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Classiques Garnier

Préface

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Réalisme (1856-1857). Journal dirigé par Edmond Duranty
  • Pages : 9 à 32
  • Collection : Bibliothèque du xixe siècle, n° 52
  • Thème CLIL : 3440 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- XIXe siècle
  • EAN : 9782406063780
  • ISBN : 978-2-406-06378-0
  • ISSN : 2258-8825
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06378-0.p.0009
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/06/2017
  • Langue : Français
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Préface

Le 10 juillet 1856 aurait dû paraître le premier numéro dun journal de quatre pages au texte serré sur trois colonnes, arborant un large titre en lettres capitales qui sonnait comme un ordre de mobilisation : Réalisme. Le périodique sera même enregistré à la Bibliographie de la France le 19 juillet 1856 sous le numéro 6712 :

Réalisme. Jeudi 10 juillet 1856. No 1. Petit in-folio dune feuille. Impr. de Moquet à Paris. – À Paris, chez M. Assezat1, rue des Fossés Saint-Victor, 18 ; M. Duranty, rue du Bac, 106. Paraît les 10, 20 et 30 de chaque mois.

Ce numéro, qui ne fut pas commercialisé2, était rédigé par les deux collaborateurs dont les noms figuraient sous le titre : Jules Assézat et Edmond Duranty. Âgés respectivement de vingt-quatre et de vingt-trois ans, ils sont totalement inconnus en 1856.

De nombreuses zones dombre entourent lenfance et la jeunesse de Duranty, dont lacte de naissance en date du jeudi 6 juin 1833 mentionne : « Louis Émile [] né hier à midi, chez sa mère, [] fils de Émilie Duranty [] de père non déclaré3. » Nous ignorons si cette Émilie Duranty a vraiment existé ou si ce nétait quun prête-nom, car Duranty est en réalité lenfant illégitime dÉmilie Lacoste et de Louis-Edmond Anthoine (et non de Prosper Mérimée, comme on la longtemps prétendu4), dont il portera le nom jusquà sa majorité et qui appartient par sa mère à une famille de vieille noblesse bordelaise. Émilie Lacoste occupe en 1856 une situation honorable dans le monde, et Duranty peut « revendiquer un certain rang social, une certaine éducation et certaines relations qui font de lui un réaliste pas 10encore trop boueux5 ». Dans les années 1845, il étudie à Paris à lécole François Ier (qui deviendra le collège Chaptal), où il a pour condisciple Jules Assézat. Létablissement est dirigé par Prosper Goubaux6, dont les méthodes déducation progressistes tournées vers le monde moderne, la science et la technologie, plus que vers les humanités classiques, influenceront de façon durable nos futurs défenseurs du réalisme. On perd ensuite la trace du jeune Duranty jusquau moment où il obtient son premier emploi : il est nommé en 1853 commis de troisième classe à lAdministration des Domaines et Forêts de la Couronne avec un traitement de 1800 francs par an7. Bien que peu enthousiaste, il accomplit correctement son travail si lon en croit les gratifications et augmentations de salaire dont il bénéficie. Il est promu commis de deuxième classe le 1er juillet 1856, puis de première classe début 1857, avec 2600 francs dappointement. Il démissionnera de cet emploi le 4 juillet 1857.

Après ses heures de travail, Duranty fréquente les brasseries où se réunit la jeunesse intellectuelle et artistique, et rêve de se consacrer à la littérature : la brasserie des Martyrs, où Champfleury le peint sous les traits de Trute, dans « Le Poète Puce8 », personnage qui défend avec vigueur la cause du réalisme dans lart ; la brasserie Andler surtout, rue Hautefeuille9, le quartier général de Courbet. Il est également introduit, certainement par sa mère10, dans le salon à la mode de « la Muse » Louise Colet, qui fut la maîtresse dAlfred de Musset et de Gustave Flaubert : cest là que pendant lété 1856 il rencontre Champfleury, qui fréquente assidûment ce salon depuis deux ans11

Quant à Jules Assézat (1832-1876), fils dun ouvrier typographe, formé à la même école que Duranty, il poursuivra après lexpérience de Réalisme une carrière au Journal des Débats, sera membre de la Société dAnthropologie, et se spécialisera dans la littérature du xviiie siècle : il éditera une sélection des Contemporaines de Rétif de la Bretonne, puis 11les Œuvres complètes de Diderot12. Pour lheure, il na publié quune brochure de quatorze pages, en collaboration avec un certain H. Debuire : Magnétisme et crédulité, ou solution naturelle au problème des tables tournantes (Paris, Garnier frères, 1853), où se manifeste son esprit rationnel.

Rédigé par deux jeunes inconnus, ce numéro aurait-il pu séduire par son contenu ?

Il souvre sans explication ni préambule sur des « Notes sur lart », texte de Duranty qui déplore limpuissance de la peinture contemporaine, figée dans lantique, et plus encore de la sculpture, décrétée « art inférieur ». Lauteur, qui affirme que le beau ne doit être quune partie du vrai, souhaiterait mettre le feu au Louvre. Suit une attaque en règle dAssézat annoncée contre deux livres, Profils et Grimaces dAuguste Vacquerie et Les Contemplations de Victor Hugo qui viennent de paraître13. Assézat ne traite en fait que du premier recueil dans cet article qui sera repris dans le deuxième numéro de Réalisme. Cest Duranty qui se chargera de montrer la vacuité des Contemplations, dans les numéros 3 et 4 du journal. Nous trouvons à la suite un autre pamphlet de Duranty, intitulé « La multiplication des poètes », qui compare ces derniers à la race nuisible et envahissante des lapins. La conclusion, tout aussi provocante, prononce la peine de mort contre la poésie. Pour finir, quelques lignes satiriques contre Gautier, de nouveau Les Contemplations, Lamartine, Ponsard et Janin.

Le ton était donné dans ce premier numéro, qui contenait quelques idées importantes ne demandant quà être reprises et développées. Mais les auteurs ne proposaient pas de réflexion théorique solide, ce dont se rendit compte Duranty, qui décida de ne pas le faire paraître : « Ce numéro ne fut pas mis en vente. Nous convînmes, Assézat et moi, de le supprimer parce que je voulais faire lautre Réalisme, mes idées sétant modifiées sur la question14. » Une dizaine dexemplaires seulement auraient été distribués, principalement à des journaux15. Duranty sexplique sur les raisons de cette décision : « Cest après avoir causé avec Champfl[eury] que jeus dautres idées sur ce journal, et que la 12pensée de fixer une doctrine nette me tourmenta. » Cest aussi grâce à ce dernier quil fait la connaissance du futur troisième collaborateur de Réalisme : « Champfleury mayant introduit dans le cercle de ses amis, jy trouvai Thulié avec qui je devins vite fort intime, et je lui demandai de se joindre à Assézat et à moi16. »

Henri Thulié, né en 1832 comme Assézat, sest orienté vers la médecine. Sa seule activité littéraire, du reste, sera sa participation à Réalisme. Disciple du docteur Blanche, interne à Charenton, il se spécialisera dans les problèmes liés à laliénation mentale. Il poursuivra parallèlement une carrière politique et siégera au Conseil municipal de Paris de novembre 1871 à mai 1883, conseil quil présidera à trois reprises en 1875, 1878 et 1880. Comme Assézat, il appartiendra au groupe de la Pensée nouvelle et à la Société dAnthropologie. Il présidera le bureau du Grand-Orient en 1885, et lune de ses grandes batailles sera, sous la Troisième République, la lutte contre le cléricalisme17. Passionné de littérature et voulant défendre la raison en art comme ailleurs, il aura limportante tâche de rédiger les articles consacrés au roman dans Réalisme.

