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Classiques Garnier

The autoentrepreneur regime and the entrepreneurial risk

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Socio-économie du travail
    2016, n° 1
    . Être entrepreneur de soi-même, l’auto-emploi
  • Authors: Levratto (Nadine), Serverin (Evelyne)
  • Abstract: The creation and the popularity of the auto-entrepreneur regime rests on the supposed absence of risk associated with this judicial status. However, the core theory of entrepreneur insists on the risky dimension associated with the creation of a business. On the basis of sociological approach of the law, we propose to analyse a corpus made of 104 judicial decisions concerning auto-entrepreneurs. Our results clarify three families of risks. The first one is generated by the activity itself, the second group rises from the articulation with wage-earning and the third class results from the complexity of the rules.
  • Pages: 125 to 159
  • Journal: Social Economy of Labor
  • CLIL theme: 3319 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités -- Travail, emploi et politiques sociales
  • EAN: 9782406068594
  • ISBN: 978-2-406-06859-4
  • ISSN: 2555-039X
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-06859-4.p.0125
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 04-28-2017
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
  • Keyword: Auto-entrepreneur, risk, entrepreneur theory, sociology of law
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Lauto-entrepreneur,
au risque de lentreprise

Nadine Levratto1

EconomiX (UMR 7235 CNRS)
Université Paris Ouest, Nanterre, La Défense

Évelyne Serverin

CTAD (UMR 7074 CNRS)
Université Paris Ouest, Nanterre, La Défense
Centre dÉtudes de lEmploi

Risk is like love : we all know what it is, but we dont know how to define it.

Citation attribuée à Joseph E. Stiglitz

Introduction

Saisir les risques de lauto-entreprise dans leur pluralité

Depuis lentrée en vigueur au 1er janvier 2009 du régime de lauto entrepreneur (noté AE ci-dessous), entre 270 000 et 360 000 immatriculations sont enregistrées chaque année, soit plus dune création dentreprise sur deux. En stock, 974 000 AEs sont immatriculés en 2014. Ces chiffres constituent pour les acteurs du secteur la preuve dun « engouement national » (Union des entrepreneurs, 2013), attestant 126que le régime, par sa simplicité daccès, a permis que sexpriment des vocations dentrepreneurs jusqualors découragées par les contraintes administratives2. Les AE ont été tout naturellement assimilés aux micro-entreprises dont ils sont venus grossir les effectifs et, par là-même, sont présumés en partager les mêmes caractéristiques.

Les chiffres de la démographie dentreprises rendent compte de la montée en puissance des AE. En 2012, sur les 2,1 millions de Très Petites Entreprises (TPE)3 actives en France, 878 000 étaient des micro-entreprises au sens fiscal. La même année, on dénombrait 911 000 auto-entrepreneurs actifs. Au fil du temps, la part des AEs par rapport à celle des micro-entreprises na donc cessé de croître. La raison de ce succès est à chercher dans la simplicité du principe de prélèvement libératoire sur les seuls chiffres daffaires réalisés qui fonde le régime. Lidée, exprimée sous forme de slogan, que « vous ne payez que sur ce que vous avez gagné », dégage lAE dobligations financières en cas de chiffre daffaires nul. Là réside la philosophie de la loi, exprimée dans lexposé des motifs :

La loi crée tout dabord un régime simplifié et libératoire de prélèvement fiscal et social pour les auto-entrepreneurs. Lauto-entrepreneur qui le souhaite pourra désormais sacquitter dun prélèvement libératoire fiscal et social, sur une base mensuelle ou trimestrielle, égal à 13 % de son chiffre daffaires pour les activités de commerce et à 23 % pour les activités de services.

Par son principe de construction même, le régime de lAE propose donc une forme dentrepreneuriat sans risque particulièrement adaptée à des entrepreneurs désireux de tester leur projet ou à des salariés, retraités, chômeurs, etc. ayant besoin de compléter leur revenus de base en travaillant de manière indépendante. La contrepartie de la facilité dentrée dans le régime et de labsence de risque réside dans lexistence de plafonds de chiffre daffaires fixés à 32 900 euros pour les prestations de service, et à 82 200 pour les activités de vente de produits ou dhébergement à court terme, par la loi relative à lartisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite loi « Pinel », parue au Journal officiel du 19 juin 2014. Absence de risque et modicité des gains formeraient 127donc une paire qui, au moins implicitement, fait référence à la relation entre rentabilité et risque (Bancel et Richard, 1995).

Ce texte interroge la validité de ce principe du point de vue de lauto-entrepreneur. Pour ce faire, il appréhende la notion de risque du point de vue des théories économiques de lentrepreneur qui voient dans ce dernier un individu plus quune composante dune organisation. Ce parti pris répond à lisolement de lAE qui ne peut sappuyer ni sur une organisation, ni sur des structures pour prendre ses décisions et gérer les risques liés à son activité. Les risques théoriques mentionnés dans cette littérature sont rapprochés des risques avérés, observés à partir dévénements contentieux générés par lauto-entreprise.

La perspective théorique retenue est celle de Broomley (1991) selon laquelle lapport des dispositifs juridiques va au-delà de lapport de solutions aux conflits : ils définissent les acteurs dotés dune capacité à revendiquer une prétention et structurent leurs positions juridiques dans les conflits. Grâce à ladoption de cette méthode originale fondée sur le contentieux juridique, nous pouvons mettre en évidence la structure des droits qui sopposent dans des situations conflictuelles révélées par lanalyse dun corpus darrêts de cours dappels impliquant des auto-entrepreneurs. Nos résultats montrent que la modicité des résultats dégagés par les AE na pas pour contrepartie un niveau ou une gamme de risque moins élevés. Bien au contraire, les AE sont soumis à des risques accrus par rapport à dautres formes dentreprises. Ils encourent dabord tous les risques inhérents au statut de commerçant dont ils relèvent en dépit de certaines dispenses dinscription aux registres du commerce et des métiers. Nous notons en outre que leur isolement et limpossibilité de sappuyer sur une organisation qui en est le corolaire, saccompagnent de risques supplémentaires, propres à ce régime.

La suite de cet article est construite en trois parties. Dans une première partie, nous confronterons les risques prévus par la théorie à ceux qui ont été envisagés par le régime (I). Après un exposé de la méthodologie de létude, la deuxième partie proposera un schéma récapitulatif des classes et sous-classes de risques observés devant les cours dappel (II). La troisième partie analysera à partir dexemples de litiges les différentes classes de risques observés, en cherchant à voir dans quelle mesure le régime permet de les assumer (III). En conclusion, nous proposerons une réflexion sur la soutenabilité de chaque type 128de risques au regard du régime de lAE, et sur les mesures urgentes à prendre pour éviter que ce régime ne devienne un piège pour ceux qui y sont entrés.

I. Un modèle multicritères
du risque de l(auto)entrepreneur

La relation entre rendement
et risque de l
entrepreneur

La question du risque de lentreprise est au fondement des théories classiques du profit et de lentrepreneur. Comme le soulignait déjà Cantillon, les entrepreneurs supportent lintégralité du risque et de lincertitude associée au processus de création dentreprise. Cette même idée est également exprimée par J. S. Mill qui, dans les Principes, considère lindemnité pour le risque encouru comme lune des trois parties constitutive du profit4. Ce dernier doit rémunérer le risque de perte, partielle ou totale, du capital et ce danger doit être compensé pour que des capitaux soient engagés dans la production [Mill (1973), p. 406]. Lidée dun risque inversement proportionnel au gain escompté a été quelque peu délaissée au profit dapproches plus psychologiques (Cf. par exemple Barbosa et al., 2007) par les théories plus récentes de lentrepreneur qui insistent davantage sur les modalités darbitrage entre entrepreneuriat et salariat, ou sous les aspects comportementaux. Les courants qui sintéressent au choix de devenir entrepreneur mettent laccent soit sur laspect visionnaire et charismatique de lindividu souligné par lapproche autrichienne dont la présentation par Schumpeter est la plus connue, soit sur les caractéristiques qui le différencient du salarié ainsi que la synthétisé Mark Casson (Levratto, 2015). Elle est désormais surtout au cœur de 129la théorie de lutilité espérée (cf. Kast, 2002) à la base des modèles traditionnels de linvestissement financier.

