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Classiques Garnier

Introduction to the Special Issue At the Boundaries of Work and Employment: Shifting and Rebuilding from the Global South

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Socio-économie du travail
    2022 – 2, n° 12
    . Aux frontières du travail et de l’emploi. Déplacements et recompositions depuis les Suds
  • Author: Deguilhem (Thibaud)
  • Abstract: In the North and in the South, workers have experienced many disruptions in the last years. The aim of the two special issues 2022-1 et 2022-2 is to look at the boundaries of work and employment in order to rethink work in the light of these contemporary transformations. The previous issue looked at the recomposition of these boundaries as they relate to leisure, activism and private and family life in the North. Mirroring the South, this issue (2023-1) looks at the blurring of employment boundaries as a result of social practices that bring together globalized social and geographical spaces, as well as at the reconfiguration of the norms of the world of work in developing countries.
  • Pages: 15 to 30
  • Journal: Social Economy of Labor
  • CLIL theme: 3319 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités -- Travail, emploi et politiques sociales
  • EAN: 9782406164357
  • ISBN: 978-2-406-16435-7
  • ISSN: 2555-039X
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-16435-7.p.0015
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 02-07-2024
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
  • Keyword: boundaries, work, employment, qualification, South
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introduction au numéro

Aux frontières du travail et de lemploi :
déplacements et recompositions depuis les Suds

Thibaud Deguilhem

Université Paris Cité,

Laboratoire Dynamiques Sociales et Recomposition des Espaces (LADYSS),

Institut Français des Études Andines (IFEA)

Les frontières entre Nord et Sud tendent à disparaître révélant les deux faces dune seule et même pièce, des mondes connectés par les ramifications de la mondialisation qui ont trop longtemps été analysés séparément par les sciences sociales. Cest le pari de ce numéro qui, par un dialogue, trop rare encore avec le champ de la socio-économie du développement, ses concepts et ses approches pour appréhender lemploi et le travail dans les Suds, constitue un complément original et nécessaire au numéro spécial précédent. Ce numéro sera assurément source dintérêt pour les lecteurs et lectrices de Socio-économie du travail, toujours attentifs à la variété des systèmes demploi immergés dans des contextes institutionnels spécifiques.

Si le numéro qui précède faisait état des bouleversements et des facteurs de déstabilisation du travail au Nord, ces grandes tendances se sont inscrites dans les Suds depuis longtemps déjà. Après la crise de la dette dans les années 1980 et jusquau tournant des années 2010, ces pays dits « périphériques » ou « en développement », vastes catégories souvent subdivisées en différents groupes de pays avec des variations 16selon les classifications retenues, ont été marqués différemment par des stratégies de libéralisation construites sous limpulsion des organisations internationales (Lautier, 2013a). Les plans dajustement structurel à la lutte contre la pauvreté ont profondément ancré les dynamiques dun mouvement de balancier penchant vers la domination du marché sur les faibles espaces de protections qui y échappaient jusqualors (Polanyi, 1983). Dans ce qui pourrait bien être un « laboratoire de la libéralisation », en poursuivant des objectifs de réduction de la dette et de bonne gouvernance, rapidement accompagnés par des mécanismes de transferts ciblés vers les plus pauvres, cest bien la pluralité de lemploi rarement assorti de protections qui simpose comme norme dans les Suds (Tokman, 2007). Dans ces contextes de forte vulnérabilité et de faiblesse structurelle des ressources publiques, parfois combinées à des limites institutionnelles fortes, on comprend que la brutalité du choc en 2020 ait eu des conséquences dévastatrices sur le monde du travail, détruisant parfois en quelques mois les fragiles progrès des vingt dernières années, en particulier en Amérique latine (PNUD, 2022).

