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Classiques Garnier

Taking oneself for God A technological ambition?

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Études digitales
    2018 – 1, n° 5
    . Religiosité technologique
  • Author: Chopplet (Marc)
  • Abstract: The phrase “playing God” is regularly used against scientific and technological work in the fields of life science and healthcare. Conversely, some movements such as transhumanism claim to be a new religion. This twofold summoning of religion interpellates us in Western societies where religious references, with some exceptions, tend to be missing. What does it reveal? What meaning does one give it? How does one explain it?
  • Pages: 29 to 52
  • Journal: Digital Studies
  • CLIL theme: 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
  • EAN: 9782406092902
  • ISBN: 978-2-406-09290-2
  • ISSN: 2497-1650
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09290-2.p.0029
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 08-13-2019
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
  • Keyword: Transhumanism, religion, technologies, imaginaries, society
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Se prendre pour Dieu

Une ambition technologique ?

Nous navons fait jusquà présent que compromettre lœuvre de la création. Ah ! si nous pouvions la détruire ! Et sur ses ruines, édifier, comme créateurs le paradis terrestre,

le second paradis, en triomphant du péché, de la douleur et de la mort.

Un monde qui naîtrait et qui existerait seulement grâce à nous []

À quoi se réduisent tous nos tourments sinon au regret de nêtre pas Dieu []

Emil Cioran, Le livre des leurres.

En 1945, le biologiste Jean Rostand affirmait : « la visée ultime de la biologie doit être la création artificielle dune substance ayant toutes les propriétés de la matière vivante1 ». En 1958, Hannah Arendt sinterrogeait, dans le prologue à la Condition de lhomme moderne, pour savoir si, après le refus dun Dieu-Père au commencement de lépoque moderne, celle-ci ne sachèverait pas par « la répudiation plus fatale encore dune Terre Mère de toutes créatures vivantes2 ? ». Ces réflexions prolongent à leur manière laphorisme en exergue dEmil Cioran de 1936. Elles parlent, dans trois registres différents et à des dates assez éloignées, de lingénierie du vivant et de la quasi-certitude quelle est inscrite dans notre histoire comme un rêve ou un cauchemar dautonomie et de liberté ; voire comme une fin ultime. Deux de ces citations font référence à Dieu.

Il peut paraître étonnant de trouver aujourdhui, à propos de travaux dans le domaine des sciences et technologies du vivant qui nont a priori 30nul besoin de la religion, de nombreux discours issus du secteur des sciences humaines et sociales mais également des Églises et des médias, qui pointent et dénoncent ce quils considèrent comme des tentatives de se substituer à Dieu et comme hubris de notre temps. Cest ainsi que lexpression « se prendre pour Dieu » fut utilisée en 2010 lors de la création, par le biologiste-entrepreneur américain Craig Venter, de la première cellule obtenue par linsertion dun chromosome artificiel dans une bactérie préalablement débarrassée de son ADN dorigine. Elle réalisait, dune certaine manière, la prophétie de Jean Rostand. Lexpression faisait déjà partie du vocabulaire de chercheurs éminents revendiquant cette puissance nouvelle3. Elle fut encore au cœur dune conférence de bioéthique organisée en 2015 à Paris et le titre dun colloque sur la médecine reproductive de la Conférence des Églises Européennes (KEK) en février 20184. Si la procréation est un domaine névralgique car il concerne notamment les institutions du mariage et de la famille5, cest, en fait, tout le domaine des recherches potentiellement les plus risquées aux applications parfaitement maîtrisées, qui se trouve sous le feu de ces analyses et de ces critiques.

Que lagir technologique suscite de nombreuses réactions et réflexions, quoi de plus normal. Toutefois, la particularité du recours à cette expression est de les inscrire demblée dans le champ des rapports au 31sacré. Lhorizon du faire humain est celui du divin. Inversement, si au sein de la communauté scientifique (américaine notamment mais pas uniquement) lidée de Dieu est parfois avancée, de quel Dieu parle-t-elle ? Sommes-nous face à une religiosité particulière pour penser lavenir dans ce domaine ? Au besoin de réaffirmer des dogmes et principes à caractère religieux face à ce qui est considéré comme dérive et violence ? Sagit-il dimages un peu superficielles (la science-fiction est souvent convoquée et constitue même une source de la pensée transhumaniste6 !) sappuyant sur un fond de croyances populaires, dimaginaires où, pêle-mêle se répondent les mythes de Prométhée, de Pandore et de Lucifer, le mauvais ange ? Darguments faisant feu de tout bois au mieux des intérêts de communautés constituées et de groupes mondialisés sappuyant sur un même « culte » de la technologie ? Sagit-il dune paresse des esprits trouvant plus aisés de recourir à ces matrices conceptuelles que den inventer de nouvelles ? Ou de préoccupations profondes et récurrentes concernant les pouvoirs de lhomme sur lui-même et son avenir ?

Cette situation peut paraître dautant plus surprenante quon assiste depuis plusieurs décennies dans les sociétés occidentales à une perte des références religieuses7 (qui à linverse peuvent en réaction entraîner des formes de radicalisme violent), et à une survalorisation du présent. Elle coïncide avec une montée de lindividualisme et de formes de narcissisme8 disqualifiant tout passé dont lévocation est considérée comme nostalgie ; tout en préférant ne pas se projeter dans le futur. Ce qui se joue avec linterpellation de la technologie par la religion sapparente-t-il à une remise en perspective temporelle, à un retour du temps dans cette matrice de la présence, ou à un bégaiement ? Résistance et dénonciation du progrès ? Requalification des débats ? Phénomène marginal ?

Pour aborder ce vaste champ, je partirai dans une première partie de lexpression populaire « se prendre pour Dieu » pour tenter, au-delà même des contenus, den comprendre la logique dans lespace 32occidental et notamment Européen marqué par le christianisme. Ma deuxième partie proposera, à partir dun bref rappel généalogique, de cerner lespace nouveau des interactions entre science, technologie et religion, ainsi que les notions qui sy trouvent mobilisées, en particulier aux États-Unis. Enfin, une troisième partie sintéressera aux travaux récents sur le cerveau numérique, le transhumanisme et la notion de convergence technologique entre les nanotechnologies, les biotechnologies, linformatique et les sciences cognitives (NBIC) où les annonces dune « nouvelle religion » ont pu être faites.

Religion Et Rhétorique

Rhétorique, lexpression « se prendre pour Dieu » désigne un espace de confrontation, « un lieu doù lattaque doit partir » pour reprendre la formule Aristote9. On pourrait dire en loccurrence quil sagit du lieu (quil décrit dans les Topiques au Livre III, 1 116b 10-15) qui constitue une réserve de « lieux communs10 » fournis par la religion. Dès lexpression initiale, lespace du débat est balisé. Il sinscrit dans une configuration culturelle et civilisationnelle, sancrant dans lautorité de lhistoire des idées, de la religion et des mœurs dune société donnée. Revendiquant lexistence dun « ordre naturel » dont il serait le garant, il postule un auditoire universel à même de comprendre immédiatement, sans explication complémentaire.

