Skip to content

Classiques Garnier

The collapse of capitalism as a theoretical conjecture First twentieth century marxist debates

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Revue d’histoire de la pensée économique
    2018 – 1, n° 5
    . varia
  • Author: Tutin (Christian)
  • Abstract: This paper addresses the marxian debate on the breakdown hypothesis after Marx’s death and until the end of the 50’s. To what extent should it be related to the unsustainability of its economic development? From the beginning of the 30’s to the end of the 50’s authors, among them Friedrich Pollock, put forward the vision of an “Orwellian” capitalism, in which emerge new forms of domination, rooted in ideology and politics rather than in economics.
  • Pages: 179 to 216
  • Journal: Journal of the History of Economic Thought
  • CLIL theme: 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN: 9782406080688
  • ISBN: 978-2-406-08068-8
  • ISSN: 2495-8670
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-08068-8.p.0179
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 06-08-2018
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
  • Keyword: Marxian economics, Bernstein, Hilferding, Luxemburg, Pollock, Pannekoek, Tougan-Baranowski, Economic breakdown, Imperialism, Totalitarian state
179

leffondrement du capitalisme
comme conjecture théorique

Débats marxistes du premier vingtième siècle

Christian Tutin1

Université de Paris Est Créteil

PHARE

Introduction :
Thèses politiques et fictions analytiques

Léclatement en 2007 de la crise financière a fait resurgir (voir par exemple Lambin, 2015 ; Wallerstein, 2008, 2015), avec la perspective dun effondrement économique général, un débat quelque peu oublié : celui de lavenir du capitalisme et de sa propension à la catastrophe. Jusquau début des années 1950, il était entendu, dans des cercles dépassant largement les rangs des marxistes, que celui-ci était menacé dans sa capacité à se reproduire, et quà défaut de seffondrer, il ne pourrait subsister quen se transformant de façon radicale. Schumpeter (1942) est sans doute le représentant le plus emblématique de ce pessimisme foncier, qui na disparu quà la faveur de la grande croissance engagée après la fin de la guerre de Corée. Chez les marxistes, lidentification 180des stades du capitalisme a alors tendu à remplacer celle des scenarii de « crise finale » envisagés jusquaux années 1930.

On se propose ici de revisiter la thèse de leffondrement, telle quelle a été défendue ou rejetée par les marxistes, de Friedrich Engels à Henryk Grossman, au temps de la Seconde et de la Troisième Internationales, en interrogeant son statut du double point de vue analytique et épistémologique.

Confrontés à la relative pauvreté de ses fondements textuels chez Marx, les auteurs qui la défendent, comme Rosa Luxemburg, doivent inventer un schéma analytique original. Tels le héros du Talon de fer de Jack London, ils vont ainsi caresser « un rêve mathématique », celui de « développer le caractère fatal de lécroulement du système capitaliste et déduire mathématiquement la cause de sa rupture ». Ainsi dune hypothèse relevant de la politique-fiction passe-t-on à la construction dune théorie, et à la reconstruction dune histoire raisonnée, interprétée comme celle des réactions successives du système, aux plans économique et politique, pour surmonter son penchant à lautodestruction.

Du côté de ceux qui ne croient pas à leffondrement inéluctable du système sous le poids de ses contradictions économiques, non seulement chez les réformistes (Rudolf Hilferding, Otto Bauer) mais aussi chez certains représentants de la gauche révolutionnaire, comme Anton Pannekoek, le même effort dimagination est déployé, pour élaborer des figures de crise associées à différents « modèles » de croissance. Et comme les tenants de leffondrement, leurs adversaires sappuient sur un récit historique.

Le fait que leur vision politique fût à lorigine de leurs développements théoriques, et que lhistoire, pas seulement économique, fût convoquée comme validation empirique de leurs thèses confère à ces « fictions » économiques un statut très différent de celui des « paraboles », généralement ahistoriques, affectionnées des économistes. Cest au regard de leur capacité à saisir un moment historique quelles doivent être appréciées. Cest de ce point de vue que nous les examinerons ici.

Après un bref rappel des éléments présents chez Marx, on sintéressera dabord aux deux représentants du révisionnisme que sont Édouard Bernstein (1899) et Michel Tougan-Baranowski (1894). On examinera ensuite le catastrophisme de Rosa Luxemburg et sa critique par Otto Bauer, pour terminer sur lopposition entre la théorie économique très 181mécaniste de leffondrement défendue par Henryk Grossman, et le catastrophisme politique représenté par Friedrich Pollock, inspiré par la montée des totalitarismes dans les années 1930, et qui rejoint les réflexions pessimistes dAnton Pannekoek et de Rudolf Hilferding sur la montée du « capitalisme dÉtat » dont ils observent léclosion tant à lEst quà lOuest.

I. Un capitalisme stabilisé ?
De Marx aux révisionnistes

Pendant la Belle Époque, la thèse de leffondrement « nécessaire » du capitalisme est venue à lappui dune position politique, celle du courant révolutionnaire du mouvement socialiste, pour lequel il sagit de réaffirmer, face aux mutations du capitalisme et aux nouvelles conditions politiques qui se font jour à laube du xxe siècle avec la percée des partis sociaux-démocrates, à la fois la nécessité et lactualité de la révolution. La « question de leffondrement » se trouve ainsi au cœur de la querelle révisionniste déclenchée au sein du parti social-démocrate (SPD) allemand2 par les thèses dÉdouard Bernstein.

I.1. Des fondements marxiens incertains

Pour Marx, il est bien clair que le système capitaliste porte en lui une tendance à la crise. Mais il est tout aussi clair que la plupart du temps, le système fonctionne, de façon plus ou moins satisfaisante, aux yeux du moins de ses sujets actifs que sont les capitalistes. Cest à peine si lon trouve vraiment trace de la vision de crises de plus en plus profondes et rapprochées, qui le menaceraient dans sa survie.

Dans le Capital, deux sources principales peuvent être invoquées à lappui dune théorie de leffondrement : le chapitre 25 du Livre I, qui clôt la section 7 consacrée à laccumulation du capital, et où est exposée la « loi générale de laccumulation capitaliste » ; et la troisième section du Livre III dans laquelle Marx établit la loi de baisse tendancielle du 182taux de profit, et cherche à en déduire la survenue inéluctable de situations de suraccumulation.

La « loi générale » de laccumulation est une loi de « paupérisation », qui a fait couler beaucoup dencre, tant sa formulation par Marx lui-même est ambigüe : sagit-il dune paupérisation absolue (appauvrissement des ouvriers) ou relative (hausse du taux dexploitation) ? Linterprétation la plus raisonnable de cette « loi générale » est celle dune polarisation croissante des richesses,

qui établit une corrélation fatale entre laccumulation du capital et laccumulation de la misère, de telle sorte quaccumulation de richesse à un pôle, cest égale accumulation de pauvreté, de souffrance (…) au pôle opposé (Marx, 1867, p. 472).

Lun des éléments de cette polarisation croissante est la tendance à la hausse du chômage et à la consolidation de ce fait dun noyau dur de chômeurs permanents, lumpenprolétariat que Marx qualifie de « poids mort du paupérisme » :

la réserve industrielle doit augmenter avec les ressorts de la richesse. Mais plus la réserve grossit, comparativement à larmée active du travail, plus grossit aussi la surpopulation consolidée (…), plus saccroit aussi le paupérisme officiel. Voilà la loi générale, absolue, de laccumulation capitaliste,

ajoutant aussitôt :

Laction de cette loi, comme de toute autre, est naturellement modifiée par des circonstances particulières (Ibidem, p. 471).

Et laccumulation de la misère ne saurait à elle seule provoquer la révolution :

Quant au sous-prolétariat, (…) il peut se trouver, ici et là, entraîné dans le mouvement par une révolution prolétarienne ; cependant ses conditions de vie le disposeront plutôt à se vendre et se livrer à des menées réactionnaires (Marx, 1848, p. 61).

Pour Marx, cest de larmée active du travail – et non de larmée de réserve – que viendra la révolution.

Du point de vue économique, quelle quen soit létendue, le chômage et la misère ouvrière ne définissent pas une situation de crise, laquelle 183doit sentendre du point de vue des capitalistes, et consiste pour Marx en une situation de blocage de laccumulation (interruption du circuit du capital), dont il nest possible de sortir que par destruction de pans entiers de lappareil productif.

Lautre élément disponible chez Marx est évidemment la loi de baisse tendancielle du taux de profit, à laquelle est associée la notion de suraccumulation. Sans rentrer ici dans sa discussion, on remarquera seulement quà supposer quelle fût valide, elle ne fournit pas en elle-même un quelconque schéma de crise. Elle pourrait comme chez les classiques justifier une marche à létat stationnaire, mais non un effondrement général de léconomie. Et la notion de surproduction avancée par Marx reste fort mal définie.

Il y a bien lidée que la sortie des crises se fait :

dun côté en imposant la destruction massive de forces productives ; de lautre, en conquérant de nouveaux marchés et en exploitant plus à fond des anciens marchés, (et donc) en préparant des crises plus générales et plus puissantes et en réduisant les moyens de les prévenir (Ibid., p. 49).

Mais la crise, aussi grave fût-elle, a toujours une fonction dassainissement qui permet au système de rebondir. La tension entre le caractère potentiellement illimité de laccumulation et les contradictions auxquelles elle se heurte, du côté des débouchés, de la rentabilité ou du financement, engendre une marche chaotique, mais ne trace pas de chemin bien défini.

Pour Marx, la véritable limite du capitalisme tient à ce que « la société ne peut plus vivre sous sa domination, ce qui revient à dire que lexistence de la bourgeoisie nest plus compatible avec celle de la société » (Ibid., p. 65). En réalité, on ne peut que constater, avec Paul Sweezy (1942, p. 192), que la soi-disant « théorie de leffondrement, de même que le terme lui-même (Zusammenbruchstheorie) furent des inventions de Bernstein. » Et cest en effet à partir de sa négation par celui-ci (Bernstein, 1899) que la thèse de leffondrement économique comme nécessité a été affirmée par laile gauche du SPD Allemand, et au sein de la social-démocratie internationale.

184

I.2. Les thèses de Bernstein

Deux convictions, nourries de lobservation du capitalisme fin de siècle (et de sa fréquentation des socialistes anglais durant son exil de 10 ans en Angleterre), fondent le révisionnisme de Bernstein : le conflit de classe se serait atténué, en même temps que séloignait la perspective dune crise générale et catastrophique. Sur ce dernier point, comme il le relève, Engels lui-même est dailleurs dubitatif. En effet, les multiples accidents financiers qui se produisent entre 1882 et 1895 ne dégénèrent pas en crise générale, comme ce fut le cas à un rythme en gros décennal entre 1825 et 1873. Et les deux décennies de la Belle Époque (1895-1914) renforcent ce sentiment dune stabilisation en cours du système, à la seule exception des États-Unis, qui manifestent à la fois un dynamisme économique exceptionnel et une instabilité financière croissante.

