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Classiques Garnier

La valorisation des langues étrangères sur le marché du travail français Une analyse des offres d'emploi déposées sur Internet

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Socio-économie du travail
    2018 – 2, n° 4
    . La démocratie au travail : usages et catégories / Democracy at work: uses and categories
  • Auteurs : Giret (Jean-François), Guégnard (Christine)
  • Résumé : L'enjeu de cette recherche est d'identifier les exigences en matière de compétences linguistiques formulées dans plus de 1 500 offres d'emploi via Internet afin d'appréhender leur place sur le recrutement en France. Une compétence linguistique est-elle une plus-value rémunérée par l'employeur ou seulement un critère de sélection parmi une offre abondante de diplômés ?
  • Pages : 83 à 118
  • Revue : Socio-économie du travail
  • Thème CLIL : 3319 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités -- Travail, emploi et politiques sociales
  • EAN : 9782406088578
  • ISBN : 978-2-406-08857-8
  • ISSN : 2555-039X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08857-8.p.0083
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/02/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Compétences linguistiques, offres d'emploi, postes, salaire, Internet, recrutement
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La valorisation des langues étrangères sur le marché
du travail français

Une analyse des offres demploi déposées sur Internet

Jean-François Giret

IREDU, Institut de recherche
sur léducation

Centre associé au Céreq,

Université Bourgogne Franche-Comté

Christine Guégnard

IREDU, Institut de recherche
sur léducation

Centre associé au Céreq

Université Bourgogne Franche-Comté

Introduction1

La maîtrise de langues étrangères est souvent présentée sur le marché du travail comme une condition nécessaire pour accéder aux emplois 84qualifiés et devient un enjeu des politiques éducatives (Grin, 2005). Après le diplôme et lexpérience, la connaissance dau moins une langue étrangère deviendrait un sésame pour trouver un emploi, notamment pour les diplômés de lenseignement supérieur. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet avantage. En premier lieu, la mondialisation des échanges et notamment louverture au commerce international imposent des interactions plus nombreuses avec des partenaires ne parlant pas la même langue. Elle saccompagne dune montée en puissance des qualifications dans de nombreux secteurs ouverts aux exportations (Maurin et al., 2003), particulièrement dans les activités de production et de commercialisation. Le rôle dune langue commune est déterminant et oriente les échanges entre les pays (Melitz, 2008).

Cependant, cette montée en compétences qui impose la maîtrise des langues, ne sarrête pas aux métiers en lien direct avec le commerce international du secteur marchand : les échanges culturels, scientifiques ou sportifs requièrent souvent de connaître certaines langues, langlais notamment qui devient une norme de plus en plus dominante dans la recherche, les publications, les colloques ou les sites Internet (Héran, 2013). Autre exemple, lessor économique mondial de la Chine souligne la probabilité que les questions linguistiques deviennent plus, plutôt que moins, importantes à lavenir (Welch et Welch, 2008). Enfin, dans une logique de signal où les employeurs se trouveraient moins contraints dans leurs recrutements en période de chômage élevé, la langue étrangère peut être utilisée comme un critère supplémentaire de tri des candidats à lembauche même si le poste proposé nen nécessite pas un usage immédiat. Dune part, cette maîtrise de langue constitue un signal de productivité supplémentaire et de capacité dapprentissage dans dautres domaines. Dautre part, elle peut toujours être considérée comme un atout pour lentreprise dans le cas dune évolution de lactivité.

Au niveau européen, quelques études ont notamment souligné des stratégies de gestion linguistique (par exemple, des formations spécifiques linguistiques, une immersion des salariés dans les pays étrangers, nomination dun référent identifiable par lensemble des salariés, recrutement de personnes étrangères…) recensées dans des entreprises sélectionnées pour limportance de leur croissance commerciale (Hagen et al., 2006 ; Commission Européenne, 2011) : les compétences linguistiques y occupent une place importante notamment lorsque les activités des 85entreprises sont tournées vers linternational. Or, selon Archer et Davison (2008), seulement le quart des employeurs de multinationales attestent de compétences en langues étrangères parmi leurs jeunes diplômés embauchés. La langue peut constituer en effet un obstacle considérable pour le bon fonctionnement dune équipe internationale, obstacle au moins aussi important que les différences culturelles. Ainsi, daprès Bel Habib (2011) près de 27 % des petites et moyennes entreprises (PME) suédoises et 40 % des PME françaises ont une stratégie dexportation multilingue comparée à 68 % parmi les PME danoises et 63 % parmi les PME allemandes. De ce fait, le pourcentage dentreprises estimant avoir raté des contrats dexportation en raison de barrières linguistiques est plus élevé en Suède (20 %) et en France (13 %) contre 4 % pour le Danemark et 8 % pour lAllemagne.

Notre travail vise plus particulièrement à sinterroger sur la valorisation des compétences en langues étrangères sur le marché du travail français. La connaissance dune langue est-elle une plus-value rémunérée par lemployeur car considérée comme une compétence complémentaire, ou seulement un critère de sélection parmi une offre abondante de diplômés ? De manière générale, les recherches basées sur des enquêtes auprès de salariés dans différents pays conduisent à des résultats assez mitigés. Aux États-Unis, lutilisation dune autre langue que langlais ne semble pas constituer un avantage salarial sur le marché du travail (Fry et Lowell, 2003) ou alors très faible (Saiz et Zodo, 2005). Dans les pays non-anglophones, la majorité des travaux suggèrent que la pratique de langlais est en général un atout sur le marché du travail (Lang et Siniver, 2009 ; Ginsburgh et Prieto-Rodriguez, 2011 ; Stöhr, 2015), mais certains peinent à dégager des effets significatifs dautres langues sur les rémunérations. Peu de travaux empiriques existent en France sur cette questionà lexception de létude de Ginsburgh et Prieto-Rodriguez (2011), à partir dun panel européen des ménages : sur un échantillon limité, ils mettent en avant un effet salarial positif de certaines langues étrangères en France. Or, lenquête « Offre demploi et de recrutement » (OFER) en 2005 montrait que les entreprises y accordaient une importance mesurée lors du recrutement au regard dautres caractéristiques comme la formation ou lexpérience. Ce résultat est conforté par la dernière enquête OFER de 2016 (Bergeat, Rémy, 2017) : les langues étrangères sont très peu mentionnées spontanément par les recruteurs dans les critères de 86sélection, très loin derrière lexpérience, les compétences, la motivation. En ce qui concerne les débutants, la maîtrise de langues étrangères est considérée par seulement 13 % des recruteurs (Moncel, 2008).

Nous proposons dans cette recherche danalyser la présence de critères linguistiques dans des offres demploi sur Internet. À partir dun corpus denviron 1 500 offres demploi collectées en 2014 sur les sites Internet de Pôle Emploi et de lApec (Association pour lemploi des cadres), lobjectif sera de comprendre comment la présence des critères linguistiques est supposée influencer la rémunération proposée dans les annonces. Larticle se décompose en trois parties. La première reviendra sur les différentes recherches concernant les canaux de diffusion des offres demploi, puis sur les exigences linguistiques relevées en France ou dans dautres pays pour certains secteurs dactivité et/ou postes de travail. Ce sera loccasion de souligner lintérêt mais aussi les limites de lanalyse des annonces sur Internet pour étudier les tendances de recrutement sur le marché du travail. La deuxième partie détaillera le corpus utilisé et présentera une première analyse descriptive des offres demploi, en comparant notamment celles qui précisent des critères linguistiques à celles qui nen expriment pas. Enfin, la troisième partie proposera une approche « toutes choses égales par ailleurs » en vue de connaître limpact des critères linguistiques sur le salaire : lintérêt sera didentifier un effet net par rapport à dautres variables également supposées affecter la rémunération proposée.

I. La langue comme critère de recrutement
dans les offres demploi sur Internet

Le recrutement est généralement associé à une forte incertitude de lemployeur du fait notamment de la difficulté à évaluer la qualité de la relation demploi future. De nombreuses recherches montrent que les canaux de recrutement vont correspondre à des formes de sélection spécifique qui vont permettre de réduire cette incertitude (Marchal et Rieucau, 2009).

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I.1. Les offres demploi sur Internet :
un marché du travail spécifique ?