Malgré ce constat, certaines logiques de résistance récentes à cette « convergence globale » qui pourrait sembler indépassable interrogent depuis les Suds et finissent de brouiller les représentations traditionnelles qui pouvaient encore exister. Si les formes demploi et dactivité dites « informelles » en raison de leur vulnérabilité et de labsence de protections prévalent toujours, on ne peut que constater le recentrage de lagenda des politiques publiques sur la nécessité dune « formalisation », de nouvelles protections (Lautier, 2013a ; Merrien, 2013, Collombet, 2014), avancées parfois pour réduire de fortes inégalités sur des marchés du travail profondément segmentés. Bien que la définition de cette « formalisation » soit un enjeu crucial au cœur du processus délibératif très souvent transnational tiraillé entre différentes représentations (Hickey et Seekings, 2017), cette notion permet de penser quune autre perspective est envisageable. Insistons sur le fait que cette autre voie est bien idiosyncrasique et non un retard sur des étapes de développement capitaliste qui devraient conduire à un Nord globalisé. Partant du constat de limpossibilité structurelle dune société où le salariat protégé serait la règle, la révision des stratégies nationales de protection sociale ne vise pas à reproduire lun des modèles dÉtat-providence construits et façonnés au Nord (Esping-Andersen, 2007). Les pays « émergents », avec le 17Brésil en tête, protègent en étendant petit à petit des formes sociales de micro-protections à des catégories et des professions qui étaient jusquici invisibilisées et exclues, telles que les travailleuses domestiques. Ainsi, au sein des Suds, le brouillage des frontières nest pas uniquement celui que lon pouvait observer il y a encore quelques années, mais consiste en des recompositions complexes dont il est nécessaire de comprendre les rouages.

Pour mener cette analyse des convergences qui effacent et des différences qui reconstruisent des frontières, cest bien depuis les Suds, en décentrant le regard, que les déplacements et les recompositions du monde du travail et de lemploi doivent désormais être questionnées. Rappelons que le pari des deux numéros spéciaux 2022-1 et 2022-2 de Socio-économie du travail est que porter le regard sur les frontières du travail et de lemploi doit permettre de repenser le travail et lemploi à laune des transformations contemporaines. Le précédent numéro (2022-1) interrogeait les recompositions de ces frontières qui sétablissent vis-à-vis du loisir, du militantisme ou de la vie privée et familiale au Nord. En miroir depuis les Suds, ce numéro (2022-2) porte quant à lui sur leffacement des frontières de lemploi sous leffet des pratiques sociales qui rapprochent des espaces sociaux et géographiques mondialisés, mais également sur les reconfigurations de ce qui norme le monde du travail dans les pays en développement.

Les frontières analysées par les articles de ce numéro, consacré aux Suds parfois en comparaison ou parmi les Nords, sétablissent vis-à-vis des formes demploi, leur « raison dêtre » et leur inscription dans des enjeux économiques et politiques qui dépassent les cadres nationaux mais qui mettent en relation différentes parties du monde. Dans cette perspective, les questionnements dordre analytique et empirique sont nombreux et concernent au moins deux niveaux de réflexion pour le champ de la socio-économie du travail. Dabord par le « bas » lorsquil sagit dinterroger empiriquement les séparations qui prévalaient largement sur les marchés du travail des Suds et que les pratiques des acteurs viennent déplacer et remettre en cause (I). Quil sagisse des travailleurs indépendants mais économiquement dépendants ou des activités informelles construites au sein de diasporas, la réalité sociale est toujours plus complexe que les catégories danalyse et force les chercheurs et chercheuses à fabriquer de nouvelles grilles dinterprétation 18de ce qui « fait pratique » et qui mettent en évidence ces liens entre Sud et Nord. Cette élaboration de catégories analytiques adaptées aux spécificités contextuelles et institutionnelles constitue lun des apports importants de la socio-économie du développement et un pont évident vers la socio-économie du travail. Par le « haut » enfin lorsquil sagit dinterroger le régime demploi, économique et politique, jamais isolé dun jeu plus vaste inscrit dans la mondialisation, mais qui a cette capacité à construire de la norme au travers darènes institutionnelles transnationales spécifiques, sans jamais effacer complétement les rapports (II). Nous présentons pour finir les articles qui composent ce numéro (III).

I. DISPARITION DES FRONTIÈRES SUDS-NORDS PAR LE « BAS » : LA QUESTION DE LHYBRIDATION DES FORMES DEMPLOI

Lemploi en lui-même constitue lune des « expériences sociales centrales » pour chaque individu à la fois en âge davoir et ayant une activité socioprofessionnelle (Maruani et Reynaud 2004). Quil sagisse du Nord ou du Sud, caractériser lemploi ne peut se faire quen posant la question de comment et sous quelles formes cette expérience est susceptible de se matérialiser (Edgell et al., 2015). Cette approche, revendiquée dans ce numéro et qui rassemble la socio-économie du travail et celle du développement, implique de facto de partir du postulat que lemploi nest en aucun cas séparable des individus qui loccupent et du reste de leur vie. Ainsi, si toute activité est inscrite dans un rapport social demploi1 composé dun ensemble déléments qui encadrent intrinsèquement son expression (Lallement 2007), la prise en compte de la dimension institutionnalisée de lemploi pousse alors nécessairement à regarder et à classer la variété de ses formes.

