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Classiques Garnier

La transmission du savoir-faire de prudence sous tension Regard critique sur la professionnalisation dans les industries chimiques

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Socio-économie du travail
    2019 – 1, n° 5
    . Que font les organisations aux parcours professionnels ?
  • Auteur : Sechaud (Fred)
  • Résumé : L’article explore le processus qui concourt à élaborer un savoir-faire de prudence ayant pour objet la santé et la sécurité. À partir d’entretiens avec des ouvriers et des techniciens de deux ateliers de fabrication chimique, l’auteur analyse comment se transmettent les règles de métier et les compétences intégrant ce savoir-faire. Cette transmission est facilitée ou empêchée par des facteurs organisationnels. Il conclut en montrant la dimension conflictuelle du processus de professionnalisation.
  • Pages : 67 à 97
  • Revue : Socio-économie du travail
  • Thème CLIL : 3319 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités -- Travail, emploi et politiques sociales
  • EAN : 9782406095972
  • ISBN : 978-2-406-09597-2
  • ISSN : 2555-039X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09597-2.p.0067
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/10/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Industries chimiques, professionnalisation, savoir-faire de prudence, transmission professionnelle
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La transmission du savoir-faire
de prudence sous tension

Regard critique sur la professionnalisation
dans les industries chimiques

Fred Séchaud

Centre détudes et de recherches
sur les qualifications (Céreq)

Introduction

Le savoir-faire de prudence caractérise les professionnalités ouvrières et techniciennes de la fabrication, notamment en chimie, mais sa transmission rencontre des obstacles organisationnels et elle est lobjet de conflits au travail. Des remarques lexicologiques de Bourdoncle et Mathey-Pierre (1995) sur cette notion de professionnalité, son flou relatif et ses ambiguïtés, je retiens lidée que la professionnalité est reliée au métier et quelle permet de subsumer les compétences, ou « savoirs en acte, réels et réalisés [des travailleurs] sans interférence avec une grille de classification et un salaire, et parce que liée au local, au moment, à la situation, elle peut être dénoncée » (Trépos, 1992, p. 71). Processus par lequel se construit et se reconnait la professionnalité, la professionnalisation est entendue comme la « fabrication par la formation, lorganisation et lexpérience dun membre sintégrant à un collectif de travail et devenant reconnu par tous ses partenaires. » (Dubar, Tripier, Boussard, 2011, p. 317). Daprès des observations récentes auprès de métiers exposés aux risques dans ces industries (Séchaud et al., 2017a,b), la professionnalisation dans les emplois de la production permet délaborer un savoir-faire de prudence 68qui a pour objet la santé et la sécurité (Cru, 2015). Certaines questions intéressent alors autant la sociologie du travail que la sociologie de la sécurité (Dupré, 2014) : dans quelles conditions ce savoir-faire est-il transmis ? Des conditions sont-elles plus propices que dautres à cette transmission et à sa reconnaissance comme professionnalité ? Comment alors appréhender la professionnalisation au prisme de la transmission du savoir-faire de prudence, dont la reconnaissance par les travailleurs et leur hiérarchie devrait constituer un enjeu fondamental de prévention des risques ? Répondre à ces questions conduira à analyser des configurations de la professionnalisation au travail dans les ateliers de deux usines chimiques. Il sagira dobserver que cette reconnaissance se rapporte non seulement à la préservation dune fonction de vigilance, dont le développement a caractérisé les professionnalités ouvrières et techniciennes depuis lessor de lautomatisation (Mouy, 1988), mais aussi quelle concourt à la professionnalisation1.

Après avoir situé ces questions dans la problématique de lévolution des professionnalités tenant compte de lexistence dun savoir-faire de prudence et de sa transmission (1) puis présenté ces usines (2), je montrerai, à partir du récit quen font les différents protagonistes au sein de deux ateliers de fabrication, comment les activités par lesquelles se transmettent les règles de métier et les compétences professionnelles intégrant ce savoir-faire de prudence se trouvent facilitées ou empêchées par des facteurs organisationnels (3). Les réponses à nos questions, pourront alors être établies et discutées dans les limites de leur contextualisation empirique (4).

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I. Professionnalisation et transmission
dun savoir de prévention

I.1. Professionnalités, professionnalisation
et transmission : de quoi parle-t-on ?

Comme y incite la sociologie des professions en se saisissant du terme de professionnalisation (Dubar et al., 2011 ; Demazière, 2009), cet article contribue à montrer que les espaces de travail forment larène dun processus dialogique et intensément interactif au sujet de ce que doit être le travail, de la manière de le réaliser ou encore dapprendre les ficelles du métier, entre les acteurs en présence. On tient pour acquis que la professionnalisation, dans lacquisition dune autonomie professionnelle, cest-à-dire dans lélaboration de règles définissant son travail et dont Demazière souligne que lassise est collective, nest en rien linéaire et instituée. Elle se construit en tension par rapport aux contraintes productives, car les salariés doivent surmonter un « enchevêtrement de temporalités hétérogènes » et de « normativités contradictoires » (Demazière et al. 2012) pour inventer et stabiliser les règles de métier. Dubar (2003, p. 243) a précisé que lon pouvait entendre par « temporalités hétérogènes » à la fois des « points de vue sur le temps » et des « formes et manifestations de la diachronie ». Cette perspective sappuie sur des descriptions qui se fondent sur une acception culturelle et identitaire de la professionnalisation qui « sapplique alors à lactivité de travail, à ses conditions de déroulement et à sa réalisation » et pour laquelle « progresser dans son travail, cest se professionnaliser » (Demazière, 2009, p. 88). Elle permet donc aussi au plan empirique didentifier les trames temporelles et les trames normées des processus de professionnalisation à léchelle dun espace productif donné.

Ce cadre théorique appréhende les professionnalités en situant, dune part, la socialisation des travailleurs dans le cadre social de leur métier et dautre part, les processus dacquisition et de reconnaissance des compétences professionnelles dans cet espace productif. La notion de professionnalité a de longue date été en usage dans les études sur les métiers des industries chimiques et le sujet de la professionnalisation a aussi été nourri par de nombreuses études relatives à la formation 70et à la gestion de main dœuvre dans les industries chimiques. Pour résumer, cette problématique interrogeait différents aspects des relations formation – emploi dans le contexte de la recomposition, voire de léclatement, de lappareil productif dont le nombre détablissements sest constamment réduit au cours des trente dernières années (FNIC, 2013 ; OPIC, 2012). La tendance aux réductions deffectifs, notamment en fabrication, est allée de pair avec un raccourcissement des lignes hiérarchiques qui a limité, dès lors, sensiblement les possibilités de carrière. Dans ce contexte, les instruments de gestion de lemploi, notamment les systèmes de classification, se sont avérés de plus en plus déphasés. Des critères de recrutement qui privilégient lembauche de jeunes diplômés en formation initiale pour chaque niveau demploi nont fait quaccentuer le grippage des systèmes de promotion et de carrière. De nouvelles formes de mobilité, qui prendraient en compte le degré dexpertise technique et professionnelle acquis par les salariés dans le cadre de leur expérience, seraient donc à inventer (Campinos-Dubernet, Marquette, 1993). Mais avec la disjonction des espaces de qualification et de certification, les modalités internes dacquisition de qualification apparaissent de plus en plus inopérantes. Dans ce cadre, la formation professionnelle continue a joué un rôle de « sélection positive » dans les carrières au détriment de lancienneté car elle valorise à la fois le diplôme des jeunes, lexpérience professionnelle et les compétences repérées indépendamment delle (Perisse, 1998). Avec lanalyse compréhensive du cas dune usine de la chimie à hauts risques, Merle (2012) a démontré les limites des approches « décontextualisées » des compétences en exposant trois changements qui traduisent lusage dune conception des compétences émergentes et contingentes (Eymard-Duvernay et Marchal, 2000). Primo, les « pairs » des futurs embauchés deviennent les recruteurs ; secundo, des critères de recrutement « maison » (tri des CV et tests réalisés par un chef de quart) remplacent les critères « génériques » (diplômes et tests psychotechniques) appliqués par les services Ressources Humaines ; tertio, lévaluation des candidats repose sur une logique de formation et non de sélection, en modifiant le temps de formation ou le champ de compétences évaluées. Merle constate que ces changements, in fine, ont permis de réduire un taux élevé de turn-over. Les enseignements extraits de cette étude de cas par Merle (op. cit.) nourrissent lidée dune construction située des professionnalités. Bien que leur objectif ne soit pas là, ils montrent aussi 71limportance de la transmission en situation de travail qui participe à la professionnalisation et à lintégration des « nouveaux » embauchés.