Les annonces, les réseaux, les intermédiaires publics ou les candidatures spontanées sont autant despaces de coordination qui sont structurés par des modes dorganisation spécifique, dépendant des entreprises qui y recourent. Reprenant Thévenot (1985) et se référant au cadre de léconomie des conventions, Larquier et Rieucau (2014, p. 95) voient dans lutilisation dun canal de recrutement deux investissements de forme : « une mise en forme des frontières du marché du travail sur lequel intervient le canal et une mise en forme du langage pour qualifier les emplois et les candidats sur le marché ». Cela leur permet de proposer une typologie structurée autour de deux axes. Le premier correspond au fait que lentreprise puise une offre sur un marché délimité par la profession ou la détention dun diplôme par exemple, alors que dans le second cas, elle cherche plutôt à constituer une offre sur un marché dont les frontières ne sont pas bien définies. Le second axe rend compte du format de linformation adopté et privilégié par le canal pour qualifier les emplois et les candidats. Dans cette typologie, les annonces sur des sites Internet sont en général considérées comme des « tuyaux », reposant sur des critères stabilisés, voire mêmes « durcis », comme le diplôme, lexpérience, parfois la maîtrise de langlais qui vont constituer les frontières du métier (Larquier et Rieucau, 2014). Autrement dit, la langue comme dautres critères explicites de recrutement peut délimiter explicitement laccès aux offres en excluant de facto, ceux qui nont pas cette compétence. Cependant, dautres canaux, liés à dautres pratiques sectorielles de recrutement, vont permettre de constituer une main-dœuvre moins formatée ou ouvrir sur dautres critères de recrutement.

Les annonces doffre demploi sont particulièrement sélectives en France dans leur formulation en termes de diplôme, dexpérience (Larquier et Rieucau, 2012). Cependant, lanalyse du marché du travail à partir des petites annonces ne donne quune vision partielle des offres demploi. Dabord, la part de ces annonces dans le recrutement est structurellement faible en France par rapport à dautres pays. Les résultats des enquêtes statistiques Labour Force Survey (2011) indiquent que les offres demploi par petites annonces en France ne correspondent quà 6 % des embauches pour les salariés recrutés depuis moins de trois mois, alors que les candidatures spontanées et les relations sont respectivement de 8845 % et de 25 %. En revanche, les petites annonces représentent 27 % des recrutements en Angleterre, devant les relations (26 %) et les candidatures spontanées (19 %) (Rieucau, 2013). Ensuite, le dépôt dune annonce sur Internet ou dans la presse correspond à une logique de recrutement spécifique de lentreprise ou dun cabinet de recrutement. Le type dentreprise ou le type de profil recherché ne coïncident pas forcément à ceux qui seraient visés par dautres canaux de recrutement. Enfin, lannonce correspond à une phase de présélection : lobjectif est de faire un premier tri parmi les candidats qui pourraient prétendre à un emploi sur le marché du travail. Si des critères sont mentionnés dans les offres demploi, ils correspondent souvent à des conditions nécessaires, mais pas forcément suffisantes pour accéder à lemploi. Dautres caractéristiques, comme le montre par exemple labondante littérature sur les compétences non académique ou de soft skills (Bailly et Léné, 2015), peuvent être évaluées lors du recrutement et permettre lembauche définitive dun candidat.

En France, ces dernières décennies, lévolution des offres demploi par annonce sest caractérisée par une diversification des exigences. Alors que les critères en termes de formation et dexpérience étaient présents dans moins de 20 % des annonces de presse dans les années soixante, elles létaient dans presque 60 % dentre elles au début des années 2000 (Marchal et Torny, 2003). De même, les exigences en langues étrangères ne concernaient que 5 % des annonces dans les années 60 contre un peu moins de 25 % quinze ans plus tard. Par ailleurs, comme le soulignent Marchal et Rieucau (2006), les différents critères ont tendance à se cumuler et à être de plus en plus explicites dans les offres, ce qui accroît la sélection. Les annonces françaises se différencient sensiblement des autres pays européens, où les annonces sont moins exigeantes en termes de critères et moins avares dinformations sur les caractéristiques de lemploi (Marchal et Rieucau, 2005).

Lessor dInternet dans la diffusion des offres demploi ainsi que le développement des réseaux sociaux semblent saccompagner dune segmentation et dune spécialisation de plus en plus importantes des offres selon le canal utilisé. Par exemple, les annonces sur Internet se distinguent de celles dans la presse (Bessy et Marchal, 2006) particulièrement pour les grandes entreprises qui ont les moyens de traiter la masse dinformation davantage hétérogène que dans les autres canaux, 89du fait de son faible coût daccès. Par ailleurs, elles semblent avoir tendance à favoriser les insiders sur le marché du travail aux dépens des chercheurs demplois et débutants (Fondeur et Tuchszirer, 2005). Les annonces tous supports confondus (affiches, presse, Internet) constituent la source dinformation la plus mobilisée par les chercheurs demploi mais concernent des emplois spécifiques sur un segment étroit du marché du travail, relevés encore dernièrement par Larquier et Rieucau (2017). Ces auteures rappellent ainsi que les agences publiques permettent aux demandeurs demploi peu diplômés daccéder à des emplois aidés ou de courte durée, les entreprises de travail temporaire alimentent principalement le segment secondaire des emplois de lindustrie, les cabinets de recrutement servent le segment primaire des emplois très qualifiés et durables, et elles démontrent que les annonces alimentent le segment des professions intermédiaires, plutôt commerciales, sur le versant primaire du marché.

Malgré ces imperfections, létude des offres demploi spécifiquement par voie dannonces, présente néanmoins certains avantages pour analyser les pratiques et les critères de sélection lors du recrutement. Dune part, ces annonces donnent des informations et des repères sur les méthodes de recrutement à une date donnée. Selon Marchal et Rieucau (2006, p. 94), « lannonce met au grand jour des conditions dembauche quune société donnée considère comme légitime à un moment donné du temps ». Elles permettent aussi davoir une idée des profils recherchés de candidats à lembauche en fonction des postes censés être vacants dans léconomie. Ces repères informent avant tout des a priori sur lesquels repose la sélection professionnelle pour évaluer la qualité attendue du salarié et donc sur les compétences requises dans ce processus, même si elles ne seront pas toutes utilisées dans lemploi. De plus, les annonces rendent compte des évolutions les plus récentes du marché du travail, des stratégies en matière de ressources humaines mais aussi des derniers arbitrages de la part des employeurs en matière dorganisation du travail ou de processus de production. Dautre part, le format et la taille de lannonce exigent pour celui qui lécrit de faire des choix, de mettre en avant les qualités attendues chez les candidats pour quelle soit un premier outil efficace de sélection. Elle permet ainsi davoir une idée pour chaque emploi, des critères priorisés par les recruteurs (Marchal et Rieucau, 2006).

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I.2. Lexigence dune langue étrangère
comme critère de recrutement

De nombreux travaux montrent limportance de la maîtrise de plusieurs langues dans les pays où coexistent plusieurs langues officielles ou pour les populations issues de limmigration lorsquil sagit de la langue du pays de destination (Grin, 2003 ; Chiswick, 2008). À notre connaissance, il existe assez peu de recherches concernant leffet dune langue étrangère sur laccès à des emplois qualifiés ou mieux rémunérés dans un pays alors que des études plus qualitatives soulignent la nécessité de former des diplômés à ces langues (par exemple, lOREFQ, 2010 ; Ghisla et Lüdi, 2013). Lenjeu linguistique semble se poser dans tous les pays et même dans ceux dont la langue est la plus utilisée dans les échanges internationaux. Au Royaume-Uni, des risques sont même soulevés au vu du déclin de lapprentissage des langues et de lexportation par les entreprises britanniques de façon disproportionnée dans les pays anglophones (Mann, Brassell et Bevan, 2011). Tinsley (2013) met ainsi en évidence les limites du monolinguisme qui provoque une défaillance du marché dans loffre et la demande de linguistes qualifiés dans tous les secteurs de léconomie britannique. Pour les candidats à lembauche, la valeur de leurs compétences linguistiques va donc à la fois dépendre de lutilisation des langues dans le fonctionnement de léconomie (Grin et Vaillancourt, 1997) mais également de leur rareté relative dans loffre de travail. En effet, cette compétence risque dêtre dautant plus valorisable sur le marché du travail que son niveau général dacquisition et de maîtrise dans un pays est faible2, si elle reste néanmoins utile pour les employeurs.

