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Classiques Garnier

Politiques d'insertion et genre Introduction au dossier

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Socio-économie du travail
    2021 – 1, n° 9
    . varia
  • Auteurs : Guergoat-Larivière (Mathilde), Remillon (Delphine)
  • Pages : 15 à 20
  • Revue : Socio-économie du travail
  • Thème CLIL : 3319 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités -- Travail, emploi et politiques sociales
  • EAN : 9782406128182
  • ISBN : 978-2-406-12818-2
  • ISSN : 2555-039X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12818-2.p.0015
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 16/02/2022
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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POLITIQUES DINSERTION ET GENRE

Introduction au dossier

Mathilde Guergoat-Larivière

Université de Lille,
Clersé-UMR 8019,
Centre dÉtudes
de lEmploi et du Travail

Delphine Remillon

Institut national détudes démographiques (INED),
LiRIS, Université de Rennes 2, Centre dÉtudes
de lEmploi et du Travail

Ce dossier thématique « Politiques dinsertion et genre » fait suite à la parution dun numéro spécial « Genre et politiques de lemploi et du travail » de Socio-Économie du Travail (no 2020-2) et sinscrit pleinement dans sa continuité. Les deux articles de ce dossier interrogent en effet la dimension genrée de certains dispositifs de politique publique. Si les articles du précédent numéro abordaient à la fois les politiques déployées au sein des entreprises (égalité professionnelle, rôle du dialogue social) mais aussi déjà certaines politiques publiques, aussi bien conjoncturelles (activité partielle en réaction à la crise sanitaire) que structurelles (système de retraites), les articles de ce dossier se concentrent sur des dispositifs qui ont plus directement trait à linsertion : le Revenu de Solidarité Active (RSA) dune part, et le service civique dautre part.

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Toutes les politiques publiques sont susceptibles daffecter différemment lemploi et le travail des femmes et des hommes, y compris lorsque ces politiques sont pensées comme « neutres » du point de vue du genre. Dans le domaine de la politique de lemploi et de la politique sociale, des travaux ont notamment montré comment labsence dun traitement différencié pouvait amener à un recul des femmes dans les dispositifs (Lemière et al., 2013).

Historiquement, les politiques spécifiques demploi et dinsertion qui se développent en France à partir des années 1980 restent marquées par la représentation de lemploi masculin (salarié, plutôt industriel, stable et à temps plein). La place des femmes ny est pas vraiment pensée, en lien avec la logique universaliste à lœuvre dans les politiques de lemploi françaises. Leur insertion sur le marché du travail est calquée sur une norme qui commence à seffriter et qui, en outre, na jamais été la leur (Fouquet et Rack, 1999). Les dispositifs spécifiques de politiques demploi en faveur des femmes vont demeurer anecdotiques et dotés de très faibles budgets jusquà la fin des années 1990.

Lémergence du gender mainstreaming impulsé par lUnion Européenne à la fin des années 1990, visant à « promouvoir légalité entre les femmes et les hommes dans lensemble des actions et des politiques, et ce à tous les niveaux » a changé la donne en proposant une nouvelle méthode daction publique, fondée sur une « approche intégrée et préventive » (Perrier, 2006, p. 56). Toutefois, si la logique de gender mainstreaming a pu amener des améliorations dans des domaines tels que la discrimination à lembauche, les stéréotypes de genre, le harcèlement sexuel ou encore la mise en place de quotas dans les instances de décision, sa mise en œuvre et son effectivité dans le domaine de la politique de lemploi semble avoir été limitée (Lechevalier, 2019). Un ensemble de recherches qualitatives a en effet montré comment, dans le domaine de la politique de lemploi et de linsertion sociale, les dispositifs et parfois la manière dont ils sont mobilisés par les acteurs, tendaient à reproduire certaines inégalités de genre (Letablier et Perrier 2008 ; Perrier 2015 ; Clouet, 2018).

