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Classiques Garnier

Moduler les cotisations d'assurance chômage ? Les revendications syndicales face à l'emploi discontinu

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Socio-économie du travail
    2018 – 1, n° 3
    . Discontinuités de l’emploi et indemnisation du chômage / Discontinuity in employment and unemployment insurance
  • Auteurs : Higelé (Jean-Pascal), Vivés (Claire)
  • Résumé : Depuis quinze ans, un veto patronal interdit toute augmentation du taux général de cotisation à l’assurance chômage. Dès lors, s’appuyant sur l’idée que la discontinuité de l’emploi engendrerait des dépenses d’indemnisation illégitimes, les organisations syndicales se sont reportées sur des revendications de modulation des taux en fonction du recours à l’emploi précaire. Cette revendication consensuelle dans le camp syndical cache toutefois des divergences de conception de l’assurance chômage.
  • Pages : 69 à 102
  • Revue : Socio-économie du travail
  • Thème CLIL : 3319 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités -- Travail, emploi et politiques sociales
  • EAN : 9782406082644
  • ISBN : 978-2-406-08264-4
  • ISSN : 2555-039X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08264-4.p.0069
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 10/07/2018
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Assurance chômage, relations professionnelles, paritarisme, emploi discontinu
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Moduler les cotisations
d
assurance chômage ?

Les revendications syndicales
face à lemploi discontinu

Jean-Pascal Higelé

GRÉE-2L2S

Université de Lorraine

Claire Vivés

CEET-Cnam, LISE

associée à lIDHES

Université Paris Ouest-Nanterre

Depuis les années 1990, les réformes menées dans lassurance chômage en France ont surtout concerné les prestations. On observe en revanche une grande stabilité concernant le financement du régime. La structure des taux (équilibre taux de cotisation employeur / taux de cotisation salarié) est restée identique et leur niveau na pas évolué depuis le début des années 2000. Par refus patronal de mettre cette question sur la table, le financement ne fait pas lobjet de négociation et cette absence se retrouve également dans les travaux scientifiques. Un élément fait cependant exception, aussi bien dans les propositions politiques que dans les travaux scientifiques : la modulation des contributions. Du point de vue scientifique, les travaux sont économétriques (Fougère et Margolis, 2000, Cahuc et Malherbet, 2001, Albertini, 2012, Cahuc et Prost, 2015) et sappuient sur lexpérience américaine de financement de lassurance chômage : lexperience rating. Ce système de bonus-malus consiste à moduler les contributions des employeurs en fonction des 70coûts générés pour lassurance chômage par leurs anciens salariés. Du point de vue des propositions politiques, depuis la fin des années 1980, des propositions de modulations des contributions au financement en fonction des comportements des entreprises en matière de recours à lemploi précaire ont émergé et, depuis le milieu des années 2000, se sont imposées dans le débat. Celles-ci reposent sur lidée que les entreprises usant de contrats courts généreraient des coûts importants pour lassurance chômage en faisant supporter à lensemble des entreprises les coûts de leur flexibilité. Elles avancent quil serait juste quelles supportent elles-mêmes ces dépenses sur le principe du pollueur-payeur.

Dans cet article, consacré exclusivement au financement du régime général de lUnedic1, nous resituons les débats sur la modulation des cotisations dans le contexte de lévolution sur le temps long du financement de lassurance chômage et de la construction de lemploi discontinu comme « problème » pour lassurance-chômage (1). Nous retraçons ensuite lhistorique de la revendication de modulation du taux de cotisation et de son inscription dans la réglementation de lassurance chômage (2). Enfin, nous montrons que le consensus syndical apparent sur la revendication cache des réserves et des différences entre organisations (3) qui ne sont pas sans incidence sur les enjeux pour lavenir de la revendication que nous abordons en conclusion.

1. Méthodologie

Cet article sappuie sur des entretiens semi-directifs réalisés avec des représentants des organisations syndicales CGT, CFDT, FO et CFTC ayant participé aux négociations de la convention 2014 (qui a suivi lANI de janvier 2013 introduisant une modulation des taux de cotisation). Faute daccord des organisations patronales, nous navons pu les interroger. Des entretiens ont été également menés auprès du cabinet du ministre du Travail en charge du dossier en 2014 ainsi quauprès de la Mission Indemnisation du Chômage de la DGEFP. Ces entretiens sont complétés avec une analyse de la presse syndicale. Enfin, notre texte se nourrit de plusieurs travaux antérieurs réalisés par les auteurs portant sur lassurance chômage qui ont notamment donné lieu à deux thèses (Higelé, 2004, Vivés, 2013).

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I. Contexte démergence des propositions
de modulation des cotisations

Pour comprendre à la fois lorigine et le contenu des revendications relatives à la modulation des contributions, nous abordons ici sur la longue durée la question du financement de lassurance chômage. Laugmentation du taux général de cotisation est écartée depuis plus de 15 ans du champ des négociations de lassurance chômage par le camp patronal2 au motif dun coût du travail qui serait déjà trop élevé. Dans ce contexte, les propositions de modulation du taux de cotisation ont pour but affiché daméliorer la situation financière du régime mise à mal par laugmentation du chômage et par la multiplication des contrats courts, tout en cherchant à contourner la réticence patronale.

I.1. Le régime dassurance chômage, un financement
par la cotisation sociale dont lévolution
sest déconnectée des besoins dindemnisation

La création dune institution paritaire pour indemniser les chômeurs à la fin des années 1950 consacre le chômage comme risque social (cf. encadré 2).

2. Repères sur lindemnisation du chômage en France

Lors de la création de la Sécurité sociale en 1945, le choix est fait décarter lintégration dune branche chômage. Lindemnisation reste du ressort des acteurs antérieurs (communes et syndicats). Dans le but daccompagner les reconversions de léconomie française, un débat sengage dès 1950 pour confier aux représentants des employeurs et des salariés la gestion dun revenu de remplacement financé par cotisations sociales. Cette réflexion débouche en 1958 sur la création de lUnedic, organisme dindemnisation du chômage (Daniel et Tuchszirer, 1999). Concernant la répartition des rôles entre lÉtat et lUnedic en matière dindemnisation, la répartition suivante prévaut depuis 1984 : un régime dassurance chômage (RAC) financé par cotisation, négocié entre partenaires sociaux, versant des prestations proportionnelles au salaire et dont la durée de prestation est conditionnée à la durée de cotisation dune part ; un régime de solidarité financé par lÉtat versant une prestation forfaitaire sous condition de ressource et dactivité préalable 72dautre part. Ce régime dual est complété en 1988 par le Revenu Minimum dInsertion (RMI) – Revenu de solidarité active (RSA) depuis 2009 – versé sous condition de ressources mais sans condition dactivité préalable, également financé par lÉtat. Dispositif de lutte contre la pauvreté le revenu minimum « se révèle jouer le rôle de troisième composante de lindemnisation du chômage » (Outin, 2008).

Linstitution dassurance chômage est paritaire : elle est administrée par un nombre identique de représentants des employeurs et des salariés. Ils mettent en œuvre des conventions issues de négociations interprofessionnelles qui ont lieu tous les deux ou trois ans. Laccord conclu détermine les caractéristiques des prestations et des cotisations. Pour être applicable, il doit être agréé par le ministère du Travail. On distingue deux corpus de règles définissant cotisations et prestations : le régime général qui définit le droit commun de lindemnisation et sapplique à la quasi-totalité des contrats de travail de droit privé (que lemployeur soit privé ou public) et les annexes qui sont des adaptations des règles dindemnisation à la particularité de certaines catégories de salariés dont ceux dont lactivité est discontinue comme les intérimaires (annexe 4) ou les intermittents (annexes 8 et 10).

