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Classiques Garnier

Faut-il-il choisir une doctrine avant d’élaborer une théorie ? Retour sur un article d’Edmond Malinvaud écrit en 1950

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d'histoire de la pensée économique
    2020 – 1, n° 9
    . varia
  • Auteur : Diemer (Arnaud)
  • Résumé : En l’espace de deux siècles, l’économie politique s’est érigée en véritable science, formulant des hypothèses, des postulats, un langage et une méthode scientifique. Si la théorie économique repose sur un appareillage technique de plus en plus en sophistiqué, elle reste encore largement tributaire des écoles de pensée et des corps de doctrine. L’article de Malinvaud, l’un des pères de la macroéconomie en France, intitulé « L’expérience travailliste et la pensée économique anglaise » (1950), constitue une excellente illustration de ces liens ténus entre théorie et doctrine. Son analyse permet de comprendre les discussions en matière d’organisation économique après 1945, le souhait pour certains économistes français de mieux comprendre l’esprit du capitalisme anglais et son expérience planificatrice, et l’état des connaissances en matière d’histoire des idées durant cette même période.
  • Pages : 91 à 124
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406106029
  • ISBN : 978-2-406-10602-9
  • ISSN : 2495-8670
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10602-9.p.0091
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 27/05/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Doctrine, libéralisme, Malinvaud, planification, théorie
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FAUT-IL CHOISIR UNE DOCTRINE
AVANT DéLABORER UNE THÉORIE ?

Retour sur un article dEdmond Malinvaud écrit en 19501

Arnaud Diemer

Université Clermont Auvergne

CERDI, ERASME

Dans un ouvrage intitulé Les voies de la recherche macroéconomique, Edmond Malinvaud (1991, p. 41) introduisait le chapitre 2 par une question : « faut-il avoir choisi une doctrine ? ». Le souci de lobjectivité recommande que lon évite tout préjugé, or le poids et la diffusion des idées semblent jouer un rôle important dans lorientation des travaux des économistes. Près de 20 ans plus tard, Edmond Malinvaud apportera une réponse sans équivoque à cette question2 : « lhistoire de la pensée économique montre que les théoriciens qui ont contribué à 92lélaboration des théories de la croissance se situaient chacun par référence à un système économique. De ce fait, dans les premières années de laprès-guerre, le choix de ce système apparaissait crucial aux divers courants qui sexprimaient dans notre profession » (2010, p. 141).

Edmond Malinvaud fait ici référence à un article rédigé en 1950 pour le compte de la Nouvelle Revue dÉconomie Contemporaine et intitulé Lexpérience travailliste et la pensée économique anglaise. Au lendemain de la guerre, de nombreux pays sétaient engagés dans la voie de la planification (Shonfield, 1967). Plusieurs raisons expliquaient un tel choix : (i) la mise en place dune planification autoritaire durant la guerre (cest ce qui explique la suprématie de lAllemagne sur les puissances alliées) ; (ii) la destruction de loutil de production et la désorganisation de la sphère privée ; (iii) les poussées inflationnistes résultant des demandes des consommateurs longtemps restées insatisfaites ; (iv) le déséquilibre de la balance des échanges (importations nettement supérieures aux exportations).

Selon Malinvaud, lexpérience anglaise constituait une étude intéressante pour au moins trois raisons. Dune part, elle constituait une tentative visant à mettre en place le socialisme dans une société démocratique, respectant les libertés individuelles. Dautre part, lAngleterre symbolisait lesprit du capitalisme. Une telle expérience méritait que lon sy attarde. Enfin, la théorie économique anglaise était la plus avancée de son temps, et lanalyse des travaux des économistes anglais devait permettre de saisir les problèmes et les solutions apportées par une économie planifiée.

Dans ce qui suit, nous souhaiterions revenir sur le contexte et les fondements épistémologiques de larticle dEdmond Malinvaud. Il constitue à nos yeux, une parfaite illustration des liens ténus entre doctrine3 et théorie, système de pensée et modèles… et donne une 93assez bonne représentation du positionnement de certains économistes français au lendemain de la seconde guerre mondiale. En effet, le cas anglais (et larticle de Malinvaud) renvoyait à deux types denjeux : (1) Rendre compte de lexpérience anglaise permettait aux économistes français de mieux appréhender lorganisation économique du modèle français. La France, « terre de tradition étatiste », sétait engagée dès 1946, dans un plan visant à stimuler la croissance économique. (2) Le texte de Malinvaud avait été rédigé à la suite de deux exposés présentés dans le cadre du Centre dÉtudes Économétriques dirigé par Maurice Allais. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, ce dernier sétait montré très réservé vis-à-vis des interventions du législateur et de ses motivations concernant les nationalisations : « En fait depuis 1914, et quels quaient été les partis politiques au pouvoir, on a peu à peu abandonné, sous la pression des nécessités mal comprises et peut être aussi dintérêts particuliers, voire politiques, particulièrement agissants, un système qui pendant plus dun siècle avait pourtant prouvé son extraordinaire efficacité économique, le système des prix déterminé par le mécanisme de loffre et la demande dans une économie à base concurrentielle. Les interventions du législateur se sont multipliées et aujourdhui ce système est presque complètement enrayé » (1946a, p. 35) … « Récemment encore, la nationalisation en France dun certain nombre de grandes entreprises na pas été effectuée dans le but daugmenter leur efficacité, souci qui ne paraît guère avoir inquiété le législateur, mais dans le seul dessein de détruire la puissante publique et financière de leurs anciens dirigeants, question qui est essentiellement une question de répartition » (1946a, p. 81). Opposé à la rupture dogmatique entre planisme autoritaire et laisser-faire, Maurice Allais (1946a, 1961) défendait lidée dune troisième voie, la planification concurrentielle (Diemer, 2020).

Létude du cas anglais (et par effet miroir, du cas français) pouvait donc être le révélateur dun changement de doctrine : lengagement de lAngleterre, le chantre du libéralisme, dans cette troisième voie via la mise en place dun plan ou le particularisme français, terre étatique, également engagé dans cette troisième voie via lefficacité économique de la concurrence.

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I. LA PLACE DE LA DOCTRINE
DANS LA COMPRÉHENSION DU SYSTÈME CAPITALISTE
ET DES THÉORIES DE LA CROISSANCE

Même si les modèles économiques de laprès-guerre insistent sur lorigine et les fondements de la croissance (Harrod, Domar, Samuelson…), il nous paraît de plus en plus difficile de rendre compte de ces avancées théoriques sans replacer ces travaux dans un cadre doctrinal et dans les systèmes de pensée qui prévalaient à cette époque (Allais, 1963a, 1963b). En effet, suite à la crise de 1929, le système libéral avait été vivement critiqué et remis en cause dans les années 30. De nombreuses économies (France, Allemagne, Angleterre, Suède…) sétaient ainsi engagées dans une forme de planification (indicative ou autoritaire) qui tendait à reléguer le libéralisme au rang dépouvantail. Même si le colloque Lippmann (1938) sest attelé à renouveler les fondements du libéralisme (on parle alors de néolibéralisme), force est de constater que le paysage doctrinal de laprès-guerre est quelque peu fragmenté (planistes, libéraux, corporatistes…) et que des économies symbolisant lesprit du capitalisme, en loccurrence lAngleterre, nhésitaient pas à vanter les mérites du plan. Cette partie revient sur cette période afin de mieux comprendre les forces en présence et surtout, de replacer larticle dEdmond Malinvaud dans les débats daprès-guerre. Pour ce faire, nous reviendrons sur les travaux dAndrew Shonfield (1967) insistant sur la diversité du capitalisme, puis nous évoquerons la position des néolibéraux lors du colloque Lippmann, puis pendant les années 40 et 50.

I.1 le capitalisme comparÉ et la montÉe du planisme.