Dabord observé au Sud puis au Nord, ce rapport social tend à hybrider les formes dactivité créant une vaste « zone grise » de lemploi dont 19lorigine historique se loge au cœur des années 1980 et des mutations des systèmes institutionnels daccumulation. Ce constat du brouillage généralisé entre différentes catégories, salariat et indépendance, activités formelles et informelles2, longtemps jugées imperméables, procède de deux grands mouvements (Supiot, 1999) : un glissement des normes à la faveur dune extension des formes atypiques demploi pour des professions déjà existantes ou émergentes, renvoyant à lidée dune institutionnalisation inégale de lemploi, la superposition des situations impliquant une instabilité des statuts (Azaïs, 2014). Face à cette reconfiguration, les typologies traditionnellement utilisées, opposant emplois salariés et indépendants ou formels et informels, sont mises sous tension (Azaïs et Carleial, 2017), poussant les chercheurs et chercheuses comme les organisations internationales à les questionner en se réappropriant une perspective « depuis les Suds ».

Longtemps considérée comme une catégorie reine en socio-économie du développement pour analyser les spécificités de lemploi au Sud, la notion dinformalité mettait initialement au jour les capacités autonomes du marché du travail à produire les ressources nécessaires aux besoins dune nouvelle population urbaine affluant sous leffet de lexode rural (Hart, 1973). Lidée de dualisme du marché du travail adapte, au départ, les approches par la segmentation pour distinguer un segment formel productif, doté dun contenu technologique important, caractérisé par lexistence de fortes barrières à lentrée en termes de capital pour les entrepreneurs et de compétences pour les employés, dun secteur informel regroupant de petites activités familiales à la production erratique, sans processus daccumulation, et se contentant dassurer la survie de ménages pauvres en labsence de filet de protection sociale (Sethuraman, 1976 ; Peattie, 1980). À partir des années 2000, lOIT (Organisation Internationale du Travail) offrait un prolongement de cette vision en lassociant à une perspective plus normative orientée vers la protection des travailleurs. Ce changement majeur reconnait ainsi toute la complexité des pratiques demploi au sein et en dehors dun secteur informel dont les représentations étaient trop statiques initialement. Les acteurs de 20léconomie informelle, petits entrepreneurs ou employés, sont ceux qui se situent en dehors du champ daction des systèmes de protection sociale, de la réglementation du travail, des droits syndicaux et de la sécurité au travail (Tokman, 2007 ; Kucera et Roncolato, 2008).

En opposition, la crise de la dette dans les pays du Sud au cours des années 1980 saccompagne dans certaines organisations internationales comme la Banque mondiale dun changement de paradigme qui pousse à construire une approche explicative utilitariste de lexistence et de la prolifération des petites activités informelles. Lensemble de ces activités développées hors de toutes formalités, traduirait une « éruption des forces réelles du marché » dont les petits entrepreneurs seraient alors les acteurs essentiels et le moteur principal (De Soto, 1994). Une réponse « populaire » et « spontanée » aux contraintes excessives que ferait peser lÉtat sur les formalisés. Linformalité serait ainsi lexpression dun « choix », une revendication de lautonomie et de lémancipation des individus, nexcluant pas nécessairement tout à fait à la marge lexistence dun petit groupe de travailleurs précaires (Perry et al., 2007). Sans se poser la question du processus dinformalisation massive en lien avec la reconfiguration des institutions de lemploi, la raison dêtre de linformalité ne réside plus dans les coûts de la formalisation, mais dans le résultat dun arbitrage dacteurs maximisant leur bien-être en raison de la faiblesse des bénéfices dun État-providence défaillant (Maloney, 2004).