Si lassurance chômage nest pas une branche de la Sécurité sociale, elle partage historiquement avec cette dernière son principe de financement : la mutualisation sopère à léchelle nationale à travers un taux de cotisation interprofessionnel unique. La seule entorse à ce principe date de la création en 2002 dun taux de cotisation spécifique pour les entreprises du spectacle3. Cette solidarité interprofessionnelle et nationale incarnée par un taux unique de cotisation mérite dêtre rappelée au moment où la modulation des taux fait débat. En effet, la proclamation du caractère social dun risque suppose certes de rompre avec la responsabilité individuelle dans sa protection (Hatzfeld, 1971 ; Ewald, 1986), ce qui conduira à la mise en place progressive de couvertures obligatoires de la fin du xixe siècle jusquaux années 1930. Mais il suppose également un financement de la réparation du risque à léchelle de la société. Cest ce que la Sécurité sociale consacre en 1946 : là où auparavant une multitude de caisses (assurances, mutuelles, caisses départementales) couvrait les 73risques avec des périmètres de collectes divers et relativement réduits (entreprises, branche, département), avec des taux et des assiettes de prélèvement également divers, la Sécurité sociale impose lunicité du taux de cotisation et une mutualisation à léchelle nationale et interprofessionnelle (Friot et Jackse, 2015 ; Friot, 2017). Certes, la couverture des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) échappe à cette logique dunicité du taux, ce dernier variant en fonction du secteur dactivité et de la sinistralité imputable à lentreprise (Jeantet et Thiebeauld, 2017). Cette volonté de moduler les contributions en fonction des efforts de prévention se développe dès le début du xxe siècle dans les assurances auxquelles souscrivaient les entreprises pour financer lobligation de réparation créée par la loi de 1898 sur les accidents du travail. En 1946, lassurance des accidents du travail et des maladies professionnelles prend la forme dune caisse unique intégrée à la Sécurité sociale, mais la variation du taux de cotisation est maintenue au nom dune spécificité de ce risque : « Le taux unique appliqué aux accidents du travail nest pas compatible avec laccident. Étant donné la diversité des risques de chaque entreprise, ce serait décourager tout effort de prévention4 ». Toutefois, cette exception du régime AT-MP confirme la règle du taux unique de cotisation à léchelle interprofessionnelle et nationale qui reste un principe au fondement de la Sécurité sociale après-guerre. Et lassurance chômage, tout en étant construite en dehors du régime général pour en contourner la gestion dominée par la CGT jusquà linstauration du paritarisme en 1967, lui emprunte nombre de principes de fonctionnement : financement par les cotisations sociales, taux unique, mutualisation nationale et interprofessionnelle, prestations proportionnelles au salaire.

Les gestionnaires de lassurance chômage disposent de trois variables pour en assurer léquilibre budgétaire : le niveau des contributions, de lendettement et de lindemnisation (montant et durée)5. Or, contrairement aux cinquante premières années du régime durant lesquelles, sans être la seule variable dajustement, le taux de cotisation évoluait en fonction des besoins de financement, ce nest plus le cas depuis 2003 (cf. figure 1).

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Fig. 1 – Taux de chômage (axe de gauche)
et taux général de cotisation d
assurance chômage (axe de droite)
du 1
er trimestre 1975 au 4e trimestre 2016 (en %).

Sources : Insee, Demandes demploi – séries longues ; IPP, Barèmes IPP : prélèvements sociaux

NB : nous ne faisons figurer que les évolutions du taux général de cotisation et non les surcotisations spécifiques des annexes et des contrats courts (depuis 2013).

De 19626 à 1982, le taux de cotisation passe de 0,25 % à 3,6 %. De novembre 1982 à avril 1984, la situation est un peu exceptionnelle, du fait de léchec des négociations de 1982 : à lépoque, lÉtat maintient le régime (décret du 4 novembre 1982) et choisit à cette occasion de remonter à 4,8 % puis à 5,8 % le taux de cotisation pour faire face aux dépenses. À lissue des négociations de 1984, qui actent la séparation dun régime dassurance et dun régime dassistance ainsi que des conditions dindemnisation plus restrictives7, le taux de cotisation patronale baisse à 4 %. Toutefois la progression du taux reprend, et entre 1984 et 1997, il passe de 4 % à 6,6 %. Par la suite, après une baisse en 2001 qui 75accompagne la baisse du taux de chômage, outre deux ajustements minimes temporaires en 2006 (+0,08 %) en contrepartie dun durcissement des conditions douverture des droits8 et depuis octobre 2017 (+0,05 %)9, aucune augmentation de cotisations nest intervenue malgré laccroissement du chômage suite à la crise financière de 2008. Le patronat invoque la « nécessaire maitrise du coût du travail » pour exclure des négociations toute augmentation10 du taux général de cotisation : « nous avons dans notre pays un coin social terrifiant (…) on ne peut pas se permettre daugmenter le coût du travail (…) lidée daugmenter les cotisations, cela revient à augmenter le coût du travail, donc ce nest pas bon pour lemploi dans notre pays, ce nest pas bon pour lutter contre le chômage » (négociateur du MEDEF, janvier 2007). Et de fait, les taux (hors mesures temporaires) sont restés stables depuis près de 15 ans sétablissant à 6,4 % (4 % employeurs et 2,4 % salariés). On notera que cette stabilité vaut aussi lorsque le chômage baisse de fin 2006 à début 2008, conduisant à des soldes financiers largement positifs en 2007 (+3,5 milliards €) et 2008 (+4,6 milliards €). Le choix des partenaires sociaux a été alors de consacrer les excédents à la réduction de la dette du régime, celle-ci passant de 13,1 à 5 milliards deuros entre début 2007 et fin 2008 (Coquet, 2016). Le patronat obtint toutefois dans laccord dassurance chômage du 23 décembre 2008 (art. 7) que le taux de cotisation soit lié à la baisse à la situation financière du régime. Cet article ne produisit au final aucun effet en raison de laugmentation du chômage à partir de la crise de 2008. La fixation du taux général de cotisation est donc déconnectée des évolutions du chômage et par conséquent des besoins dindemnisation (cf. figure 1) et la décision gouvernementale de supprimer les cotisations salariés à lassurance chômage au 1er janvier 2018 et de les substituer par de la CSG ne risque pas dinfléchir cette tendance.

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Dans ce contexte de stagnation du taux de cotisation depuis 2003, les recettes ne permettent pas de faire face aux besoins financiers résultant de la forte augmentation du chômage depuis 2008 et donc des dépenses dindemnisation. Les gestionnaires du régime vont donc mobiliser les deux autres variables dajustement budgétaire du régime : lendettement et le niveau des prestations. Cest ainsi que depuis 2008 le régime dassurance chômage a connu un endettement important (près de 34 milliards en déficit cumulé fin 2017, à comparer aux recettes annuelles denviron 35 milliards deuros en 2016). Il convient toutefois de relativiser le poids de cette dette et donc des dépenses dassurance chômage. Dune part, celles-ci ne représentent ces dernières années quenviron 5,5 % des dépenses de protection sociale. Dautre part, la couverture du risque chômage présente une spécificité dans son équilibre budgétaire que lon nomme couramment « effet ciseau » : lorsque le chômage augmente, les recettes baissent et les dépenses augmentent et inversement (cf. figure 2). Une reprise de lemploi peut donc conduire à une diminution rapide de la dette.

Fig. 2 – Situation financière de lAssurance chômage (1990-2014)
et « effet ciseau ».

Source : Unedic et Insee, situation au 31 décembre de chaque année. Publié in Richard (2016)

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Outre le recours massif à lendettement, différentes modalités de réduction des prestations ont été utilisées depuis les années 1980 pour équilibrer le budget. Dune part, la durée et le montant des prestations ont été réduits à travers des mesures de dégressivité du montant des allocations dans le temps durant la décennie 1990. Dautre part, la création de filières dindemnisation en 198211 a eu pour effet des raccourcissements de la durée des droits des chômeurs notamment ceux ayant des durées daffiliation courte dont le plafond de durée des droits a été largement abaissé (Daniel, 1998). Or, les signataires ont choisi de progressivement durcir le lien entre durée de cotisation et durée de prestation (Cornilleau et Elbaum, 2009 ; Higelé, 2009b). Dans le contexte de la crise de 2008 qui voit exploser le chômage de longue durée12, ce rapprochement des durées daffiliation et de prestation13 sest traduit par une diminution des taux de couverture (cf. figure 3).

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Fig. 3 – Part des chômeurs indemnisés par le régime dassurance chômage
(y compris Formation) parmi les DEFM (cat. ABC) (données CVS)
de janvier 2006 à août 2016.