Le sociologue qui veut interroger plus précisément la professionnalisation en actes bénéficie des apports essentiels de lergonome Jeanne Thébault (2013, 2018) sur la transmission professionnelle, à partir de ses travaux en milieu hospitalier. Cette « circulation souple des savoirs professionnels » se structure, selon elle, autour de trois composantes principales : dabord, la conciliation entre production et transmission, par des modalités adéquates de régulation individuelle et collective ; ensuite, la co-construction de relations au sein de binômes ; et enfin, lélaboration/énonciation des contenus par la combinaison de différents savoirs. Pour comprendre comment se construisent les professionnalités, il convient dautant plus dinterroger ou dobserver la transmission professionnelle que celle-ci « peut devenir lun des (derniers ?) lieux délaboration collective des pratiques professionnelles en situation de travail, soit faire lobjet de conflits quand les transformations du travail ne sont pas accompagnées » (Thébault, 2016, p. 4).

I.2. De la fonction de vigilance au savoir-faire de prudence

Gagnées par la mutation des systèmes productifs, les industries chimiques se sont engagées comme dautres dans le modèle de la « fluidité industrielle » depuis les années 1960 (Vatin, 1987). En découlent, lautomatisation massive des process porteuse dexigences fortes pour les fabricants2 mais aussi lémergence, puis la prévalence, de la relation technique des travailleurs aux moyens de production qui tendent à bousculer les fondements des professionnalités (Peyrard, 1992). Ces transformations font du salarié de la chimie non plus « lagent direct de la production mais son catalyseur » (Vatin, 1987, cité par Mouy, 1988, p. 208) du fait de son rôle danalyse et de diagnostic. Lautomatisation requalifie la fonction de vigilance née du rapport direct de lopérateur à la fabrication qui pour Mouy (1988) recouvre le fait que chacun apprend à devenir « surveillant du système productif », en recevant « la responsabilité de la gestion de laléatoire et de limprévu ». Ainsi, les travailleurs élaborent ensemble et transmettent un savoir-faire « irréductible à une 72connaissance didactique » lui permettant dintervenir dans la « zone dimprévu machinique » pour reprendre les termes de Vatin (1987). La généralisation du travail de contrôle-surveillance dans les industries de flux qui seraient marquées, selon Rot et Vatin, par laccroissement dune « distanciation entre lhomme et la matière » (2017, p. 106), le développement de linformatisation des appareils de conduite et la diffusion du modèle de production « au plus juste » inspirée de Ohno (1988) et du modèle de lean production, ne paraissent pas devoir retirer à la « fonction de vigilance » son caractère intrinsèque aux professionnalités en chimie. La reconnaissance dans les organisations de la figure du technicien datelier, qui apparaît lors de cette période en complémentarité de celle du conducteur dappareil, illustre ce mouvement de recomposition de la qualification ouvrière (Besucco, 1995 ; Campinos-Dubernet, 1995a, b). Le thème des professionnalités, que développent les travaux sur les relations formation-emploi, sextrait du champ industriel, notamment de la chimie, pour se porter surtout vers les métiers du tertiaire (éducation, formation, santé). À partir des années 1990, les recherches en sociologie du travail et en sociologie des organisations apportent une multiplicité de regards sur le travail comme activité technique et comme objet de rapports complexes entre individus, collectifs et systèmes socio-techniques, avec une focale récente sur la chimie – du moins en France, et sur les problématiques de la sécurité et des risques industriels (Dupré M. et Le Coze J.-C., 2014).

Mais cest un courant novateur de la psychologie du travail, la psychodynamique du travail, qui découvre quun ressort essentiel de toute activité de travail réside dans une « intelligence de la pratique ». Elle donne aussi à voir comment celle-ci a été pensée notamment dans les industries chimiques en observant que, « sous leffet de la peur, les ouvriers inventaient des ficelles, grâce auxquelles ils prévenaient certains incidents et optimisaient le fonctionnement du process » (Dejours, 1993, p. 75). Le caractère local et situé de ces « ficelles » de métier en fait des éléments dune professionnalité orientée sur la prévention et la sûreté des installations. Appuyé sur un double étayage théorique en ergonomie et en psychodynamique du travail, Damien Cru a aussi montré que les ouvriers du bâtiment élaborent et transmettent des procédures par lesquelles ils préviennent certains accidents du travail : ce sont les « savoir-faire de prudence » (Cru, 1983). A fortiori comme dans 73toute autre activité professionnelle, soit « ils ont une visée de sécurité et (…) concourent à la production », soit « ils peuvent avoir pour visée première la production tout en concourant à la santé et à la sécurité » (Cru, 2015, p. 424).

Lexistence de systèmes à risques en chimie amène donc à penser des professionnalités qui intègrent ces savoir-faire de prudence. Prendre en compte deux facteurs organisationnels semble alors déterminant pour circonscrire comment ce savoir-faire sexerce et se transmet. Résumons linfluence de ces facteurs en commençant par lautomatisation. Évoquant Dodier (1995), Colmellere (2017) souligne quen automatisant, « les ingénieurs ont imposé aux travailleurs des formes hybrides dorganisation du travail, articulant planification et flexibilité, pour adapter les modes de production aux exigences du marché. Les tensions entre contrôle et autonomie, prescription et improvisation se sont accrues pendant que les clivages hiérarchiques et professionnels se sont maintenus » (p. 213). Le second facteur se rapporte au modèle de lorganisation aplatie et tendue ou lean. Les méthodes issues de ce modèle visent des gains de productivité par une optimisation de lorganisation qui passe par « la détection des actes improductifs et lamélioration continue autant tournée vers la montée en qualité que vers les objectifs de productivité » (Ughetto, 2014, p. 4). Les diverses possibilités dinterprétation de cette conception néo-taylorienne de lorganisation des entreprises peuvent conduire à des résultats contrastés en termes denrichissement des tâches et dautonomie. Alors que le risque dintensification du travail par la traque des temps apparemment improductifs et la poursuite dun rendement optimal est dénoncé par les syndicalistes et les ergonomes comme un facteur de dégradation rapide de la santé des travailleurs, des « projets de performance » ou en « excellence organisationnelle » prétendent apporter des possibilités de développement de la polyvalence et de lautonomie.