Au centre de ce débat, cest bien la question de lanalyse dun continuum hybridé qui reste aujourdhui posée car, au « total, les dichotomies habituelles [] napparaissent pas les plus appropriées pour départager les “bons” emplois des emplois peu ou “moins désirables” » (Phélinas, 2014, p. 27). En effet, cette hybridation des formes demploi et des éléments qui les supportent laisse apparaitre des situations denchevêtrement, mixtes ou indéterminées, superposant des pratiques sociales et des représentations à des normes institutionnelles souvent peu protectrices (Hart, 2006 ; Lautier, 2013b). Face à cet enjeu, nombre dauteurs font désormais davantage référence aux acteurs eux-mêmes, leurs pratiques sociales et leurs représentations, appréhendés par le « bas », sans jamais les essentialiser pour comprendre les formes demploi, installant ainsi une passerelle possible entre Suds et Nords. Cest ce quinterrogent les articles de Mondon-Navazo et dAhmad dans ce numéro. Le premier sattache à qualifier lhétérogénéité de la recherche de protections pour des formes de travail indépendant 21économiquement dépendant au Brésil et en France en plaçant la focale sur le rapport subjectif à cette zone grise au croisement des mouvements de marchandisation, protection sociale et émancipation. Le second installe cette question du continuum en France au sein de la diaspora comorienne à travers létude de lagencement entre emploi formel et commerce informel en étudiant les pratiques socio-économiques.

II. RECONFIGURATION DES FRONTIÈRES PAR LE « HAUT » : RÉGIME SOCIAL DEMPLOI ET CONSTRUCTION DE LA NORME

Si leffacement des frontières abordées sous langle des pratiques des acteurs est assez fructueux, il nest toutefois pas question de délaisser lenjeu de la production des régimes sociaux demploi spécifiques dans lesquels ces pratiques se situent et sorganisent. Autrement dit, il est nécessaire de tourner notre regard vers lautre « bout de la chaine » vers les régulations sociales par le « haut », spécifiques, historicisées et institutionnalisées au sein de modes de production particuliers (Deguilhem et Frontenaud, 2016 ; Bizberg, 2019). Largement documenté parmi les Nords (Boyer, 2002), lenjeu est de reconsidérer les régimes demploi comme issus des rapports sociaux spécifiques, producteurs à la fois des formes de subordination des travailleurs et des conditions sociales de reproduction propre à chaque régime. Apparaît alors une variété parmi les Suds, en particulier parmi les pays « émergents » ou « à revenu intermédiaire » plus ou moins insérés dans les chaînes globales de valeurs et de travail.

Lenjeu consiste alors à étudier la combinaison entre un rapport social demploi et cette insertion partielle dans un rapport international qui donne à ces pays des régimes demploi idiosyncratiques, objets longtemps « non-identifiés » par les différentes grilles danalyse institutionnaliste en dehors de la socio-économie du développement. Or, lobservation de limpossible avènement dun salariat formel généralisé sous leffet des vagues dindustrialisation, de modernisation et dinsertion dans le jeu international conteste une vision dun développement linéaire qui viserait à projeter sur les Suds une histoire sociale construite dans un Nord déjà globalisé. Dans ces régimes « émergents » les formes de relations 22individuelles dans lemploi sont moins précaires que dans les pays sous « régime daide3 », mais où les faiblesses structurelles se retrouvent particulièrement au niveau des systèmes de protection sociale, parcellaires et de portée restreinte. En prenant le Maroc pour cas détude particulièrement pertinent au regard du volontarisme des politiques industrielles et de lemploi, larticle dAl Hachimi et al., dans ce numéro, met au jour lassociation structurelle entre modernisation et mirage dune « société salariale » même dans la frange « insérée » des travailleurs et travailleuses marocaines. De ces observations découle directement la question du changement institutionnel dans les Suds : une transformation en faveur dune protection sociale dune plus large portée est-elle alors impossible ?

La réponse doit nécessairement incorporer la question du changement politique, du compromis et du processus de délibération au cœur de laction publique (Boltanski et Thevenot, 1991). Bien que très hétérogènes entre eux, ces pays « émergents », ou « à revenu intermédiaire » selon la classification de la Banque mondiale4, apparaissent dans lensemble peu favorables à la formation dun compromis social élargi, associant plutôt une frange large du capital avec une frange restreinte du travail (Rougier et Combarnous, 2017). Plus précisément, le compromis social et politique au sein de ces pays associe une forte législation sur le plan des relations individuelles de travail, souvent circonscrites aux secteurs économiques stratégiques et ineffectifs pour le reste de la population, et à linverse, un centralisme étatique concernant les protections et les relations collectives. Cette forte hétérogénéité alimentée par un processus de segmentation institutionnalisée se manifeste à travers la formation dun développement inégalitaire des capacités de résilience des ménages et la faiblesse des formes dorganisation dans le champ politique.

