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Classiques Garnier

Les classes moyennes en Europe au sortir de la crise de 2008

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Socio-économie du travail
    2020 – 1, n° 7
    . varia
  • Auteurs : Courtioux (Pierre), Erhel (Christine), Vaughan-Whitehead (Daniel)
  • Résumé : Entre 2005 et 2014, la taille des classes moyennes de revenus a évolué de manière hétérogène au sein des pays européens. Elle s’est maintenue en France, en Belgique et aux Pays-Bas, pays caractérisés par des mécanismes de fixation des salaires à un niveau relativement agrégé et le maintien d’un État-providence assez généreux. Ceci contraste avec une tendance à l’érosion des classes moyennes de revenus observée en Allemagne, en Suède, ou dans les pays du Sud après la crise. Toutefois, même lorsque leur taille est stable, les classes moyennes sont touchées par la dégradation du marché du travail (augmentation du chômage et des emplois non standards), qui concerne plus particulièrement les classes moyennes moins aisées.
  • Pages : 15 à 52
  • Revue : Socio-économie du travail
  • Thème CLIL : 3319 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités -- Travail, emploi et politiques sociales
  • EAN : 9782406114093
  • ISBN : 978-2-406-11409-3
  • ISSN : 2555-039X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11409-3.p.0015
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 01/03/2021
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : classes moyennes, revenus, France, Union Européenne
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Les classes moyennes en Europe
au sortir de la crise de 2008

Pierre Courtioux

Paris School of Business

Christine Erhel

Cnam, Centre dÉtudes de lEmploi et du Travail

Daniel Vaughan-Whitehead

Bureau International du Travail

Introduction

Les classes moyennes, leur taille et leurs évolutions, constituent un enjeu économique et social important dans lensemble des pays de lOCDE, et une question de recherche pour les sociologues et les économistes depuis le débat américain des années 1980 sur le rétrécissement de la classe moyenne (shrinking middle class). Le débat sur le déclin des classes moyennes a été relancé récemment suite aux effets de la crise de 2008 et des plans dajustements budgétaires sur les revenus des ménages, mais aussi dans le contexte dune accélération des transformations technologiques conduisant à des destructions demplois de qualification intermédiaire. De fait les évolutions observées à léchelon international depuis le milieu des années 1980 apparaissent hétérogènes, avec un recul des classes moyennes en Allemagne, mais aussi 16en Suède (longtemps considérée comme un pays emblématique dune classe moyenne large et affluente), et un maintien voire un accroissement en France. Même dans les pays où leur part dans la population est stable, les classes moyennes apparaissent « sous pression » face au risque de chômage ou de perte de niveau de vie (Vaughan-Whitehead, 2016 ; OCDE, 2019).

Au-delà de lidentification de ces dynamiques nationales différentes, la perspective comparative permet également de faire le lien entre les tendances observées et les institutions de la protection sociale et du marché du travail. De nombreuses institutions peuvent en effet influencer la taille et la situation sociale des classes moyennes, et plus largement de lensemble des groupes sociaux, telles que les relations professionnelles et les modes de détermination des salaires, les politiques de soutien au revenu (des chômeurs, des travailleurs pauvres), les systèmes dimposition, les politiques de soutien à certains types demplois (par exemple par la baisse du coût du travail).

Afin didentifier empiriquement les classes moyennes (et plus largement les classes sociales), la littérature académique se fonde sur différents critères de définition. La profession (et les nomenclatures des professions, notamment pour la France la catégorie socioprofessionnelle) constitue un premier critère : dans cette perspective, les classes moyennes correspondent aux professions intermédiaires, aux artisans et commerçants (Goux et Maurin, 2012). Un second critère très souvent utilisé se réfère au revenu et à sa distribution, les classes moyennes se situant alors entre les pauvres et les classes aisées ou riches (Bigot et al., 2011 ; OCDE, 2019). Cette position peut être abordée de manière absolue (les classes moyennes sont les trois quintiles ou les 60 % du milieu de la distribution des revenus), ou relative, en fixant une borne inférieure et une borne supérieure à partir dun pourcentage du revenu médian (en général défini au niveau du ménage, et dans une perspective de niveau de vie par unité de consommation ; Cf. encadré 1 pour détails). Dans le premier cas, la part des classes moyennes dans la population est fixe par construction, et seule la seconde méthode permet de comparer la taille des classes moyennes entre pays et dans le temps, ce qui la rend plus adaptée à une perspective de comparaison internationale, sintéressant de surcroît aux évolutions de la structure sociale.

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Dans une perspective comparative, les deux types dapproches ont connu dimportants développements. Les approches fondées sur le revenu ont été favorisées par la mise à disposition de données denquête harmonisées sur les revenus des ménages : le Luxembourg Income Study (LIS) depuis le début des années 1980, et pour les pays de lUnion Européenne lenquête EU-SILC depuis 2004 (Pressman, 2007 ; Bigot et al., 2011 ; OCDE, 2019). Plus récemment, le développement du projet de nomenclature ESeC (European Socio-economic Classification) a permis de mieux comparer les évolutions par catégories socio-professionnelles (Penissat et Siblot, 2017 ; Peugny, 2018), et notamment celles des catégories intermédiaires. Outre la profession et les revenus, dautres critères sont également pris en compte dans les travaux de recherche, tels que le sentiment dappartenance à la classe moyenne, les habitudes de vie, les valeurs, etc. Par ailleurs, au-delà de la question des classes moyennes, des travaux récents tendent à remettre en cause les approches traditionnelles des classes sociales le plus souvent fondées sur un seul critère. Amossé et Chardon (2006) soulignent lexistence de nouvelles sources de stratification sociale qui ne coïncident pas nécessairement avec les professions, comme le niveau de qualification. Dans une analyse centrée sur les « classes populaires », Cayouette-Remblière (2015) montre la nécessité dune approche multicritère afin de saisir différentes facettes de la position sociale. Deauvieau et Dumoulin (2010) soulignent lhétérogénéité de la catégorie des professions intermédiaires, pourtant centrale dans la définition des classes moyennes par la catégorie socio-professionnelle, en termes de mobilité sociale comme de rapport au travail et de sentiment dappartenance.

Quelle que soit lapproche retenue, les analyses comparatives soulignent lhétérogénéité des pays en termes de taille des classes moyennes, et la diversité des dynamiques observables. Dans les années 1980 et 1990, les pays où la classe moyenne est la plus importante selon un critère de revenus sont les pays du Nord de lEurope (notamment 50 % et plus des ménages en Suède1), tandis quelle apparaît relativement limitée dans les pays anglo-saxons (environ un tiers de la population aux États-Unis ou au Royaume-Uni). Les pays du continent européen se trouvent dans une situation intermédiaire, avec une classe moyenne dépassant les 40 % de la population en Allemagne, aux Pays-Bas ou 18encore en France (Pressman, 2007). Sur des données européennes de 2009, Bigot et al. (2011) opposent les pays nordiques et corporatistes (Danemark, Norvège, Pays-Bas, France), où la classe moyenne représente environ 60 % de la population2, et les pays du Sud ainsi que le Royaume-Uni, où leur part est inférieure à 50 % (Espagne, Portugal, Grande-Bretagne). La taille des classes moyennes apparaît ainsi liée au régime dÉtat-providence et notamment au niveau des prélèvements obligatoires et des dépenses sociales.

Par ailleurs, certains pays témoignent dune tendance au déclin des classes moyennes : pour Bigot et al. (2011), cette hypothèse est confirmée dans de nombreux pays européens entre la fin des années 1980 et 2009, particulièrement dans les pays de lEst (Slovaquie, République Tchèque, Pologne) et dans quelques pays nordiques ou continentaux (Finlande, Suède, Allemagne, Belgique). Mais il existe également des pays où les classes moyennes sont plus nombreuses en 2009 : Pays-Bas, Danemark, Royaume-Uni, Irlande et France. Les analyses de lOCDE (2019) pour la période 1985-2015 confirment cette hétérogénéité, et en particulier la diminution de la part des classes moyennes en Allemagne, en Finlande, et en Suède, tandis quon observe une expansion en France et en Irlande. Les analyses de Pressman (2007) portent sur une période plus ancienne et sur un échantillon de pays plus réduit mais montrent par ailleurs, sur la base danalyses de contributions, que ces différences entre pays ne sont pas liées à des facteurs démographiques (structure de la population par âge ou par genre), ni même conjoncturels (chômage), mais plutôt aux politiques de redistribution (sociales et fiscales).