Cette forme de compensation dun risque financier par une opération de même nature présente linconvénient de limiter le fonctionnement de lentreprise à une opération de transformation de capitaux en profit. Comme le rappellent Fayolle et al. (2008), « La théorie de lutilité et la théorie des perspectives sont toutes les deux des cas spécifiques de cette formulation dans laquelle lutilité dune option est une combinaison linéaire des valeurs et des poids de ses résultats potentiels, et dans laquelle le décideur est supposé choisir loption présentant lutilité la plus élevée » (p. 144). Appliquée à lentrepreneur cette approche suppose que sa décision repose sur le calcul dun coût dopportunité, dans lequel chaque option est présentée comme un pari pouvant rapporter des résultats variés avec différentes probabilités.

En contrepartie des risques, sous-entendu financiers, quil court, lentrepreneur est créancier en dernier ressort ou résiduel (residual claimant). Les opérations de couverture du risque engagées par les entreprises de taille suffisante pour les réaliser en attestent, puisque la couverture a pour effet :

de lisser/réduire les impôts à payer en diminuant la volatilité du résultat courant avant impôt (Smith et Stulz, 1985 ; Mayers et Smith, 1987 ; Graham et Smith, 1999),

de diminuer les coûts de faillite en réduisant la variance de la valeur de lentreprise (Smith et Stulz, 1985 ; Mayers et Smith, 1987 ; Stulz, 1996),

datténuer le risque de sous-investissement en limitant le recours au financement externe ou en résolvant les conflits dintérêt entre créanciers et actionnaires (Mayers et Smith, 1987 ; Bessembinder, 1991 ; Leland, 1998).

À cela, suivant Nance et al. (1993), on peut ajouter que la couverture répond au besoin de limiter les coûts du financement externe et de prévenir les problèmes de trésorerie.

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Des théories multicritères

Si le risque ne se réduit pas à la variance dun gain anticipé, dautres acceptions et modalités de calcul doivent être envisagées de manière à prendre en compte ce risque multiforme (Fayolle et al., 2008). Chaque entreprise se présente donc comme un agrégat de risques. Afin de mieux en appréhender la variété des formes, Dickson et Giglierano (1986) sécartent des modèles traditionnels basés sur la théorie de lutilité pour procéder à une partition du risque entrepreneurial en deux composantes : le risque déchec (sinking-the-boat risk) et le risque de manquer une opportunité (missingtheboat risk). À lexception de Venkataraman (cité par Fayolle et al. 2008) qui met en balance les deux composantes dans deux de ses dix « principes de création dentreprise5 », la plupart des auteurs retiennent majoritairement la première composante du risque, suivant en cela Yates et Stone (1992) : pour filer la métaphore nautique de Dickson et Giglierano (1986), couler le bateau serait alors plus grave que le manquer. Dautres auteurs comme Poppe et Valkenberg (2003) mettent en évidence leur nature sociale ou personnelle alors que Fonrouge (2002) insiste sur la dimension affective pour lentrepreneur.

Si tous les risques de lentreprise ainsi répertoriés ne sont pas de nature financière, ils peuvent être monétisés comme chez Mullins et Forlani (2005). Tout en restant définis comme des événements dont loccurrence est incertaine et dont la réalisation affecte les objectifs de lentreprise ou de lentrepreneur qui les subit, leurs conséquences se mesurent en manque-à-gagner ou pertes qui ont une incidence sur le résultat financier.

Chercher à réduire ou à limiter le risque dentreprise en bornant la surface commerciale dune affaire serait pourtant contraire à toute conception de lentrepreneur. Comme le souligne Boulding (1950), reprenant les catégories de Knight, le risque au cœur du processus entrepreneurial, quil sagisse 131dassumer lincertitude du futur (Knight, 1921) ou dinnover (Knight, 1942), nest pas assurable (Boulding, 1950, p. 133). En effet, une assurance nest envisageable quà condition de ne pas trop affecter lévolution de la chose assurée ce qui est impossible en matière entrepreneuriale. Assurer le profit conduirait en effet, ou bien à une réduction de lactivité de lentrepreneur, ce qui rend les pertes plus probables, ou bien à un niveau de prime dassurance si élevé que lentrepreneur ne pourrait pas la payer. Lauto-entrepreneur néchappe pas à cette règle.

Les risques dans le modèle de lauto-entreprise

A priori, la faiblesse, voire linexistence, des risques qui constitue le cœur du régime de lAE va de pair avec les bas niveaux de chiffre daffaires maximum légaux et effectifs observés pour cette catégorie dagents. Cette relation directe est cohérente avec la théorie de lutilité espérée mais en contradiction tant avec le discours des classiques sur lentreprise quavec la branche autrichienne (Schumpeter et Kirzner) ou la théorie des choix occupationnels (Gilder et Casson). En effet, bien que pour des raisons différentes, ces approches ont en commun de considérer le profit de lentrepreneur comme une rémunération du risque et des « talents » nécessaires pour lassumer si bien que la rémunération/rendement dun individu qui accepte de prendre des risques élevés sera plus élevée que celle de celui dont les risques sont faibles.

Dans leur volonté de favoriser laccès à lentrepreneuriat, les promoteurs du régime de lAE nont eu de cesse de lever les obstacles qui pouvaient sélever sur le chemin de la création dune activité indépendante, en assurant les candidats de labsence totale de risque de lentreprise. À quels risques est-il ici fait référence ?

En mettant laccent sur la possibilité de ne payer quà proportion des recettes réalisées, le régime de lauto-entrepreneur assimile le risque de lentreprise au seul risque de ne pas réaliser de chiffre daffaires6 ou à la perte des fonds engagés pour réaliser lactivité. La mesure globale du risque ou du succès du régime seffectue alors par une simple comptabilisation des gagnants (chiffre daffaires positif) et des perdants.

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De ce point de vue, le bilan est modeste. Quelle que soit la période observée, à peine plus de la moitié des AEs dégage un chiffre daffaires positif, très modique pour la plupart dentre eux. En 2013, le chiffre daffaires trimestriel moyen était inférieur à 3 300 euros, en baisse par rapport aux années précédentes. Pour un AE sur quatre, le chiffre daffaires est inférieur à 900 euros par an et un sur deux dégage un chiffre daffaires annuel de moins de 3 000 euros. Seuls 10 % encaissent plus de 14 300 euros7. Ces montants sont le signe dune activité réduite, repérée dès les premiers bilans réalisés sur le régime (cf. Domens et Pignier, (2012) et les Bilans trimestriels du dispositif AE produits par lAcoss) et anticipée dans nos premières analyses (Levratto et Serverin, 2009).

Cependant, le risque de ne pas voir son activité se développer nest pas le seul que court un AE. Dans la conception initiale, lobstacle principal était constitué par les avances de cotisations nécessaires à lentrée dans une activité indépendante. La solution était simple : inverser lordre des dépenses et des recettes, en déplaçant le point de départ de la créance sociale et fiscale après la réalisation dun chiffre daffaires et en fonction dun montant plafonné. Cette proposition repose sur deux implicites. Le premier est que le risque de perte des avances de cotisations sociales et des frais fixes détablissement est le principal, voire le seul, danger auquel est confronté un créateur dentreprise. Le second est que le plafonnement des chiffres daffaires constitue une contrepartie de la suppression du risque entrepreneurial ainsi défini. Le déficit causé par le remboursement de créances de premier niveau détenues par lÉtat et les organismes sociaux, saccompagne du renoncement de lentrepreneur à faire croître son chiffre daffaires au-delà des plafonds. Le premier effet de ce dispositif est dassocier entreprise et précarité de manière pérenne. Mis en évidence par les bilans du dispositif publiés par lAcoss8, ce risque de précarité a été rapidement identifié et a suscité de nombreuses analyses et commentaires (Abdelnour, 2012 ; Vivant, 2013 et 2014).