Lanalyse de laccompagnement vers lemploi dallocataires du RSA élevant seules leur(s) enfant(s) dans larticle de Lilian Lahieyte ainsi que lanalyse du service civique et son appropriation par les femmes et les hommes dans larticle de Florence Ihaddadene et Emily Lopez-Puyol donnent à voir de nouvelles déclinaisons de cette question.

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Larticle de Lilian Lahieyte traite de laccompagnement des mères isolées bénéficiaires du RSA, des assignations genrées quelles subissent et de la façon dont elles y résistent ou y adhèrent. Il montre que les mères isolées au RSA sont particulièrement motivées pour trouver un travail. Leur attrait pour lemploi est guidé à la fois par des motivations financières (sortir de la précarité) et par des motivations intrinsèques au travail ou en négatif par rapport à la sphère domestique (sortir de lenfermement domestique). Pourtant, dans la dichotomie entre accompagnement « professionnel » et « social », le réflexe des professionnels du RSA est le plus souvent dorienter ces femmes vers laccompagnement social, afin de lever les freins préalables à la reprise dun emploi, ce que reflètent bien les statistiques présentées dans larticle relatives aux différences genrées dorientation et daccompagnement des allocataires. Cet accompagnement social plutôt que professionnel, avec des ateliers centrés sur leur rôle de mère, ne correspond pas à leurs aspirations. Larticle montre donc les obstacles que rencontrent nombre dallocataires, qui voient leurs aspirations professionnelles disqualifiées et empêchées par cette logique consistant à privilégier un traitement social et « familialiste » comme préalable à un éventuel accompagnement professionnel. Lauteur relève néanmoins que certaines allocataires parviennent in fine à accéder à un accompagnement professionnel. Il montre comment celui-ci vient alors modifier leur rapport à lemploi, les allocataires incorporant en partie, et à leur manière, la féminité active promue par les professionnelles. Larticle met au final en évidence un paradoxe : alors que la norme dautonomie et lactivation sont de plus en plus prégnantes dans le domaine de linsertion et que les allocataires enquêtées aspirent à sortir de la sphère domestique, ce qui les rapproche de cette norme, les politiques dinsertion les renvoient le plus souvent vers le social et vers leur rôle de mère. On perçoit une fois encore ici tout le paradoxe actuel des politiques de lemploi et de linsertion, qui mettent au cœur des référentiels daction (et du reporting) des acteurs du champ la question du placement, ce qui conduit ces acteurs à effectuer un tri des demandeurs demploi entre ceux quils jugent « proches de lemploi » et les autres, avec des « chaînes dintermédiation » qui évincent un grand nombre de publics de laccompagnement (Fretel et al., 2016 ; Clouet, 2018).

Le second article, celui de Florence Ihaddadene et de Emily Lopez-Puyol traite dun autre dispositif dinsertion, centré cette fois sur les jeunes, le volontariat en service civique. Ce dispositif a été 18instauré après la suppression du service militaire et sest rapidement développé. Les auteures montrent que les femmes sont surreprésentées dans ce dispositif, en lien avec les missions et secteurs dactivités qui y sont le plus représentés (monde associatif, fonctions denseignement et de soin). Mais larticle met en évidence une autre logique de cette surreprésentation des femmes : en insistant sur la rhétorique de lutilité sociale, de la citoyenneté, ce dispositif parlerait particulièrement aux femmes et sinscrirait dans un continuum par rapport au travail gratuit du care auquel elles sont assignées. Larticle distingue enfin plusieurs motivations des jeunes à réaliser un service civique, qui diffèrent selon le genre, le niveau de diplôme et lorigine. Les hommes sont plutôt dans une logique dattente (avant de reprendre une formation par exemple) ou valorisent par ce biais une activité quils pratiquaient jusquici de manière bénévole (entraîneur sportif). Du côté des femmes, deux usages différents sont mis en évidence par les auteures selon le niveau de diplôme des jeunes volontaires : les femmes diplômées qui visent à sinsérer dans lemploi associatif appréhendent le service civique comme une étape dans une stratégie dinsertion professionnelle, tandis que les peu diplômées nont pas dobjectif immédiat dinsertion et vivent cette expérience en service civique comme une étape parmi dautres au sein dun parcours précaire, avec toutefois une satisfaction mise en avant dans leurs discours davoir ici une « utilité sociale ». Enfin, certaines jeunes femmes racisées peuvent trouver dans le service civique une expérience professionnelle relativement valorisante, proche des métiers quelles souhaiteraient exercer, notamment dans lenseignement, métiers qui leur sont sinon inaccessibles à moins de retirer leur voile.