Toutefois, loin dêtre figée, cette description soulève bien limportance dune analyse de la gouvernance multi-acteurs et de la fabrique des politiques publiques pour mieux comprendre comment sarticulent transformations structurelles et modes effectifs de régulation des mondes 23du travail et de lemploi dans les sociétés. Plus spécifiquement dans les Suds, lorsquil sagit détudier ces espaces de fabrication politique de la norme et de son évolution, on observe que la gouvernance repose rarement uniquement sur les acteurs nationaux aux ressources limitées, un « limited statehood » (Risse, 2011 ; Piveteau, 2018), auquel sajoutent toujours la présence dorganisations internationales en recherche de relais locaux pour faire avancer des objectifs construits au sein darènes globalisées. Si la nature transnationale de la gouvernance et le poids des logiques de transferts sont à considérer (Hagmann et Péclard, 2010), il ne faut pas pour autant contester aux actions publiques dêtre le produit de processus de négociations complexes : elles impliquent les jeux dacteurs politiques et la relation de lÉtat à la société (Darbon et Provini, 2018). Ainsi, les changements institutionnels, changements législatifs réglementaires pouvant entrainer une transformation structurelle, sont permis dès lors quils sont le résultat de la co-construction de programmes daction par une pluralité et une diversité dacteurs (publics, privés, issus de la société civile, experts, bailleurs, etc.) situés à différentes échelles dintervention (locale, nationale et internationale), ayant des intérêts et des visions qui se coalisent (Zittoun, 2013). Cest à travers cette approche que le cas de la reconnaissance juridique du statut de salarié aux travailleuses domestiques accordé au Maroc peut être compris, comme le propose larticle de El Haddad dans ce numéro.

III. Les frontiÈres analysÉes
par les articles de ce numÉro

Ce second numéro spécial poursuit lambition du précédent en se saisissant des enjeux analytiques et empiriques du déplacement et de la recomposition de frontières du travail et de lemploi pour les acteurs depuis les Suds. Il repose pour cela sur quatre articles de sociologues, déconomistes et de politistes.

Pour saisir les déplacements et reconfigurations tout au long des frontières présentées, les articles sinscrivent pleinement dans la ligne éditoriale de la revue Socio-économie du travail, en mettant en œuvre 24une variété de méthodes de collecte et danalyse sur la base de données qualitatives (entretiens, observations suivies), quantitatives (à partir dinformations administratives) et parfois la combinaison originale des deux comme dans larticle dAl Hachimi et al. La question de la disparition des frontières construites géographiquement sous leffet de lhybridation des formes demploi qui transpose au Nord ce qui a lieu au Sud fait lobjet des deux premiers articles. Les deux derniers sintéressent aux reconfigurations de frontières au Sud à travers la compréhension dun régime demploi et son changement permis par la formation darènes politiques multi-acteurs et multiniveaux. Homogènes dans leurs approches, lensemble des articles de ce numéro abordent ces questions sous un angle empirique, sans pour autant négliger les enjeux théoriques posés ni de replacer chaque contribution dans une perspective plus large. Bien que parfois plus en filigrane notamment dans larticle dAhmad, on peut noter enfin que la question de la protection sociale, directement associée à celle de linformalité, est centrale dans ce numéro axé sur les Suds et leurs relations aux Nords.