Les premières études du capitalisme comparé peuvent être mises à lactif dAndrew Shonfield (1967). Les traits caractéristiques de la nouvelle ère du capitalisme qui a débuté au lendemain de la seconde guerre mondiale, furent dabord la recherche du plein emploi, puis le rythme accéléré du progrès technique. Laccroissement de la productivité du travail (3.5 % en moyenne dans les principaux pays européens) fut tout à fait exceptionnel, elle saccompagna dune augmentation de la demande de main dœuvre et dun afflux de travailleurs migrants qui 95se déversa en Europe Occidentale. Shonfield insiste particulièrement sur trois réalisations remarquables du capitalisme « moderne » : 1o sa capacité à renverser les pressions qui sexerçaient en faveur dun haut niveau de consommation au détriment de linvestissement. La poussée de lépargne serait le fruit des mesures fiscales, et notamment des exonérations consenties par les différents gouvernements des pays occidentaux aux industriels qui investissaient ; 2o sa volonté dassocier un volet social à la croissance économique : le souci de lutter contre les effets de la maladie, de la pauvreté… a dominé lhistoire politique de la génération daprès-guerre. À lexception peut-être des États-Unis, tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont rivalisé dingéniosité pour revendiquer une intervention toujours plus complexe et perfectionnée de lÉtat. Si les systèmes dassurances sociales ne sont pas une nouveauté dans des pays européens comme lAllemagne (réforme des pensions en 1957) ou la Suède, on insistera surtout sur la vitesse avec laquelle les progrès du revenu national se sont traduits par une augmentation du niveau de vie des personnes non actives ; 3o son aptitude à ne pas déboucher, comme par le passé, sur un infléchissement de la répartition de la valeur ajoutée en faveur des profits et au détriment des salaires.

Selon Shonfield, cette prospérité (mais également sa pérennité) ne peut être attribuée uniquement à un phénomène conjoncturel, elle serait liée dans une très large mesure à la volonté et au savoir-faire du pouvoir politique, ou plus précisément au maniement de lappareil institutionnel qui oriente la vie de lOccident. Lexamen de ces institutions constituera le thème central des travaux de Shonfield. En effet, ce dernier sest efforcé de dégager les aspects institutionnels qui caractérisent lordre économique apparu dans le capitalisme daprès-guerre. Il note ainsi lexistence de grosses différences dans les institutions économiques des divers pays. Ces différences sont souvent lobjet de querelles idéologiques (relations État – marché), toutefois, note Shonfield (1967, p 66), « lorsque lon considère la situation dans son ensemble, on constate une certaine uniformité dans la texture de ces sociétés ». Il est ainsi possible dénumérer quelques traits les plus saillants :

les pouvoirs publics exercent une influence fortement croissante sur la gestion du système économique. Cette influence sexerce selon des mécanismes différents dun pays à lautre. Dun côté, cest le 96contrôle du système bancaire (Italie, Allemagne) qui est décisif, de lautre cest lexistence dun large secteur dentreprises publiques (pays dEurope du Nord). Les dépenses publiques (qui puisent leur source dans les théories keynésiennes) ont considérablement augmenté. Elles orientent directement une part importante de lactivité économique de chaque nation.

Les préoccupations sociales conduisent à lutilisation de plus en plus large de largent public pour aider ceux qui ne travaillent pas (Allemagne, Danemark, France, Norvège, Suède…) ; soit par ce quils sont jeunes et poursuivent des études, soit parce quils sont âgés et à la retraite.

Dans le secteur privé, la violence du marché a été atténuée. Bien que la concurrence continue à être active dans un certain nombre de domaines, elle tend de plus en plus à être réglementée et contrôlée (cest lhistoire des lois anti-trusts et des procédures de réglementations/déréglementations aux États-Unis).

Dans tous les pays capitalistes, on cherche à associer la croissance économique à lélévation régulière et sensible du revenu réel par habitant. Ces attentes sont contenues dans les procédures de revendications annuelles salariales. Toutefois, comme le rappelle Shonfield (1967, p 68), « pour tirer pleinement profit dun potentiel industriel accru, il faut introduire des formes nouvelles dorganisation dans deux domaines. Celui, tout dabord de la recherche & développement. Ensuite de la formation des travailleurs, et plus généralement de lutilisation efficace des ressources rares en main dœuvre qualifiée ». Ainsi, on prend de plus en plus conscience, que dans une économie de plein emploi, le progrès technique ne peut être maintenu sans une politique active des pouvoirs publics, visant à accélérer le transfert des travailleurs vers les nouvelles formes demplois.

Enfin, la recherche dune cohérence intellectuelle caractérise la gestion économique du secteur public comme celle du secteur privé. Deux faits méritent dêtre soulignés. On assiste tout d'abord à une transformation des mécanismes de décisions, ceux-ci sappuient désormais sur des hypothèses optimistes sur les perspectives dévolution à long terme de la production et de la consommation (logique de planification économique), et non plus sur les fluctuations économiques de court terme. Ensuite, diverses forces 97indépendantes se sont conjuguées pour accroître les moyens de régulation de léconomie. Lesprit de « modernité » du capitalisme résiderait dans la recherche dune économie « concertée », où secteur public et secteur privé seraient appelés à la coexistence4 et à la coopération. Cette recherche, rappelle Pierre Massé (1967, p. 9) aurait engendré des « efforts dorganisation, de prévision, de planification et de prospective qui, sous des formes et des noms divers, tendent à réduire lincertitude, à engendrer lanti-hasard ».

Au-delà de ces similitudes, Shonfield (1967, p. 72) présentera une typologie du « capitalisme daujourdhui », fonction à la fois de la structure étatique et du degré de planification économique des divers pays. Dans le cadre de la relation État - entreprise, on oppose traditionnellement la France, dont la gestion de la vie économique dépend de la concentration du pouvoir entre les mains dun petit nombre de personnes « exceptionnellement douées, qui possèdent une capacité de prévision et un jugement qui échappent à la moyenne des entrepreneurs chanceux » (logique de lÉtat fort) (Dard, 1999a, 1999b) ; à la Grande-Bretagne, pour qui le marché, le petit entrepreneur indépendant et lÉtat non-interventionniste sont indissolublement liés à la liberté politique (logique de lÉtat faible). Dans loptique de la planification économique, de nombreux pays occidentaux se seraient lancés dans un travail de coordination des décisions (France, Grande-Bretagne, Suède, Norvège, Pays-Bas, Belgique, Italie…), toutefois lintensité avec laquelle ils se seraient engagés dans cette entreprise, serait très variable : à lun des extrêmes, on trouverait la France5 (et le rôle du Commissariat au Plan) ; à lautre, lItalie, qui serait, aux dires de Shonfield, le pays où la planification économique densemble irait le moins loin. Cette typologie nest toutefois pas une fin en soi, elle permet surtout à Shonfield de démontrer que chaque pays sinscrit dans lhistoire du capitalisme tout en restant fidèle à son passé et à son caractère national. Les Pays-Bas 98sont connus pour leur expérience des politiques de revenus, motivées par la contrainte de léquilibre extérieur (particulièrement forte dans un pays de petite dimension). La Suède est souvent rattachée à lidée dun dialogue permanent entre organisations patronales et ouvrières, les problèmes sont réglés par des négociations et le gouvernement nintervient pas. Lexpérience italienne est quant à elle liée à un puissant capitalisme dÉtat né dun accident historique. La crise des années 30 et la politique menée par le mouvement Nazi auraient ainsi amené lÉtat à reprendre les entreprises industrielles et financières éprouvées par la récession. Des entreprises publiques, comme lENI (Pétrole, Gaz naturel), lIRI6 (Instituto per la Reconstruzione Industriale) occupèrent ainsi le devant de la scène.

