financière, voire de résilience face aux crises et aux chocs externes. Même si les performances financières sont légèrement inférieures, mais positives, les coopératives permettent denvisager un business model collaboratif et alternatif, avec des avantages en termes de stabilité des rendements et de viabilité financière, mais également une prise en compte des autres parties prenantes.

2. Communication RSE et perception des consommateurs

Dans le second exemple, la recherche sest attelée à travers un dispositif méthodologique rigoureux et original (création dun visuel de site internet dune entreprise fictive), à distinguer les effets de la communication RSE sur la valeur perçue et la confiance du consommateur. Il en ressort un effet significatif positif du message environnemental, mais pas deffet observé du seul message social ou de la combinaison du message environnemental et social. Ce résultat est intéressant dans le sens où il permet de rendre compte de limportance du choix du contenu du message vis-à-vis des 229optiques stratégiques (court, moyen, long termes) des entreprises. Par ailleurs, il permet également de pointer les difficultés des entreprises à valoriser leurs actions sociales auprès du consommateur. Enfin, les résultats permettent de recommander aux entreprises de construire leurs stratégies autour déléments factuels, crédibles et facilement assimilables par le consommateur tout en privilégiant des contenus distinctifs.

3. Pour une prévention en santé au travail
des chefs dentreprises, des travailleurs indépendants
et des entrepreneurs

Le dernier exemple se rapporte à une thématique rarement abordée dans les études sur le développement durable : la santé des dirigeants. En se basant sur les données de lobservatoire AMAROK (Olivier Torres / Chaire Santé des entrepreneurs et des dirigeants-Labex Entreprendre), cette recherche a permis de collecter auprès de 1 000 chefs dentreprises des données perçues sur la santé des entrepreneurs/dirigeants et de les comparer avec celles des cadres et salariés. Ce travail met en évidence deux résultats importants et complémentaires : entreprendre est bon pour la santé (les dirigeants / entrepreneurs affichent une santé perçue bonne ou très bonne supérieure), mais les risques sanitaires encourus par cette catégorie sont plus importants. Cette recherche et les travaux antérieurs dans le cadre de cette chaire ont permis de dégager des actions ciblées pour une meilleure prévention des risques encourus par des entrepreneurs en situation de gestion ou de direction ou en situation difficile (burn out, stress, etc.) ou traumatique (cas des traumatismes post braquages, par exemple).

Les exemples précédents4 permettent davancer au moins trois perspectives de recherche concernant le champ du système alimentaire au sens large :

La première porterait sur lentrepreneuriat agricole : elle sintéresserait aux spécificités des profils (notamment sur le volet santé), des trajectoires des agriculteurs en termes de croissance et des structures daccompagnement (création, innovation, installation, question de laccès au foncier et au financement 230agricoles, etc.). Lentrepreneuriat agricole devrait également sinscrire dans une logique « sociologique » en termes danalyse des effets des profils sur les intentions entrepreneuriales et sur les stratégies de diversification des activités (cf., par exemple, les travaux de Lagarde (2006), Simon (2013) ou Rémy (2011)5).

La seconde traiterait de manière spécifique les coopératives agricoles : ces acteurs majeurs en termes de structuration du paysage agricole national et régional pourraient être appréhendés comme outil de diversification économique et de résilience régionale et territoriale. Un intérêt particulier pourrait être porté à leurs stratégies de communication RSE afin de faire le pont entre lanalyse des options stratégiques ou financières et les outils marketing de valorisation des démarches de développement durable des coopératives.

Enfin, une dernière piste pourrait concerner lanalyse des effets des coopérations sur linnovation et la performance des entreprises agroalimentaires. Les recherches menées par les chercheurs du Labex montrent clairement un lien entre coopération et innovation : les entreprises qui coopèrent innovent plus que celles qui ne coopèrent pas (67 % contre 46 % concernant linnovation produit). Les spécificités « partenariales » des entreprises agroalimentaires et agricoles (forme des coopérations, type de gouvernance, profils et taille des partenaires, niveau et nature des coopérations) devraient être prises en compte pour une analyse plus fine des processus dinnovation et de création de valeur collaborative.