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Les rapports ultérieurs commentant le régime de lAE dont un rapport de lIgas et lIGF (Deprost et al., 2013), identifient trois types de risques : le risque de concurrence déloyale en raison de taux de prélèvement sociaux et fiscaux plus faibles, le risque de détournement du modèle salarial, et le risque de fraude au chiffre daffaires pour pouvoir rester dans le régime de lAE (Deprost et al., 2013, p. 4 et 5).

Cette liste de risques couvre cinq domaines. Le risque de lactivité qui conduit à la réalisation de pertes, le risque de concurrence déloyale lié aux taux de cotisations réduits, le risque de devoir renoncer involontairement au statut de salarié, le risque de fraude et le risque de précarité inhérent à la petitesse et à lisolement.

La précédente liste, quoiquimportante, nest cependant pas exhaustive. Dès lentrée en vigueur du régime, nous avons déjà souligné que les sources de pertes sont multiples. Elles touchent aussi aux dépenses engagées pour réaliser les prestations, aux dommages causés par lactivité au contractant ou à autrui, le risque dimpayé, voire le risque de perte demploi en cas de cumul avec une activité salariée (Levratto et Serverin, 2009). De nombreux travaux sur les risques juridiques auxquels sont soumises les entreprises (Collard et Roquilly, 2013), attestent également de lattention que les dirigeants dentreprises accordent à la dimension extra-économique du risque.

Cet ensemble de risques identifiés par différentes sources peut être regroupé en trois grands domaines. Deux sont de nature similaire à ceux que connaissent toutes les entreprises mais sont subis avec plus dintensité et peuvent avoir des conséquences plus dommageables pour les AE ; le troisième est spécifique au régime. La première famille de risques identifiée résulte de la facilité dentrée dans le régime de lAE. En effet, nombre de salariés se voient proposer de devenir AE par leur employeur dorigine qui allège ainsi le coût de la main dœuvre alors que dautres, qui ont opté pour le régime afin de compléter leurs revenus, risquent de perdre leur emploi principal pour cause de cumul. Le deuxième ensemble de risques est lié à la petitesse de lAE qui intensifie le phénomène de dépendance vis-à-vis des clients et des fournisseurs et la menace de ses concurrents. La troisième catégorie de risque est propre au régime dont les plafonds de chiffre daffaires et les avantages associés entrainent des obligations supplémentaires et donc des risques accrus de non respect.

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Plus de cinq ans après lentrée en vigueur du régime, on peut se demander ce quil en est de la situation effective des entrepreneurs au regard de ces risques et de leur ampleur.

II. Une observation contentieuse
des risques

Afin de révéler les risques auxquels sont effectivement soumis les AE, nous mobilisons une méthode de sociologie du droit dans sa tradition wéberienne. Elle repose sur lanalyse des rapports actifs des acteurs économiques aux dispositifs juridiques qui composent un « droit en mouvement » (Lascoumes et Serverin, 1985). Cette perspective met laccent sur limportance « … des mécanismes institutionnels et procéduraux de mise en œuvre du droit en tant quélément dexplication de la portée des règles pour les acteurs sociaux » (Piet, 2008). Comme la montré Serverin (2000), les décisions de justice sont en effet le produit de logiques dactions et révèlent les positions des acteurs dans ce champ.

Cette méthode se révèle particulièrement bien adaptée à lanalyse des risques auxquels peuvent effectivement être confrontés les AE. Le recours aux tribunaux relève en effet des systèmes daction pluriels qui touchent aux différentes facettes de lactivité dune entreprise (relations avec les clients, les créanciers, les fournisseurs, les concurrents, etc.). Lanalyse du contentieux juridique concernant les AE permet alors de mettre en lumière les aspects sur lesquels les parties prenantes ont intérêt à agir.

Nous recourons donc à lanalyse dun ensemble de décisions de justice recensées dans la base de données Jurica9 qui rassemble les arrêts rendus au niveau de lappel10. Cette méthode nous permet de saisir la diversité des situations, sans cependant prétendre à en 135mesurer lampleur. En effet, par construction, notre base danalyse ne concerne que les décisions en appel ce qui réduit le nombre de cas, empêchant ainsi destimer la conflictualité. Les résultats obtenus ne pourront donc pas être extrapolés à lensemble des décisions contentieuses relatives aux AEs ; ils fournissent cependant des éléments dinformation permettant dencadrer les débats autour du régime de lAE et de son extension.

Un corpus darrêts de cours dappel

Notre corpus est constitué dun ensemble de décisions de cours dappel regroupées dans la base de données jurisprudentielle, Jurica. Cette base rassemble « lensemble des arrêts rendus par les cours dappel et décisions juridictionnelles prises par les premiers présidents de ces cours ou leurs délégués » (code de lorganisation judiciaire, article R. 433-3)11 et permet de retrouver une ou plusieurs de ces décisions à partir dune interrogation par mots clés. Nous avons retenu comme base de travail lensemble des décisions rendues entre le 1er janvier et le 20 août 2014. Cette période présente non seulement lavantage de lactualité mais offre également une forme de représentativité des contentieux impliquant des AEs en évitant les premiers soubresauts liés à lentrée en vigueur du régime. Des combinaisons de mots clefs, présentées en annexe, ont ensuite été appliquées de manière à identifier lensemble des décisions concernant les AE dans tous les tribunaux à lexception des juridictions compétentes en matière familiale où lexpression apparaît de manière accessoire. Sur un total de 924 arrêts, nous en avons éliminé 797 dans lesquels le terme « auto-entrepreneur » apparaissait de manière accessoire. Sur les 127 arrêts restants qui concernent les AE dans le cadre de leur activité économique, nous en avons écarté 23 dans lesquels le litige nimpliquait pas un AE, celui-ci étant cité de manière annexe. En définitive, 104 arrêts de tribunaux ont été retenus à des fins danalyse.

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Source : Acoss et Insee, calculs des auteurs.

Fig. 1 – Répartition par secteur du nombre dAEs actifs
et du nombre darrêts du corpus (en pourcentage).

Bien que la base Jurica ne soit pas forcément représentative de lensemble des décisions rendues au sujet des AE, une analyse par secteur établit sa capacité à refléter la structure dactivité des AEs présentant des comptes actifs. La figure 1 compare la proportion de comptes administrativement actifs à la fin du mois de février 2014 recensés par lAcoss, aux activités déclarées par les AE impliqués dans un contentieux ayant fait lobjet dune décision en appel au cours de la première partie de lannée 2014. La nomenclature retenue correspond au découpage en 21 sections de la Nomenclature dactivités française – NAF rév. 2, 2008. Elle est compatible avec la nomenclature agrégée en 38 secteurs utilisée par lAcoss.

Les décisions les plus nombreuses concernent les secteurs de la construction et du commerce et réparation dautomobile qui sont aussi les activités pour lesquelles le nombre dAEs actifs est le plus élevé (respectivement 141 845 et 190 309). On retrouve cette correspondance, bien quà un moindre degré, entre le nombre de décisions et le nombre dAE pour les secteurs de lhébergement et de la restauration ainsi que de linformation et communication dans lesquels 137lAcoss dénombre respectivement 26 813 et 52 677 comptes actifs. En revanche, les activités de services administratifs et de soutien, le secteur des arts, spectacles et activités récréatives ainsi que le transport et lentreposage sont surreprésentés dans la base qui, au contraire, sous-représente lindustrie manufacturière, les activités spécialisées, scientifiques et techniques et les autres activités de services. Ces écarts peuvent provenir dune plus ou moins forte conflictualité dans ces secteurs. Il est ainsi à noter que les activités scientifiques sont souvent exercées en accessoire de la fonction publique, qui ne relève pas du contentieux judiciaire.