Si, avec Michel Foucault, on considère que trois matrices se partagent la pensée morale de lOccident11, lexpression « se prendre pour Dieu » sy enracine à lévidence dune manière presque naïve. Elle est partie prenante de « la matrice des deux voies » qui trace une opposition marquée entre le bien et le mal. Elle participe de la considération dune « chute » originelle et du débat moderne quon fait remonter à Descartes et à son objectif de se rendre « comme maître et possesseur 33de la nature ». Enfin, elle apparaît comme « souillure » dont il sagit de se laver et de se protéger car elle entraîne immanquablement châtiment, catastrophe ou apocalypse.

Largument est en rapport avec laction. Se prendre pour Dieu cest agir (ou avoir la tentation dagir) dune certaine manière, que ce soit à travers les objectifs quon se donne ou les moyens mis en œuvre. Lexpression laisse entendre quil y aurait des modes dêtre et dagir non conformes à ce que peut, ou ce que doit, être laction humaine et ses conditions dexercice. Cette idée est au cœur du Droit (et du Droit international notamment) qui condamne des comportements et des pratiques. Toutefois, même sil en constitue à lévidence la visée sous-jacente, nous ne sommes pas ici dans le domaine du Droit, mais dune éthique de laction de nature conséquentialiste : quelles conséquences les actions de personnes qui se prendraient pour Dieu auront-elles et, surtout, quels risques font-elles courir pour soi et les autres, maintenant et dans lavenir ? Le terrain de confrontation concerne la maîtrise de lavenir et le contrôle politique du temps social. Lexpression entend en souligner fortement le caractère violent, usurpateur et lampleur de la crise générée. Le terrain recherché est celui dun rapport de force vis-à-vis du développement technologique et de ses applications impactant notamment la production, les marchés et la sphère institutionnelle du politique.

Si lexpression semble relever dune forme de sectarisme – et cest souvent une interprétation avancée par les opposants – cette accusation peut être renvoyée dun groupe à lautre. Lopposition néclaire rien, sinon des jeux dacteurs. Et cest bien une dimension communicationnelle de ces débats qui apparaît au-delà des principes. Lexpression fait image. Elle produit un écho fort dans une culture du moi qui trouve les individus en quête de reconnaissance, préoccupés de leur survie physique ou affichant un certain cynisme. Lexpression rejoint alors les prises de positions et les discours de certains scientifiques avides de notoriété, fut-elle sulfureuse, et des retombées financières qui pourraient en résulter.

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La recherche dun cadre politico-juridique

Si les figures du démiurge et du thaumaturge peuvent être associées à Dieu, ces caractéristiques semblent devenir peu à peu celles des technologies du vivant. En décalage par rapport à lagir humain habituel (mais cette notion a-t-elle un sens ?), leur mode dexistence apparaît, de facto, comme violence par rapport au monde humain ou, du moins, comme parti prenante dun rapport à la vie et à la mort. Glissement de sens, dautant plus aisé que les techniques à travers les âges furent étroitement associées aux armes et aux systèmes de défense et dattaque. Le caractère stratégique de la technologie est alors lié à sa nature : moins « darraisonnement » soumettant la nature à la raison, que dexternalisation de passions mettant en jeu les corps, la vie et la mort comme arrière-plan de tout développement. Ce que lexpression désigne cest moins la raison que les passions qui peuvent semparer du développement technologique ou dont il est peut-être lenjeu. Et, en effet, lusage de cette expression nest pas spécifique. Il sapplique à différentes situations de recherches scientifiques et technologiques. Il vise une attitude générale, une crainte diffuse mais forte vis-à-vis de comportements considérés comme dangereux. Signe quil véhicule surtout une représentation générale ambiguë et méfiante de la recherche, des scientifiques et des technologies qui trouve son expression ultime dans des scénarios catastrophes.

La réponse institutionnelle passe alors par la réaffirmation de principes et de valeurs devant servir de guide à laction qui se cristallise dans le principe de précaution, lui-même entendu comme guide des pratiques dans un environnement incertain. Il est généralement présenté comme moyen déchapper à lenfermement des débats religieux jugés sectaires tout comme aux passions et à leurs effets délétères.

Ce principe lui-même nest pourtant pas exempt de connotations religieuses comme je lai montré dans les dimensions religieuses du principe de précaution12. Si on le fait généralement remonter juridiquement au 35concept anglais de « devoir dattention » (duty of care) de la Common Law ou à la tradition germanique de vorsorgeprinzip, lhistoire même de sa reconnaissance au plan international, souligne cette présence du religieux en filigrane. Les Conférences des Nations Unies sur lenvironnement qui en favorisèrent lémergence étaient profondément travaillées par différents courants spirituels et humanistes. Mouvements dautant plus forts quils rencontraient, et rencontrent encore, de puissants courants de pensée au sein des Églises chrétiennes qui sinterrogent sur la tradition judéo-chrétienne de domination sur la nature et affrontent une crise des valeurs quelles jugent générales. Le principe de responsabilité de Hans Jonas, quon a également interprété comme précurseur philosophique du principe de précaution, nest pas non plus sans rapport et ancrage dans une réflexion théologique13.

On se situe clairement dans un espace dargumentation large et fortement connoté, y compris dans les principes laïcs de laction proposés à travers le principe de précaution qui fait aujourdhui jurisprudence. Il sagit dun espace sappuyant sur les religions traditionnelles et sur différents courants qui en sont issus, mais surtout dun espace politique mondialisé en appelant à des arbitrages. Situation peu nouvelle, mais dont lampleur, les ramifications et les moyens dexpression placent les opinions publiques en position darbitrage potentiel entre ce qui ressemble fort à des utopies14, y compris celle de la « santé parfaite15 ».

Présent et dénié, le religieux occupe vis-à-vis de la technologie dans les domaines de la vie, de la santé et des corps, une place particulière. Non plus une référence agissante, un pouvoir ou contre-pouvoir comme ce fut longtemps le cas, mais lexpression dune crainte portant sur le franchissement dinterdits et générant un espace instable dinquiétudes larvées qui à la fois interpelle le politique mais, dans le même mouvement, le rejette. Double mouvement dattraction et de répulsion où le politique inscrit ses pas dans des concepts issus de la théologie tout en en 36déniant lorigine, tandis que les communautés en appellent à lautorité du politique tout en exprimant un profond scepticisme sur sa capacité non seulement à agir, mais à comprendre les enjeux quelles perçoivent. La technologie et la religion sont dès lors partie prenante lune de lautre et radicalement séparées. Elles partagent le même terrain daffirmation de leurs différences et la même accusation réciproque de violence au fil dune histoire longue que chaque nouvelle découverte réactualise mais qui, dans le même temps, est marquée par leffacement du religieux comme le souligne en Europe lévolution des lois de bioéthique.

