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Classiques Garnier

La critique de James Laurence Laughlin à la théorie quantitative de la monnaie

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
    2019 – 1, n° 7
    . varia
  • Auteur : André-Aigret (Constance)
  • Résumé : Cet article analyse la critique de James Laurence Laughlin (1850-1933) à la théorie quantitative de la monnaie. Sa définition de la monnaie comme étant avant tout un étalon de valeur lui permet de renverser la causalité quantitativiste. Et, selon lui, ce sont les besoins du commerce qui déterminent le volume de moyens d’échange en circulation. Il explique alors la formation des prix par des déterminants non monétaires et inclut le crédit et la spéculation à sa théorie.
  • Pages : 43 à 72
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406094258
  • ISBN : 978-2-406-09425-8
  • ISSN : 2495-8670
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09425-8.p.0043
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 27/06/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : James Laurence Laughlin, théorie quantitative de la monnaie, doctrine des effets réels, étalon de valeur
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La critique de James Laurence Laughlin à la théorie quantitative
de la monnaie1

Constance André-Aigret

TRIANGLE-MSH-UMR 5206

Ces nouveaux auteurs [Laughlin, Scott, Farrer] ont produit des résultats intéressants. Ils ont amélioré notre terminologie en lélargissant et en éliminant les ambiguïtés. Ils ont montré que le principe quantitativiste, même dans sa meilleure forme, tel quaffirmé par Mill ou Walker, ne tient pas compte de certains facteurs de modification dune grande importance. Ils ont élevé létude de lhistoire monétaire à quelque chose comme sa propre place. Par-dessus tout, ils nous ont obligés à concevoir la grande importance du crédit dans le mécanisme moderne de léchange. Avec ces résultats, ils ont dailleurs trouvé des erreurs dans le travail de presque tout le monde ayant écrit sur le sujet de la monnaie (Clow, 1903, p. 594, crochets de lauteur)2.

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Introduction

La période 1870-1914 est considérée comme « lâge dor de la théorie quantitative de la monnaie » (Laidler, 1991) ; elle est celle du perfectionnement de la théorie quantitative de la monnaie par Edwin Walter Kemmerer et Irving Fisher principalement. Ceux-ci intègrent la monnaie bancaire (les dépôts bancaires sous forme de compte-chèques) au sein de léquation quantitativiste : M.V + M.V = P.T, selon laquelle le volume de monnaie en circulation M multiplié par sa vitesse de circulation V auquel sajoute le volume des dépôts bancaires sous forme de compte-chèques en circulation M multiplié par leur vitesse de circulation, V doit être égal au volume de transactions multiplié par le niveau général des prix. Selon les auteurs quantitativistes, le volume de moyens déchange en circulation est un des principaux déterminants des prix. James Laurence Laughlin (1850-1933) est lun de ceux qui sopposeront à cette analyse. Laughlin réfute dailleurs publiquement cette équation à loccasion dune discussion lors dune conférence de lAmerican Economic Association en 1910 : « Professor Fisher equation of M.V + M.V = P.T is to my mind not a solution but only a statement, of the problem of prices levels » (Laughlin in Houston & al., 1911, p. 67-68). Pour lui, létat du commerce détermine le volume de moyens déchange en circulation dans léconomie.

La controverse sur la validité de la théorie quantitative de la monnaie aux États-Unis se produit dans une période riche en débats monétaires ; on sinterroge alors sur létalon monétaire qui serait le plus adéquat, ou encore sur la nécessité de réformer le système bancaire américain3. Les économistes, dont la profession sinstitutionnalise4, se saisissent de ces questions et y apportent des réponses contrastées, selon quils soient 45adeptes ou non de la théorie quantitative de la monnaie, dominante à lépoque.

Ce clivage théorique nest pas nouveau : la controverse anglaise entre Currency et Banking Schools en est un exemple canonique. Les membres de la Currency School, qualifiés d« héritiers des thèses de Ricardo », adhéraient à la théorie quantitative de la monnaie alors que ceux de la Banking School, que lon considérait comme les « héritiers des thèses de Smith et Thornton » et critiques de la théorie quantitative de la monnaie, adhéraient à la doctrine des effets réels (de Boyer, 2003, p. 95).

Cette controverse anglaise migre aux États-Unis un demi-siècle plus tard via laffrontement de deux écoles que Frederick R. Clow (1903) nomme la « Quantity School » et la « Credit School ». Les points de division entre ces deux groupes déconomistes concernent, comme précédemment, la définition de la monnaie et son effet sur les prix, mais aussi la notion de crédit et son rôle dans léconomie.

La « Quantity School » regroupe des auteurs quantitativistes tels que Joseph S. Nicholson, Robert Giffen, George Goschen et David Kinley5. Ces auteurs restent fidèles à la pensée de David Ricardo ainsi quà la théorie quantitative de la monnaie et défendent un système détalon-or, quils considèrent comme le plus à même dassurer la stabilité du niveau général des prix.

La « Credit School », quant à elle, regroupe principalement James L. Laughlin, Thomas H. Farrer et William A. Scott. Selon eux, la théorie quantitative de la monnaie prend insuffisamment en compte les développements contemporains du crédit. Ils affirment la nécessité de sappuyer sur lhistoire monétaire pour élaborer des théories. Ces auteurs – Laughlin en premier lieu, puis ses étudiants Sarah McLean Hardy (1895), Wesley Clair Mitchell (1896) et Henry Parker Willis (1896)6 –, promeuvent une théorie économique fondée sur lempirisme 46cest-à-dire sur lobservation des faits, qui permettrait, selon eux, de mieux rendre compte de la réalité économique et monétaire et dinfirmer les conclusions de la théorie quantitative de la monnaie. Cette méthode aura fortement influencé Mitchell, connu pour appartenir au courant institutionnaliste américain. De plus, Maucourant (1994, p. 56) explique que Laughlin a défendu un « libéralisme institutionnel » dont linfluence se retrouverait également dans la pensée de Mitchell. Le « libéralisme institutionnel », affirme-t-il, serait caractérisé par « laffirmation de la non-neutralité de la monnaie, la mise en évidence de la possibilité des causes non monétaires des fluctuations et la mise à jour des processus concrets par lesquels linstitution monétaire fonctionne effectivement » (ibid., crochets ajoutés par lauteur). Abraham Hirsch explique également linfluence de la pensée de Laughlin sur la théorie monétaire de Mitchell : « It is through Laughlin that one gets to see rather clearly the nature of some important preconceptions in Mitchells though » (Hirsch, 1967, p. 822).

Cet article est consacré à lanalyse de la pensée monétaire de James Laurence Laughlin7. Laughlin appartient à la première génération déconomistes américains universitaires ; il a notamment débattu avec Francis A. Walker, Fisher, Kemmerer ou encore Franck W. Taussig. Après avoir obtenu un diplôme de doctorat en histoire, il a été le premier Professeur déconomie politique à luniversité de Chicago en 1892 – et ce jusquen 1916. Il a fondé, la même année, le Journal of Political Economy à la tête duquel il a nommé Thorstein Veblen comme premier rédacteur en chef. Par la création de ce Journal, Laughlin souhaitait promouvoir létude de léconomie en tant que science pluridisciplinaire et par là manifester son opposition avec les idées diffusées par les membres de lAmerican Economic Association8.