Les travaux récents sur la base des catégories socio-professionnelles se sont concentrés sur lhypothèse de polarisation, cest-à-dire de créations demplois en haut de la structure sociale (cadres dirigeants et experts) et en bas (professions peu qualifiées), tandis que les emplois de niveau intermédiaire stagnent ou reculent. Mais là encore les différences entre pays sont importantes, notamment en termes de dynamique des emplois les moins qualifiés, dont la part saccroît entre 1983 et 2013 en France, en Allemagne, en Italie ou en Grèce, tandis quelle stagne ou régresse aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et dans les pays de lEst de lEurope (Peugny, 2018).

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Enfin, cette littérature comparative permet daller au-delà de la question de la taille des classes moyennes et de son évolution. Elle montre également quil ne sagit pas dun groupe social homogène : en France, en Allemagne ou encore en Suède, les classes moyennes définies selon le critère de revenu dépassent celles qui sont définies selon le critère de la profession, ce qui signifie quelles incluent une partie des « classes ouvrières » (Atkinson et Brandolini, 2011). En termes de dynamique, on nobserve pas de paupérisation des classes moyennes (i. e. de baisse de leur niveau de vie moyen), même après la crise de 2008, mais leur part dans les revenus a diminué, signalant un affaiblissement de leur influence économique, tandis que la part des classes supérieures dans les revenus augmentait (OCDE, 2019). De plus, on relève également des changements de profil au cours du temps : dans lensemble, laccès aux classes moyennes est devenu plus facile pour les plus âgés, et plus difficile pour les plus jeunes, pour les familles avec enfants et surtout les parents isolés (OCDE, 2019). Enfin, les analyses de Chauvel (2013) se concentrent sur les inégalités entre cohortes de naissance3, et montrent que celles-ci ont augmenté en France et en Italie, tandis quelles restaient stables dans les pays nordiques. Ainsi, même dans les pays où la proportion de classes moyennes définies à partir des revenus est stable ou en augmentation, leur situation relative a évolué.

Dans cet article, dans la lignée dun projet comparatif coordonné par le Bureau international du travail (BIT) en 2015 sur les liens entre classes moyennes et modèles nationaux de régulation du marché du travail et de protection sociale, nous retenons une définition des classes moyennes4 en termes de revenus, même si nous introduisons également des variables caractérisant la situation des individus en termes de catégorie socio-professionnelle, de type de contrat de travail, de qualification, ou encore de structure familiale. Cette approche par les revenus permet plus directement de prendre en compte les conséquences des transformations des politiques sociales et fiscales, au-delà des évolutions de la structure des professions. De plus, dans le contexte de la crise de 2008, suivie de la crise de la dette de 2010 et de restrictions budgétaires dans la plupart des pays européens, les évolutions des revenus constituent 20un enjeu important. Nous abordons les classes moyennes de manière relative, comme le groupe dont le niveau de vie est compris entre 60 % du revenu médian (cest-à-dire juste au-dessus du groupe des « pauvres », selon le seuil de pauvreté défini à léchelon européen) et 200 % du revenu médian (comme Atkinson et Brandolini, 2011)5.

Nous cherchons à prolonger la littérature existante sur deux points principaux. Premièrement, nous intégrons les dernières données comparatives disponibles en comparaison européenne (enquête EU-SILC, encadré 2) afin de voir si les tendances identifiées dans la littérature se prolongent après 2010, cest-à-dire durant une période qui constitue un tournant vers des politiques économiques et sociales plus restrictives dans les pays européens. La persistance du chômage à un niveau élevé dans de nombreux pays (et particulièrement en France) peut également contribuer à lérosion des classes moyennes sur la période récente. Les résultats obtenus sur la base dune analyse en coupe dEU-SILC sont mis en perspective avec des analyses approfondies (quantitatives et qualitatives) menées pour 13 pays dans le cadre du projet de recherche coordonné par le BIT (et publiées dans louvrage de Vaughan-Whitehead, 2016). Deuxièmement, au-delà de la question de la taille des classes moyennes et de son évolution, nous utilisons également les données dEU-SILC afin didentifier les caractéristiques sociodémographiques des individus appartenant aux classes moyennes, et les caractéristiques de leurs emplois. Cette analyse permet dinterroger lidentité des classes moyennes et leur lien avec le marché du travail, dans une perspective comparative et dynamique (les caractéristiques sont observées en 2005 et en 2014). De manière transversale, nous explorons la question de lhétérogénéité des classes moyennes en distinguant entre classes moyennes « centrales », « plus aisées » et « moins aisées » (encadré 1). La situation des classes moyennes est comparée à celle des ménages pauvres et des ménages aisés.

Larticle présente tout dabord les résultats de lapproche comparative, qui souligne la résilience des classes moyennes en France, alors même quelles déclinent dans certains autres pays européens où elles se situaient historiquement à des niveaux élevés (notamment lAllemagne et la Suède). Puis larticle propose un portrait de ces classes moyennes dans 21six pays, et une analyse descriptive des transformations de la situation sur le marché du travail des individus appartenant aux classes moyennes (en comparaison des autres groupes de revenus) entre 2005 et 2014. Le choix de ces six pays, nous permet dillustrer de manière plus approfondie sur un panel plus restreint, la diversité des types dÉtats-providence et des dynamiques identifiées dans la première section.

1. Définir les classes moyennes à partir des revenus

Dans cet article, en cohérence avec le projet de comparaison internationale coordonné par le BIT – Cf. Vaughan-Whitehead (2016) –, nous privilégions une approche en termes de revenus pour identifier les classes moyennes. Plus précisément, le revenu auquel nous nous intéressons ici est le niveau de vie. Le niveau de vie est calculé au niveau du ménage en appliquant à un revenu disponible (total disposable household income) léchelle déquivalence « OCDE-Insee modifiée » : le premier adulte compte pour une unité de consommation, chaque personne supplémentaire de 14 ans ou plus compte pour 0,5 et chaque personne de moins de 14 ans pour 0,3. Par convention, le niveau de vie dun ménage est affecté à tous les individus qui le composent. À partir dune approche par les revenus, plusieurs modes didentification des classes moyennes sont possibles.

Une première approche consiste à classer les individus qui composent la population en fonction de leurs revenus et à découper la population en parts égales. Cette approche dite par quantiles, permet par exemple de découper la population en cinq quintiles représentant chacun 20 % de la population. On peut alors considérer conventionnellement que le quintile central, cest-à-dire les 20 % dindividus les plus proches du revenu médian constituent les classes moyennes de revenus. Par définition, cette approche considère que la taille de la classe moyenne ne varie pas : elle ne permet donc pas de rendre compte de la problématique du déclin des classes moyennes, ni de comparer leur taille entre les pays. Cest pourquoi elle nest pas retenue ici.

Pour considérer que la taille des classes de revenus peut varier, il faut retenir une définition relative des classes moyennes : en pratique, elle sinspire de lindicateur de pauvreté monétaire. Cet indicateur nécessite didentifier la médiane des revenus, cest-à-dire la valeur qui sépare la population en deux sous-populations de tailles égales. Cet indicateur définit une situation de pauvreté monétaire comme une distance à cette médiane : le seuil de pauvreté est fixé conventionnellement à 60 % de la médiane. Dans ce cadre le taux de pauvreté peut varier au cours du temps : il a tendance à se réduire quand les 50 % dindividus les moins riches voient leurs revenus se concentrer entre le seuil de pauvreté et la médiane, a contrario la pauvreté augmente si la concentration de la population en dessous du seuil de pauvreté augmente.

Le découpage de la population que nous retenons généralise ce principe de positionnement par une distance à la médiane. En dessous de 60 % du revenu médian, 22les ménages sont considérés comme pauvres. À partir de 60 % du revenu médian et jusquà 200 %, ils appartiennent aux classes moyennes de revenus. Au-delà de 200 % du revenu médian, les ménages sont considérés comme faisant partie des classes aisées. Nous nous situons ainsi dans la lignée de travaux existants, et en particulier de lapproche dAtkinson et Brandolini (2011). Dautres travaux retiennent une borne inférieure plus élevée (à 75 % du revenu médian, OCDE, 2019) ou une borne supérieure différente (150 % du revenu médian pour Bigot et al., 2011, ou 250 % du revenu médian pour Chauvel, 2013).

Afin de pouvoir produire des diagnostics plus précis, nous retenons également un découpage du même type au sein des classes moyennes de revenus. Nous différencions alors entre :

– la « classe moyenne plus aisée », dont le niveau de vie est compris entre 120 % et 200 % de la médiane,

– la « classe moyenne centrale », dont le niveau de vie est compris entre 80 % et 120 % de la médiane,

– la « classe moyenne moins aisée », dont le niveau de vie est compris entre 60 % et 80 % de la médiane.

Dans ce cadre, la variation de la taille des différents groupes permet de rendre compte de la concentration de la population à différentes distances relatives du niveau de vie médian. Cette mesure de concentration est indépendante du niveau de vie médian lui-même. La taille dun groupe particulier peut donc augmenter ou diminuer indépendamment du fait que le revenu moyen de ce groupe augmente ou diminue.