Source : Données mensuelles allocataires Pôle emploi – DEFM séries longues Pôle emploi

Les pratiques dindemnisation nont donc pas été ajustées aux besoins de couverture du risque social tel quil évolue depuis quinze ans, et notamment depuis la crise de 2008, mais au contraire ont été faites pour limiter la croissance des dépenses du régime. Depuis 2003, les gestionnaires de lUnedic ont clairement choisi déquilibrer le budget en privilégiant lendettement et la non-couverture du risque. On assiste ainsi à une déconnexion entre évolution des recettes et évolution des besoins.

I.2. Dégradation de la situation financière
de lassurance chômage : la construction
du problème de lemploi discontinu

À la montée du chômage est venue sajouter à partir des années 1980 laugmentation de lemploi en CDD et en intérim susceptible daccroître, si les règles dindemnisation restaient inchangées, les dépenses en multipliant les passages par le chômage indemnisé.

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Fig. 4 – Part des salariés en contrats temporaires de 1982 à 2012
(moyennes annuelles en % de lemploi salarié).

Source : Insee-Enquête emploi

Ces dernières années, le débat public sest focalisé sur le coût des contrats courts pour lassurance chômage. En mettant en lumière les soldes par type de contrat, la Cour des comptes et lUnedic cherchent à montrer que les CDD, lintérim ou lintermittence coûtent plus quils ne rapportent et ne doivent leur salut quà leffort de cotisation des salariés en CDI et de leurs employeurs (cf. tableau 1).

En milliers deuros

2008

2009

2010

2011

Régime général : solde CDI (1)

14 403

13 029

11 490

12 522

Régime général : solde CDD (2)

-4 529

-5 738

-5 959

-5 592

Annexes 8 et 10 : solde intermittents du spectacle (3)

-1 022

-1 054

-1 031

-1 011

Annexe 4 : solde intérimaires (4)

-1 276

-2 281

-1 676

-1 464

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Solde global des cotisations et des allocations (a)=(1)+(2)+(3)+(4)

7 846

3 956

2 824

4 455

Autres recettes et dépenses du RAC (b)

-3 248

-5 128

-5 794

-6 019

Déficit du RAC (depuis 2009) (c)=(a)+(b)

4 598

-1 172

-2 970

-1 564

Tab. 1 – Évolution du déficit du régime dassurance chômage depuis 2009 avec décomposition du solde des contributions et des allocations par nature de contrat.

Source : Cour des comptes (2013) – Unedic (fichier national des allocataires).

Note méthodologique : les quatre premières lignes (1), (2), (3) et (4) du tableau font apparaître, par convention, le solde entre les cotisations pouvant être rattachées aux principaux types de contrat (CDI, CDD, contrat dintermittent du spectacle ou contrat dintérim) et les allocations de retour à lemploi perçues par les demandeurs demploi dont les droits ont été ouverts au titre de ces différents types de contrat.

À lopposé dune approche en termes de solidarité interprofessionnelle14, les comptes de lassurance chômage sont présentés sous forme de déficits des uns et excédents des autres. Or, de même que la branche maladie ne peut être équilibrée que si les bien-portants paient pour les malades, léquilibre budgétaire de lassurance chômage ne peut reposer que sur un financement des chômeurs par les salariés et donc notamment ceux en emploi durable. Le découpage en diverses catégories de la population relevant du régime (ce peut être le statut du contrat de travail ou sa durée, mais ce pourrait être le secteur dactivité ou lâge) contribue à construire le problème de lemploi discontinu sous un angle consistant à légitimer des amendements au principe de solidarité interprofessionnelle.

La stigmatisation des contrats courts semble dautant plus surprenante que lassurance chômage na cessé daccompagner leur développement à travers le dispositif dactivité réduite, dispositif dindemnisation qui autorise et encadre le cumul dune fraction des revenus dallocation chômage avec des revenus dune activité professionnelle (Vivés, 2018). Le 81nombre dallocataires en activité réduite est passé de 469 000 en 1995 à 1,6 million en juin 2016 et parmi eux, les allocataires indemnisés sont passés de 260 000 à 767 000 (sources : Unedic, 2013 et 2017), accompagnant sur la même période la croissance du nombre de chômeurs en catégorie B et C, passé de 620 900 en janvier 1996 à 1 919 900 en juin 2016 (source : Pôle emploi-DARES, STMT).

Bien que depuis une quinzaine dannées la part des contrats de très courte durée augmente (+161 % entre 2000 et 2016 du nombre de CDD de moins dun mois – cf. figure 7), sur la même période la part des CDD et de lintérim dans lemploi se stabilise et la part des fins de CDD et de missions dintérim décline dans les motifs dinscription au chômage. Ces deux dernières caractéristiques confèrent un caractère paradoxal à la focalisation du débat sur les contrats courts.

Fig. 5 – Motifs dinscription sur la liste des demandeurs demploi
(France métropole) de janvier 1996 à janvier 2016.

Source : Pôle emploi – séries longues ; étiquettes de données pour les fins de contrat et fins de missions dintérim.

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On pourrait relativiser ces données sur le poids des contrats courts dans les motifs dinscription au chômage en arguant que des biais de comptage peuvent en être lorigine. Les causes dinscription au chômage ne peuvent en effet pas rendre compte de la progression du recours au CDD des personnes durant leur inscription au chômage via le dispositif de lactivité réduite dont on a vu la forte progression ces vingt dernières années. Pour autant, une dernière donnée intéressant directement le régime dindemnisation du chômage converge avec les éléments statistiques sur le poids des contrats courts dans lemploi et dans les causes dentrée au chômage : celle concernant les dépenses dindemnisation afférentes aux fins de CDD et de missions dintérim. De fait, la part des fins de contrats atypiques dans les dépenses dassurance chômage est stable entre 1996 et 2015 (fig.6). On peut à nouveau imaginer des biais de comptage ou faire lhypothèse quune diminution du taux de couverture ou des niveaux individuels dindemnisation des « fins de CDD » peut participer de lexplication de cette stabilité. Mais lensemble de ces éléments inviteraient tout de même à une certaine prudence et à ne pas focaliser le débat du financement de lassurance-chômage sur la question des contrats courts.

Fig. 6 – Structure des dépenses de lassurance chômage
par motif de fin de contrat de travail, en %, de 1996 à 2015.

Source : UNEDIC, 2016, p. 8.

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Au final, la construction du problème du financement de lassurance chômage désigne donc la discontinuité de lemploi comme un surcoût, alors quon pourrait considérer que les contrats courts, y compris lorsquils donnent lieu à indemnisation dans le cadre de lactivité réduite, permettent à lassurance chômage de réaliser des économies dans la mesure où ils se substituent à du chômage total (prestations moindres) et génèrent des cotisations.

Ainsi, au nom de la limitation du coût du travail, la position patronale qui exclut toute augmentation du taux général de cotisation du champ du négociable simpose depuis près de quinze ans. La caractérisation du problème du déficit de lassurance, plutôt que dinterroger la déconnexion entre taux de cotisations et besoins de couverture, va se focaliser sur la nature et les durées des contrats de travail. La réponse syndicale sera de proposer une modulation des cotisations en fonction du type ou de la durée des contrats, et ce donc en rupture avec une des caractéristiques fondamentales de la protection sociale construite après-guerre en France : le financement par une cotisation interprofessionnelle à taux unique.

II. La modulation, une revendication ancienne devenue centrale dans les débats sur lassurance chômage

Alors quun problème public sest constitué autour de lidée que les contrats courts dégraderaient la situation financière de lassurance chômage, nous étudions ici les différentes revendications de modulation des cotisations portées par les organisations syndicales. Les modalités envisagées pour la modulation ont varié selon les organisations et les périodes. Actant le refus patronal daugmenter le taux de cotisation interprofessionnel, les syndicats concentrent leurs revendications en matière de recettes sur la modulation des cotisations, quitte – pour certaines organisations – à réduire le taux de cotisation sur les emplois durables. Lopposition patronale à la modulation repose sur le refus de voir discutées ses décisions en matière de recours aux différents types de contrat. Les organisations syndicales trouvent finalement un appui de la part de lÉtat qui permet à la revendication daboutir en 2013 84dans le cadre dun accord national interprofessionnel plus général sur le marché du travail, avant dêtre remise en cause en 2017 puis rediscutées en vue dune éventuelle réintroduction en 2018.