La nature des activités et le profil des AE expliquent les distorsions observées. Il semblerait que les domaines dans lesquels les qualifications, le chiffre daffaires moyen et les situations de cumul dactivités sont les plus fréquentes sont plutôt moins conflictuels que ceux où dominent les AE à titre principal et dont le chiffre daffaires moyen est plus modeste.

Une classification empirique des risques

Lanalyse des 104 décisions retenues permet didentifier trois classes et sept sous-classes de risques auxquelles sont soumis les AE. Les premières correspondent aux risques habituels de lentreprise, indépendamment de son statut juridique, dans ses relations avec les clients, fournisseurs et concurrents. Les deuxièmes, qui sont les plus nombreuses, résultent de la confrontation de la condition dAE à celle de salarié, soit parce quen devenant AE la personne obère ses possibilités daccès au statut de salarié, soit parce que lactivité dAE est entrée en conflit avec celle de salarié. Les dernières sont liées au régime même et concernent les conditions à respecter pour en bénéficier. La figure 2 répartit les arrêts dans ces différentes classes et sous-classes, en les décrivant par objet de litige.

En lisant le schéma de la droite vers la gauche, on se déplace selon un axe de spécialité des classes de risques : la classe la plus générale, commune à toutes les formes dentreprise, est engendrée par lactivité elle-même ; la deuxième classe de risque, celle du salariat, est partagée avec ceux des indépendants qui exercent leur activité sous une forme subordonnée, que ce soit en concurrence ou en cumul ; enfin, une troisième classe de risques est spécifique au régime de lauto-entreprise et 138résulte de la complexité des règles. Ces différentes classes ne sont pas exclusives, mais se cumulent, de sorte quil est évident à la simple lecture du schéma que les AE supportent une plus grande variété de risques que tous les autres entrepreneurs, indépendants ou non.

Du point de vue quantitatif, les indications chiffrées figurant dans le schéma ne doivent pas être interprétées comme donnant une mesure de probabilité de survenance des événements « dans la vie réelle », mais seulement comme des occurrences de ces divers risques devant les tribunaux. En effet, selon leur nature, les événements ont des chances inégales de faire lobjet dun litige qui donnera lieu à un appel. Ainsi les risques de lactivité (33 arrêts), qui ne sont pas spécifiques aux AEs, sont traités aussi bien par les tribunaux de commerce, les tribunaux de grande instance et les tribunaux dinstance, qui connaissent des taux dappel respectifs de 14 %, 12,5 %, et 5,3 %12. À lopposé, le grand nombre darrêts relevant du risque de lentreprise (62 arrêts) tient au fait que presque tous proviennent des conseils de prudhommes, passage obligé en termes de requalification, et dont le taux dappel sur les décisions au fond est très élevé (64 % en 2012) (Guillonneau et Serverin, 2013, p. 31). Quant aux risques du régime, ils sactualisent devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale (9 arrêts) qui ninterviennent pas en première intention, mais sont des juridictions de recours contre les décisions des organismes, avec des taux dappel denviron 10 %.

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Fig. 2 – Les risques de lAE.

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Lanalyse va donc consister à identifier la nature et létendue des risques « possibles » de lauto-entreprise, en cherchant à voir dans quelle mesure le régime est apte à les supporter.

III. Les risques de lAE en procès

Cette section analyse les risques identifiés à partir des jugements collectés et les commente en référence à la typologie composée à partir de la littérature. Pour chaque classe et sous-classe de risques, on cherchera à voir dans quelle mesure le régime est apte à les supporter en illustrant lanalyse par des exemples de litiges. On constate ainsi i) que ce sont les risques de lactivité qui menacent le plus les AE, dans la mesure où ils engagent des coûts qui sont déconnectés de la valeur des prestations ; ii) quau regard du risque du salariat, lAE se trouve pris dans lorbe du travail subordonné et iii) quen termes de risque de régime, les effets de seuil créent une instabilité plus grande que dans dautres activités indépendantes.

LAE au risque de lactivité

Hormis certaines activités exclues a priori13, les AE peuvent exercer toutes les formes dactivités, libérales14, commerciales, ou artisanales, sous réserve, pour les professions réglementées, de remplir un certain nombre de conditions (diplômes, homologations, agréments, expérience 141professionnelle)15. Nous avons classé les événements relatifs à lactivité en trois sous-catégories, selon leur origine : les dettes professionnelles, les créances professionnelles, les risques de la concurrence.

Les dettes professionnelles

Les 23 arrêts de léchantillon mettent en évidence trois grandes sources dendettement, elles-mêmes subdivisées en multiples situations : les dettes contractées à loccasion de lexercice et de la cessation de lactivité (12), les dettes de responsabilité pour mauvaise exécution ou inexécution de la prestation (3), et les dettes liées au droit social (8). Si les dettes du premier type sajustent à lactivité exercée, les dettes du deuxième et du troisième type sont dé-corrélées du chiffre daffaires.

Les dettes liées à lactivité ou à sa cessation

Les affaires du premier type sont dordre contractuel et, selon la nature et la valeur du contrat, sont traitées par les tribunaux de commerce (8 cas), dinstance (2 cas) et de grande instance (2 cas). Toutes juridictions confondues, les litiges opposent les entrepreneurs avec leurs banques (4 cas), leurs fournisseurs (3 cas), leurs bailleurs (4 cas), et leur liquidateur (2 cas). Pour illustrer les processus dendettement, nous retiendrons une affaire en matière de crédit.

Devant la Cour dappel de Bordeaux16, un litige oppose une AE à sa banque, auprès de laquelle elle a contracté un crédit de 10 000 euros sous forme dune convention de crédit par découvert autorisé. La banque agit devant le TGI en paiement du solde de compte courant et la cliente réplique en demandant la condamnation de la banque pour défaut dinformation dun emprunteur non averti, et la compensation des sommes. Après avoir perdu devant le tribunal, la cliente se voit condamnée à rembourser par la Cour dappel, qui lui accorde néanmoins 3 000 euros de dommages-intérêts en raison des fautes de la banque. En effet, « Létablissement prêteur ne justifie pas avoir demandé la moindre étude prévisionnelle des perspectives dévolution de cette activité, ni vérifié que les capacités financières de Mme B. lui permettraient de faire face à son engagement, et alerté lemprunteuse sur le risque 142dendettement né de loctroi de ce crédit (…). ». Ce litige soulève la question de la nature du crédit accordé aux entreprises individuelles. On peut penser que les établissements bancaires, qui nignorent rien du risque de défaut associé à ce genre de crédit, préfèreront proposer aux AEs un crédit à la consommation qui ne mettra pas en cause leur obligation de conseil.

Les dettes liées à lexécution dune prestation

En cas de mauvaise exécution ou dinexécution des prestations, les dettes peuvent devenir considérables. Dans les trois affaires correspondant à cette situation, les AE ont été reconnus responsables des dommages et ont été condamnés.

Un litige est emblématique du coût de linexécution pour des activités qui nécessitent une assurance spécifique. Devant un TGI lassureur du client dun AE réclamait à ce dernier, et à son assureur de responsabilité civile appelé en garantie, le remboursement de plus de 22 159 euros de dommages causés par des travaux de réfection dune toiture17 . Lassureur de lAE dénie sa garantie, au motif quil sagit « dun contrat dassurance habitation responsabilité civile vie privée et non dun contrat garantissant sa responsabilité professionnelle ». Le tribunal met alors hors de cause lassurance et condamne lAE à rembourser lassureur de la cliente. La cour dappel confirme la décision, au motif que les travaux litigieux étaient réalisés « à titre de garantie des travaux effectués antérieurement, dans un contexte professionnel », et « quà la date de lintervention litigieuse, M. B. était encore déclaré comme auto entrepreneur ».