Il ne manque plus aux trois associés quun local, et un petit coup de pouce publicitaire pour lancer leur entreprise. Champfleury va leur venir en aide, comme nous lapprend Lorédan Larchey, le co-directeur avec Edouard Goepp de la Revue anecdotique des lettres et des arts, née lannée précédente :

Il [Champfleury] vint un soir nous dire : « Trois jeunes gens de mes amis veulent faire un journal ou plutôt une revue littéraire intitulée Réalisme ; une feuille in-4o tous les quinze jours car ils nont pas dargent. Lorgane ne tiendra pas beaucoup de place, pourriez-vous lui donner lhospitalité ? – Vous les connaissez bien ? Quils viennent donc ! Seulement nous navons quune table. – Ils en apporteront une. » Voilà comment Duranty, Assézat et Thulié nous arrivèrent un jour avec une table. Tous trois étaient jeunes et de tempéraments divers, mais unis par une amitié qui a duré jusquà la mort, car un seul survit18.

Les voilà donc installés rue de Seine, dans les locaux de la Revue anecdotique, à côté de la librairie où lon peut sabonner.

13

Le « coup de pistolet » chargé de lancer la revue19 est un article de Duranty intitulé « Les Jeunes », publié dans le Figaro du 13 novembre 1856, lavant-veille de la sortie de Réalisme. On y retrouve, appliquées à la littérature, les idées mises en avant dans les « Notes sur lart » à propos de la peinture et de la sculpture : il faut en finir avec ces écrivains qui se prétendent « jeunes », et qui se contentent de reproduire de toutes les manières possibles la littérature de 1830. Duranty nabandonne pas sa verve satirique et dresse une liste de différentes catégories décrivains : Baudelaire, pour ne citer que lui, appartient à celle des « vampires20 ». Une littérature neuve, fondée sur lobservation et la sincérité, doit venir balayer lancienne.

Le nouveau Réalisme peut à présent paraître : il fait ses débuts le 15 novembre 1856, et sera enregistré à la Bibliographie de la France du 22 novembre sous le numéro 10839 : « Réalisme. Paraît le 15 de chaque mois. 15 novembre 1856. 1er numéro. In-4o de deux feuilles. Imprim. de de Soye [sic], à Paris. – À Paris, rue de Seine, 11. » La première phrase de ce numéro est reprise dans le descriptif : « Le réalisme est une protestation raisonnée de la sincérité et du travail contre le charlatanisme et la paresse. » Si les dimensions et la périodicité sont plus modestes, le nouveau Réalisme comporte à présent seize pages par numéro ; le texte sétale sur deux colonnes.

Dès lors, la formule du journal variera peu : articles théoriques destinés à élaborer la notion de « réalisme » (les deux premiers se chargeant détablir les bases et de proposer une méthode), réflexions sur les arts et la littérature, études portant sur les genres littéraires, et lettres de lecteurs – généralement fictifs – constituent lessentiel des six numéros. Réalisme propose aussi des « Nouvelles diverses », « consacrées seulement à des choses saillantes21 » : actualité théâtrale, revue de presse, annonce de publications récentes et mondanités diverses apportent la touche finale dhumour et de provocation. À partir du deuxième numéro, le journal offre aussi des comptes rendus douvrages récemment parus. Le ton adopté, on le voit dès le titre des premiers articles, sera celui du 14pamphlet, de la parodie et de la satire : « Âneries des anti-réalistes », « Pourquoi le théâtre est mort », « Les gazetiers-punaises », « Choix dans les papiers dun poète »…

Duranty est officiellement « propriétaire » et « gérant » de Réalisme22. Il en est aussi le principal « rédacteur » : sur un total de cinquante-huit articles signés, il en rédigera trente-cinq (60 %), Assézat et Thulié respectivement onze et neuf (19 % et 16 %), trois textes (5 %) étant envoyés par des collaborateurs occasionnels. Si lon considère la part respective de chacun par rapport à la longueur totale, la même constatation simpose : plus de la moitié de lensemble (57 %) est lœuvre de Duranty, Assézat fournissant 21 % et Thulié 16 % du total.

Ils ne sont que trois, mais pour donner limpression dune vaste communauté se retrouvant sous la bannière du réalisme, ils imaginent une liste de collaborateurs dont les noms figurent à la fin du premier numéro : la nouvelle doctrine a ses adeptes dans toutes les régions de France, mais aussi hors des frontières, en Belgique, en Suisse, en Allemagne et jusquen Amérique. Le procédé peut paraître un peu gros, et pourtant nombreux sont ceux qui ont cru à une cohorte de correspondants fermement engagés dans la cause de la vérité et de la sincérité. Il faut dire que Duranty poussa le subterfuge jusquà varier son style en fonction des différents pseudonymes quil prenait, rendant même certains textes obscurs, ou passablement maladroits lorsquil sagissait de prétendues traductions23 !

Il y a cependant un grand absent : Champfleury, dont la participation semblait pourtant aller de soi. Duranty avoue que celui qui est considéré à lépoque comme le maître du réalisme en littérature na pas été consulté au début du projet : « Jai alors fondé, sans lui en parler, le journal Réalisme, pour exposer une manière de voir qui me semble très féconde24. » Champfleury restera en dehors, ne fournissant en tout et pour tout que quelques lignes servant à introduire la Chanson de la 15soupe au fromage25. Il semblait cependant tellement évident quil fût le principal instigateur de ce journal quil dut à plusieurs reprises sen défendre, comme en témoigne cette lettre à Max Buchon :

À quelques mots lancés par Duranty dans le Réalisme, un peu taquin et agressif, Murger avait cru (et bien dautres) quil y avait un mot dordre de ma part. Je nai pourtant jamais donné à ce journal que votre chanson26.

Ou celle-ci, adressée à Assézat :

Vous vous rappelez [] les volées de bois vert que distribuait votre journal le Réalisme et les ruades que jen recevais de toute part, quoique étranger à votre publication27 !

À la fin de lannée 1856, Champfleury, occupé à la rédaction de sa Gazette, songe peu à ses confrères : il ne consacrera, dans son propre journal, que six lignes à Réalisme28.

En labsence du principal instigateur du mouvement, et alors que le combat pour le réalisme est engagé depuis la fin des années 1840, que pouvait-on attendre de nouveau dun journal rédigé par trois débutants qui navaient encore fourni aucune œuvre ?

Nous ne reprendrons pas ici lhistoire détaillée de la « bataille réaliste29 », qui a fait lobjet de nombreux ouvrages30. Si le mot « réalisme » apparaît pour la première fois en France en 1826 dans un éditorial anonyme du Mercure de France31, et si lon sinterroge déjà sur cette notion dans les années 1840, il faut attendre Courbet pour que se manifeste un réalisme militant, comme le rappelle Pierre Martino : « Ce sont 16les expositions successives de Courbet qui marquèrent les premières étapes de la doctrine réaliste32. » En 1849, le peintre expose plusieurs tableaux parmi lesquels LAprès-Dînée à Ornans : on sindigne parfois de cette irruption des gens ordinaires dans lart, mais cest un premier succès pour le peintre qui obtient une médaille dor : le tableau, acheté par lÉtat, est envoyé au musée des Beaux-Arts de Lille. Au salon de 1851, trois œuvres vont soulever la polémique à propos du réalisme : Les Paysans de Flagey revenant de la foire, Les Casseurs de pierres, et surtout Un Enterrement à Ornans, dont la banalité du sujet contrastait de façon inconvenante avec les dimensions impressionnantes du tableau. Lannée suivante, la peinture intitulée Les Demoiselles de village, dans laquelle Courbet a représenté ses propres sœurs, sera caricaturée sous le nom de « Péronnelles de village » et Courbet sous celui de « Réalista » dans la comédie de Banville et Boyer, Le Feuilleton dAristophane33. Le scandale éclate en 1853 avec Les Baigneuses, tableau que Napoléon III aurait frappé de sa cravache, aux dires de Courbet lui-même34, et lorsque LAtelier du peintre est refusé à lExposition Universelle de 1855, Courbet ouvre sa propre « exhibition » avenue Montaigne. Il rédige un prospectus pour présenter son œuvre, introduit par un texte dune page intitulé « Le Réalisme » et que lon prendra lhabitude de nommer « Le manifeste réaliste35 ». Cest le point culminant de la bataille en peinture. Comme lécrit P. Martino, « On peut clore avec lannée 1855 la campagne proprement dite de Courbet : ses toiles devinrent moins tapageuses36 ». À la littérature de prendre alors le relais.