Disposer de données sur les offres demploi présente lintérêt danalyser les liens entre les exigences en termes de compétences linguistiques et la rémunération proposée, saisis au niveau de lannonce et avant même 91tout recrutement effectif dune personne3. Cela permet de mettre en évidence lattention spécifique de lemployeur pour la langue, sans tenir compte a priori du profil de la personne finalement recrutée. Labsence de mention dun critère linguistique dans lannonce ne signifie pas pour autant quune compétence linguistique ne soit pas exigée, notamment dans les pays où la maîtrise de cette langue est plus courante. Ainsi, Hellekjær et Fairway (2015) comparent une enquête sur les salariés norvégiens occupant des postes très qualifiés aux offres demploi de ces mêmes postes, et soulignent que lutilisation de langlais concerne une part beaucoup plus importante des enquêtés (89 %) alors quelle nest mentionnée explicitement que dans une partie des offres demplois (31 %).

Lanalyse des offres demploi donne une information sur les comportements des employeurs ou recruteurs en considérant la langue de la même façon que le niveau de formation ou lexpérience acquise sur le marché du travail. Se pose naturellement la question du type de salariés et des segments du marché du travail susceptibles de valoriser les langues. Comme le montre une étude des offres demploi incluant des critères linguistiques au Luxembourg, la segmentation linguistique reste fortement liée à la segmentation des emplois (Pigeron-Piroth et Fehlen, 2015). Pour les secteurs les plus liés à louverture internationale, lexpertise dans la langue étrangère (langlais) est décisive, alors que pour des secteurs plus protégés, le luxembourgeois joue un rôle de filtre en protégeant les emplois de la concurrence des salariés étrangers souvent plus diplômés. Cest également ce que souligne en France, Deneire (2008) à partir dune analyse des offres demploi dans la presse écrite quotidienne et sur un site Internet : les secteurs où le critère de langue est le plus demandé sont le commerce international et le tourisme, en plus des emplois dans le management où la demande est en général transversale à différents secteurs.

Il convient cependant de sinterroger sur la qualité des emplois proposés lorsque la connaissance dune langue est exigée. Certains emplois, même ouverts à la concurrence internationale ne sont pas nécessairement très qualifiés. Cousin (2002) identifie par exemple que certains postes dassistance clientèle au sein des centres dappel, pour des salariés parlant 92au moins deux langues étrangères couramment, sont vécus comme un déclassement, faute davoir pu se stabiliser dans dautres emplois. Heller et Boutet (2006, p. 10) soulignent dans ce cadre, lémergence dune catégorie sociale moins qualifiée, quils désignent sous le nom d« ouvriers et ouvrières de la langue », où le « travail consiste essentiellement à communiquer » dans une langue étrangère. Cette catégorie, qui inclut les employés des centres dappel, mais également différents emplois dans la traduction, correspondrait à un mode dorganisation quasi-taylorisé dune industrie de la langue, qui serait beaucoup plus dépendant de la concurrence internationale comme le montrent fréquemment les délocalisations des centres dappel.

Les différents éléments de cette revue de la littérature indiquent que le capital linguistique peut, sous certaines conditions, se révéler payant sur le marché du travail, en France comme dans dautres pays. Cela nest pas forcément systématique et dépend avant tout du type demploi obtenu. Lhypothèse que la maîtrise dune ou plusieurs langues étrangères représente une plus-value pour les entreprises et constitue une source de rémunération supplémentaire sur le marché du travail, ne peut être faite que si lon tient compte des spécificités des emplois et des individus qui y postulent. Explorer cette hypothèse suppose donc de sintéresser aux caractéristiques individuelles recherchées par les employeurs et les recruteurs, et à cette fin, un recueil doffres demploi déposées sur Internet a été effectué et sera présenté dans la section suivante. La revue de la littérature souligne cependant la spécificité de ce canal de distribution des offres demploi. Il sadresse en général à un segment plus diplômé et souvent plus expérimenté et à des entreprises de taille importante qui peuvent se permettre de faire la sélection. De plus, la présence dun critère linguistique et plutôt rare dans la majorité des annonces constitue certainement un signal fort dexclusion pour ceux qui ne le possèdent pas. On peut sattendre à ce que notre critère linguistique soit élevé du fait de retenir ce « canal de distribution ». En revanche, il semble moins probable que le choix de se focaliser sur les offres demplois en ligne, influence de manière spécifique la rentabilité dune langue étrangère.

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II. Une base originale de données
sur les offres demploi

Lenjeu de notre étude est didentifier les exigences en matière de compétences linguistiques qui sont mentionnées dans les offres demploi via Internet en France. Au-delà de la part des annonces précisant la langue comme critère de sélection dembauche, nous souhaitons connaître le type de langue souhaitée/requise, lexigence éventuelle de plusieurs langues, le niveau de maîtrise ou dacquisition, les liens existants entre les demandes linguistiques et les autres critères notamment en termes de formation, de profession et de salaire proposés.

Lobjectif initial est davoir une large palette demplois proposés et de repérer un corpus denviron 1 500 offres demploi diffusées sur Internet. Lintérêt des sites de Pôle Emploi et de lApec est multiple face à ce marché sur Internet qui est loin dêtre unifié. Au regard du classement des sites emploi en France ces dernières années, Pôle Emploi, acteur public, reste le leader incontesté en termes daudience diffusant à un large public le plus grand nombre dannonces, sous un format standardisé et une catégorisation des offres via son répertoire opérationnel des métiers et des emplois. Le recours à Pôle Emploi par les entreprises étant moins envisagé pour le recrutement des diplômés de lenseignement supérieur (Garnier et Lutinier, 2005), lApec est retenue du fait de sa position de premier site pour lemploi des cadres en France où les offres présentées sont actualisées, recueillies et qualifiées par un réseau de consultants. Nous souhaitons disposer ainsi dune large gamme dannonces référencées gratuitement, non hiérarchisées (ou sponsorisées4), accessibles à un grand nombre de personnes et dentreprises, avec une relative maîtrise du contenu des informations et des indications communes pour décrire les offres (notamment les salaires). La principale incidence de ces choix est dobtenir des annonces, revues par ces deux intermédiaires du placement, qui viennent de segments plus protégés du marché du travail mais aussi de ne pas avoir les entreprises ou les secteurs spécifiques 94qui nont pas (ou peu) recours à ces intermédiaires comme mode de recrutement (lhôtellerie-restauration, lagriculture, la construction…).

La collecte des offres demploi au niveau national a eu lieu durant les mois de mai et de juin 2014. Dans un premier temps, un échantillon exhaustif a été collecté au mois de mai au fur et à mesure de leur parution et diffusion sur les deux sites Internet (indépendamment de leur origine) et sans aucune sélection a priori sur le contenu de ces offres (801 annonces pour ce premier fichier nommé Exhaustif). Face au risque de se retrouver avec un nombre assez faible dannonces mentionnant une langue étrangère et dinformations complémentaires sur les exigences linguistiques (type, nombre de langues, niveau…), un second échantillon doffres a été constitué en juin, au fil de leur apparition, en éliminant les annonces sans aucune mention linguistique (728 annonces pour ce second fichier nommé Langue)5. Ensuite, dun point de vue méthodologique, nous avons procédé à un codage a priori des offres demploi en identifiant les informations recherchées plutôt quun codage par un logiciel danalyse textuelle.

Des différences apparaissent entre les deux sites Internet sélectionnés. Les annonces de lApec sont plus représentées (56 % pour le fichier Exhaustif et 58 % pour le fichier Langue). Ces offres spécialisées principalement pour des cadres6 ou ingénieurs proviennent davantage des grandes entreprises (près de 35 % de plus de 1 000 salariés et près du tiers dagences dintérim et de cabinets de recrutement), du secteur des services en majorité (plus de 60 %) et proposent notamment des contrats stables (84 % de CDI) pour des candidats plus diplômés et expérimentés. Tandis que les annonces diffusées sur le site de Pôle Emploi sont nettement plus diversifiées en termes de professions (48 % demployés dans le fichier Exhaustif et 34 % dans le fichier Langue, 15 % et 29 % de professions intermédiaires respectivement), en termes de contrats de travail (40 % de CDI), de diplômes et dexpérience, de secteurs dactivité et taille dentreprises avec une dominante des petites 95structures (la moitié des entreprises de moins de 20 salariés) et du secteur des services (68 %).