I.3. Cultures de sécurité et prévention des risques

À linstar des normes issues de léconomie de la qualité, il existe des « normes de comportement », comme des démarches volontaires dindustriels en matière de maîtrise des risques industriels, élaborées à partir de larsenal règlementaire (Sanseverino-Godfrin, 2014, p. 118). Celles-ci alimentent le système de prescriptions sur le travail de fabrication. Les interactions entre ces normes et des « hommes au travail avec 74leurs hiérarchies, leurs solidarités, leurs oppositions » fabriquent une « sécurité en acte » dans latelier (Dupré, 2014, p. 127) et contribuent à la professionnalisation. Elles en constituent même une composante centrale, à travers le concept de « culture de sécurité » qui émerge depuis les années 1990 pour rendre compte de limportance des pratiques quotidiennes visant à maîtriser et prévenir les principaux risques du métier (Boissières, Heldt, 2015). Mais le respect des consignes nest quun aspect dune « culture managériale de sécurité », mettant en exergue les procédures et les injonctions à respecter les consignes. Il coexiste avec une « culture de métier de sécurité » appuyée « sur les collectifs dopérateurs, [sur] les métiers qui établissent leurs propres règles de sécurité, car ce sont eux qui savent » (Simard, 2010, cité par Boissières et Heldt, op. cit., p. 193).

En expliquant que la conciliation des exigences defficience économique et de sécurité dans les systèmes à risques nest pas totalement prédictible, Merle (2014) montre quune pluralité de visions dacteurs est possible au sujet de la transgression des règles ou bien des fonctionnements des routines au sein dune même entreprise. Elle sappuie notamment sur la situation dun atelier où les employés « sautorisent ainsi quelques écarts par rapport aux règles de conduite officiellement prescrites pour mieux répondre aux contraintes de production, parce quils savent que les automatismes de sécurité se déclencheront en cas de besoin » (p. 142). Admettant aussi que « les opérateurs corrigent, par lélaboration de règles pertinentes, les limites des prescriptions » (Dubey, 2001), un sociologue sattend à observer les multiples signes des aménagements de la prescription que les salariés élaborent dans la réalisation de leur travail. Or, ces aménagements savèrent conflictuels ou peuvent ne pas être reconnus comme un facteur defficacité, alors même que sont critiquées les inattentions ou les erreurs des fabricants par la hiérarchie3.

Ces perspectives sociologiques sur la sécurité convergent avec des lignes de réflexion sur le savoir en acte et en situation4 et concordent avec lambition de comprendre dun point de vue sociologique ce que devient la figure du travailleur dans un contexte de « démultiplication des sources de prescription et de normalisation » au travail (Martinache, Monchatre, 2017, 75p. 216). En esquissant ici une relation dinterdisciplinarité avec une sociologie de lactivité, cest-à-dire du travail « en train de saccomplir » (Ughetto, 2018, p. 12), cette problématique conduit à considérer la transmission dun savoir-faire de prudence comme un enjeu nodal de la professionnalisation.

I. Terrain et matériau de lanalyse : 
deux usines de chimie

La démonstration sappuie sur une analyse transversale de deux usines de chimie de spécialités et parachimie5 (voir encadré 1), en prenant pour points de comparaison des situations spécifiques et des réponses locales aux problématiques communes de la fabrication des professionnalités dans un mode de production donné. Ces situations et réponses locales tiennent une fonction « danalyseur » des processus de professionnalisation et de la manière dont ils sont plus ou moins facilités par des actions organisationnelles.

1. Sources et méthodologie

Les sources de cet article sont extraites dun matériau rassemblé au cours dune étude mixte (questionnaires passés auprès dentreprises et enquêtes de terrain) réalisée par le Céreq en 2015 et 2016 à la demande de lObservatoire prospectif des industries chimiques. Une enquête auprès de treize établissements industriels appartenant à onze entreprises a permis de réaliser des entretiens semi-directifs auprès de salariés, de leur encadrement direct, de cadres et responsables du site et de représentants du personnel dans les locaux des établissements. Cette étude (monographies et analyse transversale) a notamment été publiée dans la collection Études Céreq (Séchaud et al. 2017 a, b, c).

Des types de production semblables6, impliquant une proximité des opérations en fabrication (succession des « opérations unitaires » telles que distillation, cristallisation, essorage, séchage, etc.) et des équipements (réacteurs, colonnes de distillation, tuyauterie), ainsi que la convergence des profils socioprofessionnels des salariés autour 76des figures de louvrier bachelier et du technicien datelier, permettent de réunir deux cas dans lanalyse7. Leur sélection au sein dun corpus plus vaste est justifiée par leur complémentarité : le premier cas sert à analyser les contraintes de la transmission et le second approfondit lanalyse de sa dégradation ainsi que les actes par lesquels les salariés y résistent.

Le matériau des monographies retenues pour cette analyse est composé de quinze entretiens dune durée de 40mn à 1h20 réalisés dans deux usines de chimie de spécialités et de formulation en 2016. Ces entretiens ont été réalisés principalement avec des salariés en fabrication au sujet de leurs pratiques professionnelles et de lintégration des nouveaux opérateurs, mais aussi avec des représentants du management et des directions sur le cadre de prescription et dorganisation du travail de fabrication.

Entretiens Usine A : responsable des ressources humaines (cadre), formateur (ancien fabricant), une opératrice et quatre opérateurs de fabrication, deux techniciens. Ces entretiens ont été complétés par une observation du travail dans un atelier de fabrication, pendant la durée dun quart de nuit (7h30), permettant notamment de suivre et dinterroger les fabricants dans leurs activités. Les entretiens ont eu lieu au cours de cette période à leur poste, mais aussi en salle de contrôle ou en salle de réunion.

Entretiens Usine B : directeur général adjoint, responsable des ressources humaines (cadre), responsable de production (cadre), deux techniciens (technicien méthode et coordinateur de production), un agent de maîtrise, deux opérateurs de fabrication.

La présentation qui suit de chacune des usines inclut des éléments succincts de trajectoire industrielle, dorganisation du travail et de démographie qui jouent un rôle significatif dans les représentations des acteurs que jai rencontrés.

II.1. Lusine A, un site important en constante évolution

Lusine A, dont lactivité a débuté dans les années 1940 et qui est dédiée à la production de produits intermédiaires ou de produits de base pour la fabrication pharmaceutique, est lun des principaux sites chimiques parmi ceux que compte en France ce groupe français de plus de 20 000 salariés. Ce site est classé Seveso 2 « seuil haut » du fait des risques industriels induits par la présence de produits dangereux en grande quantité8. Les installations ont connu des évolutions en termes de modernisation et daccroissement des capacités productives 77depuis le milieu du xxe siècle, permettant notamment la fabrication des produits faisant la notoriété du groupe à partir des années 1970. Le début du xxie siècle donne lieu à des investissements importants visant notamment le lancement dune nouvelle unité et dun nouveau procédé, lextension dun atelier de fabrication et la rénovation des installations dédiées au conditionnement. Mais, dans la phase actuelle, lavenir du site est incertain, le groupe étant confronté à la concurrence des produits génériques. Lors de lenquête, les effectifs étaient de 750 salariés, dont la moitié en production. La démographie révèle des écarts très marqués : les 18-34 ans sont surreprésentés chez les ouvriers et employés (48 %) alors que les plus de 50 ans le sont chez les techniciens et agents de maîtrise (35 %). Un seul des trois ateliers de fabrication du site a connu la mise en place récente des horaires continus en 5x8 (les autres fonctionnant en 3x8 du lundi au samedi)9 qui sappliquent aux 55 fabricants de cet atelier. Il sagit de latelier Z dans lequel sest déroulée lenquête sur les métiers de la fabrication du site A.