Généalogie des imbrications
entre concepts scientifiques, philosophie
et représentations religieuses aux États-Unis

En donnant une place centrale à la notion de mutation, la génétique du début du xxe siècle a profondément modifié le regard porté sur la nature et la transmission des caractères héréditaires. On doit cette découverte au botaniste Hugo de Vries qui observe des changements brusques au sein de générations dœnothères à grande fleur (Œnothera Lamarckiana) et formule une théorie16 qui va devenir le concept central des théories de lévolution. Le physicien Erwin Schrödinger, qui sera à lorigine dune conception nouvelle de la vie comme système de communication et de transmission dinformations, y verra plus tard léquivalent, dans le domaine de la biologie, de la théorie quantique en physique17. Cest en vérifiant cette théorie pour le règne animal que Thomas Hunt Morgan (Prix Nobel en 1933) propose la théorie du gène qui lui semble permettre de « prévoir, avec une très grande précision ce qui arrive dans nimporte quelle situation donnée18 ». Son élève, Hermann Joseph Muller (prix Nobel de Médecine et de Physiologie en 1947) réalise un pas de plus en découvrant que différents agents (rayons 37gamma, ultraviolets, particules α et β, etc.), peuvent augmenter de 100 à 200 % les taux de mutations. Dabord controversée, cette découverte ouvre la porte à la recherche systématique de substances mutagènes et à lexploration élargie de leffet des mutations sur les organismes vivants19. Elle permet en outre de développer tout une série darguments radicaux jouant sur les peurs et renouvelant les débats sur leugénisme. La mise en œuvre dune ingénierie des mutations devient un élément constitutif de la logique de la découverte scientifique, mais également un nouvel instrument révélant la nature des organismes et les dangers qui les guettent.

Cest dans ce contexte scientifique que le directeur de la division des sciences naturelles de la Fondation Rockefeller, Warren Weaver, donne en 1938 le nom de « biologie moléculaire » au programme de recherche qui va constituer pour la Fondation et lInstitut Caltech le cœur de leur ambition : créer une nouvelle science de lhomme entre science naturelle, médecine et science sociale. Lobjectif est clair : il sagit de développer une science globale du contrôle social et une base rationnelle dingénierie humaine20. Ce nouveau paradigme sappuie sur un consensus entre les Fondations et les élites académiques. Il est soutenu par un système de financement et de partage du pouvoir mais surtout se fonde sur une synergie forte entre culture daffaire et éthique protestante.

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Paradigme communicationel du contrôle,
réductionnisme et ingénierie

La biologie de synthèse (SynBio) – qui se propose délaborer des systèmes biologiques fonctionnels qui nexistent pas dans la nature – est lhéritière de ces travaux21. Elle sappuie sur un ensemble de techniques qui a bouleversé en profondeur le champ de la recherche et a permis le développement dune ingénierie du vivant qui a pris le nom de biotechnologie à la fin des années soixante-dix. Il sagit notamment des outils de transformation génétique (transcriptase inverse dans les années soixante-dix, CRISPR-Cas9 en 2012), de la PCR (Polymerase Chain Reaction) et du clonage moléculaire. Ils ont rendu possibles la multiplication in vitro de séquences génétiques, puis, dans une relation toujours plus étroite entre informatique et biologie, le séquençage dADN qui a conduit au séquençage du génome humain et à celui de nombreux organismes. De nouvelles voies de recherche souvrent, non seulement dans la recherche de « biobriques », la synthèse de systèmes complexes ou le design de voies métaboliques à des fins dapplications techniques, mais également en xénobiologie. En même temps, et malgré les effets médiatiques quelles provoquent, il sagit encore de recherches émergentes qui sapparentent parfois à une sorte de culture du bricolage plus quà des formes standardisées de production. Certains nhésitent pourtant pas à parler de lHomme-Dieu22, redisant à leur manière ce que dautres conceptualisaient bien avant eux.

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Dans ce cadre, « se prendre pour Dieu » ne constitue pas, sauf exception pathologique, une intention ou une volonté mais une rencontre préparée par les théories scientifiques, autant que religieuses et philosophiques, qui en déploient les possibles23. Si lexpression relève de linterprétation et de la rhétorique, en tant que rencontre, elle souligne, sur le terrain de lagir, le franchissement de limites, de frontières, de principes quon tenait hier encore comme intangibles, assurés, voire fondateurs. Un exemple nous est donné par le « dogme central de la biologie moléculaire » de François Jacob et Jacques Monod qui dans les années soixante-dix fixait limpossibilité dintervenir au niveau de lADN.

Ce phénomène, que la recherche scientifique renouvelle régulièrement, pose un double ordre de questions : quelle plasticité de nos schèmes de pensées qui structurent nos croyances, nos comportements, nos identités individuelles et sociales face au fait scientifique ? Quelle analyse philosophique porter à la fois sur lévénement dans sa singularité et sur son impact dans sa généralité ? Se prendre pour Dieu est alors une expression qui ne dit rien (sauf pour un croyant) sur la relation de lhomme à Dieu, mais qui se révèle paradigmatique dans une herméneutique de la double relation de lhomme à lui-même (obsolescence de lhomme, fin de lhumain, inhumanité, etc.) et à la technologie.

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Un point dhistoire des religions :
les États-Unis et les églises
unitariennes et universalistes

À cette histoire très résumée des recherches biologiques, il convient dajouter celle moins connue (en tout cas en France) des évolutions et transformations du protestantisme importé en Amérique par les premiers colons. Notamment des mouvements unitariens et universalistes qui se développent en Nouvelle Angleterre à la fin du xviiie et au début xixe siècle. Ils véhiculent des conceptions de Dieu, de la nature et de lhomme très différentes des conceptions européennes et rendent possible, sans heurt et sans délais, laccueil des travaux de la nouvelle biologie. Un historien des religions américain24 a pu parler à leur sujet de « Réforme américaine », aussi importante que celle de Luther et Calvin. Leur épicentre fut Boston, au cœur du pouvoir culturel et politique de la jeune démocratie américaine.

Le premier mouvement est issu dun schisme au sein de lÉglise calviniste des premiers émigrants organisée en congrégations. Au début du xixe siècle, certaines dentre elles commencent à discuter les dogmes (de la Trinité et du Péché) au nom de la raison. Elles vont provoquer la création de deux courants : lun orthodoxe ou « évangéliste », lautre « libéral » ou « rationaliste ». Ce second courant finira par semparer dun des bastions du calvinisme orthodoxe : la Kings Chapel de Boston. Dans un sermon prononcé le 5 mai 1819, le Pasteur William Ellery Channing25 (1780-1842) en fixe les principes : Dieu et la raison ne sont pas opposés mais liés ; la raison veut que lon se préoccupe dabord dautrui et de la société. Cest à la suite de cette profession de foi que les « libéraux » vont prendre le nom dunitariens.