2. Les données utilisées

Pour définir les classes moyennes et identifier leurs caractéristiques dans une perspective comparative nous utilisons les données européennes sur les revenus et les conditions de vie (EU-SILC, Eurostat), qui sont disponibles sur la période 2004-2014. Elles nous permettent de caractériser la taille, les revenus relatifs, les caractéristiques sociodémographiques et de situation sur le marché du travail des classes moyennes (et de lensemble des groupes de revenus) en Europe. La période couverte permet didentifier les principales évolutions depuis la crise de 2007-2008. Du fait de données manquantes pour certaines variables de situation sur le marché du travail en 2004, cest lannée 2005 qui est choisie comme point de départ pour lensemble des analyses. Lensemble des années disponibles ont été utilisées de 2005 à 2014 (les résultats complets sont disponibles sur demande auprès des auteurs).

Dans un premier temps (section 2), afin dobserver les évolutions de la taille des classes moyennes et dencadrer la période de la crise, nous présentons dans le texte les résultats pour 2005, 2007, 2011 et 2014. Nous nous concentrons ici sur les principaux pays qui ont fait lobjet danalyses approfondies dans le projet coordonné par le BIT et dans louvrage édité par Vaughan-Whitehead (2016) : Allemagne (DE), Belgique 23(BE), Espagne (ES), Estonie (EE), France (FR), Grèce (GR), Hongrie (HU), Irlande (IE), Italie (IT), Pays-Bas (NL), Portugal (PT), Suède (SE).

Dans la deuxième section, lanalyse descriptive des caractéristiques sociodémographiques et de la situation sur le marché du travail se concentre sur six pays présentant des tendances dévolution différentes des classes moyennes sur la période étudiée : Allemagne, Belgique, Espagne, France, Suède, Royaume-Uni. Pour les caractéristiques sociodémographiques, on analyse le genre, lâge, le niveau déducation et le type de ménage (couple avec ou sans enfant, parent isolé, célibataire). Pour la situation sur le marché du travail, les variables prises en compte sont les suivantes : taux de chômage, taux demploi, catégorie socio-professionnelle suivant la CITP (Classification Internationale Type des Professions), part de lemploi temporaire, part de lemploi indépendant et part de lemploi à temps partiel court –moins de 30 heures par semaine.

On notera que lenquête EU-SILC nest pas exempte de ruptures de séries sur la période étudiée, notamment en 2008 pour la France, du fait de la modification du mode de collecte des revenus opérée à partir de cette date (appariement avec des données administratives – pour une meilleure précision, voir Burricand et al., 2014). Les résultats détaillés par sous-groupes des classes moyennes sont disponibles sur demande auprès des auteurs, de même que les résultats concernant la part des ménages pauvres et des ménages aisés.

I. La dynamique des classes moyennes entre 2005
et 2014 : trois groupes de pays en Europe

I.1. Les hypothèses comparatives : un lien entre part
des classes moyennes et régimes dÉtat-providence
et de régulation du marché du travail

La littérature existante en comparaison internationale a montré que la taille des classes moyennes dans les différents pays était reliée aux politiques de redistribution sociale et fiscale (Pressman, 2007 ; Bigot et al., 2011), et donc aux régimes dÉtat-providence. Larticle introductif de Vaughan-Whitehead et al. (2016) montre également un lien avec les institutions du marché du travail et les politiques de lemploi, qui influencent la participation au marché du travail et les formes demploi (droit du travail et régulation des contrats de travail, place de lemploi public) et la distribution des revenus primaires (salaire minimum et mécanismes de négociation salariale), mais aussi certaines 24prestations sociales liées à lemploi (assurance-chômage). Dautres politiques connexes, comme les politiques familiales (garde denfants) ou les politiques déducation sont également de nature à influencer la participation au marché du travail et la proportion de classes moyennes : plus la proportion dadultes en emploi dans les ménages est élevée, et plus la classe moyenne est grande.

Les pays étudiés ici appartiennent à des modèles dÉtat-providence et de capitalisme différents (Esping-Andersen, 1990 ; Amable, 2005) : régime libéral marqué par une faible redistribution et des prestations sociales universelles mais peu élevées (Royaume-Uni), régime nordique avec des politiques de redistribution très développées pour la Suède (mais aussi un soutien à loffre de travail féminine via des politiques de garde denfants très développées), régime continental avec une politique de redistribution également développée mais un lien plus fort entre prestations sociales et emploi pour lAllemagne, la Belgique, lEspagne, la France, lIrlande, lItalie, les Pays-Bas et enfin les pays du Sud et de lEst où les niveaux de dépenses sociales sont plus faibles (Grèce, Estonie, Hongrie, Portugal). Ils se différencient également par le degré de régulation du marché du travail, très faible au Royaume-Uni et dans les pays de lEst et plus important dans les pays nordiques, continentaux et du Sud, et par ses leviers (rôle important de lÉtat en France ou en Italie, de la négociation entre les partenaires sociaux en Suède, en Allemagne, en Belgique). Loffre de travail des femmes est fortement soutenue par des politiques de garde denfants très importantes en Suède, tandis quelles restent peu développées dans les pays du Sud et de lEst, les pays continentaux se situant dans une position intermédiaire.

Tous ces facteurs contribuent à expliquer une part des classes moyennes très différente selon les pays, conforme à la littérature existante. Dans notre panel de pays européens (Cf. encadré 2), la proportion des classes moyennes dans la population totale sur la période est comprise entre 64 % et 87 %6. Létendue de ces différences apparaît relativement stable : elle était de lordre de 21 points de pourcentage en 2005 et atteint 19 points de pourcentage dix ans plus tard.

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Sur la fig. 1, deux pays se distinguent par une proportion de classes moyennes supérieure à 80 % sur toute la période (les Pays-Bas et la Suède), tandis que la France fait partie des pays ayant une proportion de classes moyennes assez élevée (supérieure à 75 %), aux côtés de lAllemagne, de la Belgique, de la Hongrie et des Pays-Bas. LIrlande, le Royaume-Uni et lItalie ont une classe moyenne de taille intermédiaire (entre 70 et 75 %), tandis quelle apparaît faible en Espagne, en Estonie, en Grèce, et au Portugal (moins de 70 %). Cette hiérarchie entre les pays napparaît pas bouleversée lorsque lon retient une définition restrictive des classes moyennes et que lon se concentre sur les classes moyennes « centrales » (fig. 2), même si la position de certains pays au sein des groupes se modifie (la Belgique et lEspagne se caractérisent ainsi par une classe moyenne « centrale » relativement moins importante au regard de leur position selon la définition la plus large). La part des classes moyennes centrales est de lordre de 35 % en France, et varie entre 22 % et 42 %7 dans notre panel de pays sur la période 2005-2014.

Au-delà des différences entre régimes institutionnels, la période étudiée est marquée par la crise de 2008 et ses conséquences sur lemploi et les finances publiques, mais également par des réformes importantes, touchant la régulation du marché du travail (réformes Hartz en Allemagne, réforme de lassurance-chômage en Suède, plans dajustement dans les pays du Sud depuis les années 2000) ou les politiques sociales (réforme des retraites dans de nombreux pays). Même sil nest pas possible détablir un impact direct, on peut faire lhypothèse que ces réformes et politiques dajustement à la crise ont eu une incidence sur la dynamique des classes moyennes dans les différents pays – et ceci au-delà des typologies des États-providence et des marchés du travail.

Les fig. 1 et fig. 2 confirment lhétérogénéité des dynamiques observables sur la période et distinguent trois groupes de pays. En Belgique, en France, en Italie et aux Pays-Bas, la part des classes moyennes reste relativement stable, et ce quelle que soit la définition retenue (large ou restrictive). Quelques pays connaissent également une croissance de la proportion de classes moyennes entre 2005 et 2014 : lIrlande, le Portugal et le Royaume-Uni. Toutefois, lorsquon se concentre sur les classes moyennes centrales, la croissance est très faible au Royaume-Uni 26et on relève un léger recul dans le cas du Portugal. Enfin, un groupe important de pays connait une érosion des classes moyennes, soit sur lensemble des dix années considérées (Allemagne, Hongrie, Suède), soit depuis la crise de 2007-2008 (Espagne, Estonie, Grèce) et particulièrement depuis 2010. Ces tendances défavorables sont confirmées lorsquon se concentre sur les classes moyennes centrales.

Dans les paragraphes qui suivent, et pour chacun des groupes de pays, on proposera une analyse plus détaillée sur la base des données de lenquête EU-SILC et des analyses menées dans le projet de recherche comparatif coordonné par le BIT (Vaughan-Whitehead, 2016).

Fig. 1 – La part des classes moyennes dans différents pays européens (en %).