Fervent opposant à la théorie quantitative de la monnaie et à la mise en place dun système bimétallique, quil soit national ou international, il tente de diffuser ses idées de la façon la plus large possible : il participe à létablissement dun système détalon-or à Saint-Domingue en 1894 47(Laughlin, 1894) ; lannée suivante, à Chicago, il débat publiquement avec William Hope Harvey (connu par son pamphlet sur la démonétisation de largent : Coins Financial School (1894)9). Le sujet débattu concernait la libre frappe de largent : « Is free coinage of Silver at the ratio of 16:1 by the United States, independently of other countries, desirable ? » (Laughlin, 1895, p. 201). Laughlin défend alors la mise en place dun système monométallique or, tout en nétant pas avare de critiques envers la théorie quantitative de la monnaie.

Un des évènements marquants de la carrière de lauteur est sa participation à la commission monétaire dIndianapolis en 1897 chargée de proposer des réformes du système monétaire et bancaire américain. Laughlin a fait partie des 11 membres de cette instance et a été chargé den écrire le rapport final (Report of the Monetary Commission, 1898) qui servit de base à lécriture de lAldrich-Vreeland Act de 1908 puis du Federal Reserve Act de 191310.

Si ses différentes participations aux réformes bancaires et financières lui ont permis davoir un certain renom aux États-Unis, son approche critique de la théorie quantitative de la monnaie la toutefois privé de renommée internationale, à linverse des auteurs quantitativistes tels que Fisher, Kemmerer ou Taussig dont les idées ont largement essaimé.

La pensée de Laughlin a été étudiée par Lance Girton et Don Roper (1978) puis par Neil T. Skaggs (1995), qui ont fourni une comparaison de sa théorie monétaire avec celle dIrving Fisher. Maucourant (1994) a cherché à expliquer linfluence de Laughlin sur les fondements de la pensée institutionnaliste de Mitchell. Thomas Humphrey (1998) analyse la théorie de Laughlin par rapport à celle de Fisher relativement aux causes de linflation. Enfin, Perry Mehrling (1997) a consacré une partie de son ouvrage The Money Interest and the Public Interest à linfluence de Laughlin sur la pensée monétaire dAllyn Abbott Young durant lère 48progressiste américaine. Toutefois, la littérature secondaire a négligé la critique de Laughlin à la théorie quantitative ; cest à cette étude que nous consacrons cet article, en prenant comme point de départ sa définition de la monnaie.

Dans la partie (I) de cet article, nous étudions la conception particulière de la monnaie de Laughlin par ses fonctions – étalon de valeur, intermédiaire des échanges et étalon de valeur pour les contrats de longue période – dont nous mettrons en évidence quelle constitue le point de départ de sa critique à la théorie quantitative de la monnaie. De cette conception particulière découle, chez Laughlin, un raisonnement dans lequel le volume des moyens déchange en circulation doit sadapter aux besoins du commerce (II). Enfin, nous expliquons dans la partie (III) la manière dont Laughlin intègre le crédit à son analyse, en mettant particulièrement laccent sur la distinction quil effectue entre « crédit normal » et crédit « anormal », ce point étant lune des principales critiques de Laughlin aux auteurs quantitativistes.

I. La monnaie et ses fonctions :
létalon de valeur comme fonction primordiale

Entre 1870 et 1914, il était dusage chez la majorité des économistes de distinguer la monnaie primaire (comprenant les espèces métalliques et billets émis par lÉtat et parfois les billets émis par les banques centrales) du « crédit » (représentant les moyens de paiement engendrés par les transactions à crédit). Schumpeter notait ainsi que cette « distinction à laquelle certains ont attaché une grande importance (…) était en réalité lindice de quelque chose de plus significatif quune préférence terminologique » (1954, p. 435). Schumpeter citait Laughlin en note de bas page pour illustrer ce propos. La distinction entre monnaie primaire et monnaie de crédit est primordiale pour Laughlin, elle est révélatrice de celle quil effectue par la suite entre la monnaie en tant quétalon de valeur et la monnaie en tant que moyen déchange.

Il lexprime dès 1898, dans le rapport final de la commission monétaire dIndianapolis :

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A wide difference should be made between the function of money as a standard and its function as a medium of exchange. A standard, whether it is a perfect one or not, is used to measure value ; a medium of exchange is used to transfer value. The two processes are entirely distinct (Laughlin, 1898, p. 79).

Nous trouvons dès ce rapport une dichotomie entre le processus de formation des prix à travers la fonction détalon de valeur de la monnaie dun côté et les transactions à travers la fonction de moyen déchange de celle-ci dun autre côté. Cette dichotomie perdurera et sera le fondement de la théorie de Laughlin jusquen 1931 :

After these forces have done their work, and a price adjusted by these forces has been fixed in the markets, the goods thus valued, or expressed for convenience in terms of a standard, are actually exchanged (or paid for) by some medium of exchange, which, in these days, is seldom the standard money commodity. The service rendered by the medium of exchange is purely one of convenience (Laughlin, 1931, p. 10).

Kemmerer, entre autres, a une posture critique envers cette division conceptuelle entre formation des prix dune part et transactions dautre part. Selon lui, le prix dun bien ne peut exister en dehors dune transaction11. Bien quil considère que la valeur de lor ne soit pas complètement stable, il soutient la mise en place dun système détalon-or qui permettrait dinstaurer une confiance importante en la monnaie et donc de fluidifier et stimuler les échanges (Gomez-Betancourt, 2008, p. 254).

Les sous-sections suivantes sont consacrées à létude successive des différentes fonctions de la monnaie par Laughlin.

I.1. La fonction détalon de valeur

Concernant les fonctions de la monnaie, Laughlin (1903, p. 2) se réfère à Jevons, Roscher, Knies, Nasse et Carl Menger. Contrairement à ce dernier qui considère que, dans une société donnée, la monnaie en tant quinstitution organique12 émergerait en premier lieu comme 50intermédiaire des échanges pour ne devenir quensuite un étalon de valeur, Laughlin estime que cest la fonction détalon de valeur qui est première. Pour réaliser des échanges entre eux, les individus ont besoin dun objet tiers pour quantifier les valeurs déchange des autres biens avant de pouvoir effectuer toute transaction13 : « So natural is this operation (evaluate the prices of goods) of the human mind that the evolution of the standard concept must have antedated the concept of the medium of exchange » (Laughlin, 1903, p. 7). Lobjet « monnaie » apparaît donc initialement pour faciliter lévaluation des biens ; il est antérieur aux relations de marché14.

Chez Laughlin, létalon de valeur sert à lestimation des prix des biens échangés. Cela représente la fonction de dénominateur commun de la monnaie actuelle ou celle dunité de compte :

The actual process is as follows : a commodity is chosen as a standard. Given the ratios of exchange of goods to this standard (or common denominator), the exchange values of theses goods relatively to each other are conveniently ascertained. But the ratios of exchange between goods and the standard commodity are their prices ; so that, given their prices, we can at once obtain the exchange value of goods relatively to each other. This is the essential service rendered by a standard of prices, which is often spoken as a standard of value (Laughlin, 1903, p. 14).

Létalon de valeur ne mesure alors pas la valeur intrinsèque des biens, mais permet lattribution dune valeur déchange entre deux objets, soit un prix. Létalon de valeur permet la constitution dun référentiel de valeurs déchange (dans son manuel de 1920, The Elements of Political Economy, Laughlin ne parle dailleurs plus d« étalon de valeur », mais de « dénominateur commun de valeur », p. 86) ; pour ce faire, il doit alors lui-même posséder une valeur intrinsèque.