II.1. La revendication syndicale avant 2005

Les revendications de modulation des cotisations au nom de lemploi et de la lutte contre la précarité ne sont pas récentes. En 1985 déjà, la CFDT proposait les « deux mesures incitatives suivantes : modulation du taux de cotisation pour les entreprises qui acceptent la réduction du temps de travail avec maintien ou amélioration de lemploi ; cotisation supplémentaire des entreprises et des salaires sur les heures supplémentaires » (CFDT, 1985). Cette revendication sinscrit alors dans la refondation de la CFDT engagée à la fin des années 1970 dite « resyndicalisation » et qui va sincarner en particulier dans la préoccupation de lemploi et des politiques dactivation quelle va soutenir à partir du milieu des années 1980, notamment à lUnedic (Higelé, 2004). En 1989, au cours de son Congrès, FO propose également dinstaurer une « contribution financière complémentaire pénalisante pour les employeurs recourant à des emplois temporaires dits précaires » (FO, 1989a). À cet égard elle revendique, sans y parvenir, une adaptation des contributions (FO, 1989b) pendant la négociation de la convention Unedic signée en 1990. Lors des négociations Unedic de 1993, la CFDT, FO et la CGT avancent lidée dune surcotisation sur les heures supplémentaires et les contrats précaires mais ne parviennent pas à en faire un objet de négociation. Durant la négociation de lannée 2000, la CGT poursuit la revendication en la faisant porter sur une modulation de « lassiette de cotisations sociales [en vue dy] intégrer les résultats économiques dégagés, tels les profits financiers ». La CGT recommande également l« instauration dune sur-contribution pour les entreprises usant et abusant demplois précaires, dintérim, de CDD, dheures supplémentaires » (CGT, 2000). Signe de limpossibilité des organisations syndicales à faire porter les discussions sur les pratiques demployeurs plutôt que sur les comportements des demandeurs demploi, ces revendications nont jamais été discutées et cette négociation a tourné exclusivement autour de la mise en œuvre de lactivation par un suivi généralisé de la recherche demploi des chômeurs indemnisés avec la mise en œuvre du Plan daide au retour à lemploi 85(PARE) par la convention de 2001. Il faut attendre 2005 pour que la revendication sinstalle dans le paysage de ce qui paraît négociable et gagnable pour les organisations syndicales.

II.2. La revendication syndicale après 2005

Dans le contexte budgétaire plus tendu de la négociation Unedic de 200515, la revendication de modulation des cotisations resurgit et prend une dimension nouvelle car posée comme revendication centrale en particulier dans la médiatisation qui en est faite sous limpulsion de FO puis de la CGT. Dans lhistoire déjà longue de cette revendication restée toujours marginale, cette négociation est le moment où lidée de moduler les taux de cotisation sinstalle comme un objet réel de négociation. Le credo développé par FO lors de ces négociations consiste « pour apurer les comptes du régime dassurance chômage, [à] instaurer une “surcotisation” à la charge de lemployeur sur les contrats précaires » (FO, 2005). De son côté, la CGT propose une majoration de ces mêmes cotisations employeurs : « passer dun taux unique de 4 % à 13 % pour les intérimaires et les contrats “nouvelle embauche”, 9 % pour les autres contrats précaires dont les CDD ». Outre leffet dissuasif sur le recours à la précarité, lorganisation en attend une ressource supplémentaire pour lUnedic denviron 4,5 milliards deuros. La CFDT se saisit également de cette question. Les entreprises « qui abusent des CDD mettent en difficulté lUnedic car lindemnisation est bien supérieure aux cotisations quelles paient16 ». Elle propose notamment « daugmenter la prime de précarité17 des CDD » (CFDT, 2005) et den verser le surplus à lUnedic. Contrairement à la surcotisation, cette surtaxation de fin de CDD se veut davantage un mode de financement par ceux qui contribuent à lentrée de salariés dans le régime, quun découragement au CDD. À la CFDT, le CDD est perçu comme « un emploi quand même » pouvant déboucher sur un CDI (auquel cas la prime de précarité nest pas due). Cette position est encore celle défendue aujourdhui (cf. infra).

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Depuis lors, la question dune contribution spécifique des employeurs usant demplois précaires resurgit sous diverses formes lors de chaque négociation. En 2008, la CGT réitère la revendication sans véritable changement à lexception du temps partiel pour lequel la confédération propose également une surcotisation :

Pour financer les nouveaux droits des salariés précaires et dissuader les entreprises qui usent et abusent de ce type de contrats qui alimentent le réservoir des « travailleurs pauvres », la CGT propose de majorer les cotisations employeurs qui seront fixées à 13 % pour les contrats dintérim, 9 % pour les autres dont les CDD et 6 % pour les contrats à temps partiel lorsque ceux-ci concernent plus de la moitié de leffectif de lentreprise. Ces pourcentages ne doivent rien au hasard, ils correspondent à un ratio dépenses dindemnisation/recettes des cotisations calculé par lUnedic et permettent donc une plus juste prise en charge du coût du chômage des salariés précaires par les employeurs (CGT, 2008).

La revendication de modulation des cotisations est désormais centrale dans lensemble des propositions avancées par la CGT lors des négociations en tant que source de financements supplémentaires et outil pour faire payer les « mauvais employeurs ». Comme en 2008, en 2011, la CGT défend la modulation au nom du fait que les contrats précaires « représentent environ 12 % de lemploi total, mais 50 % des dépenses de lUnedic. Les employeurs doivent financer le juste coût de la précarité quils font supporter au régime dassurance chômage » (communiqué de la CGT, 27 janvier 2011). Il y a ainsi une appropriation syndicale de la désignation du lien entre croissance de lemploi discontinu et augmentation des dépenses pour le régime et de la nécessité de « faire payer les mauvais employeurs ».

Mais à la revendication syndicale unanime de modulation des cotisations – qui peut prendre des modalités différentes – le patronat oppose dans les négociations Unedic un refus systématique. Pour le MEDEF, « surtaxer les contrats courts, alors que ces derniers correspondent dune part à un besoin de flexibilité du marché du travail, et dautre part à une attente de certains salariés, serait absurde et reviendrait à pénaliser des entreprises qui nont pas le choix » (communiqué du MEDEF, 29 septembre 2016). Les surcotisations mises effectivement en œuvre dans lassurance-chômage – quil sagisse de celles liées aux annexes 8 et 10 ou, comme nous allons le voir, dans le cadre dun accord national interprofessionnel en 2013 en contrepartie dune flexibilisation du licenciement et de la durée du travail – sont toujours des concessions patronales obtenues dans des 87contextes spécifiques. Cette contestation patronale de la modulation des taux est cohérente avec le refus continu daugmenter les cotisations dassurance chômage : « le coût du travail est trop élevé en France, tout le monde le reconnaît et cela crée du chômage. Dans ces conditions il est absurde dimaginer une solution visant à taxer le travail » (communiqué du MEDEF, 16 juin 2016). Mais le refus patronal daccéder à la revendication des organisations syndicales sinscrit aussi dans un contexte de conflit interne au patronat sur limplication dans le paritarisme même, qui interdit en somme un aggiornamento patronal sur le sujet18.

II.3. Les dispositions de la modulation inscrites
dans laccord national interprofessionnel de 2013

La première modulation du taux de cotisation pour le régime général de lassurance chômage a été introduite dans lANI de 2013 sur la sécurisation de lemploi19. Alors que le taux normal de la cotisation patronale est à 4 %, lANI instaure :

pour les CDD de un mois ou moins : une surcotisation de trois points (total 7 %) ;

pour les CDD de un à trois mois : une surcotisation de 1,5 point (5,5 %) ;

pour les CDD dusage20 : une surcotisation de 0,5 point (4,5%).

Il prévoit de nombreuses dérogations dont le secteur de lintérim qui échappe intégralement à la surcotisation. Ces dispositions sont ensuite reprises par un avenant à la convention dassurance chômage pour une entrée en vigueur au 1er juillet 2013 puis inscrites dans la convention de 2014.