Pour Bernstein, trois facteurs ont joué en faveur de latténuation des crises : la concentration du capital, qui tend à stabiliser les prix et à réduire « lanarchie de la production », le développement du crédit qui « supprime lantagonisme entre le mode de production et le mode déchange par une égalisation périodique des différences de tension entre la production et léchange » (1899, p. 126) et la mondialisation, qui selon lui aurait « à tel point diminué la force réactive des perturbations locales ou particulières, que pour un temps assez considérable des crises commerciales générales, sur le modèle des crises antérieures, soient devenues improbables » (1899, p. 123-124).

Concernant les débouchés extérieurs, Bernstein insiste sur limportance du développement « intensif » du marché intérieur, plus important à ses yeux que son développement « extensif » par limpérialisme, dont il minimise le rôle, faisant observer que le commerce international se tient (et se développe) surtout entre pays industrialisés, et non entre métropoles et colonies.

Quant au crédit, il loue ses « facultés reconstitutives et créatrices », « expressément démontrées » par Marx selon lui (Ibid., p. 125). La spéculation effrénée ne serait quune marque dimmaturité propre aux pays neufs et aux industries nouvelles. « Plus ancienne est une branche de production (…) et plus (…) la période spéculative cesse dy jouer un rôle déterminant » (Ibid., p. 128). Et de façon générale, grâce au crédit, affirme-t-il,

185

les mouvements du marché sont plus aisément contrôlés et mis en compte avec plus de certitude (p. 129). (…) Le crédit néprouve pas plus, mais moins que jadis, de contractions amenant une paralysie générale de la production, et (…) par conséquent, sa portée en tant que facteur constitutif des crises est diminuée (Ibid., p. 133).

Enfin, la cartellisation de léconomie :

signifie (…) un corroboratif de tous les antidotes connus jusquici contre la surproduction (p. 139). (Car les cartels peuvent) avec beaucoup moins de dangers que lentreprise particulière (…), en des périodes dencombrement des marchés, procéder à une restriction momentanée de la production (Ibid., p. 140).

Ils sont mieux armés aussi sur les marchés extérieurs :

Nier cela équivaudrait à nier la supériorité de lorganisation sur la concurrence anarchique. Cest ce quon fait cependant, quand on nie, en principe, que les cartels puissent modifier la nature et la fréquence des crises. Jusquà quel point (…) cela est, aujourdhui, une question (Ibidem).

Lensemble de ces éléments le conduisent à nier, sauf choc exogène, toute possibilité de surproduction générale :

Si ce ne sont pas des évènements extérieurs imprévus qui amènent la crise générale (…) il ny a pas de raison formelle pour conclure, sur des données purement économiques, au prochain avènement de celle-ci. Des dépressions locales et partielles sont inéluctables, mais larrêt général – étant donné lorganisation et lextension actuelle du marché international (…) – ne lest pas (Ibid., p. 143-144).

Le rôle des monopoles, celui de limpérialisme et du crédit ont évidemment été au cœur des polémiques qui ont suivi au sein du SPD allemand. Les contributions les plus intéressantes à cet « âge dor » du marxisme (Kolakowski, 1977) sefforcent de rendre compte de ces phénomènes caractéristiques du capitalisme fin de siècle à laide des instruments légués par Marx dans les livres II et III du Capital, édités par Engels. Pour la plupart des auteurs qui prennent part au débat, la crise est un blocage de la reproduction, conséquence dune « disproportion » qui dégénère. Pendant deux générations, les schémas de reproduction du Livre II (voir encadré ci-après) vont servir de cadre aux débats sur les crises.

186

Les schémas de reproduction de Marx :
une macroéconomie bi-sectorielle inachevée

Dans le livre II du Capital, Marx a formulé, avec les « schémas de la reproduction », un modèle de croissance bi-sectoriel qui fut longtemps une source dinspiration pour la théorie marxiste des crises. Ce modèle est celui dune économie à deux classes (salariés et capitalistes), deux catégories de revenus (salaires et profits), deux catégories de biens (consommables et accumulables) et de dépenses (consommation et investissement). Il peut être élargi à 3 secteurs, le troisième étant celui des biens de luxe, achetés par des rentiers (ou par les capitalistes). Dans ce cadre Marx pose la question de la stabilité dynamique de léconomie, envisagée comme celle de savoir si la séquence des dépenses successives des revenus permet (ou non) de reproduire le capital, à la fois en nature (techniquement) et en valeur (monétairement). Marx recherche les conditions déquilibre de la reproduction, avec lidée que ces conditions sont « autant de possibilités de ruptures de léquilibre ».

Les « schémas de reproduction » de Marx sont fondés sur deux équations (une par secteur ou « section » de la production, dans les termes de Marx) :

Section 1 (moyens de production) : Z1 = C1 + V1 + S1

Section 2 (moyens de consommation) : Z2 = C2 + V2 + S2.

Où Zi est la valeur du produit en i, Ci le capital constant (valeur des moyens de production) Vi le capital variable (masse salariale) et Si la plus-value, source du profit.

En reproduction « élargie » (avec accumulation de capital), la demande totale de moyens de production sécrit :

D1 = (C1 + C2) + aβ (S1 + S2).

où a est le taux daccumulation et β la part du capital constant dans le capital total (β=C/C+V).

Léquilibre des échanges implique D1 = Z1 soit :

(C1 + C2) + aβ (S1 + S2) = C1 + V1 + S1.

Ce qui donne, après simplification : C2 + aβS2 = V1 + (1- aβ) S1

La même condition sobtient en partant de léquilibre des échanges de la section 2.

À cette condition correspond une « proportion critique » entre les deux sections de la production. Il nexiste, pour des conditions données de production et daccumulation, quune seule répartition des capitaux entre les sections 1 et 2 qui assure léquilibre de leurs échanges mutuels. Si lon note e le taux dexploitation (uniforme) et γ la composition organique du capital, sachant que : S = e V et C = γ V la condition de reproduction se réécrit :

γV2 + aβ e V2 = V1 + (1-aβ) eV1

V2 (γ + aβ e) = V1 [1 + (1-aβ) e]

doù : µ= V1 / V2 = (γ + aβe) / [1 + (1-aβ) e]

Si les salaires sont les mêmes dans les deux sections de la production, µ correspond à la structure de lemploi.

187

Normalement, lintensité capitalistique est différente dans les deux secteurs ; si γ1γ2 et β1β2 la proportion critique devient : 

µ = (γ2 + aβ2e) / [1 + (1-aβ1)e]

En cas de disproportion, toute la question est de savoir si la bonne proportion peut être trouvée spontanément. Une disproportion non résorbable impliquera une crise (interruption) de laccumulation. Or, tout changement des conditions de production – typiquement une variation de la composition organique du capital, donc des coefficients γ et β – implique une modification de la composition sectorielle.

Inspiré par Quesnay, Marx cherche à comprendre quelle suite dopérations (i.e. de transactions) permettrait de réaliser léquilibre, esquissant ainsi un véritable modèle de circulation monétaire. Curieusement, cette dimension monétaire de son analyse a été le plus souvent ignorée par les commentateurs et les disciples. Le problème posé dans cette perspective circulatoire est celui de la formation du profit qui nourrit une partie de la demande (de biens de consommation en reproduction simple, et de moyens de production en reproduction élargie). La reproductibilité du système exige en effet, faute de quoi il manquera une composante de la demande pour lun ou lautre secteur, la formation dun profit gagé sur des dépenses futures.

Cest la question soulevée par Rosa Luxemburg, lorsquelle se demande (voir au texte) comment peut être réalisée la fraction de la plus-value (du profit) qui doit financer les nouvelles avances salariales de la section 2 (soit la composante ΔV2 = (1-β2)a2S2 de la demande de biens de consommation.

À la condition ci-dessus, Marx ajoute trois autres conditions, moins connues :

– le respect dune seconde proportion critique, dans lindustrie des biens de consommation, entre biens de luxe et biens nécessaires ;

– une offre « suffisante » de monnaie ;

– et enfin, en présence de capital fixe, un équilibre entre amortissement « en nature » (rachat déquipements) et amortissement monétaire (constitution de réserves) ou si lon préfère entre thésaurisation.

Au prix de quelques hypothèses arbitraires, Marx dégage un sentier de croissance stable. Il reviendra à léconomiste japonais Michio Morishima détablir, dans les années 1970, que sur la base de comportements dinvestissement plus réalistes le modèle est instable.

Jusquaux années 1920, les schémas de reproduction du Livre II sont restés le cadre de référence dans lequel les disciples de Marx (dont lensemble des auteurs cités au texte, à lexception de Bernstein et Pollock) ont formulé la théorie marxienne des crises périodiques, sans toujours percevoir que la compatibilité de leurs modèles avec la loi de baisse tendancielle du taux de profit, formulée dans un cadre mono-sectoriel et indépendamment de la question des débouchés, était loin dêtre assurée. Lun des derniers à avoir cherché à établir cette compatibilité nest autre quHenryk Grossman, présenté et critiqué au texte.

188

Les schémas de reproduction de Marx ont inspiré Michel Kalecki, dans une perspective qui était clairement celle de la demande effective, au point que lon a pu dire quil avait anticipé la Théorie générale de Keynes, de façon beaucoup plus claire que ce dernier.

Les problèmes analytiques soulevés par les schémas – notamment le rôle respectif des prix et des quantités dans le jeu des déséquilibres – nont jamais été surmontés, ce qui explique également leur relatif discrédit. Il sensuit que la problématique de la reproduction du capital, envisagée par Marx en termes monétaires, à travers un véritable circuit du capital, reste à la fois inexplorée et potentiellement prometteuse pour la théorie des crises. Lun des défis qui reste posé est celui de larticulation entre la reproduction du capital productif et celle du capital financier. Cette question – de même que celle de la monnaie – préoccupait au plus haut point Marx, comme en attestent deux sections entières du Livre III et les très nombreuses notations quil y consacre dans ses écrits journalistiques sur les crises de son temps. La tentative dHilferding en ce sens est restée sans descendance.