Par cette caractéristique, il est possible de rapprocher létalon défini par Laughlin du « numéraire » de Walras15. Le numéraire walrasien est « une marchandise quelconque en laquelle on énonce le prix de toutes les autres » (Walras, 1874, p. 119). Cette marchandise est choisie arbitrairement, car ce numéraire ne sert ni dintermédiaire des échanges 51ni de réserve de valeur, son unique rôle est celui dêtre une unité de compte. Le numéraire est loutil permettant dafficher les prix relatifs dans une unité commune, par rapport à une même marchandise. Chez Laughlin, létalon de valeur ne modifie en rien les valeurs déchange des biens. Ces dernières sont déterminées par les coûts de production lorsquil y a libre concurrence des facteurs de production dans léconomie ; en absence de cette libre concurrence, elles sont déterminées par les différentes demandes.

La fonction détalon de valeur est nécessaire pour permettre aux individus dune société déchanger des biens et services à travers létablissement dun référentiel de prix. Cependant, ce nest pas sa seule fonction ; il faut que les individus puissent transférer cette valeur et donc effectuer la transaction via lutilisation dun moyen déchange.

I.2. La fonction dintermédiaire ou moyen déchange

Pour transférer cette valeur, les individus doivent donc posséder un intermédiaire des échanges, au sens dobjet facilitant les transactions : cest la seconde fonction de la monnaie pour Laughlin.

Lauteur se réfère là encore explicitement à lanalyse de Menger du processus démergence de la fonction dintermédiaire des échanges : « The process by which a generally acceptable and easily salable commodity came into use as a medium of exchange is admirably described by Karl (sic) Menger » (Laughlin, 1903, p. 17).

Le moyen déchange permet de faire coïncider les besoins des individus et déchanger des biens indivisibles. Jevons (1875) est également cité pour établir que la monnaie en tant quintermédiaire des échanges permet de sortir dune situation de troc.

Chez Laughlin, la fonction de moyen déchange est issue des échanges : lobjet incarnant cette fonction est utilisé une fois le prix fixé et donc lors de léchange. Il considère que lobjet utilisé comme moyen déchange doit posséder une valeur, et quil doit être évaluable. De ce fait, le moyen déchange est nécessairement un étalon de valeur : « Just as no article which does not itself have exchange value can be a common denominator of value, so nothing which is not itself valuable can serve as a medium of exchange » (Laughlin, 1903, p. 18). Il ne faut pas, selon lui, se méprendre quant à cette hiérarchie de fonction : la division du travail et le développement des sociétés modernes ont certes accru lutilisation 52de la monnaie en tant que moyen déchange, mais celle-ci, bien que nécessaire, reste secondaire.

Laughlin ajoute à cela une dernière fonction à la monnaie qui est celle détalon de valeur dans les paiements différés, i.e. pour les paiements engagés sur de longues périodes.

I.3. La fonction de moyen de paiement
de contrats de longue période

Laughlin ne produit quune seule page sur cette fonction dans The Principles of Money (1903) et préfère la qualifier de « moyen de paiement de contrats à long terme ou dettes » dans The Elements of Political Economy (1920, p. 91)16. Dans ses autres ouvrages, il choisit de ne pas lanalyser, voire de la passer sous silence. Cest une extension de la fonction détalon de valeur qui permet une temporalité dans les paiements : « This function however, is not different from that of a simple standard, except that the former covers comparisons in which the time element appears » (Laughlin, 1903, p. 22). La monnaie possédant une valeur déchange, elle permet de contracter des paiements aujourdhui en vue de les régler plus tard ; en ce sens, cette fonction institue les rôles de créancier et de débiteur.

Dans son History of Bimetallism (1885), Laughlin explique que cette fonction est celle sur laquelle repose lanalyse des auteurs en faveur dun système bimétallique : selon eux, seul ce système permettrait de garantir les paiements sur le long terme.

Il reste néanmoins conscient de la variabilité de la valeur dun tel étalon et de la difficulté que cela peut faire émerger dans les paiements ; il nexiste pas détalon « parfait ». Cest pour cela quil préconise lutilisation dun « étalon multiple » (« multiple standard ») pour les paiements de long terme :

On the principle that the return of the same quantity and quality of goods at the end, which was obtained at the beginning, of a contract is the true rule of justice between debtors and creditors, the multiple standard has been proposed. The prices of a long list of staple articles, whose quotations have been collected by a government commission, and averaged daily, weekly, monthly, and yearly (…). The multiple unit is the same quantity of the same goods at any time. It can be translated into money, or money into the multiple standard, by the given table of prices. (…) Thus, the experiment does not involve the abolition of the money standard, but may go on alongside of it (Laughlin, 1903, p. 47).

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Il définit cet étalon multiple comme un outil statistique permettant de mesurer lévolution des prix de certains biens ; il propose donc dindexer les contrats ou dettes sur cette évolution pour éviter une perte de valeur. Cet étalon multiple remplirait le rôle dunité de compte, et permettrait dajuster les paiements en fonction de linflation, donc de mieux considérer la perte ou le gain du pouvoir dachat de la monnaie. Il pourrait être considéré comme une sorte dindice des prix17.

I.4. La fonction de réserve de valeur, absente

La dernière fonction que lon attribue usuellement à la monnaie est celle de réserve de valeur, la monnaie étant à ce titre considérée comme un bien qui peut être désiré pour lui-même. Cest le cas, à la période que nous étudions, chez C. Menger (1871), A. Marshall (1887), A. Pigou (1917) puis, plus tard, John Maynard Keynes (1923).

Sur ce point, Laughlin reste un économiste classique. Bien quil définisse la monnaie comme un bien durable (du fait de lutilisation de métaux précieux), il ny associe pas lidée que la monnaie pourrait être désirée pour elle–même (Laidler, 1991, p. 8).

Plus précisément, cette spécificité de lanalyse de Laughlin découle de la distinction quil effectue entre la monnaie dun côté et la richesse dun autre. Cette distinction se retrouve chez les économistes classiques qui affirment le caractère réel et non monétaire de la richesse comme on le trouve chez A. Smith (1776). Pour ces derniers, la monnaie possède un pouvoir dachat en soi, mais elle nest pas un actif. Les individus nont pas dintérêt à conserver de la monnaie en vue de recevoir un gain futur, ce nest pas un actif de patrimoine :

The distinction between money and wealth is thus well explained by Mill : « Money as money satisfies no want ; its worth to any one consists in its being a convenient shape in which to receive his incomings of all sorts, which incomings he afterward, at the times which suit him best, converts into the forms in which they can be useful to him » (Laughlin, 1920, p. 98).

De plus, Laughlin estime que les auteurs attribuant cette fonction de réserve à la monnaie ont confondu le caractère durable du métal utilisé comme monnaie avec la réalité des usages de celle-ci. Dans la pratique, 54selon lui, les individus ne détiendraient pas la monnaie métallique pour elle-même.

This function [store of value] seems to have been illogically added to the general concept of money, because the precious metals, generally associated with the latest evolution of the money material, are durable. Viewed in the light of the proposed function, diamonds and precious stones are equally money. Indestructibility, of course, is a desirable quality in the article chosen as money, but that is quite apart from the nature and the essential function of money (Laughlin, 1903, p. 2, crochets de lauteur).