Les tentatives dengager une réflexion sur le concept de « réalisme » en littérature ne manquent pas dans les années 1850, et le journal Réalisme rendra hommage à ceux qui, comme Champfleury et Buchon, ont esquissé une approche plus systématique de la question. Mais ces 17écrits constituent davantage un état des lieux, ou offrent des études ponctuelles, plutôt quune véritable synthèse, ce que ne manque pas de souligner Duranty. Sagissant de la brochure que publie Max Buchon37, il évoque une introduction trouble et un « défaut de résultat définitif38 ». Les articles et études de Champfleury qui seront réunis dans Le Réalisme (Paris, Michel Lévy, 1857), comme sa longue analyse de lœuvre de Challe ou sa lettre à George Sand en faveur de Courbet39, ne constituent pas non plus une vue densemble, encore moins une volonté de fonder une école. Quant à sa Gazette, dont lexistence se justifie par « le besoin dexprimer certaines idées critiques40 », et qui aurait pu être le lieu dune mise au point théorique, elle ne propose pas de réflexion spécifique sur le sujet. On connaît par ailleurs les réticences de Champfleury à employer le terme même de « réalisme » :

Quant au réalisme, je regarde le mot comme une des meilleures plaisanteries de lépoque. Courbet seul sen est servi avec la robuste foi quil possède heureusement, et qui ne lui permet pas de douter. Ma sincérité ma fait longtemps lutter avant de me servir du mot, car je ny crois pas. Le réalisme est aussi vieux que le monde, et de tout temps, il y a eu des réalistes ; mais les critiques, en employant perpétuellement ce mot, nous ont fait une obligation de nous en servir. Dailleurs, le public veut se représenter une génération qui lutte41.

Lœuvre romanesque de lauteur enfin, avec son penchant pour la fantaisie et les caractères excentriques42, est loin de saccorder toujours avec les principes théoriques, et lon pourrait même dire avec Troubat que le « réalisme de Champfleury confina toujours au romantisme43 ».

La singularité du journal Réalisme – et la nécessité de son existence – semble ainsi beaucoup plus évidente lorsque lon compare cette publication 18à toutes les autres sur le sujet : cest le premier écrit se fixant pour objectif de définir de façon cohérente et exhaustive la doctrine artistique et littéraire du réalisme. Pour que le public puisse se représenter une « génération qui lutte », selon lexpression de Champfleury, il fallait un véritable combattant, capable dexposer sa foi avec enthousiasme et virulence : ce sera Duranty, le « premier soldat du réalisme44 » et le maître à penser du journal.

Comme tout nouveau courant, celui-ci se définit dabord de façon négative : cest en détruisant systématiquement ce qui la précédé quil va se construire. Il attaque la conception classique de lart, sa croyance en un Beau idéal et son adoration de lantique. Il ne saurait y avoir de critères artistiques, établis une fois pour toutes, que lon enseignerait de génération en génération : pour Duranty, du reste, le Beau nest pas la valeur suprême, il nest quune partie du Vrai. Du xviie siècle, il rejette violemment la préciosité et le maniérisme, les mignardises de Voiture et de lhôtel de Rambouillet qui se prolongent jusquà lépoque contemporaine. Les rédacteurs de Réalisme engagent une lutte de tous les instants contre lampoulé, lexagéré, le clinquant, le faux, toutes ces déformations de la réalité qui caractérisent aussi bien la littérature de salon quune grande partie de la peinture, notamment celle du xviiie siècle. Nés au début des années 1830, les trois collaborateurs ont surtout une bête noire : le romantisme de leurs pères. Sils reconnaissent quil y avait bien à lépoque nécessité de faire table rase des conceptions classiques et que lintention était bonne, ils nacceptent pas que le romantisme se soit figé dans un art de convention, quil ait perdu sa jeunesse et son pouvoir novateur. Il na pu, daprès eux, échapper à deux défauts également condamnables : dune part une tendance à réemployer constamment un vocabulaire, des images et des thèmes convenus, dautre part un attrait pour le « baroque », cest-à-dire à lépoque le bizarre, le fantastique ou le « frénétique », comme disait Nodier. Le romantisme est globalement mort de ces deux défauts, il ne survit plus que dans le souvenir du maître dont lexil a fait un mythe et un martyr : Victor Hugo, que Duranty sefforce de faire tomber de son rocher dans sa longue étude des Contemplations45. Et parce quil réalise le tour de force de réunir à lui seul tout ce quils détestent, un genre littéraire attise en permanence leur haine : la poésie.

19

Voilà pour les rejets. Quant aux bases de la doctrine réaliste, il faut aller les chercher dans une exigence morale, qui est inscrite dès la première phrase : remplacer la paresse et le charlatanisme par le travail et la sincérité. Champfleury faisait déjà léloge du travail en 1850 dans ses « Conseils à un jeune écrivain46 », quil dédia a posteriori « à Duranty47 » :

Si lamour du jeu, du vin, des femmes, lemporte sur lart, jette ta plume. [§] Si ta main est inoccupée, que ton esprit travaille. [§] Si tu dors, que ton cerveau travaille encore. [] Refuse toute partie de plaisir aujourdhui si elle doit empiéter sur cinq minutes de demain48.

Lincipit de Réalisme tourne autour dune notion qui définit le « premier réalisme » même : celle de sincérité49. Ce mot et ceux qui lui sont apparentés sont si fréquents sous la plume des différents collaborateurs – on relève une cinquantaine doccurrences de ladjectif, de ladverbe ou du substantif dans Réalisme – quil serait vain daccumuler les citations. Il nest pas inutile, en revanche, de tenter de préciser ce quils entendent par là : leur conception dun art moral, sappuyant sur le « travail » et la « sincérité », révèle un optimisme certain, voire un certain idéalisme, terme quils ne cessent pourtant de rejeter…

Deux phrases de Champfleury sont citées par Duranty, et accompagnées de commentaires on ne peut plus clairs :

« Ce que je vois, dit-il, entre dans ma tête, descend dans ma plume, et devient ce que jai vu ». Voilà le réalisme. « Je cherche avant tout à rendre sincèrement mes impressions dans la langue la plus simple. » Ceci est net50.

« Voilà le réalisme [] Ceci est net »… Très net, en effet. La concision et la simplicité des phrases citées, comme celles des remarques de Duranty, 20témoignent dune confiance absolue dans les vertus de lobservation et les pouvoirs du langage : on pourrait croire quil suffit de savoir regarder, davoir le désir dexprimer sincèrement ce que lon a vu, pour que les mots arrivent aisément. Entre deux ensembles isomorphes, celui du monde réel et celui des mots, lécrivain établit une fonction bijective : un référent possède un signe unique, un mot ne doit désigner quune chose. Les tautologies qui sinscrivent souvent dans le texte de Réalisme en témoignent : « Je suppose que le lecteur a été habitué comme moi à penser que ce qui est vrai est vrai, que ce qui est exact est exact51. » Il ny a quune façon dêtre exact, quun mot pour le dire… et tout le reste est poésie.

Lécriture réaliste doit reposer avant tout sur cette confiance dans le pouvoir des mots52. Ladéquation du signe et de son référent étant posée en principe, à lartiste de traduire simplement la transparence des choses dans la transparence du langage. Plus idéalistes en cela que les poètes qui se méfient de linsuffisance – ou de linsignifiance – du mot, et qui luttent contre larbitraire du signe pour le remotiver, obsession qui hantera bientôt Mallarmé, les réalistes croient en lexistence du mot parfait, le travail de lécrivain consistant précisément à le découvrir :

À quoi bon employer dix mots quand trois suffisent, rechercher les termes bizarres, inusités, et négliger le mot propre ? [] Il y a des mots exacts quon ne peut éviter, mais que tous ne savent pas trouver ; ceux qui les trouvent sont les meilleurs écrivains53.