II.2. Lusine B, petite usine de chimie fine

Lusine B, 95 salariés, héberge des activités de production en chimie fine (actifs pharmaceutiques et produits dérivés de silice) et de « recherche et développement » (R&D) qui la classent comme établissement de type Seveso 2 « seuil bas ». Cet établissement appartient depuis moins de dix ans à une Petite et Moyenne Industrie (PMI) française de 420 salariés répartis sur six sites de production. La majeure partie des installations de lusine B, qui est ouverte 5 jours sur 7, date des années 1970, mais un atelier de fabrication associant une entreprise étrangère (sous le régime de lentreprise commune, ou joint-venture) a été aménagé beaucoup plus récemment. Au total, les ateliers de fabrication, les laboratoires et les deux « unités pilotes » (installations de taille réduite qui conçoivent et améliorent les procédés qui sont employés en fabrication) comptent environ 50 salariés, dont 33 en fabrication et conditionnement. En moyenne, les salariés de lusine dont lâge moyen est de 43 ans, ont 15 ans dancienneté (le plus ancien des salariés a 42 ans dancienneté). Dans 78la production, les mutations du travail tiennent à laccélération du circuit de fabrication, à la rapidité dadaptation au changement de procédés et à la variation des volumes de production devant globalement permettre une rentabilité immédiate. Parallèlement, létendue des normes et la rigueur des audits se sont également renforcées.

I. Des configurations contrastées
de la professionnalisation

III.1. Des exigences defficacité accrues en fabrication

Le « régime » de temporalité de lorganisation industrielle des deux usines se traduit dans la définition des rendements productifs et des variations des cycles dun process continu. Les phases du process correspondent à la succession des charges des différents produits qui font lobjet des transformations chimiques, à la surveillance des opérations de transformation et aux phases de nettoyage ou dentretien. Lorganisation du travail en continu (travail posté en 5x8 dans latelier Z de lusine A – dont la perception peut rester assez critique dans les rangs des salariés issus de la fabrication-, en 3x8 dans lusine B) est un autre levier de productivité.

Laugmentation des rendements productifs passe aussi par des moyens de contrôle organisationnels et techniques. Il sagit non seulement de réduire la dispersion des rendements en employant des méthodes de gestion de la qualité dans les ateliers, ou encore daugmenter la capacité de production en réduisant le temps de cycle (notamment en agissant sur les opérations de nettoyage des équipements), mais aussi de réduire les retraitements de produits rendus non conformes pour des raisons techniques ou par « linattention des salariés » (responsable des ressources humaines, usine A) ou à leur manque de rigueur dans le suivi des consignes de la feuille de fabrication.

Si les outils organisationnels de la hausse de productivité ne sont pas explicités en tant que tels par les fabricants dans leur activité, un élargissement concomitant des fonctions entraîne un surcroît de tâches prescrites. Cet alourdissement de la prescription est dautant plus ressenti 79par les techniciens de fabrication que la taille des équipes a diminué ces dernières années, dans des proportions significatives dans lusine A comme dans lusine B. Les fabricants sont en effet amenés à élargir leur rôle aux fonctions de contrôle en cours de fabrication, en enregistrant les résultats sur les terminaux de la salle de conduite : « ce quil y a, cest que la productivité reste à peu près stable (…) mais on a un peu moins de monde et on nous demande plus de choses, parce quil y a tout ce qui concerne la productivité, mais les à-côtés aussi, qui concernent la productivité aussi, tout ce qui est contrôles [qualité] et labo [laboratoire]… La gestion sur le PC des contrôles labo quon ne faisait pas, qui étaient faits au labo avant, donc on nous demande plein de trucs quon ne faisait pas forcément quand on était en production, qui se rajoutent » (technicien, atelier Z, usine A).

Le discours du management valorise ces tâches de contrôle qualité au motif quelles sont déployées dans de vastes laboratoires opérant sur des quantités importantes et, de ce fait, ne constitueraient pas un « travail répétitif » (responsable des ressources humaines, usine A). Lactivation dun outil de management industriel de la qualité dinspiration lean dans latelier Z vise, par la mobilisation des équipes, à réduire la dispersion des rendements et, ce faisant, à permettre la transmission dun savoir relatif aux problèmes qui sont apparus dans les 24h ou 48h précédentes et aux réponses qui leur sont données. Ces retours dexpérience sont dautant plus nécessaires que les différentes phases du process ne sont pas coordonnées avec le cycle de travail des fabricants, autrement dit avec les horaires des équipes. La logique de gestion dun événement spécifique met ainsi à distance la routine et met en scène une régulation de lactivité, plaçant les fabricants (chefs de poste, techniciens et opérateurs) face à lencadrement fonctionnel (qualité, production) dans un cadre spatial et temporel contraint (en station debout, dix minutes autour de tableaux et de graphiques affichés sur une cloison). Cet outil formalise des vérifications que les anciens faisaient directement sur les machines et qui ont été abandonnées avec lintroduction des commandes numériques (limitant les bascules manuelles marche-arrêt qui permettaient de suivre pas-à-pas le déroulement du process). Le « bon sens » appliqué aux tâches de contrôle du process serait ainsi rationalisé par une méthode de vérification collective mobilisant des catégories propres à la gestion de la qualité et employant des « experts » extérieurs à la 80fabrication. Une connaissance est ainsi élaborée pour être transmise, mais façonnée par des outils exogènes au process.

Pour faire face à des niveaux dactivité irréguliers, la direction de lusine B joue sur des leviers classiques en gestion : lorganisation et lesdites « ressources humaines ». Le passage de lorganisation de la production en 3x8 saccompagne dune politique de gestion des stocks au plus juste et dadaptation en matière de recrutement et de formation du personnel. La création demplois nest pas loption préférée : « soit on recrutera du personnel temporaire, soit on utilisera plutôt de la polyvalence inter-sites, avec la main-dœuvre des autres sociétés, car toutes fonctionnent de la même façon, et il ny a pas de changement notable de lactivité des opérateurs, ou on reportera lactivité » (responsable ressources humaines, usine B). Développer la polyvalence entre le personnel des unités pilotes (en 2x8) et la fabrication (en 3x8) est devenu un enjeu de performance mais cela suggère aussi de nouvelles activités de transmission. Pourtant, lorganisation actuelle du travail représente un frein à la productivité. Alors que les « ressources » (i.e. les salariés) étaient à lorigine très séparées avec des « prêts exceptionnels de personnel » selon les besoins, la direction cherche à disposer maintenant dun « pool dacteurs », permettant des affectations en production ou au pilote en fonction des priorités. Il sagit de répondre à lenjeu financier que représente la réalisation des activités à très haute valeur ajoutée de la co-entreprise. Lacquisition des compétences en contrôle qualité et en maintenance des opérateurs a conduit à un accord avec les organisations syndicales portant sur le développement de la formation et des augmentations salariales pour reconnaître la polyvalence quon leur demandait. Cet évènement signifie que la professionnalité devient qualification professionnelle dès lors quelle fait lobjet dune régulation linscrivant dans un cadre contractuel.