Malgré létude de la temporalité des paiements dans la fonction des paiements différés de la monnaie, Laughlin ne la connectera pas avec celle de réserve de valeur18. Il considère que lanalyse de lobjet monnaie par ses fonctions et la mise en exergue de la fonction détalon de valeur suffit à remettre en cause la théorie quantitative de la monnaie. Or, sa critique, bien quil encourage une analyse historique des faits économiques, reste limitée au cadre danalyse « classique » du fait monétaire : référence à la fable du troc et recours à lévolutionnisme monétaire (Servet, 1993, p. 1134) pour expliquer lémergence de la monnaie, et application de la « vieille coupure entre monnaie et crédit » (Maucourant, 1998, p. 395).

Cette définition de la monnaie distingue Laughlin des auteurs de lécole de Cambridge. Ceux-ci mettent, à linverse, laccent sur la demande de monnaie souhaitée par les agents et ont lintuition de la « préférence pour la liquidité » qui sera théorisée par la suite par Keynes (1936). Pour eux, la valeur de la monnaie dépend, en partie, de la demande dencaisses réelles de la part des individus, critère que Laughlin ne prend pas en compte dans sa définition de la demande de monnaie. De plus, lintégration de cette fonction leur a permis de réinterpréter la théorie quantitative de la monnaie.

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Cest donc, selon nous, une analyse instrumentale et fonctionnelle de la monnaie que propose Laughlin. Instrumentale, car la monnaie est vue comme un véhicule permettant de faciliter et fluidifier les transactions. Fonctionnelle, car centrée sur lexplication de ses fonctions. Enfin, elle repose aussi sur une conception marchande de la monnaie : le prix de la monnaie or est déterminé par son coût de production et la monnaie métallique bénéficie des mêmes caractéristiques que le métal, à savoir la durabilité, lhomogénéité ou encore une valeur qui est stable.

La fonction détalon de valeur de la monnaie permet de déterminer les prix chez Laughlin : le coût de production de lor devient alors un élément primordial au sein de sa théorie. Le processus de formation de ces prix est bien différent de celui proposé par la théorie quantitative de la monnaie, ce que confirme Skaggs : « In focusing on money as a standard of value, Laughlin moved outside the quantity-theory tradition » (1995, p. 6). En cela, son analyse sinscrirait dans la tradition de la Banking School : « Adhering to Banking School terminology, Laughlin defined “money” as the standard commodity in coin or bullion form » (ibid.).

II. Le rôle de létalon de valeur dans la fixation
du prix : une « true theory of prices »

Il convient tout dabord de noter que pour Laughlin les prix sont relatifs : le prix ou encore la valeur déchange dun objet représente la quantité détalon de valeur nécessaire pour lobtenir. Ici, il renvoie à Smith (1776) qui considère également que le prix est le résultat du ratio entre létalon et le bien :

The greatness of Adam Smith is (…) in his outline for coming time of the essential elements of the price question, resting on a consideration of the comparative values of goods and money, and not on a comparison of goods with the amount of the media of exchange (or circulation) (Laughlin, 1903, p. 239).

Cette notion de prix relatif se trouve également dans les écrits des économistes de lécole de Cambridge tels que Marshall (1887), Pigou (1917), Dennis H. Robertson (1922) et Keynes (1923).

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Ce faisant, Laughlin se démarque de Fisher qui distingue dune part le prix comme un ratio entre deux quantités de biens représentant une richesse, dautre part la valeur dun bien quil définit comme « its price multiplied by its quantity. Thus, if half a dollar per bushel is the price of wheat, the value of a hundred bushels of wheat is fifty dollars » (Fisher, 1911, p. 3). Et il diffère également de Kemmerer qui sépare un prix subjectif dun prix économique :

An exchange in each such case would ex hypothesei take place, and in the exchange processes themselves economic or objective prices would emerge. It is important to note that an economic price cannot exist, in a purely egoistic society, independently of an exchange operation, for (to paraphrase a homely adage) « the proof of the price is in the selling of the horse. » (Kemmerer, 1903, p. 12).

Pour Laughlin, le prix dun objet dépend donc de deux éléments formant un ratio. Premièrement il est déterminé par la valeur de létalon (et non le volume de moyens déchange en circulation) au numérateur, et deuxièmement, par des facteurs non monétaires affectant la production du bien en question telle quune modification des technologies de production, au dénominateur. Nous consacrons la première sous-section de cette partie à lanalyse de la valeur de létalon monétaire. Dans la seconde sous-section, nous étudions le rôle de létalon de valeur dans la détermination du prix et enfin nous nous penchons sur la notion de « niveau général des prix » chère aux auteurs quantitativistes, mais que Laughlin rejette.

II.1. La valeur de létalon

Laughlin était un défenseur fervent du système détalon-or. Il lui a consacré une grande partie de son ouvrage majeur de théorie monétaire Principles of Money (1903), publié trois ans après linstitution légale de létalon-or aux États-Unis par le Gold Standard Act de 1900, autant quil militait dans les commissions et participait aux débats publics de lépoque. Nous faisons le choix dans cette section, de nous consacrer à son analyse de létalon-or (Laughlin lui-même naccordant que peu de crédit à létalon-argent, métal dont il pensait la valeur intrinsèquement plus instable).

Pour Laughlin, la monnaie est un bien équivalent aux autres biens (1903, p. 338) ; ce nest pas un bien spécifique. De ce fait, il explique 57que la valeur de lor en tant quétalon dépend sur le court terme, comme pour tout autre objet, de la loi de loffre et la demande et ce, que lon adhère ou non à la théorie quantitative de la monnaie ou encore à celle de lutilité marginale :

For this purpose, it is not necessary to enter into the general theory of value, – on whatever theory the value of gold is explained, the outcome, as regards price, must be ultimately the same. If, with one school, we regard the value of gold as determined by the final utility of the last accretion got from the poorest mine in operation ; or if, with another school, we regard the expenses of production at the poorest mine as fixing the value of gold in the long run, – it makes no difference (Laughlin, 1903, p. 337).

Étudier la valeur de lor revient donc à analyser les forces affectant son offre et sa demande.

La demande de métal or possède deux composantes : une première exprimant des motifs monétaires (i) et une seconde représentant la demande pour des motifs non monétaires (ii).

(i) La demande monétaire dor est définie par la demande détalon de valeur et de moyens déchange. Sous un régime détalon-or, la demande monétaire est considérable : les individus ont besoin de lor pour évaluer les prix et pour échanger. Les banques doivent alors posséder des réserves en or suffisantes, au moins 15 % (Laughlin, 1898, p. 201), pour maintenir la parité de la monnaie et satisfaire les besoins des individus. Laughlin explique que cest la stabilité politique et économique dun pays qui permet de maintenir ces réserves au minimum et à lÉtat de promouvoir lutilisation dintermédiaires déchange variés, autres que létalon monétaire. Dans ce dernier cas, la demande dor pour des raisons monétaires est à son minimum.

En revanche, si lor est massivement utilisé comme moyen déchange, alors la demande monétaire sera plus importante que dans le cas précédent. Ici, le volume de cette demande monétaire dépend des caractéristiques structurelles internes du pays considéré, de son niveau de développement, des habitudes et préférences des agents économiques et de la législation en vigueur : « Only can law in any country create a demand for a given metal : it can determine to which of the precious metals the given demand of a people, be it large or small, shall be directed » (Laughlin, 1903, p. 344). Laughlin considère que le volume de cette demande monétaire dor nest pas proportionnel au volume des transactions comme chez 58I. Fisher lors des « périodes de transition » (Fisher, 1911), cest-à-dire lors des périodes de prospérité économique ou de dépression.