Certes, les mots ne jouent pas toujours le jeu, et sabandonnent parfois au changement de sens : « Il y a vraiment une lâcheté des mots qui fait quils peuvent se prêter à dire autre chose que ce quils veulent dire54. » 21Mais le mal vient de celui qui les détourne, non des mots eux-mêmes : « Je nai jamais vu mettre les brodequins de la torture aux mots, comme on le fait à présent, pour leur faire dire ce quils ne veulent pas dire55. » Lauteur honnête doit retrouver leur valeur originelle, leur sens premier, et ne pas céder à la facilité de leur faire « dire autre chose ».

Le principe déquivalence entre le mot et la chose sapplique de façon plus générale à lensemble du discours. La description littéraire reproduit fidèlement ce qui est décrit, et les dialogues les conversations de la vie de tous les jours :

M. Champfleury ne se sert pas de grands mots, de longues tirades pour faire comprendre une situation et les sentiments qui en naissent ; pas danalyse morale, pas de recherches psychologiques : son procédé est plus simple, il se contente de raconter la scène telle quelle sest passée, sans commentaires ; le lecteur se met à la place du héros et sait bien ce que ce dernier pense56.

Inutile dinsister sur la naïveté dune telle remarque, la critique du xxe siècle ayant abondamment montré à quelles difficultés se heurtait lécriture réaliste57. À lépoque de Duranty, on voyait là surtout un défaut de créativité : on ironisait sur le manque dimagination des réalistes, leur absence de spiritualité, voire desprit et dintelligence, comme le déplorait le principal intéressé58.

La confiance accordée au langage permet cette foi en un art qui peut retranscrire le monde, elle est le premier principe de lesthétique réaliste et fournit une définition claire : « aussi le réalisme est-il la plus juste compréhension de ce qui est quon exprime par la plus juste description59. »

Lexplication des moyens permettant datteindre ce but nest pas esquivée : Réalisme contient un ensemble darticles techniques, qui sintéressent à la façon de faire passer la sincérité dans les arts60, quil convient dabord de hiérarchiser : « le roman, le théâtre, la peinture [] sont les 22trois grands moyens daction des observateurs61. » Le roman occupe la première place, et la série darticles que lui consacre Thulié aborde des points essentiels : comment être juste dans la description, comment construire les portraits, les dialogues, quels rapports doivent sétablir entre les passages descriptifs et les passages narratifs, de quelle façon faire progresser lintrigue pour captiver le lecteur…

Si les réalistes cherchent à sexprimer dans une langue simple et naturelle, cest quils veulent être compris de tous. Lart réaliste ne doit pas simplement peindre les gens du peuple ou les bourgeois, il doit aussi sadresser directement à eux.

Un lien sétablit ainsi entre une certaine conception de la création et le public visé. On connaît lengagement politique et social dun Courbet qui déclarait : « Faire des vers cest malhonnête ; parler autrement que tout le monde, cest de laristocratie62 », et qui affirmait que le réalisme était, « par essence, lart démocratique63 ». Il serait cependant inexact de penser que lon trouve chez tous les réalistes, au même degré, une volonté militante : contrairement à Courbet, Champfleury ne voit pas une priorité dans la portée sociale et politique de lœuvre dart64. Les rédacteurs de Réalisme, sils sont conscients du rôle social que doit jouer lartiste, tiennent à préciser quil ne sagit là que dune des facettes de la création : lartiste poursuit bien « un but philosophique pratique », mais Duranty précise lorsquil commente la brochure de Buchon sur le réalisme :

Je lui sais particulièrement gré davoir élevé ces idées de Justice, de Vérité et de Virilité dans la pratique de la vie, qui sont le but du réalisme. [] Mais je crois aussi que limpression générale, à propos de sa conclusion, serait celle-ci : le réalisme, cest faire de la littérature pour le peuple. Cen est une des applications importantes et intelligentes ; mais comme on naccorde guère 23dattention aux idées quen raison de lespace quelles occupent sur le papier, on penserait que cest là sa principale préoccupation65.

Il est difficile de déceler la position politique de la revue, le réalisme « nayant aucunes prétentions66 à fonder un gouvernement ou à reconstituer la société67 ! » Cette neutralité peut relever de la simple prudence, comme dun soutien tacite au régime en place : Crouzet note quil y a chez Duranty une tendance à sattaquer plutôt aux républicains, cibles prioritaires de ses critiques et de ses caricatures et conclut : « Tout se passe comme si lon voulait faire sa cour au gouvernement, qui, à cette époque, est encore un gouvernement de droite68. » Tandis que Duranty a peu fait part de ses opinions politiques, on sait cependant que Thulié et Assézat se positionneront sans ambiguïté dans le camp des républicains. Si Réalisme ne défend aucune opinion politique précise, cest peut-être tout simplement que tel nest pas le sujet : il semble que Duranty ait tout fait pour donner limage dun journal plaçant la réflexion à un niveau purement esthétique.

Il en va de même pour la religion. Le réalisme, parce quil se veut rationnel, a souvent été taxé de positivisme, de matérialisme (terme que Duranty ne cesse de récuser), voire dathéisme. Nous savons que les trois collaborateurs penchent vers la libre pensée69, lanticléricalisme même en ce qui concerne Thulié, mais rien ne transparaît dans le journal, qui exclut toute considération dordre religieux. Une trentaine dannées plus tard, en revanche, La Revue indépendante de Chevrier et Fénéon, qui prétend fédérer tous les naturalistes, ne manquera 24pas détablir sans ambiguïté un lien entre réalisme et matérialisme philosophique70.

Réalisme ne dura que six mois. Il est difficile de dire quel fut exactement son impact sur le moment. Très faible, probablement : ce sont surtout les petits journaux et les critiques hostiles qui mentionnèrent son existence, comme Jules Janin : « [] on a fait cette année (ô travail idiot, et puéril enfantement) un journal du réalisme, enterré sous le mépris du public71 []. » Duranty savait parfaitement que sa revue risquait de passer inaperçue : « À peine cinquante personnes je ne dis pas admettront, mais seulement se rendront compte de ce Journal72. » On peut même se demander si Réalisme compta plus de deux abonnés, les seules lettres de souscription que nous trouvons dans le dossier constitué par Assézat et complété par Duranty étant celles de leur ancien professeur, Prosper-Parfait Goubaux, et de David Lubin, de lÉcole de Peinture de Montpellier73. Les difficultés financières furent la principale raison de la mort du journal, comme lécrit Lorédan Larchey qui exagère cependant la brièveté de son existence : « Le Réalisme lutta trois mois et disparut, faute dargent []74 ». Certains billets pressants de la part des imprimeurs viennent confirmer que les rédacteurs du journal ne pouvaient plus sacquitter de leurs dettes :

Paris, le 14 avril 1857.

Monsieur,

Jai lhonneur de vous adresser une lettre qui est restée sans réponse. Est-ce que vous ne lauriez pas reçue ? Je le crains et je vous adresse celle-ci.

La question que je vous posais était relative au Réalisme. Sil a cessé de paraître, je vous prie de me faire savoir par qui nous devons être payés du dernier numéro. M. Assézat, à qui jai écrit, me renvoie à vous.

En attendant lhonneur dune réponse, agréez75

[] Mon cher Monsieur,

Nous avons écrit plusieurs lettres auxquelles vous navez pas daigné faire réponse. Cela nous fâche, mais cependant nous croyons que la meilleure 25réponse serait que vous daigniez nous désintéresser. Nous espérons et nous comptons sur une prompte solution de cette petite affaire et vous obligerez vos dévoués serviteurs76.

Nous ignorons à combien se montaient les frais occasionnés par la publication de Réalisme, mais nous pouvons en avoir une idée à la lecture des notes personnelles de Champfleury qui consignait scrupuleusement ce que lui rapportaient ses publications et qui précise : « Il faut déduire de ceci ce que ma coûté en frais matériels ma Gazette, à peu près 70077. » À peu près sept cents francs pour deux numéros, dune longueur totale inférieure à la moitié de celle des six numéros de Réalisme78 : on peut vraisemblablement estimer autour de mille cinq cents francs la somme que Duranty dut débourser, quand son salaire annuel sélevait à un peu plus de deux mille francs.