De lavis des acteurs gouvernementaux comme syndicaux, lintervention de lexécutif a été forte pour faire inscrire ce point dans lANI. Pour un membre du cabinet du ministère du Travail au moment de la négociation :

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Cétait clairement un sujet qui était pour nous un incontournable là-dessus. Cest un sujet de crispation majeure côté patronal, cétait un sujet de fin de négociation sécurisation de lemploi, logiquement, puisquils lavaient réservé, ne voulant pas du tout avancer là-dessus. Et cest un des sujets quils ont lâché dans la dernière phase, avec des taux faibles, et personne ne la jamais nié (…). Avec néanmoins le sentiment de… quelque part de mettre un pied dans la porte et ouvrir un principe. (…) on a quand même fait beaucoup, ça a été dur de lobtenir à ce moment-là (entretien en juin 2015).

La modulation est donc une concession patronale qui permet de justifier la signature de certaines organisations syndicales. Elle est une des composantes de la « sécurisation » qui viendrait contrebalancer les dispositions relatives à la flexibilisation (accords de maintien dans lemploi, assouplissement des règles dencadrement des licenciements notamment économiques, etc.). Lintervention de lÉtat pour faire inscrire la modulation dans les règles de lassurance chômage corrobore la thèse selon laquelle dans cette institution paritaire, le fonctionnement sapparente à un tripartisme (Higelé, 2012).

Bien quil nexiste pas dévaluation empirique permettant de mesurer les effets de la modulation, lévolution du nombre de CDD ne révèle pas de rupture liée à son entrée en vigueur.

Fig. 7 – Évolution du nombre dembauches en CDI et en CDD
selon leur durée du 1
er janvier 2000 au 1er janvier 2017.

Source : ACOSS, Déclarations préalables à lembauche

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Les recettes supplémentaires issues de la surcotisation sont évaluées en 2014 à 70 millions deuros sur un total de recettes annuelles supérieur à 33 milliards deuros. LUnedic reconnaît que les effets de désincitation sont « faibles voire nuls » (UNEDIC, 2014, p. 103). À ce stade, le double objectif affiché de financer le régime dassurance chômage et de désinciter à lemploi précaire est aujourdhui loin dêtre atteint. Mais, pour la CFDT, « le sujet, il est pas tellement financier. Le sujet, il est politique, et il est de mettre un coin dans la modulation des cotisations [avec des attentes vis-à-vis des négociations à venir] : on va commencer à réfléchir à notre mandat 2016, mais cest un sujet sur lequel on va sinterroger, cest clair ! » (négociatrice CFDT, mars 2015).

Il apparaît donc que lorsque la modulation parvient à simposer dans les négociations puis dans les textes, cest avec lappui de lÉtat et à des taux trop faibles pour que la modulation permette daugmenter significativement les recettes pour lUnedic.

II.4. Les propositions récentes de modulation

Les débats sur la modulation se sont poursuivis en 2016 dans deux cadres : la négociation dune nouvelle convention Unedic et la discussion de la loi « El Khomri21 ». La seconde est venue percuter la première puisque le patronat menaçait de suspendre la négociation dassurance chômage sil nobtenait pas gain de cause dans les arbitrages gouvernementaux sur la « loi El Khomri ». Des interférences ont également eu lieu suite à lannonce le 11 avril 2016 par le Premier ministre Manuel Valls dun projet damendement à la loi qui envisageait de « rendre obligatoire la modulation de cotisations à lassurance chômage sur les contrats courts » dans le but « que le CDI redevienne la norme, quil ny ait plus de raisons de recruter en CDD » selon lentourage du Premier ministre de lépoque. La modulation des taux de cotisation selon la durée du contrat deviendrait donc une obligation légale sachant que « le niveau précis et les modalités de cette modulation seront établis par les partenaires sociaux lors de leur négociation sur lassurance chômage22 ». 90Au final, le gouvernement a renoncé à cet amendement et la modulation nest pas mentionnée dans la loi « Travail » de 2016.

Concernant la renégociation de la convention dassurance chômage elle-même, après huit séances, les négociations se sont interrompues en juin 2016 sans accord signé et le gouvernement a prorogé la convention de 2014. Selon lensemble des parties prenantes – État compris – les négociations ont achoppé sur la modulation des cotisations. Les organisations syndicales – jugeant que les modulations introduites via lANI étaient insuffisantes – portaient différentes propositions de modulation. Elles se sont heurtées au refus obstiné du patronat de toute hausse des surcotisations sur les contrats courts.

Les organisations syndicales ont défendu trois systèmes de modulation différents (repris lors des négociations 2017). Chacun repose sur un modèle dincitation et des conceptions de lassurance chômage distinctes.

Une hausse des majorations pour rendre plus dissuasif le recours aux contrats courts (CGT). La CGT revendique des taux de cotisation de 8,4 % pour les contrats de 2 à 6 mois, 10,4 % pour ceux de 1 à 2 mois, 12,4 % pour ceux de moins dun mois, hors CDD de remplacement, et dappliquer des cotisations équivalentes à celles du temps plein sur les emplois à temps partiel. Cette proposition repose sur lidée que ce serait le CDD lui-même quil faudrait désinciter. La CGT juge les dispositions inscrites dans lANI de 2013 insuffisantes, et propose donc de réduire fortement les dérogations et daugmenter les surcotisations. Cest la seule confédération dont les propositions ne conduisent, dans aucun cas de figure, à une baisse du taux de cotisation.

Un système de bonus-malus en fonction de la proportion demplois précaires dans lentreprise (FO et CFE-CGC). Les partenaires sociaux seraient chargés de fixer un taux de contrats précaires admis qui varie selon la taille de lentreprise. Si une entreprise dépasse ce taux, son taux de cotisation augmente, si elle est en dessous elle bénéficie dune baisse du taux, dans une limite allant de 5 % pour le taux plancher à 10 % pour le taux maximal. Le taux minimal conduirait donc à une baisse de cotisation pour certains employeurs. Cette proposition repose sur lidée quil faut désinciter à labus de CDD.

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La dégressivité dans le temps des cotisations selon la durée demploi (CFDT et CFTC). Cette proposition repose sur un principe de taxation en fonction de la durée du contrat et non de sa nature. Elle conduirait à diminuer les taux de cotisation pour les contrats de plus de 18 mois par rapport aux taux actuels.

Fig. 8 – Taux de cotisation en fonction de lancienneté dans lemploi (mois) : proposition de la CFDT.

La proposition de modulation sest donc peu à peu imposée dans le paysage des négociations dassurance chômage, faisant un détour par un ANI plus général pour faire céder ponctuellement le patronat, avec lappui de lÉtat. Lidée de modulation des taux de cotisations en fonction des pratiques demploi qui simpose à la fin des années 2000 semble faire consensus du côté syndical, ce qui na toutefois pas empêché laccord du 28 mars 201723. Ce consensus doit être décrypté en analysant les projets des différentes organisations.

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III. Revendication de modulation des taux :
un consensus syndical ?

Derrière le consensus sur le principe de modulation des cotisations, des divergences perdurent sur les modalités. Létude des propositions telles que formulées lors des négociations 2016 permet didentifier les conceptions syndicales différenciées du rôle de lassurance chômage.

III.1. Un double constat commun
aux revendications de modulation

En dépit de différences entre leurs propositions de modulation des cotisations, les organisations syndicales convergent sur le fait que cette revendication prend son origine dans limpossibilité de négocier une augmentation générale du taux de cotisation et dans la nécessité de ne pas limiter la régulation des comportements des employeurs à des mécanismes incitatifs.