I.3. Tougan-Baranowski

Au plan analytique, le plus intéressant des révisionnistes est sans conteste Michel Tougan-Baranowski (1865-1919), représentant du « marxisme légal » russe. Il est lun des tout premiers auteurs à faire un véritable usage analytique des schémas de reproduction de Marx3, à partir desquels il soutient une double thèse :

nimporte quelle structure productive (ou proportion entre la production de moyens de production et celle de biens de consommation – les sections 1 et 2 de Marx) peut se révéler viable, à condition que les décisions dépargne et dinvestissement soient compatibles entre elles ; les crises ne sont quun moment des cycles engendrés par les désajustements épargne/investissement ; et léconomie finit toujours par retrouver son équilibre ;

le vice principal du système capitaliste est quil tend à se passer des travailleurs, cest donc au double plan moral et social quil est condamnable et condamné. Autrement dit, une accumulation indéfinie de moyens de production est possible, mais elle débouche sur une économie viciée, de plus en plus indifférente aux hommes.

189

La contribution de Tougan-Baranowski à la théorie des crises (18944) sinscrit dans le débat russe sur la « question des marchés », cest-à-dire celle de savoir si le capitalisme russe davant 1914 était capable de créer un marché intérieur justifiant sa propre expansion. Contre les populistes (notamment Vorontsov) qui répondent par la négative, tous les marxistes russes – révisionnistes, comme Tougan, ou orthodoxes, comme Lénine – affirment quil ny a pas de problème global de débouchés.

Le point de départ est une critique de Sismondi (1824), dont il estime quil avait à la fois raison contre Ricardo en affirmant la possibilité des crises, mais tort den attribuer la cause à linsuffisance chronique de la consommation ouvrière.

Tougan-Baranowski sappuie sur un exemple numérique dans lequel il y a à la fois croissance de la composition organique du capital et reproduction équilibrée, dans le cadre dun modèle à trois sections productives, la troisième étant celle qui assure la production de biens de luxe, achetés par les seuls capitalistes.

La valeur du produit de la section 3 (et donc celle de la consommation de luxe) est stable dans le temps, ce qui implique que le taux dépargne des capitalistes sélève de période en période, tandis que la valeur des biens salaires diminue, en raison des gains de productivité permanents. La seule section dont la production augmente, à la fois en valeur et en proportion, est donc la section 1, productrice des moyens de production. Mais le taux dexploitation augmente plus vite que la composition organique du capital, de sorte quil ny a pas de baisse du taux de profit général. Tougan-Baranowski envisage ainsi une croissance équilibrée malgré lhypertrophie progressive de la production de moyens de production.

Cette configuration a ceci de remarquable quil y a :

extension de la production sociale et, en même temps, une réduction de la consommation sociale, sans quil y ait rupture de léquilibre (1894, p. 215).

(…) le remplacement le plus large douvriers par des machines nest pas en mesure, par lui-même, de rendre une quelconque machine superflue et inutile. (…) Aucun excédent de produit ne surgit dans ce cas, puisque la demande de moyens de production remplace complètement, ici, la demande de moyens de consommation. En effet, la machine exige pour son travail certaines dépenses économiques, tout comme louvrier (Ibid., p. 215 et 217).

190

Ainsi,

ce nest pas la consommation qui dirige la production et en constitue le but ; cest, au contraire, la production qui dirige la consommation et lui sert de but (Ibid., p. 219). (De ce fait), laccumulation du capital devient de plus en plus un but pour elle-même (Ibid., p. 225).

Le seul problème qui se pose est celui du transfert de lépargne des sections 2 et 3, qui doit sinvestir entièrement dans la section 1 (dont la part dans la valeur produite croit indéfiniment) pour que léquilibre soit maintenu. « Les capitalistes ne peuvent capitaliser leur bénéfice quen modifiant la répartition de la richesse sociale », ce qui « nest pas du tout chose facile » (p. 210). Cela exige en effet que les capitaux soient alloués aux différentes branches dans les bonnes proportions : « Or, le capitalisme ne possède aucune organisation qui permette de réaliser cette proportionnalité. Dès lors surgissent des crises industrielles » (Ibid., p. 221).

Il faut que les capitaux soient disponibles au bon moment et au bon endroit, ce que rien ne garantit. Tougan rejoint ainsi Sismondi (1824), pour qui le déroulement harmonieux de laccumulation posait un problème de « concordance des temps et des lieux ». La résolution des problèmes déquilibrage des flux dépargne et dinvestissement passe ainsi par lexistence de cycles industriels. Le boom sanalyse comme leffet dun surinvestissement, et la dépression comme un sous-investissement prolongé, le temps que le manque dépargne soit compensé. La raison fondamentale de la crise est une « surproduction de moyens de production », qui devient générale en raison de la baisse des prix.

Les deux mécanismes sensés rapprocher épargne et investissement tendent à augmenter lécart. Dune part, le crédit joue un rôle important damplification des fluctuations (p. 252), en prolongeant le boom. Dautre part, les marchés financiers, en dissociant de façon croissante « laccumulation du capital empruntable » de celle du capital productif sont, avec les accès de spéculation qui leur sont propres, une source supplémentaire de disproportion.

Le problème macroéconomique nest pas celui de linsuffisance de la demande mais celui de la disponibilité du financement. Plus précisément, il y a non coïncidence entre laccumulation de capital empruntable et celle de capital productif. Pendant lexpansion, laccumulation de capital 191financier prend du retard sur celle du capital réel ; le crédit comble provisoirement la différence : mais à partir dun certain point, cela nest plus possible. En labsence de baisse du taux de profit, la cause ne peut en être que la hausse du taux dintérêt et la baisse du prix des moyens de production.

Avec la crise, laccumulation de capital productif (la croissance de la section 1) cesse, et lépargne saccumule dans les canaux de la finance. Doù la baisse du taux dintérêt et le redressement du taux de profit qui permettront la reprise le moment venu.

Les capitaux demprunt ont pour origine les revenus capitalisés, notamment tous les revenus de la propriété (rentes, intérêts) autres que les profits. Tougan-Baranowski avance que ces revenus, fixés par contrat, sont indépendants de la conjoncture, en conséquence de quoi leurs détenteurs naccumulent pas moins en période de stagnation (doù un excès dépargne), et pas plus en période de prospérité (doù un excès dinvestissement). Lessor épuise le capital monétaire disponible, de sorte que le manque dépargne finit par faire monter les taux dintérêt et par engendrer des tensions sur le crédit bancaire. La crise résulte dune suraccumulation sectorielle : la production de moyens de production continue au-delà de lépargne monétaire disponible pour leur achat. Comme on le voit, nous ne sommes pas très loin de lapproche de la théorie monétaire des cycles développée notamment par Wicksell et Hayek, où ce sont les déséquilibres entre épargne et investissement qui sont le moteur de la conjoncture. Tougan-Baranowski soulève la question de larticulation nécessaire entre reproduction du capital productif et fonctionnement du capital financier, mais ne propose pas de cadre danalyse de ce dernier. Ni le système bancaire ni les marchés financiers ne sont intégrés au modèle de reproduction.

La plupart des marxistes ont rejeté cette vision jugée trop optimiste dune accumulation toujours possible, quels que soient les taux daccumulation et les changements dans la composition organique, qui faisait finalement peu de cas de la thèse de « lanarchie de la production » développée par Marx, et leur apparaissait comme une négation de la possibilité dune « surproduction générale ». Et sa vision originale de la « contradiction fondamentale » du capitalisme, située dans sa tendance à ignorer les travailleurs, et même à se passer deux, a été considérée comme anti-marxiste.

192

II. Socialisme ou barbarie :
Rosa Luxemburg et Otto Bauer

Pour le courant révolutionnaire de la social-démocratie internationale, laffirmation de la possibilité de leffondrement, devient lune des pierres angulaires de la critique du révisionnisme. Elle est par exemple formulée par Louis Boudin (1907), un socialiste de laile gauche de lAmerican Socialist Party. Mais cest Rosa Luxemburg qui est la figure la plus emblématique de ce courant, avec sa théorie de limpérialisme comme nécessité économique, seule à même dempêcher la « catastrophe finale ».

II.1. Rosa Luxemburg ou la marche à labîme

Dans sa polémique avec Bernstein, au tournant du siècle, elle maintient, contre ce dernier, que le crédit « favorise au maximum la tendance à lexpansion de la production, tout en paralysant léchange à la moindre occasion » (1898, p. 24). Quant au changement de rythme des fluctuations, elle considère que le cycle décennal tel que la analysé Marx nest pas « inscrit dans le marbre », sa durée étant leffet de conditions historiques particulières, et que contrairement à ce que soutient Bernstein, ce sont les pays où il considère que les facteurs dadaptation sont les plus puissants qui subissent le plus violemment les crises, ce quillustre notamment la crise de 1907 aux États-Unis. Et elle maintient que « le point de départ pour une transformation socialiste devrait être une crise générale et catastrophique » (Ibidem, p. 19).

Cest dans Laccumulation du capital quelle expose sa thèse relative à la nécessité économique de limpérialisme, doù découle à ses yeux une alternative entre effondrement économique ou marche à la guerre. Le livre paraît en 1913, quelques mois avant le début de la Première guerre mondiale, quelle passera en grande partie en prison, pour sêtre opposée, avec dautres dirigeants du SPD qui refusèrent de voter les crédits de guerre, à la « boucherie impérialiste ».

Pour Rosa Luxemburg, laccumulation est tout simplement impossible dans une « société capitaliste isolée ». Limpérialisme et le militarisme ne sont pas à ses yeux des « accidents » mais répondent lun et lautre 193à une nécessité vitale pour le système : soutenir une accumulation qui sinon buterait sur des limites infranchissables.

Rosa Luxemburg part dune lecture critique des schémas de reproduction de Marx, où elle relève une contradiction5 flagrante entre la théorie, qui fait apparaître une « identité immanente » (p. 20) entre lextension de la production (ou du capital) et celle du marché, et le mouvement effectif du capital, caractérisé « par deux faits : une extension convulsive du champ de la production (…) et un développement très inégal des différentes branches » (1913, Tome I, p. 21). Cette contradiction renvoie selon elle à deux erreurs de Marx :

Il naurait pas vu le véritable problème qui est celui de lexistence dune demande préalable ; car il est obnubilé par sa polémique contre Smith (sur la « troisième composante ») et par la question de savoir « doù vient largent », ce qui est pour elle « une façon tout à fait stérile de poser le problème de laccumulation » (Ibidem, p. 131).

Il étudie la reproduction élargie dans un modèle qui nincorpore pas ses propres hypothèses quant aux conditions de laccumulation : dans son schéma de reproduction élargie, il ny a pas délévation de la composition organique, alors quil fait par ailleurs du bouleversement incessant des techniques une tendance coextensive à laccumulation. La croissance dune économie capitaliste ne saurait donc être une croissance à technique constante.