III.2. Un dispositif de formation au plus près de la fabrication

Dans ces contextes où la normativité économique sexerce au travers de différents outils de gestion, lintégration dans le métier de fabricant repose sur la transmission des connaissances et des habiletés des salariés expérimentés vers les nouveaux entrants. Une partie fondamentale de ce processus de formation a lieu au plus près des ateliers et mobilise les fabricants et des formateurs ayant souvent une expérience ouvrière. Les 81fabricants rencontrés dans lusine A ont particulièrement bien décrit ce processus. Pour un technicien de lusine A, avec un jeune « qui na jamais vu un réacteur ou une centrifugeuse, il faut commencer par le b.a.-ba » et pratiquer un accompagnement, le plus souvent possible, en doublon. « Cest plus une formation sur le terrain (…). En fait, on le prend le plus possible “en doublette”, cest-à-dire quil est avec nous, on lui montre exactement ce quil faut faire, on suit une feuille de travail, de fabrication avec lui, mais il y a des fois aussi où il faut quil se débrouille, on lui explique, on a quand même un œil sur lui mais on nest pas 24 heures sur 24 avec lui, enfin 8 heures avec lui » (technicien, atelier Z, usine A). La portée de lexpression « sur le terrain » prend tout son sens lorsquon comprend quil faut non seulement apprendre à se repérer dans les installations et la diversité des appareils, mais aussi identifier les flux qui approvisionnent le process car « cest plus ou moins bien étiqueté10 des fois » (technicien). Ce métier de conducteur dappareil reste un métier « long à mettre en œuvre quand vous navez jamais mis les pieds dans la chimie » (responsable des ressources humaines, usine A). Dans lusine A, il faut compter douze à dix-huit mois pour quun débutant en fabrication se voit reconnaître une autonomie11 après avoir effectué en doublon et sur plusieurs cycles des opérations qui ne demandent pas de technicité particulière (par exemple, essorage, distillation, séparation des liquides). La validation, par les encadrants, des compétences acquises au cours de cet apprentissage en atelier est intégrée à une base de données qui rassemble les informations individuelles relatives à la réalisation et à la maîtrise des tâches en fabrication et à la formation. Cette base répertorie les listes des différentes tâches quun opérateur doit accomplir pour se voir reconnaître une qualification sur les situations de travail dans latelier, la validation dune tâche nintervenant quaprès trois ou quatre répétitions réussies.

En pratique, les opérateurs dun atelier peuvent, en rendant compte à la maîtrise de quart, exercer la fonction de tuteur à tour de rôle pour un débutant en lui permettant dès le départ de se situer dans latelier et dans le process, puis de progresser dans la conduite des installations. Selon le responsable des ressources humaines de lusine A, la 82configuration des installations impose une capacité maximum de deux à trois « nouveaux » (stagiaires en formation ou salariés débutants) par atelier, soit environ un par équipe de six à sept personnes, car « il faut produire aussi » (dixit). Lacquisition de ce savoir de métier repose sur lexpérience partagée des situations de travail au cours des opérations et dune mobilisation mentale permettant dassimiler les informations.

En dépit de lautomatisation des process et du pilotage des installations par ordinateur, des gestes professionnels composent toujours la technicité du métier. « Toutes les informations de la feuille de fabrication ne suffisent pas si vous navez pas le feeling de ce qui se passe réellement. Lodorat nest pas central12 mais la vue compte beaucoup pour obtenir les informations. Cétait obligatoire avant de disposer des appareils de contrôle automatique – bien quon ne doive toujours pas se fier à 100 % aux capteurs aujourdhui. Il faut comprendre ce qui se passe et être éveillé au poste de travail… des poudres mélangées par erreur ne se séparent plus ! Par exemple, il faut vérifier la propreté dun appareil vide par un contrôle visuel approfondi. Des traces blanches montrent quil est en cours de refroidissement et que sa température risque encore de provoquer une non-conformité » (formateur). La formalisation des gestes et des savoirs datelier a été réalisée par cet ancien fabricant devenu formateur interne du site. Celui-ci intervient pour apporter, après un an environ sur le poste, une formation complémentaire à lapprentissage en situation de travail aux nouveaux. Le contenu de la formation sur les postes de travail porte beaucoup sur les ficelles du métier et lexercice de la vigilance quil dénomme « savoir-faire de prudence » et quil emprunte au langage de la prévention des risques : « il ny a pas de tour de main à avoir, comme chez un boulanger : tout le monde doit toujours faire le même produit, tel que référencé par le cahier des charges. Par contre, il y a un savoir-faire de prudence13 : dans une filtration à chaud, il faut atteindre la température suffisante sinon une cristallisation va boucher les tuyaux. Sachant que certains produits peuvent cristalliser plus que dautres, les anciens vont prévenir les nouveaux des précautions à prendre : monter la température, surveiller les transferts » (formateur).

La terminologie du savoir-faire de prudence employée par le formateur révèle une appropriation du vocable ergonomique par un expert 83professionnel. Son usage ici en indique aussi la double connotation relevée par Cru (2015), à la fois orientée sur la qualité et la production et sur la sécurité des travailleurs.

III.3. Les pratiques de transmission des fabricants sous tension

En dépit dune apparente routinisation de la formation des « nouveaux », le régime de temporalité de lorganisation industrielle percute les pratiques de transmission professionnelle. Laccompagnement par les opérateurs expérimentés, qui doivent assumer un rôle particulier dans la gestion des risques, est souvent bousculé par les exigences liées à la production. Anticipant les variations de production, la priorité est dailleurs donnée à lapprentissage des comportements de prévention et de sécurité (les jeunes sont dabord écartés des produits les plus dangereux) mais des contraintes telles que la réduction des équipes et les délais de fabrication pèsent sur la transmission. Ces contraintes obligent les techniciens à placer les jeunes sur des tâches « un peu faciles mais pas toujours gratifiantes », quils pourront effectuer seuls. La rotation des équipes ajoute un effet pervers : « par contre dans la cellule là-bas (…) cest une fabrication qui est assez longue, et pour connaître toutes les étapes, ce nest pas évident parce que souvent, cest répétitif. Au changement de poste, on va souvent retomber où lon connaît. » Le risque, pour un débutant, est de devenir un bouche-trou : « on le fait le moins possible, mais cest arrivé quil fasse une cellule un jour, le lendemain il en fasse une autre, voire la même journée, il change dune cellule à une autre » (technicien, usine A).

La pression de la temporalité industrielle aboutit à une tension majeure sur le sens de la formation destinée aux nouveaux. La responsable des ressources humaines rapporte que pour les cadres du management de lusine, il importe « davoir en permanence à lesprit la sécurité de soi et des autres… Savoir respecter des procédures, savoir alerter en cas de doute, cest à dire être en vigilance ». Selon la logique defficience qui préside a priori à la direction de lusine, la comparaison entre sécurité et qualité est tout à fait de mise lorsquil est question des compétences requises : « ce qui est développé sur la sécurité se retrouve dans la qualité sur un site FDA14 comme celui-ci ». Il est donc évident que, puisque 84« les compétences techniques pour conduire un réacteur impliquent un apprentissage relativement long, on ne laisse pas seul aux commandes un nouvel arrivant dans un atelier, il est mis en doublon avec un tuteur ». Dailleurs, les formations au tutorat ont été développées, mais elles restent encore à dispenser à certains tuteurs en fonction. De plus, si la formation à la fonction tutorale est organisée en tant que telle, sa mise en œuvre pose la délicate question du système de contraintes : « on ne peut pas toujours détacher une personne pour la mettre en doublon à cause des plannings ou bien si on a juste les bonnes personnes aux bons endroits » (coordonnateur de production, usine B)15.