Le second mouvement, appelé à lorigine latitudinaire, devient « universaliste » en Grande Bretagne avec John Murray (1741-1815). Celui-ci 41émigre aux États-Unis et fonde en 1779 la première église universaliste. Il sagit dun mouvement plus évangélique que le premier. Il possède toutefois les mêmes racines calvinistes et adhère aux mêmes valeurs de tolérance. Il considère notamment que tous les hommes, quelles que soient leur origine et leur religion, peuvent être sauvés. Ces deux mouvements poursuivront des chemins parallèles et finiront par créer ensemble le Conseil des Églises Libérales (1953) puis par fusionner en 1961 pour donner naissance à lAssociation Unitarienne Universaliste qui réunit à la fin du xxe siècle environ 1 000 congrégations aux États-Unis.

Cette histoire des religions, rappelée ici très schématiquement, naurait quun intérêt limité pour notre propos si des chercheurs et ingénieurs, comme Raymond Kurzweil, un des théoriciens du mouvement transhumaniste, nexprimait clairement son appartenance à lÉglise unitarienne26.

Les bases théologiques
et philosophiques de lÉglise unitarienne

À lorigine, le mouvement unitarien se caractérise par un refus des règles dogmatiques du calvinisme puritain. Il va traverser, à la fin des années 1830, une crise grave qui le transforme en une utopie sociale prosélyte.

Lauteur de cette crise est un pasteur unitarien, philosophe et essayiste Ralph Waldo Emerson (1803-1882) qui, dans une intervention au Collège de Théologie de Cambridge27 en 1838, pointe deux « erreurs ». La première est de confondre la religion et le rituel en personnalisant à lexcès la figure de Jésus. La seconde, qui en est la conséquence, consiste à considérer la Révélation comme si Dieu était mort. À ces erreurs il faut, selon lui, opposer lévidence de la présence de Dieu dans les lois de la nature et dans 42lâme de chacun. À la raison, il faut opposer lintuition dune relation toujours possible et immédiate. Enfin, au caractère exceptionnel que les Églises confèrent aux miracles, il faut répondre par lidée de miracle permanent. Cet élargissement des principes unitariens, en deçà et au-delà de la profession de foi de Channing, renforce « lunité » de Dieu et rend possible une participation immédiate à cette unité sans le recours au rituel. Ce nouveau courant va prendre le nom de « Transcendantalisme28 ».

Cette vision est tournée vers lavenir. Elle définit moins les termes de la connaissance que ceux de laction. Elle prépare, à travers linfluence des mouvements unitariens et le transcendantalisme, les voies à une conception affirmant sa différence politique et sa volonté dexplorer de nouvelles possibilités, avec lassurance que le perfectionnement est une réalité qui permettra à lAmérique de devenir une nation leader. Pour Emerson (comme pour les fondations et les élites académiques un siècle plus tard) ce destin ne fait pas de doute et peut-être rapidement mis en œuvre29.

William James, dans louvrage quil consacre au début du xxe siècle à lexpérience religieuse30, souligne différentes formes de ce protestantisme libéral et de son optimiste31. Ce qui lui semble important dans ces mouvements cest dune part ce quil appelle le mind-cure (une forme de syncrétisme religieux sappuyant sur « lintuition profonde de la puissante vertu des attitudes optimistes de lâme » et rejetant « tout excès de préoccupation et de précaution ») et dautre part le méliorisme (idée que lévolution universelle va dans le sens dune « doctrine du perfectionnement général »). Sur ce dernier point, il considère dailleurs, dans le dernier chapitre de son livre sur le pragmatisme, que celui-ci « doit pencher » pour le méliorisme32.

43

Quand la religion devient
le télos de la technologie

La religiosité qui sempare de la technologie repose sur trois certitudes : celle dune langue du vivant quil est possible de maîtriser et de « parler » ; celle de fautes matérielles dans les organismes vivants facteurs de maladies, de troubles et de moindres performances ; celle enfin dun monde meilleur possible que la foi rationnelle et lintuition viennent certifier. La puissance mise en œuvre se veut réparatrice mais surtout amélioratrice. Cela peut se faire désormais théoriquement (et la pratique devrait inéluctablement suivre !) par hybridation du vivant et de la technologie. Celle-ci étant devenue « presque » humaine depuis que le vivant est devenu « presque » machine, effaçant des frontières qui ne veulent plus rien dire entre naturel et artificiel, ce dernier devenant une « meilleure » nature que la première. La puissance pour laction des concepts derreur, damélioration et de synthèse a recomposé lespace religieux autour de la technologie et en a fait un des principaux atouts pour agir dans le monde Elle a, parallèlement, engendré une efflorescence dimages davenir où se mêlent étroitement science et sciences-fictions. Avec la technologie, et les imaginaires collectifs quelle génère, le surnaturel qui était auparavant de lordre de divin se concrétise et sinmachinise dans des objets réels. Le miracle, appelé désormais « innovation », est partout et permanent. Il constitue la fin, la cause finale de la technologie.

De manière étonnante, une conclusion temporaire émerge conduisant à voir dans lexpression « se prendre pour Dieu », le lieu dun conflit larvé entre les conceptions antagonistes qui traversent la religion chrétienne et ses différents mouvements, tout autant quentre technosciences et religions. La philosophie analytique, en évacuant toute approche métaphysique pour établir la philosophie comme science, en dénonçant les postulats inscrits dans le langage, a rendu dune certaine manière possible cette situation nouvelle. Comme le soulignait Richard Rorty :

Nous sommes les héritiers de trois cents ans de rhétorique portant sur la nécessité de distinguer nettement entre science et religion, science et politique, science et art, science et philosophie, etc. Cette rhétorique constitue 44le socle de la culture européenne [] proclamer notre loyauté envers ces distinctions ne signifie pas pour autant quelles sont « objectives » et fondées en « raison33 ».

Technologie, nouvelle « ère »
et nouvelle religion

Si les technologies de la communication sont largement investies en amont par des imaginaires librement dérivés de la religion et en aval, dans les usages, par des formes dassujettissements fétichistes, le phénomène est moins présent, voire absent, pour les technologies du vivant où joue pleinement lanticipation de mondes à venir entre apocalypse et nouvel âge dor. Dans leurs rapports aux faits religieux, les prospectives du transhumanisme comme de la convergence NBIC en sont une expression emblématique, car elles révèlent la place accordée à la religion dans la société hypertechnologique quelles annoncent.

Cerveau biologique, cerveau numérique

« Transcender le biologique34 » en constitue lobjectif. Cest ainsi, à partir dune analyse simplifiée du fonctionnement du cerveau « naturel » des mammifères, que Ray Kurzweil, dans How to create a mind35, envisage de concevoir des solutions techniques (reposant sur des concepts mathématiques) afin de rendre plus performant et dune intelligence illimitée le cerveau humain.