Autre disparité, la connaissance dune ou plusieurs langues étrangères est nettement plus relevée du côté de lApec (39 % pour 7 % des annonces de Pôle Emploi dans le fichier Exhaustif) et le plurilinguisme, ou lexigence de deux langues au moins, est mentionné dans plus de la moitié des offres de lApec et 18 % de celles de Pôle Emploi dans le fichier Langue. Le regroupement des annonces de ces deux sites permet davoir une représentation plus diversifiée et ainsi denrichir lanalyse. Dernière contrainte : les indications sur les rémunérations manquent pour près de la moitié des annonces de lApec (moins de 7 % via Pôle Emploi) parce quelles dépendent du profil des candidats et de la négociation au moment de lentretien (cf. encadré 1). Pour Marchal et Torny (2003 p. 68), « labsence de mention du salaire peut résulter dune stratégie délibérée si la rémunération nest pas attractive ou si son montant ne doit pas être connu de la concurrence ».

1. Traitement de linformation dans les offres demploi

La collecte manuelle des offres demploi sur les sites Internet et leur retranscription ont nécessité un investissement important pour homogénéiser linformation disponible, voire la corriger. Par exemple, lorsque le poste de professeur ou dingénieur était classé en employé qualifié (quelquefois non qualifié), ou lembauche dans un collège public était notée dans une entreprise de moins de dix salariés. De plus, les indications sur les entreprises étaient parfois formulées de manière floue en ces termes : « leader mondial dans son secteur », « groupe international », « acteur majeur dans son secteur dactivité », « cabinet à taille humaine » … Il en est de même pour lexpérience requise « vous justifiez dune expérience probante » ou encore pour le niveau de diplôme ou de formation souhaité, parfois très précis, parfois très vague comme « formation supérieure », « de bac+2 à bac+5 » … Dernière difficulté, linformation irrégulière sur le salaire qui pouvait être exposé en horaire brut, en mensuel ou annuel brut, parfois exprimé sous forme de tranches. Au final, quel que soit léchantillon, 33 % des annonces fixent la rémunération, 31 % laffichent sous forme de tranches et 36 % ne donnent aucun chiffre en indiquant « à négocier », « à définir selon le profil », « selon expérience », « négociable » …

Traitement de linformation relative aux langues

Il sagit dappréhender le nombre de langues étrangères qui sont nécessaires/indispensables et/ou celles qui sont éventuellement souhaitées par lemployeur. La maîtrise des langues qui serait « un atout », « un plus », « appréciée », « bienvenue », 96« indispensable » … est prise en compte car elle témoigne de lintérêt porté par lemployeur à son égard et peut donc faire la différence dans le processus de recrutement. Lorsque dans lannonce, les exigences en langues sont formulées par exemple de la manière suivante : « anglais et/ou allemand », deux langues sont alors comptabilisées. En effet, le terme « et » amène à penser que la maîtrise des deux langues représente un avantage dans le processus de recrutement puisque quelles sont toutes deux idéalement requises pour le poste. À linverse, lorsque lannonce mentionne « anglais ou allemand », seule une langue est considérée nécessaire à lexercice de lemploi ; cest lune ou lautre des langues qui est demandée et non potentiellement les deux. Enfin, à noter que parmi les 1 529 offres demploi recueillies, rares sont les exigences de certification ; seules trois annonces demploi mentionnent le TOEIC (Test of English for International Communication allant de 750 à 850 points). Par ailleurs, le niveau dacquisition des langues a été codé en fonction des termes relevées dans les annonces en quatre catégories : « notions », « maîtrise, bon niveau », « excellent, très bon, courant », « bilingue ». À titre dillustrations se référer à lencadré 3.

Une première analyse descriptive des deux fichiers confirme la forte spécificité des deux sites Internet retenus : 52 % des annonces concernent des emplois de cadres et dingénieurs dans le fichier Exhaustif et 65 % dans le fichier Langue. Inversement, les employés-ouvriers représentent un peu plus du tiers des offres dans le premier fichier pour 14 % dans le second. La plupart des annonces proviennent dentreprises privées et près du tiers viennent des agences dintérim, de cabinets ou de services dexternalisation de recrutement quel que soit le fichier. Ceci souligne lintervention croissante des professionnels du recrutement sur le marché du travail7. Ce constat est intéressant car au cours dune précédente étude concernant les tensions sur le marché du travail, les responsables dagences dintérim transféraient les offres non pourvues à lagence locale pour lemploi seulement lorsquils rencontraient des difficultés de recrutement (Guégnard et Perret, 2002). Il est possible que les agences intérimaires ou les cabinets de recrutement déposent actuellement leurs annonces sur ces sites pour les mêmes raisons, au vu de leurs offres un peu plus soutenues de cadres notamment (63 % pour le fichier Exhaustif et 69 % pour le fichier Langue).

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Globalement, la nécessité dune langue étrangère (très majoritairement langlais) apparaît dans 25 % des annonces du fichier Exhaustif (tableau 1). Lexigence dune langue augmente avec lélévation de la qualification de lemploi proposé, le nombre dannées dexpérience sur le marché du travail, lélévation du niveau de diplôme ; la quasi-totalité de ces annonces requièrent un diplôme de lenseignement supérieur8. Le critère dune langue étrangère augmente aussi avec la taille des entreprises. Ainsi, les grandes entreprises de plus de 500 salariés, les agences dintérim et cabinets de recrutement se distinguent par une demande plus élevée, en lien avec des postes plus qualifiés. Les contrats à durée indéterminée sont plus nombreux dans les offres mentionnant cette compétence linguistique. Si tous les secteurs dactivité utilisent les langues étrangères9, notamment les entreprises industrielles, les services se démarquent néanmoins avec une exigence linguistique plus élevée. Une compétence linguistique est peu requise (6 %) pour les débutants qui concernent pourtant près dune annonce sur cinq.

Ces principaux constats se retrouvent dans le fichier Langue. La nécessité de maîtriser au moins deux langues étrangères (surtout langlais et lespagnol) est citée dans 41 % des offres (tableau 1). Cette double compétence linguistique, en plus de la langue française, est souvent sollicitée par les entreprises de plus de 500 salariés, les agences dintérim et cabinets de recrutement. Il est aussi possible de repérer le type de langues exigées ainsi que le nombre de langues et le niveau dacquisition de compétences. Les annonces concernant trois langues étrangères sont modestes (23 offres et 2 seulement citant cinq langues) et le terme trilingue ne se retrouve que dans le titre de huit annonces. Dans lensemble, le niveau de connaissance dès la première langue est élevé. La moitié des annonces expriment un niveau excellent, très bon ou courant, 17 % exigent du candidat dêtre bilingue. Parmi les 297 offres demploi qui spécifient au moins deux langues étrangères, le tiers insistent sur un niveau de maîtrise dans les deux langues et 20 % précisent de les parler couramment.

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En dautres termes, les offres demploi référencées via Internet viennent de segments protégés du marché du travail au regard des professions qualifiées, de la stabilité des contrats de travail, de grandes entreprises, mais sont aussi exigeantes en matière de capital linguistique. Il reste à savoir si ces exigences se répercutent en termes de rémunérations proposées par les entreprises.

Tab. 1 – Caractéristiques des annonces
citant une ou deux langues étrangères (en %).

Fichier Exhaustif

Fichier Langue

Critères répertoriés

Pas de langue

1 langue au moins

1 langue

2 langues au moins

Manœuvre ou ouvrier spécialisé

10

-

-

-

Ouvrier qualifié

7

1

-

1

Employé

26

7

18

8

Profession intermédiaire

15

10

23

18

Cadre, ingénieur

42

83

58

75

CAP, BEP

7

-

-

-

Baccalauréat

5

2

6

2

Bac+2, BTS, DUT

17

14

30

22

Bac+3, Licence, Bac+4, Master

12

9

28

16

Bac+5, école dingénieur

12

42

23

40

Du BTS au bac+5, Formation sup.

4

12

5

10

Débutant accepté

22

4

18

7

Tous niveaux dexpérience hors débutant

11

21

9

21

Expérimenté

67

74

73

74

Contrat à durée indéterminée

61

81

56

82

Contrat à durée déterminée

39

19

44

18

Entreprise de moins de 50 salariés

53

35

33

20

99

De 50 à 499 salariés

16

15

16

16

500 salariés et plus

24

39

23

26

Intérim, cabinet de recrutement

13

24

23

30

Secteur dactivité Agriculture

1

-

-

-

Industrie

7

24

15

18

Construction

4

3

1

2

Commerce

24

17

12

17

Services

64

56

71

63

Total

Effectif

100

600

100

201

100

431

100

297

Source : bases de données offres demploi 2014 (fichier Exhaustif 801, fichier Langue 728).