Indéniablement, la richesse des travaux du Labex Entreprendre laisse entrevoir de nombreuses autres pistes de recherche avec la collaboration de la communauté de chercheurs, des institutions régionales, mais également limplication des acteurs eux-mêmes (entrepreneurs, représentants professionnels). Cela augure dune structuration encore plus 231forte du pôle académique montpelliérain autour de lentrepreneuriat, de linnovation et de lalimentaire.

Foued Cheriet

Montpellier SupAgro,
UMR 1110 Moisa

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Compte rendu de nouveau dispositif scientifique : baromètre Fnege sur les préoccupations managériales

Depuis trois ans maintenant, la Fnege a mis en place un baromètre, sur base dune enquête visant à faire émerger les thèmes de préoccupations des entreprises. Conduite une première fois en 2013, cette enquête a été reconduite en 20156. Les résultats font émerger cinq thèmes dominants :

Relation client

Innovation

Mobilisation des ressources humaines et des managers

Performance globale de lentreprise (autre que financière)

Comment créer de lefficacité collective et de la réactivité opérationnelle ?

Thème no 1 : La relation client, priorité de lentreprise

Le baromètre Fnege révèle que la gestion de la relation client est devenue une préoccupation centrale des entreprises avec le score le plus élevé (4,12)7.

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Les raisons de cette prééminence sont multiples.

Elles sont dabord reliées à lévolution dun environnement de plus en plus ouvert, concurrentiel et souvent difficile. Linternationalisation des échanges, les facilités de communication et de transfert de services grâce aux nouvelles technologies rendent la concurrence de plus en plus intense. Garder un client soumis à des sollicitations de plus en plus fréquentes et agressives devient de plus en plus difficile. Et chaque entreprise peut mesurer que le coût de la prospection tend à sélever quand les marchés deviennent saturés. Dès lors, la fidélisation des clients devient un enjeu majeur. À cette fin, dépasser une optique purement transactionnelle pour établir une relation durable et solide avec ses clients est une priorité de laction marketing des entreprises. Il importe en conséquence de mettre en place un dispositif permanent permettant dapporter en continu une valeur supplémentaire au client.

Selon une première conception, cette valeur consiste à avoir une vision claire des bénéfices recherchés par le client et à proposer lécart le plus favorable du marché entre les bénéfices attendus et les sacrifices consentis. Par exemple, en adoptant des stratégies doffre (produits, services et prix) différenciées et adaptées à chaque client.

Dans une seconde acception, complémentaire, la valeur ainsi créée doit être pensée et offerte dans une relation de confiance qui dépasse les seules considérations économiques, mais persuade le client de la crédibilité, de lengagement et de la bienveillance de loffreur. La stratégie du dirigeant dAmazon, Jeff Bezos, privilégiant le service au client aux dépens de la rentabilité à court terme, peut illustrer cette conception.

Le marketing moderne a mis en place toute une panoplie doutils permettant de renforcer la relation client. Ces outils sont souvent regroupés sous les termes de gestion de la relation client (GRC) ou, en anglais, Customer Relationship Management (CRM). Ces outils sappuient 233fortement sur les technologies de linformation et de la communication. Ils comprennent, par exemple : les méthodes de création et de traitement des bases de données, de gestion logistique, de customisation des produits, de délivrance de services personnalisés, de communications individualisées ou encore daide à la gestion au service des forces de vente (Sales Force Automation).

Notons toutefois que la conception, la mise en œuvre et la gestion de ces outils exigent de véritables bouleversements dans le fonctionnement des organisations et que le montant des ressources nécessaires, en termes technologiques, humains et organisationnels, est souvent considérable. Une mauvaise appréciation des moyens et des changements nécessaires à la mise en place de la GRC se traduit systématiquement par des échecs cuisants. Ces échecs ont nourri des discours hostiles à la GRC, mais on observe que les contempteurs de cette exigeante méthodologie sont souvent ceux qui ont ignoré ou négligé cette nécessaire et parfois longue phase dapprentissage.

En outre, on ne peut restreindre la gestion de la relation client à une préoccupation limitée au service marketing de lentreprise. Cest toute lorganisation qui est touchée par limpératif dassurer une relation positive et durable avec les clients.