Mais les problèmes financiers ne furent certainement pas les seuls. Le peintre et critique dart belge Émile Leclerq, ami de Duranty et qui signe ses articles E. Pittore dans le journal bruxellois Uylenspiegel, dresse un bilan à la mort de Réalisme et tente dexpliquer les raisons de sa disparition79. Il reproche aux trois rédacteurs de sêtre attachés « à démolir quand même nimporte qui, sans mesure, avec un parti pris qui crevait les yeux » sans avoir au préalable cherché à persuader les lecteurs. Balzac lui-même nétait pas suffisamment mis en valeur. Ils auraient dû rendre hommage à certaines gloires artistiques et littéraires, car ils ne reconnaissaient que Courbet et Champfleury. Pittore naccepte pas non plus quils aient mis la poésie au ban de lart. Il leur reproche dêtre plus matérialistes que réalistes, de prendre la photographie pour modèle dans lart, et de ne vouloir reproduire que lhomme du peuple, grief qui sera repris par Zola80. Duranty sétait pourtant expliqué sur ces différents aspects, et lon sait que ces reproches ne sont pas justifiés : cela prouve 26quil na pas été compris, même de ceux qui lui étaient favorables. Après avoir noté aussi la mauvaise qualité du papier sur lequel était imprimé le journal, Pittore conclut :

Vous avez été, monsieur Duranty, exclusif au point de toucher à labsurdité [] Vous étiez trop dur à lattaque, vous manquiez de bienveillance et de cœur ; vous disséquiez tout avec la froide logique du bon sens ; il y a, dans lart, autre chose que la raison ; il y a, dans lâme, autre chose que la logique. Ces rêveurs, dont vous riiez, sont des êtres aimants. Vous froissiez les consciences sans les convaincre ; vous éclairiez les esprits sans les charmer. Telles sont, sans doute, les causes de votre chute81.

Cela est juste, mais il y a peut-être une raison plus profonde à la disparition prématurée du journal, qui tient à sa nature même. Comment envisager de définir une théorie du réalisme, quand on refuse lidée dune « école réaliste » ? Duranty avoue que si Assézat a quitté le journal au cinquième numéro, cest que lun de ses articles avait été refusé, nayant pas « la doctrine assez pure82 ». Dès le premier numéro, un désaccord survient entre Duranty et Thulié au sujet de larticle sur le roman83 : le premier conteste lexpression de « liberté dans lart » employée par le second, lui préférant celle de « sincérité dans lart ». Thulié réplique quen se soumettant aux exigences de son collaborateur, il irait à lencontre même de ce que veut celui-ci, car il ne serait plus sincère. Largument est solide, et révèle un problème majeur : la volonté de construire un système théorique cohérent et consensuel risque de sopposer à la liberté dexpression de chacun et au principe fondamental de « sincérité ». On remarque dailleurs que Duranty nassumait pas toujours pleinement les idées contenues dans les articles quil devait publier : la traduction de Schiller proposée par Buchon dans le cinquième numéro entraîne une mise au point de sa part en introduction. Dans le numéro 0, Assézat annonçait avoir lu deux livres dont il voulait rendre compte, mais il ne traite que de Profils et Grimaces de Vacquerie : cest Duranty qui se chargera déreinter le maître du romantisme dans sa longue étude sur les Contemplations, abandonnant à Assézat louvrage du disciple. Y eut-il accord entre les deux hommes ? Assézat dut-il céder ? Il nous semble parfois que 27Duranty devait avoir un rêve : celui de réunir une diversité de pensées en une seule, la sienne, et quil a échoué.

La reconnaissance viendra, mais il faudra attendre presque trente ans et le triomphe du naturalisme. Les auteurs de la nouvelle école savent ce quils doivent à leurs prédécesseurs, même sils ne lavouent pas toujours. Maupassant, dans son étude sur le roman, au début de Pierre et Jean84, reprend largement les idées de Duranty quil expédie cependant avec désinvolture dans son « évolution du roman au xixe siècle » :

Derrière lui [Balzac], une école se forma bientôt, qui, sautorisant de ce que Balzac écrivait mal, nécrivit plus du tout, et érigea en règle la copie précise de la vie. M. Champfleury fut un des plus remarquables chefs de ces réalistes, dont un des meilleurs, Duranty, a laissé un fort curieux roman : Le Malheur dHenriette Gérard85.

Rien sur le théoricien du réalisme ; peut-être Maupassant na-t-il jamais pu lui pardonner ses attaques contre Flaubert…

Dans un article intitulé « Christophe Colomb », Paul Alexis rendait hommage à Duranty, explorateur de nouvelles contrées littéraires, et déclarait : « Il y a là tout le naturalisme en embryon86. » Du 7 au 25 décembre 1884, le même Paul Alexis rédige seul une petite revue satirique qui ne comportera que quatre numéros : « Le Trublot, torchon hebdomadaire à Dédèle, Officier du naturalisme ». Au verso de la page de titre du premier numéro apparaissent les noms des « patrons » de la revue, avec leurs dates : Diderot, Stendhal, Balzac, Flaubert et Duranty87.

Mais cest Zola, avec la perspicacité de critique quon lui connaît, qui rendit le premier un hommage appuyé au précurseur : « M. Duranty a donc été un des pionniers du naturalisme. Tout ce que nous disons aujourdhui, il en a eu lintuition avant nous88. » Il consacra deux articles 28à la revue Réalisme et à Duranty dans Le Bien public en avril 1878. Sil ne manque pas de souligner les défauts et les lacunes du journal dans son deuxième article, il déclare : « Pour moi, Réalisme est une date, un document très important et très significatif de notre histoire littéraire []. Mais faire du bruit nest rien, la chose stupéfiante est que ces trois jeunes gens apportaient une révolution, formulaient tout un corps de doctrine89. »

Duranty apprécia lhommage ; il regrettait pourtant que la reconnaissance ne fût pas davantage partagée. Il était conscient davoir « donné la nette formule et lancé les idées qui gouvernent la littérature actuelle90 », comme il lécrit dans ses notes, et ce nest pas sans amertume quil constate en 1879 quil a été « jeté dans le fossé pour servir de pont à ceux qui le suivaient91 ».

Que retenir de Réalisme de nos jours ? Tout dabord un témoignage : ces six numéros offrent une photographie dun moment-clé de notre histoire littéraire. À travers les réflexions, les polémiques, les analyses et les comptes rendus de livres ou les revues théâtrales, Réalisme constitue un document dun grand intérêt sur la création artistique dune période exceptionnellement riche. Il existe des années, comme 1830, où fleurissent des œuvres qui changent le cours des choses. Les années 1856-1857 sont de celles-là92. Les contemporains, quUn Enterrement à Ornans avait scandalisés, laissés dubitatifs ou admiratifs et qui découvrent successivement Les Contemplations, Madame Bovary et Les Fleurs du mal, sentent quils ont sous les yeux de ces œuvres qui vont marquer lhistoire, sans en saisir nécessairement toute la portée. La revue Réalisme est au cœur de ce bouillonnement créateur. Ses auteurs se font lécho des querelles 29qui agitent le monde de lart et de la littérature, quand ils ne lancent pas eux-mêmes la polémique, avec leurs idées bien arrêtées, leurs intuitions et leurs jugements novateurs ; leurs intransigeances aussi, et leurs injustices : Duranty assassine Hugo et ses Contemplations, et rejette Madame Bovary.