Dune certaine manière, la formation est envisagée comme un travail excédentaire pour les fabricants expérimentés : « On a du boulot, donc ça nous fait un surplus de travail de former. Et on na pas toujours le temps, et souvent même, pour des tâches qui sont un peu faciles mais pas toujours gratifiantes pour la personne qui rentre, eh bien le gars, on le laisse tout seul ! Déprotéiner une essoreuse par exemple, cest le jeune qui va se le payer parce quil ny a pas trop de risques ! Au maximum, on essaie de ne pas le faire mais de toute façon, cest la réalité ! On serait deux par équipe de plus, je pense que ce serait bien…. Mais bon, ça, ils le savent [et] ils disent quon est trop nombreux » (technicien, usine A). Dans les deux usines, ce sont généralement les chefs de poste qui arbitrent sur la capacité dune personne à faire seule une tâche et de lapprendre, alors que pèsent déjà sur eux la surveillance globale et la vérification des contrôles des opérations de fabrication.

Les contraintes sur lactivité de transmission des connaissances désorganisent la logique de progression dans les savoirs de métier et conduisent à limiter lapprentissage sur les questions de sécurité. « Ce nest pas évident, quand on est livré à soi-même, sur des produits dangereux, encore ! Le plus dangereux, on ne les met pas, mais ça ne fait rien ! Quand on débarque dans un atelier et que lon na jamais travaillé dans ce contexte-là, on se pose des questions, ce ne sont pas des bonbons quon fabrique ! Alors on est très à cheval sur la sécurité, parce que cest notre rôle de les former là-dessus, cest la priorité ! » (technicien, usine A).

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Toutes ces tensions donnent à voir les contradictions entre la temporalité industrielle et la temporalité de lintégration dans le métier. La gestion de lemploi impose dautres contraintes en contribuant à définir la trame sociale de la professionnalisation. Au cours des vingt dernières années, la présence humaine a progressivement diminué dans les ateliers et ce, encore plus récemment, du fait des départs des anciens qui navaient pas été anticipés. La flexibilité externe se traduit par le recrutement dopérateurs en contrat à durée déterminée, dont les entrées et sorties constituent une contrainte sur la régulation du travail au sein des équipes16. Elle pèse sur la disponibilité des fabricants pour la formation en « doublon » : « cest ce qui est un peu dommage, car maintenant les jeunes sont beaucoup plus livrés à eux-mêmes que moi quand je suis rentré. Quand je suis rentré, déjà, pour former un gars ici, pour quil connaisse une cellule, il faut compter un an et demi, 2 ans même, donc cest assez long ! Dans lidéal, ce serait de le suivre pendant un mois sur une fabrication, le problème, cest que lon na pas toujours le monde effectif pour pouvoir se le permettre » (technicien, usine A).

Ce dialogue avec ce technicien à propos de la (dé-)composition des équipes, illustre à nouveau cette disjonction des temporalités.

– Cest un peu déséquilibré, parce quon a eu beaucoup danciens qui sont partis, pas mal de savoir-faire qui est aussi parti avec eux… On lavait vu venir, et on avait dit que ce serait bien de former des jeunes, den faire entrer avant pour les former, ce qui ne sest pas fait. Ils ont embauché les jeunes quand les anciens étaient partis… Il y a eu pas mal de problèmes ! (technicien, usine A)

– Donc il y a eu des problèmes de qualité, de non-conformité ? (enquêteur)

– Ou des erreurs faites, des fabrications quon maîtrisait très bien et qui du jour au lendemain étaient non conformes. En plus, il y a eu pas mal de travaux dans latelier, en même temps quon fabriquait, ce qui fait quil fallait être assez vigilant… On a eu de la chance, parce que ça ne sest pas trop mal passé (…).

– Ça fait des facteurs de risques, à la fois renouvellement des anciens, pertes de connaissances et travaux ?

– Plus changements des appareils et du mode opératoire de certains trucs, changement des feuilles de travail aussi à une époque, ça faisait beaucoup. On a cumulé à un moment.

Le recueil dévènements et de situations dans des ateliers de fabrication permet lanalyse de contraintes pesant sur la transmission, mais 86il ouvre aussi des perspectives sur la compréhension des modalités de contestation par les personnels.

III.4. La résistance des personnels de fabrication contre
le risque accidentel à partir du savoir-faire de prudence

Le volontarisme managérial de la direction de lusine B, qui sexprime aussi par la redéfinition des compétences requises dans lencadrement intermédiaire en fabrication (depuis celles dexperts à celles danimateurs déquipes), sexerce cependant dans un contexte où une certaine conflictualité marque les relations professionnelles. La cristallisation dun conflit de normes sest réalisée autour des interventions dun représentant du personnel en réaction à un risque daccident.

Cette attention à la rigueur et à la vigilance en matière de sécurité et au respect des consignes dont doivent faire preuve les opérateurs se décline dans latelier dans les actions de la maîtrise et de lencadrement technique. Le technicien « méthodes » commence dailleurs toujours la présentation dun nouveau procédé par ses propriétés en termes de sécurité et de produits dangereux. La formulation « du terrain » indique que lexercice en est permanent, notamment lors de la présence de nouveaux dans latelier : « il y a toujours lœil dun ancien ou de quelquun pouvant parer à toute éventualité ou à tout problème » (responsable datelier, usine B). Deux raisons rendent cette surveillance dautant plus nécessaire. La première tient au fait que, leffectif en production sétant réduit, « le sous-effectif peut nous faire faire des erreurs, et produit du stress » (opérateur, usine B), notamment au moment des approvisionnements en matières premières (qui rappelons-le, sont gérés en « flux tendus ») lors des baisses dactivité. Il peut ny avoir alors quune seule personne dans latelier, quand léquipe compte normalement quatre ou cinq salariés. Pour un ancien opérateur, lusage du dispositif de l« homme mort17 » est un « pis-aller » car il ne remplace pas ce qui fait défaut, cest-à-dire « une main-dœuvre suffisante pour faire le travail ». La seconde raison se rapporte aux équipements, qui sont jugés vétustes en dehors de ceux du nouvel atelier en co-entreprise. Les pannes récurrentes peuvent provoquer des problèmes de qualité ou de sécurité et, « généralement, les matériels sont exploités au maximum ou récupérés pour aller plus vite » 87(opérateur). La prudence doit aussi sexercer dans lattribution des postes de travail. Elle seffectue en « évitant laccoutumance », cest-à-dire en déplaçant les opérateurs pour empêcher que sinstallent des routines, qui sont connues pour constituer des facteurs de risque, car « on nest jamais plus prudent et concentré que lorsquon fait quelque chose de nouveau » (responsable datelier, usine B).

Les récits des personnels de fabrication et des cadres de lusine B permettent dappréhender le mode dimplication des uns et des autres dans la « culture de sécurité » de lusine. En fabrication, selon les anciens, la vulnérabilité des installations nest généralement pas connue avec exactitude par les supérieurs hiérarchiques. Ce constat est a fortiori soulevé par les agents de maîtrise et leur adjoint en situation de responsabilité qui vérifient, par exemple, les procédures dutilisation des produits dangereux. La maîtrise a une connaissance des capacités du matériel et des limites de sûreté à ne pas dépasser sans risquer un danger pour les opérateurs. « Jencadre des collègues » signifie, pour ce technicien, responsable datelier, quil situe la santé de ses collègues à un niveau de valeur plus élevé que celui de la production. Ce sens de la responsabilité collective, selon ce technicien, sacquiert par lexpérience. Il conduit aussi à contester des décisions du management qui menaceraient la santé et la sécurité. Cette contestation peut sappuyer sur les outils collectifs de la santé au travail : avec le cahier spécial du Comité dhygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui permet dapposer une décision relative au refus de travailler sur un matériel défectueux ou dangereux ; avec le droit de retrait qui est activé lorsque cela est nécessaire. Un autre technicien explique clairement cet usage : « quand on ne veut pas nous écouter, on va passer à létage au-dessus (…) avec motion de droit de retrait et faire intervenir le CHSCT, de façon à être entendu » (technicien, usine B).