Les différences entre la France et la Grande Bretagne trouveraient également leurs fondements dans les racines et la trajectoire historique des deux nations. En France, la planification na pas eu besoin dêtre particulièrement stimulée7, lintervention dans la sphère et la direction de léconomie existait déjà depuis longtemps (colbertisme, État napoléonien…). De plus, lintervention publique a fréquemment revêtu un caractère discriminatoire, en fait, la discrimination a été dès le début un trait essentiel de la planification française. Telle ou telle entreprise était sélectionnée et incitée à servir les objectifs de la politique gouvernementale. Les principaux moyens de persuasion reposaient sur la fiscalité, les aides financières directes, mais également un ensemble de dispositions financières (prêts de la Caisse des Dépôts et Consignations, du Crédit National, interventions du Commissariat au Plan sur le marché des capitaux, émission dobligations industrielles subordonnées à lautorisation préalable du Trésor…) destinés à permettre aux investissements français de se conformer en orientation et en volume aux objectifs fixés par le Plan (Shonfield parle de « Conjuration du Plan »). En Grande-Bretagne, 99tout ce qui pouvait donner à lÉtat un rôle actif et trop entreprenant (lui permettant notamment de guider la nation selon son intérêt économique collectif à long terme) suscitait automatiquement la méfiance8. Lhistoire des Conseils de développement (issue des années de réflexion en matière de planification) est assez symptomatique de lidée traditionnelle que se faisaient les Britanniques des rapports devant exister entre le secteur privé et la puissance publique. Ces deux pouvoirs devaient être considérés comme absolument distincts lun de lautre (il ny avait donc pas de place pour des relations contractuelles entre le gouvernement et les firmes privées). Enfin, lorsque le gouvernement britannique accepta lidée dune planification (période 1962-1963), Shonfield notera que cette dernière se focalisera uniquement sur les problèmes de court terme (recherche dune méthode qui limiterait laugmentation des coûts salariaux et des prix dans une période inflationniste), ce qui aboutit à ralentir les progrès dune partie essentielle de la planification économique. Pour toutes ces raisons, la planification impliquait un apprentissage long et malaisément accepté.

Si la planification économique est lexpression la plus caractéristique du nouveau capitalisme (elle traduit notamment la détermination des différents gouvernements de conduire les évènements économiques plutôt que dêtre conduit par eux), si la conception française et anglaise de la planification économique illustrent deux approches majeures du développement du capitalisme dirigé, Shonfield (1967, p. 247) rappelle que deux pays, lAllemagne et les États-Unis, semblent être en dehors du principal courant décrit précédemment : « Ces pays apprécient peu la structure de plus en plus organisée du comportement économique, qui remplacent les mécanismes traditionnels dans lesquels les décisions sont prises en fonction des fluctuations aléatoires mais indépendantes du marché ». En Allemagne, après la guerre, la politique officielle sefforcera délibérément de réduire le pouvoir de lÉtat dans la gestion de léconomie. Toutefois, contrairement à la doctrine américaine du libéralisme économique (qui sappuyait sur des entreprises petites, 100dispersées et en concurrence), lindustrie allemande préféra promouvoir son système hiérarchique dassociations industrielles, héritage de lAllemagne impériale renforcé par le régime nazi. Shonfield insiste particulièrement sur lalchimie entre associations et hiérarchie, et en particulier sur lorganisme central que constitue le Bundesverband der Deutschen Industries. Cette Fédération de lindustrie allemande, créée en 1949 et comprenant 39 fédérations, avait une organisation dont les mécanismes de coordination des décisions reposaient sur un système très hiérarchisé où les associations de rang inférieur ne pouvaient se faire entendre à léchelon central quen passant par lintermédiaire des Spitzenvenbände (associations principales). Si les institutions et les habitudes allemandes ont favorisé la collaboration au sein des industries, Shonfield note, que dans ce système, les banques allemandes occupent un rôle tutélaire essentiel. Elles constitueraient même le facteur le plus puissant de centralisation des décisions économiques : « En gros, on peut dire que les grandes institutions publiques et semi-publiques sont à léconomie française ce que sont les grandes banques à lAllemagne » (1967, p. 255). Le retour sur les travaux dAlfred Marshall, et notamment son ouvrage « Industry and Trade » (1919) – retraçant près de 50 années dexpérience de développement économique européen – nous donne un certain éclairage sur le système allemand. Les banques allemandes auraient selon Marshall, tendance à saventurer au-delà de leurs possibilités, en engageant de manière excessive leurs capitaux dans loctroi de crédits à long terme. Ce résultat serait selon Marshall, principalement lié aux relations étroites que les banques allemandes auraient tissées avec les entreprises allemandes : « chacune des grandes banques a des représentants dans dautres banques et dans un grand nombre dentreprises individuelles… Les représentants des banques exercent depuis deux générations au moins un contrôle serré sur les entreprises industrielles quelles soutiennent » (Marshall, 1919 ; cité par Shonfield [1967, p. 255]). La manifestation la plus claire de linfluence des banques sur lindustrie allemande est la présence des représentants des grandes banques dans les conseils de surveillance des entreprises (les fameux Aufschtsrat). Mais les banques disposent de bien dautres moyens de pression tels que la possibilité dutiliser de nombreux pouvoirs en blanc des actionnaires ; le pouvoir dexercer des interventions sur les marchés financiers ; lalliance passée avec les autorités publiques (particulièrement sensible dans le cas 101des aides et prêts à taux dintérêt réduit alloués par le gouvernement fédéral aux entreprises). Force est de constater que les banques ont un statut tout à fait particulier, eu quelles jouissent, comme le rappelle Shonfield (1967, p. 271) dune position « para-étatique »

La position des États-Unis, ne peut quant à elle se comprendre, sans faire référence au rôle ambigu des pouvoirs publics. Shonfield (1967, p. 307) note que « lensemble des américains tout comme leurs deux partis politiques, est convaincu de la prédominance naturelle de lentreprise privée dans le domaine économique et du rôle subordonné de linitiative publiqueen toute hypothèse, sauf crise nationale ». Le système de lentreprise privée serait donc le fondement de léconomie américaine, et lhostilité à linitiative publique, profondément ancrée dans les croyances. Mais cela ne veut pas dire que dans la pratique, lentreprise privée ait la voie totalement libre. La Securities and Exchange Commission (Commission des valeurs mobilières et des Bourses de valeurs) a toujours été beaucoup plus stricte que ses homologues européennes en fixant le nombre et le détail des rapports que les sociétés cotées devaient fournir. Certaines réglementations (restrictions agricoles, pétrolières…) intervenaient directement dans les décisions de lentreprise… Ainsi, historiquement, le capitalisme américain, notamment dans sa période de formation9, était bien plus disposé que son homologue britannique à accepter lintervention des autorités publiques. Par la suite, lévolution du pouvoir économique public se déroulera selon un processus dialectique comportant plusieurs phases, chacune marquée par la prédominance dune initiative sur lautre. Le capitalisme daprès-guerre serait ainsi caractérisé par la formulation dune thèse hostile à la concentration planifiée des ressources. Cette tendance au retour du libéralisme économique, Shonfield la situe plus précisément durant les années 50 avec les thèses rostowiennes sur la croissance et le développement (notamment ses deux ouvrages ; Planning for Freedom en 1959 ; et The stages ofEconomic Growth en 1960). Lentreprise privée, devient dès lors, la condition nécessaire à la survie du système démocratique américain.

Si louvrage de Shonfield a le mérite de proposer une typologie du capitalisme comparé en sappuyant sur deux institutions (État – Marché) et deux courants doctrinaux (le planisme et le libéralisme), il reste en 102revanche muet sur les différents contextes et réseaux à lorigine des débats idéologiques. Et notamment, sur le renouveau des idées libérales impulsée par le Colloque Lippmann et lamoncellement dune troisième voie (prônée notamment par Lionel Robbins).

I.2. Du colloque lippmann au renouveau des idÉes libÉrales

À la suite de la Grande dépression de 1929 et de la remise en cause du libéralisme, un certain nombre déconomistes dinspiration libérale vont sengager dans un vaste mouvement, visant dune part, à faire renaître le libéralisme face à la poussée du collectivisme et du planisme (cest le cas de Von Mises et de Friedrich Hayek) et dautre part, à poser les bases dune refondation du libéralisme (cest la position de Walter Lippmann, Louis Rougier, Wilhelm Röpke…). Ce mouvement nest pas homogène (Denord, 2007). Louis Rougier10 en a bien conscience lorsquil rappelle que ce sont tout dabord des idées dispersées qui esquissent vers la fin des années 30 « les linéaments dune doctrine appelée par les uns, libéralisme constructeur, désignée par les autres néo-capitalismes et auquel lusage semble prévaloir de donner le nom de néo-libéralisme » (1939, p. 9). Cependant le cœur de cette doctrine est constitué des deux positions suivantes :

1. énoncer la montée du collectivisme et du planisme (le planisme autoritaire a rejeté lorganisation économique basée sur la concurrence en préconisant lemploi dune direction centralisée à toute léconomie) ;

2. rejeter les thèses défendues par les tenants du laisser-fairisme (ce dernier a jeté les bases de la représentation du régime juridique du libéralisme – propriété privée et contrats – en idéalisant léconomie concurrentielle parfaite et en rejetant lintervention de lÉtat).