Lecture : dans le fichier Exhaustif, la part des professions intermédiaires est de 15 % pour les annonces sans exigence de langue étrangère et de 10 % pour celles mentionnant au moins une langue étrangère. Toutes les statistiques présentées sont significatives (test de chi² au seuil de 1 %) à lexception des secteurs dactivité dans le fichier Langue.

III. Une prime liée aux langues étrangères ?

Il est possible de repérer dans la majorité des offres demploi la rémunération brute. Le salaire peut varier lors du recrutement en fonction du profil du candidat mais il révèle le montant minimal que lemployeur est prêt à payer en fonction des critères proposés dans lannonce.

III.1. Des offres souvent mieux rémunérées

Compte tenu des données manquantes sur les salaires10 (cf. encadré 1) et parfois le nombre de salariés dans les entreprises (cf. note 12), lanalyse 100portera sur 398 annonces du fichier Exhaustif et 380 annonces du fichier Langue pour des durées de travail de trente-cinq heures et plus (hors contrats en alternance ou à temps partiel11). La comparaison de ces offres renseignées avec les autres ne montre pas de différence significative quant aux variables concernant lexpérience des candidats, la mobilité géographique, le contrat de travail. Toutefois la différence principale vient du défaut de transparence des entreprises passant par lApec, qui se traduit par une présence moindre doffres de cadres, dentreprises de grande taille et de lindustrie pour les deux fichiers et, par davantage dentreprises du commerce pour le premier fichier. Cela « rééquilibre » en quelque sorte la structure des observations : par exemple, les offres de non-cadres représentent 64 % du fichier Exhaustif (au lieu de 48 % initialement) et 44 % du fichier Langue (au lieu de 35 %) et permet ainsi de mieux se rendre compte de limportance du critère linguistique dans la diversité des postes vacants.

En moyenne, le salaire mensuel brut proposé est de 2 397 € pour le fichier Exhaustif et de 2 606 € pour le fichier Langue avec des variations selon la catégorie socioprofessionnelle et lexigence dune langue étrangère (tableau 2).

Tab. 2 – Salaire moyen mensuel brut selon lemploi.

Fichier Exhaustif

Fichier Langue

Salaire

Écart-type

Observations

Salaire

Écart-type

Observations

Manœuvre

1 582 €

233

34

Ouvrier qualifié

1 670 €

183

39

1 778 €

271

3

Employé

1 769 €

610

111

1 890 €

486

77

Prof intermédiaire

2 182 €

585

71

2 274 €

596

86

Cadre, ingénieur

3 383 €

1 254

143

3 008 €

975

214

101

Ensemble

2 397 €

1 145

398

2 606 €

972

380

Sans langue étrangère

2 228 €

967

321

Au moins 1 langue

3 103 €

1 511

77

2 461 €

781

228

Au moins 2 langues

2 823 €

942

152

Source : bases de données offres demploi 2014 pour des durées de travail de 35 heures et plus (hors contrats en alternance), fichier Exhaustif (398 offres renseignées) & fichier Langue (380 offres renseignées).

Lecture : pour un poste de profession intermédiaire du fichier Exhaustif, le salaire brut mensuel offert est de 2 182 € (avec un écart-type de 585 et un intervalle de confiance à 95 %) et concerne 71 observations.

III.2. Une première analyse
toutes choses égales par ailleurs

Afin de mieux comprendre les déterminants salariaux, une analyse toutes choses égales par ailleurs a été réalisée. Il sagit, via la méthode des Moindres Carrés Ordinaires (MCO), didentifier conjointement lensemble des caractéristiques dune offre demploi qui font que le salaire proposé est plus élevé. Lintérêt est dessayer dobtenir un effet net de la langue, en tenant compte des différents critères de sélection comme le niveau de formation, la spécialité, lexpérience qui peuvent aussi influencer le niveau de rémunération proposée.

Dans ces premiers modèles descriptifs, les variables explicatives se décomposent en trois blocs : les caractéristiques concernant le profil du candidat (diplôme, spécialité de formation, expérience professionnelle), les informations sur le poste (profession, contrat de travail), les données sur lentreprise (nombre de salariés, secteur dactivité)12. À ces variables, sajoutent lexigence dune langue étrangère pour le fichier Exhaustif, et lexigence de deux langues étrangères au moins pour le second fichier ainsi que le type de langue étrangère mentionnée dans lannonce.

102

Les résultats sur les offres demploi du fichier Exhaustif montrent que le niveau de rémunération (tableau 3) est effectivement lié à des critères contenus dans les annonces (profession, expérience professionnelle), ainsi quaux contraintes du poste proposé (contrat de travail). Lavantage salarial lié à la pratique dune langue étrangère serait de 200 € par mois, significatif au seuil de 10 %. Sil est proche de celui lié à lexpérience professionnelle, il est en revanche inférieur au bonus salarial dun contrat stable. Mettre en avant les professions intermédiaires est intéressant à double titre même si derrière ce terme réunificateur se cache une diversité des métiers13. Leur position hiérarchique dans les entreprises se situe à la frontière entre les cadres et la direction dun côté, et les employés ou les ouvriers, de lautre, que ce soit dans le secteur des services ou dans lindustrie. De plus, ils représentent près de 20 % des annonces renseignées14 avec la possibilité dune présence ou absence de compétence linguistique. À caractéristiques équivalentes relevées dans les offres, un désavantage salarial apparaît en leur défaveur (de lordre de 1 000 €) par rapport aux postes de cadres. Il en est de même pour la rémunération des employés et des ouvriers avec un désavantage salarial plus élevé. La taille15 et le secteur de lentreprise sont assez peu significatifs. On observe cependant des salaires significativement plus élevés dans les entreprises de lindustrie et plus faibles dans les petites entreprises du commerce.

La régression peut être répétée sur le fichier Langue afin de connaître la plus-value salariale cette fois, de deux langues étrangères au moins. Latout dune double compétence linguistique, en plus du français, entraînerait une plus-value denviron 300 € par mois (colonne 2, tableau 3). Comparativement aux offres demplois qui mentionnent langlais, celles indiquant lallemand ou dautres langues16 (en dehors de lespagnol) sont en général associées à des salaires légèrement inférieurs. Aucune différence 103significative napparaît dans le choix de langlais ou de lespagnol. Le niveau de compétences (très bon, excellent, maîtrise de la langue) nest en revanche pas significatif. Cela peut sexpliquer par la forte hétérogénéité et limprécision des formulations17 (cf. encadré 3) ainsi que par labsence de demande de certification. De plus, la plupart des annonces ne renseignent pas sur le degré dexigence des employeurs et des compétences utiles pour le poste considéré. Il est probable que ce degré de connaissances soit examiné lors des prochaines étapes du recrutement et notamment lors dun entretien pour vérifier le niveau du candidat. À caractéristiques équivalentes recensées dans les offres, lavantage salarial subsiste pour les postes de cadre. Lexpérience professionnelle continue dêtre valorisée. Concernant les variables dentreprise, seule la publication de loffre par une agence dintérim ou un cabinet de recrutement a un effet positif. Ce résultat peut suggérer la présence dun créneau spécifique pour ces derniers concernant les offres linguistiques spécialisées, qui seraient associées à des rémunérations plus élevées.

Tab. 3 – Effet de la langue sur les rémunérations proposées dans les offres.

Fichier Exhaustif

Fichier Langue

Coeff.

Écart type

Sign.

Coeff.

Écart

Type

Sign.

Diplôme (réf. pas de diplôme du supérieur)

Diplôme du supérieur

27

140

Ns

-63

112

Ns

Spécialité du diplôme (réf. domaine de la production)

Domaine des services

63

98

Ns

47

86

Ns

Expérience professionnelle (réf. tous niveaux et débutant)

Salarié expérimenté

286

94

***

383

95

***

Poste à pourvoir (réf. autres postes)

Profession intermédiaire

-1103

136

***

-693

101

***

Employé

-1327

160

***

-980

112

***

Ouvrier

-1433

187

***

-751

451

*

104

Contrat de travail (réf. autres contrats)

Contrat à durée indéterminée

371

97

***

415

90

***

Secteur dactivité de lentreprise

(réf. Secteur de l industrie)

Secteur du commerce (moins de 50 sal.)