Des épisodes conflictuels, rapportés par un responsable datelier, représentant du personnel au CHSCT de lusine, sont significatifs dun conflit de normes, entre le référentiel de la prescription et celui du travail réel, mobilisant lintelligence de la professionnalité ouvrière. Ils aboutissent à des expressions radicalisées du savoir-faire de prudence, sous la forme dactes de résistance à la prescription. Le premier conflit porte sur lopposition par deux agents de maîtrise au démarrage rapide et sous la pression de délais à respecter, dune fabrication devant dégager 88un gaz toxique alors que des capteurs ont été retirés de linstallation (en panne, ils étaient alors en réparation chez le fournisseur et le problème avait déjà été soulevé par lun des responsables datelier depuis plusieurs mois). Lopposition au démarrage de la campagne a été unanime, chez les opérateurs et la maîtrise. Le CHSCT a été consulté ; un délai dune semaine pour réinstaller des capteurs a été réclamé et obtenu comme condition de démarrage. Les termes de lescalade verbale expriment non seulement la pugnacité de lagent de maîtrise, mais aussi lagencement dun rapport de force, faisant appel à des acteurs périphériques18, à un savoir de métier des plus informels et au registre de la ruse et de la menace : « jai dit quon ne démarrerai pas et, si vous voulez vraiment quon démarre (…) jirai voir qui de droit [inspection du travail], mais vous nutiliserez pas le matériel car je casserai une partie du matériel de façon à ne pas démarrer, volontairement. [Dailleurs] en faisant juste une petite bricole, on naurait pas pu démarrer quand même » (technicien, usine B). Le second conflit porte sur une accélération des rendements jugée trop importante et amenant le responsable datelier à poser des conditions restrictives. Il ne sagissait plus de définir lincident et le risque en termes de qualité, dans le registre de lefficience productive et selon des considérations pécuniaires, mais en termes de sécurité et de risques daccident grave : « ça sera comme ça et pas autrement et si vous voulez faire autrement, vous venez le faire, ou sinon appelez les pompiers, ou le personnel adapté, tout de suite. Si vous voulez jouer, on ne jouera pas longtemps et on tient à vous préciser que ceux qui sont à côté des appareils, cest nous, et que nous, la maîtrise, sommes responsables de nos opérateurs et de notre matériel, de notre outil de travail… alors que dans dautres métiers, ça va accélérer [la cadence] jusquà ce quil y ait un pépin. Mais nous on ne peut pas se le permettre » (technicien, usine B).

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I. Discussion

Il était admis au départ que le processus de professionnalisation sobserve lorsque des acteurs pluriels sengagent dans des pratiques informelles pour étayer lacquisition dune professionnalité, sans suivre en cela de trame ordonnée, ni instituée. Lobservation des conditions dans lesquelles se fait la transmission professionnelle en matière de vigilance, en participant à ce processus, doit renseigner sur le statut du savoir-faire de prudence et sur sa reconnaissance. Les observations réalisées permettent de confirmer que la « fonction de vigilance » apparaît toujours au cœur de la professionnalité des personnels de fabrication. Les interactions dans les collectifs de travail comme lutilisation des outils de gestion (action de communication sur un retour dexpérience, répertoire des habilitations), qui ont été identifiés dans latelier Z, confirment que la professionnalisation intègre cette fonction de vigilance : il sagit bien « dintégrer et de révéler les connaissances ouvrières et le travail réel des opérateurs dans lutilisation des équipements comme une composante de leur qualification » (Mouy, 1988). Mais il apparaît aussi que la trame sociale de ce processus reste perturbée par des facteurs organisationnels orientés vers des exigences de productivité et de rentabilité, ou par une gestion des emplois saffranchissant de cet enjeu. La transmission des savoir-faire de prudence subit alors un coup de frein et sa « mise entre parenthèses » (Thébault, 2018) semble si fréquente quelle se déroule désormais en pointillé. La professionnalité est aussi mise en question, voire dénoncée comme elle pouvait théoriquement lêtre, par les arguments péjoratifs de la « division morale du travail » (Colmellere, 2017).

Ce faisant, la montée en généralité à partir dun repérage empirique des trames temporelles et des systèmes de normes dans lesquels sinscrit la professionnalisation, rencontre certaines limites. La première dentre elles tient au manque de contextualisation des configurations sociales, à travers un approfondissement des rapports entre lhistoire des entreprises et la biographie des individus au travail. En effet, si je compare lusine A et lusine B, le statut du savoir-faire de prudence est apparu fortement lié à des modalités de reconnaissance formelle (des actions de formation en atelier leur sont dédiées dans latelier Z) et à une régulation sociale 90de la prévention assez problématique (usine B). Les pratiques de transmission devraient aussi être considérées comme évolutives au regard des changements dans la composition sociale des collectifs de travail et des trajectoires des salariés impliqués. Malgré ces limites, les enseignements généraux qui ressortent de notre investigation auprès des personnels de fabrication de deux usines chimiques confirment cette hypothèse et interrogent certains contours de la professionnalisation définis en introduction. En effet, les pratiques managériales de rationalisation des temps productifs influencent le déroulement des activités collectives de formation au poste de « nouveaux » arrivant dans les ateliers. Cette formation organise la transmission du savoir-faire et des gestes techniques sur un modèle qui reste assez proche du compagnonnage tel que Le Roux (2006) la analysé auprès des techniciens de maintenance dune centrale nucléaire. Elle rencontre aussi les limites connues des dispositifs formalisés tels que le tutorat ou lalternance19.

IV.1. Professionnalisation empêchée,
savoir-faire de prudence sous tension

En premier lieu, il apparaît que la confrontation bien connue de la prescription avec le travail réel fait relever la professionnalisation dune logique conflictuelle dont lenjeu est la reconnaissance de lautonomie. Comme lenquête dans lusine A la montré, les possibilités dune professionnalisation empêchée naissent, dune part, des contradictions entre la temporalité industrielle et la norme de rendement et dautre part, de létayage de lapprentissage de la fonction de vigilance par la progression des expériences accompagnées par les pairs. Les équipes postées rencontrent des difficultés à former les nouveaux venus lorsque le niveau des effectifs ne permet pas aux « anciens » de les former en situation de travail alors que leurs pratiques doivent être coordonnées pour permettre une transmission qui « se réalise dans, par et pour lactivité productive » (Thébault, 2018, p. 67). Si plusieurs facteurs de contraintes se combinent, la situation formatrice de travail, vecteur de lautonomie professionnelle, est alors mise « sous tension ».

En second lieu, dans lespace socio-productif dune usine, les situations qui correspondent à la « diffusion de normes de professionnalité » 91savèrent, elles aussi, conflictuelles. Ces situations montrent des divergences tenaces entre le registre des attentes des salariés et les exigences du management. Ou, comme le résume autrement un technicien de lusine A, « il ne faut pas se laisser faire, sinon on peut dériver sur nimporte quoi. » Les normes de professionnalité sopposent sur plusieurs plans. Cet antagonisme napparaît jamais plus clairement que lorsque lexpertise technique sexprime dans laffirmation radicale dun savoir-faire de prudence, sous la forme dune résistance dautant plus efficace quelle est légitimée par lexercice dun mandat dordre public, celui de membre du CHSCT. On note ici que, dans le domaine sanitaire, la prégnance de la réglementation dans les activités opérationnelles dépend aussi de la capacité des organisations syndicales de salariés à sapproprier les enjeux et les outils de la préservation de la santé au travail. À linstar des anciens « diables rouges » de la réparation navale marseillaise20, ces pratiques montrent encore lexistence dun système de légitimation de la capacité dagir du professionnel qui « résulte de la reconnaissance par des ouvriers des capacités militantes et techniques dun des leurs » (Bleitrach, Chenu, 1979).