Lecture : au Portugal en 2005, 66 % des individus sont dans un ménage dont le niveau de vie est compris entre 0,6 et 2 fois le niveau de vie médian. Les pays sont classés selon la part moyenne sur la période 2005-2014.

Champ : ensemble de la population.

Source : enquêtes EU-SILC 2005, 2007, 2011, 2014 (Eurostat)-Calculs des auteurs.

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Fig. 2 – La part des classes moyennes « centrales » dans différents pays européens (en %).

Lecture : en Espagne en 2005, 26 % des individus sont dans un ménage dont le niveau de vie est compris entre 0,8 et 1,2 fois le niveau de vie médian. Les pays sont classés selon la part moyenne sur la période 2005-2014.

Champ : ensemble de la population.

Source : enquêtes EU-SILC 2005, 2007, 2011, 2014 (Eurostat)-Calculs des auteurs.

I.2. Les classes moyennes stables :
la France, la Belgique, les Pays-Bas et lItalie

Au sein des pays ayant des classes moyennes stables (France, Pays-Bas, Italie, Belgique), il est intéressant de caractériser lévolution des autres groupes de revenus afin de voir dans quel contexte sinscrit cette stabilité. En France, le taux de pauvreté a été relativement contenu. Cependant les classes aisées progressent à partir de 2007 et restent à un niveau un peu plus élevé sur la fin de la période, tandis que la part des classes moyennes aisées diminue légèrement. En Italie entre 2008 et 2010 la part de pauvres dans la population diminue faiblement alors que la part des classes moyennes défavorisées progresse légèrement avant de retrouver des niveaux similaires à ceux observés en 2005. On ne retrouve pas ces tendances pour les classes moyennes de la Belgique et des Pays-Bas, qui se caractérisent par une forte stabilité de leurs marges 28(part de la population pauvre et part de la population aisée rapportée à lensemble de la population).

En Belgique, en France et aux Pays-Bas, le niveau de vie moyen a résisté à la crise et a continué à progresser depuis 2007, tandis que la tendance sest inversée entre 2011 et 2014 en Italie. La structure des sources de revenus a peu évolué dans ces pays, et la part des transferts sociaux y est restée relativement stable, entre 6 % en Italie et 11 % en Belgique pour 2014 (tab. 1). Ce nest donc pas par un accroissement du poids relatif des transferts sociaux que le niveau de vie a continué daugmenter, mais par une augmentation conjointe des revenus du travail et des revenus de transfert.

Plusieurs facteurs permettent dexpliquer cette forte résilience des classes moyennes : ces pays ont en commun davoir des modes de fixation des salaires régulés à la fois par un salaire minimum et par des règles de négociation collective conduisant à des taux de couverture élevés (96 % en Belgique, 98 % en France, et 84 % aux Pays-Bas)8, qui ont contribué à contenir les inégalités salariales (pour une analyse détaillée sur le cas belge, Cf. Kuypers et Marx, 2016). De plus, en France, en Belgique ou aux Pays-Bas, les politiques dindemnisation du chômage sont restées protectrices en termes de conditions daccès, de durée maximale dindemnisation et relativement généreuses en termes de taux de remplacement moyen (Dhont-Peltrault, 2016). Par ailleurs, Salverda (2016) montre également le rôle de loffre de travail des ménages et de laugmentation de la participation des femmes au marché du travail : en termes de revenus du travail, les ménages les plus riches sont aujourdhui plus nombreux aux Pays-Bas, mais le système de taxation neutralise largement cette tendance qui pourrait conduire à un déclin de la classe moyenne. Il en résulte un nombre croissant de ménages recevant des revenus du travail qui les situent parmi les ménages riches, mais qui ont un niveau de vie de classe moyenne après impôts.

I.3. Les classes moyennes en érosion : la Suède, la Hongrie, lAllemagne, lEstonie, la Grèce et lEspagne

Le déclin des classes moyennes prend également des formes différentes dans les pays concernés. Pour certains pays, lérosion des classes 29moyennes seffectue aux deux extrémités de la distribution des revenus. En Hongrie, on relève un maintien de la part des classes moyennes aisées. Cet effet est particulièrement vérifié sur la fin de la période. Lérosion des classes moyennes centrales se traduit principalement par la progression des classes aisées dune part (et donc par une mobilité ascendante), et dautre part, par la progression des classes moyennes moins aisées et des pauvres. LAllemagne se caractérise quant à elle par une progression des pauvres et des ménages aisés à partir de 2007, qui se stabilisent à un niveau plus élevé au cours de la période. Par contre, au sein des classes moyennes deux effets sont à lœuvre conjointement à lérosion de la classe moyenne centrale : une relative résilience des classes moyennes défavorisées et une légère progression des classes moyennes plus aisées.

Pour dautres pays, lérosion des classes moyennes seffectue principalement par le bas de la distribution des revenus. En Suède par exemple, les classes moyennes centrales et les classes moyennes moins aisées diminuent tandis que la part de pauvres augmente. Cependant les classes aisées et les classes moyennes aisées sont caractérisées par une relative stabilité sur la période.

Dautres pays connaissent une érosion par le bas puis une érosion aux deux extrémités de la distribution des revenus sur la fin de la période. En Espagne, en Estonie et en Grèce, ce sont les classes moyennes centrales qui diminuent après la crise (à partir de 2010 ou 2011), ainsi que les classes moyennes plus aisées en Estonie et en Grèce. Ce recul des classes moyennes saccompagne dune hausse des taux de pauvreté. Cependant dans ces pays la part des plus aisés remonte également en toute fin de période.

Selon le tab. 1, le déclin de la taille des classes moyennes ne saccompagne pas dune dégradation générale du niveau de vie moyen des ménages qui en font partie : au contraire, celui-ci progresse nettement en Suède, et de manière moins marquée en Allemagne9. Toutefois, dans les pays touchés par la crise de la dette, le niveau de vie moyen recule entre 2011 et 2014 (Espagne, Grèce).

Outre la crise, plusieurs facteurs de transformation du marché du travail et de réforme des politiques de lemploi expliquent ces tendances au déclin.

30

En Suède, le déclin de la classe moyenne résulte à la fois dune diminution des emplois faiblement qualifiés (tandis que les emplois les plus qualifiés se maintiennent, voire se développent), de la dégradation des conditions daccès au marché du travail pour les jeunes non qualifiés, et des réformes de la protection sociale qui ont suivi des orientations restrictives, avec, en particulier, une baisse de la générosité de lassurance-chômage qui joue fortement dans un contexte de chômage plus élevé suite à la crise (Anxo, 2016). En Allemagne, les inégalités dans la distribution primaire des revenus ont fortement augmenté depuis une vingtaine dannées, du fait dun accroissement des inégalités de durée du travail (avec le développement de temps partiels courts) et de salaires (avec la croissance des emplois à bas salaires jusquà la mise en place du salaire minimum). Les réformes restrictives de lassurance-chômage dans le cadre des lois Hartz ont pu, là encore, contribuer à accentuer les inégalités et la pauvreté, même si la progression de lemploi et son maintien (même pendant la crise) ont au contraire joué un rôle stabilisateur pour les classes moyennes (Bosch et Kalina, 2016).

Dans les pays du Sud tels que lEspagne ou la Grèce10, ou encore en Estonie et en Hongrie, lincidence de la crise semble plus directe, avec des diminutions de la part des classes moyennes qui démarrent entre 2007 et 2014. La contraction des classes moyennes est liée dans ces pays aux effets directs de la crise sur le chômage, lendettement des ménages et la dynamique des salaires dans le secteur privé. Mais elle renvoie également aux conséquences des plans dajustement structurels sur le niveau de lemploi public, les rémunérations (y compris via la suppression des mécanismes dextension des accords collectifs), et la générosité de lÉtat-providence (qui jouait un rôle très important dans le soutien aux classes moyennes, notamment en Espagne (Munoz de Bustillo et Anton, 2016).

I.4. Les classes moyennes plus nombreuses mais appauvries :
les pays anglo-saxons et le Portugal

La croissance des classes moyennes entre 2005 et 2014 prend des formes différentes dans les trois pays. Dans le cas britannique, cette 31progression sexplique principalement par une croissance conjointe des classes moyennes moins aisées et des classes moyennes aisées, tandis que la part de pauvres passe de 19,1 à 16,8 % selon nos calculs. Ainsi la trajectoire britannique combine une diminution de la pauvreté monétaire et une tendance à la polarisation au sein des classes moyennes. Il faut bien conserver à lesprit que cette diminution de la pauvreté monétaire nest que relative, comme le montrent les données sur les niveaux de vie moyens : suite aux politiques daustérité très fortes au Royaume-Uni les pertes de niveau de vie ont été importantes pour les plus pauvres mais elles lont été plus encore autour de la médiane (tab. 1). Cette bonne performance en termes de réduction de la pauvreté monétaire est donc compatible avec la détérioration des salaires et des conditions demploi décrite par Grimshaw et Rafferty (2016). Lévolution des quintiles de niveau de vie11 montre que cette diminution des revenus touche bien lensemble de la distribution. Ce phénomène touche plus particulièrement les classes moyennes en les rapprochant des plus pauvres en termes de niveau de vie : avec la diminution des revenus la distance entre les différentes classes de revenus se réduit.

