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Classiques Garnier

[Introduction à la première partie]

  • Publication type: Book chapter
  • Book: « Le Sentier de l’exemple ». Morales des histoires tragiques (1559-1630)
  • Pages: 35 to 36
  • Collection: Reading the Seventeenth Century, n° 82
  • Series: Romans, contes et nouvelles, n° 13
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406151111
  • ISBN: 978-2-406-15111-1
  • ISSN: 2257-915X
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-15111-1.p.0035
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 10-11-2023
  • Language: French
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Il y a ainsi, dans lhistoire littéraire, comme dans la nature, des genres ou des espèces dont la fortune et lexistence même sont liées aux circonstances, à un moment précis de leur évolution, et qui meurent de leur victoire. On ne les verra pas revivre ; le fleuve ne refluera pas vers sa source ; le roman historique nest pas une espèce fixe de son genre. Mais il a eu son heure et son rôle []1.

Du haut de nos histoires littéraires, lhistoire tragique peut faire leffet au mieux dune étoile filante, au pire dun feu de paille. Si la conception évolutionniste de Brunetière ne recueille plus les faveurs de la critique, sa description du roman historique semble avoir été taillée pour les histoires tragiques. Dans lhistoire du récit bref en prose, lhistoire tragique ne serait quun épiphénomène voué à une disparition aussi brutale que son éclosion fut fulgurante. Certes, les rééditions tout au long du xviie siècle du recueil de Rosset témoignent dun intérêt persistant pour ces récits, mais à la manière dune queue de comète. À partir de 1630, la production sest considérablement ralentie. Si, en 1644, Camus fait encore paraître un recueil dhistoires tragiques avec ses Rencontres funestes, il avait laissé passer une quinzaine dannées depuis sa dernière contribution explicite au genre2. Les histoires tragiques se diluaient alors dans la chronique historique avec Boitel ou Malingre. Lheure était à la nouvelle espagnole avec Sorel et Segrais. À linstar du roman historique, lhistoire tragique aurait été le produit des circonstances et la transcription littéraire immédiate dune époque particulièrement 36troublée par les guerres et les divisions en tout genre3 : Histoire tragique, histoires tragiques.

Dans lhistoire de la nouvelle, lhistoire tragique ferait office de « genre de transition4 », perdu entre les deux grands massifs de la nouvelle italienne à cadre et de la nouvelle espagnole de facture plus romanesque (puis de la nouvelle historique), entre Boccace et Marguerite de Navarre dune part et Cervantès et Mme de Lafayette de lautre. Quand bien même le « genre » de lhistoire tragique surgit et disparaît avec la rapidité dune mode, sa signification ne sépuise pas dans lénoncé de raisons conjoncturelles (historiques et commerciales) qui ont accompagné son apparition et son développement. Plus quune descendante frénétique et dégénérée de la grande tradition de la nouvelle5, lhistoire tragique nous paraît exprimer et révéler une tendance forte de la nouvelle : sa dimension exemplaire. Une réinscription de lhistoire tragique dans le temps long de la nouvelle et de lexemple permettra de mieux circonscrire la singularité dune formule.

1 Ferdinand Brunetière, Honoré de Balzac, 1799-1850, Paris, C. Lévy, 1906, p. 17.

2 Les Spectacles d horreur et LAmphithéâtre sanglant sont les seuls recueils avec LesRencontres funestes que Camus qualifie dhistoires tragiques. Pour un historique des histoires tragiques et lexplication du choix des œuvres retenues voir le chapitre « Histoire et types dhistoires tragiques ».

3 Cest la thèse de S. Poli dans « Autour de Rosset et Camus : lhistoire tragique ou le bonheur impossible », Littératures classiques, 15, octobre 1991, p. 29-39 et celle de L. Sozzi, quoique plus mesurée, dans L“histoire tragique” nella seconda metà del Cinquecento francese, op. cit.

4 Expression que F. Brunetière réserve au roman historique (Honoré de Balzac, 1799-1850, op. cit., p. 16).

5 Sur la valeur illégitimante de lappellation de « frénétique », voir Anthony Glinoer, La Littérature frénétique, Paris, PUF, 2009, p. 29-160.