Rosa Luxemburg présente sa démonstration dinstabilité en deux temps :

Dans un premier temps, elle entend montrer que même à technique constante, la reproduction élargie est de toute façon impossible dans un système fermé.

Elle montre ensuite quà supposer quelle eût lieu, toute modification de la technique, qui implique un changement de la composition sectorielle, se heurte à la même impossibilité, consistant dans lincapacité à réaliser une partie de la plus-value qui devrait être accumulée.

194

La difficulté vient de la partie de la plus-value de la section 1 (moyens de production) que celle-ci doit accumuler sous forme de nouvelles avances salariales. Elle la pose en se demandant

doù vient la demande constamment croissante, qui est à la base de lélargissement croissant de la production dans le schéma de Marx ? Qui a besoin de (…) moyens de production supplémentaires ? À cela le schéma répond : cest la section II (…) pour pouvoir fabriquer plus de moyens de consommation. Mais qui a besoin de ces moyens de consommation accrus ? Le schéma (de reproduction élargie de Marx) répond : précisément la section I (de la production des moyens de production), parce quelle occupe maintenant plus douvriers. Nous tournons manifestement dans un cercle. Produire plus de moyens de consommation, pour pouvoir entretenir plus douvriers, et produire plus de moyens de production, pour pouvoir occuper ce surplus douvriers, est du point de vue capitaliste une absurdité. (…) pour pouvoir faire travailler de nouveaux ouvriers avec de nouveaux moyens de production, il faut – du point de vue capitaliste – avoir auparavant un but pour lélargissement de la production, une nouvelle demande de produits à fabriquer. (Ibid., p. 111-112. Ce qui est souligné lest par nous)

La plus-value reconvertie en nouveau capital variable correspond matériellement à des biens de consommation qui ne seront vendus que lorsque les travailleurs supplémentaires auront effectivement été embauchés et dépenseront leurs salaires. Mais ils ne seront embauchés que si la plus-value a été réalisée. Et pour cela, il faut quil y ait eu des acheteurs pour le surproduit quelle représente.

La nouvelle demande ne peut provenir ni de laccroissement naturel de la population (déjà inclus dans le calcul de V), ni des improductifs, car il faudrait leur avoir préalablement versé des revenus, nécessairement prélevés sur les salaires ou sur les profits. Le commerce extérieur nest pas non plus une solution, car, avance-t-elle en reprenant sur ce point un argument de Marx, la

méthode consistant à (le) considérer (…) comme un lieu de décharge commode (…) ne tend en réalité quà déplacer dun pays dans un autre, mais sans la résoudre, la difficulté à laquelle on sest heurté dans lanalyse (Marx, 1884, p. 115).

Il ny a ainsi aucune réponse « à la question de savoir pour qui (pour quelle demande) la reproduction élargie a lieu en réalité » (1913, Tome 2, p. 6). Il faut donc « quil existe un débouché en dehors » des sections 1 195et 2 (1913, Tome 1, p. 116), faute de quoi laccumulation serait tout simplement impossible.

De plus, à supposer même que laccumulation pût avoir lieu, toute modification des techniques la rendrait impossible. Rosa Luxemburg anticipe les problèmes de « fil du rasoir » à la Harrod : sitôt que lon quitte le sentier déquilibre, il est impossible dy revenir. Dans une « véritable » dynamique, avec changement de technique, la question est de savoir comment la hausse de la composition organique (γ=C/V) peut-elle être effective ? Elle implique une différenciation des croissances sectorielles, faute de quoi elle nest pas réalisable. « Une telle différence dans le rythme de laccumulation des deux sections est cependant absolument impossible dans le schéma de Marx » (Tome 2, p. 16). Une hausse continuelle de C/V signifie en effet un déficit croissant en moyens de production, et un excédent croissant de biens de consommation.

Cest la question du rôle (ré)équilibrant des transferts de capitaux qui est posée. Pour que la composition organique puisse augmenter, il faut en effet que la section 1 (biens de production) croisse plus vite que la section 2 (biens de consommation). Or, si les taux de profit sont égaux, et si la totalité des profits est accumulée (pas de consommation de luxe), tous les capitalistes les réinvestissant dans la section où ils les ont obtenus, les taux de croissance ne peuvent être quégaux. Rosa Luxemburg affirme que les transferts qui seraient nécessaires pour obtenir à chaque période la nouvelle proportion déquilibre sont tout simplement impossibles. Elle avance un double argument : technique et économique. Largument « technique » consiste dans le fait que :

la base technique de la reproduction élargie est déterminée davance pour les capitalistes par la forme matérielle du surproduit (Ibidem, p. 15).

Ainsi,

les capitalistes (…) ne sont pas en mesure deffectuer à leur gré cette modification (du partage de la plus-value entre nouveaux moyens de production et nouvelles avances salariales) car la capitalisation dépend a priori de la forme matérielle de leur plus-value (Ibidem).

Largument économique consiste à observer que leffectuation des transferts suppose la réalisation préalable du profit. On ne transfère pas des moyens de production physiques, mais du capital monétaire ; or, il 196ny a de « fonds » à transférer que si le profit a dabord été réalisé, et il doit lêtre sous forme monétaire ; on peut transférer des surprofits mais pas des pertes, et un stock de biens nest pas un fonds transférable :

tout transfert de plus-value accumulée dune branche de la production dans lautre nest possible que sous forme de capital-argent : cest la seule forme de capital absolue, neutre, elle seule permet la circulation sociale, elle est le véhicule des transformations dans la production sociale de marchandises. On ne peut pas acquérir des actions de mines de cuivre avec un lot de chandelles invendables, ou fonder une entreprise de constructions mécaniques avec un stock de bottes de caoutchouc laissées pour compte. Il fallait précisément montrer comment, grâce à léchange universel, les marchandises capitalistes se transforment en capital-argent, qui seul permet le passage dune branche de la production dans lautre. Il est donc vain, quand léchange est impossible, de vouloir « transférer » les produits invendables sans échange dans une autre section de la production (Ibid., p. 176).

Daprès la théorie, telle que reconstruite par Rosa Luxemburg, laccumulation est impossible, et pourtant elle a lieu tous les jours. Rosa Luxemburg soutient que cest la théorie qui a raison lorsquelle affirme limpossibilité de la reproduction. Si celle-ci seffectue pourtant, cest grâce aux « milieux non capitalistes », qui fournissent une partie des nouveaux moyens de production, en même temps quils écoulent une partie des biens de consommation en excès. Il ne sagit pas simplement dun échange – sinon le commerce extérieur résoudrait le problème – mais dun phénomène de « captation » dun marché déjà existant (substitution à lexportation). « (…) le capital se substitue à léconomie marchande simple » (Ibid., p. 84). La captation consiste à la fois à absorber certaines marchandises et à en fournir dautres. Lextérieur constitue le « sol nourricier aux dépens duquel laccumulation se poursuit en labsorbant » (Ibid., p. 85).

Les rapports entre la Grande-Bretagne et son Empire illustrent le phénomène : détournement de matières premières, et déversement de produits finis. LInde absorbe le textile de Manchester, doù la destruction de son industrie traditionnelle, et elle fournit du coton, matière première de lindustrie textile. Ce faisant, lEmpire réalise une partie de la plus-value de la section 2, avec laquelle lindustrie textile anglaise achète à lInde le coton dont elle a besoin et à la section 1 les machines supplémentaires avec lesquelles elle le travaille, ce qui permet à cette dernière de réaliser la fraction de plus-value avec laquelle elle financera 197ses nouvelles avances salariales. Un excès (potentiel) doffre de biens de consommation se trouve ainsi transformé en demande (effective) de moyens de production. La structure sectorielle des échanges est telle quelle assure la réalisation dun transfert impossible en économie fermée, en fournissant lintermédiaire (le pouvoir dachat6) indispensable à son effectuation. Le marché existait au préalable : léconomie indienne était une économie marchande (mais non capitaliste) avant larrivée des Britanniques. LInde ajoute un maillon à la chaîne des échanges, qui permet de résorber le déséquilibre de la reproduction.

Le problème nest donc pas celui dune insuffisance de la demande effective au sens de demande globale de Keynes. La critique dHoward et King (1989), qui reprochent à Rosa Luxemburg de se contredire alors quelle affirmait que le commerce extérieur nétait pas une solution, repose sur une incompréhension : le rôle de lextérieur nest pas de fournir un excédent commercial, mais dassurer le nécessaire rééquilibrage de la structure productive, faute duquel laccumulation ne pourrait avoir lieu. Il résorbe un déséquilibre sectoriel (une disproportion) qui ne peut être corrigé par le marché. Lextérieur nest pas un exutoire, mais sert en quelque sorte de substitut aux transferts intersectoriels qui seraient nécessaires au rééquilibrage, mais qui daprès Rosa Luxemburg ne peuvent avoir lieu :

Le marché extérieur pour le capital est le milieu social non capitaliste qui lentoure, qui absorbe ses produits et lui fournit des éléments de production et des forces de travail. De ce point de vue, économiquement parlant, lAngleterre et lAllemagne constituent presque toujours lune pour lautre un marché intérieur (Ibid., p. 38).

Ou encore :

laccumulation nest pas seulement un rapport interne entre les branches de léconomie capitaliste, mais elle est surtout un rapport entre le capital et le milieu non capitaliste, où chacune des deux grandes sections de la production peut effectuer laccumulation partiellement de manière autonome et indépendamment de lautre section, où cependant les mouvements des deux sections sentrecroisent et senchevêtrent continuellement. Les rapports 198compliqués qui résultent de ces mouvements, la différence de rythme et de direction dans le cours de laccumulation des deux sections, leurs relations matérielles et leurs rapports de valeur avec les modes de production non capitalistes ne se laissent pas réduire à une expression schématique exacte (Ibid., p. 85-86).

« Lextérieur » nest pas uniquement représenté par les milieux non capitalistes. Le militarisme joue un rôle identique car il ouvre un nouveau champ daccumulation, dans un secteur « non fondamental » au sens de Sraffa (ni moyen de subsistance ni moyen de production). Il ne sagit pas dune simple modification de la forme matérielle du produit ; « la transformation est plus profonde » (1913, Tome 2, p. 128). Grâce aux droits de douane et aux taxes indirectes, plus les impôts sur la paysannerie (non capitaliste) lÉtat « fait entrer dans la circulation le produit de léconomie paysanne », qui « réapparait sous forme dun pouvoir dachat nouveau. » Comme lexplique Kalecki (1971), parce quil ne relève ni de la section 1 ni de la section 2, le secteur militaire rend possible un transfert impossible en son absence, à condition toutefois que les dépenses darmement soient financées par une taxation des capitalistes ou des secteurs non capitalistes (mais pas des travailleurs), ou encore par un emprunt auprès des rentiers.