En Irlande, au contraire, les classes moyennes plus aisées et moins aisées se réduisent, et cest bien la classe moyenne centrale qui saccroit. Ceci sexplique principalement par une baisse de la pauvreté jusquà la crise de 2007. De plus, après 2007, les augmentations substantielles des taux dimposition ont touché principalement les classes aisées (Maître et Nolan, 2016) qui ont vu leur part dans la population diminuer denviron deux points de pourcentage sur la période 2007-2009 avant de retrouver des niveaux proches davant la crise sur la fin de période. On relève également un accroissement de la part des revenus de transfert dans les revenus des classes moyennes entre 2007 et 2011 (tab. 1), qui a probablement joué un rôle damortisseur dans le contexte de récession. Malgré tout, le niveau de revenu moyen des classes moyennes a également diminué depuis 2007 ; lanalyse en termes de quintiles de niveau de vie (tab. 6 en annexe) indique que la baisse des revenus concerne lensemble de la distribution mais est beaucoup moins marquée dans le bas de la distribution.

Au Portugal, jusquen 2010, toutes les catégories composant les classes moyennes ont tendance à saccroître, tandis que le taux de pauvreté et la 32part des ménages aisés diminuent. Ce succès portugais renvoyait alors à lélévation du niveau déducation, à laccroissement du temps de travail des femmes, mais également à une croissance soutenue de lemploi public (Gonzales et al., 2016). La tendance sinverse ensuite, avec une hausse des taux de pauvreté et une baisse de la part des classes moyennes moins aisées puis centrales. En parallèle, le niveau de vie moyen décroît entre 2011 et 201412.

Tab. 1 – Niveau de vie moyen des classes moyennes en Europe en 2005, 2007, 2011 et 2014 (euros 2014) par an et par unité de consommation
et part des transferts dans les revenus (hors pensions et retraites, en %).

Pays/ Années

2005

2007

2011

2014

Niveau de vie

Part des transferts

Niveau de vie

Part des transferts

Niveau de vie

Part des transferts

Niveau de vie

Part des transferts

BE

17 139

12,8

18 938

12,0

22 118

12,0

23 974

10,5

DE

17 303

10,5

18 952

9,9

21 081

9,0

22 088

8,8

EE

n.d.

n.d.

n.d.

n.d.

n.d.

n.d.

8 065

9,9

ES

11 672

5,0

13 223

5,1

16 529

9,9

15 203

10,1

FR

16 895

10,5

17 622

11,3

22 131

9,2

22 907

8,8

GR

10 442

2,9

11 687

3,4

13 646

3,9

8 693

4,2

HU

4 113

14,6

4 884

14,9

5 174

13,0

4 994

10,0

IE

22 583

12,8

25 621

15,1

21 696

24,2

21 704

20,6

IT

16 139

4,9

16 572

4,7

18 021

5,4

17 666

5,7

NL

17 745

9,1

18 710

8,3

22 370

8,4

22 618

7,9

PT

7 829

7,8

8 310

7,5

9 751

7,7

9 148

7,5

SE

17 081

17,3

17 815

15,1

24 287

14,3

29 731

13,1

UK

21 624

10,9

25 132

9,5

17 652

11,8

23 076

9,8

Champ : ensemble de la population.

Source : enquêtes EU-SILC 2005, 2007, 2011, 2014 (Eurostat)-Calculs des auteurs. Pour la France, la variation du niveau de vie moyen observable entre 2007 et 2011 n est pas directement interprétable du fait d une rupture de série en 2008 (Cf. encadré 2). Du fait de problèmes de fiabilité les résultats pour l Estonie ne sont pas intégrés.

33

Ces analyses comparatives soulignent lhétérogénéité des dynamiques à lœuvre dans les pays européens : dans lensemble, on ne peut pas parler dun déclin général des classes moyennes en Europe, même si des tendances défavorables existent dans de nombreux pays après 2007, et malgré leur érosion sur plus longue période dans quelques pays emblématiques tels que la Suède ou lAllemagne. Dans lensemble, la protection sociale, les politiques sociales et fiscales semblent avoir limité limpact des hausses du chômage et la situation relative des pays en termes de part des classes moyennes a peu évolué.

Toutefois, les tendances à la baisse se retrouvent dans différents types de modèles dÉtat-providence et semblent sexpliquer principalement par des réformes structurelles ayant affecté la distribution des revenus directs ou indirects du travail. En parallèle, les pays où la dynamique des salaires a été maintenue, avec une place importante pour la négociation de branche et une assurance-chômage relativement généreuse, se caractérisent par une stabilité des classes moyennes. Même si aucune causalité directe ne peut être établie sur la base de nos données, ceci pose la question des conséquences des réformes du marché du travail sur la structure sociale par groupes de revenus.

Cependant, cette situation ne signifie pas que les caractéristiques des individus appartenant aux classes moyennes de ces pays soient identiques en 2014 par rapport à 2005, que ce soit en termes de caractéristiques socio-économiques, ou de position sur le marché du travail. Ce sont ces évolutions que nous chercherons à éclairer dans la section suivante.

I. Un portrait des classes moyennes
dans six pays européens

Au-delà de la question de la taille et de la dynamique des classes moyennes, on peut sinterroger sur leurs spécificités en regard de lensemble de la population, tant du point de vue de leurs caractéristiques individuelles et familiales que du point de vue de leur situation sur le marché du travail. Ces caractéristiques sont-elles proches entre les pays de lUnion Européenne, ou reflètent-elles les particularités nationales des 34systèmes déducation et de régulation du marché du travail ? Dans cette section, nous proposons un portrait des classes moyennes à lissue dune période caractérisée par des dynamiques de créations ou destructions demploi fortement biaisées en faveur des emplois qualifiés (emplois de cadres et professions intellectuelles, et niveaux déducation tertiaires) et par la poursuite voire laccentuation de la tendance à la flexibilisation de lemploi (emploi temporaire, temps partiel, etc. – Askenazy et al., 2016).

Nous nous concentrons dans cette partie sur six pays européens (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Royaume-Uni, Suède)13, dont nous avons montré dans la section précédente quils connaissaient des dynamiques différentes dévolution des classes moyennes de revenus. Par ailleurs, ils représentent des régimes dÉtat-providence et de régulation du marché du travail distincts (régime nordique, libéral, continental, dEurope du Sud selon la typologie de Amable, 2005). Lanalyse porte tout dabord sur les caractéristiques sociodémographiques des classes moyennes de revenus en comparaison de lensemble de la population, avant de se concentrer sur les caractéristiques de leurs emplois. Pour cette analyse centrée sur lemploi, le champ danalyse est restreint à la population en emploi, afin de faire apparaître plus clairement les spécificités des emplois occupés par les classes moyennes14.

Les résultats présentés portent sur lannée 2014. Ils sont mis en perspective avec lannée 2005 afin dappréhender les évolutions à lœuvre pour les différents groupes de revenus.

II.1. Les caractéristiques sociodémographiques
des classes moyennes

En 2014 comme en 2005, les caractéristiques sociodémographiques des individus appartenant aux classes moyennes de revenus apparaissent très proches de celles de lensemble de la population. Ces classes moyennes sont majoritairement composées dindividus entre 25 et 54 ans, avec une proportion très proche de femmes et dhommes, des diplômes de niveau secondaire, et une prédominance des couples (avec ou sans enfants) (tab. 2). On retrouve ces caractéristiques pour les 35classes moyennes centrales, alors que les femmes, les seniors ainsi que les niveaux de diplômes primaire ou secondaire inférieur sont en général surreprésentés dans les classes moyennes inférieures. Pour lâge on notera que la France constitue un cas particulier, la part des 55 ans et plus étant plus faible dans ce groupe que dans lensemble de la population. À linverse, parmi les classes moyennes supérieures, les hommes et les diplômés du tertiaire apparaissent surreprésentés.