Dans la continuité du numéro précédent, larticle de Mathilde Mondon-Navazzo (et Camille Noûs) saisit lhétérogénéité de la zone grise du travail indépendant économiquement dépendant en analysant les attentes et les représentations des travailleurs et travailleuses qualifiés dans le secteur des technologies et de linformation. Au travers dentretiens, lauteure redonne une place centrale aux représentations subjectives des individus, au regard quils portent sur leur emploi et ses conditions (Murgia et Pulignano, 2021). Se faisant, elle propose une relecture qui dépasse les oppositions entre indépendance choisie et subie dans la continuité de nombreux travaux sur le rapport complexe entre conditions objectives et valorisation dune position (Abdelnour, 2017). Elle adopte une approche comparative Sud-Nord originale entre la France et le Brésil, deux pays où le salariat représente la base historique de laccès aux droits sociaux. On pourrait être tenté de percevoir la zone grise du travail indépendant économiquement dépendant comme une simple traduction dune différence de régime : en France, il sagirait de formes demploi atypiques qui dérogent à une norme dominante et au Brésil dun héritage dune informalité structurelle qui banalise le contournement du droit du travail (Cardoso, 2013). En reprenant la grille danalyse de Nancy Fraser (2010) entre les mouvements de marchandisation et de 25protection sociale (articulé avec ceux démancipation/résistance), cest bien la frontière entre des visions opposées de lemploi pour les travailleurs et travailleuses indépendants mais économiquement dépendants que larticle se propose de questionner en entrant par les représentations des acteurs. En identifiant trois situations-types, lauteure distingue une nouvelle séparation entre des entrepreneurs et entrepreneuses en transition, qui sinscrivent dans un mouvement de marchandisation classique, et dautres plus réticents, qui illustrent des situations de fausse indépendance et aspirent à retrouver la protection sociale du salariat.

Le deuxième article au cœur de ce numéro, signé Abdoul-Malik Ahmad, étudie plus directement encore leffacement de cette frontière entre les objets travaillés au Nord et au Sud à travers lanalyse du continuum entre formalité et informalité pour des femmes comoriennes, migrantes installées à Marseille, à la fois salariées formelles au sein de segments subalternes et commerçantes informelles. Sous langle dun groupe spécifique de migrants des Suds installés de façon diasporique au Nord, cest la multiplicité, nécessaires, des activités, des vies et des connexions qui relient, connectent et finalement encastrent plusieurs espaces sociaux qui sont au centre de lanalyse. À laide dune stratégie en boule de neige permettant de constituer un corpus empirique fait dentretiens et dobservations suivies, lauteur offre une plongée dans les stratégies de franchissement des différentes frontières – professionnelles, sociales et géographiques – motivées par des logiques de subsistance dans un contexte de précarisation du salariat formel qui touche particulièrement les femmes migrantes (Granovetter, 1995 ; Mazzella, 2014). En partant de lidée du caractère nécessairement pluridimensionnel du continuum dans lexpression des pratiques de jonglage et/ou dhybridation des dispositifs commerciaux, cest le système de complémentarité/continuité entre deux formes de mise au travail qui est identifié. Loin dêtre monotone au sein même de cette population, limbrication entre emploi salarié formel et commerce transnational informel, entre les dispositifs dapprovisionnement, et entre sphères professionnelle et domestique, sobserve de manière différente en fonction des caractéristiques et des pratiques de commerçante comorienne.

Par le « haut » désormais, la question de la stabilisation dun régime demploi loin dune société salariale attendue dans les Suds « émergents » 26qui saccompagnerait mécaniquement de formes protectrices est étudiée par larticle de Sirine Al Hachimi, Nadia Benabdeljlil, Yolande Benarrosh et Alain Piveteau. Ces pays institutionnalisent dans leurs régimes demploi des cadres législatifs parfois plus protecteurs pour certaines catégories, comme le montre le dernier article du numéro à propos des travailleurs et travailleuses domestiques. Néanmoins les emplois historiquement les plus protégés, publics principalement, apparaissent de plus en plus comme des vestiges dun État plus interventionniste dans les années 1970 (Tokman, 2007). En replaçant cet état des Suds face à la remise en question interne et externe systématique des protections du salariat dans les Nords, les auteurs y voient les traces dun référentiel néo-libéral qui prendrait une forme particulière en fonction du contexte. En prenant le Maroc, cas particulièrement intéressant de politiques volontaristes dindustrialisation, de modernisation et dinsertion dans les chaînes de valeurs sur les dernières décennies (Piveteau, 2018), cest bien le constat de labsence de généralisation du salariat protecteur et de la coexistence de dispositifs de protection sociale parcellaires qui simpose à lissue dun état des lieux statistique. À laide de récits collectés au long cours et juxtaposés complétant ce panorama statistique, cest une approche complémentaire qui nous plonge au cœur des espérances du monde du travail à Tanger, dans les industries censées créer massivement la société salariale attendue. Les auteurs confirment alors quà défaut de simposer comme « lépicentre des transformations [sociales] en cours », le salariat ne parvient pas davantage à simposer dans lhorizon des attentes des travailleurs marocains, à linverse de la multiplication des appels à lémergence dune « société entrepreneuriale » oscillant entre autoentrepreneurs de survie et start-uppeurs (Chapus et al., 2021).