Parce quelle reste prisonnière du schéma en valeurs, et nétudie pas le mouvement des prix relatifs, et parce quelle se refuse à envisager les transferts de capitaux, dont elle nie purement et simplement la possibilité, elle ne parvient pas à démontrer linstabilité de laccumulation. Et bien quelle mette en avant lendettement international comme moyen privilégié de soumission des économies non capitalistes, Rosa Luxemburg ne prête pas la même attention au rôle de la finance « interne » (le crédit et les banques) ; de même, bien que signalant le rôle des dépenses militaires, qui présentent la particularité, et lavantage dans la perspective dune correction des disproportions, de nêtre ni biens de consommation ni moyens de production, elle ne va pas jusquà faire apparaître un « multiplicateur marxien ». Pour toutes ces raisons, le débat sur la viabilité de laccumulation va rester inabouti.

Politiquement, il sagissait pour Rosa Luxemburg de dénoncer les tentations de « compromis historique » au sein du mouvement ouvrier. Linéluctable clôture du monde, le jour où toute la planète formera une seule économie-monde capitaliste, annonce la marche à la guerre 199et la montée de la barbarie. La révolution socialiste est le seul moyen déchapper à la catastrophe7.

La lutte décisive pour lexpansion rebondit des régions qui étaient lobjet de (sa) convoitise vers les métropoles. Ainsi limpérialisme ramène la catastrophe, comme mode dexistence de la périphérie de son champ daction à son point de départ (1913, Tome 2, p. 222).

De 1914 à 1950, ce pronostic prend tout son sens. Avant la Première guerre mondiale, les relations économiques internationales sont dominées par deux puissances disposant dun Empire, la France et la Grande-Bretagne, concurrencées par deux pays qui en sont dépourvus, les USA et lAllemagne. Les deux premières sont caractérisées par leur puissance financière, qui leur donne les moyens de se soumettre des économies précapitalistes, et une faible hausse de C/V ; aux États-Unis et en Allemagne, on observe une croissance plus intensive, et plus exubérante, qui saccompagne dune forte hausse de la composition organique. On observe alors la naissance de limpérialisme américain, les États-Unis se soumettant progressivement leur « arrière-cour », avec la guerre menée contre lEspagne, suivie dune série dinterventions, jamais dépourvues de motivations économiques, en Amérique centrale et dans les Caraïbes. Quant à lAllemagne, elle se cherche désespérément un « extérieur », pour le contrôle duquel elle est prête à affronter les deux impérialismes dominants, britannique et français. La Première guerre mondiale peut sanalyser comme une tentative de sa part de briser le cercle.

Après 1918, les mêmes contradictions demeurent, donc la crise continue, doù la Seconde guerre mondiale. Lexploitation du Tiers monde et le militarisme, grâce à la concurrence des deux blocs, entretiennent la grande croissance des pays occidentaux dans les années 1950 et 1960. La crise des années 1970 peut sinterpréter comme crise de limpérialisme : rétrécissement du champ de laccumulation, dû aux conflits Nord/Sud, et aux tentatives de divers pays du Tiers-monde de rompre avec le marché mondial. Le tournant libéral des années 1980 est, avec la gestion par le FMI de la crise de la dette du Tiers-monde et la rupture du dialogue Nord-Sud, le moyen de mettre au pas les économies périphériques. 200Et après leffondrement de lURSS en 1991, et la (re)conversion de la Chine au capitalisme, un nouveau champ géographique sest ouvert à laccumulation. Dans un mouvement équivalent à ce qui sétait produit dans le dernier tiers du vingtième siècle, la mondialisation a incorporé de nouveaux « territoires » à léconomie capitaliste. Mais elle devait déboucher sur une nouvelle crise majeure, aussi grave que celles de 1929 ou 1973. Le crédit a porté à lextrême les tensions de la reproduction, jusquà leur éclatement dans la crise de 2007.

Ce récit du dernier siècle écoulé nest pas entièrement convaincant : il fait limpasse sur les dimensions salariales de la crise des années 70, et financières de celle de 2007. Et quant à lavant 1914, si les États-Unis connaissent effectivement entre 1873 et 1914 une instabilité (financière) croissante, il nen va pas de même de lAllemagne, qui comme la Grande-Bretagne offre plutôt limage dune stabilisation de la conjoncture, dont se nourrissent les thèses de Bernstein. Mais lidée générale qui le sous-tend, à savoir que la mondialisation capitaliste, tout en répondant à une nécessité vitale, est fondamentalement instable et porteuse de chaos, conserve toute sa pertinence.

II.2. De la crise finale au cycle demploi : Otto Bauer

Dès le départ, les thèses de Rosa Luxemburg ont été critiquées aussi bien par les réformistes que par les révolutionnaires. Laustro-marxiste Otto Bauer peut être considéré comme représentatif des premiers, et Anton Pannekoek des seconds. Larticle de Bauer « Laccumulation du capital », paru dans Die Neue Zeit dès 1913 répond à une commande de Kautsky8. Prenant le contre-pied de Rosa Luxemburg, il lui objecte que « léjection » des marchandises non réalisées vers lextérieur ne résoudrait pas le problème ; elle laggraverait au contraire, en rendant techniquement irréalisable laccumulation (Bauer 1913, p. 103) : le système serait en effet confronté à lindisponibilité de biens de consommation pour assurer la consommation des nouveaux travailleurs embauchés. Et Bauer ne voit pas en quoi les transferts exigés par le rééquilibrage 201de la structure productive devraient poser problème. Les capitalistes producteurs de biens de consommation investissent dans la production de moyens de production :

soit en établissant eux-mêmes des usines pour la production de moyens de production, ou en transférant une partie de leur plus-value accumulée, par lintermédiaire des banques (…) ou par lachat de participations dans les compagnies qui produisent les moyens de production.

Il reconnait malgré tout lexistence dun problème de formation du profit dans la mesure où « une part de la plus-value produite chaque année nest réalisée quau cours de lannée suivante » (Ibid., p. 103) :

au cours de la première année, les capitalistes achètent les moyens de production qui seront mis en branle au cours de la seconde année par la force de travail accrue, et ils achètent dans la première année les biens de consommation quils vendront aux travailleurs supplémentaires dans la seconde année (p. 100). (…) la réalisation (de la partie accumulée de la plus-value) a lieu simultanément à linvestissement productif (p. 103-104).

Ainsi, « il peut effectivement advenir que seule la partie consommée et non la partie accumulée de la plus-value soit réalisée » (Ibid. p. 102). Mais pour Bauer, ce phénomène est seulement « transitoire », et nest pas à lorigine de linstabilité conjoncturelle.

Celle-ci vient de la difficulté à concilier équilibre économique et démographie. Pour Bauer, la condition déquilibre de la reproduction est que la « croissance du taux dépargne soit suffisamment rapide pour quen dépit de la hausse de la composition organique, le capital variable saccroisse au même rythme que la population » (Ibid., p. 104). Cette condition nétant pas toujours respectée dans une économie capitaliste, il sensuit une alternance de situations de sur-accumulation et de sous-accumulation, correspondant aux phases haute et basse du cycle économique :

la prospérité nest rien dautre que la suraccumulation, qui se détruit elle-même dans la crise. La dépression qui en découle est une époque de sous-accumulation qui conduit elle-même à sa propre fin, pour autant que la dépression elle-même engendre les conditions dune prospérité renouvelée.

Les fluctuations conjoncturelles sont liées à celles du taux dinvestissement, qui dépendent du taux dexploitation e et du taux de 202profit r. Il y a surchauffe quand le taux de croissance g est supérieur à celui de la population n, les salaires augmentent alors, e diminue et r baisse ; cela dure jusquà ce que g = n. Sensuivent une sous-accumulation et un gonflement de larmée de réserve. Limpérialisme a pour fonction de procurer des biens salaires ou des moyens de production à bas prix, et de fournir des réserves de main dœuvre dans les phases de boom. Le modèle de Bauer, caractérisé par linstabilité du plein-emploi, dont léconomie séloigne toujours, vers le bas ou vers le haut, a pu être comparé au « fil du rasoir » de Harrod (voir Orzech & Groll, 1983 ; Bronfenbrenner & Wolfson, 1984 ; Samuelson & Wolfson, 1986 ; et Orzech & Groll, 1991). En fait, il sagit plutôt dune anticipation du modèle de Richard Goodwin (1965), qui nest pas un modèle de reproduction mais de cycle demploi auto-entretenu, inspiré du chapitre 25 du Livre I où Marx développe la notion « darmée de réserve ». Dans ses écrits ultérieurs, dailleurs, Bauer adoptera clairement un cadre macroéconomique monosectoriel. Dans son modèle bisectoriel de 1913, la dynamique intersectorielle de laccumulation reste obscure : les transferts envisagés sont en effet contre-intuitifs puisquils vont du secteur le plus rentable (la section 2, qui réalise le taux de profit le plus élevé) vers le secteur le moins rentable (la section 1, à la composition organique plus élevée). On retrouve ici la difficulté, signalée plus haut chez Tougan-Baranowski et Rosa Luxemburg, consistant à traiter de la circulation du capital dans un modèle en valeurs.

III. De la croissance instable à la stabilisation autoritaire : Grossman et Pollock

Les années 1930 vont être marquées à la fois par labandon progressif de la problématique de la reproduction, et lémergence de réflexions où la question de lavenir du capitalisme se confond avec celle de lévolution de lÉtat vers des formes totalitaires, envisagées comme le moyen de contenir linstabilité économique.

203

III.1. Laccumulation interrompue :
Henryk Grossman

Henryk Grossman (1929) sempare du schéma de Bauer, pour montrer quil ne soutient pas le rejet par ce dernier de la thèse de leffondrement. Poursuivant les calculs de Bauer jusquà la 35e année, il montre que la poursuite de laccumulation se heurte alors à une impossibilité : la plus-value dégagée devient en effet insuffisante pour assurer la croissance du capital fixe. Grossman entend ainsi rétablir la théorie de leffondrement économique, quil reproche à Bernstein et Kautsky davoir abandonnée (p. 10), et dont il déplore de ne trouver aucune trace chez Boukharine. Pour lui, la théorie de leffondrement « constitue la pierre angulaire » du système économique de Marx, dont il admet cependant que « personne nen a jamais tenté une reconstruction » (Das Akkumulations…, p. 29), et que Marx lui-même « ne nous en a jamais laissé nulle part de description synthétique », même sil a bien « spécifié tous les éléments nécessaires à son élaboration » (Ibid., p. 25).