Indéniablement, le colloque Lippmann, qui sest déroulé à Paris (Institut international de coopération intellectuelle), du 26 au 30 août 1938, peut 103être présenté comme la première pierre de lédifice (Cros, 1950 ; Denord, 2001 ; Augier, 2008), une esquisse dinstitutionnalisation du libéralisme dans lhistoire des faits et des idées. Ce colloque fût organisé par Louis Rougier11 à la suite de la parution de louvrage de Walter Lippmann, The Principles of the Good Society (1937), qui aura un énorme retentissement sur le milieu intellectuel dans sa quête de liberté12 (Maurois, 1938). Traduit en français dès 1938, sous le titre La cité libre (éditions de Médicis), cet ouvrage se divise en deux parties (Clave, 2004). La première partie présente les théories et les actes du mouvement socialiste qui, dès 1870, sest efforcé dinstituer un ordre social dirigé13 : « Entre 1848 et 1870, le climat intellectuel de la société occidentale changea. Lascension du collectivisme commença. LAngleterre reste fidèle au libre échange jusquà la guerre de 1914, mais partout ailleurs, la doctrine protectionniste croissait en popularité » (Lippmann, 1938, p. 55). La seconde partie cherche à comprendre pourquoi le développement de la pensée libérale sest trouvé arrêté et pourquoi le libéralisme a perdu son influence sur le monde des affaires.

Les idées maîtresses de ce livre font écho à celles formulées au même moment par des auteurs tels que Jacques Rueff (La crise du capitalisme, 1935) ; Ludwig von Mises (Le socialisme, 1938) ; Lionel Robbins (Léconomie planifiée et lordre international, 1938) ; Walter Lippmann (La Cité libre, 1938), Louis Rougier (Les mystiques économiques, 1938) ; Bernard Lavergne (Grandeur et déclin du capitalisme, 1938) ; Louis Marlio (Le sort du capitalisme, 1938). Le colloque Lippmann devait ainsi permettre aux différents protagonistes du colloque de se réunir en vue de « réviser le procès du capitalisme et de chercher à définir la doctrine, les conditions de sa réalisation, les tâches nouvelles dun libéralisme véritable » (Rougier, 1939, 104ibid.). Pour Walter Lippmann, le colloque devait marquer le renouveau du libéralisme, cest-à-dire rompre avec une philosophie héritée du 19e siècle. Une philosophie qui sest révélée incapable de se perpétuer : « nous perdrions notre temps si nous nous imaginions que défendre la cause de la liberté équivaut à espérer que lhumanité revienne naïvement et sans réserve au libéralisme davant-guerre » (Lippmann, 1938, p. 14). La doctrine libérale devait donc être révisée, tout restait à écrire, mais pour cela, il convenait de sattaquer au communisme, au national-socialisme et au fascisme, lesquels remettent en cause les fondements juridiques (la loi, la propriété privée, lÉtat) et moraux (léquité, la justice) des sociétés occidentales.

Si le colloque Lippmann a donné une large place au sens à donner au mot libéralisme14, les débats ont montré que « penser le renouveau du libéralisme » nétait ni une question simple, ni lexpression dun consensus (Margairaz, 1991a, 1991b). Au contraire, le colloque a révélé toute lhétérogénéité de la pensée libérale (Nadeau, 2007, Denord, 2008). Les différents protagonistes prirent cependant le temps de proposer à la fin du colloque, une liste de problèmes théoriques et pratiques dun retour au libéralisme, une manière dharmoniser les positions de chacun et de fixer les futures orientations, notamment la création du Centre international de refondation du libéralisme (CIRL). Ce centre devait être divisé en 4 sections : une section américaine que devait développer Lippmann, une section française entre les mains de Rougier, Rueff, Marlio, Baudin ; une section allemande dirigée par Röpke et une section anglaise avec les figures emblématiques dHayek et Robbins.

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I.3. lionel robbins, maurice allais
et l
idÉe d un planisme libÉral

Les travaux de Lionel Robbins méritent que lon sy arrête quelque peu, son regard sur lAngleterre des années 30 et lévocation dune troisième voie (entre planisme et libéralisme) ont constitué pour Edmond Malinvaud, un puissant outil de réflexion.

Dans un ouvrage traduit en français par la Librairie de Médicis (nouvel outil de propagande du néolibéralisme) et intitulé Léconomie planifiée et lordre international (1938), Lionel Robbins sest appuyé sur une étude documentée des plans utilisés dans les économies occidentales et orientales à la suite de la crise de 1929. Il note que si le planisme national mène au gaspillage et à linsécurité et que le planisme international de certaines branches du commerce et de lindustrie naméliore pas la situation, la solution pourrait prendre la forme dun planisme libéral. En effet, contrairement à ce que lon a coutume dadmettre, les concepts de plan et de libéralisme ne sont pas antinomiques. Lessence dun plan, cest quil constitue une tentative dadaptation des moyens aux fins : « dans un monde soumis aux changements, lessence et la condition de succès dun plan organisant la production, cest quil fournisse une continuelle adaptation aux variations des conditions techniques et des demandes des consommateurs » (Robbins, 1938, p. 201). Or, le libéralisme international se présente généralement « comme un ensemble dinstitutions spécialement désignées pour faire face aux difficultés de lorganisation économique sur une échelle internationale » (ibid.). Le gouvernement et les organismes dÉtat joueraient ainsi un rôle des plus importants et des plus indispensables dans le plan libéral.

Selon Robbins, cest faute davoir perçu cette coopération que les libéraux du xixe siècle ont dénié toute fonction au gouvernement et bâti leur philosophie sur un ensemble de croyances naïves. En effet, si le marché libre et la propriété privée sont les symboles du libéralisme, ils nexistent et ne sont maintenus que dans le cadre des institutions. En somme, ni la propriété, ni les contrats ne sont naturels et spontanés, ils sont essentiellement la création de lois complexes15 : « Lidée 106dune coordination des activités humaines au moyen dun système de règles impersonnelles, à lintérieur duquel les relations spontanées qui se produisent conduisent au bénéfice mutuel, est une conception au moins aussi subtile, au moins aussi ambitieuse que celle qui consiste à faire prescrire de façon positive chaque action ou chaque catégorie dactions par une autorité planiste centrale : et elle nest peut-être pas en moindre harmonie avec les besoins dune société spirituellement saine. Nous pouvons blâmer les enthousiastes qui, dans leur intérêt trop poussé à légard de ce qui se passait sur le marché, nont pas accordé assez dattention à son armature indispensable. Mais que dirons-nous de ceux qui discutent perpétuellement comme si cette armature nexistait pas ? » (Robbins, 1938, p. 204).

Robbins ne sarrête cependant pas là, il reconnaît que le maintien du système libéral népuise pas les attributions de lÉtat. Le système de marché comporte en effet des limites. Dun côté, il existe des besoins qui ne peuvent être satisfaits que de façon collective (exemple des services sociaux, des procédures de vaccination à grande échelle). De lautre, certains besoins formulés individuellement, ne peuvent pas engendrer une réponse privée et spontanée (exemple des voies de communications).