Lire la revue Réalisme, cest donc se replonger dans un monde qui a vu naître la modernité93, à la croisée des chemins dun romantisme que lon croyait finissant mais qui triomphe encore grâce au lyrisme de Victor Hugo, dun Parnasse qui sest déclaré avec les Émaux et Camées de Gautier, dun symbolisme et dun impressionnisme en gestation. Cest découvrir des auteurs oubliés et rencontrer ceux qui sont devenus immortels : les études sur Rétif de la Bretonne, G. Sand, Balzac, Hugo, Champfleury ou Flaubert, les commentaires sur les traductions dEdgar Poe par Baudelaire et celles des romans de Dickens que lon commence à lire ou les analyses picturales de Duranty suffiraient à satisfaire notre curiosité.

Quant à la place de Réalisme dans lhistoire littéraire, si elle nous semble essentielle, elle ne va pas sans poser un certain nombre de questions. Pourquoi ces premiers réalistes, ces « petits réalistes », sont-ils encore si peu considérés ? Ils souffrent en fait dun double handicap. Le premier tient à la méfiance généralisée par rapport à tout art qui prétend représenter la réalité. De ce point de vue, la réticence envers les réalistes de la sincérité est encore plus forte, parce quelle est liée à un malentendu : celui qui consiste à croire quils voulaient reproduire le monde réel de manière photographique, alors que tous leurs écrits montrent le contraire. Le rejet du daguerréotype chez Champfleury, limportance des sentiments et des sensations chez Duranty et de lanalyse psychologique dans ses romans en témoignent.

Le deuxième handicap est leur position dans la chronologie du mouvement réaliste-naturaliste. Ils ont le tort dêtre coincés entre quatre monstres sacrés : deux « précurseurs », Stendhal et Balzac ; deux maîtres, Flaubert et Zola. Rétrospectivement, Flaubert apparaît comme celui qui aurait dû prendre la tête du mouvement. Mais Duranty est très sévère contre son œuvre, et Flaubert ne sest jamais considéré lui-même comme un « réaliste ». La façon la plus simple de reconstituer lhistoire littéraire 30est de considérer les réalistes de la sincérité comme un trait dunion, un chaînon manquant entre les deux pôles historiques du réalisme français, comme lécrit Amiel : « Champfleury et Duranty ont servi de transition entre Balzac et le grand réalisme94. » Mais, ce faisant, on refuse de prendre en compte ce que nous disent Duranty et ses collaborateurs de Réalisme : leur admiration limitée pour Stendhal comme pour Balzac, encore trop romantiques à leur goût, et leur rejet total de Flaubert. On ne saurait voir là simplement de lincompréhension de leur part : la voie ouverte par Champfleury et théorisée par Duranty, ce réalisme de la sincérité qui se fonde sur une vision subjective du monde quil faut transmettre de la manière la plus objective possible, avec toutes les contradictions quelle implique, doit bien être prise en compte pour elle-même. Il est certainement plus juste daffirmer, avec Robert Ricatte, que « toute la perspective du roman français entre 1850 et 1860 sordonne autour de lantithèse que forment Flaubert et Champfleury95 ».

On peut enfin se demander si labsence de considération dont sont encore victimes de nos jours les premiers réalistes ne viendrait pas tout simplement dune méconnaissance quasi-totale. En 1913, Pierre Martino écrivait dans son étude sur le roman réaliste : « [] il arrive quon joigne au nom de Champfleury celui de Duranty : cest déjà de lérudition96 ! » Les choses ont-elles changé cent ans plus tard ? Tandis que le grand public ignore encore largement les deux écrivains97, les spécialistes du réalisme ne manquent pas daborder leurs écrits théoriques et, au minimum, dévoquer leurs romans. Une contradiction étonnante apparaît toutefois au sujet de la revue Réalisme : aucun critique ne saurait négliger son importance, mais… personne ne la lue. Cest du moins limpression qui pourrait ressortir à la lecture de nombreux auteurs. Certains, comme Émile Henriot, ont le mérite de déclarer leur ignorance :

31

Faute davoir pu mettre la main sur cette rarissime revue, je ne puis me faire une idée des vues de Duranty sur le réalisme comme il lentendait quà travers les extraits glanés çà et là, notamment dans les trois études de M. Maurice Parturier98.

Dautres lavouent par euphémisme, en parlant de Duranty : « Les six numéros de son journal Réalisme (1856-1857) sont extrêmement recherchés99. »

Les références à ce texte sont très souvent approximatives, voire inexactes. On confond Réalisme avec le recueil darticles que Champfleury intitula Le Réalisme, on prétend que ce dernier était le cofondateur du journal et son principal instigateur100 : « Dans la revue quil dirige vers 1856 avec Champfleury, Duranty na quune pensée, combattre Flaubert qui lui paraît trahir lidéal réaliste par sa vision bourgeoise des choses et par son goût littéraire de lélite. » Lauteur de ces lignes, qui nest autre que Maurice Blanchot, na de toute évidence pas lu larticle de Duranty sur Madame Bovary, et na jamais eu Réalisme entre les mains101.

Ces affirmations erronées peuvent sexpliquer par une difficulté bien réelle : celle daller aux sources, cest-à-dire de pouvoir lire lintégralité des numéros de Réalisme. Il a fallu attendre 1970 pour que soit disponible une reproduction de la revue et dune partie du dossier constitué par Jules Assézat102, dans un tirage limité à deux cent cinquante exemplaires désormais presque aussi introuvables que les originaux. Cette édition a été numérisée, mais le « numéro 0 » est illisible103.

La nécessité dune édition complète de Réalisme sest donc imposée comme une évidence. Nous redonnons ici les documents conservés dans le fonds Spoelberch de Lovenjoul104 : les numéros du journal sont 32complétés par un dossier darticles de presse rassemblés et annotés par Jules Assézat. Duranty, qui a recueilli ces papiers à la mort de son ami, a ajouté quelques notes et joint larticle de Zola. La présente publication constitue la première édition critique de la revue Réalisme105.

Gilles Castagnès

1 Sic ; on trouve fréquemment écrit « Assezat » pour « Assézat ».

2 Nous publions ce « no 0 » à la fin de louvrage (appendice I).

3 Archives de la Seine, document retrouvé et cité par M. Crouzet, Duranty, p. 10. Sur les origines de Duranty, voir le chapitre i, « Enfance et jeunesse ».

4 M. Parturier et A. de Luppé, La Naissance de Duranty, Paris, L. Giraud-Badin, 1947.

5 Réalisme, no 4, p. 289.

6 Voir appendice II, n. 10, p. 396.

7 Duranty, p. 33-34.

8 Champfleury, « Le Poète Puce », Ma Tante Péronne, Paris, Librairie Achille Faure, 1867, p. 241-287.

9 Sur ces deux brasseries, voir n. 1 p. 167 et n. 160 p. 210.

10 Voir appendice II, n. 3, p. 394.

11 Ibid.

12 Restif de la Bretonne, Les Contemporaines [] Choix des plus caractéristiques de ces nouvelles [] Vie de Restif [], Paris, A. Lemerre, 1875, 3 vol. – Diderot, Œuvres complètes, Paris, Garnier frères, 20 vol., 1875-1877, édition achevée par Maurice Tourneux.

13 Voir p. 127, n. 93.

14 Voir appendice I, p. 377, n. 1.

15 Voir dans lappendice II les articles annonçant les débuts de Réalisme.

16 Appendice II, p. 394.

17 Voir Coudrelles, « Le Conseil municipal de Paris : le docteur Thulié », La Vie littéraire, 14 mars 1878 (appendice II, p. 442-445).

18 L. Larchey, Scènes de la vie littéraire sous le Second Empire (inédites), cité par M. Parturier, « Zola et Duranty », Bulletin du bibliophile, 1948, p. 51-52. Le seul survivant était Henri Thulié.

19 Duranty, p. 63. – Nous employons indifféremment les termes de « journal » ou de « revue » pour désigner la nouvelle version de Réalisme. Comme un journal elle na pas de couverture et nest pas brochée, mais sa périodicité et son format sont ceux dune revue. M. Crouzet parle de « publication hybride » (C, th, p. iv).