-308

172

*

-297

212

Ns

Secteur du commerce (plus de 50 sal.)

-244

193

Ns

13

219

Ns

Secteur des services (moins de 50 sal.)

-172

171

Ns

-126

141

Ns

Secteur des services (plus de 50 sal.)

-257

166

Ns

-151

144

Intérim, cabinet de recrutement (toute taille)

-69

146

Ns

228

137

*

Langue étrangère

Au moins une langue étrangère (réf. aucune)

209

115

*

Au moins deux langues étrangères (réf. une seule)

308

114

***

Langue mentionnée
(réf. Anglais)

Allemand

-211

109

*

Espagnol

-153

122

Ns

Autres langues

-230

122

*

Constante

2869

227

***

2472

192

***

R2

0.491

0.384

Nombre dobservations

398

380

Source : bases de données offres demploi 2014 (398 offres de salaire du fichier Exhaustif et 380 du fichier Langue, pour des durées de travail de 35 heures et plus, hors contrats en alternance).

Lecture : pour le fichier Exhaustif, la plus-value salariale liée à la présence dune langue étrangère est de 209 euros par rapport à une offre demploi sans critère de langue, toutes choses égales par ailleurs.

*** indique un effet statistique significatif au seuil de 1 %, ** de 5 %, * de 10 %.

105

III.3. Une analyse par la méthode des appariements

Lune des limites de lanalyse précédente concerne la difficulté de comparer des offres demploi pour des entreprises et des secteurs très différents. Outre la non-prise en compte de certaines variables (comme lancienneté de lentreprise qui peut investir depuis plus longtemps à létranger, le fait dêtre un établissement dun grand groupe international…), on ne peut exclure que les exigences en langues soient présentes dans certains secteurs ou des établissements qui ont des politiques de rémunérations plus élevées sans quil existe vraiment une causalité entre lexigence dune langue et le salaire proposé. Ce potentiel biais pourrait ainsi révéler un effet propre aux compétences linguistiques alors quil nen existe pas ou, au contraire, minimiser leur impact réel (Wood et al., 2008). De ce fait, nous proposons de recourir à la méthode par appariement (cf. encadré 2). Il sagit dassocier à chaque offre demploi exprimant un besoin en compétence linguistique (annonce dite « traitée ») une offre demploi présentant les mêmes caractéristiques mais ne mentionnant aucune compétence linguistique particulière (annonce dite « non-traitée » ou encore « de contrôle ») (Brodaty et al., 2007). Pour le fichier Exhaustif, on considère que le traitement concerne la mention dau moins une langue étrangère parmi les critères de recrutement. Pour le second fichier, il concernera la mention dau moins deux langues.

2. Méthode dappariement sur le score de propension

Lappariement est effectué sur la base du score de propension qui vise à réduire les biais quils soient de construction ou dexploitation. Ce score estime, pour chaque annonce, la probabilité conditionnelle de mentionner un besoin en compétence linguistique, étant donné les caractéristiques initiales de lemploi proposé. Ce score sappuie sur deux hypothèses fondamentales : lhypothèse dindépendance conditionnelle aux caractéristiques observables (Conditional Independance Assumption) et lhypothèse de la condition de support commun (common support ou overlap). Selon la première, la variable dintérêt doit être indépendante au fait dêtre traitée, contrôlée par les caractéristiques observables X de lemploi. En dautres termes, lappariement sur score de propension nest possible que si ces caractéristiques servant à calculer le score de propension prédisent bien la probabilité quune annonce soit traitée (avec langue étrangère). Or, afin de rendre compte de lhétérogénéité des offres demploi, il faut un nombre assez important de variables décrivant les 106emplois offerts. Mais comme il est dautant plus difficile de trouver deux offres demploi (avec ou sans compétence linguistique) similaires à mesure que le nombre de caractéristiques observables sélève, Rosenbaum et Rubin (1983) proposent de ramener le nombre de variables décrivant lemploi à une seule et unique variable. Constituant une synthèse de lensemble des caractéristiques observables, cette variable correspond précisément au score de propension. La seconde hypothèse, impose, quant à elle, que lon dispose pour chaque annonce traitée, dune annonce non-traitée dont le score est proche de celui de loffre demploi traitée (Brodaty et al., 2007).

Lappariement consiste dans un premier temps à estimer le score de propension. Pour cela, un modèle logit est utilisé puisque la variable de traitement sassimile au fait de mentionner ou non des compétences linguistiques parmi les critères de recrutement ou de mentionner une versus deux ou plus compétences linguistiques. Sur la base du score de propension, lappariement est ensuite effectué. Il est alors possible de déterminer leffet moyen du traitement dans les annonces traitées (ATT18), cest-à-dire lavantage en termes de rémunération sur les offres demploi appariées. Différentes méthodes destimation sont possibles. Pour notre part, trois dentre elles seront mobilisées19 : la méthode des plus proches voisins avec deux variantes (3 et 5 plus proches voisins) et la méthode des noyaux20. Le nombre dannonces retenues pour cette analyse est identique à celles mentionnées dans le tableau 3 (soit 398 et 380 observations).

Le modèle portant sur la probabilité quune annonce mentionne un critère de langue regroupe à la fois des variables de poste (diplôme et spécialité requis, profession et contrat de travail proposés) mais aussi des variables dentreprises (nombre de salariés, secteur dactivité). En effet, comme nous lavons vu précédemment, les entreprises dune certaine taille 107ou dun certain secteur ont une probabilité plus élevée dêtre tournées à linternational et, par conséquent, dexiger la maîtrise dau moins une langue pour leurs futures recrues. De même, certains établissements sont davantage ouverts aux marchés étrangers que dautres et sont donc susceptibles de mentionner un critère de langue dans leurs annonces. Outre des variables de contrôle propres à lemploi, il est donc apparu pertinent dintégrer ces caractéristiques dentreprises même si dautres variables, qui peuvent jouer à la fois sur lexigence dune langue et sur le salaire, ne sont pas prises en compte car elles ne sont pas explicitement présentes dans les annonces. Le rattachement à un groupe international, la coopération avec des entreprises ou des clients dautres pays et/ou la nécessité de faire des déplacements à létranger peuvent expliquer des salaires plus élevés.

Concernant les résultats du fichier Exhaustif, la présence dun critère de langue dans une annonce est significativement corrélée au type demploi et au niveau de qualification des emplois (tableau 4). Elle est également corrélée au secteur et à la taille de lentreprise puisque les coefficients sont significatifs et négatifs par rapport à lensemble de lindustrie où la référence à la langue est plus fréquente. La même estimation peut être faite sur le second fichier Langue pour différencier les annonces qui portent sur une seule langue ou plusieurs. Les résultats, non présentés ici, sont peu significatifs. Le nombre de langues est plus élevé lorsque lexpérience lest aussi et que le contrat de travail est à durée indéterminée. De même, les langues en dehors de langlais sont plus souvent demandées.

Tab. 4 – Probabilité quune offre du fichier Exhaustif indique une langue.

Coefficient

Écart type

Sign.

Diplôme (réf. pas de diplôme du supérieur)

Diplôme du supérieur

0,66

0,52

Ns

Spécialité du diplôme ( réf. services )

Domaine de la production

-0,40

0,30

Ns

Expérience professionnelle (réf. peu ou pas)

Salarié expérimenté

0,33

0,33

Ns

108

Contrat de travail ( réf. CDD )

Contrat à durée indéterminée

0,24

0,36

Ns

Poste à pourvoir ( réf. autres postes )

Profession intermédiaire

-1,14

0,43

***

Employé

-1,296

0,56

**

Ouvrier

-3,71

1,15

***

Secteur et taille de l entreprise recruteuse ( réf. Secteur de l industrie )

Secteur du commerce
(moins de 50 sal.)

-0,40

0,61

Ns

Secteur du commerce
(plus de 50 sal.)

-1,16

0,61

Ns

Secteur des services
(moins de 50 sal.)

-1,04

0,53

**

Secteur des services
(plus de 50 sal.)

-1,34

0,50

***

Intérim, cabinet de recrutement (toute taille)

-1,71

0,47

***

Constante

-0,20

0,75

Ns

Pseudo R2

0,19

Nombre d observations

398

Source : fichier Exhaustif 2014, 398 offres mentionnant un salaire mensuel pour un temps plein de 35 heures et plus, hors contrats aidés, hors secteur agricole.