(ii) La demande dor pour des motifs non monétaires, comme la fabrication dornements décoratifs ou son utilisation dans certaines professions (dentistes par exemple) est non négligeable, mais reste moins conséquente que la demande monétaire.

Laughlin constate que la demande globale dor à lépoque où il écrit demeure relativement plus faible que son offre. Étant donné que lor est un métal durable, le stock dor représentant son offre monétaire et non monétaire est considérable. Laughlin juge que le stock dor étant déjà très conséquent, une augmentation de la demande dor sera automatiquement satisfaite et laissera encore énormément de surplus. De la même façon, une diminution du stock naurait pas deffet sur la valeur de létalon. Selon lui : « The existing stock having thus, in recent years, become so enormous because of its durability, it would be absurd to speculate about any influence of abrasion, loss, etc., in reducing the worlds supply » (Laughlin, 1903, p. 343).

Laughlin estime quà la fois la demande et loffre dor sont stables et en conclut que la valeur de létalon-or est relativement stable sur le court terme, les changements de sa valeur seffectuant sur le long-terme et de manière très lente. Par conséquent, le numérateur pouvant être envisagé comme une constante, les causes dune modification du prix dun bien sont à rechercher du côté du dénominateur soit du côté des conditions de production du bien.

Alors quil considère, dans tous ses écrits, les facteurs non monétaires comme étant les principaux déterminants du prix du fait de son hypothèse de stabilité de la valeur de létalon, il expose tout de même le cas de la détermination du prix lorsque la valeur de létalon est modifiée. Dans ce cas, une variation de prix pourrait provenir soit dun changement dans les conditions de production de ce bien, soit dune fluctuation de la valeur de létalon. Le prix serait alors déterminé par « the relative strength of the forces acting on each side » (Laughlin, 1903, p. 350). Si la valeur de lor diminuait via par exemple la découverte de nouvelles mines, alors le prix du bien augmenterait, sauf si la technologie de production de ce bien permettait den diminuer le coût. Le prix résulterait alors de léquilibre entre les forces agissant et sur les biens et sur létalon. Le volume de moyens déchanges en circulation 59naffecterait pas, pour lauteur, les prix. Au contraire, ils seraient toujours une résultante des échanges.

II.2. Le volume de moyens déchange 
comme conséquence des échanges

Une fois les prix établis, les biens séchangent avec des intermédiaires des échanges, comme des chèques ou lettres de commerce. Contrairement aux auteurs quantitativistes qui considèrent le volume de moyens déchange comme un déterminant du niveau général des prix, Laughlin estime que la circulation de moyens déchange est une conséquence de la fixation du prix. Pour lui, le volume dintermédiaires des échanges nécessaire à une économie dépend principalement de facteurs non monétaires comme le volume de transactions quotidiennes, le développement du système bancaire (qualitativement), la stabilité du gouvernement ou encore la confiance accordée aux différentes institutions bancaires.

Therefore, instead of the quantity of the media of exchange (whether called money or credit) being a causal force in price-making, the operations fixing competitive prices precede the use of the money and credit (Laughlin, 1924, p. 271).

Nous retrouvons dans la théorie de Laughlin un des fondements de la doctrine des effets réels19 : la quantité de moyens déchange varie de façon endogène par rapport au volume des transactions effectuées.

Cela est également vérifié au niveau international ; les échanges découlent alors des différences de coûts de production dans les différents pays, la valeur de létalon étant toujours supposée stable :

In the fourth place, granting a world value of gold in which the comparative prices of goods are expressed, the reason for exporting or importing certain goods depends upon internal conditions affecting expenses of production within a country ; that is, it is the relative expenses of production, and comparative prices, of goods within a country, and not the general level of prices, which causes international trade (Laughlin, 1903, p. 370).

Une autre erreur des auteurs quantitativistes, selon Laughlin, réside dans leur définition de la notion de pouvoir dachat. Leur erreur est de 60confondre le pouvoir dachat réel et le mécanisme par lequel le pouvoir dachat agit. Pour Laughlin, le pouvoir dachat réel dun individu est représenté par les biens ou propriétés quil détient. La monnaie ne faisant pas partie du stock de richesses détenu par un individu, elle ne constitue pas du pouvoir dachat en soi. Elle nest quun moyen de transférer du pouvoir dachat ; elle est la courroie de transmission par laquelle le pouvoir dachat agit.

Comme nous lavons évoqué dans lintroduction, les débats portaient également sur leffet du crédit sur les prix. Laughlin et ses étudiants ont vivement critiqué, à la fin du dix-neuvième siècle, la non prise en compte du développement du système bancaire et des instruments de crédit par les auteurs quantitativistes comme Francis Amasa Walker. Il convient donc désormais danalyser la manière dont Laughlin intègre le crédit à son analyse.

III. Le crédit et les prix

Tout dabord, lanalyse de la critique à la théorie quantitative de la monnaie de Laughlin se poursuit à un niveau agrégé à travers la notion de « niveau général des prix ».

Depuis les développements de la théorie quantitative de la monnaie par ses précurseurs au xvie siècle, on considère que léquation quantitative dans sa forme M.V = P.T20 sépare la sphère monétaire de la sphère réelle, et établit le fait que, sur le court terme, la variation du volume de monnaie en circulation génère une variation des prix nominaux. Les auteurs quantitativistes que nous étudions raisonnent avec le concept de « niveau général des prix » : les variations des prix des biens au niveau individuel sont agrégées pour en faire une variable unique et synthétique. Ce niveau des prix varie suite aux variations du volume de moyens déchange en circulation. Pour eux, le volume de moyens déchange en circulation na deffet que sur le niveau général des prix. Il y a au minimum congruence, voire proportionnalité entre les deux 61variables. Selon les auteurs, le niveau général des prix est manifestement dépendant du volume de moyens déchange en circulation, comme la montré Skaggs :

The latter [Fisher] explicitly thought in aggregate terms and developed a static, timeless equilibrium theory ; the former [Laughlin] explicitly rejected aggregate categories as the proper basis for economic analysis and developed a theory of prices more closely tied to historical (1995, p. 2, crochets de lauteur).

Cest précisément cette causalité directe entre volume de moyens déchange et niveau général des prix que Laughlin rejette, pour deux motifs principaux.

Premièrement, nous lavons déjà souligné, le volume de moyens déchange ne détermine en rien, selon lui, les prix ou un « niveau général des prix » ; il en est la conséquence.

Deuxièmement, Laughlin considère que la notion de « niveau général des prix » nest quune notion comptable qui ne permet pas dappréhender le mouvement global et généralisé des prix. Donc, selon lui, non seulement lagrégation des prix des biens individuels nest pas satisfaisante pour concevoir un « niveau général des prix » ; et en outre, il nest pas possible de lier la variation des prix à celle du volume de moyens déchange en circulation.

De ce fait les deux « forces » agissant sur le niveau général des prix sont identiques à celles qui agissent sur le prix dun bien particulier, à savoir la modification de la valeur de létalon et/ou les facteurs non monétaires.