Trois principes clés sont mis en œuvre. Deux relèvent dune mimesis du fonctionnement du cerveau biologique, le troisième du développement des technologies digitales qui à la fois permettent cette hybridation, mais 45aussi assurent de la pertinence des orientations des travaux entrepris. Il sagit de la notion de « pattern » (signe, forme régulière, son, idée, etc36.) comme unité minimale pouvant faire lobjet dune reconnaissance par un capteur ; de la hiérarchie et organisation de ces patterns en silos (qui relèvent de lembryogenèse et de lévolution) et, enfin, de la loi du retour accéléré (LOAR) considérée comme élément moteur des développements économiques et technologiques les plus récents… et donc futurs.

Une programmation peut dès lors être envisagée. La première étape est celle de la reconnaissance de patterns, de leur organisation et de leur accumulation simulant les modes dacquisition des connaissances. La deuxième introduit des facteurs dévolution et de sélection par la mise en œuvre dalgorithmes génétiques (GA) capables de sélectionner les « best-solution organisms ». Enfin, le troisième niveau est celui de lextrapolation, de lexpansion exponentielle et du « design », par le système, de sa propre hiérarchie37. Ce troisième niveau est celui de la « singularité technologique », cest-à-dire dune rupture avec le cerveau biologique.

Une partie de la réflexion relève de la spiritualité : présence dune part de « God parameters38 » qui ont orienté certains développements au cours de lévolution et, dautre part, définition des objectifs du cerveau numérique qui est de proposer des solutions allant dans le sens dun monde meilleur39. Cette réflexion croise ici deux espaces spéculatifs. 46Le premier concerne les travaux sur la vie artificielle, ses attendus et ses justifications40. Le second, Leibniz et lidée du meilleur des mondes possibles : ce meilleur des mondes nest pas celui créé par Dieu mais celui que le cerveau numérique pourrait produire !

Cette réflexion rejoint celle du sociologue William Bainbridge, lun des théoriciens de la convergence NBIC41 spécialiste des religions. Pour lui, celles-ci sont des systèmes de compensation42 qui non seulement ont leur place dans une société technologique, mais sont également les seules à même de la rendre possible. Cest ainsi quune « civilisation galactique » némergera quà condition quune « religion galactique », un « ordre cosmique », soit capable de motiver la société43. Si les religions traditionnelles ne sont que des superstitions et des systèmes de compensations surnaturelles que la science met à mal, celle-ci les remplace par de nouvelles espérances :

But look ! I see an eternal land beyond the far rim, where love thrives and deaths sorrow never touches. Let us go there, you and I !

« Mais regarde ! Je vois une terre éternelle au-delà de la frontière, où lamour sépanouit et où le chagrin de la mort ne touche jamais. Laissez-nous y aller, vous et moi ! ».

Il reprend à son compte, dans le contexte du nouveau paradis dune religion cosmique, la célèbre vision de John Winthrop44 de la « cité sur la 47colline », considérée comme fondatrice de la destinée américaine. De son côté, Kurzweil affirmait dans un dialogue imaginaire avec Bill Gates :

Bill Gates : [] your optimism is almost a religious faith. I am optimistic also. Ray : Yes, well, we need a new religion[].

« Bill Gates : [] votre optimisme est presque une foi religieuse. Je suis optimiste aussi. Ray : Oui, eh bien, nous avons besoin dune nouvelle religion []45 »

Singularité, mathématique,
prédictibilité et Dieu

Au cœur de la réflexion de Ray Kurzweil, comme de celle de William Bainbridge, la notion de Singularité constitue lannonce dune nouvelle ère dont ils sont les prophètes46. Cette rupture critique est le pendant exact, la réponse en quelque sorte, des mouvements demandant une évaluation de la technologie et la prise en compte de dogmes établis dans un cadre religieux. Dans un cas, la responsabilité du développement technologique est entière, tout comme les applications qui peuvent en être faites. On se situe dans un espace humaniste intériorisant ces niveaux de contrainte. Dans lautre cas, on se trouve avec la LOAR devant un phénomène autonome dont on peut mesurer la marge de progression – voire les implications pratiques sur un certain nombre de facteurs (économiques, activités, métiers, etc.) – mais qui finalement ne peut être réellement orienté ou qui ne le sera quen fonction de contraintes scientifiques et technologiques rencontrées. De plus, lau-delà du moment 48de la singularité est un état (puisquil sagira dun bouleversement général) irreprésentable, sinon dans les termes généraux dune ou de visions davenir que les valeurs humanistes ne peuvent comprendre et qui, à ce titre, relève dun « transhumanisme » qui possède beaucoup de rapports avec le Transcendantalisme dEmerson.

La seule critique interne possible de ce système de représentation, ne peut porter que sur les prémices et les attendus scientifiques et technologiques au fondement de ces certitudes, et notamment sur les mathématiques qui les sous-tendent. Je ny ferai quune courte incursion qui mériterait de plus amples développements car ils sont essentiels à la critique de la nouvelle religion.

En lisant en parallèle le mathématicien Guiseppe Longo47 et Ray Kurzweil, une question devient centrale : celle de la prédictibilité. Pour Kurzweil il ny a pas de doute : lextrapolation est possible et linéaire. La seule singularité est celle qui fera le saut de lintelligence humaine à lintelligence artificielle (forte). Pour Longo, rien de tel : « si on sen tient au Dieu des dynamiques Laplaciennes, personne, même pas Dieu, il y a 200 millions dannées naurait pu prévoir lévolution des mammifères, ni celles… de leur oreille interne à partir de la double mâchoire de certains reptiles, dont nous parle Gould ». En effet, « limprédictibilité de lévolution darwinienne paraît un acquis bien solide, elle participe de ce hasard dont nous parlent les biologistes ». Ce à quoi il faut ajouter « lindétermination de “lécosystème de linstant suivant” à corréler avec lintrication des niveaux dorganisation, leur criticité et leurs effets de régulation réciproque, y compris avec lenvironnement physique bien évidemment ».

Longo se place dans une perspective cognitive vis-à-vis du vivant et de la pertinence des théories mathématiques mises en œuvre pour le comprendre. Dans cette démarche, la mathématique arithmétique du vivant, qui caractérise une large part des travaux de Kurzweil et quil appelle « principe de preuve », lui paraît réduire cette compréhension car elle ne prend pas en compte les possibilités dune autre approche reposant sur les théories dune géométrisation des mathématiques.

Kurzweil se place lui dans une perspective opérationnelle. Son propos est moins de comprendre (même sil a recours à une conceptualisation du fonctionnement du cerveau), que dextraire de ces connaissances à 49disposition ce qui peut servir à son projet. La LOAR, loi empirique vérifiée sur plusieurs décades, lui garantit, sil avait des doutes, la prédictibilité de ses objectifs quil peut dès lors positionner sur une échelle de temps.