Lecture : la probabilité de mentionner un critère de langue est moins forte lorsque lannonce concerne une entreprise de services, toutes choses égales par ailleurs.

*** indique un effet statistique significatif au seuil de 1 %, ** de 5 %, * de 10 %.

La deuxième étape de la méthode consiste à apparier les traités et les non-traités (Rosenbaum et Rubin, 1983). Après appariement, les différences en termes de caractéristiques des offres demploi deviennent non significatives.

Ensuite, lavantage de lestimation en fonction de chaque méthode dappariement a été testé (tableau 5). Un gain salarial lié aux langues 109est toujours observé, même si sa significativité est plus faible et incite à une certaine prudence pour le fichier Exhaustif. Les trois méthodes proposées conduisent à une élévation de cette prime par rapport à lestimation des MCO, bien quelle soit nettement inférieure à lestimateur naïf. La plus-value salariale associée aux offres demploi demandant des compétences linguistiques serait de plus de 400 € mensuel par la méthode des plus proches voisins et plus de 300 € par la méthode avec fonction noyau (Kernel) concernant les 390 offres comprises dans le support commun, avec néanmoins un seuil de significatif de 10 %. Autrement dit, pour des offres « comparables », le critère linguistique correspondrait à une exigence de lemployeur qui serait valorisée en termes de rémunération, même si la connaissance dune langue peut aussi être parallèlement un critère de sélection parmi une offre abondante de diplômés. Quant au fichier Langue, lavantage salarial dune deuxième langue étrangère serait entre 300 € et 400 € selon les méthodes de calcul (tableau 6).

Tab. 5 – Résultats de la méthode par appariement
(1 langue au moins versus aucune langue).

Fichier Exhaustif

Plus proches voisins avec remise (n=3)

Plus proches voisins avec remise (n=5)

Kernel

Ensemble des offres d’emploi

Estimateur naïf

875***

MCO

209*

ATT

461*

368*

343**

Effectif du support commun

398

398

398

Source : fichier Exhaustif, offres mentionnant un salaire mensuel pour un temps plein, hors contrats aidés, soit 398 offres comparables.

Note : lécart-type des estimations est obtenu par bootstrap (100 réplications).

Lecture : lavantage salarial dune langue étrangère est de 461 € via la méthode des plus proches voisins avec remise (n=3).

*** indique un effet statistique significatif au seuil de 1 %, ** de 5 %, * de 10 %.

110

Tab. 6 – Résultats de la méthode par appariement
(2 langues exigées au moins versus 1 seule).

Fichier Langue

Plus proches voisins avec remise (n=3)

Plus proches voisins avec remise (n=5)

Kernel

Ensemble des offres demploi

Estimateur naïf

362***

MCO

308***

ATT

370**

396***

404***

Effectif du support commun

377

377

377

Source : fichier Langue, offres mentionnant un salaire mensuel pour un temps plein, hors contrats aidés, soit 380 offres comparables dont 377 dans le support commun).

Note : lécart-type des estimations est obtenu par bootstrap (100 réplications).

Lecture : lavantage salarial dune deuxième langue étrangère est de 370 € via la méthode des plus proches voisins avec remise (n=3).

*** indique un effet statistique significatif au seuil de 1 %, ** de 5 %, * de 10 %.

Conclusion

Lenjeu de notre travail est didentifier les exigences en matière de compétences linguistiques mentionnées dans les offres demploi afin dappréhender la place des langues étrangères sur le recrutement en France. Plus particulièrement, il sagit de savoir si les critères linguistiques sont valorisés dans les annonces Internet déposées sur les sites de Pôle Emploi et de lApec. Selon Bergeat et Rémy (2017), la généralisation dInternet est susceptible daugmenter la transparence du marché du travail et de diminuer la diffusion des emplois via les réseaux personnels, constat effectué aussi par lApec : la part des cas où le recruteur mobilise uniquement son réseau de relations, les associations danciens élèves ou les cabinets de recrutement dans les recrutements de cadres est passée de plus de la moitié à moins de 10 % entre 1996 et 2013 dans les établissements de plus de cinquante salariés.

111

À partir des données utilisées, nos résultats paraissent indiquer une plus-value salariale liée à la présence de critères linguistiques dans les annonces. Ces résultats suggèrent au moins sur notre champ dobservation une certaine rentabilité des langues. Ce constat reste néanmoins dépendant des données utilisées. Dabord, loffre demploi ne correspond quà une première étape du processus de recrutement, il peut y avoir par la suite, une négociation salariale ajustée au profil du salarié et aux contraintes de lemployeur. Ensuite, les intermédiaires du placement comme les agences de Pôle Emploi et de lApec (Bessy et Larquier, 2010) ont traduit et uniformisé la plupart des annonces à diffuser sur Internet. Les canaux de recrutement ont généralement tendance à structurer les frontières du recrutement. Les offres demploi sur Internet concernent un segment du marché de lemploi où le recruteur cherche, dans un premier temps, par des critères explicites à exclure une partie des candidats à lembauche. On peut penser que le niveau de compétence linguistique soit dans un second temps, testé par des entretiens21. Il est aussi possible que les langues soient moins valorisées dans dautres canaux de recrutement ou quau contraire, la recherche de candidat maîtrisant certaines langues plus rares passe par dautres modes, des réseaux ou des relations avec des écoles. Enfin, les informations contenues dans les offres demploi ne permettent pas de savoir si dautres variables relatives à loffre demploi ou à lentreprise ne pourraient pas expliquer une rémunération plus élevée. On peut par exemple faire lhypothèse que certains emplois nécessitant une langue impliquent également des déplacements professionnels plus importants, dont la proposition de rémunération tiendrait compte. Dun point de vue méthodologique, des informations plus précises auraient pu permettre de tester lendogénéité de la langue par le biais dautres méthodes comme la méthode des variables instrumentales (Chiswick et Miller, 1995).

Nos résultats contribuent néanmoins à souligner limportance que peuvent avoir les langues étrangères sur le marché du travail. Les compétences linguistiques représentent un atout, notamment dans une période de chômage élevé, pour les futurs employés et employeurs, 112et semblent valorisées dans les rémunérations. Elles constituent donc plus quun simple critère supplémentaire de recrutement parmi une offre abondante de diplômés. En effet, nos résultats montrent que les employeurs sont prêts à payer lorsquils mentionnent ce critère dans les offres. Cette compétence linguistique est valorisée parce quelle joue aussi un rôle de signal pour lemployeur. De plus, on peut penser, que même en labsence de mention dans les offres demploi, la maîtrise de ces langues soit parfois exigée ou permette par la suite daccéder à des postes plus qualifiés. En effet, de nombreuses formations, notamment supérieures, intègrent la connaissance de langues étrangères dans leur cursus.

Les implications en termes de politiques éducatives sont évidentes dautant plus quelles doivent être mises en relation avec les fortes inégalités sociales qui structurent lapprentissage des langues (Nogueira et Aguiar, 2008). Les possibilités de mobilité durant les études, laccès à des cours privés de langues ou les stages étrangers restent très inégalitaires parmi les étudiants. Si la connaissance de plusieurs langues étrangères nest certainement pas un facteur suffisant pour sinsérer dans le monde du travail, on peut supposer que le critère linguistique risque dexclure de plus en plus de candidats. Si la certification nest pas exigée dans ces annonces, le fait de citer une ou plusieurs langues peut être une barrière pour inciter à une auto-sélection des candidats.

113

Annexe

3. Exemples dannonces

Chef de projet formation

CDD de 6 mois, Cadre du secteur privé, Expérimenté, Salaire à définir

Profil :

Issu(e) dune formation supérieure de type Bac +4/+5, type École Supérieure de Gestion, vous présentez au moins 3 ans dexpérience réussie dans les relations commerciales grands comptes dans le secteur de la formation ou du conseil aux entreprises.

Vous possédez une bonne maîtrise de lingénierie de formation, une bonne expérience de lanalyse des cahiers des charges et de la réponse aux appels doffre. Vous comprenez les fonctionnements dentreprises et leurs problématiques et mettez la satisfaction du client ainsi que le développement du chiffre daffaires au cœur de vos actions.

Un niveau danglais courant à lécrit et à loral est requis.

La maîtrise dune troisième langue européenne serait un plus.