Il convient que lentreprise entière soit « orientée-client » ou « orientée-marché ». La théorie de l« orientation-marché » étudie la façon dont lentreprise peut gérer ce renversement qui met le client en haut de la pyramide décisionnelle. Elle présente un certain nombre doutils de diagnostic et daction favorisant cette prééminence du client dans lorganisation. Elle élargit la vision du marché à lensemble des parties prenantes (stakeholders) incitant lentreprise à mettre en œuvre à leur intention un système de création de valeur généralisé.

Dès lors, on ne peut séparer la problématique de la relation de celles de l organisation et de la stratégie de l entreprise.

La recherche des ressources physiques, humaines et organisationnelles indispensables pour construire aux yeux des clients et prospects un avantage concurrentiel soutenable participe de la démarche généralisée de la relation client. La responsabilité centrale du dirigeant devient alors de saisir en priorité et, si possible de façon pionnière, les innovations rendues possibles par le développement des ressources qui soffrent à 234lentreprise, en particulier les ressources technologiques. Ainsi se définit lintention stratégique qui, si elle est pertinente, peut servir de socle durable à la réussite entrepreneuriale.

Ce lien entre la relation client et lintention stratégique nest pas nouveau. Mais, dans lentreprise moderne, mondialisée, il prend des formes nouvelles et devient dautant plus difficile à établir que les organisations deviennent peu agiles et bureaucratiques.

Pierre-Louis Dubois

Professeur à lUniversité
de Montpellier &
Délégué général de la Fnege

Thème no 2 : Linnovation en action,
préoccupation des managers…
et particulièrement des dirigeants

Il nest pas anodin et complètement surprenant que le baromètre Fnege8 ait mis en évidence le thème de linnovation comme une préoccupation importante du besoin de compréhension et de connaissance des managers, à lheure où limpératif de compétitivité semble simposer à toutes les organisations, quels que soient leur taille et leur secteur dactivité.

En effet, nos économies industrialisées et matures vivent de plein fouet la concurrence de pays émergents qui ont abordé plus facilement et plus directement les révolutions numériques et technologiques de notre temps. Par ailleurs, la nature même de linnovation, beaucoup plus 235ouverte et mêlant autant les producteurs que les usagers, impliquant autant les matériaux, les énergies et les besoins et usages du futur que les changements portant sur les données et les flux dinformations, remet structurellement en cause les schémas de pensée hérités du passé dans sa conception comme dans son exécution. Enfin, le rythme de linnovation et ses cycles courts, les exigences de customisation déstabilisent la vision linéaire et planifiée de linnovation du xxie siècle qui reste notre référentiel implicite malgré tout, faute den avoir réellement un autre de substitution.

Tous ces facteurs conduisent les entreprises à intégrer la nécessité, si ce nest de revisiter, du moins de repenser leurs processus dinnovation et probablement à interfacer très différemment leurs centres de recherche et innovation avec le reste de lorganisation et avec des éco-systèmes externes plus complexes et plus ouverts, afin de générer, exploiter, renouveler leurs sources de compétitivité dans un mouvement dont le tempo reste à inventer.

Mais ce qui transparaît dans la préoccupation du baromètre Fnege, cest que cela nest pas quune question de stratégie, cest désormais manifestement une question dorganisation et de management ! Dans cette évolution à la fois passionnante, déstabilisante et plus que jamais incertaine, nos managers sentent peser sur eux une forte pression de renouveau pour pouvoir rester dans la course : pression sur le fond, cest-à-dire être mieux armés pour comprendre, expliquer, anticiper, sinsérer ; mais aussi pression sur la forme, cest-à-dire comment faire, avec quelles compétences et en mobilisant quels types de savoir-faire et de travail collaboratif dans lorganisation et comment.

La question pour le manager ne semble plus être celle de lintériorisation de la problématique de linnovation, mais celle, très opérationnelle, de son animation au sein de son organisation.

Tamym Abdessemed

Professeur à ICN Business School,

Directeur académique
et de la recherche,
Vice-président du groupe de travail recherche du Chapitre de la CGE

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Thème no 3 : La mobilisation, lengagement,
ladhésion des ressources humaines et des managers

Lenquête du baromètre Fnege9 de 2015 confirme la préoccupation majeure, au sein des entreprises, concernant la mobilisation et lengagement des cadres et de lensemble des acteurs. Malgré la gravité de la situation du marché de lemploi, la rotation du personnel ainsi que labsentéisme sont redevenus des symptômes significatifs des difficultés de mobilisation du personnel. Ce constat vaut pour les TPE, PME, ETI, grandes entreprises et couvre la plupart des secteurs dactivité. Ainsi, le turnover dans la force de vente est actuellement très élevé : départs prématurés, difficultés de recrutement. La rétention et le développement des talents émergent dans le baromètre 2015 comme une préoccupation complémentaire forte.