Le dernier article, signé Fouad El Haddad, sinterroge enfin sur ces volontés dexpansion, limitées et parcellaires mais constatées, des droits sociaux au Sud en ouvrant les processus politiques qui les ont produits (Lavers et Hickey, 2021). Repartant au Maroc, lauteur se focalise sur lintégration – « formalisation » – des travailleurs domestiques dans le cadre du droit. En dépit dune reconnaissance juridique symbolique pour des emplois exercés initialement aux confins de la vulnérabilité sans protection aucune, par des femmes invisibilisées, issues de milieux populaires et frappées par des discriminations multiples, on comprend bien quune transformation de ce type engage une pluralité dacteurs, où 27les enjeux croisent les intérêts et les positions. On aurait tort de penser que la décision nest que la résultante de la pression des organisations internationales ou dun transfert international de politique publique (Debonneville et Diaz, 2013), en dépit de lengagement des institutions sur la question de la protection des travailleurs domestiques. Larticle substitue à cette hypothèse exogène linterprétation endogène dune nouvelle frontière dans la fabrique de laction publique. Lexistence dune opposition entre les pôles contributifs et non-contributifs de la protection sociale, que lon retrouve dans de nombreuses arènes autour la question de lélaboration des politiques sociales indépendamment du secteur dans les Suds (Berrou et al., 2021), ouvre la porte à une diversité dacteurs nationaux et internationaux et à une compétition entre le champ de la politique de lemploi et celui de lassistance sociale (Barrientos et Hulme, 2009 ; Dorlach, 2021). Au moyen dentretiens et de sources secondaires, lauteur met alors en évidence ce débat autour de la question de la légitimité de larène et des acteurs pour élaborer ce nouveau cadre plus protecteur. Au-delà de la simple question de « qui est mandaté pour agir ? », il sagit bien in fine de lorientation même de laction publique qui oscille entre réglementer et freiner le travail domestique, en particulier pour les mineures. La reconstitution des séquences de lhistoire institutionnelle donne à voir comment les réformes impulsées par les acteurs transnationaux et les relais locaux sont construites au Sud et investies par les acteurs.

En conclusion, les textes de ce numéro complètent ceux proposés dans le premier numéro de Socio-économie du travail et font la preuve, sil était nécessaire, quétudier les frontières du travail et de lemploi ne peut faire léconomie dun décentrage vers les Suds pour saisir les régularités des déplacements observés par le « bas » et leur recomposition par le « haut ».

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1 Le rapport social demploi est envisagé comme lextension du « rapport salarial » régulationniste au-delà des frontières du salariat, des rapports et des compromis qui lui sont associés. Par cet élargissement aux situations hors du salariat, cest bien une reconsidération des rapports particuliers qui institutionnalisent les travailleurs dans les Suds que nous proposons de saisir par cette notion (Deguilhem et Frontenaud, 2016).

2 La définition de léconomie informelle repose sur celle établie par lOIT en 2003. Elle repose sur deux piliers que sont les activités informelles dune part et lemploi informel dautre part. Les activités informelles sont définies comme étant celles menées au sein de petites entreprises comptant moins de cinq employés, non enregistrées officiellement et ne tenant pas de comptabilité écrite. Lemploi informel est défini comme étant lemploi sans contrat ou non protégé socialement, au sein dentreprises formelles ou informelles.

3 Pays dont le financement de laction publique dépend principalement de laide au développement en provenance dautres pays.

4 Le groupe de « pays à revenu intermédiaire » renvoie à la typologie réalisée en 2013 par la Banque mondiale en fonction du revenu national brut en dollars courants par habitant. En 2020, deux sous-catégories sont identifiées à partir de seuils : revenu intermédiaire / tranche inférieure entre 1036 et 4045 dollars, revenu intermédiaire / tranche supérieure entre 4046 et 12535 dollars.