Son analyse est menée en termes de reproduction : selon lui en effet, « les schémas de reproduction représentent le point de départ de toute son analyse et sous-tendent déjà les raisonnements du livre I du Capital » (Ibid., p. 2).

Contre Hilferding, Bauer et Tougan-Baranowsky, quil qualifie de « néo-harmonistes », il entend montrer – comme Rosa Luxemburg – le caractère insoutenable de laccumulation en longue période. Mais contre elle, il affirme que la catastrophe finale à laquelle mène le système nest pas la guerre, mais bien un effondrement purement économique, dont il sagit pour lui de faire le résultat logique dune loi « nécessaire », laquelle doit selon lui être posée dans le cadre dun raisonnement en valeurs.

Estimant à juste titre que personne na jamais démontré que la baisse du taux de profit devait engendrer des crises au sens de Marx (interruption de laccumulation), Grossman se propose détablir, à partir des schémas de reproduction, pourquoi et comment elle représente « une menace réelle » pour la survie du système. Prenant pour acquise la validité de la loi, il se propose de répondre à la question de savoir « pourquoi les 204capitalistes devraient sinquiéter de la baisse du taux de profit, aussi longtemps que la masse absolue des profits augmente » (Ibid., p. 33).

Son point de départ est le modèle de Bauer, dont il considère quil « représente un progrès notable sur toutes les tentatives qui lont précédé » (p. 29) dans la mesure où il « ne comporte aucun des défauts » (p. 30) identifiés par Rosa Luxemburg dans les schémas de Marx. Ce modèle repose en effet sur une croissance continue de la composition organique et une parfaite symétrie dans les comportements daccumulation des sections 1 et 2. Le système manifeste ainsi une tendance croissante à laccumulation de plus-value, et à la baisse du taux de profit. Il sagit alors pour Grossman dobtenir la tendance à leffondrement en retenant « lhypothèse favorable que laccumulation se déroule sur la base dun équilibre dynamique du type de celui envisagé par Bauer ».

Comme nous lavons vu, pour Bauer (1986, p. 104) « léquilibre … ne peut être maintenu que si le taux daccumulation croit suffisamment rapidement » ; la thèse de Grossman est que cette hausse continuelle du taux daccumulation est impossible, car elle va se heurter à linsuffisance de la plus-value. Ce quil montre en prolongeant les calculs de Bauer jusquà la 35e année10. Dès la 34e année, les capitalistes nont plus de quoi consommer, et lannée suivante ils ne peuvent plus accumuler, ce que Bauer na pas vu faute davoir prolongé ses calculs au-delà de quatre périodes :

Il sensuit que le système doit seffondrer. La classe capitaliste ne dispose plus daucun revenu à affecter à sa consommation personnelle parce que tous les moyens de subsistance doivent être affectés à laccumulation. Et en dépit de cela, il y a toujours un déficit de capital variable accumulé par rapport au montant requis pour assurer la reproduction du système. (…) Si cet état de choses devait persister, cela signifierait la destruction du mécanisme capitaliste, sa fin économique. Pour la classe des entrepreneurs, laccumulation serait non seulement sans signification, mais objectivement impossible parce que le capital accumulé en excès resterait oisif, ne serait donc pas en mesure dentrer en fonction, et échouerait donc à rapporter un quelconque profit (p. 36-37).

Grossman pense ainsi avoir identifié le mécanisme par lequel une « suraccumulation de capital » conduit à un « échec de valorisation », tel que lenvisageait Marx :

205

La chute du taux de profit saccompagnerait alors dune baisse absolue de la masse du profit … Et cette masse de profit réduite, il faudrait la calculer sur un capital total agrandi (Marx, 1895, p. 265).

Le modèle de Grossman a souvent été interprété, à tort me semble-t-il, comme une explication des crises par la baisse tendancielle du taux de profit. Celui-ci baisse en effet continûment tout au long de la trajectoire daccumulation, y compris pendant la phase de croissance de léconomie, mais sans que cela mette en péril le système. Cest la baisse de la consommation des capitalistes (au-delà de la 20e année dans le schéma de Grossman) qui signale lentrée dans la phase de suraccumulation, et la baisse du montant du profit global qui signale lentrée en crise, le début de leffondrement, qui vient du fait que limpossibilité daugmenter le capital variable entraîne loisiveté dune partie du capital constant. La baisse du profit ne devient un problème que lorsquelle « nest pas compensée par sa masse » (Marx, o.c., p. 263). Loriginalité de Grossman consiste dans sa tentative didentification de ce moment où la hausse du montant ne compense plus la baisse du taux de profit. Malheureusement, le cheminement de crise quil suggère est loin dêtre évident. Comme le relève Sweezy (1942), on voit mal pourquoi la poursuite de laccumulation ne pourrait se faire à taux réduit, permettant de maintenir une consommation positive des capitalistes, et impliquant un sous-emploi croissant, de nature à faire baisser les salaires, et à élever le taux de plus-value, et donc à redresser le taux de profit ?

La tentative de Grossman peut être considérée comme la dernière à avoir prétendu déduire leffondrement du capitalisme dun modèle économique. Il fut aussi lun des derniers à utiliser les schémas de reproduction comme point de départ, de façon dailleurs assez formelle ; dune part en effet, il ignore complètement le problème initialement soulevé par Rosa Luxemburg, et traité par Bauer dans le modèle quil lui reprend : celui de la possibilité ou non de corriger une disproportion par des transferts ; dautre part, lorsquil prolonge le schéma de Bauer, il ne sintéresse plus quaux montants totaux de profit et de capital, autrement dit, il raisonne de fait sur un modèle mono-sectoriel. La crise nest plus leffet dune disproportion qui dégénère, mais dun excès global de capital.

Du point de vue méthodologique, cela lamène à ignorer complètement les problèmes de circulation de la valeur, et donc dajustement des marchés, que font nécessairement surgir les difficultés de la reproduction 206dans un modèle multisectoriel. Pour lui, leffondrement relève dune « tendance » du système, or daprès lui :

Marx a étudié les tendances de laccumulation abstraction faite de toutes les perturbations pouvant surgir de disproportions entre offre et demande. De telles perturbations relèvent de phénomènes de concurrence qui nous permettent dexpliquer les déviations par rapport à la ligne tendancielle du capitalisme, mais non de cette ligne elle-même (p. 31-32).

En conséquence, il suppose que les prix sont égaux aux valeurs, et fait abstraction des difficultés que cela implique pour linterprétation des schémas de reproduction comme modèle macrodynamique. Cette attitude est commune à tous les marxistes du premier vingtième siècle, à la seule exception de Rudolf Hilferding, qui insiste sur le nécessaire rôle des prix. Mais cest sans doute Grossman qui la exprimé avec le plus de force, et cest malheureusement resté la partie la mieux partagée de son héritage théorique, avec ce qui a été compris comme sa défense de la baisse tendancielle du taux de profit.

Mais ce faisant, le marxisme orthodoxe a abandonné le terrain des études de viabilité pour une statique comparative très classique. Grossman est très largement à lorigine de labandon de la problématique de la reproduction, qui avait fourni le cadre de discussion de la théorie des crises depuis la publication par Engels du Livre II du Capital. Dans les décennies ultérieures, le marxisme soviétique dun côté, les théoriciens de lultragauche de lautre (Paul Mattick, 1969 ; David Yaffé, 1973), rivaliseront de zèle pour dénoncer le caractère « bourgeois » des approches « luxemburgiennes » centrées sur la « question des débouchés », au nom dun argument dautorité consistant à affirmer que seule une théorie des crises qui en situe la cause dans la production, et non la circulation, peut être considérée comme « vraiment » marxiste. Cette affirmation, qui conduit à considérer comme inessentielle lanalyse du marché (mais aussi de la finance), nest pas pour rien dans le déclin du marxisme en économie.

III.2. De leffondrement à lessoufflement :
Anton Pannekoek

Représentant de la gauche « conseilliste » hollandaise, Anton Pannekoek, dans un texte de 1934, critique à la fois Rosa Luxemburg, Otto Bauer et Henryk Grossman. À la première, il ne reproche guère que davoir 207cru déceler une erreur mathématique chez Marx ; à Bauer il reproche davoir érigé la croissance démographique en « principe régulateur de laccumulation », et dignorer ainsi le « caractère essentiel, fondamental du capitalisme » (1934, p. 8) ; et à Grossman, il reproche sa vision mécaniste dun écroulement « inévitable et dont on pourrait calculer la date exacte » (Grossman, o.c.), et quant à la nature du mécanisme de le faire reposer tout entier sur un progrès technique envisagé comme « une force extérieure qui simpose aux capitalistes » (Pannekeok, 1934, p. 12), alors que les innovations sont introduites par eux comme armes dans leur lutte concurrentielle. Sagissant du cheminement de crise, il oppose à Grossman quà supposer que la situation envisagée par lui se produise, et en prêtant aux capitalistes un comportement raisonnable, il sensuivra simplement « une croissance très lente du nombre de sans-emploi » (Ibid., p. 13), une montée de larmée de réserve, mais non une « crise finale ». Enfin, Pannekoek conteste que la théorie de Grossman pût rendre compte des cycles économiques réels. De fait, elle peut difficilement être associée à une histoire raisonnée des crises aux xixe et xxe siècles. Et il rejette ensuite lutilisation que fait Grossman des textes de Marx, lorsquil cherche chez lui les linéaments de sa théorie de leffondrement. Politiquement, son message consiste à dénoncer la « facilité » que constitue à ses yeux la croyance en une crise économique finale qui pousserait la classe ouvrière à la révolution. À propos de la crise de 1929 « pourtant plus profonde et plus ravageuse que toutes celles qui lont précédées », il écrit :

Cette crise aussi peut se terminer, mais il viendra dautres crises et dautres combats. (…) La classe ouvrière doit sattendre à un grand nombre de catastrophes et non spécialement espérer une catastrophe finale ; catastrophes politiques comme la guerre et catastrophes économiques comme les crises, qui ravageront toujours ce système (p. 25).

La défaite de lAllemagne nazie et la grande croissance daprès-guerre ont fait disparaître la thèse de leffondrement économique de lagenda théorique des marxistes. Après 1950, il sest au contraire agi dexpliquer la stabilisation des économies capitalistes sur une trajectoire de croissance forte. Laccent va alors se déplacer vers lanalyse des mutations structurelles du système intervenues entre 1930 et 1950, en termes de stades, modes de régulation, structures sociales daccumulation, etc. Il sagit, comme lexplique Mandel (1972, p. 9) :

208

dexpliquer, sur la base de la théorie marxiste, la longue période daccélération de la croissance de léconomie capitaliste internationale après la guerre et de prouver, ce faisant, que cette période serait nécessairement limitée.

