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Classiques Garnier

Avant-lire

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Avant-lire

Le premier volume de ce recueil rassemblait les écrits de presse proprement dits.

Ce second volume regroupe préfaces, prospectus, discours et rapports académiques, articles de dictionnaires et d’encyclopédies.

Ainsi que nous le soulignions dans notre présentation générale, la rédaction des préfaces et prospectus est une pratique conventionnelle de la librairie romantique : lorsque le texte n’en est pas dû à l’auteur de l’ouvrage, au rédacteur de la revue, à l’élément moteur de l’entreprise, on fait appel à un grand nom, qui affecte ainsi contre rémunération de prendre sous sa protection le nouveau-né.

« Les préfaces et les articles de journaux sont aujourd’hui deux spécialités très productives pour l’homme de lettres1, » écrit malicieusement Quérard, tandis qu’il reprend son souffle entre deux colonnes de contributions nodiériennes.

Mais s’il trouve un appréciable complément de revenus dans cet exercice tarifé, l’écrivain Nodier ne prostitue pas pour autant sa plume.

Bien qu’il s’en défende, et prétende ignorer « à quoi peut servir une de [s]es préfaces », ou se déclare « persuadé de l’inutilité radicale de ces petites élucubrations préliminaires2 », Nodier, souvent sollicité, n’accède à la demande que lorsque celle-ci lui offre chance de s’exprimer en faveur d’idées qui lui sont chères, qu’il en reste aux domaines purement littéraire ou lexicologique, ou qu’il dévie vers l’histoire, la politique ou les sujets de société.

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On ne rencontrera donc parmi les textes ici rassemblés aucun écrit conjoncturel ; ou plutôt, l’apparente conjoncture est chaque fois subvertie, mise à profit pour rappeler l’attention sur un sujet qui importe : l’introduction à la Biographie des Femmes auteurs contemporaines françaises est en 1836 un exemple particulièrement frappant de ce procédé, tant le texte de Nodier outrepasse, et par son étendue, et par sa qualité, ce que les éditeurs étaient en droit d’attendre. Certes, qu’allait-il faire là ? s’interrogèrent sans doute les lecteurs et lectrices de cette publication mondaine.

Pour ce qui regarde les travaux académiques de Nodier, c’est délibérément, comme nous nous en expliquions dans la présentation générale, que nous nous en sommes tenus à un très petit nombre de textes. Les écrits académiques, manuscrits et imprimés, nécessitent de par leur caractère lexicographique très spécifique d’être rassemblés en tant que tels ; c’est à cette tâche que s’est astreint Henri de Vaulchier, aux travaux duquel on se reportera avec fruit3.

Nous avons cru toutefois que nous ne sortirions pas du cadre que nous nous étions fixé en accueillant ceux-là de ses travaux académiques que Nodier jugea bon d’être communiqués à un public plus large que celui des quarante immortels, et divulgua conséquemment par voie de presse.

Si le discours de réception de 1833 est un excellent exposé de la philosophie littéraire et historique du nouvel académicien, le discours sur les prix de vertu, si anodin qu’il puisse paraître, traduit éloquemment la considération portée par Nodier au sort des misérables de son temps, et sa conviction de la grandeur morale innée des classes populaires : George Orwell ne parle-t-il pas, un siècle plus tard, de common decency ?

Quant au rapport sur les termes d’arts et métiers, sa publication dans une revue largement diffusée établit une fois de plus qu’aux yeux de l’écrivain, la langue n’est pas seulement affaire

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de spécialistes, mais prend sa source et sa justification dans la rue. Et c’est là, hier comme aujourd’hui, une opinion hautement subversive !

Enfin, les articles de dictionnaires et d’encyclopédies ne sont aucunement des rogatons. Outre que Nodier donna parfois, comme à la sauvette, dans ce cadre peu valorisant des écrits longuement mûris qu’il n’était pas parvenu à mettre au jour dans des conditions plus favorables, comme l’article « Langue française » du Dictionnaire de la Conversation, il a aussi souvent saisi l’occasion que lui procurait le hasard alphabétique pour livrer l’état final de textes auxquels il accordait un très grand prix, telles les notices consacrées à Grainville ou à la littérature illyrienne.

Ce nouvel ensemble constitue donc le complément naturel et indispensable des écrits de presse.

[1]La France littéraire, t. VI, 1834, p. 428.

[2] Lettre à Alissan de Chazet, reproduite en tête du tome I des Mémoires, Souvenirs, Œuvres et Portraits, Paris, Chez Postel, Éditeur, Allardin, Just Texier, Dentu & Delloye, 1837.

[3]Corpus des écrits métalexicographiques de Charles Nodier, 1808-1842, Textes établis, présentés et annotés par Henri de Vaulchier, Paris, Champion, 2008, 596 p.