Ces conclusions divergentes sont liées aux conceptions des mathématiques mises en œuvre. Pour Longo, au fondement des mathématiques il y a deux principes : un « principe de construction » qui est géométrique et un « principe de preuve » qui est arithmétique, logique et formel. Ces principes génèrent des conceptions différentes de lespace et du temps : un espace géométrique de genèse des structures dans un cas ; un espace décriture symbolique et un temps de calcul des algorithmes dans lautre cas. Kurzweil en tant quutilisateur de théories mathématiques ne sattache quau principe logique : la prédictibilité des phénomènes est inhérente aux outils de calcul digital utilisés qui étaient déjà ceux de la machine de Turing de 195048.

La Singularité, reposant sur la théorie critique, prend dès lors deux aspects. Soit un événement à venir prédictible, car lié au caractère exponentiel des développements technologiques qui transformera les institutions et tous les aspects de la vie humaine « from sexuality to spirituality », (« De la sexualité à la spiritualité49 »). Soit une spécificité du vivant, dores et déjà présente dans toute vie, qui en rend la connaissance plus difficile ou plus complexe. Dans cette conception la vie même est une « situation critique étendue50 » et la Singularité du vivant est soit une série dinstants critiques, soit continue, jusquà leffondrement de la tension-régulation intérieur-extérieur qui augmente lentropie et conduit à la mort.

La question nest plus dordre moral, elle ne porte pas sur les valeurs conférées à ce que peut être laction humaine ni sur les limites quelle doit ou non se fixer au risque de « se prendre pour Dieu », mais elle relève des théories scientifiques – en loccurrence mathématiques – sur lesquelles sappuyer.

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Éléments de réflexions

Ce parcours pose au moins trois types de questions.

La première concerne lidentification de longue date de quelques-unes des orientations les plus actuelles de la biologie et des biotechnologies. Ce nest pas une nouveauté mais cest clairement un faisceau convergent entre la perception par des scientifiques de leur profession, le regard porté par des philosophes sur la condition humaine après le développement du totalitarisme qui a marqué les années trente et cinquante et engendré une vision pessimiste et cynique des mœurs dune époque. On se situe dans une histoire longue que chaque nouvelle découverte actualise comme une évidence, une fatalité, une route tracée dès lors que les techno-sciences assurent des positions hégémoniques au regard de la production, des services, des marchés comme des idées de progrès matériel et social.

La seconde porte sur les imaginaires. Si les imaginaires de toute puissance sont bien présents dans les recherches comme dans les applications et si la convergence NBIC comme la notion de Singularité en constituent lexpression emblématique, cette situation ne doit pas masquer le caractère spécifique dinterpénétrations des évaluations sappuyant sur des critères religieux et sur des conceptions religieuses dinnovations technologiques. La religion est devenue lopium de la technologie. Un élément de critique mais aussi un de ses moteurs secrets. Sous-jacent, le fait religieux apparaît sinon comme arbitre, du moins comme une dimension que les débats ne peuvent complètement évacuer. Toutefois, à linverse, on pourrait également considérer que la technologie nest pas forcément le point de départ mais un point de rencontre avec des mouvements sinterrogeant sur lhumanisme occidental considéré comme sexiste, impérialiste et anthropocentré où avec des spiritualités nouvelles, New Age, écologiques-vitalistes, orientales, indigènes… qui aspirent à un autre futur dans des sociétés éclatées.

La troisième enfin porte sur la place réelle du religieux dans cette nébuleuse. Là aussi trois dimensions sentrechoquent. Dune part le religieux est marginalisé ; mieux, il est éclaté, agissant comme réservoir darguments, de situations, dimages qui servent à la fois de repoussoir 51et de support organisé didées et de représentations. Dautre part le religieux est exploité comme susceptible de donner du sens, de lhistoire, du symbolique au monde présenté par les technosciences qui en est dépourvu. Marginalisé et dénié dans sa forme traditionnelle, le religieux revient comme espace fictionnel. Enfin, il assure le retour des corps et du temps dans la technologie. Il réintroduit moins du divin transcendant que du sacré immanent. Il aide à penser la vie et la technologie comme démultipliées, diverses, allant des formes naturelles à des formes artificielles à travers toute une graduation. Il a évacué léchelle des êtres qui plaçait lhomme à son sommet pour instituer lhorizontalité dun déploiement foisonnant dans des environnements multiples, du nanomètre aux années-lumière.

Le débat, déplacé sur le terrain du sacré, se confronte à des représentations et des vécus dans le temps. Ainsi lexpression « se prendre pour Dieu », dit à la fois lexistence de temps immémoriaux devant servir de guide à laction présente ou future et la possibilité dune réponse à la surdétermination du temps présent et aux changements incessants dont il est le siège. Un « éternel » présent doit servir de guide au présent. Dieu, maître du temps sy trouve opposé à lhomme, maître du temps présent. De même la prédictibilité Laplacienne se donne pour tâche de contraindre le présent à nêtre quanticipation de lavenir. Le choix décisionnel de linstant sefface dès lors que la preuve est faite que lavenir ne saurait être différent. Les deux aspects de la religion escamotent, pourrait-on dire, le présent, soit par un rappel dun éternel présent auquel doit se conformer le présent, soit en faisant du présent un instant sans consistance déjà tout entier à venir.

La définition fonctionnaliste que donne Bainbridge de la religion comme compensation suppose que la crainte vis-à-vis de lavenir soit une constante anthropologique à laquelle les religions tentait de répondre, et que nos sociétés laïcisées reprennent à leur compte dans des termes religieux – ou apparentés à des conceptions religieuses – pour exprimer leurs espoirs et leurs craintes face aux technologies. Les conditions de lhomme se trouvent dès lors saisies dans de nouvelles figures du bien et du mal, non plus « théoriques » mais pratiques51, que la science 52elle-même peut véhiculer comme justificatif de son action et des financements qui lui sont accordés. Cet état de tension est la marque même de cette hypermodernité, non comme espace de progrès paisibles et nécessairement positifs, mais comme apories vertigineuses sur lesquels surfent les marchés financiers entre euphorie et dépression, toutes deux également certaines. Sil y a une nouvelle « ère » (et cette catégorie temporelle est une pure construction marketing ne correspondant à aucune réalité partagée au plan mondial), cest celle de labsence des repères traditionnels en même temps que la perdurance de leurs formes symboliques, lesquelles attendent de nouveaux contenus proposés par les idéologies propres au contexte social occidental. Un contexte marqué par ce qui fut appelé une « culture du narcissisme » qui surdétermine les rapports sociaux, les représentations et les réactions des individus.

Répondant à Cioran, peut-être faut-il ici, juste, reprendre la dernière phrase de The Singularity is Near52 lourde de fantasmes et dune foi quasi religieuse :

We are central, after all. Our ability to create models – virtual realities – in our brains, combined with our modest-looking thumbs, has been sufficient to usher in another form of evolution : the technology. That development enabled the persistence of the accelerating pace [] it will continue until the entire universe is at our fingertips.

