Aller au contenu

Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Mélodrames. Tome VI. 1815-1818
  • Pages : 9 à 11
  • Collection : Bibliothèque du théâtre français, n° 103
  • Thème CLIL : 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
  • EAN : 9782406158776
  • ISBN : 978-2-406-15877-6
  • ISSN : 2261-575X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15877-6.p.0009
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 22/05/2024
  • Langue : Français
9

avant-propos

Les années 1815-1818, couvertes par ce sixième tome, constituent une période de transition dans la carrière de Pixerécourt, qui se voit désormais malmené par une partie de la critique dramatique. Son ralliement à la monarchie restaurée, assumé dès 1814 avec Charles le Téméraire, mélodrame aux accents antinapoléoniens1, lui vaut les attaques féroces des opposants au nouveau régime. Associé aux ultras, lauteur peine à faire représenter ses mélodrames, au point quil choisisse de recourir à lanonymat. Le pseudonyme « M. Charles », quil utilise pour les deux mélodrames joués en 1816, ne parvient toutefois pas à lépargner des fureurs de la cabale. Les premières représentations sont lenjeu daffrontements violents entre ultras et libéraux, et le théâtre de la Gaîté doit endosser les frais engagés pour des pièces qui tiennent laborieusement laffiche.

Christophe Colomb ou la Découverte du Nouveau Monde (1815), pour lequel la paternité de Pixerécourt a été dévoilée et où lattraction du public est assurée par la construction dun imposant décor représentant le pont dun navire, réussit difficilement à être joué 48 fois. Le Suicide ou le Vieux Sergent (1816), mélodrame au royalisme affiché que Pixerécourt choisit de produire sous couvert danonymat, fait un four mémorable de telle manière que lauteur envisage la fin de sa carrière. La pièce, bruyamment sifflée lors de la première et rapidement remaniée en deux actes, est retirée de laffiche au bout de la 24e représentation. Le Monastère abandonné ou la Malédiction paternelle (1816), joué sous pseudonyme, connaît un meilleur sort. Malgré les tumultes orchestrés par les détracteurs de lauteur, le mélodrame reçoit le soutien de critiques qui désormais admettent le caractère infondé des contestations vociférées au parterre pour chaque production nouvelle. Le Monastère abandonné atteint les 267 représentations à Paris et permet à Pixerécourt de renouer 10avec le succès. La Chapelle des bois ou le Témoin invisible (1818), dont le sujet est puisé dans lactualité judiciaire, confirme lapaisement des relations entre lauteur et son public. Le mélodrame est joué 157 fois à Paris. Le Belvédère ou la Vallée de lEtna (1818), qui marque le retour de Pixerécourt au théâtre de lAmbigu-Comique, remporte un triomphe tout aussi exemplaire. La paternité de lauteur reste toutefois masquée jusquau soir de la première représentation.

Les attaques contre la formule du mélodrame pixerécourtien, avec lesquelles lauteur devra désormais composer, se fondent sur deux arguments. Le premier est dordre politique. Le mélodramaturge ne cache nullement son soutien à la couronne. Rédacteur au journal ultra La Quotidienne en 1815, membre de la garde nationale en 1816, il saffiche dans les banquets organisés par la garde royale créée par Louis XVIII et prononce des couplets sur la scène de lOdéon lors dune fête donnée en présence du roi et de sa famille. Jamais explicitement évoquée dans les papiers à charge pour des raisons évidentes de censure, lalliance de Pixerécourt aux Bourbons arme la plume de la presse libérale. Lautre argument quelle fait prévaloir réside dans la promotion dune nouvelle génération dauteurs, empêchée selon elle par lautorité toute puissante de Pixerécourt sur les scènes secondaires. Des pamphlets sont mis en circulation sur les boulevards du Temple et Saint-Martin dont lun dentre eux annonce clairement le motif de lattaque, puisquil sagit dun Jugement définitif et sans appel du tribunal invisible et redoutable, portant déchéance de lusurpateur-mélodramaturge et nomination dun nouveau prince régnant (1815).

Le contexte de réception, certes tumultueux, des cinq mélodrames de ce tome ne doit cependant pas occulter les expérimentations que Pixerécourt sait encore entreprendre. Contraint par une cabale persistante, il décline son écriture mélodramatique sous des formules variées. Dans Christophe Colomb, il travaille la couleur locale jusquà introduire la langue caraïbe dans ses dialogues. Mal reçu par la critique, le procédé nen reste pas moins audacieux et présente les caractéristiques finalement très « modernes » dun mélodrame polyglotte. Avec Le Suicide, pièce à thèse, lauteur évacue les traditionnels personnages-types du mélodrame et intègre, dans Le Belvédère, une toute nouvelle technique de décoration théâtrale, le diorama, mis au point par Louis Daguerre. Dans Le Monastère abandonné, il invente la formule du « mélodrame 11judiciaire », annonciatrice du « drame en habit noir », quil parachève avec La Chapelle des bois. Autant dire que notre édition critique, qui sappuie sur lensemble des documents conservés (manuscrits de lauteur, de la censure, du souffleur, éditions, matériels dorchestre manuscrits), offre un panel intéressant pour apprécier la modernité de lécriture pixerécourtienne à lorée de la Restauration. Les cinq mélodrames de ce tome, dont quatre ont été enrichis de leur musique de scène originale, présentent des dispositifs dramatiques précurseurs, révélant combien Pixerécourt est loin dapparaître comme un auteur suranné, en dépit de limage façonnée par quelques contemporains et perpétuée jusquà nous.

Roxane Martin

1 Voir la « Présentation » de la pièce, par Barbara T. Cooper, dans cette édition (t. 5).