Le litige naurait pas eu lieu si lAE sétait soumis à lobligation de contracter une assurance pour la garantie de la responsabilité décennale des entreprises du bâtiment. Ce cas ne doit pas être rare, les AE étant nombreux dans le secteur de la construction (supra, figure 1). Mais est-il bien réaliste dobliger des AE, dont le chiffre daffaires est plafonné, à contracter une telle assurance ? Et le fait dajouter une obligation de contrôle de lexistence dune telle assurance, à la charge des donneurs dordre nest pas de nature à corriger ce défaut de conception du dispositif18.

143

Les dettes sociales

En matière demploi, les AE se trouvent dans la situation paradoxale dêtre considérés comme isolés tout en étant soumis, comme nimporte quel employeur, à déclaration des personnes qui travaillent pour lui, hormis laide familiale [Levratto, Serverin (2009)]. Cest ce quillustre une affaire de travail dissimulé, qui soulève la question du statut de laide occasionnelle.

À la suite dun contrôle de lorganisme, un commerçant AE fait lobjet dun redressement par une Urssaf pour ne pas avoir déclaré laide apportée par un couple pour la tenue de son stand19. Après un recours amiable infructueux, le commerçant saisit le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) qui le déclare coupable de travail dissimulé, le litige portant sur le montant de la pénalité. Faute de pouvoir prouver la durée demploi du couple, la Cour dappel applique une pénalité égale à six fois le montant mensuel du SMIC à la date de la constatation de linfraction20. Pour la cour dappel, « La sanction qui résulte de ce texte na pas de caractère disproportionné au regard de lobjectif du législateur qui est de prévenir la fraude. ». Cette affaire illustre les difficultés résultant du régime : compte tenu du mode dimposition, et des plafonds de chiffre daffaires, lAE est voué à lisolement le plus complet, ou à la fraude.

Les créances professionnelles

Comme toute entreprise, lAE peut se voir contraint dagir en justice contre un client, soit en raison dun impayé (6 arrêts), soit pour brusque cessation des relations contractuelles (1 arrêt).

Limpayé

Cette situation se retrouve devant toutes les juridictions civiles et commerciales du premier degré. Les arrêts exhibent des situations ordinaires, dont lintérêt est de montrer que les AE font parfois face à des clients mieux armés queux dans les relations commerciales.

144

Un cas est représentatif des difficultés que les AE éprouvent à se faire régler en raison de lasymétrie dans la relation de clientèle. Cest celui dun pâtissier AE réclamant le paiement de macarons fournis en 2009 à une société organisatrice dévénements, en contrepartie de la promotion de son activité. La société nayant pas procédé à cette promotion, le fournisseur saisit le tribunal de commerce, puis la Cour dappel. Ce nest que six ans plus tard quil obtient 4 000 euros de prestations (assortis dintérêts au taux légal), complétés par 2 500 euros darticle 70021. Conduire cette action jusquau bout implique une solidité financière contradictoire avec le régime et dont nombre dAEs ne doivent pas disposer.

La cessation des relations contractuelles

Lorsque lAE entretient des relations régulières avec un seul client, la cessation des relations contractuelles peut donner lieu à dommages-intérêts si la rupture est jugée fautive. Il nen na pas été ainsi dans le seul arrêt de léchantillon correspondant à ce type de demande22. En lespèce, un professeur de golf AE saisit un tribunal dinstance pour réclamer 20 000 euros aux dirigeants du centre de golf qui lui en ont interdit laccès. La Cour dappel confirme la décision de rejet des premiers juges, en imputant la rupture au seul demandeur, « dont lattitude traduisait la volonté non équivoque de nexercer plus aucune activité au profit de la structure commerciale et dispensait le gérant de celle-ci de lobligation de délivrer une mise en demeure préalable et de respecter un quelconque préavis ».

Ces affaires montrent que les AE sont en situation de faiblesse au regard de leurs partenaires commerciaux ce qui va à lencontre de lhypothèse de symétrie des contractants portée par lanalyse économique.

Le risque de concurrence déloyale

Du seul fait de son activité, lAE est pris dans le jeu de la concurrence, sans que sa faible surface économique entre en ligne de compte. Deux occurrences du risque de concurrence se rencontrent dans notre échantillon, la première comme demandeur, la seconde comme défendeur.

145

Dans le premier arrêt23, lAE, exploitant un site de vente de tondeuses par internet, agit en concurrence déloyale devant un tribunal de commerce contre un voisin exploitant un site portant le même nom, lequel agit reconventionnellement sur le même motif. La Cour dappel retient que chacune des parties a commis des actes de concurrence déloyale. Dans le second arrêt, laction en concurrence déloyale est exercée devant le tribunal de commerce par une entreprise contre son ancien salarié qui cumulait un CDI et une auto-entreprise auprès dun autre employeur24. Le préjudice subi était estimé à 30 000 euros par le demandeur. Confirmant la décision de rejet du tribunal, la Cour le déboute, en relevant que lentreprise avait renoncé à la clause de non concurrence figurant dans le contrat de travail, et que « conformément au principe de la liberté du commerce et de lindustrie, monsieur Jérôme B. est en conséquence libre de poursuivre une activité concurrente à celle de la société S. le même secteur géographique, dutiliser dans le cadre de cette activité le savoir faire quil a acquis précédemment, et de se constituer une clientèle dans le même secteur dactivité que son ancien employeur. ».

Ces procédures nont rien que de très banal dans des relations entre entreprises concurrentes. Mais on soulignera une fois encore que lAE ne dispose pas dune surface financière suffisante pour supporter le coût dune éventuelle condamnation en concurrence déloyale, ni pour agir efficacement sil se trouve lui-même victime dactes de cette nature.

LAE, au risque du salariat

Par risque du salariat, nous entendons les situations dans lesquelles lAE se trouve contraint de recourir aux prudhommes en raison de son activité. Ce groupe comprend 62 arrêts, dorigine exclusivement prudhomale, que nous avons répartis en deux sous-classes, lune relevant dune démarche de revendication du salariat par une action en requalification, lautre dune démarche de préservation du salariat face aux menaces de lauto-entreprise.

146

La difficile revendication du salariat

La requalification est laction par laquelle un travailleur indépendant demande à se voir reconnaître la qualité de salarié. Aux États-Unis, ce type daction est fondé depuis 2013 sur une législation particulière, le Employee Misclassification Prevention Act (Grey, 2015). En France, laction est dorigine jurisprudentielle, et implique de faire la preuve de lexistence dun lien de subordination avec le donneur dordre. Le corpus comprend 28 demandes de requalification, couvrant les secteurs les plus divers, des activités danimation et denseignement, aux prestations commerciales et aux services. Dans presque tous les cas, laction est engagée à la suite de la rupture des relations que lAE entretient avec son donneur dordre, dont sept cas à la suite dune liquidation de lentreprise de ce dernier. Du point de vue procédural, ce type de litige est particulièrement complexe, dans la mesure où les AE doivent renverser devant le conseil de prudhommes, la présomption dindépendance attachée aux activités exercées par les personnes physiques immatriculées ou inscrites aux différents registres ou régimes25, dans les conditions posées dans le point II du même article26 .

Avant de pouvoir aborder le fond, le conseil de prudhommes doit statuer sur lexistence dun pouvoir de lemployeur de donner des ordres et des directives, den contrôler lexécution et den sanctionner les manquements27. La procédure peut prendre alors trois directions. Soit, après analyse, le conseil considère que la relation contractuelle ne constitue pas un contrat de travail, et il se déclare incompétent, en renvoyant à un autre tribunal (civil ou commercial) ; le demandeur devra alors contester la décision devant la cour dappel par la voie du contredit (13 cas)28, soit il déboute purement et simplement, ce qui ouvre la voie de lappel ordinaire (10 cas), soit, enfin, il requalifie en contrat de travail et statue 147au fond (5 cas), ce qui ouvre à ladversaire la possibilité dun contredit, possibilité qui na pas été utilisée dans notre corpus29.