Il poursuit son analyse en expliquant que le prix étant relatif, une augmentation de la valeur dun bien se ferait au détriment dune diminution de la valeur dun autre bien : « Among themselves, the mass of goods might change in their values relatively to each other, without changing the total quantity of all goods which could be purchased by a given weight of gold » (Laughlin, 1903, p. 354). Laughlin analyse linflation, sous un régime détalon-or, comme un phénomène principalement non monétaire : elle ne peut provenir que dune hausse des coûts de production nécessaires pour produire ce bien, car la valeur de létalon est stable. Une hausse des coûts de production provoque en effet une augmentation du volume détalon nécessaire à lachat de ce bien. La variation de la valeur dun bien nest donc pas la résultante dune relative abondance ou rareté de la monnaie :

62

Falling prices are an expression of a readjustment in the exchange ratios between the standard commodity and goods, but the fall is not in itself a proof that the medium of exchange has become scarce, any more than a rise of prices would be a proof of its abundance (Laughlin, 1903, p. 53).

Selon Laughlin, le niveau des prix est alors déterminé par le ratio entre le stock de monnaie au sens détalon de valeur (le stock dor dont la valeur est déterminée par le coût de production de lor) et le volume de biens échangés (Laughlin, dans Harvey, 1895, p. 109). Précisons que cela étant valide à la fois pour un bien spécifique, un secteur ou un pays.

Sur les marchés des biens, loffre et la demande de moyens déchange en déterminent le volume de production et le prix des marchandises. De lautre côté, loffre de moyens déchange en circulation est égale au volume des transactions multiplié par leurs prix ; loffre de moyens déchange est donc endogène. Ces deux éléments conditionnent ensuite le volume de monnaie circulant en tant que moyen déchange. Cette conclusion est également celle de Roper & Girton :

Given the predetermined value of P, the quantity of money must adjust to satisfy the demand for money. In contrast to the quantity theorists who began their theoretical reasoning with an exogenous quantity of money, Laughlin argued that the quantity of circulating media in a country was not only endogenous but incapable of influencing the price level (1978, p. 609).

De plus, Skaggs explique que lon ne peut formaliser la théorie de Laughlin via une équation des échanges : « Forcing Laughlins theory into the equation of exchange qualitatively alters it » (1995, p. 11).

Cela fait apparaître une opposition plus globale entre les auteurs quantitativistes dune part et les économistes anti-quantitativistes dautre part :

Or cest ce deuxième point qui fait lobjet dun débat entre quantitativistes qui pensent que cest la variation du niveau général des prix qui assure ladéquation entre quantité nominale de monnaie et quantité réelle, et anti-quantitativistes qui raisonnent à prix fixes et pensent au contraire que cest la variation de la quantité nominale de monnaie qui assure cet ajustement (de Boyer, 1987, p. 63).

Toutefois, il faut garder à lesprit que Laughlin admet que la théorie quantitative peut fonctionner dans certaines conditions :

63

Its modern form has been already assumed by me in including credit with money. But when first stated, especially by Ricardo, credit did not enter into the theory. It concerned money alone. In its original form, with the conditions assumed, it could not be denied (1924, p. 276).

Pour lui, la théorie quantitative de la monnaie est valide uniquement dans le contexte dans lequel elle a été formulée par Ricardo avec les hypothèses quil lui associait : lÉtat est la seule institution émettant de la monnaie, les biens séchangent uniquement au moyen de cette monnaie, et le volume de moyens déchange en circulation est totalement absorbé par les échanges de biens (Ricardo, rapporté par Laughlin, 1924, p. 276). Or, selon Laughlin, cette théorie nest pas conforme à ce quil observe du développement du système bancaire de son époque, plus particulièrement concernant le crédit et lévolution du régime monétaire. Pour lui, la théorie à même dexpliquer la réalité économique américaine de ce temps est la doctrine des effets réels.

Il analyse alors le crédit comme un intermédiaire des échanges. Dès lors, si le volume de moyens déchange na pas deffet sur les prix (les prix étant affectés par le stock dor utilisé comme étalon de valeur et par les coûts de production des biens), comme nous lavons montré plus haut, alors le volume du crédit ne devrait pas non plus en avoir. Pour Laughlin, sous un système détalon-or, les instruments de crédit, les billets de banque ou les lettres de change facilitent les transactions, car ils évitent le transport de métal or. Le volume de ces moyens déchange en circulation ne modifie en rien les quantités dor au niveau mondial et donc nagit pas sur les prix des biens21 : « The devices for economizing money which the progress of society has developed render it impossible to say that prices depend directly upon the quantity of money » (Laughlin, 1887, p. 325).

Ainsi, son analyse du crédit et de son effet dans léconomie rejoint celle de Mill (1848) : « In his final statement, however, Mill plainly says (B. III., chap. xi., § 3), “In a state of commerce in which much credit is habitually given, general prices at any moment depend much more upon the state of credit than upon the quantity of money” » (Laughlin, 1887, p. 325)22. Mill explique 64que le niveau général des prix ne dépend pas tant de la quantité de monnaie en circulation que du volume de crédits effectués dans léconomie. Laughlin le rejoint sur la prise en compte du crédit spéculatif comme facteur explicatif de certains mouvements de prix. Mais si le crédit permet déconomiser de lor et donc est utilisé comme moyen déchange, alors il nagit pas sur les prix des biens. Ceci est contraire à ce que pensent les quantitativistes. Ces derniers considèrent soit que ces moyens déchanges seront convertis en or in fine soit que la monnaie de dépôt (M) variera proportionnellement à la masse monétaire en circulation (M). Pour eux, la variation de la monnaie de dépôt agit également sur le niveau général des prix. Mais pour Laughlin, nous lavons vu, lutilisation de ces intermédiaires est la conséquence des échanges nationaux et internationaux, et non la cause : « The checks and bills, or claims on value, arise only from sales of goods. They are the consequence of the sales » (Laughlin, 1895, p. 107). Ce dernier va même jusquà montrer que le développement moderne du crédit permet, en partie, de stabiliser la valeur de lor23, ce que remarque Skaggs : « Happily, the substitution of various credit currencies for gold as circulating media had sharply limited the demand for additional gold, thereby protecting the value of the standard from appreciation » (1995, p. 8).

Nous soulignons ici linfluence sur la pensée de Laughlin de la Banking School, daprès laquelle le volume de crédit nest ni une cause des échanges économiques ni un déterminant du prix. La quantité de crédit offert par les banques est définie selon les besoins des affaires, donc le volume des biens à produire et échanger. Le processus démarre par la volonté dun entrepreneur dalimenter le marché avec davantage de biens. Cest parce quil perçoit une demande de biens plus élevée quil contracte un crédit qui lui servira à augmenter la production ; nous retrouvons ici la même hypothèse que dans la doctrine des effets réels : « Consequently banks must accommodate themselves to the need of their customers, or not do business at all » (Laughlin, 1903, p. 118).

Enfin, Laughlin effectue une distinction entre un « crédit normal » et un « crédit anormal », distinction lui permet daffiner le rôle primordial de cet instrument dans léconomie.

65

Laughlin nenvisage pas le crédit comme étant de la monnaie, mais plutôt comme du pouvoir dachat. Les opérations de crédit permettent un transfert de pouvoir dachat. Cette définition permet à Laughlin dexpliquer pourquoi la théorie quantitative nest pas toujours valide :

It has been seen that purchasing power in the form of credit cannot affect the price ratio by any influence on gold itself, except through an alteration in the demand for gold. Instead of increasing the demand for gold, the general development of credit lessens the demand for gold ; hence, instead of making gold dearer, it works in the end to make gold less valuable – or at least by doing work for it prevents it from becoming more valuable (Laughlin, 1903, p. 114).