Or, la capacité de lentreprise à opérer des transformations permanentes et à accélérer les processus de décision constitue désormais un avantage concurrentiel majeur qui implique mobilisation, engagement et adhésion des ressources humaines et des managers. Les difficultés de mobilisation constatées sur le terrain sont dues à différents facteurs, internes et externes à lentreprise.

Lun des principaux est la survivance anachronique, dans un contexte radicalement transformé, des principes du management classique, inspiré par Taylor, Fayol et Weber il y a plus dun siècle. Ils prétendent que la productivité implique une hyperspécialisation des fonctions, une séparation radicale des opérations de conception et dexécution ainsi que lorganisation impersonnelle des processus dactivité. Actuellement, leur application à lorganisation générale de lentreprise, aux postes de travail, dans les usines en construction, les entreprises de services, les organisations de conseil, denseignement et de santé, engendre de nombreux dysfonctionnements qui nuisent à lambiance de travail et dégradent lefficience des équipes.

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La prise en charge de la fonction de leadership à tous les niveaux dencadrement rencontre de puissants obstacles venant de lextérieur. La pression concurrentielle, exacerbée par la mondialisation, la crise financière et linstabilité du cours des matières premières altèrent les conditions de vie professionnelle, lefficacité des politiques de fidélisation du personnel et compliquent les pratiques danimation interne. Or précisément, le baromètre Fnege montre limportance, aux yeux des entreprises, du leader dans lobtention de la performance.

Henri Savall
et Véronique Zardet

Professeur émérite et professeure, ISEOR, Magellan, IAE Lyon, Université Jean Moulin

Thème no 4 : La performance globale de lentreprise
(autre que financière)

La performance présente le paradoxe habituel des concepts sans cesse invoqués : mentionnée à tout bout de champ et tenant lieu de téléologie indiscutée, elle est en réalité un mot-valise dont la définition exacte nest ni claire ni réellement partagée tant elle recouvre un ensemble très hétérogène de conceptions. Dans un contexte dincertitude croissante de lenvironnement et de pression accrue des parties prenantes, la référence à la performance, si elle nest pas interrogée en profondeur, devient à lentreprise ce que la pierre philosophale était aux alchimistes : une aspiration mythique, plutôt floue et confusément ressentie comme inaccessible.

Classiquement, dans lentreprise, la performance mesure à la fois ladéquation entre les objectifs stratégiques initialement définis et les résultats effectivement atteints (efficacité) et ladéquation entre les résultats et les moyens employés (efficience). Mais, ainsi définie, lidée de performance ne résout aucun problème pour lentreprise et suscite plutôt limmense diversité des questions auxquelles elle devra répondre au quotidien, parmi lesquelles celles ressortissant :

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À la stratégie : Quels sont mes objectifs ? Quelle est ma vocation essentielle dorganisation ?

Au marketing : Comment adapter mon offre afin quelle rencontre la demande et/ou trouver la demande qui correspond à mon offre ?

À la GRH : Comment assurer que mon personnel partage les objectifs ? Comment le recruter, le former, le motiver et organiser son travail ?

Au contrôle de gestion : Quels indicateurs mettre en place pour évaluer et piloter la performance ?

La notion dobjectif est centrale puisquelle détermine ce en fonction de quoi la performance sera évaluée. À une notion classique très étroite de ces objectifs (supposément le profit, la valeur pour lactionnaire), on préfère aujourdhui une vision plus large. En parlant de « performance globale » de lentreprise, on entérine le fait que la responsabilité dune entreprise ne se limite pas à la création de valeur, mais englobe aussi des responsabilités sociales et environnementales. Dès lors, une entreprise poursuit en réalité un grand nombre dobjectifs dont elle doit organiser la conciliation et entre lesquels elle doit arbitrer.