Des plateformes revendicatives aux sujets réellement négociés, il y a toujours des différences, des hiérarchies entre les revendications, il y a ce qui est négociable ou non. La stabilité de long terme du taux de cotisation dans un contexte de niveau de chômage et déquilibre financier du régime très mouvants, révèle que le taux de cotisation (du régime général) est sorti du champ du négociable. Lors de la négociation Unedic de 2014, un négociateur CGT explique : « on a un chiffrage qui dit quun point daugmentation de la cotisation patronale, fait je-ne-sais-plus-combien de milliards24 (…). Et là, il y a un refus total de la délégation patronale, unanime, pour dire : « nous refusons toute augmentation, tout alourdissement des charges pour les entreprises (…). Donc là, veto total et dun bout à lautre ils ont refusé den discuter » (entretien de janvier 2015). Ce que confirme une négociatrice de la CFDT : les représentants patronaux « lavaient annoncé à tout le monde… cétait une ligne rouge : on naugmentera pas les “cotises” ! » (entretien de mars 2015). Lhypothèse de modulation 93est donc pour partie le résultat dune exclusion du taux de cotisation du champ de la négociation.

Le deuxième constat concerne le fait que la modulation des cotisations ne doit pas conduire à exonérer le patronat dune régulation de ses pratiques demploi à laquelle il aurait, selon certaines organisations syndicales, intérêt. Le négociateur CFTC, bien que soutenant les mesures de modulations, semble en effet en faire un pis-aller dune régulation des pratiques des employeurs :

Ça fait un certain nombre dannées que je dis aux employeurs « puisque vous vous targuez de défendre tel et tel principe, mais faites la police dans les entreprises, vous subissez la concurrence déloyale de vos collègues ». (…) Il faut que ce soit lassurance chômage qui vienne faire la police pour vous, par lintermédiaire de la cotisation, ce nest pas notre rôle. (…) Mais le rôle de lassurance chômage, cest pas ça. Oui, on peut introduire cette démarche là mais je continue à dire, que les organisations syndicales demployeurs fassent la police chez eux (entretien en février 2015).

La CFDT renvoie également à une nécessaire régulation des pratiques demploi par les employeurs eux-mêmes :

Yen a qui sont des bons élèves qui payent pour les mauvais élèves, donc essayez un peu aussi entre vous de parler de vos pratiques. Cest plus compliqué que ça, parce que quand ya des secteurs qui sous-traitent beaucoup, donc il faut reporter la précarité sur dautres secteurs… Mais en même temps cest votre problématique, cest votre responsabilité, cest pas que à nous à dire : il faut des CDI, il faut des CDI, il faut des CDI… cest pas que ça ! Ya de la pratique demployeur, et ya… ben yen a qui payent plus pour dautres. Donc essayez de discuter de ça un peu plus entre vous (négociatrice CFDT, mars 2015).

En développant ces arguments, les représentants des organisations syndicales reconnaissent les limites du dispositif : la désincitation par les taux de contributions ne peut être le seul moyen pour lutter contre la précarité dune part, et apparait comme un dérivatif à limpossibilité de négocier le taux de contribution dautre part.

III.2. La modulation comme revendication réaliste

La modulation suscite deux types dattente : un effet sur les recettes de lassurance chômage et un effet dissuasif sur les employeurs. Si la modulation telle quintroduite dans lANI de 2013 na pas eu les effets 94escomptés en termes de financement de lassurance chômage, certaines organisations défendent des revendications avec des taux plus élevés qui auraient des effets significatifs sur les recettes. Ainsi, le projet de bonus-malus porté par FO depuis la négociation Unedic de 2014 (cotisation plafond fixée à 10 % pour les entreprises dépassant un taux demploi précaire défini en fonction du secteur et de la taille de lentreprise) aurait permis selon le chef de file de lorganisation pour ces négociations de financer véritablement le régime : « 5 milliards deuros, ça rapporte pour lUnedic ! » (négociateur FO, février 2015).

Pour autant, derrière le consensus revendicatif, les doutes sur le dispositif de modulation des contributions existent. Des négociateurs de la CGT, de FO et de la CFTC émettent des réserves sur le principe. En effet, comme mentionné supra, le fait de réguler des comportements par un mécanisme financier et non par le droit est parfois jugé non conforme au rôle de lassurance chômage et interroge sa nature : « on va sur un modèle qui peut aller à lencontre des formes de solidarité inter-pro quon a mises en place » (négociateur FO, février 2015). Lassurance chômage reste-t-elle un risque social dont la prise en charge doit être socialisée à léchelle interprofessionnelle ?

Autre mise en cause : lefficacité de la mesure. À la CGT, le principe de modulation de cotisations sociales est une revendication ancienne et qui nest pas réservée à lassurance chômage25, pour autant lefficacité de la mesure sur la qualité de lemploi semble mise en doute : 

Cest la position de la confédération dessayer de dire : il faut taxer la précarité lourdement pour essayer de la limiter. Bon. Javoue que moi je suis un peu plus circonspect par rapport à ça. Ça peut marcher, peut-être, mais il faudrait le faire plus finement. On le voit bien dans les annexes 8 et 10, le doublement des cotisations employeurs et salariés na pas eu deffet particulier (…) on ne peut pas trouver de mécanisme qui fonctionne tout seul avec lassurance chômage. Cest un des éléments. Il faut que ce soit une part dune politique. Ça peut être un élément qui renforce la lutte contre la précarité, mais sil y a que ça, ça ne marchera pas. Ça doit être un… il doit y avoir une politique demploi derrière… (négociateur CGT, janvier 2015).

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Autrement dit, pour ce négociateur, la modulation doit sinscrire dans un système de régulation mais ne pas être le seul élément dencadrement du recours aux contrats courts.

Chez FO, la prudence sur lefficacité désincitative de la modulation des taux selon la qualité de lemploi est également de mise :

On a toujours été très prudent. Moi, jai toujours dit, cest un modèle théorique. De même quil y a des éléments de comportement de grands donneurs dordre qui potentiellement, pourraient… qui seraient impactés par ce type de système, qui pourraient dire, je vais – en partie, ce quils font déjà – je vais externaliser la précarité sur les sous-traitants. (…) Cest pour ça que nous, quand on a présenté ces choses-là, on a toujours été très prudent, en disant, écoutez, nous, on a quelques expériences aux États-Unis là-dessus, mais on est quand même très, très prudent, parce que dune part, en termes de rationalité, ça peut être compliqué, et puis, effectivement, sur ce que ça produit en termes de comportement des entreprises, ça effectivement, (…) peut-être que le système est complètement foireux, quoi, donc… Par contre je me dis quil a du sens (négociateur FO, février 2015).

Faire payer les « mauvais employeurs » parait juste (« a du sens »), mais leffet désincitatif sur lemploi précaire est largement questionné. Pour lutter contre la précarité de lemploi, une régulation des pratiques des employeurs par la loi (ou par les organisations demployeurs) est une solution jugée en réalité plus efficace. Au-delà, interrogé par rapport aux projets de modulations des cotisations inspirés de lexperience rating américain, le négociateur de FO mesure le risque :

Le système de modulation des cotis, cest vraiment un modèle systémique (…). Cest de dire, lentreprise na plus de responsabilité, quelque part, sociale et financière, on renvoie tout à une grand structure type Pôle Emploi, mais super efficace, qui est en charge de laccompagnement et de lindemnisation (…). Mais, donc, cest un modèle… mais je suis daccord que quelque part, nous, on est quand même très prudent, on pense que ça a du sens, je ne suis pas sûr que ça soit le bon modèle, dailleurs. Mais bon, cest vrai quon a beaucoup travaillé là-dessus, parce quil me semblait que la question de la sur-cotisation, comme ça, de passer de 4 à machin, comme ça, un truc sans souplesse, na pas de sens, mais dun autre côté, (…), on va sur un modèle qui peut aller à lencontre des formes de solidarité inter-pro (négociateur FO, février 2015).

Ainsi le positionnement de FO vis-à-vis du modèle de lexperience rating nest caractérisé ni par un rejet massif, ni par une position de soutien univoque.

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À bien des égards, la modulation des taux de cotisation apparaît pour diverses raisons, au moins pour la CGT, FO et la CFTC, comme un pis-aller qui a lavantage de sinscrire dans le champ du possible de la négociation.