Toutes procédures confondues, le bilan est maigre : dans 23 affaires, lAE était demandeur à lappel après échec devant le conseil de prudhommes. Devant la cour dappel, il se voit reconnaître le régime salarial seulement dans neuf cas, il est renvoyé devant le conseil des prudhommes dans un autre cas et il est débouté dans les autres. Ce taux déchec élevé traduit les difficultés rencontrées par des AEs, qui exercent leur activité de manière autonome, à apporter la preuve dune relation de subordination juridique. La recherche déléments dexplication à la réussite ou à léchec de laction dans ces décisions fait apparaître une relation entre les conditions du recrutement et les critères de la subordination. Ainsi, la requalification sera rejetée si la relation sétablit avec un AE qui revendique le statut, ou qui a déjà une ancienneté dans le régime dindépendant, tandis quelle sera reconnue si lauto-entreprise apparaît avoir été imposé par le donneur dordre.

Deux cas illustrent cette situation. Dans un premier arrêt, la demanderesse en AE pour la création de site internet demande que lui soit reconnu le statut de travailleur à domicile. Elle est déboutée par le conseil de prudhommes et la Cour dappel rejette son contredit, avec renvoi devant le tribunal de commerce. La Cour relève dabord que « Ses propres écrits et ses facturations démontrent quelle a choisi de réaliser la mission confiée dans le cadre du statut dauto-entrepreneur30 » . Elle sattache ensuite aux conditions de travail, pour conclure que « Aucune pièce au dossier ne laisse à penser que le gérant de la société (…) avait le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, den contrôler lexécution et de sanctionner ses manquements. » Au contraire, la requalification est dans une affaire où la contrainte dinscription au régime était manifeste. Dans cet arrêt, un téléprospecteur, qui vendait des formations professionnelles sous le régime de lAE pour le compte dune entreprise placée en liquidation, réclame à lAGS la requalification en contrat de travail31. Débouté par le conseil de prudhommes, il obtient gain de cause en appel. Après une longue discussion sur les conditions de son immatriculation, la Cour 148conclut « quainsi quil laffirme, cest sur la seule insistance de cette société quil sétait inscrit en qualité dauto entrepreneur, cette qualité ayant en réalité un caractère fictif, de sorte que les relations contractuelles quil entretenait avec la SARL C. devraient être requalifiées en contrat de travail ». La créance salariale est donc reconnue et inscrite au passif de la liquidation judiciaire.

Ces exemples montrent que, au delà de la difficulté à renverser la présomption de non salariat, lAE aura dautant plus de difficultés à obtenir une requalification que son inscription comme indépendant sera ancienne, attestant dune forme de « professionnalisation » dans le régime.

Les liaisons dangereuses entre indépendance et salariat

Une deuxième sous-classe darrêts, la plus importante en volume (34 cas), regroupe des situations de proximité entre salariat et indépendance, générant un risque spécifique de perte dun emploi principal. Ces situations rendent compte dune forme de concurrence entre les régimes, soit en raison dun cumul non autorisé (14 cas), soit en raison dune succession de relations salariales et indépendantes dans la même entreprise (20 cas).

Les conséquences dun cumul demploi non-autorisé

Dans quatorze cas, le litige porte sur un licenciement pour faute grave dun salarié qui cumule son emploi avec une auto-entreprise susceptible de créer une concurrence déloyale avec lemployeur principal. Cette situation de conflit dintérêts, qui nest pas nouvelle, a été indubitablement renforcée par la facilité avec laquelle un salarié peut sinscrire comme AE accessoirement à son emploi. Dans neuf cas, le licenciement a été jugé fondé, comme dans le cas dun infographiste licencié par son employeur après avoir créé une auto-entreprise sans len avertir32. La décision de licenciement étant validée en première instance, le salarié saisit la Cour dappel qui conclut que « que non seulement le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse mais, sagissant en particulier des faits portant atteinte aux intérêts commerciaux de lemployeur, que la poursuite du contrat de travail nétait plus possible même pendant la durée du préavis ». 149Dans quatre autres cas, le salarié a obtenu gain de cause, faute de « pièce justifiant de lexercice par le salarié dune activité complémentaire pendant le temps de travail33 » . Le dernier arrêt ne tranche pas et renvoie pour communication de pièces.

Ces situations montrent que lissue de ce type de litige dépend de la preuve que lemployeur peut apporter de lexercice déloyal dune activité complémentaire. Le salarié est cependant systématiquement en position délicate vis-à-vis de son emploi principal dès lors quil développe sa propre entreprise dans le même secteur que celui de son employeur.

Les conséquences dune succession de régimes variés

Le second sous-groupe daffaires (20 arrêts), présente diverses séquences demploi salarié et non salarié : tantôt le litige porte sur le motif de licenciement de salariés incités à travailler en tant quAE (une série de 6 cas, concernant la même entreprise) ; tantôt le litige vient en requalification dune relation de travail par des AEs qui étaient auparavant des salariés de lentreprise (9 cas) ; tantôt la relation de travail comporte une combinaison de différentes séquences de travail salarié et indépendant (5 cas). Bien que minoritaire, le taux de réussite de ces actions est plus élevé que dans lensemble des autres affaires de la classe (9 cas sur 20).

Les six arrêts du premier sous-groupe concernent des coachs sportifs, salariés depuis plusieurs années dune même entreprise de fitness appartenant à un groupe national. La société procède au licenciement économique de tous ses salariés (neuf au total), tout en leur proposant de continuer à travailler sous le régime de lauto-entreprise34. Après contestation, les salariés obtiennent gain de cause devant les premiers juges, et la décision est confirmée en appel pour absence de motif économique et défaut de reclassement. Pour chaque salarié concerné, la Cour retient quil a démontré que « concomitamment à son licenciement, le groupe L. a passé une annonce pour un poste de coach (…) “à pourvoir de suite” “statut auto entrepreneur” ».

Dans tous les arrêts du second sous-groupe, le salarié avait quitté lentreprise par démission ou de rupture conventionnelle pour continuer 150la même activité au titre dAE. Malgré le caractère douteux dune telle séquence, seulement trois des neuf demandeurs ont obtenu gain de cause. Larrêt ci-dessous fournit un exemple dargumentaire particulièrement restrictif au soutien de lappréciation des conditions dans lesquelles le contrat de travail a pris fin35. Les juges peuvent rejeter la demande de requalification au motif que le salarié « napportait pas la preuve dune contrainte quant à sa démission, et quil ressortait des pièces produites sa volonté de sétablir en tant quauto-entrepreneur ». Dans ce même arrêt, la Cour confirme le rejet, en affirmant, dans un attendu quelque peu contradictoire que le demandeur « napporte aucun élément de nature à démontrer la réalité de ses allégations quant à la contrainte quil dit avoir subie, alors quen outre il a continué à exercer son activité de comptable avec le statut dauto-entrepreneur immédiatement après sa démission de son poste de comptable salarié par lAssociation ».

Ces exemples de cumul dexpériences de salariat et dindépendance, que ce soit sous forme accessoire ou de séquences temporelles montrent bien que, dans la pratique, lAE nest jamais très éloigné du salariat. On est loin de la représentation dun salarié animé dun esprit dentreprise qui abandonne le salariat par pur choix et sans volonté de retour.

LAE, au risque du régime

Les affaires classées dans cette catégorie recouvrent les litiges liés au régime dans sa seule dimension sociale36. Seuls neuf arrêts ont été identifiés dans notre corpus. Ce nest guère surprenant, sachant que la procédure contentieuse en matière de cotisations est précédée dun recours amiable, filtrant laccès au TASS, et que les décisions ne font que rarement lobjet dun appel. Les neuf affaires parvenues à ce stade illustrent deux types de difficultés, spécifiques au régime de lAE : cinq sont liées au bénéfice du régime ; les quatre autres illustrent les complexités du calcul des cotisations.