Ainsi comprise, la performance globale ne saurait se limiter à un indicateur unique10 ou à une approche purement quantitative : elle doit plutôt être comprise comme le fruit dun processus qualitatif darticulation des composantes du système organisationnel et des actions individuelles. Le sens anglais du mot performance a lintérêt de souligner le sens profondément non statique quil convient de lui donner : la performance désigne un comportement, une action qui fait advenir à la réalité (le jeu de lacteur par exemple). Les sciences de gestion proposent ainsi de penser une performance globale beaucoup moins 239comparable à lexactitude mécanique dune horloge quà un orchestre où la qualité dune interprétation est le fruit dune harmonie collective. Atteindre cette performance est, du coup, plus complexe et léquilibre trouvé plus fragile.

Olivier Babeau

Professeur à lIAE Bordeaux, Université de Bordeaux

Thème no 5 : La création de lefficacité collective
et la réactivité opérationnelle

Cette thématique rejoint deux préoccupations qui apparaissent comme des facteurs de succès pour évoluer dans un contexte de grande incertitude et de grande instabilité11. Lefficacité collective rejoint la notion dentreprise collaborative qui émerge depuis quelques années dans la lignée de lanalyse de lefficacité des modes de coordination au sein des organisations (par les conventions, par le contrôle, etc.). Paul Adler, Charles Heckscher et Laurence Prusak dans la HBR, en juillet 2011, ont posé les grandes caractéristiques de ces entreprises :

définir et partager un objectif commun (différent de la vision) ;

cultiver une certaine éthique de la contribution ;

développer des process qui conduisent les équipes à travailler ensemble dans des projets à la fois flexibles et encadrés ;

créer une infrastructure dans laquelle la collaboration et la coopération sont valorisées et évaluées ;

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la dimension collaborative est considérée à la fois comme un facteur de résilience et dagilité.

Le concept de réactivité na pas été étudié en tant que tel ; en revanche, lidée de flexibilité organisationnelle et de capacités dadaptation a été abordée. Les entreprises agiles se distinguent par leur capacité à détecter avant tout le monde les tendances de fond qui changent la donne sur leur marché et à sy adapter ainsi que par la rapidité avec laquelle elles peuvent amorcer des virages stratégiques, y compris de grande envergure. On distingue 3 types dagilité qui se caractérisent par des conditions de succès bien définies :

Lagilité stratégique caractérise les organisations avant-gardistes qui ont la capacité à détecter et à saisir, avant les autres, les opportunités qui bouleversent leur marché.

Lagilité de portefeuille est la capacité à réallouer rapidement des ressources (talents, argent, etc.) vers des opportunités daffaires porteuses. Elle demande un pilotage centralisé des ressources, de la polyvalence au sein du corps managérial et des processus clairs qui permettent à lentreprise daugmenter ou de réduire ses investissements dans une unité daffaires non porteuse, voire de sen départir.

Lagilité opérationnelle permet à une société de saisir rapidement les opportunités damélioration de son businessmodel, par exemple en réduisant les coûts ou en améliorant le réseau de distribution ou la qualité des produits et des services. Cela exige une connaissance du marché approfondie et qui sappuie sur des données fiables et en temps réel, et sur la définition dobjectifs clairs, associés à des mécanismes de responsabilisation et de reconnaissance.

Éric Lamarque

Professeur à lIAE de Paris,
Université Paris 1

1 Fondation créée en mémoire de Daniel Carasso, fondateur de Danone, et de son épouse, Nina. Il sagit dune fondation familiale indépendante du groupe agroalimentaire.

2 Ce compte rendu nexprime que les avis de lauteur et nengage ni lUMR Moisa, ni Montpellier SupAgro en tant quinstitutions partenaires du Labex Entreprendre.

3 Nous remercions le professeur K. Messeghem, directeur du Labex Entreprendre, pour sa relecture de la première version de ce texte.

4 Dautres résultats de recherche peuvent être consultés sur le site du Labex Entreprendre : http://labex-entreprendre.edu.umontpellier.fr/

5 Lagarde V., 2006, « Le profil du dirigeant comme variable explicative des choix de diversification en agriculture », Revue des Sciences de Gestion, no 220-221, p. 31-41. – Rémy J., 2011, « De la célébration de lagriculture familiale à la promotion de lagriculteur-entrepreneur : Succession ou coexistence ? », Revue Pour, vol. 5, no 212, p. 165-178. – Simon B., 2013, « Linstallation en agriculture. La construction de lintention entrepreneuriale », Économie Rurale, no 334, p. 23-38.