Ainsi, il serait faux de considérer que les propositions du libéralisme excluent toute forme de plan et que ce sont les institutions libérales qui seraient à lorigine du chaos laissé par la crise de 1929. Le libéralisme serait un plan qui na encore jamais eu la chance de sexercer. Les corporations, les monopoles, les tarifs protecteurs… nont pas permis au planisme libéral de sexprimer totalement. Robbins en appelle ici à lhistoire. De 1840 à 1870, le courant libéral sest répandu dans toute lEurope (diminution des tarifs douaniers, liberté individuelle, entreprises indépendantes, division internationale du travail, Traité du commerce franco-anglais de 1860…) sans pour autant parvenir à y prendre racine. Robbins avance trois explications susceptibles dexpliquer cet échec. Dans un premier temps, le modèle libéral anglais sest heurté au modèle de lÉtat social allemand. Léchec de 1848 et lunification de lAllemagne par les armes et le sang vont créer toutes les conditions dun retour aux principes mercantilistes. Le système de List et Schmoller se substitue à 107celui de Smith et Ricardo. En 1880, Bismarck impose de lourdes taxes sur le fer et lacier. Dans un deuxième temps, les efforts du socialisme visant à proposer une organisation économique différente du modèle de la libre entreprise, donnent des résultats mitigés. Le socialisme utopique de Saint-Simon, dOwen, de Fourier, de Cabet qui renvoie directement au mouvement coopératif et syndicaliste, ainsi quaux nombreuses expériences communautaires (les fameux phalanstères de Fourier ou les usines modèles dOwen) décline à partir de 1870. Il est supplanté par le marxisme qui simpose comme lidéologie majeure du socialisme : « Avec le déclin des utopistes français, le socialisme retomba dans le mysticisme messianique du déterminisme marxiste – ou sallia aux intérêts spéciaux du restrictionnisme syndicaliste. Sa propagande, bien que se disant internationale, eut pour effet daffaiblir la confiance dans la liberté du marché et de fortifier le mouvement vers la restauration des contrôles internationaux » (Robbins, 1938, p. 210). Dans un troisième temps, les premiers libéraux nont pas cerné les véritables enjeux et la portée de leurs réformes. Lharmonie des intérêts individuels ne pouvait pas se satisfaire dun cadre national. Tôt ou tard, les politiques suivies laissaient souvent la place aux intérêts particuliers et aux retours des privilèges. La réaction nationale (notamment larrivée au pouvoir dHitler) a joué un rôle important dans larrêt de lextension du libéralisme. Ainsi, depuis 1870, la sphère internationale serait sous linfluence de la pensée allemande et de la politique allemande. Le planisme libéral na jamais pu être mise en place, écrasé quil était par la réaction de forces contraires : « Il est difficile dexagérer linfluence exercée par lexistence, au centre de la civilisation européenne, dune puissance dont les dirigeants et les penseurs rejetaient ouvertement le libéralisme et considéraient les idéaux ataviques de limpérialisme comme le premier et le dernier mot de toute politique » (Robbins, 1938, p. 211).

Au final, Lionel Robbins prône la nécessité dinstaurer un libéralisme international. Pour ce faire, il convient de définir un cadre légal approprié au fonctionnement des marchés et au maintien de la propriété privé. Le gouvernement devra participer à lédification de ce cadre et suppléer aux principes de la propriété privée lorsque ces derniers sont inapplicables ou attaqués. Le renouveau du libéralisme passe également par une exposition juste et complète de ses avantages et limites. Dune part, face à une société nécessairement imparfaite (distribution 108des richesses), on ne peut espérer constituer un système pur. Une autre manière de rappeler quil serait « faux de revendiquer, pour le système libéral, une perpétuelle réussite de léquilibre parfait de la concurrence telle que lénonce la théorie pure » (Robbins, 1938, p. 229). À défaut dune perfection des calculs économiques quoffrent les modèles abstraits, il convient de rechercher les institutions qui permettent à la concurrence de sexprimer dans la pratique. Dautre part, le libéralisme nest pas exempt derreurs. Lacte de production repose sur lanticipation de la demande. Or rien ne nous garantit que les anticipations des producteurs seront auto-réalisées. Ces dernières peuvent être imparfaites et amener le marché à sanctionner les plans défectueux : « Cest un trait essentiel du système libéral que les dirigeants de lindustrie ne sont pas à labri des conséquences de leurs propres erreurs. Les organismes gouvernementaux ont leurs fonctions propres. Ce nest pas le rôle de ces fonctions dempêcher les pressions caractéristiques du marché de se produire » (Robbins, 1938, p. 230). Dans certains cas, lerreur collective prendra la forme dun effet de contagion et conduira à des errements importants. Selon Robbins, il conviendra de développer les institutions de marché capables datténuer ces fluctuations.

Les travaux de Lionel Robbins ont eu une certaine influence sur ceux de Maurice Allais16 (1946, 1947, 1949, 1950). Cherchant à dépasser lopposition systématique entre les partisans de lorganisation libérale manchestérienne et ceux de la planification centralisée, Maurice Allais considérait que le planisme concurrentiel pouvait conjuguer à la fois « les avantages fondamentaux dune économie de marché et ceux dune action consciente de lÉtat suivant un Plan en vue de la réalisation dune économie à la fois plus efficace et plus juste » (Allais, 1947a, p. 1). Par lintermédiaire du planisme concurrentiel, Allais entendait ainsi poser les bases normatives et positives du néolibéralisme français17 en analy109sant précisément linterdépendance entre deux institutions, le marché et lÉtat. Le « laisser-fairisme » manchestérien, rappelle Maurice Allais (1945b), a conduit les libéraux à la conception dun monde imaginaire de concurrence parfaite dans lequel les problèmes posés par la production, la répartition se trouvaient résolus. Ce « laisser-fairisme » aurait introduit deux biais : la représentation du régime juridique de la propriété et des contrats, régis par un droit naturel révélé par la Providence ; lidéalisation dune économie concurrentielle parfaite et le rejet de lingérence de lÉtat. La doctrine totalitaire repose quant à elle sur lidée quil existerait une autorité centrale capable de planifier, dorganiser et de diriger de manière efficace une économie complexe (Lange, 1949).

La planification concurrentielle aboutit ainsi à laffirmation suivante : si lintérêt individuel, guidé par la liberté économique, constitue bien un moteur, il ne faut pas que cette liberté dégénère en anarchie. Il convient de lorganiser par la loi dans un cadre juridique qui satisfasse lintérêt général : « Essentiellement bienfaisante, la concurrence est possible, mais elle nest pas spontanée, ni automatique et elle ne peut nécessairement exister quorganisée dans le cadre de la loi » (Allais, 1946b, p. 1). Cette inspiration très institutionnaliste fait de Maurice Allais un partisan de léconomie concurrentielle organisée (Allais, 1947a, 1947b, 1947c, 1948a, 1948b). La condition essentielle de la liberté économique, cest lautorité toute puissante de lÉtat, notamment pour supprimer les profits des monopoles et les rentes de rareté (terre).

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II. LEXPÉRIENCE TRAVAILLISTE
VUE PAR EDMOND MALINVAUD

Cest au prisme de cette grille de lecture quil convient de replacer létude dEdmond Malinvaud et sa réflexion sur lexpérience anglaise en matière de planisme. En effet, la planification concurrentielle allaisienne soulevait un double enjeu.

elle permettait de dissocier les économies à planification centrale des économies comportant un plan. Par cette distinction, Maurice Allais entendait faire du Plan, une « idée force », dans la diffusion de ses travaux, mais également rappeler que le planisme continuait à gagner du terrain (Myrdal, 1960). Au lendemain de la 2de Guerre mondiale, Maurice Allais nhésitait pas à attribuer linefficience de léconomie française à son organisation institutionnelle, planificatrice et autoritaire : « Le second facteur qui, à notre avis, permet dexpliquer pour une grande part la supériorité defficience actuelle des États-Unis, cest lorganisation concurrentielle à base de prix de marché extrêmement favorable à la production, qui caractérise léconomie américaine alors léconomie française étouffe dans bien des secteurs, dans le carcan dune planification centrale et autoritaire dont les méfaits ne devront jamais être dénoncés avec trop de force » (Allais, 1949f, p. 191). Le capitalisme français, associé à partir de 1946 au système dinterventions et dincitations sélectives de hauts commissaires (Commissariat au Plan), était selon lui incompatible avec les principes de lorganisation concurrentielle et du Traité de Rome (1958) : « Si dans son principe fondamental, la planification française dite indicative, correspond assez bien à ce que pourrait être une politique cohérente sefforçant de promouvoir une situation defficacité maximum, elle montre dans ses déviations quelle distance il peut y avoir entre un principe déclaré et ses applications… Dans son principe, la planification française repose essentiellement sur la conjugaison de deux éléments : le fonctionnement dune économie de marchés et la diffusion dune large information concernant lévolution probable de léconomie, compte tenu des 111déclarations du gouvernement concernant sa propre sphère. Dans son principe, elle laisse entièrement au marché le soin de résoudre les conditions correspondant à une situation defficacité maximum… Malheureusement sur le plan des applications… la politique française et le plan lui-même présentent dinnombrables déviations. Partout les autorités publiques multiplient leurs interventions sélectives et discrétionnaires » (Allais, 1967, p. 89-91). Dans les années 60, période phare de lingénieur économiste (Terray, 2003), la planification française rechercha « une voie moyenne conciliant lattachement à la liberté et à linitiative individuelles avec une orientation commune du développement » (Massé, 1965, p. 144). Il sagissait à la fois « de préserver léconomie de marché de déviations souvent tentantes » et « décarter la tentation dirigiste et ses effets pervers » (Massé, 2002, p. 139). La notion de planification indicative fut ainsi progressivement abandonnée au profit de celle de programmation. La planification mettait ainsi davantage laccent sur la notion de prospective économique. Le modèle français pouvait dès lors réunir une philosophie inspirée du principe de léconomie de marché et des dispositions inspirées de léconomie du Plan, une forme dinstitutionnalisme à la Française.