« Nous sommes au centre, après tout. Notre capacité à créer des modèles – des réalités virtuelles – dans notre cerveau, combinée à nos pouces modestes, a été suffisante pour inaugurer une autre forme dévolution : la technologie. Ce développement a permis un rythme constamment accéléré []. Il se poursuivra jusquà ce que tout lunivers soit au bout de nos doigts. »

Marc Chopplet

1 J. Rostand, Esquisse dune histoire de la biologie, Paris, Gallimard, 1945, p. 233.

2 H. Arendt, Condition de lhomme moderne, Paris Calmann-Lévy, 2003, p. 34.

3 Ainsi, Jim Watson, Prix Nobel pour la découverte de la double hélice de lADN, écrivait : « nous pouvions désormais rivaliser avec Dieu en manipulant les soubassements moléculaires du vivant ». Watson J. & Berry A., ADN, le secret de la vie, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 104.

4 Avril 2015 : colloque Dieu et la science, organisé par la revue Science et Avenir au Collège des Bernardins à Paris. Février 2018 : Playing God ? – The Science, theology and societal issues on Gene-editing, (« Jouer à être Dieu ? – Enjeux scientifiques, théologiques et sociétaux de lingénierie ciblée du génome »). Conférence des Eglises européennes à lInstitut protestant de Théologie de Paris. Compte rendu : https://www.eglise-protestante-unie.fr/actualite/se-prendre-pour-dieu-13196 consulté le 9 avril 2018.

5 Pour les Églises protestantes voir “Before I formed you in the womb…” A Guide to the Ethics of Reproductive Medicine from the Council of the Community of Protestant Churches in Europe (CPCE), May 2017, (www.leuenberg.eu). Pour lÉglise catholique : Congrégation pour la doctrine de la foi, Instruction Dignitas Personae sur certaines questions de bioéthique, Rome, Juin 2008 et Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Donum vitae sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation, Rome, Février 1987. Voir également le rapport officiel demandé par George Bush sur les biotechnologies : Beyond Therapy, Biotechnology and the Pursuit of Happiness, A Report of The Presidents Council on Bioethics (Présidence Léon Kaas), Washington, D.C., October 2003, www.bioethics.gov. Chapitre 6 notamment, p. 273 et suivantes.

6 N. Bostrom, A History Of Transhumanist Thought in Journal of Evolution and Technology Vol. 14 Issue 1 – April 2005. En ligne sur le site de lauteur.

7 Marcel Gauchet va même jusquà caractériser, pour lEurope, la période commençant en 1975 comme « la phase ultime de sortie de la religion », considérant que nous sommes entrés dans une époque postchrétienne et postmarxiste. M. Gauchet, Lavènement de la démocratie, IV, Le nouveau monde, Paris, Gallimard, 2017.

8 C. Lasch, La culture du narcissisme, traduction Landa M., Paris, Flammarion, Champs essais, 2018.

9 Aristote, Organon V Les Topiques, traduction J. Tricot, Paris, Vrin, 1974, Livre VIII, 1, 155b 4.

10 Toujours au sens dAristote, Ibid., Livre I, 18 108b 34.

11 M. Foucault, Du gouvernement des vivants, Cours au Collège de France 1979-1980, Paris, Gallimard-Seuil, 2012, p. 105.

12 M. Chopplet, Les dimensions religieuses du principe de précaution in Le principe de précaution : idéologie ou approfondissement démocratique, (éditeur invité Philippe Busquin), Université de Mons, Lansmann, No 21-22-23, 2011-2012.

13 H. Jonas, Le principe de responsabilité, traduction J. Greisch, Paris, Cerf, 1995. Rappelons lhypothèse de Hans Jonas dans Le Concept de Dieu après Auschwitz : le silence de Dieu au moment de la Shoah est celui dun Dieu souffrant ayant renoncé à sa puissance pour se livrer tout entier à la liberté de lhomme. La responsabilité repose dès lors toute entière sur les épaules de ce dernier. Jonas H., Le Concept de Dieu après Auschwitz, une voie juive, traduit par Ph. Ivernel, Paris, Payot & Rivages, 2004.

14 M. Chopplet, La double hélice dune utopie in Lutopie de la santé parfaite, sous la direction de L. Sfez, Paris, PUF, 2001.

15 L. Sfez, La santé parfaite ; Critique dune nouvelle utopie, Paris, Seuil, 1995.

16 H. De Vries, The Mutation Theory. Experiments and observation on the origin of species in the vegetable kingdom, 1910, London : Kegan P. Trench, Trubner & Co.

17 E. Schrödinger, 1944, What is life ? 1967, Cambridge : Cambridge University Press, p. 34.

18 T. H. Morgan, The theory of the gene, 1926, New Haven : Yale University Press, p. 25.

19 L.J. Stadler (1896-1954) réalise les premières mutations artificielles sur lorge et le maïs. Dès 1947 lAtomic Bomb Casualty Commission (ABCC) est créée pour étudier les effets de la radioactivité sur lhomme après les explosions de Hiroshima et Nagasaki. En 1975, elle devient explicitement la “Radiation Effects Research Foundation” (RERF). Elle participe dès lorigine aux travaux sur le séquençage du génome humain. Voir, R. Cook-Deegan, The Gene Wars, Science, Politics and the Human Genome, 1994, New-York : Norton & Cie, p. 92 et suivantes.

20 L. E. Kay, The Molecular Vision of Life ; Caltech, The Rockefeller Foundation and the Rise of the New Biology, 1993, Oxford : Oxford University Press, p. 280.

21 Pour une histoire de la biologie de synthèse, voir : Cameron, D.E., Bashor C.J. and Collins J.J., A brief history of synthetic biology in Nature, Volume 12, May 2014, p. 381-390. En France : Académie des Technologies, Biotechnologies blanches et Biologie de synthèse, Paris, Rapport voté le 9 juillet 2014.

22 Voir par exemple N. Y. Harari, Homo Deus : Une brève histoire de lavenir, traduction Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Albin Michel, 2017. Rappelons ici Luc Ferry, Lhomme-Dieu ou le sens de la vie, Paris, Grasset, 1996 ou encore Julien Freund, Politique et impolitique, Paris, Sirey, 1987. Parmi les dernières annonces, celle faite en novembre 2018 par un scientifique chinois, He Jiankui de lUniversité des Sciences et Technologies du sud de Shenzhen, qui déclare la naissance de deux petites filles dont lADN a été modifié par la technique CRISPR-Cas9. Fausse nouvelle (comme il y a quelques années par un chercheur coréen) ou réalité ? Lévénement en dit long sur le modèle dingénierie scientifique largement mondialisé comme sur les réactions actuelles des autorités politiques qui interdisent la poursuite de travaux considérés comme contraire à la législation chinoise en vigueur.