Assistant/Assistante de communication

Vous êtes Assistant(e) Marketing Communication avec une expérience réussie dans un domaine comparable pour assurer progressivement auprès du dirigeant la prise en charge de lensemble des facettes de la communication multi-canaux au niveau international : 1) événementiel : salons …, 2) relations presse/publiques (obtention de rédactionnels), 3) print (brochures, catalogues) et PLV, 4) on-line (animation des réseaux sociaux, mise à jour des sites Internet …), 5) media (campagnes de communication), 6) quelques missions commerciales ou administratives ponctuellement. Bilingue anglais. Troisième langue (dont allemand) appréciée. Bonnes connaissances informatiques ; Photoshop, suite créative Adobe

Type de contrat : Contrat à durée indéterminée

Expérience : Expérience exigée de 2 An(s)

Formation : Niveau : Bac+3, Bac+4 ou équivalent Souhaité

Domaine : Commerce

Diplôme demandé : école de commerce/communication

Qualification : Employé qualifié

Langues : Anglais Courant Exigé, Allemand Très bon Souhaité

Salaire indicatif : Annuel de 20000 Euros à 25000 Euros

Durée hebdomadaire de travail : 39H Horaires normaux

Déplacements : Ponctuels International

114

Juriste

Titulaire dune formation en Droit (type Master II), vous justifiez dune première expérience ou dun ou plusieurs stage(s) significatif(s) au sein dun cabinet davocat, idéalement en droit des sociétés.

Qualités rédactionnelles, pragmatisme, polyvalence, capacité dadaptation, autonomie sont indispensables ainsi quune bonne aisance

Type de contrat / Contrat à durée indéterminée

Expérience : Débutant accepté

Formation : Niveau : Bac+3, Bac+4 ou équivalent Exigé Domaine : Droit

Langues : Chinois (Mandarin) Courant Exigé

Anglais Très bon Souhaité

Qualification : Employé qualifié

Salaire indicatif : Annuel de 25000.00 Euros à 28000.00 Euros

Durée hebdomadaire de travail : 35H Horaires normaux

Hôte/Hôtesse d accueil standardiste bilingue

Type de contrat : Contrat à durée indéterminée

Nature doffre : Contrat travail

Expérience : Expérience exigée de 6 Mois

Formation : Niveau : Bac ou équivalent Exigé Domaine : Secrétariat assistanat

Langues : Anglais Courant Exigé

Qualification : Employé non qualifié

Salaire indicatif : Horaire de 9.53 Euros à 9.54 Euros

Durée hebdomadaire de travail : temps partiel Horaires normaux

Taille de lentreprise : 100 à 199 salariés

Secteur dactivité : Autres activités de soutien aux entreprises

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1 Nous tenons à exprimer nos remerciements aux relecteurs de la revue pour leurs remarques et suggestions constructives. Nous remercions également Aline Branche-Seigeot pour sa contribution à cette étude des offres demploi et Mohamed Ali Elmi pour son implication dans la collecte des données.

2 Si lon se limite à langlais, la pratique et lutilisation de la langue va être très différente au sein des différents pays non-anglophones. Par exemple LEnglish Proficiency Index, un indice réalisé par une société privée sur un million dadultes à partir de tests standardisés, donne un éclairage sur le niveau de compétences en anglais dans le monde, en distinguant notamment 5 niveaux de maîtrise pour les pays non-anglophones. La France serait classée au 32e rang sur 82 pays non-anglophones testés et au 22e rang sur 27 en Europe, contrairement aux Pays-Bas et aux pays scandinaves qui dominent ce classement et se caractérisent par une très bonne maîtrise de la langue anglaise.

3 Lintérêt est ainsi de saffranchir au moins partiellement des différentes variables liées aux caractéristiques des individus, de leurs parcours individuels ou professionnels qui peuvent être étroitement corrélés à la pratique dune langue.

4 En effet, les annonces peuvent être publiées gratuitement ou sponsorisées, cest-à-dire payantes pour bénéficier dun emplacement privilégié en haut de page dans les résultats de recherche (cf. sites Indeed, Monster…).

5 La différence du nombre dannonces entre ces deux fichiers vient en partie du fait que les entreprises ou recruteurs ont posté nettement moins doffres durant ce mois de mai 2014, en lien avec les trois ponts (jours fériés tombant les jeudis) et les vacances scolaires. De plus, pour le second fichier, les annonces ont été recueillies jusquau 4 juillet 2014.

6 Cadres et professions intellectuelles supérieures (cadres, ingénieurs, professeurs, informaticiens…) référencés selon la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles de lINSEE. Dans la suite du texte, ces professions seront nommées cadres, ingénieurs. Le genre masculin est utilisé de façon générique à seule fin dalléger le texte, même si les annonces sont toutes déclinées au masculin et féminin.

7 Un intermédiaire intervient dans plus de la moitié des recrutements de 2016, les parts respectives des intermédiaires publics comme Pôle Emploi et des autres (écoles, cabinets de recrutement, intérim) étant proches (un peu plus du tiers) (Bergeat et Rémy, 2017).

8 Dans de nombreux cas, le niveau exact du diplôme du supérieur nest pas spécifié. Seulement 2 % des annonces formulent des exigences inférieures au niveau du baccalauréat (49 annonces (dont 1 de lApec) représentent 14 % des offres sur le site de Pôle Emploi).

9 À lexception de lagriculture qui porte sur 7 annonces du fichier Exhaustif.

10 36 % des annonces ne donnent aucune rémunération (cf. encadré 1). Les salaires peuvent être affichés soit en heure, mois, année, soit en tranche pour le tiers des offres. Cette variable a été calculée pour les annonces de 35 heures et plus, à partir du salaire mensuel moyen brut. Le salaire annuel moyen brut a été divisé par 12 pour avoir le salaire moyen mensuel brut. Un salaire moyen a été calculé pour les offres exprimées en tranche (à titre dillustration, un salaire exprimé « entre 25 000-28 000 € brut/an » a été transformé en un salaire annuel moyen de 26 500 €, puis divisé par 12 pour un salaire moyen mensuel de 2 208,33 €).

11 Les contrats aidés, notamment lapprentissage et contrats de professionnalisation, concernent 2 % des offres et les contrats à temps partiel près de 10 % quel que soit le fichier.

12 Une variable croisée secteur/taille a été créée de façon à identifier pour chaque secteur les différences de taille, sauf pour les agences dintérim et cabinets de recrutement où linformation nétait pas toujours présente. Quelques annonces ont dû être enlevées du fait des données manquantes sur les effectifs des entreprises. Au final, les modélisations ont été effectuées sur 398 annonces du fichier Exhaustif et 380 pour le fichier Langue.

13 Des administratifs, commerciaux, techniciens, contremaîtres, agents de maîtrise…

14 Selon les données nationales de lINSEE, le quart des salariés occupent un emploi de niveau intermédiaire dans les entreprises privées.

15 Les entreprises de moins de 50 salariés représentent près de la moitié des observations renseignées du fichier Exhaustif et le tiers du fichier Langue.

16 Pour des questions deffectifs, nous avons été contraints dagréger toutes les autres langues. Cependant, quelques estimations plus exploratoires (non présentées dans le texte car portant sur des effectifs faibles), ne semblent pas indiquer la présence deffets significatifs dune langue rare comme le chinois ou le mandarin. Leur nombre reste peu élevé (une dizaine pour la première langue).

17 Cf. encadré 1.

18 Average Treatment effect on the Treated.

19 Selon la littérature, il nexiste aucun consensus sur la meilleure technique à utiliser.

20 La méthode des plus proches voisins consiste à retenir pour chaque offre demploi traitée (avec exigence linguistique), plusieurs offres non-traitées (sans exigence linguistique) ayant un score de propension proche de celui de loffre traitée. Toutefois, cette méthode peut effectuer un mauvais appariement, notamment entre deux offres dont les scores de propension sont assez éloignés. Pour éviter ce problème, qui diminue la qualité de lappariement, une distance maximale entre les scores de propension sera imposée. La méthode par noyaux quant à elle, retient pour lappariement de chaque offre demploi traitée (avec exigence linguistique), toutes les offres demploi non-traitées (sans exigence linguistique), mais en les affectant dun poids inversement proportionnel à leur distance avec loffre demploi traitée.

21 En effet, 88 % des recrutements ont impliqué la réalisation dentretiens individuels (durant lesquels la capacité de sexprimer dans une langue étrangère peut être vérifiée rapidement) et 6 % des tests de langues étrangères selon lenquête OFER de 2016 (Bergeat et Rémy, op. cit.).