Elle supposait de se désolidariser18 de la position très dogmatique de Friedrich Hayek (son refus catégorique de toute propriété collectiviste et de toute intervention de lÉtat). Ayant participé en avril 1947, aux côtés notamment de Milton Friedman, Ludwig von Mises, Friedrich Hayek, Franck Knight, Lionel Robbins, George Stigler à la réunion de la société du Mont Pèlerin, Maurice Allais refusa de signer le texte constitutif. Il motiva ce refus en rappelant quil avait toujours été partisan de la propriété collective toutes les fois où la structure économique dun secteur ne pouvait pas se prêter à la concurrence (Allais, 1946d, 1947d, 1948c).

Ainsi, lorsquEdmond Malinvaud (1950) aborde la question des leçons du planisme travailliste, ce travail a un triple enjeu : (i) présenter les problèmes soulevés par la direction autoritaire de la production ; (ii) 112analyser les avantages du planisme pendant la guerre et durant la paix ; (iii) préciser les domaines dintervention de lactivité gouvernementale (chômage, inflation, investissements, relations économiques avec lextérieur). Edmond Malinvaud nous présente une Angleterre19 affaiblie par un effort de guerre soutenu. Les difficultés auxquelles elle devait faire face, étaient les suivantes :

1. lanéantissement de toute puissance militaire dans lEurope occidentale lobligeait à accroître ses dépenses militaires (8 % du revenu national en 1948),

2. les poussées inflationnistes étaient importantes, elles provenaient à la fois de la demande des consommateurs et de laccroissement de la circulation monétaire (460 à 1340 millions de livres de 1938 à 1945),

3. les destructions occasionnées par la guerre avaient réduit la richesse et le patrimoine du pays,

4. les échanges extérieurs étaient en déséquilibre, ceci était dû à une balance commerciale déficitaire et une baisse des placements à létranger.

Pour faire face à ces difficultés, le gouvernement travailliste disposait dun programme économique articulé autour dun ensemble de contrôles gouvernementaux. Un tel choix se trouvait conforté par plusieurs faits : lefficacité du modèle dirigiste allemand durant la guerre ; le souvenir encore présent de la crise de 1929 et de la montée du chômage de masse ; lengouement pour les thèses keynésiennes qui plaçaient le retour au plein emploi au centre des préoccupations des économistes et des décideurs gouvernementaux, en loccurrence le « Labour Party ».

« Le planisme corporatif », inspiré à la fois par les études des partis politiques (proche du gouvernement20 ou dans lopposition21) et les conférences dOliver Francks (regroupées sous le titre Central Planning and Control in War and Peace), fût présenté comme la solution économique la plus efficace en situation de paix. Le plan devait prendre les trois traits suivants. Il sagissait tout dabord dun ensemble de décisions 113politiques exprimées quantitativement sous forme de programmes. Ces programmes devaient sattaquer aux secteurs et aux activités les plus vulnérables de léconomie. Il convenait ensuite de ne pas engendrer une organisation rigide du système productif, remettant en cause les libertés individuelles. Il fallait enfin que le principe de collaboration entre ladministration et les branches professionnelles soit placé au cœur du dispositif (chaque branche ou secteur applique les décisions de lAdministration en fonction de ses spécificités).

Selon Malinvaud, un tel plan suggérait deux types de réflexions. Dune part, il était nécessaire que lAdministration définisse les secteurs ou les entreprises pour lesquels la gestion publique se substituerait à la gestion privée. La théorie économique (libérale) considère que la gestion publique peut être imposée lorsquil est impossible de faire supporter à lusager le coût du service, lorsque les conditions techniques ou la taille du marché requièrent la concentration de loffre (pour éviter lapparition de rentes monopolistiques, on pouvait préconiser la nationalisation), lorsque les entreprises privées sont incapables de réaliser les investissements nécessaires. Notons ici quEdmond Malinvaud sappuie sur la théorie du rendement social de Maurice Allais (1943, 1945) pour légitimer la présence dun secteur nationalisé tout en précisant les traits de ce choix : « 1o La nationalisation nest pas essentielle pour la planification ; il est en effet très possible de diriger un secteur sans que lexécutant soit nommé et rémunéré directement par lÉtat. 2o La nationalisation nest pas suffisante pour rendre effectifle contrôle gouvernemental ; il est indispensable quune réglementation aussi stricte soit prévue pour les entreprises publiques que pour les entreprises privées. 3o La nationalisation de secteurs industriels entiers est souvent une opération maladroite. La meilleure solution consisterait à laisser subsister côte à côte des entreprises publiques et des entreprises privées en concurrence entre elles. Lexpérience permettrait ainsi de décider quelle est dans chaque cas la meilleure forme de gestion » (1950, p. 21). Dautre part, il était impératif de préciser comment lAdministration pourrait imposer la réalisation des objectifs du plan aux secteurs dont la gestion privée était maintenue (Allais, 1938a, 1938b, 1938c). Sur ce point, les travaux de Laski (1942) et Henderson (1947) considéraient que les nationalisations de quatre secteurs phares (distribution du capital et du crédit, commerce avec létranger, transports et énergie, terre) permettraient à lÉtat de 114diriger léconomie sans utiliser de méthodes totalitaires (cest-à-dire sans remettre en cause les libertés individuelles).

Si le « planisme démocratique » devait se présenter comme une alternative au « planisme totalitaire », Malinvaud note que lexpérience travailliste a montré la difficulté de suivre une telle voie. En effet, durant la première période du plan, les programmes et les objectifs furent assez souples pour que le système économique sajuste sans à-coups et que lÉtat impulse une véritable dynamique économique. Cependant, les périodes qui suivirent, furent marquées par un renforcement des pouvoirs de direction de lÉtat et la mise en place de mesures de restrictions (en matière de consommation) et de contrôle (en matière de déplacements des travailleurs). Dans la droite lignée des thèses hayekiennes (parution de louvrage, la route de la servitude), de nombreux économistes (Meade, Lewis…) rappelèrent quen labsence dun système de prix et du jeu du marché, le gouvernement avait été amené à prendre des mesures directives et complexes allant à lencontre des libertés individuelles. Selon Malinvaud, ces idées ne remettaient nullement en cause linterventionnisme de lÉtat (ce qui était pourtant la position dHayek), elles soulignaient simplement le fait que les actions de lÉtat devaient sinscrire dans un cadre déconomie de marché : « La très grande majorité des économistes en vint alors à préconiser avec force le passage à un régime plus soucieux des lois élémentaires de loffre et la demande. On remarqua alors de divers côtés que les buts du socialisme nétaient pas compatibles avec une certaine dose de libéralisme et quils seraient plus facilement atteints par lintermédiaire du mécanisme des prix que par tout autre moyen. Le planism by inducement devait être préféré au planism by direction ; non seulement il est plus conforme aux buts de la Démocratie, mais encore il permettait datteindre un niveau plus élevé defficacité » (Malinvaud, 1950, p. 22).