Le crédit répond à un besoin daugmenter la production future de biens :

The actual transfer of goods is the essential economic part of the credit operation ; the promissory notes, drafts, bills of exchanges, book entries, and the like are merely the evidences of the credit transactions which have been used to facilitate, in a greater or less degree, repayment, and they differ from each other greatly in business convenience and legal force (Laughlin, 1903, p. 74).

Ce type de crédit est celui que Laughlin nomme le « crédit normal », cest-à-dire ayant pour source la production de biens ; il permet dintroduire de nouveaux produits sur un marché. En ce sens il accompagne une hausse de la production. Les effets sur les prix de ce « crédit normal » sont similaires à ceux induits par une hausse de la production : « A general increase of purchasing power, arising from normal credit, acts upon prices in no other way than would an increased production of all good » (Laughlin, 1903, p. 94). Le crédit « normal » naffecte pas le prix dun bien relativement à lor, mais le prix dun bien relativement à un autre bien.

De plus, Laughlin considère les banques comme les acteurs centraux du processus de crédit ; ce sont les banquiers qui doivent être capables de juger de la solvabilité dun entrepreneur. Ils doivent alors accorder des « crédits normaux » pour le bon fonctionnement de léconomie. Mais il peut arriver, dans une phase dexpansion, que loptimisme général devienne excessif et que se développe la pratique du « crédit anormal ». Ce type de crédit a pour origine une perception erronée de la valeur présente et future des biens, autrement dit des anticipations trop optimistes de lévolution des valeurs des biens considérés. Les individus vont produire davantage et ce supplément de production est financé par emprunt bancaire. Laugmentation de la production qui en 66résulte provoque une hausse des prix des autres biens. Loffre de biens augmente alors, mais ne parvient pas à rencontrer une véritable demande de biens, comme cest le cas avec le « crédit normal » : « That is, the supply has become abnormal relatively to any true demand based upon goods » (Laughlin, 1903, p. 106-107). Le crédit « anormal » est moins lié à la volonté de produire de nouveaux biens, quà la perspective den recevoir un plus grand profit. Le crédit « anormal » a en effet un impact sur les prix qui est radicalement différent du crédit « normal » :

To be sure, a fictitious rise of prices due to abnormal credit might temporarily give to gold a lower value within a country than it possessed elsewhere in the world ; but these conditions bring their own overturn in such a vengeful fashion as to show that it is at variance with the natural principles of price-making. Such a rise of prices is not due to an increased quantity of the standard (Laughlin, 1902, p. 536).

Laughlin décrit ici un phénomène de spéculation et de formation de bulle spéculative : lorsque la bulle éclate, alors la demande seffondre avec les prix. Cet apport de Laughlin sera dailleurs reconnu par certains économistes et notamment Clow (1903).

Notons quune distinction similaire se trouve chez Thornton (1802, p. 45) qui différencie également deux sortes de crédits, même sil le fait de manière moins explicite que Laughlin. Il distingue dun côté le crédit commercial qui est basé sur des billets réels et dautre part un second type de crédit, que nous pourrions appeler crédit spéculatif, qui repose sur des billets dont la valeur est fictive24.

Malgré les effets nuisibles du crédit « anormal », Laughlin ne propose pas de contrôler directement le volume de crédit ou le volume de monnaie en circulation. Et, même sil ne propose pas une véritable théorie des cycles, il explique que lorigine de la plupart des crises du National Banking System25 américain se trouve dans le basculement 67dune économie de « crédit normal » à une économie où, en raison dun optimisme excessif, la spéculation alimentée par le « crédit anormal » lemporterait. Lorsque la bulle spéculative éclate, il sen suit une chute des prix et une contraction du crédit ; léconomie peut alors entrer en phase de récession (Laughlin, 1903, p. 112).

Conclusion

Nous avons montré que la critique de Laughlin à la théorie quantitative de la monnaie mobilise trois éléments.

Dans la lignée des auteurs de la Banking School, Laughlin propose, tout dabord, une définition de la monnaie qui met en avant la fonction détalon de valeur au détriment de celle de moyen déchange et de celle détalon de valeur des paiements différés. Cest, daprès lui, létalon de valeur qui émerge en premier lieu dans une société, et qui permet aux individus de construire leur référentiel de prix. Ce nest que dans un second temps que cet étalon devient un moyen déchange et endosse la fonction dintermédiaire des échanges : une fois le prix fixé, les individus ont besoin de moyens déchange pour effectuer leur transaction. Il rajoute à ces deux fonctions celle détalon de valeur des paiements différés, fonction sur laquelle il ne sattarde pas. Or, la temporalité quil décrit via cette troisième fonction aurait pu lamener à considérer la fonction de réserve de valeur de la monnaie, mais il naura pas cette intuition.

Le second élément de cette critique concerne le rôle que Laughlin alloue à cet étalon de valeur dans la fixation du prix. Considérant le volume des moyens déchange (chèques, lettres de change, …) comme endogène, il adhère ici encore aux idées de la Banking School. Le prix des biens est déterminé par un ratio entre la valeur de létalon (déterminé par le stock dor dont le coût de production est supposé stable par Laughlin) et les coûts de production du bien (qui déterminent le volume de biens échangés). Sous un régime détalon-or, il considère que la valeur de létalon monétaire est stable, faisant de linflation un 68phénomène dorigine non monétaire. De plus, il rejette la notion de « niveau général des prix ». Une hausse de prix serait due, pour lui, à une modification de la production du bien qui en augmenterait le coût. Enfin, sa critique porte sur le rôle du crédit, au sujet duquel il distingue un « crédit normal » et un « crédit anormal ». Cette analyse est le reflet de son intérêt pour la doctrine des effets réels, doctrine défendue auparavant par les membres de la Banking School. Le premier type de crédit permet aux entrepreneurs de proposer de nouveaux produits et na pas deffet inflationniste propre ; il est bénéfique à léconomie. Quant au crédit « anormal », il repose sur des anticipations trop optimistes des fluctuations de la valeur de certains biens et donne lieu à des phénomènes spéculatifs. Il ne sécarte pas de la doctrine des effets réels en ne suggérant pas de contrôler le volume de crédit dans léconomie, mais insiste sur la nécessité pour les banquiers de restreindre le volume de « crédits anormaux » accordés.

La théorie monétaire de Laughlin emprunte donc des éléments théoriques aussi bien aux économistes classiques anglais (Ricardo, J. S. Mill) quà ceux de la Banking School (Tooke et Thornton26). Elle se veut être une critique de la théorie quantitative de la monnaie. Néanmoins, lanalyse de Laughlin restera circonscrite à un mode de raisonnement assez habituel qui ne se démarque guère de celui de la théorie quantitative de la monnaie : il fait référence à la fable du troc et napprofondit pas lhistoire de lémergence de la monnaie. Enfin, sa théorie et sa critique ne sont limitées quau régime monétaire de létalon-or, donc seulement sous certaines hypothèses restrictives.

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Willis, Henry P. [1896], « Credit Devices and the Quantity Theory », Journal of Political Economy, Vol. 4, No 3, p. 281-308.

1 Je remercie les rapporteurs et léditeur de la Revue dhistoire de la pensée économique pour leurs commentaires utiles et constructifs. Je suis également reconnaissante envers Jean-Pierre Potier pour avoir relu une première version de cet article. Je remercie également Claire Silvant pour son aide précieuse dans lamélioration de cet article ; ainsi que Thibault Guicherd et Jordan Biets pour leurs lectures attentives. Enfin, cet article doit énormément aux conseils et remarques de Rebeca Gomez-Betancourt et Robert Dimand que je remercie sincèrement.