151

Un régime sous condition

LAE constitue une variante du régime social de la micro-entreprise et son bénéfice est soumis à plusieurs conditions, dont trois figurent dans notre corpus : la radiation pour dépassement de seuil (deux cas), la radiation pour absence de chiffre daffaires (un cas), et le refus daccès au régime (deux cas). Nous présenterons deux arrêts illustratifs de chacune de ces situations, qui seront loccasion de rappeler quelques unes des règles du régime.

La distribution des chiffres daffaires des AEs montre quune fraction dentre eux se situe très près du point de sortie, ce qui peut laisser penser à un calcul de leur part pour rester dans le cadre du régime. Inscrit de la première heure, un conseiller en recrutement a dépassé le seuil de 32 100 euros deux années consécutives, pour se situer à moins de 34 000 euros37. Pour fonder sa réclamation, il se réfère à un autre seuil, de 34 100 euros qui concerne la franchise de TVA. Sil obtient gain de cause devant le TASS, il est débouté par la Cour dappel, au motif que « lintéressé se réfère ici à lhypothèse du dépassement du seuil de la franchise de TVA pour une activité de service et non à celle du franchissement du seuil au-delà duquel le régime micro-fiscal pour une activité de service nest plus applicable ». Lexistence dun calcul est manifeste, même sil est erroné, montrant que de rares AEs (les 10 % qui sont proches du point de sortie), ont intérêt à demeurer dans le cadre du régime.

De quelques difficultés liées au calcul des cotisations

Les quatre affaires relevant de cette sous-classe de risque renvoient à deux formes de difficultés : trois concernent le bénéfice de laide aux chômeurs créateurs ou repreneurs dentreprise (ACCRE) alors que la dernière est relative à la régularité des contraintes émises à loccasion du passage dun régime à un autre38.

On retiendra au titre de ces difficultés le contentieux de la demande dACCRE, qui ajoute de la complexité au calcul des cotisations dans un régime qui se voulait pourtant simple. Laide permet à un entrepreneur de bénéficier dune exonération de cotisations sociales partielle et 152progressive étalée sur trois années dactivité. Depuis le 1er mai 2009, elle a été étendue aux AEs sous des conditions dâge (25 ans) et de délais (45 jours après le dépôt de la déclaration). Dans trois arrêts, les AE ont tenté après-coup de se voir reconnaître le bénéfice de laide, sans obtenir gain de cause.

Hormis ces cas, notre corpus ne présente pas dexemples de contentieux dimpayé de cotisations. Cela na rien détonnant car ce type de litiges se règle ordinairement par voie de contrainte. Le contentieux dappel ne nous informe donc pas sur les conditions dans lesquelles les cotisations sont versées, ni sur les pénalités pour absence de déclaration, ni sur les rappels, indus et autres régularisations qui sont monnaie courante dans les régimes sociaux. Mais on peut affirmer, sans craindre de se tromper, que les AE connaissent à cet égard les mêmes difficultés que toute autre entreprise.

Conclusion

Quelle soutenabilité
pour les risques de lauto-entreprise ?

Ce travail avait pour objectif de souligner les risques auxquels sont soumis les AE. Si les promoteurs du régime nont envisagé aucun des risques de lentreprise repérés par la littérature, lIGAS et lIGF ont surtout mis laccent sur les risques socio-fiscaux (concurrence déloyale à légard des autres entreprises, détournement du modèle salarial, fraude) sans envisager ceux qui résultent de lexercice même de lactivité. Leur confiance dans un régime qui napporte que des avantages aux intéressés conduit dailleurs les rapporteurs à exclure toute idée « de limitation dans le temps du bénéfice du régime ou dexclusion (temporaire ou définitive) de secteurs particuliers » (Deprost et al., 2013, p. 3).

Nos résultats montrent également quentre lAE et lentrepreneur la différence nest pas seulement déchelle mais de nature : dune part, ce régime apparaît inadapté au développement dune entreprise viable et ne peut que venir en complément dune source de revenus (dactivité ou de retraite), dautre part, loin dêtre une transition destinée à tester un 153projet, lactivité initiée sous ce régime a très peu de chances dévoluer vers une entreprise structurée. Le refus des opérateurs du secteur de limiter dans le temps le bénéfice du régime met en effet à mal largument de la transition, et acte la perspective dune pérennisation de cette forme de sous-activité. Lointains parents des entrepreneurs schumpetériens accumulateurs et innovateurs, les auto entrepreneurs composeraient finalement une classe de « lumpen » entrepreneurs.

Or, rien ne préserve lauto-entrepreneur des risques rencontrés par toutes les entreprises, indépendantes ou personnes morales. Pis, les aléas les plus ordinaires auxquels sont confrontées les entreprises prennent une ampleur inédite pour les AE qui, imposés sur leur chiffre daffaires, ne peuvent déduire aucune charge liée à lactivité de leur revenu imposable. Cette disposition est une entrave à linvestissement au crédit et à lembauche, facteurs de développement de laffaire, mais aussi à lassurance. Létude des contentieux a montré que ces risques étaient loin dêtre hypothétiques et, surtout, que leurs conséquences pouvaient mettre en péril le patrimoine des intéressés. À léchelle dune population dAE qui avoisine le million, la survenance de ces risques nest plus anecdotique et impose une réflexion sur la manière déviter que le régime ne plonge dans la précarité une partie de ceux qui ont cru y trouver une issue au non-emploi ou à linsuffisance de revenus. Autrement dit, il sagit de réfléchir aux moyens de rendre soutenable cette activité indépendante, et à tout le moins, déviter quelle ne soit plus risquée quune activité équivalente exercée sous un autre régime.

Pour cela, prenant le contre-pied des propositions du rapport Igas-IGF, il nous semble urgent dintroduire quatre modifications au régime de manière à en limiter le risque :

La première concerne laccès à linscription : des vérifications devraient être faites sur les diplômes et les compétences exigées par lactivité pour laquelle linscription des demandée. Il sagit là autant dun moyen de protection du client que de protection de lAE.

La deuxième modification permet de pallier le risque de non assurance, en excluant purement et simplement du régime toutes les activités qui requièrent une assurance professionnelle obligatoire. On peut considérer à cet égard que la loi du 18 juin 1542014 sur le travail dissimulé introduisant une obligation pour le donneur dordre de produire « les attestations dassurances professionnelles détenues par les travailleurs indépendants lorsque ces assurances répondent à une obligation légale », constitue une première étape en direction de cette exclusion.

La troisième évolution concerne le cumul avec une activité salariée exercée dans le même secteur. Ce cumul devrait être conditionné à lobtention dun accord exprès de lemployeur, faute de quoi linscription ne pourrait pas être autorisée ;

Le dernier changement concerne le contrôle des transitions entre salariat et auto-entreprise. Prolongeant la disposition du code du travail qui instaure une priorité de réembauche dun salarié licencié pour motif économique (art. L.1233-45 du Code du travail), une disposition devrait prévoir quun salarié qui a quitté lentreprise par licenciement, démission, ou rupture conventionnelle, ne peut être employé en tant quauto-entrepreneur pour effectuer les mêmes tâches.

Au terme de cette étude sur les risques inhérents au régime de lauto-entrepreneur il apparaît que celui-ci sinscrit à contre-courant de lévolution des formes sociétaires qui, depuis lémergence de la SARL jusquà la création de lEURL et du patrimoine affecté ont cherché à protéger les biens propres des créateurs dentreprises grâce au principe de la responsabilité limitée. Échappant à cette protection les auto-entrepreneurs sont ainsi doublement pénalisés ; par des revenus plafonnés et une exposition au risque qui ne lest pas. Pour prendre la mesure de ces risques une enquête qualitative sur leurs conditions de travail, en complément de lenquête SINE (Système dinformation sur les nouvelles entreprises) de lInsee, serait bienvenue.