Dans lensemble la structure démographique des classes moyennes reflète très directement celle de lensemble de la population, pour lâge comme pour le niveau déducation et la structure familiale. Pour lâge, les écarts entre pays sont peu importants, même si la part des jeunes (de moins de 25 ans) dans les classes moyennes apparaît légèrement plus élevée en Suède ou au Royaume-Uni. Pour léducation, la France, la Suède et plus encore lAllemagne se distinguent par une part importante des niveaux déducation du secondaire supérieur, légèrement plus élevée pour les classes moyennes (47 % en France, 46 % en Suède et 56 % en Allemagne) que pour lensemble de la population. La part des niveaux déducation tertiaire parmi les classes moyennes apparaît relativement faible en France (25 % contre 35 % en Belgique et en Suède, 36 % au Royaume-Uni), reflétant la structure densemble de la population en termes de niveau déducation.

En comparant 2014 avec 200515 (Cf. tab. 7, tab. 8 et tab. 9), les caractéristiques des individus faisant partie des classes moyennes apparaissent différentes. Les individus sont en général plus âgés, avec un accroissement de la part des 55 ans et plus (particulièrement net en Belgique, en Allemagne et en Espagne), et plus diplômés, avec une augmentation de la part des diplômés du supérieur (plus importante en France, en Suède et en Allemagne que dans les autres pays étudiés ici). La part des couples avec enfants se réduit également entre les deux années, particulièrement en Allemagne et en Espagne. Ces évolutions reflètent des tendances observables dans lensemble de la population.

36

Tab. 2 – Les caractéristiques sociodémographiques des classes moyennes
et celles de lensemble de la population en 2014 (en %).

Pays

Femmes

Classe dâge

Niveau déducation

Type de ménage (*)

0 à 24 ans

25 à 54 ans

55 ans et plus

Primaire

Secondaire (1e cycle)

Secondaire (2e cycle)

Tertiaire

Célibataires

Parents isolés

Couples sans enfant

Couples avec enfant(s)

BE

50,6

27,6

40,8

31,6

10,1

17,7

37,0

35,3

15,1

9,3

22,7

51,8

50,7

28,4

40,6

31,0

12,1

18,2

35,2

34,5

16,2

11,1

21,7

49,5

DE

50,9

24,1

41,0

35,0

2,2

9,8

55,7

32,3

17,0

8,2

29,6

45,1

50,9

23,3

41,4

35,3

2,6

10,8

53,9

32,7

20,7

8,6

29,0

41,5

ES

51,1

21,8

44,4

33,8

27,6

25,9

20,5

26,0

11,7

9,9

18,9

56,7

50,8

24,0

45,2

30,8

25,8

26,5

19,8

28,0

11,2

10,6

17,8

57,1

FR

51,4

28,0

39,0

33,0

14,1

14,4

46,5

25,0

15,4

8,1

23,9

49,3

51,6

28,8

38,1

33,2

14,2

15,0

44,3

26,5

15,8

9,4

23,7

47,3

SE

49,6

29,5

38,9

31,6

6,4

13,3

45,8

34,6

15,6

6,9

28,7

48,6

50,3

30,5

37,9

31,7

7,4

13,9

44,6

34,1

19,6

8,3

27,3

44,7

UK

50,7

29,1

41,1

29,7

2,8

38,0

22,9

36,4

13,6

12,0

25,6

47,5

50,8

29,5

41,2

29,3

3,0

37,7

22,0

37,2

14,7

12,2

25,3

46,6

() les caractéristiques concernant lensemble de la population sont reportées en italique.

(*) la part de « ménages complexes » n est pas reportée ici.

Lecture : en Belgique, 50,6 % des classes moyennes sont des femmes contre 50,7 % dans l ensemble de la population.

Source : enquête EU-SILC 2014 (Eurostat)-Calculs des auteurs.

Champ : ensemble de la population.

37

II.2. Les emplois des classes moyennes
et leur évolution dans un contexte
de flexibilisation du marché du travail

Les caractéristiques des emplois occupés par les individus appartenant aux classes moyennes de revenus sont proches de celles de la population totale, que ce soit en termes de catégories socio-professionnelles, de secteur dactivité ou de type de contrat (tab. 3). En France, la catégorie socio-professionnelle la plus représentée parmi les classes moyennes de revenus correspond aux professions intermédiaires (23 %), suivies des emplois de services directs aux particuliers, commerçants et vendeurs (16 %), et des professions intellectuelles et scientifiques (14 %). Cette structure varie selon les pays, les professions intellectuelles et scientifiques constituant la catégorie la plus importante parmi les classes moyennes au Royaume-Uni, en Belgique et en Suède (respectivement 21 %, 26 % et 30 %), alors que ce sont les emplois de services directs aux particuliers, commerçants et vendeurs dans le cas espagnol (21 %)16.

Le taux de chômage des individus appartenant aux classes moyennes de revenus (tab. 4) est toujours inférieur à celui de lensemble de la population active des 15-64 ans (avec un écart de 3 à 6 points de pourcentage), et symétriquement leurs taux demploi sont plus élevés dans tous les pays (lécart se situe entre 4 et 6 points de pourcentage). La situation des classes moyennes de revenus sur le marché du travail apparaît donc plus favorable que celle de lensemble de la population. Les écarts entre pays pour les classes moyennes reflètent néanmoins la situation globale du marché du travail dans notre ensemble de pays, avec des taux de chômage élevés en Espagne, en Belgique ou en France (respectivement 22 %, 8 % et 8 %), tandis quils sont faibles en Allemagne, Suède ou au Royaume-Uni (respectivement 4 %, 5 % et 3 %).

En termes de caractéristiques des emplois occupés (tab. 4), la part des emplois temporaires est proche de lensemble de la population en emploi (entre 4 % au Royaume-Uni et 25 % en Espagne) ainsi que celle du temps partiel de moins de 30 heures par semaine (entre 11 % en France et 20 % au Royaume-Uni). La part de lemploi indépendant chez les actifs occupés apparaît légèrement plus faible pour les classes 38moyennes que pour lensemble17, et varie entre 4 % en Allemagne et 8 % en Suède. Si les écarts entre pays sont importants pour lensemble des formes atypiques demploi, conduisant à des profils demploi des classes moyennes bien différenciés selon les pays, ceux-ci reflètent la structure des emplois et les spécificités des modèles nationaux de régulation du marché du travail. Ainsi, le régime anglo-saxon recourt faiblement aux emplois temporaires dans un contexte de forte flexibilité du contrat de travail standard, et utilise de manière importante le temps partiel court et lemploi indépendant, tandis que lemploi temporaire est très développé en France, en Espagne ou en Allemagne où il a constitué un levier important de flexibilisation du marché du travail.

39

Tab. 3 – Les catégories socio-professionnelles des classes moyennes
et celles de lensemble de la population en 2014 (en %).

Pays

Directeurs, cadres de direction et gérants

Professions intellectuelles et scientifiques

Professions intermédiaires

Employés de type administratif

Personnel des services directs aux particuliers, commerçants et vendeurs

Agriculteurs et ouvriers qualifiés de lagriculture, de la sylviculture et de la pêche

Métiers qualifiés de lindustrie et de lartisanat

Conducteurs dinstallations et de machines, et ouvriers de lassemblage

Professions élémentaires

BE

6,6

25,7

15,9

14,9

12,0

1,1

8,8

6,0

8,9

7,7

26,0

15,5

14,4

11,7

1,3

8,6

5,7

9,2

DE

4,2

20,5

27,1

13,9

12,5

1,2

10,9

6,7

3,1

5,1

22,2

25,8

13,3

12,2

1,2

9,9

6,7

3,6

ES

2,8

13,5

12,1

13,6

21,2

3,3

12,3

8,3

13,0

3,8

16,8

12,0

12,6

20,0

3,1

11,4

7,2

13,2

FR

7,3

14,4

23,4

10,6

15,6

2,7

9,0

6,9

10,2

9,0

15,4

21,7

9,8

15,1

3,1

9,0

6,4

10,6

SE

5,3

30,3

16,6

6,5

19,2

1,3

9,9

7,5

3,5

5,9

30,2

16,2

6,4

19,3

1,7

9,5

7,2

3,6

UK

8,9

21,2

15,1

10,1

20,0

1,1

8,6

5,8

9,3

10,7

23,4

14,2

9,2

19,0

1,0

8,1

5,4

9,0

() les caractéristiques concernant lensemble de la population sont reportées en italique.

Lecture : en Belgique, 6,6 % des classes moyennes sont directeurs, cadres dirigeants ou gérants contre 7,7 % dans l ensemble de la population.

Source : enquête EU-SILC 2014 (Eurostat)-Calculs des auteurs.

Champ : population en emploi.

40

Tab. 4. Chômage et emploi des classes moyennes
et de lensemble de la population en 2014 (en %).