Ce résultat en appelait un autre, il signifiait quil fallait dissocier lefficacité du planisme en fonction de léconomie guerre et de léconomie de paix. Dans son ouvrage The Economic Problem in Peace and War (1947), Lionel Robbins est revenu sur la thèse selon laquelle il serait possible de faire fonctionner une économie de guerre sans remettre en cause le mécanisme de prix. Jugeant que cette thèse navait jamais été expérimentée, Robbins considérait quen temps de guerre, certains facteurs rendaient léconomie planifiée plus efficace. Le planisme pouvait sappuyer sur un esprit de 115discipline, sur le goût du sacrifice (notamment des valeurs démocratiques), sur la poursuite dun objectif commun (la victoire, le succès). Toutefois, ces avantages disparaissaient dès que la paix reprenait ses droits. Le mécanisme des prix devait entraîner la disparition des goulots détranglement, permettre une meilleure allocation optimale des ressources, inciter les individus à donner le meilleur deux-mêmes pour le bien-être de la collectivité. Si la plupart des économistes anglais étaient daccord sur le fait quil convenait daccorder plus dimportance au système des prix, le débat se focalisa sur la transition dune économie de guerre à une économie de paix. Deux courants de pensée sopposaient. Les uns (Meade) proposaient un retour progressif à la concurrence et à léconomie de marché. LÉtat devait accompagner cette période de transition. Les autres (Balogh, Beveridge, Hawtrey) militaient en faveur du maintien de la planification, la seule organisation susceptible de générer le progrès économique.

Dans la suite de son étude, Edmond Malinvaud choisira daborder trois domaines de laction gouvernementale : le plein emploi, les investissements et les relations extérieures. Dune certaine manière, ces trois aspects de la politique économique de lÉtat renvoient à une forme de contrôle de la demande globale.

Dans le cas du plein emploi, Malinvaud renvoie ses lecteurs aux thèses de Keynes et de Sir Beveridge (notamment son ouvrage traduit en français, Du travail pour tous dans une société libre, 1944). La théorie keynésienne a obligé le gouvernement anglais à reconsidérer la nature du budget de lÉtat. Il sagissait de passer dune logique déquilibre des finances publiques et de minimisation des dépenses à celle de déséquilibre budgétaire et de hausse des dépenses publiques. Reste à savoir si cette politique ne sera pas synonyme dinflation (des poussées inflationnistes apparurent en 1947 et en 1949, elles eurent pour conséquences dobliger le gouvernement à étendre son contrôle sur les prix et les quantités vendues). Dans ce cas, une politique monétaire visant à agir sur le volume de la demande par la modification des taux dintérêt, laménagement de la distribution du crédit ou par la mise en place des opérations dopen market, pourrait savérer plus efficace. On retrouve ici le clivage entre monétaristes et keynésiens, qui constituera la trame principale des débats théoriques des années 60 et 70.

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Concernant le volume de linvestissement, il semblerait que la politique de bas taux dintérêt de lÉtat ait entrainé une hausse des investissements dépassant les possibilités du pays (Meade, 1948). Selon Malinvaud, cette surestimation des investissements serait entachée dune autre erreur consistant à privilégier lactualisation des gains futurs au coût réel immédiat.

Enfin, sagissant des relations économiques extérieures, le gouvernement sétait engagé en 1946 dans une politique mercantile associant contrats bilatéraux et stratégies de prix (le but étant dacheter au prix le plus bas et de vendre au prix le plus élevé). Cette stratégie naurait pas eu les effets escomptés, au lieu déchapper aux fluctuations des prix du commerce international, léconomie britannique aurait subi les modifications de prix par paliers successifs.

Au terme de cette analyse, Edmond Malinvaud en arrivait aux conclusions suivantes : « Nous avons vu que le planisme suivi avait été assez néfaste pour lefficacité économique parce quil avait refusé de tenir compte des forces du marché et de les laisser fonctionner dans le sens où elles auraient été salutaires… Depuis 1930, légarement des esprits en matière économique avait été porté à son comble ; on en était venu à contester les vérités les plus simples et les plus élémentaires ; le courant de la pensée keynésien avait aggravé cet état des choses en laissant limpression que les dirigeants disposaient de nouveaux outils qui leur permettaient de réaliser le plein emploi, de hauts niveaux de vie et la liberté pour tous sans se soucier de principes autrefois mis en avant : équilibre du budget, valeur du libéralisme international, ordre de léconomie de marché, etc. » (Malinvaud, 1950, p. 16). En 2010, Edmond Malinvaud reviendra sur ce dernier alinéa en précisant quil navait alors pas bien assimilé la pensée keynésienne, ni même anticipé le poids quelle aurait durant les deux décennies qui suivirent, profondément influencé alors par les thèses de Maurice Allais22 : « La bibliographie sélectionnée figurant au bas de mon article ne citait aucune des pièces existantes alors sur cette pensée, quil sagisse de louvrage clé de J. Keynes, de larticle 117théorique de J. Hicks ou des contributions des membres les plus influents de Cambridge (J. Robinson, R. Kahn, N. Kaldor), alors que, outre divers articles sur la planification, figuraient aussi dans ma bibliographie des auteurs libéraux (T. Balogh, F. Hayek, L. Robbins) » (2010, p. 141).

CONCLUSION

Les années 1940-1950 sont généralement présentées comme des années fastes pour la science économique. Elles font état à la fois, de la résurgence des idées libérales à la suite du colloque Lippmann (1938) ; des nombreuses expériences en matière de planification économique dans les pays européens (Shonfield, 1967) ; de la lente émergence de la comptabilité nationale (Vanoli, 2002) et de la macroéconomie ; et des premières tentatives de synthèse doctrinale autour de la question de la croissance économique. Certains économistes français entendent bien participer à cette émancipation de leur discipline, et leurs regards sont tournés notamment vers lAngleterre, terre du capitalisme commercial et du libéralisme économique, mais engagée dans une réflexion en matière de planification. Larticle de Malinvaud intitulé « Lexpérience travailliste et la pensée économique » et rédigé en 1950, apporte un éclairage sur cette période et met en lumière les liens ténus entre théorie et doctrine. Son analyse permet de comprendre à la fois, les discussions en matière dorganisation économique (planification vs concurrence) au lendemain de la seconde guerre mondiale ; le souhait de certains économistes français de suivre les diverses expériences européennes en matière de planification et létat des connaissances en matière dhistoire des idées durant cette même période. Larticle met surtout en lumière deux faits marquants : (i) la difficulté pour les économistes des années 40 et 50 à cerner les apports des courants de pensée émergents (à limage du keynésianisme) ; (ii) le point de tension entre théorie et doctrine, illustré par la recherche dune troisième voie revendiquant des racines libérales tout en militant pour une forme de planification indicative. Il est ainsi possible de mieux appréhender le contexte théorique et doctrinal qui constituera le socle du modèle français des années 60 et inaugurera lère de lingénieur économiste.

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1 Je remercie les deux rapporteurs, qui par leurs commentaires et leurs réflexions, ont permis daméliorer la qualité de larticle et de suggérer des pistes de travail intéressantes.

2 Il nous semble important de signaler ici que larticle de Malinvaud se situe à une période charnière, celle du débat entre doctrine et théorie. Il ne faut pas oublier quEdmond Malinvaud sest profondément engagé dans lutilisation et le perfectionnement de la théorie néo-classique de léquilibre général, comme en témoignent les auteurs qui lont inspiré et dont il souligne la proximité intellectuelle (Gérard Debreu, Maurice Allais, Marcel Boiteux, Pierre Massé…). Pour ces auteurs, quelles que soient leurs convictions sur le système économique optimal, la théorie de référence est la théorie néo-classique. Conscients des limites des hypothèses faites par Walras (Malinvaud, 2012), les questions qui se posent (la complexité des situations de marché) sont des questions à résoudre dans le cadre dun approfondissement de la théorie néoclassique de léquilibre général. Malinvaud abordera ainsi, après la question de la planification concurrentielle, celle de lincertitude, de léconomie des déséquilibres à prix fixés, des équilibres de sous-emploi. Ces questions constituent pour lui, comme pour beaucoup dautres, un « challenge » en vue dune extension de la théorie de léquilibre général avec la perspective de lui permettre de rendre compte le mieux possible des réalités économiques du moment (le cadre théorique reste celui dune coordination dagents ayant leurs propres comportements individuels et dont les actions sont coordonnées par le marché).

3 Si lon en croit le Petit Larousse : une doctrine est l« ensemble des notions dune école littéraire ou philosophique, dun système politique, économique, etc. ou des dogmes dune religion ». Cette définition étant trop vague pour être véritablement opérante, nous préférons utiliser ce terme en référence à louvrage Histoire des doctrines économiques (4e édition, 1922) de Charles Gide et Charles Rist. La Doctrine fait référence à la fois à un temps historique (la doctrine sest fait détrôner dans les années 30 par la théorie, qui sest elle-même divisée en analyse économique et politique économique (au sens dinstruments), Dieterlen, 1955), à une discipline distincte (lhistoire des faits économiques permet de comprendre lapparition ou la disparition dune doctrine) et au fait quil est difficile de nier linfluence des économistes (et donc des Écoles de pensée) sur les législations nationales ou les politiques internationales.