155

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158

Annexe

Nombre de décision selon les mots clefs
par type de tribunal

Juridiction dorigine de la décision objet de lappel

Termes de linterrogation

(a)

Total arrêts de 01/2009 au 20/08/2014

(b)

Arrêts du corpus pour la période du 01/01/2014-20/08/2014

(c)

% arrêts du corpus par rapport à la base totale (b/a)

(d)

Nombre darrêts retenus après analyse

(e)

% darrêts retenus

après analyse (d/b)

CPH – conseil de prudhommes

AE OU auto entrepreneur ET conseil de prudhommes

477

78

16,4

69

88,5

TC –
tribunal de commerce

AE OU auto entrepreneur ET tribunal de commerce SAUF conseil de prudhommes

118

16

13,6

12

75

TASS – Tribunal des affaires de sécurité sociale

AE OU auto entrepreneur ET tribunal des affaires de sécurité sociale

43

11

25,6

10

90,9

TGI – tribunal de grande instance

AE OU auto entrepreneur ET tribunal de grande instance SAUF juge aux affaires familiales

203

15

7,4

7

46,7

TI – tribunal dinstance

AE OU auto entrepreneur ET tribunal dinstance SAUF juge aux affaires familiales

99

7

7,1

6

86,0

159

Juge de proximité

AE OU auto entrepreneur ET juge de proximité

0

0

0,0

0

0,0

Total

940

127

13,5

104

1 nadine.levratto@u-paris10.fr et eserveri@u-paris10.fr

2 Pour une présentation des raisons qui ont poussé à la mise en place du régime de lauto-entrepreneur, cf. Abdelnour (2012) et Levratto et Serverin (2012).

3 La Loi de Modernisation de lÉconomie du 4 août 2008 les définit comme des entités de moins de 10 salariés, non détenues par une société nappartenant pas à cette catégorie et dont le chiffre daffaires ou le total de bilan est inférieur à 2 millions deuros.

4 Les deux autres composantes des gains de lentrepreneur sont lintérêt sur le capital engagé et lhabileté du producteur à gérer et conduire les affaires. Les gains qui sont entre les mains de la personne qui a offert les fonds nécessaires à la production « doivent offrir un équivalent suffisant à labstinence, une indemnité pour le risque et une rémunération pour le travail et la qualification nécessaires à la direction. » (Mills, 1973, p. 406).

5 Selon le deuxième principe, la peur de léchec et la prudence dans lanalyse des situations qui en résulte « augmente les chances de succès dune nouvelle entreprise mais diminue la probabilité de la créer effectivement. ». À linverse, selon le troisième principe, la crainte de passer à côté dune bonne opportunité favorise laction au détriment de la réflexion ce qui « augmente la probabilité de créer une nouvelle entreprise mais diminue les probabilités de succès. » (Fayolle et al., 2008, p. 16). On retrouve cette même idée dans la distinction opérée par Schulze et al. (2001) entre managers et propriétaires. À la différence des premiers, les propriétaires contrôlant une entreprise privée définissent sa valeur en termes dutilité, et sont ainsi prêts à supporter des risques en adéquation avec leurs préférences pour certains objectifs.

6 Levratto et Serverin (2009, 2012 et 2013) présentent une analyse de la conception de lentreprise qui sous-tend le régime de lauto-entrepreneur et montre en quoi il contredit la plupart des définitions de lentreprise proposées par la littérature. Voir également Morel-A-LHuissier et al. (2010), p. 10.

7 Pour les détails sur les revenus des AEs par rapport à ceux des indépendants, voir Omalek et Pignier (2014).

8 Ces documents sont disponibles en ligne sur le site de lAgence. Le dernier en date est paru le 1er août 2014. Il peut être consulté en ligne à ladresse suivante : http://www.acoss.fr/files/Communiques_presse/CP_01082014_Bilan_AE.pdf (consulté le 26 mai 2015).

9 Cette base comprend la totalité des arrêts rendus par les Cours dappel depuis le 1er janvier 2008, dans les matières civiles et sociales, ainsi que les décisions juridictionnelles prises par les premiers présidents de ces cours ou leurs délégués (Serverin, 2009).

10 Nous attirons ici lattention sur les conséquences de la seule analyse de décisions dappel. Les juges de deuxième instance ne prennent pas forcément les mêmes décisions que les juges de première instance, et les parties interjetant appel ne présentent pas nécessairement les mêmes caractéristiques que les parties se présentant devant les juridictions de première instance.

11 La base est alimentée par le greffe de chaque Cour qui transmet les décisions mettant fin à linstance, les décisions mixtes, les décisions avant dire droit, les décisions sur déféré et les décisions sur ordonnance de taxe.

12 Annuaire statistique de la Justice, 2011-2012, juridictions civiles, taux dappel par juridiction dorigine, 2009.

13 Sont exclues les activités qui ne peuvent pas être affiliées au régime social des indépendants ou à la CIPAV (comme les professions juridiques et judiciaires les professions médicales et paramédicales, les agents généraux et les agents dassurance, les experts-comptables et les commissaires aux comptes, les activités relevant de la TVA immobilière : marchands de biens, lotisseurs, agents immobiliers, etc.), ainsi que les opérations exclues de la franchise de TVA (opérations immobilières, location de matériels, etc.).

14 Loi no 2012-387 du 22 mars 2012, article 29 : « les professions libérales groupent les personnes exerçant à titre habituel, de manière indépendante et sous leur responsabilité, une activité de nature généralement civile ayant pour objet dassurer, dans lintérêt du client ou du public, des prestations principalement intellectuelles, techniques ou de soins mises en œuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées et dans le respect de principes éthiques ou dune déontologie professionnelle, sans préjudice des dispositions législatives applicables aux autres formes de travail indépendant ».

15 Il est à noter que lIGF (2014, p. 45 et s.) a jugé injustifiée pour certaines activités (comme le bâtiment), lexigence dun diplôme.

16 Bordeaux, 12 juin 2014, no 13/01286.

17 Aix-en Provence, 28 janvier 2014, no 13/05145.

18 Larticle L.8271-9 du Code du travail sur le contrôle du donneur dordre a été complété par la loi du 18 juin 2014 sur le travail dissimulé par une obligation de produire « Les attestations dassurances professionnelles détenues par les travailleurs indépendants lorsque ces assurances répondent à une obligation légale ».

19 Limoges, 3 mars 2014, no 13/00213.

20 Ce montant correspond au forfait prévu par larticle L 242-1-2 du code de la sécurité sociale.

21 Paris, 13 février 2014, no 12/09530.

22 Pau, 11 mars 2014, no 12/04111.

23 Aix-en Provence, 15 mai 2014, no 12/05990.

24 Douai, 15 mai 2014, no 12/13767.

25 Elles sont énumérées par larticle L.8221-6 I du code du travail.

26 Art. L. 8221-6 II du Code du travail : « Lexistence dun contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur dordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à légard de celui-ci. »

27 Le tribunal de statuer sur sa compétence dattribution si les conditions de la subordination juridique sont réunies.

28 Article 80 : « Lorsque le juge se prononce sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision ne peut être attaquée que par la voie du contredit, quand bien même le juge aurait tranché la question de fond dont dépend la compétence. »

29 Article 81 du Code de procédure civile « Si le juge se déclare compétent, linstance est suspendue jusquà lexpiration du délai pour former contredit et, en cas de contredit, jusquà ce que la cour dappel ait rendu sa décision. »

30 Paris, 23 janvier 2014, no 13/077582.

31 Paris, 12 février 2014, no 12/02245.

32 Paris, 22 janvier 2014, no 12/01863.

33 Douai, 28 mai 2014, no 13/02831.

34 Lyon, 1er août 2014, nos 13/033375 et s.

35 Colmar, 18 février 2014, no 12/04757.

36 Le contentieux de la fiscalité directe relève de la compétence des juridictions administratives, les recours devant les cours administratives dappel pouvant être connus via Legifrance. Cependant, nous navons pas trouvé trace de ce type de litige, ce qui peut sexpliquer par le fait que le contentieux fiscal suit un parcours encore plus long que celui de la matière sociale.

37 Paris, 26 mai 2014, no 13/10326.

38 Dijon, 28 mai 2014, no 13/00477.