Pays

Taux demploi*

Taux de chômage**

Part demplois indépendants***

Part demplois temporaires***

Part demplois de moins de 30 heures***

BE

66,3

7,7

8,7

8,5

15,9

61,0

11,2

10,0

9,2

15,9

DE

77,7

3,8

4,5

14,0

18,0

72,9

8,2

6,0

15,0

18,4

ES

59,1

22,2

14,8

23,2

13,1

55,2

27,6

17,0

24,8

13,2

FR

68,2

8,4

7,5

14,4

10,5

64,4

10,9

9,5

15,1

11,5

SE

79,6

5,4

7,8

11,5

7,1

74,5

6,8

9,3

14,0

8,0

UK

75,9

3,3

10,5

3,6

20,2

71,0

5,9

11,9

3,9

20,9

() les caractéristiques concernant lensemble de la population sont reportées en italique.

Lecture : en Belgique, le taux d emploi des classes moyennes est de 66,3 % contre 61 % dans l ensemble de la population.

Source : enquête EU-SILC 2014 (Eurostat)-Calculs des auteurs.

Champ : * population en âge de travailler **population active *** population en emploi.

Toutefois, les contrastes au sein de la classe moyenne entre les différents sous-groupes de revenus (classes moyennes centrales, moins aisées et aisées) apparaissent importants. Ainsi, au fur et à mesure que lon monte dans léchelle des groupes de revenus constituant la classe moyenne, la part des cadres et des professions intermédiaires saccroît, alors que celle des ouvriers et employés se réduit. Ces différences de qualité des emplois occupés se retrouvent au niveau du type de contrat ou de la durée du travail (fig. 3 et fig. 4). En Allemagne, en Belgique, en Espagne, en France et en Suède, la part des emplois temporaires et la part des temps partiels de moins de 30 heures décroissent entre les classes moyennes moins aisées, centrales et plus aisées. Pour lemploi 41indépendant, sil décroît entre les classes moyennes moins aisées et les classes moyennes centrales, lécart entre les classes moyennes aisées et les classes moyennes centrales est faible ou légèrement positif (en France, Suède et Allemagne). Au Royaume-Uni, les parts de lemploi indépendant et de lemploi temporaire sont stables entre les composantes des classes moyennes, tandis que lemploi à temps partiel suit le même profil que dans les autres pays étudiés.

Fig. 3 – Part des emplois temporaires dans lemploi en 2014
pour les différents groupes de classes moyennes (en %).

Source : enquête EU-SILC 2014 (Eurostat)-Calculs des auteurs.

Champ : population en emploi.

42

Fig. 4 – Part des emplois de moins de 30 heures dans lemploi en 2014
pour les différents groupes de classes moyennes (en %)

Source : enquête EU-SILC 2014 (Eurostat)-Calculs des auteurs.

Champ : population en emploi.

Entre 2005 et 2014, la composition des individus appartenant aux classes moyennes de revenus se modifie (pour 2005, Cf. tab. 7, tab. 8 et tab. 9 en annexe), avec des évolutions qui reflètent généralement celle de lensemble de la population. Toutefois, on observe des tendances légèrement plus favorables en termes de taux de chômage et de qualité des emplois. Par exemple, dans les pays où le taux de chômage diminue (Allemagne, Belgique, Suède), il tend à diminuer plus vite pour les classes moyennes, et dans les pays où il augmente (Espagne, Royaume-Uni), laccroissement est plus faible que pour lensemble de la population active. Dans le cas de la France, on observe une très légère diminution du taux de chômage des classes moyennes (-0,7 point de pourcentage) alors que le taux de chômage global augmente de 0,2 points de pourcentage. On retrouve ce type de profil pour lemploi temporaire ou lemploi à temps partiel de moins de 30 heures, qui apparaissent plutôt stables ou en léger recul sur la période. À linverse, les tendances observées 43sont plus défavorables que la moyenne pour les classes moyennes moins aisées et pour les ménages pauvres, qui bénéficient moins de la reprise de lemploi ou subissent davantage la hausse du chômage.

Conclusion

Cet article a proposé une analyse comparative des classes moyennes en Europe sur la base dune définition fondée sur les revenus (entre 60 et 200 % du revenu médian selon une définition large, et entre 80 et 120 % selon une définition plus restrictive). Cette comparaison met en avant plusieurs facteurs dhétérogénéité entre pays, tant du point de vue de la taille de ce groupe social « central », que de ses tendances récentes, ou encore de ses caractéristiques en termes dâge, déducation et plus encore de taux de chômage ou de type demploi occupé.

En termes de taille et de tendances, on distingue un groupe de pays comprenant la France, les Pays-Bas et la Belgique dans lequel les classes moyennes représentent une part importante de la population et sont relativement résilientes. Outre la stabilité de leur part dans la population totale, on relève une progression de leur niveau de vie, fondée sur des revenus principalement tirés du travail. Ces pays ont en commun le maintien de lÉtat-providence à un niveau élevé et du côté marché du travail lexistence de mécanismes de fixation des salaires régulés à un niveau relativement agrégé (niveau national ou branche). Cette situation contraste fortement avec celle dautres pays emblématiques par limportance historique de leurs classes moyennes (notamment la Suède et lAllemagne) qui connaissent une érosion de leur part dans la population ces dernières années, et avec des pays du Sud et de lEst où les classes moyennes se sont réduites suite à la crise de 2008 (Espagne, Grèce, Portugal, Estonie, Hongrie). Les pays-anglo-saxons et le Portugal connaissent un accroissement de la taille des classes moyennes de revenus, mais avec une érosion de leur niveau de vie.

En termes de caractéristiques des classes moyennes, une analyse centrée sur six pays montre que celles-ci diffèrent entre eux, reflétant les particularités de la structure sociale (par exemple en termes de niveau 44déducation, globalement plus élevé en Allemagne, en France ou en Suède), et celles du marché du travail (en termes de niveau du chômage ou de part des emplois atypiques, temporaires, indépendants ou à temps partiel). Entre 2005 et 2014, ces différences se maintiennent, dans un contexte général délévation du niveau déducation et de qualification des emplois. Dans tous les pays, les classes moyennes regroupent ainsi de plus en plus de diplômés du supérieur et de cadres ou professions intellectuelles et scientifiques. Enfin, la décomposition des classes moyennes en sous-groupes montre que le chômage et les formes flexibles demploi concernent davantage les classes moyennes moins aisées, confirmant lidée de classes moyennes sous pression.

45

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47

Annexes

Fig. 5 – La part des classes moyennes « moins aisées »
dans différents pays européens (en %).

Lecture : en Espagne en 2005, 15 % des individus sont dans un ménage dont le niveau de vie est compris entre 0,6 et 0,8 fois le niveau de vie médian. Les pays sont classés selon la part moyenne sur la période 2005-2014,

Champ : ensemble de la population.

Source : enquêtes EU-SILC 2005, 2007, 2011, 2014 (Eurostat)-Calculs des auteurs.

48

Fig. 6 – La part des classes moyennes « plus aisées »
dans différents pays européens (en %).

Lecture : au Portugal en 2005, 22 % des individus sont dans un ménage dont le niveau de vie est compris entre 1,2 et 2 fois le niveau de vie médian. Les pays sont classés selon la part moyenne sur la période 2005-2014,

Champ : ensemble de la population.

Source : enquêtes EU-SILC 2005, 2007, 2011, 2014 (Eurostat)-Calculs des auteurs.

49

Tab. 6 – Distribution des niveaux vie en Europe en 2005, 2007, 2011 et 2014
(euros 2014) par an et par unité de consommation.

Années/
Pays

2005

2007

2011

2014

P20

P50

P80

P20

P50

P80

P20

P50

P80

P20

P50

P80

BE

10 520

16 053

23 103

11 530

17 492

24 861

13 074

19 843

28 079

13 976

21 493

30 919

DE

11 334

16 199

22 637

11 670

17 593

26 067

12 347

18 835

28 193

12 773

19 673

29 922

ES

6 055

10 206

16 524

7 158

11 890

18 611

8 233

13 894

22 684

7 380

13 230

22 070

FR

10 639

15 741

23 024

11 269

16 365

23 617

13 639

19 920

29 687

14 213

21 100

30 685

GR

5 642

9 288

15 135

6 000

9 993

16 453

6 237

10 678

16 706

4 348

7 629

12 143

IE

11 284

18 700

28 310

13 789

21 858

34 600

13 097

19 705

30 834

13 059

19 588

30 640

IT

8 774

14 300

21 867

9 005

14 961

23 168

9 617

15 918

24 164

9 540

15 678

23 995

NL

11 990

16 872

24 019

12 807

18 103

25 894

14 521

20 186

28 947

14 714

20 747

29 587

PT

4 340

7 165

11 988

4 702

7 532

13 229

5 272

8 378

13 554

4 951

8 186

13 234

SE

12 628

17 193

23 754

13 127

18 449

25 276

15 173

22 401

30 753

17 977

26 908

37 480

UK

11 296

18 568

29 778

12 753

20 874

32 664

11 123

17 123

27 539

13 087

20 600

32 480

Champ : ensemble de la population.