20 Figaro, 13 novembre 1856, 3e année, no 182, p. 5.

21 Réalisme, no 1, p. 98.

22 Voir la fin du premier numéro, p. 99.

23 Voir dans le dossier (appendice II) les commentaires sur les « collaborateurs » de Réalisme : on ironise souvent sur le provincialisme de leurs noms, mais nul ne suggère quils puissent être fictifs. Les spécialistes eux-mêmes ont pu être trompés : H. U. Forest estime que les articles de l« Américain » John Wegster, qui souffrent peut-être dune mauvaise traduction, « sont parfois très amusants, à force dêtre “sincères” » (H. U. Forest, « Réalisme, journal de Duranty », Modern Philology, vol. 24, no 4, mai 1927, p. 477, n. 3).

24 Réalisme, no 4, p. 288.

25 Id., no 3, p. 228.

26 Lettre de Champfleury à Buchon, 5 février 1861, citée par J. Troubat, Une amitié à la dArthez. Champfleury. Courbet. Max Buchon, Paris, Lucien Duc, 1900, p. 148-149. Les papiers personnels de Champfleury confirment (voir p. 228, n. 246).

27 Lettre de Champfleury à Assézat, 28 septembre 1875, citée par J. Troubat, Un coin de littérature sous le Second Empire. Sainte-Beuve et Champfleury. Lettres de Champfleury à sa mère à son frère et à divers, Paris, Société du Mercure de France, 1908, p. 311.

28 La Gazette de Champfleury ne comporta que deux numéros publiés en novembre et décembre 1856 (Paris, Blanchard) ; lauteur commente brièvement dans le no 2 le compte rendu donné dans Réalisme de la pièce Madame de Montarcy de Louis Bouilhet (p. 107).

29 É. Bouvier, La Bataille réaliste (1844-1857). Champfleury. La Bohème. Courbet. Max Buchon. Dupont. Mathieu. Le Cénacle réaliste, préface de Lanson, Paris, Fontemoing, s. d. (1913).

30 Voir la bibliographie, p. 460-462.

31 Mercure de France, t. XIII, 1826, p. 6-7. Voir P. Dufour, Le Réalisme, Paris, PUF, 1998, p. 317-318.

32 P. Martino, Le Roman réaliste sous le Second Empire, Paris, Hachette, 1913, p. 74.

33 T. de Banville et P. Boyer, Le Feuilleton dAristophane, « La Revue », scène 4 (Paris, Michel Lévy frères, 1853). La pièce est créée le 26 décembre 1852 au théâtre de lOdéon. On déroulait sur scène une toile caricaturant Les Demoiselles de village.

34 Lanecdote est rapportée par J. Troubat, Une amitié à la dArthez, op. cit., p. 105.

35 Exhibition et vente de 40 tableaux et quatre dessins de lœuvre de M. Gustave Courbet. Avenue Montaigne, 7, Champs-Élysées, Impr. de Simon Raçon, 1855.

36 P. Martino, op. cit., p. 77. Sur la carrière du peintre, voir James H. Rubin, Courbet, Paris, Phaidon, 2003 (éd. française) ; Thomas Schlesser, Le Journal de Courbet, Paris, Hazan, 2007, ainsi que G. Courbet, Écrits, propos, lettres et témoignages, Roger Bruyeron (éd.), Paris, Hermann, 2011.

37 Voir Réalisme, no 2 et 4, p. 106 et 233.

38 Id., p. 112.

39 Champfleury, « Du Réalisme. Lettre à Madame Sand », LArtiste, 2 septembre 1855 (5e série, XVI, p. 1-5) ; texte repris dans Le Réalisme sous le titre « Sur M. Courbet. Lettre à Mme Sand » (p. 270-285).

40 Gazette de Champfleury, no 1, 1er novembre 1856, non paginé [p. 5].

41 Champfleury, lettre non datée à Buchon, citée par J. Troubat, « Souvenirs du réalisme » suivi de « Lettres inédites de Champfleury au poète franc-comtois Max Buchon », La Revue, volume CV, du 1er novembre au 15 décembre 1913, p. 230.

42 Patrice Rollet qualifie Champfleury de « réaliste de la fantaisie » dans sa « Revue littéraire » (RDM, 15 avril 1851, nouvelle période, vol. X, p. 391).

43 J. Troubat, Une Amitié à la dArthez, op. cit., p. 86.

44 Duranty, chapitre iii.

45 Réalisme, no 3 et no 4.

46 Champfleury, Grandes figures dhier et daujourdhui, Paris, Poulet-Malassis et de Broise, 1861.

47 « Voilà, mon cher Duranty, les quelques pensées que javais jetées sur le papier en 1850, sans penser à les adresser à quiconque » (id., p. xiii-xiv).

48 Id., p. ii-iii.

49 Le terme qui apparaît au début du Réalisme de Champfleury (« Je ne reconnais que la sincérité dans lart », op. cit., p. 3) et qui parcourt également le premier article du journal Réalisme a fait fortune : il sera employé par les critiques pour désigner ceux que lon appelle aussi les « premiers réalistes », voire les « petits réalistes » (cf. J.-H. Amiel, Le Réalisme de la sincérité dans lart, (Courbet, Champfleury, Duranty, Buchon, le journal Réalisme), Urbana, thèse soutenue en 1939 à lUniversité de lIIlinois, résumé, p. 4).

50 Réalisme, p. 109 (voir n. 29 pour les références).

51 Id., no 2, p. 116.

52 Cf. P. Hamon, qui évoque « cette illusion linguistique propre au réalisme : croire que le réel est énumérable, est découpable en objets nommables, que la langue est une nomenclature, croire à la transparence des mots aux choses, croire que les mots sajustent terme à terme aux choses » (Puisque réalisme il y a, Genève, La Baconnière, 2015, p. 173).

53 Réalisme, no 6, p. 368 et 370. Songeons aux réflexions de Maupassant à la fin de son étude sur le roman : « Quelle que soit la chose quon veut dire, il ny a quun mot pour lexprimer, quun verbe pour lanimer et quun adjectif pour la qualifier. Il faut donc chercher, jusquà ce quon les ait découverts, ce mot, ce verbe et cet adjectif, et ne jamais avoir recours à des supercheries, même heureuses, à des clowneries de langage pour éviter la difficulté. » (Maupassant, « Le Roman », Pierre et Jean, Paris, Gallimard, Folio classique, 1982, p. 59.)

54 Réalisme, p. 142.

55 Id., p. 214.

56 Id., p. 239.

57 Voir le « rappel » effectué par P. Hamon (Puisque réalisme il y a, op. cit., p. 8-16).

58 « Ainsi beaucoup de gens mont déjà reproché de manquer desprit. » (Réalisme, no 4, p. 301) Cf. Paul Souday, à propos de Duranty : « Je crains quil ne fût pas très intelligent. » (La Société des grands esprits, Hazan, 1929, 2e édition, p. 265.)

59 Réalisme, no 5, p. 304 ; Duranty écrit « quon en exprime », nous corrigeons.

60 Comme la fait remarquer P. Hamon, la seule attitude critique positive face à la littérature réaliste nest pas de se demander comment elle « copie » mais comment elle nous « fait [] croire quelle copie la réalité » (P. Hamon, « Un Discours contraint », Poétique, 16, 1973, repris dans Littérature et réalité, G. Genette et T. Todorov (dir.), Paris, éditions du Seuil, 1982, p. 132).

61 Id., no 1, p. 42 ; voir aussi larticle de Thulié, qui fait de la littérature le premier des arts (« Relation des arts », no 2, p. 116).

62 Courbet, cité par É. Gros-Kost, Courbet, souvenirs intimes, Derveaux, 1880, p. 34.

63 Courbet, Discours à lexposition dAnvers, publié dans Le Précurseur dAnvers, 22 août 1861, cité par T. Schlesser, op. cit., p. 223 ; voir dans cet ouvrage les pages qui sont consacrées à Courbet et lart social.

64 « Quoi quil arrive, ne tinquiète pas de la forme du gouvernement. Ton art est régi par lépoque et la régit à son tour. » (Champfleury, « Conseils à un jeune écrivain », op. cit., p. vi.)