2 These new writers [Laughlin, Scott, Farrer] have produced some valuable results. They have improved our terminology by enlarging it and clearing away ambiguities. They have shown that the quantity principle, even in its best form as stated by Mill or Walker, fails to take into account some modifying factors of great importance. They have raised the study of monetary history to something like its proper place. Above all else, they have compelled us to see the vast importance of credit in the modern mechanism of exchange. In accomplishing these results they have incidentally found errors in the work of nearly everyone who has written on the subject of money (Clow, 1903, p. 594, crochets de lauteur).

3 Pour des lectures sur les débats monétaires américains de la fin du xixe siècle, nous renvoyons à Dimand (2003).

4 Pour plus dinformations sur lhistoire de lévolution de léconomie politique en tant que discipline aux États-Unis nous renvoyons à Fourcade (2009).

5 Joseph S. Nicholson, Robert Giffen, George Goschen sont dorigine britannique, tout comme T.H. Farrer, néanmoins Clow (1903) les inclut dans cette école américaine. Cest par leur participation aux débats américains que nous considérons lappellation « école de pensée américaine ».

6 Les trois étudiants de Laughlin publieront en 1895 et 1896, dans le Journal of Political Economy, plusieurs articles remettant en cause le pouvoir explicatif de la théorie quantitative de la monnaie. Le rejet empirique de la théorie quantitative, par Hardy, Mitchell et Willis, ignorait la tendance à la hausse du volume réel des transactions (T) quand léconomie croît, ce qui a biaisé leurs résultats. Concernant les débats quont suscité ces papiers, nous renvoyons à Hirsch (1967) et Girton & Roper (1978). De plus, bien quil y ait rupture entre Mitchell et Laughlin en 1904, linfluence de ce dernier se retrouvera dans la méthodologie de Mitchell et, également, de Veblen (Hirsch, 1967 ; Maucourant, 1994).

7 Pour plus déléments biographiques sur cet auteur voir Bornemann (1940).

8 Laughlin attendit la conférence de lAmerican Economic Association de 1904 qui fut organisée à Chicago pour la rejoindre malgré les tentatives de persuasion de la part de certains membres de cette Association dès 1898 (Coats, 1960, p. 564).

9 Ce pamphlet a été vendu à plus de 400 000 exemplaires (Dorfman, 1949, p. 226). Harvey présente chaque chapitre de ce pamphlet comme une leçon déconomie politique. Dans le quatrième chapitre, il met en scène un échange avec Laughlin : Harvey aurait répondu à une de ses questions et Laughlin aurait finalement changé de posture et davis envers les bienfaits dun système bimétallique (Dorfman, 1949). Le débat entre Laughlin et Harvey revient sur la loi américaine 1853 qui entérine labandon dans la pratique du double standard, or et argent, aux États-Unis. Pour une lecture du débat, voir Laughlin (1895, p. 201-251) et André-Aigret & Dimand (2018).

10 Ou Owen-Glass Act. Cette loi instaure le Système de réserve fédérale aux États-Unis en décembre 1913.

11 « The value of money is expressed through its quantity in the process of price making, and alterations in the value of gold only affect prices, other things being equal, in proportion as they affect the quantity of money in circulation » (Kemmerer, 1903, p. 58).

12 Selon Menger, la monnaie est une institution apparaissant de façon spontanée dans une société. Son émergence est le résultat de laction contingente et inconsciente des individus ce qui en fait une institution organique. Menger oppose à cette institution organique, linstitution pragmatique qui est le produit volontaire de la législation.

13 Ce point est également repris par Humphrey (1998) : « According to Laughlin, price setting precedes the sales of goods. With prices thus settled, the stock of bank money passively adapts as required to effect the sales at the predetermined prices » (p. 68).

14 Skaggs nomme cela « antecedent pricing » (1995, p. 10).

15 Laughlin ne cite pas Walras sur ce point.

16 En anglais : « means of paying long contracts, or debts ».

17 La période étudiée est caractérisée par la construction dindices statistiques, en relation avec une réflexion sur le pouvoir dachat de la monnaie (Schumpeter, 1954, p. 442).

18 Précisons sur ce point que lon peut rapprocher lanalyse de Laughlin de celle qui sera un siècle plus tard proposée par des économistes de lécole de Lyon au sujet du caractère ambigu de la fonction de réserve de valeur. Jean Michel Servet explique que Karl Polanyi ninclut cette fonction dans son analyse que dans un second temps : « Elle est définie comme une fonction subordonnée historiquement à la fonction de paiement. [] Cette fonction peut être analysée indépendamment du fait monétaire ; dune part, elle est lexpression de la perpétuation dans le temps de la fonction de paiement et, dautre part, elle doit être articulée à la fonction de compte pour garantir une valeur en terme nominal » (Servet, 1993, p. 1139).

19 La doctrine des effets réels est « a rule purporting to gear money to production via the short-term commercial bill of exchange, thereby ensuring that output generates its own means of purchase and money adapts passively to the legitimate needs of trade » (Humphrey, 1982, p. 3).

20 Le volume de monnaie en circulation (M) multiplié par sa vélocité (V) doit être égal au niveau général des prix (P) multiplié par le volume des transactions (T).

21 Cette idée se trouve également dans la pensée monétaire de Thomas Tooke : « And I have only referred to the cases stated by Mr. Norman as bearing on the question of the connection of the currency with prices, in order to point out the grave error of his doctrine, in ascribing to bills of exchange an effect on prices, instead of viewing them as an effect of prices » (Tooke, 1844, p. 76).

22 La suite de la citation de Mill est la suivante : « For credit, though it is not productive power, is purchasing power ; and a person who, having credit, avails himself of it in the purchase of goods, creates just as much demand for the goods, and tends quite as much to raise their price, as if he made an equal amount of purchases with ready money » (Mill, 1848, p. 382).

23 « But Mr. Mill sees that the effect of credit on prices is not through its effect on the value of the standard, but directly through its service as a medium of exchange in being offered as purchasing power (wherein lies his error, in my judgment) » (Laughlin, 1903, p. 274).

24 « It was before shewn [sic], that the principal motive for fabricating what must here be called the real note, that is, the note drawn in consequence of a real sale of goods, is the wish to have the means of turning it into money. [] A fictitious note, or note of accommodation, is a note drawn for the same purpose of being discounted, though it is not also sanctioned by the circumstance of having been drawn in consequence of an actual sale of goods. Notes of accommodation are, indeed, of various kinds. The following description of one may suffice » (Thornton, 1802, p. 42).

25 Ce système bancaire fut mis en place en 1863, pendant la guerre de Sécession américaine (1861–1865) pour notamment financer cette dernière par lémission de greenbacks. Le National Bank Act qui instituait ce système était « a banking legislation on a federal scale, regulating the issuing of national banknotes as well as regulating the “deposit currency” of National Banks » (de Boyer & Gomez-Betancourt, 2010, p. 4). Ce système subit plusieurs crises successives (1873, 1884, 1890, 1893, 1907) et disparait avec le Federal Reserve Act de 1913.

26 Comme le note Skaggs (1995) : « While it is true that a flexible version of the quantity theory was part of British monetary orthodoxy, it is also true that the roots of Laughlins antiquantity theory system are firmly embedded in the classical Banking School doctrine, particularly of the sort developed by Thomas Cooke » (Skaggs, p. 3). Concernant Thornton, nous admettons que son intégration au sein de la Banking School nest pas systématique.