III.3. La modulation comme principe de justice :
la stratégie du pied dans la porte

Le positionnement de la CFDT est différent. Le soutien au mécanisme de modulation semble plus franc. La CFDT défend le principe de surcotisation comme allant de pair avec les droits rechargeables26, revendication centrale de cette confédération lors de la négociation en 2014 et dont le principe est acté dès 2013 dans lANI sur la sécurisation de lemploi :

On crée la revendication droits rechargeables (…) On est dans un contexte très particulier, qui est celui de lexplosion des contrats courts, et très courts (…). Donc il sagit pas de créer les droits rechargeables pour sécuriser les gens dans la précarité, quon soit bien clairs ! Donc le pendant des droits rechargeables, cest la sur-cotise, ça va ensemble (négociatrice CFDT, mars 2015).

Ainsi, même si le dispositif actuel est jugé largement insuffisant, il est un point de départ à un dispositif pensé comme juste et potentiellement efficace. Le dispositif actuel est présenté comme un pied mis dans la porte en vue de prochaines négociations :

Quand on met 0,5 sur les contrats les plus courts, franchement, ça leur fait payer deux euros de plus… elle est où la dés-incitation financière ? Elle nexiste pas. Cest pas le modèle quon voulait, cest pas le bon modèle, mais dans tous les cas on met un coin dans la modulation et dans lidée de dire aux employeurs : vous avez une responsabilité sur les types de contrats auxquels vous recourrez ! (…) la sur-cotisation telle quelle est intervenue, cest pas la revendication quon avait au départ. Mais pour nous, il sagit bien de dés-inciter des employeurs qui pourraient bénéficier favorablement, ou avoir des effets daubaine sur les droits rechargeables (négociatrice CFDT, mars 2015).

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Ces propos mettent en lumière une tension interne à la politique de la CFDT. Dun côté les emplois de courtes durées sont considérés comme un marchepied vers lemploi stable et devraient à ce titre être encouragés en multipliant les possibilités douverture de droits pour les allocataires. Dun autre, il y a la crainte que ces politiques conduisent à faciliter le recours à ces emplois pour les employeurs. Cest donc pour éviter ce risque quintervient la modulation : selon la CFDT, elle vient désinciter lemployeur à lemploi de courte durée alors que les droits rechargeables sont censés venir inciter le salarié à ce même emploi court puisque tout emploi lui garantit de cumuler des droits supplémentaires : « yavait des demandeurs demploi qui se posaient la question : “je vais pas reprendre à travailler je vais laisser mon droit…” et pour nous cétait insupportable ça ! » (négociatrice CFDT, mars 2015), « grâce aux droits rechargeables, à chaque fois quune personne travaille ou retravaille, elle acquiert des droits au chômage quelle cumule avec ceux quelle a déjà » (CFDT, 2015). Cette revendication doit être mise en perspective plus largement dans le corpus idéologique de la CFDT pour en saisir la portée. Lidée de moduler le taux de cotisation en fonction de la durée du contrat en complément dun dispositif dincitation des chômeurs à reprendre les emplois de courte durée via les droits rechargeables constitue un ensemble cohérent et pas seulement un compromis conjoncturel dans le champ des possibles de la négociation. Il sinscrit pleinement dans la logique de sécurisation des parcours professionnels, de flexicurité, et son idéal de marché du travail efficient qui structure les revendications de la CFDT depuis les années 2000 (Higelé, 2011). On associe la flexibilité (possibilité de recourir aux emplois courts) à la sécurisation des salariés concernés (droits rechargeables) tout en responsabilisant les employeurs qui doivent en payer le prix (désinciter et financer). Il ne sagit pas dinterdire des pratiques mais de réguler le marché du travail par des modèles dincitation-désincitation. Déjà, lorsque FO insistait en 2005 sur lidée dune surcotisation sur les emplois précaires, la chef de file de la CFDT à la négociation Unedic précisait :

Notre idée à nous, cest plus comment on sécurise les parcours (…) On ne refuse pas la mobilité mais ceux qui abusent de la mobilité et en abusant de la mobilité mettent leurs salariés en précarité, ceux-là sont taxés. Parce que nous on trouvait idiot de commencer à taxer un contrat CDD, parce quon savait très bien que une fois sur deux un contrat CDD se poursuit en CDI, 98on sait très bien que les chefs dentreprise (…), ils ont besoin de tester les salariés, cest humain. Et on a à peu près la moitié des contrats CDD qui se poursuivent en CDI, donc cest un peu dommage de taxer cette démarche-là, voilà pourquoi on voulait taxer à la fin quand seulement il y a réalité de rupture du contrat (négociateur CFDT, avril 2006).

Cette réticence à taxer lemploi précaire lui-même, avec le risque de désinciter à lemploi tout court, conduit finalement la CFDT à proposer un système de réduction progressive du taux à mesure de la durée du contrat (cf. supra).

Cette parenté entre flexicurité et modulation des cotisations explique que cette dernière soit défendue aussi bien par des économistes néo-libéraux que par des organisations syndicales. La modulation, nous lavons évoqué, a même un temps été proposée par le gouvernement Valls comme concession « de gauche » pour tenter de calmer les opposants à la loi « El Khomri » de 2016. Toutefois, ce quont en commun ces partisans de la modulation, cest la croyance en la supériorité de la régulation marchande. Il sagit donc de réguler la quantité et la qualité de lemploi par le prix du travail, en internalisant pour lemployeur le coût de ses choix. Cela conduit à revenir sur la mutualisation telle quelle se pratique depuis la création de lassurance chômage pour la remplacer par un modèle « pollueur-payeur ». Cotiser en fonction de ce que lon coûte est présenté comme parfaitement juste, à rebours de lidée que mutualiser permet dalléger le poids du risque pour tous.

Le consensus syndical apparent sur la nécessaire modulation des taux de contribution traduit, au-delà des communiqués syndicaux, des motivations et des engagements différenciés. Lenjeu de cette proposition nest donc sans doute pas seulement une question qui oppose syndicats et patronat, mais reste également en question entre organisations syndicales. Cet enjeu est en outre percuté par les interrogations sur lavenir du régime posées par larrivée dEmmanuel Macron à la Présidence de la République.

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Conclusion

La modulation des taux de cotisations se construit comme revendication syndicale à partir dun diagnostic de surcoût généré par les contrats précaires et finit par simposer comme objet de négociation. Bien que laugmentation des contrats courts soit un enjeu certain, cest le fait que le patronat ait imposé de sortir laugmentation du taux général de cotisation du champ du négociable qui explique lémergence de cette revendication. Cette dernière est portée par lensemble des organisations syndicales bien quelle rompe avec le principe dunicité du taux adopté à la fondation du régime dassurance chômage dans le sillage de la Sécurité sociale. Pour autant, les différentes modalités de modulation du taux de cotisation et les interrogations que la revendication soulève chez les syndicalistes montrent que la mesure questionne la conception de lassurance-chômage. La revendication de modulation des taux comme pis-aller à la CGT voire à FO nest à ce titre pas nécessairement compatible avec le projet de la CFDT.

Aujourdhui, lapparence du consensus tient surtout à lopposition du patronat à toute augmentation des taux, fut-elle sous forme de surcotisations pour des franges spécifiques demployeurs. Les modestes surcontributions en vigueur de juillet 2013 à octobre 2017 nont été actées quà la faveur de leur inscription comme contrepartie dans un ANI portant sur de multiples sujets (ANI de sécurisation de lemploi de 2013). Depuis, par son refus de toucher aux contributions en 2014, par la mise en échec des négociations en 2016 sur le sujet des surcotisations, et enfin par la remise en cause en 2017 des surcotisations existantes sur les contrats courts, le patronat fait apparaitre les organisations syndicales comme unies derrière cette revendication. Empêtré dans ses débats internes sur lintérêt même de sa présence à lassurance chômage, le MEDEF ne sest pas saisi de la question, campant sur une position traditionnelle de refus daugmenter les « charges sociales ». Il a dailleurs obtenu la suppression de lessentiel des surcotisations dans laccord Unedic du 28 mars 2017. Laccord étant signé par toutes les organisations syndicales sauf la CGT, on pourrait conclure que la revendication a fait son temps. Elle semble surtout avoir fait les frais du contexte spécifique de lélection présidentielle 100et de la menace détatisation du régime dassurance chômage par le candidat Macron. En mars 2017, la CFDT note que « les risques que feraient peser un nouvel échec de cette négociation sur les demandeurs demploi comme sur lavenir du paritarisme » interdisent de ne pas aboutir à un accord. Pour FO ce contexte participe de la justification de la signature du texte : « Alors que certains programmes présidentiels prévoient pour des raisons dalignement budgétaire une étatisation de ce régime, prélude à une remise en cause générale du paritarisme, cet accord constitue une protection pour les salariés et les demandeurs demploi » (communiqué de FO, 31 mars 2017). Mais rien ne laisse penser que les organisations syndicales seraient enclines à abandonner la revendication de modulation. La contribution temporaire décidée en 2017, déjà contestée en interne du MEDEF, nindique pas non plus un revirement du patronat en matière dévolution du taux général de cotisation. La modulation reste donc la marge de manœuvre syndicale la plus vraisemblable. Dailleurs, le programme présidentiel dEmmanuel Macron prévoit la mise en place dun « bonus-malus sur lassurance chômage » et le gouvernement a demandé aux partenaires sociaux fin 2017 de faire des propositions pour réguler le recours des entreprises aux contrats courts, menaçant dimposer un système de bonus-malus si les mesures proposées étaient jugées insuffisantes. Ainsi, lavenir de la modulation des taux de cotisations et, par rebond, la nature des formes de socialisation dans le régime dassurance chômage, reposent dans les mains du patronat. Dans le contexte paritaire qui lui donne de fait un droit de veto, la manière dont les représentants des employeurs se saisiront ou non dune formule de modulation des taux de contribution, départageant ainsi les différentes conceptions syndicales de la mesure, est décisive.