65 Réalisme, no 2, p. 114.

66 Lusage moderne est de ne pas utiliser le pluriel de ladjectif « aucun(e) ». Littré signale toutefois que cette orthographe est « pleinement légitime » et nous la conservons.

67 Réalisme, no 3, p. 221.

68 C, th, introduction, p. ci.

69 En 1865, Duranty écrira dans un compte rendu du Dictionnaire des Antiquités chrétiennes de labbé Martigny : « Nous pensons toutefois quà science égale une main laïque aurait encore mieux fait pour le sujet, parce que le point de vue catholique exclusif borne un peu linterprétation et lanalyse. [] Que représente, en effet, le livre ? Une enquête sur tous les témoignages de la transfusion du paganisme dans le christianisme. Ne nous fournira-t-elle pas à nous aussi des armes plus solides et plus sûres que jamais pour établir que le christianisme na pas été une révélation, mais une modification, une variante, forcée à son heure, des formes que peuvent prendre naturellement les sentiments et les aspirations des hommes ? » (Le Progrès, no 1744, lundi 20 février 1865). Sur lanticléricalisme de Thulié, voir larticle de Coudrelles dans le dossier, appendice II, p. 442-445.

70 Le premier article est intitulé « Matérialisme » (La Revue indépendante, t. 1, mai-octobre 1884, p. 1-4).

71 J. Janin, Almanach de la Littérature du théâtre et des beaux-arts, Paris, Pagnerre, 1858, p. 18.

72 Réalisme, no 2, p. 103.

73 Voir appendice II, p. 395-396.

74 Cité par M. Parturier, « Zola et Duranty », Bulletin du bibliophile, 1948, p. 53.

75 Lettre des imprimeurs de Soye et Bouchet à Duranty, collection Parturier, citée par Crouzet (C, th, p. xxxvi).

76 Id., lettre du 18 juillet 1857, citée par Crouzet (p. xxxix).

77 Champfleury, Papers (1853-1888), Rare book Butler 6th Fl. East, ms. #0208 Manuscript/Archive, Columbia University, New York, Box 1, Notes, 1853-1854, p. 183.

78 Les deux numéros de la Gazette de Champfleury comportent respectivement cent vingt-sept et cent vingt-huit pages de vingt-cinq lignes à cinquante caractères, soit un total denviron trois cent quinze mille signes disponibles ; les quatre-vingt-huit pages de Réalisme comprennent deux colonnes de soixante-cinq lignes à soixante caractères, soit un total denviron six cent quatre-vingt-cinq mille signes disponibles.

79 E. Pittore, « Réalisme », Uylenspiegel, 14 juin 1857, 2e année, no 20, p. 2.

80 Voir appendice II, p. 445.

81 Pittore, art. cité.

82 Appendice II, p. 394.

83 Appendice III, p. 451.

84 « Le Roman », Pierre et Jean, op. cit.

85 G. de Maupassant, « Lévolution du roman au xixe siècle », Revue de lExposition universelle de 1889, octobre 1889 (Chroniques, Paris, Librairie Générale Française, Le Livre de Poche, « Pochothèque », 2008, p. 1526).

86 P. Alexis, « Christophe Colomb », Le Réveil, dimanche 11 novembre 1883, 7e année, no 315.

87 Alexis les présente comme « les cinq grands noms, les glorieux morts, qui sont les cinq bailleurs de fonds intellectuels, les inspirateurs, les véritables fondateurs de Trublot » (no 1, p. 2). Alexis, qui déclare vouloir fonder le « grand parti naturaliste » (no 2, p. 21), reconnaît également « quatre leaders » vivants : Edmond de Goncourt, Émile Zola, Jules Vallès et Alphonse Daudet (no 1, p. 10).

88 É. Zola, Le Bien Public, 8 avril 1878 (Œuvres complètes, Paris, Nouveau Monde Éditions, t. 10, 2004, Les Romanciers Naturalistes, « Les Romanciers contemporains », chapitre ii, p. 601).

89 É. Zola, « Revue dramatique et littéraire » consacrée à Réalisme, Le Bien Public, 22 avril 1878 (voir lappendice II, p. 446).

90 Appendice II, p. 396. – Duranty écrivait en 1876 : « La haute littérature dart contemporaine est réaliste. Celui qui écrit ces lignes a contribué à déterminer ce mouvement dont il a été lun des premiers à donner la nette formule esthétique il y a près de vingt ans. » (Duranty, La Nouvelle Peinture. À propos du groupe dartistes qui expose dans les galeries Durand-Ruel, Paris, E. Dentu, 1876, p. 12.)

91 Duranty, Le Malheur dHenriette Gérard, Paris, Charpentier, 1879 (réédition), « Avertissement de lauteur ».

92 La revue Études françaises a consacré un numéro spécial à lannée 1857, « un étonnant millésime » au cours duquel « sexposent les grandes tensions qui structurent le champ littéraire au long du xixe siècle » (1857. Un état de limaginaire littéraire, revue Études françaises, numéro préparé par Geneviève Sicotte, Les Presses de lUniversité de Montréal, vol. 43, no 2, 2007, p. 6 et p. 9).

93 Voir en particulier Pierre Bourdieu, « La conquête de lautonomie », Les Règles de lart. Genèse et structure du champ littéraire [1992], Paris, Seuil, « Points essais », 1998.

94 Amiel, op. cit., p. 18.

95 R. Ricatte, La création romanesque chez les Goncourt, Paris, Armand Colin, 1953, Introduction, p. 21.

96 P. Martino, op. cit., p. 136.

97 Soulignons un regain dintérêt récent pour lœuvre critique et narrative de Champfleury : voir La Fantaisie post-romantique, Jean-Louis Cabanès et Jean-Pierre Saïdah (dir.), Presses Universitaires du Mirail, 2003 ; Gilles Bonnet (dir.), Champfleury écrivain chercheur, Honoré Champion, 2006 ; Sara Pappas, « The Lessons of Champfleury », Nineteenth-Century French Studies, Fall-Winter 2013-2014, vol. 42, no 1 et 2. Il nen va pas de même pour Duranty, que la biographie pourtant remarquable de M. Crouzet (Duranty, op. cit.) na pas réussi à réhabiliter.

98 É. Henriot, Réalistes et naturalistes, Paris, Albin Michel, 1954, p. 263.

99 Léon Deffoux, « Le fils de Prosper Mérimée : Edmond Duranty », LŒuvre, 7 janvier 1936. – Parmi les nombreuses inexactitudes concernant la revue ou son directeur, celle qui consista à faire de Duranty le fils de Mérimée eut la vie dure.

100 Mentionnons simplement Thibaudet, dans son Histoire de la littérature française (Paris, Stock, 1936, p. 365), ou P. Martino, qui pense quune douzaine de collaborateurs travaillaient à Réalisme et que le no 0 a été publié (op. cit. p. 86 et p. 88).

101 M. Blanchot, « Chroniques de la vie intellectuelle. Les Malheurs de Duranty », Journal des Débats, no 751, 24 juin 1942. Blanchot se contente de reprendre les erreurs de Thibaudet (voir la note précédente).

102 Paris, éditions de lArche, 1970, fac-similé des documents conservés à la Bibliothèque de lInstitut de France (voir la note ci-dessous).

103 Le texte intégral de Réalisme a été récemment mis en ligne sur le site Gallica de la BNF.

104 Bibliothèque de lInstitut de France, fonds Spoelberch de Lovenjoul, « Réalisme – 1856-57 », D 767. Nous plaçons à la fin le no 0 (appendice I) ainsi que la quasi-totalité des coupures de presses rassemblées par Jules Assézat (appendice II ; nous avons supprimé celles qui nont pas de lien direct avec Réalisme).

105 Il convient de rendre un hommage tout particulier à Marcel Crouzet pour ses travaux sur Duranty : sa biographie de lauteur, ainsi que la thèse complémentaire de doctorat (malheureusement restée inédite) quil a consacrée à la revue Réalisme ont été indispensables à la réalisation de cette édition.