4 Le régime de la libre concurrence et du capitalisme pur serait donc un mythe, qui, même aux États-Unis, « ne correspondrait pas à la réalité dune société transformée depuis longtemps en économie mixte et en État Social » (Schlesinger, 1965, p. 548, cité par Shonfield).

5 Shonfield (1967, p. 129) rappelle « quun trait fondamental de la conception française de la planification reposait sur la distinction entre les industries clés, où la réalisation des objectifs était essentielle au succès de leffort économique national, et les autres industries qui pouvaient demeurer en arrière, sans entraîner de conséquences graves ».

6 Cette dernière qui vit le jour en 1933, englobait près de 140 sociétés et employait 284 000 personnes en 1965. Pour se donner une idée du rôle de lentreprise publique dans lindustrie italienne daprès-guerre, on peut rappeler que lIRI détenait les 4/5 du capital des trois principales banques commerciales du pays.

7 Dans leur ouvrage La planification économique en France (1968), Jean Fourastié et Jean-Paul Courteoux insisteront sur trois arguments fondamentaux en faveur de la planification : 1o létat de désorganisation profonde dans laquelle se trouvait léconomie ; 2o la faiblesse de la droite libérale en 1946 ; 3o linitiative intellectuelle de la création du Commissariat au Plan, et plus précisément la personnalisation du Plan (« Le plan, cétait un homme. M. Jean Monnet », [1968, p 10]).

8 Shonfield (1967, p. 95) rappelle que même « la gauche britannique, [parvenue au pouvoir de 1945 à 1951] répugnait à créer les moyens permettant au gouvernement central dexercer son influence sur la planification économique à long terme… La conception traditionnelle du laisse-faire avait disparu, mais lancienne méfiance instinctive à légard dun pouvoir actif qui se mêle de discerner les besoins de la collectivité, avant que celle-ci ne les ait ressentis elle-même, était plus vigoureuse que jamais ».

9 On rappellera que durant la seconde moitié du xixe siècle, les chemins de fer, les canaux, les banques… furent considérés comme relevant normalement de linitiative publique.

10 Louis Rougier est avant tout présenté comme lun des pères de la philosophie analytique de langue française (Berndt, Marion, 2006). Cest lui qui organisa avec Carnap, Franck, Neurath et Reichenbach, le premier colloque international de la philosophie scientifique à la Sorbonne en septembre 1935. Il bénéficiait dune certaine aura auprès des maîtres à penser du Cercle de Vienne (Pont, 2006, p. 3). Sa mauvaise réputation (son nom est associé à lextrême droite, on laccuse davoir été un collaborateur sous lOccupation et dêtre un antisémite) semble avoir joué un rôle non négligeable dans létude de son œuvre.

11 Son grand-père Paul Rougier (1826-1901) était professeur déconomie politique à la Faculté de Lyon et fondateur de la Société dÉconomie Politique (1866) et dÉconomie Sociale de Lyon (1889). Il en sera le secrétaire général pendant plusieurs années (Engel, 2007).

12 Dans la préface de la Cité Libre, André Maurois (1938, p. 3) note quavec « le livre de Walter Lippmann, avec celui de Louis Rougier sur les Mystiques économiques, avec celui du professeur viennois Ludwig von Mises sur le Socialisme, nous assistons, en ces trois pays différents, à une renaissance intellectuelle du libéralisme ».

13 Louis Rougier note que Walter Lippmann examine « ces mouvements sociaux non seulement sous leur forme fasciste et communiste, mais aussi dans le collectivisme progressif des États démocratiques, en essayant de déterminer si une société peut être planifiée et dirigée pour vivre dans labondance et en paix » (Rougier, 1938a, p. 11).

14 Certains proposèrent de ne plus faire référence au libéralisme afin déviter certaines connotations. Louis Baudin Auguste Detœuf, Jean-Louis Marlio considéraient que le mot libéralisme renvoyait directement aux travaux des disciples de Bastiat, Guyot ou Molinari. Ces économistes manchestériens qui avaient prôné le laisser-faire, le laisser-passer. Louis Baudin entendait lui substituer le mot individualisme qui aurait lavantage de placer le colloque sous la bannière des grands classiques, Adam Smith, Jean-Baptiste Say, Stuart Mill… De son côté, Robert Marjolin soulignait que le mot liberté prêtait à confusion. Dans un contexte dagression extérieure, il était judicieux de renoncer à certaines libertés pour éviter la guerre. Dautres tels que Louis Rougier et Jacques Rueff considéraient que le mot libéralisme était le bon mot. Il impliquait le respect dun ordre légal qui permettait aux individus de vivre ensemble. Ce sentiment semblait partager par Ludwig von Mises, Jean Louis Marlio et José Castillejo pour qui le libéralisme est lunique rempart aux idées totalitaires (son abandon serait interprété comme un recul, sinon une concession au collectivisme) et synonyme de libération face à labsolutisme.

15 « Lappareil des droits légaux dans toute société existante est un domaine de la plus grande complexité, le résultat acquis par des siècles de législation et de décisions judiciaires. Déterminer en quoi ces droits devront consister, pour satisfaire le public dans son choix délimiter leur portée et leur contenu, voilà une tâche de la plus haute difficulté. À quels objets sétendront les droits de propriété ? Sappliqueront-ils aux idées et aux inventions ? Ou bien seront-ils limités à de rares ressources matérielles et à leur utilisation ? » (Robbins, 1938, p. 204).

16 Dans le Traité déconomie pure (1943, 1952, 1994), Maurice Allais précise que louvrage de Robbins a fait partie de ses premières lectures.

17 Si Maurice Allais na pas participé au colloque Lippmann, ses lectures (compte rendu du colloque par Louis Rougier, 1939 ; les Mystiques politiques contemporaines et les Mystiques économiques) vont linciter à écrire à Louis Rougier en septembre 1945. Les préoccupations de Maurice Allais étaient alors purement économiques et libérales, sa vocation déconomiste (Allais, 2001, p. 332) avait été déterminée par les conséquences socio-économiques de la Grande dépression aux États-Unis (voyage en 1933) et le suivi des troubles sociaux en France (échec relatif du Front Populaire dans sa volonté dengager des réformes de structures). Se sentant en « profonde sympathie avec les idées libérales exprimées dans les écrits [de Rougier] » (Allais, 1990, p. 12), les deux hommes entament une intense correspondance de septembre 1945 à juillet 1947. À partir de cette date, ils prennent lhabitude de se rencontrer au sein du Groupe de Recherches Économiques et Sociales (GRECS) que Maurice Allais a fondé à la Libération avec Auguste Detœuf. Louis Rougier y fera deux conférences, lune consacrée à la Réforme de la Constitution et la Sauvegarde des Libertés Fondamentales (novembre 1951), lautre aux Causes du Développement de lOccident (décembre 1960). Les 7 et 8 février 1859, Maurice Allais organise le Colloque pour une Société Libre au cours duquel Louis Rougier présente le Manifeste pour une Société Libre. Malgré les nombreux efforts des différents protagonistes – présence de Jacques Rueff et dAndré François-Poncet – ce mouvement naura quune expérience éphémère.

18 Dune certaine manière, louvrage de Maurice Allais, Abondance et Misère (1946), peut être interprété comme une réponse à celui dHayek, The Road to Serfdom (1944), traduit en français sous le titre, la Route de la servitude (1946).

19 La situation économique de lAngleterre a été décrite par Bertrand de Jouvenel dans un ouvrage intitulé les problèmes de lAngleterre Socialiste (1947).

20 Economic Survey for 1947.

21 Industrial Charter.

22 En 1950-1951, Malinvaud fait un séjour à la Cowles Commission (Chicago), où il a loccasion de se distancer de Allais et de se familiariser à la théorie keynésienne (et à la méthodologie macro-économétrique). Il sy familiarisera plus encore par la suite, en travaillant à lINSEE et au SEEF (1951-1956) où il contribue à élaborer les comptes nationaux, et plus tard les modèles macro-économétriques, dans le cadre de la planification française (Renault, 2016).