6 Résultats du baromètre téléchargeables sur le site : http://www.Fnege.org/nos-programmes/barometre-entreprise

7 Lorsquon analyse les variables catégorielles les plus significatives, on saperçoit clairement que cette préoccupation diffère selon lâge du répondant et le secteur dappartenance. Ainsi, les entreprises de service la placent très largement en tête avec un score dépassant les 4,5 avant lindustrie (4,2) ou lagriculture (4,0). Concernant lâge du répondant, les plus de 60 ans, et plus largement les plus de 40 ans – donc des répondants occupant potentiellement des fonctions plus élevées – lui attribuent un score bien plus élevé (4,3 en moyenne) que les 18-25 qui ne lestiment quà 3,33. On peut donc supposer que cette préoccupation associée à la relation avec les clients ne se diffuse pas encore complètement au sein des entreprises. Sagissant des quatre autres variables catégorielles, il nest pas possible didentifier des écarts significatifs entre les répondants.

8 À noter quen matière dinnovation, trois variables catégorielles font apparaître des différences significatives. La taille de lentreprise tout dabord : il est intéressant de noter que cette préoccupation est fortement présente chez les plus petites entreprises (1-10 avec un score de 4,3) et chez les plus de 50 000. Dans un contexte français souvent considéré comme assez timoré sur le sujet, on peut être au moins rassuré de voir que ces acteurs lont réellement à lesprit. On note également que les dirigeants sont les plus attentifs à ce thème (score 4,3), plus que les salariés (3,1). Ces chiffres illustrent bien le fait que cette préoccupation nest pas partagée dans les différents niveaux de lentreprise, ce qui explique sans doute certaines difficultés dans la mise en œuvre de ces politiques. Enfin, comme pour le thème de la relation client, ce sont les répondants les plus âgés qui y attachent une attention toute particulière.

9 Deux variables catégorielles potentiellement assez liées, la position hiérarchique du répondant et son âge, présentent des différences quant au niveau de préoccupation des acteurs. Les dirigeants et les cadres supérieurs, les acteurs les plus âgés dans lentreprise y accordent une importance beaucoup plus prépondérante. Comment interpréter la faible préoccupation des salariés ou des plus jeunes sur la question de leur mobilisation ? Se sentent-ils naturellement engagés et ne perçoivent-ils pas cela comme une préoccupation ? Ou bien manifestent-ils une certaine défiance vis-à-vis de leur entreprise et ne voient pas pourquoi ils sengageraient davantage dans leur activité professionnelle ?

10 Trois variables catégorielles montrent des différences significatives entre les répondants. Comme pour dautres thèmes, celui-ci montre un écart dans léchelle des préoccupations entre les dirigeants et les salariés comme entre les jeunes et les plus âgés. Ce qui est notable ici est quil y a aussi des différences selon le secteur dactivité. On remarque ainsi que des secteurs aussi différents que lenseignement/santé/action sociale, lindustrie et la finance/assurance attribuent un meilleur score à ce thème. Si pour le premier cité cela correspond le plus souvent à la mission même de ces organisations, on peut penser que pour les deux autres cela traduit une attention particulière sur ces sujets en raison dune réputation assez mauvaise en la matière pendant de nombreuses années.

11 Comme pour le thème de la mobilisation, la position hiérarchique du répondant et son âge sont les deux variables pour lesquelles on constate une réelle divergence dappréciation entre les catégories. Ici également, les acteurs ayant une position hiérarchique élevée et plus âgés y accordent une importance nettement plus grande avec un score de 4,5 pour les plus de 60 ans contre 2,5 pour les moins de 25. À nouveau, un tel écart nous interroge sur les différences de préoccupations entre les classes dâges. Nous navons pas assez de répondants dans chacune des classes pour considérer ce résultat comme incontestablement significatif mais il y a quand même une très forte probabilité que ce soit le cas. De même, il savère que chez les répondants jeunes, la nature des principales préoccupations est assez différente.