La situation de ces jeunes femmes racisées, au capital scolaire élevé, est également abordée dans larticle de Lilian Lahieyte qui montre, là-encore, que dans laccompagnement professionnel, certaines de ces jeunes femmes parviennent à faire valoir leurs ressources culturelles qui sont dévalorisées ailleurs… à condition quelles acceptent de se conformer à certaines normes de féminité active qui ne sont pas neutres pour elles puisquelles impliquent quelles retirent leur voile. Une dimension transversale à ces articles réside donc dans larticulation quils proposent entre inégalités de genre et inégalités liées au niveau de diplôme ou à lappartenance religieuse, faisant pleinement écho aux enjeux dintersectionnalité (Crenshaw, 1989, 1991 ; Bilge, 2009).

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RÉFÉRENCES Bibliographiques

Bilge S., 2009, « Théorisations féministes de lintersectionnalité », Diogène, vol. 1, no 225, p. 70-88.

Clouet H., 2018, « La construction publique du sous-emploi. Lactivité des chômeurs au péril des interactions de guichet », Socio-économie du travail, vol. 1, no 3, p. 135-164.

Crenshaw K., 1989, « Demarginalizing the Intersection of Race and Sex : A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics », University of Chicago Legal Forum, Volume 1989, Issue 1, Article 8, p. 139-167.

Crenshaw K., 1991, « Mapping the Margins : Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color », Stanford Law Review, vol. 43, no 6, p. 1241–1299.

Fouquet A., Rack C., 1999, « Les femmes et les politiques demploi », Travail, genre et sociétés, 1999/2, no 2, p. 47-70.

Fretel A., Pillon J.-M., Remillon D., Tuchszirer C., Vivés C., avec la participation de Fondeur Y., 2016, « Dynamiques territorialisées du champ de lintermédiation », in Diversité et dynamiques des intermédiaires du marché du travail, Pôle Emploi, Études et Recherches no 7, juin, p. 5-162. Repris dans Rapport de recherche no 100 Centre détudes de lemploi et du travail (CEET).

Lechevalier A., 2019, « Dynamics of Gendered Employment Regimes in France and Germany over the Last Two Decades : How Can They Be Explained ? », in Berrebi-Hoffmann I., Giraud O., Renard L., Wobbe T. (éd.), Categories in Context, Gender and Work in France and Germany, 1900–Present, Berghahn Books, International Studies in Social History Book, vol. 31, p. 155-195.

Lemière S. (dir.), Becker M., Berthoin G., Domingo P., Guergoat-Larivière M., Marc C., Maurage-Bousquet A., Silvera R., 2013, Laccès à lemploi des femmes : une question de politiques…, Rapport pour le Ministère des droits des femmes, décembre.

Letablier M.-T., Perrier G., 2008, « La mise en œuvre du gender mainstreaming dans les politiques locales de lemploi. Lexemple du Fonds social européen en Île-de-France », Cahiers du Genre 2008/1, no 44, p. 165-184.

Perrier G., 2006, « Genre et application du concept de gender mainstreaming. étude de cas dans la mise en œuvre du fonds social européen en Île-de-France et à Berlin depuis 2000 », Politique européenne, 3, no 20, p. 55-74.

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Perrier G., 2015, « Lobjectif dégalité des sexes dans la mise en œuvre des politiques demploi à Berlin. De la diffusion professionnelle aux difficiles réappropriations profanes », Politix, 1, no 109, p. 111-133.