Au passage sera abandonnée la problématique de la reproduction qui constituait le cadre général de discussion des crises entre 1890 et 193011. Dans ce qui est devenu lorthodoxie marxiste à partir des années 1950, la tendance à la crise est entièrement attribuée à la « loi » de baisse tendancielle du taux de profit. Les tendances à la stagnation et au gaspillage, lorsquelles sont invoquées, sont envisagées dans un cadre monosectoriel (Baran & Sweezy, 1967).

III.3. Du catastrophisme économique
à la catastrophe politique :
Pannekoek, Hilferding, Pollock

Si la figure de leffondrement a disparu du paysage intellectuel, la montée des totalitarismes dans les années 1930 a cependant inspiré à un certain nombre dauteurs une vision très pessimiste de lavenir du système, qui irait vers une stabilisation autoritaire. Trois dentre eux nous intéresseront ici, car ils ferment en quelque sorte lépisode « effondrement » du débat marxiste sur les crises : Pannekoek, Hilferding et Pollock.

Partisan dun communisme des conseils, Pannekoek fut lun des premiers à qualifier léconomie soviétique de « capitalisme dÉtat », et à sinterroger sur le rapport entre celui-ci et le capitalisme régulé en voie démergence dans les années 1930. Dans un article de 1932 « Capitalisme dÉtat et dictature », il distingue entre le capitalisme dÉtat tel quil le perçoit en Russie soviétique et le capitalisme à régulation étatique quil voit surgir en Europe de lOuest.

Son interrogation est double : le capitalisme dÉtat est-il une étape nécessaire vers le socialisme ? et doit-il nécessairement prendre une forme dictatoriale ? Dans les deux cas, il répond par la négative : le capitalisme dÉtat nest pas le passage obligé vers le socialisme, et la dictature nest pas le régime politique auquel seraient voués tous les pays capitalistes, comme le montrent les exemples de la Grande-Bretagne, de la France 209ou de la Belgique. Cest lhistoire de la lutte des classes qui détermine lévolution des régimes politiques. Mais quil prenne ou non la forme dune dictature, le capitalisme dÉtat ne peut que bloquer le « développement social » :

une telle forme de société ne saurait être stable, cest une forme de régression, contre laquelle la classe ouvrière se soulèvera à nouveau.

Dans un article rédigé en 1940, Hilferding prolonge les thèses de Pannekoek quant à la convergence des systèmes fasciste et soviétique vers un « capitalisme dÉtat totalitaire ». Il considère lexpérience soviétique et celles de lAllemagne nazie et de lItalie fasciste comme significatives de lémergence de lÉtat en tant que système de pouvoir autonome de léconomie. Il y voit une véritable inversion des rapports entre léconomique et le politique : le système politique nest plus déterminé par le caractère de léconomie, « au contraire cest léconomie qui est déterminée par la politique du pouvoir en place et soumise aux buts et aux fins de ce pouvoir » (1940, p. 70). Le système des prix a perdu sa fonction dallocation des ressources pour nêtre plus quune clé de répartition de la valeur administrée politiquement. Hilferding se refuse à définir le pouvoir totalitaire comme celui de la bureaucratie, et suggère plutôt une comparaison avec le pouvoir des prétoriens dans lEmpire romain. Le texte dHilferding est très court, et il na pas eu loccasion de poursuivre ses réflexions, mais il est clair quà ses yeux le capitalisme dÉtat totalitaire est économiquement inefficient. Parce quelle sest affranchie des lois du marché, et sorganise exclusivement en vue dassurer la pérennité du pouvoir, léconomie totalitaire est sans doute insoutenable sur la longue période, car elle est irrationnelle, ne répondant ni à la rationalité du profit capitaliste, ni à la satisfaction des besoins humains.

Ce thème de lautonomisation du politique par rapport à léconomique a été abondamment développé par Friedrich Pollock, membre comme Grossman de lInstitut de Francfort, mais beaucoup plus représentatif que lui de lÉcole de Francfort (et proche dHorkheimer). Dans un texte de 1941, alors quil sest exilé dAllemagne, il théorise le capitalisme dÉtat sous sa forme totalitaire, dont il considère, comme Pannekoek et Hilferding, que la Russie soviétique et lAllemagne nazie ne sont que des variantes.

210

Lorigine du capitalisme dÉtat est à rechercher selon lui dans la concentration du capital et le fait que :

léconomie de marché est devenue un instrument affreusement inadapté à la pleine utilisation des ressources (Pollock, 1941, p. 97). Lintrusion des monopoles et de leurs prix rigides a progressivement provoqué leffondrement du système de marché sur une échelle toujours plus grande (Ibidem, p. 98).

Lintroduction de la planification, la mise en place dun système de prix administrés et la subordination des intérêts privés à ceux du groupe au pouvoir caractérisent ce capitalisme post-libéral. La terreur politique remplace la peur du chômage comme source de la contrainte au travail, et toutes les sphères de lactivité sociale sont soumises à un principe de rationalisation.

Le pessimisme de Pollock se nourrit de lidée que :

le contrôle gouvernemental de la production et de la répartition fournit les moyens déliminer les causes économiques des dépressions, les processus cumulatifs destructeurs et le sous-emploi du capital et du travail (o.c., p. 109). (Il va même jusquà soutenir que) sous le régime du capitalisme dÉtat, léconomie en tant que science sociale a perdu son objet (qui était) de se torturer lesprit pour résoudre les mystères du procès déchange (Ibidem).

Les limites quil voit à la pérennité du capitalisme dÉtat totalitaire sont liées au besoin de ressources naturelles (et à la difficulté de les conquérir) et aux luttes de pouvoir qui ne manqueront pas de ravager la nouvelle classe dominante, et de menacer lefficacité des planificateurs en remettant en cause la rationalité technique sensée guider leur action. Lessai de 1941 se termine sur une interrogation quant à la viabilité dun régime démocratique de capitalisme dÉtat.

Pour terminer, nous évoquerons le dernier ouvrage de Pollock (le seul traduit en français), dans lequel il sintéressait, une quinzaine dannées plus tard, aux transformations des sociétés capitalistes induites par lautomation. À nouveau, il sinquiétait du danger de dérive autoritaire représenté par lalliance du politique et de la technique :

Le danger est proche de la voir (la couche sociale dirigeante) mépriser une masse sans jugement, facilement influencée par la technique moderne de propagande, et qui se trouve maintenue de bonne humeur, puisquelle participe à la consommation dun flot sans cesse croissant de marchandises (Pollock, 1957, p. 188-189).

211

La société que Pollock voit se dessiner opposerait :

dun côté la minorité, ceux qui exécutent les fonctions essentielles dans la « production » et « ladministration », ceux qui appartiennent par leur statut aux professionnels (professions libérales et autres services très qualifiés). De lautre, la triste majorité, ceux qui noffrent pas de qualifications, qui ne sont pas à même de comprendre le fonctionnement de léconomie et de la société, et qui effectuent pour la plupart un travail « improductif » au sens où lentend léconomie classique. Dans le système de production automatique pleinement achevé, la minorité « productive » des ingénieurs, administrateurs, ouvriers spécialisés et du reste des ouvriers qualifiés employés dans la production produirait tous les biens nécessaires au maintien, et si possible à lélévation de leur propre niveau de vie et de celui de la grande majorité des gens travaillant hors de la production proprement dite. (…) Et la grande majorité des hommes devrait fournir à la minorité des services en échange. Évidemment, une structure sociale de ce genre offrirait une base très fragile à une société libre. La puissance sans cesse accrue de la minorité et lappauvrissement de la majorité pourraient, avant daboutir au terme de lévolution, parvenir à un point où le passage à un système social autoritaire deviendrait vraisemblable (Ibidem, p. 196-197).

Cest ce quil adviendra nécessairement, écrivait Pollock, « si lon abandonne au mécanisme classique du marché la direction des forces mises en branle12 » par la révolution technologique. Si lon adjoint « financier » à « marché », ce texte nest pas dépourvu de quelque actualité. On est ici très proche de la sombre vision, développée une dizaine dannées plus tard par Herbert Marcuse (1968)13, du « totalitarisme soft » de la société de consommation et de lextinction du radicalisme ouvrier.

Conclusion : De la crise finale à lanti-utopie

En définitive, peu dauteurs ont véritablement défendu la thèse de leffondrement ; si tous les marxistes voient dans le capitalisme un système historiquement limité, et appelé à disparaître, il ny a guère que Grossman à défendre lidée dune tendance à leffondrement économique. 212Même le catastrophisme de Rosa Luxemburg renvoie autant à la géopolitique quaux seules contradictions économiques.

Dans la littérature du premier vingtième siècle, trois grands périls avaient été identifiés :

– Celui dun capitalisme hyper-mécanisé, qui tendrait à se passer du travail ouvrier non qualifié, évoqué par Tougan-Baranowski, et dont on retrouve lécho chez Pollock ;

– Celui dune chasse aux marchés extérieurs, menant à terme à la guerre ;

– Celui dune dérive autoritaire, voire dictatoriale, des sociétés capitalistes.

À des degrés divers, ces trois sortes de risques sont repérables dans le capitalisme contemporain, dans lequel on retrouve certaines caractéristiques structurelles du capitalisme davant 1914 : financiarisation, mondialisation et révolution technologique dans les transports et communications. Par contre, les débats marxistes de la Belle Époque et de lEntre-deux-guerres ont ignoré ou négligé deux dimensions de la dynamique, aujourdhui centrales : à long terme, celle de lépuisement possible des ressources naturelles (le seul à lévoquer est Pollock, mais uniquement pour lAllemagne nazie), et à court terme celle de lautonomisation de la sphère financière, en tant que source de linstabilité. La finance est bien présente, non seulement chez Hilferding, mais aussi chez Tougan-Baranowski, Rosa Luxemburg et Bauer. Mais son rôle dans lémergence des déséquilibres nest analysé que par Hilferding, et celui-ci ne parvient pas à lintégrer, avec les schémas de reproduction de Marx, dans un modèle unitaire.