IV.2. La transmission participe
au développement de la capacité d
agir

Les exigences du management expriment nombre des croyances à partir desquelles Thébault (2016, p. 2) appelle à un « déplacement » pour penser la transmission. Ainsi, lorsque la responsable des ressources humaines de lusine B juge que les caractéristiques des individus expliquent les attitudes intervenant sur la qualité de lintégration, elle réduit dautant le rôle des conditions dorganisation collective de la transmission. Nos observations sur la transmission du savoir-faire de prudence montrent aussi combien le décalage peut être grand entre, dune part, une vision de la transmission relative à des savoirs techniques et à des procédures homogènes et, dautre part, des capacités darbitrage et de prise en compte de la spécificité ou de la variabilité, des situations – cest-à-dire le propre des professionnalités en fabrication.

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La question du conflit de normes et de la disjonction des temporalités dans le processus de professionnalisation amène finalement à une autre interrogation. Comment les salariés peuvent-ils résister aux effets antagonistes de la logique de rentabilité et de laccroissement des rendements productifs sur la transmission de leur savoir-faire de prudence et la préservation de leur santé ? La professionnalisation dans lemploi apparaît comme lun des processus par lesquels les salariés acquièrent des ressources pour accomplir un travail de qualité et, ce faisant, développer leur capacité dagir21. Ainsi, en assimilant la professionnalisation à un mouvement non linéaire, non institué, de développement de la capacité dagir, on peut interpréter les épisodes de confrontation entre un représentant du personnel de fabrication et le management en matière de sécurité (usine B) comme des situations de résistance à lusure prématurée par laquelle « les salariés résistent à tout ce qui est susceptible de mettre à mal leur corps, de faire obstacle à lactualisation de leur puissance dagir » (Roche, 2016, p. 201)22. Mais, à côté de la résistance comme action détayage des professionnalités, doivent nécessairement exister des espaces de discussion, des temps déchanges et de transmission des connaissances permettant aux salariés de se reconnaître experts de leur propre travail.

Conclusion

À travers les récits par lesquels des salariés de deux usines, représentant des figures significatives des métiers de la fabrication chimique, rendent compte de leurs pratiques de transmission professionnelle autour de la fonction de vigilance et de prévention, jai cherché à expliquer comment se déroule la professionnalisation au savoir-faire de prudence. Lenjeu de la reconnaissance de ce savoir-faire a été explicité sur plusieurs aspects, le situant au cœur de la « diffusion de normes de professionnalité sous 93la double impulsion de demande de reconnaissance de travailleurs et de formulations dexigences de la part de leurs partenaires » (Demazière, 2009, p. 88). Pour ce faire, jai effectué un rapprochement entre sociologie et ergonomie. Ce rapprochement mériterait dêtre approfondi pour apporter un éclairage à la compréhension des enjeux de la transmission professionnelle dans les entreprises chimiques, notamment pour tenir compte des effets de socialisation générationnelle et genrée (côté sociologie) et de ceux du vieillissement des individus et des collectifs de travail (côté ergonomie). Il sagirait alors de voir comment la transmission professionnelle « cristallise les enjeux des organisations, des métiers et des acteurs dans un contexte dévolutions permanentes » (Thébault, 2018, p. 87) en relation avec les processus de co-construction des parcours et en référence à la place quy tient lacquisition de lautonomie professionnelle, dans le cadre des rapports sociaux du travail en entreprise. Du point de vue sociologique, une nouvelle analyse de configurations sociales de la transmission permettra de travailler, comme y incite Michel Lallement, sur le développement de capacités individuelles et collectives à produire de lautonomie, cest-à-dire de la liberté au travail (Lallement, 2015).

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1 Lauteur remercie ses collègues du Céreq (qui se reconnaîtront) pour avoir pris le temps de lui faire part de très précieuses remarques sur les versions successives de ce texte.

2 Dans le jargon de métier, le fabricant désigne un personnel de la fabrication chimique, notamment le conducteur dappareil des industries chimiques (CAIC).

3 Ce sont là des éléments constitutifs dun modèle de la « division morale du travail » qua analysé Colemellere (2017, p. 107) dans une usine chimique et dans une usine pharmaceutique, dont on trouve par ailleurs des traces dans les deux cas étudiés ici.

4 Voir supra, la citation de Trépos (1992).

5 La chimie de spécialités répond à des besoins très précis et de faible volume de production. La chimie de formulation (ou parachimie) élabore des produits issus de processus chimiques sous une forme utilisable par des consommateurs ou des industriels.

6 Les deux sites sont néanmoins de tailles différentes : avec comme point de comparaison le volume de production, lusine A est quatre fois plus important que lusine B.

7 Il nest pas possible ici de revenir sur limportante littérature qui existe sur ces deux figures professionnelles, dont des références sont présentes en bibliographie de cet article.

8 La directive européenne dite « Seveso 2 » prévoit des mesures de sécurité et des procédures qui consacrent les « bonnes pratiques » en matière de gestion des risques, en distinguant deux types détablissement selon la quantité totale de produits dangereux sur site.

9 Lorganisation en 5x8 répartit les salariés en cinq équipes de façon à obtenir un fonctionnement continu sur 24h et pendant 7 jours, en intercalant deux jours de repos tous les cinq jours. La rotation sur des horaires différents est donc plus rapide quen régime des 3x8.

10 Des étiquettes amovibles sont fixées à des vannes ou à des tubes de transfert indiquant les produits qui circulent.

11 Cette durée, déjà évaluée par Maurines (1991), est assez consensuelle parmi les experts. Un technicien de latelier Z lestime plus longue sur le terrain (jusquà deux années, voir infra.)

12 Les odeurs ambiantes, surtout celles des solvants, sont caractéristiques.

13 Souligné par lauteur.

14 Food and Drug Administration. Ladministration nord-américaine de lalimentation et des médicaments réalise des audits dans les entreprises françaises exportatrices.

15 Il en résulte dailleurs que le poste de conditionnement (activités de manutention, port de charges avec combinaison et équipement respiratoire), qui est lun des plus contraignants en fabrication dans cette usine, peut être occupé de façon durable par un jeune opérateur bachelier, ressentant alors un sentiment de déclassement et vivant mal la pénibilité des tâches.

16 Pour un approfondissement de ce problème, voir C. Peyrard (2009).

17 Ce terme est ici utilisé pour désigner un système de détection et dalarme visant à protéger le travailleur isolé.

18 Voir la thèse de Granaux (2010) sur les stratégies de mobilisation des acteurs externes à lentreprise par les CHSCT dans la chimie.

19 Cf. Formation Emploi, dossier « Quand le tutorat questionne le travail et son analyse », no 141, 1/2018.

20 Par un accord dentreprise, des membres du CHSCT sont devenus agents « permanents de sécurité » entre 1972 et 1978. Leurs interventions ont réduit drastiquement le nombre daccidents mortels (voir Trinquet, 1996). Je remercie Pierre Roche de mavoir mis sur la piste de ces « diables rouges ».

21 La notion de capacité dagir chez Zimmerman (2011) permet ici de comprendre comment peuvent sarticuler lexpression individuelle et directe de salariés et leur expression collective.

22 La puissance dagir est « puissance de produire, grâce à son activité, des effets dont on est la cause adéquate » (Spinoza, cité par Roche, 2016).