Lecture : P20 : 20 e percentile, P50 : médiane, P80 : 80 e percentile.

Source : enquêtes EU-SILC 2005, 2007, 2011, 2014 (Eurostat)-Calculs des auteurs. Pour la France, la variation du niveau de vie moyen observable entre 2007 et 2011 n est pas directement interprétable du fait d une rupture de série en 2008 (Cf. encadré 2). Du fait de problèmes de fiabilité les résultats pour l Estonie ne sont pas intégrés.

50

Tab. 7 – Les caractéristiques sociodémographiques des classes moyennes
et celles de lensemble de la population en 2005** (en %).

Pays

Femmes

Classe dâge

Niveau déducation

Type de ménage (*)

0 à 24 ans

25 à 54 ans

55 ans et plus

primaire

secondaire (1e cycle)

secondaire (2e cycle)

tertiaire

personnes seules

parents isolés

couples sans enfant

couples avec enfant(s)

BE

Classes moyennes

50,5

28,7

44,1

27,2

14,5

17,4

36,5

31,6

15,1

8,9

23,5

51,7

Ensemble

50,8

29,5

42,7

27,8

16,1

17,5

35,5

30,9

16,4

9,8

22,9

49,9

DE**

Classes moyennes

50,7

25,5

42,8

31,7

1,5

12,9

50,9

34,7

9,7

9,4

20,9

57,8

Ensemble

50,9

25,0

42,7

32,3

1,7

13,4

49,8

35,1

10,2

10,8

19,8

57,2

ES

Classes moyennes

50,4

25,6

46,7

27,7

34,4

22,1

23,2

20,3

6,9

8,0

15,2

67,9

Ensemble

50,7

25,4

46,5

28,2

34,4

20,9

21,7

22,9

7,5

8,4

16,4

65,7

FR

Classes moyennes

51,3

29,8

42,2

28,1

24,2

16,7

41,2

18,0

14,0

7,4

24,1

53,9

Ensemble

51,4

29,8

40,9

29,3

24,8

16,4

39,4

19,4

15,2

7,8

24,3

52,1

SE

Classes moyennes

50,9

30,3

39,5

30,1

11,2

13,3

51,1

24,4

18,7

9,3

25,4

46,6

Ensemble

51,1

31,1

38,7

30,2

11,2

13,5

49,7

25,5

20,5

9,8

25,4

44,1

UK

Classes moyennes

51,7

30,2

41,8

28,0

0,0

26,0

46,5

27,4

14,6

11,4

24,0

48,8

Ensemble

51,4

30,5

41,4

28,1

0,0

27,3

44,3

28,5

16,1

12,0

24,5

46,3

(*) la part de « ménages complexes » n est pas reportée ici.

(**) En raison de ruptures de série, les statistiques se réfèrent à l année 2007 pour l Allemagne.

Lecture : en Belgique, 50,5 % des classes moyennes sont des femmes contre 50,8 % dans l ensemble de la population.

Champ : ensemble de la population.

Source : enquête EU-SILC 2005, 2007 (Eurostat)-Calculs des auteurs.

51

Tab. 8 – Les catégories socio-professionnelles des classes moyennes
et celles de lensemble de la population en 2005* (en %).

Pays

Directeurs, cadres de direction et gérants

Professions intellectuelles et scientifiques

Professions intermédiaires

Employés de type administratif

Personnel des services directs aux particuliers, commerçants et vendeurs

Agriculteurs et ouvriers qualifiés de lagriculture, de la sylviculture et de la pêche

Métiers qualifiés de lindustrie et de lartisanat

Conducteurs dinstallations et de machines, et ouvriers de lassemblage

Professions élémentaires

BE

Classes moyennes

7,7

17,0

14,9

21,2

9,6

1,0

12,2

6,7

9,7

Ensemble

9,3

17,4

14,1

20,5

9,7

1,2

12,0

6,2

9,6

DE*

Classes moyennes

3,4

8,3

23,3

8,6

13,0

2,1

22,7

12,2

6,2

Ensemble

4,3

9,7

23,6

8,2

12,7

2,0

21,5

11,3

6,2

ES

Classes moyennes

4,3

8,3

9,8

12,2

16,6

2,9

19,2

8,6

17,4

Ensemble

5,5

12,1

10,4

11,7

15,4

3,3

17,1

7,8

16,2

FR

Classes moyennes

6,3

10,1

19,0

13,4

13,0

3,4

12,2

10,9

10,2

Ensemble

7,8

12,0

18,2

12,3

12,3

4,3

11,7

10,1

10,1

SE

Classes moyennes

2,9

19,7

20,8

9,2

19,1

1,4

11,6

11,5

3,6

Ensemble

4,0

20,9

20,5

9,0

18,5

1,4

11,1

10,9

3,5

UK

Classes moyennes

12,1

11,3

13,1

15,6

16,8

1,0

10,2

8,2

11,9

Ensemble

14,7

13,9

13,2

14,1

15,6

1,0

9,3

7,2

10,9

(*) En raison de ruptures de série, les statistiques se réfèrent à l année 2007 pour l Allemagne.

Lecture : en Belgique, 7,7 % des classes moyennes sont directeurs, cadres dirigeants ou gérants contre 9,3 % dans l ensemble de la population.

Champ : population en emploi. Source : enquête EU-SILC 2005, 2007 (Eurostat)-Calculs des auteurs.

52

Tab. 9 – Chômage et emploi des classes moyennes
et de lensemble de la population en 2005⸸⸸ (en %).

Pays

Taux demploi*

Taux de chômage**

Part demplois indépendants***

Part demplois temporaires***

Part demplois de moins de 30 heures***

BE

Classes moyennes

63,6

11,2

9,6

9,9

15,7

Ensemble

60,2

13,9

11,9

10,0

15,7

DE*

Classes moyennes

65,7

7,7

13,9

12,6

2,1

Ensemble

63,7

11,2

15,5

13,6

2,0

ES

Classes moyennes

63,7

10,7

13,2

30,9

8,9

Ensemble

62,5

11,7

15,8

29,9

8,9

FR

Classes moyennes

66,5

9,1

6,7

13,7

11,5

Ensemble

63,6

10,8

8,3

14,4

12,0

SE

Classes moyennes

73,7

6,1

8,2

14,4

8,0

Ensemble

71,6

6,8

9,5

15,2

8,2

UK

Classes moyennes

76,7

2,0

10,0

5,2

20,4

Ensemble

72,1

3,6

11,9

5,5

20,3

( ) Les caractéristiques concernant l ensemble de la population sont reportées en italique.

( ⸸⸸ ) En raison de ruptures de série, les statistiques se réfèrent à l année 2007 pour l Allemagne.

Lecture : en Belgique, le taux d emploi des classes moyennes est de 63,6 % contre 60,2 % dans l ensemble de la population.

Source : enquête EU-SILC 2005, 2007 (Eurostat)-Calculs des auteurs.

Champ : * population en âge de travailler **population active *** population en emploi.

1 Selon une approche fondée sur des bornes à 75 % et 125 % du revenu médian.

2 Selon une approche fondée sur des bornes à 70 % et 150 % du revenu médian.

3 Mesurées par la probabilité daccès à la classe moyenne supérieure.

4 Dans la suite de larticle, sauf mention contraire, le terme « classe moyenne de revenu » ou « classe moyenne » renvoie à la définition que nous retenons ici (Cf. encadré 1).

5 La borne supérieure est également identique à celle que retient lOCDE (OCDE, 2019), tandis que la borne inférieure est différente (75 % dans létude de lOCDE).

6 Ces proportions correspondent respectivement à lEstonie en 2014 et à la Suède en 2005 (fig. 1).

7 Respectivement pour lEstonie en 2014 et la Suède en 2005.

8 Chiffres 2013. Source : ILO stats, extraites le 21 septembre 2017.

9 On notera que la progression des niveaux de vie concerne lensemble de la distribution (tab. 6 en annexe).

10 Et dans une moindre mesure le Portugal, où la part des classes moyennes baisse en toute fin de période.

11 Cf. tab. 6 en annexe.

12 On notera que là encore le tab. 6 indique que cette baisse du niveau de vie concerne lensemble de la distribution (cf. annexe).

13 Les analyses ont néanmoins été conduites pour lensemble des 13 pays traités dans la section précédente. Les résultats sont disponibles sur demande auprès des auteurs.

14 Lanalyse des taux de chômage nécessite par ailleurs de retenir un troisième champ, celui de la population active (tab. 4).

15 Les tableaux pour lannée 2005 sont reproduits en annexe.

16 Cette catégorie est également importante au Royaume-Uni (20 % des classes moyennes).

17 Lécart est néanmoins très faible, entre 1 et 2 points de pourcentage.