Au plan strictement économique, la recherche dune démonstration de la nécessité de leffondrement est sans doute chimérique. Et comme le relevait Kalecki (1967), lhistoire a donné raison à la fois à Tougan-Baranowski (avec la longue croissance de laprès-guerre) et à Rosa Luxemburg (avec le militarisme). Mais chez cette dernière comme chez Pollock, de même que dans les textes de Pannekeok et dHilferding perce une inquiétude, à savoir que les contradictions économiques du système ne mènent à la barbarie, soit sous la forme de la marche à labîme de la guerre, soit sous la forme du totalitarisme. Ainsi loptimisme historique consistant à penser que la fin du capitalisme devait nécessairement 213signifier lavènement du socialisme a progressivement fait place à une vision beaucoup plus sombre, dans laquelle le capitalisme pourrait bien disparaître en effet, mais au profit de formations sociales inédites, dans lesquelles de nouvelles formes doppression politique et de domination idéologique et culturelle assureraient le maintien dun système, peut être plus tout à fait « capitaliste », mais assurément fondé sur lexploitation. LURSS en son temps fut lune de ces créatures historiques. Et chacune à leur manière, les évolutions récentes de la Chine, de la Turquie ou de la Russie illustrent la permanence de cette menace. Quant aux pays occidentaux, le spectre de leffondrement financier, dans un contexte où le contrôle social sest renforcé, y a ressurgi de façon spectaculaire il y a dix ans.

214

bibliographie

Aglietta, Michel [1976], Régulation et crises du capitalisme, Paris, Calmann-Levy, réédition Odile Jacob, 1997.

Baran, Paul & Sweezy, Paul [1967], Le capital monopoliste, Trad fr., Paris, Maspero, 1969.

Bauer, Otto [1913], « The Accumulation of Capital », Die Neue Zeit, Trad. angl. in History of Political Economy, Vol. 18 : 1 (1986), p. 87-110. Traduction en français par O. Lakomsky in Cahiers déconomie politique, No 51 : « Les économistes Autrichiens 1870-1940 », Hiver 2006, p. 287-309.

Bernstein, Édouard [1899], Socialisme théorique et socialdémocratie pratique, Trad. fr. Paris, Stock, 1900.

Bronfenbrenner M. & Wolfson M. [1984], « Marxian macrodynamics and the Harrod growth model », History of Political Economy, Vol. 16, No 2, p. 175-186.

Boudin, Louis [1905-1906], The Theoretical System of Karl Marx in the light of recent criticism, International Socialist Review, May 1905 to October 1906, réédité chez Charles H. Kerr & Company, Chicago, 1907, téléchargeable sur libcom.org.

Desaï, Meghnad [1979], Marxian Economics, Oxford, Basil Blackwell.

Goodwin, Richard [1965], « A Growth Cycle », in Feinstein, Charles H. (dir.) (1967), Socialism, capitalism and economic growth, Cambridge, Cambridge University Press.

Grossman, Henryk [1929], Das Akkumulations – und Zusammenbruchsgesetz des Kapitalischen Systems, Leipzig. Trad. angl. abrégée : The Accumulation of Capital and the Breakdown of the Capitalist System, Londres, Pluto Press, 1992. Téléchargeable sur Henryk Grossmann Internet Archive.

Hilferding, Rudolf [1910], Le capital financier, Trad. fr., Paris, Éditions de Minuit, 1970.

Hilferding, Rudolf [1940], « State Capitalism or Totalitarian State Economy », Trad. angl., The Modern Review, Juin 1947, p. 266-271.

Howard, M.C. & King, J.E. [1989], A History of Marxian Economics, Vol. I, 1883-1929, McMillan, Londres.

Howard, M.C. & King, J.E. [1992], A History of Marxian Economics, Vol. II, 1929-1990, Londres, McMillan.

Kalecki, Michel [1967], « The Problem of Effective Demand with Tugan-Baranowsky and Rosa Luxemburg » ; [1968], « The Marxian Equations of Reproduction and Modern Economics » ; [1971], « Observations on the 215“Crucial Reform” », articles repris dans les Collected Works of Michal Kalecki, Volume II : Capitalism Economic Dynamics, Oxford, Clarendon Press, 1991.

Kolakowski, Leszek [1977], Histoire du marxisme, Tome 2 : Lâge dor, de Kautsky à Lénine, Trad. fr., Paris, Fayard, 1987.

Lambin, Jean-Jacques [2015], Quel avenir pour le capitalisme ? Débats actuels, Paris, Dunod.

Lange, Oskar [1969], Theory of reproduction and accumulation, Londres, Pergamon Press.

Lenine, Vladimir [1899], Le développement du capitalisme en Russie, Trad. fr., Paris, Éditions sociales, 1975.

Luxemburg, Rosa [1898], « Réforme ou révolution », in Œuvres, Vol. I, Paris, François Maspéro, 1969.

Luxemburg, Rosa [1913], Laccumulation du capital, Trad. fr. Marcel Ollivier et Irène Petit, 2 volumes, « Petite Collection », Paris, François Maspéro, 1969.

Mandel, Ernest [1972], Der Spätkapitalismus, Francfort/Main, Suhrkamp Verlag, Trad. fr : Le troisième âge du capitalisme, Paris, UGE 10/18, 1976.

Marx, Karl [1867], Le Capital, Trad. fr. Jules Roy, Paris, Garnier Flammarion.

Marx, Karl [1884], Livre II, Trad. fr., 2 volumes, Paris, Éditions Sociales, 1969.

Marx, Karl [1895], Livre III, Trad. fr., 3 volumes, Paris, Éditions Sociales, 1969.

Marcuse, Herbert [1968], Le capitalisme unidimensionnel, Trad. fr., Paris, Éditions de Minuit.

Mattick, Paul [1969], Marx et Keynes, Trad. fr., Paris, Gallimard, 1972.

Méaulle, Matthieu [2007], Concurrence et disproportions, Thèse, Université de Paris Ouest Nanterre.

Morishima, Michio [1973], Marx Economics, Cambridge, Cambridge University Press.

Orzech, Z. & Groll, S. [1983], « Otto Bauers scheme of expanded reproduction : an early Harrodian growth model », History of Political Economy, Vol. 15, No 4, p. 529-548.

Orzech, Z. & Groll, S. [1991], « Otto Bauers Business Cycle Theory : an Integration of Marxian Elements », History of Political Economy, Vol. 23, No 4, p. 745-763.

Pannekoek, Anton [1934], Raetekorrespondenz, No 1, Trad. angl. in Capital & Class, No 1, 1977.

Pannekoek, Anton [1937], « State capitalism and dictatorship », Raete Korrespondenz Trad. angl. in International Council Correspondence, Vol. III, No 1, January 1937.

Pollock, Friedrich [1941], « State capitalism : its possibilities and limitations », réédition en anglais in Arato, A. & Gebhardt, E. (dir.), The Essential Frankfurt School Reader, Oxford, Basil Blackwell, 1978, p. 71-94.

216

Pollock, Friedrich [1957], Lautomation. Ses conséquences économiques et sociales, Trad. fr., Paris, Éditions de Minuit.

Samuelson, L. & Wolfson, M. [1986], « Expository Marxism and comparative economic dynamics », History of Political Economy, Vol. 18, No 1, p. 65-85.

Schumpeter, Joseph [1942], Capitalisme, socialisme et démocratie, Trad. fr., « Petite Bibliothèque », Payot, Paris, 1969.

Sismondi, Jean-Charles Léonard Simonde de, [1824], « Sur la balance des consommations avec les productions », Revue Encyclopédique, repris in Nouveaux Principes dÉconomie Politique ou De la richesse dans ses rapports avec la population, Calmann-Levy, Paris, 1971.

Steindl, Josef [1952], Maturity and stagnation in American capitalism, Blackwell, Oxford, 2d edition Monthly Review Press, New York, 1976.

Sweezy, Paul M. [1942], The Theory of Capitalist Development, Réédition angl, Londres, Dennis Dobson.

Tugan-Baranowski, Mikhaïl [1894], Les crises industrielles en Angleterre, trad. fr., Paris, Giard et Brière, 1913.

Tutin, Christian [2006], « Finance et reproduction du capital : la théorie des crises de Rudolf Hilferding », Cahiers déconomie politique, No 51, Hiver, p. 217-239.

Wallerstein, Immanuel [2008], « Le capitalisme touche à sa fin », in Le Monde, 16 décembre.

Wallerstein, Immanuel & al. [2015], Le capitalisme a-t-il un avenir ?, Paris, La Découverte.

Yaffé, David [1973], « The Marxian Theory of Crisis, Capital and the State », Economy and Society, Vol. 19, No 2, p. 188-232.

1 Ce texte doit beaucoup aux discussions que jai eues avec Michel Rosier, au cours de la quinzaine dannées où nous avons donné ensemble un séminaire, à Nanterre puis à Paris 1 ; contrairement aux usages habituels, je me permets donc de lui attribuer une certaine responsabilité au moins dans le choix des auteurs si ce nest dans leur traitement.

2 Au sein duquel cohabitent, jusquen 1914, toutes les tendances du socialisme allemand.

3 Dont il rejette par ailleurs la théorie de la valeur et la loi de baisse tendancielle du taux de profit.

4 Traduit en allemand en 1901 et en français en 1913.

5 Dont se saisira plus tard Morishima (1973) qui relève le caractère étonnamment stable du modèle daccumulation de Marx, et en renonçant à lasymétrie des comportements dinvestissement posée par celui-ci, établit formellement le caractère nécessairement explosif de laccumulation.

6 Et si celui-ci fait défaut, lendettement international (auquel Rosa Luxemburg consacre un long développement) y pourvoira, comme ce fut le cas notamment pour lÉgypte et la Tunisie, une fois celles-ci dominées respectivement par les Britanniques et les Français.

7 En France dans les années 1970, Socialisme ou barbarie sera le nom pris par un petit groupe de marxistes révolutionnaires, venus du trotskysme, dont Cornélius Castoriadis et Claude Lefort.

8 Curieusement, Rudolf Hilferding, pourtant le mieux armé théoriquement avec sa théorie des crises périodiques comme crises de reproduction du capital fixe présentée dans son Capital financier (Hilferding, 1910), et qui constitue une tentative originale de synthèse des Livres II et III du Capital (voir Tutin, 2006), nest pas intervenu dans ce débat. Cest pourquoi il ne sera pas traité ici.

9 Les numéros de page sont ceux de la version numérique en anglais du livre, téléchargeable sur Henryk Grossman Internet Archive.

10 Voir Méaulle (2007) pour une présentation formelle et une discussion du modèle de Grossman.

11 Et qui ne fera quune brève réapparition dans les années 1970 avec les travaux dOskar Lange (1969), Michio Morishima (1973) ou Meghnad Desaï (1979) ; ou encore avec certaines formulations de la théorie dite « de la régulation » (Aglietta, 1976).

12 Ibid., p. 203.

13 Mais inspirée à tous deux par la découverte du modèle économique et urbain de Los Angeles.