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1 Nous laissons donc de côté les questions relatives à lAllocation de solidarité spécifique (ASS) et au Revenu de solidarité active (RSA) de même que nous nabordons pas les annexes à la convention dassurance chômage sauf comme contrepoint de lanalyse.

2 Dans le cadre des négociations interprofessionnelles telles quelles sont instituées dans le partenariat social, le patronat dispose de fait dun droit de veto sur les sujets négociés (cf. Higelé, 2012).

3 Depuis 2002, les employeurs et salariés du spectacle sont soumis à un taux de cotisation spécifique. Si le MEDEF remet régulièrement en cause la légitimité même des annexes 8 et 10 afférentes aux intermittents du spectacle, il doit composer avec les organisations demployeurs du secteur, attachées à ces annexes, la plupart des organisations syndicales interprofessionnelles et sectorielles, et le risque que le sujet lui échappe si lÉtat décide de légiférer pour régler le problème. Le compromis trouvé en 2002 et toujours en vigueur est de maintenir les annexes mais de faire contribuer davantage le secteur au financement de lassurance chômage, en plus dun financement public spécifique au titre de la politique culturelle (Grégoire, 2013).

4 Intervention de Georges Savourey à lAssemblée consultative provisoire, no 68, J.O. du 1er août 1945, p. 1677 citée in Ruffat et Viet (1999, p. 92).

5 Bien que plusieurs fois évoquée, la réalisation de réserves budgétaires dans les périodes de bonne conjoncture na jamais été réalisée dans lassurance chômage. Ainsi, de 1997 à 2001, lorsque le chômage a fortement baissé, les gestionnaires du régime ont acté une baisse de cotisation plutôt quune reconstitution de trésorerie.

6 La cotisation initiale de 1 % (dont 0,8 % employeurs) décidée en 1958 sest révélée excessive du fait de la faiblesse du chômage. En 1962, le taux de cotisation est baissé à 0,25 % (dont 0,20 % pour la part patronale).

7 Sur lhistoire du droit à indemnisation voir Daniel et Tuschzirer (1999), Higelé (2004 et 2009a).

8 Pour le négociateur du Medef de la convention de 2006, « je savais quon ne pouvait obtenir un effort (…) des délégations syndicales quà partir du moment où on augmentait les cotisations. (…) Et on a dit on va les augmenter de 0,08 (…)de 0,04 pour les salariés, de 0,04 pour les employeurs (…) Et ça a débloqué un peu la négociation. Et cest ce qui a permis de durcir un peu le système » (janvier 2017).

9 Cette « contribution exceptionnelle temporaire » est à la charge des employeurs et peut être supprimée à tout moment par le comité de pilotage interprofessionnel paritaire chargé du suivi de la convention.

10 Dans la convention de 2009, une disposition a été introduite qui prévoit une baisse du taux de cotisation en cas de diminution du taux de chômage. Cette baisse prévue serait uniforme quelle que soit la durée des contrats.

11 Le principe adopté en 2009 et toujours en vigueur de « 1 jour cotisé=1 jour indemnisé » en constitue la version la plus radicale puisque la durée de cotisation est strictement la même que la durée de prestation (entre un minimum de 4 mois et un maximum qui varie selon lâge). En somme chaque nombre de jours cotisés constitue en soi une filière dindemnisation.

12 Le nombre de chômeurs (DEFM cat. ABC – France métropolitaine) de longue durée (1 an ou plus) est passé de moins dun million en décembre 2008 à plus de 2,4 millions en aout 2016 (et presque 2,5 millions en septembre 2017).

13 Jusque 2009, et depuis 1982, les filières dindemnisation liaient certes les durées dindemnisation aux durées de cotisations, mais permettaient par mutualisation de faire bénéficier de durées dindemnisation supérieures aux durées daffiliation. Dans la convention de 2006 par exemple, 16 mois daffiliation ouvraient droit à 23 mois dindemnisation mais en 2001, 14 mois ouvraient 30 mois de droits.

14 Le principe de solidarité interprofessionnelle a donné lieu à des mises en cause similaires de sa légitimité sagissant notamment des annexes 8 et 10 concernant les intermittents du spectacle ou dans une moindre mesure, lannexe 4 concernant les intérimaires (voir par exemple Coquet, 2014 et 2016).

15 Le déficit cumulé sélève au 31 décembre 2005 à 14 milliards deuros selon le préambule de la convention dassurance chômage du 18 janvier 2006.

16 François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, interviewé dans Le Figaro du 24 octobre 2005.

17 Les CDD, à lexception des CDD dusage, ouvrent droit à la perception dune prime de précarité dont le montant est égal à 10 % du salaire perçu sur lensemble du contrat.

18 Le conflit entre « laile sociale » et « laile libérale » du patronat est ancien (Offerlé, 2009). Il a connu un nouveau regain à loccasion de la revendication de modulation des cotisations, ne laissant aucune marge de manœuvre à la délégation patronale lors des dernières négociations pour sortir du mot dordre de refus de toute modulation des taux.

19 Lintitulé exact est « accord national interprofessionnel pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de lemploi et des parcours professionnels des salariés ».

20 Ce type spécifique de CDD possède des règles dencadrement plus favorables aux employeurs que celles du CDD (absence de prime de précarité, de terme précis, etc.). Son usage est possible dans certains secteurs dactivité dont la liste est fixée par décret.

21 Loi no 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

22 Manuel Valls cité par Morgane Gaillard, AEF, 11 avril 2016, « PL [projet de loi] El Khomri : le gouvernement va rendre obligatoire la modulation des cotisations chômage sur les contrats courts ».

23 Ce dernier accord dassurance chômage agréé le 6 mai 2017 prévoit la suppression des surcotisations sur les CDD à lexception de celle de 0,5 point sur les CDD dusage conservée pour 18 mois supplémentaires (cf. infra).

24 Selon la Cour des comptes (2015), un point daugmentation des cotisations rapporterait 5 milliards deuros par an.

25 La CGT revendique une modulation des cotisations patronales notamment pour financer les retraites du régime général et les retraites complémentaires. Elle porte un projet de double modulation dans le cadre de la Sécurité sociale professionnelle : une modulation en fonction des comportements des employeurs et une modulation en fonction de la valeur ajoutée afin de ne pas « pénaliser » les secteurs fortement consommateur de main-dœuvre.

26 Le principe des droits rechargeables est venu remplacer celui de réadmission. Ces deux dispositifs visent à donner des droits à des chômeurs qui acceptent des emplois courts. Avec la réadmission, le chômeur, à lissue du contrat repris, voyait son indemnisation recalculée sur la base du capital de droit le plus long et du montant de lindemnité journalière la plus élevée. Dans les droits rechargeables, aucun des droits nest perdu : ils se cumulent.