23 Il est étonnant de constater le retournement qui sest produit entre lattitude agnostique de Julian Huxley qui en 1951 est un des premiers à utiliser le terme « transhumanisme » (tout en souhaitant remplacer la religion par un « humanisme évolutionnaire ») et les positions actuelles de plusieurs scientifiques et ingénieurs sur cette question. Cest ici loccasion de souligner que notre éclairage ne vise pas à retracer des courants de recherche ou de pensée, mais sont des tentatives pour identifier ce qui rend possible aujourdhui les positions de certains acteurs. Lobjectif nest pas, par exemple, didentifier les racines, les sources ou lévolution didées comme le transhumanisme, mais ce qui sous tend les débats et contribue aujourdhui de manière contingente à le rendre possible et à lui donner sa coloration.

24 S. Ahlstrom, (éditor), An American Reformation : A Documentary History of Unitarian Christianity, 1985, University Press of New England.

25 Voir lEssai de 1820 de Channing, The Moral Argument against Calvinism. Cité par Christopher Lasch, Le Seul et Vrai Paradis ; une histoire de lidéologie du progrès et de ses critiques, traduction F. Joly, Paris, Flammarion, Champsessais, 2006, p. 309. Voir aussi note 5 p. 671.

26 R. Kurzweil, The Singularity Is Near, when humans transcend biology, 2018, London : Duckworth, p. 1. Kurzweil R., How to Create a Mind, The Secret of Human Thought Revealed, 2012, New York : Penguin books, p. 222.

27 R.W. Emerson, Divinity School Address, Senior Class in Divinity College, Cambridge, Sunday evening, July 15, 1838. Pour une relecture de la place dEmerson dans la philosophie américaine voir S. Cavell, Quest-ce que la philosophie américaine ? traduction S. Laugier, Paris, Gallimard, Folio essais, 2009.

28 R.W. Emerson, The Transcendentalist, Conférence donnée à Boston (Masonic Temple), Janvier 1842.

29 R.W. Emerson, The Young American. Conférence, 7 février 1844, “The Mercantile Library Association”, Boston.

30 W. James, Lexpérience religieuse : essai de psychologie descriptive, traduit par Frank Abauzit, préface dÉmile Boutroux, Paris, Alcan, 1906.

31 « Le progrès du libéralisme dans les églises chrétiennes, depuis cinquante ans, est sans contredit une victoire de loptimisme sur la vieille théologie pessimiste, qui rôtissait les damnés aux brasiers de lenfer. Beaucoup de prédicateurs, au lieu dinsister sur le sentiment du péché, le laissent dans lombre. Ils ne parlent plus de peines éternelles, ils en nient même lexistence. Ils mettent en avant la dignité de la nature humaine plutôt que sa dépravation ». W. James, lbid, p. 77. Les citations suivantes sont aux pages 78, 80-81, 85, 89-90.

32 W. James, Le pragmatisme, chapitre « Pragmatisme et religion », traduit par E. Le Brun, Paris, Flammarion, 1968, p. 198.

33 R. Rorty, La philosophie et le miroir de la nature, traduction T. Marchaisse, Paris, Seuil, 2017, p. 366.

34 “When humans transcend biology” sous titre de The Singularity is Near. Op. cit.

35 R. Kurzweil, How to Create a Mind, op. cit.

36 Fonde “The Pattern Recognition Theory of Mind (PRTM)” comme algorithme de base du néocortex (p. 5). Dans The Singularity is near, Kurzweil se définit comme un « patterniste » : “someone who view patterns of information as the fundamental reality”, / « quelquun qui voit les modèles dinformation comme la réalité fondamentale », Op. cit., p. 5.

37 Sur ces points : R. Kurzweil., How to Create a Mind, Op. cit., p. 148 et 156.

38 Ibid., p. 147 : “This is perhaps a misnomer given that theses DNA-based design details are determined by biological evolution, though some may see the hand of God in the process (and while I do consider evolution to be a spiritual process…)”, / « Cest peut-être un abus de langage puisque ces détails de conception de lADN sont déterminés par lévolution biologique, bien que certains puissent y voir la main de Dieu (et que personnellement je considère lévolution comme un processus spirituel) ». Voir également The Singularity is near, op. cit., p. 476.

39 How to Create a Mind, Op. cit., p. 178 : “we could give our new brain a more ambitious goal, such as contributing to a better world. A goal along these lines, of course, raises a lot of questions : Better for whom ? Better in what way ? For biological humans ? For all conscious beings ? If that is the case, who or what is conscious ?”, / « Nous pourrions donner à notre nouveau cerveau un objectif plus ambitieux, comme contribuer à un monde meilleur. Bien entendu, un tel objectif soulève de nombreuses questions : Mieux pour qui ? Mieux en quel sens ? Pour les humains biologiques ? Pour tous les êtres conscients ? Si tel est le cas, qui ou quoi est conscient ? ».

40 S. Levy, Artificial Life ; The Quest for a New Creation, New York, Pantheon Books, 1992.

41 Managing Nano-Bio-Info-cogno Innovations : Converging Technologies In Society (W.S. Bainbridge and M.C. Roco editor), National Science and Technology Councils, Subcommittee on Nanoscale Science, Engineering, and Technology, 2005.

42 R. Stark, and W. S. Bainbridge. 1987. A Theory of Religion. New York : Lang “[Religions are] systems of general compensators based on supernatural assumptions”, / « [Les religions sont] des systèmes de compensations générales reposant sur des hypothèses surnaturelles » (p. 35–39).

43 W.S Bainbridge, Religion for a Galactic Civilization 2.0 in Ethical Technology, Aug 20, 2009. https://ieet.org/index.php/IEET2/more/bainbridge20090820/. La réflexion de Kurzweil est aussi celle de la destinée intelligente du cosmos. Voir The Singularity is near, op. cit., p. 342 et suivantes. On peut, par certains aspects, percevoir quelques rencontres fortuites avec la réflexion du Père Teilhard de Chardin sur lévolution comme « montée vers la Conscience », le « Point Oméga » et la Noosphère. Les visées sont cependant très différentes, voire opposées. P. Teilhard de Chardin, Le phénomène humain, Seuil, 1955, p. 286-289. Sur ce rapprochement voir G. Hottois, Philosophie et idéologies trans/posthumanistes, Paris, Vrin, 2017, p. 43-46 notamment.

44 Un des fondateurs de la colonie de la baie du Massachusetts. La phrase exacte du sermon de J. Winthrop prononcé en mars 1630 est : “we shall be as a city upon a hill, the eyes of all people are upon us” / « Nous serons comme une ville sur une colline, les yeux de tous les peuples sont sur nous ».

45 R. Kurzweil, The Singularity is near, op. cit., p. 374-375. Interrogé sur sa conception de son activité Bill Gates, fondateur de la société Microsoft, aurait déclaré : « il sagit dune question dordre théologique ». D. Ischbiah, Bill Gates et la saga de Microsoft, Presse Pocket, 1995, p. 244.

46This book… is the story of the destiny of the human-machine civilization, a destiny we have come to refer to as the Singularity” / « Ce livre… raconte le destin de la civilisation homme-machine, un destin que nous appelons maintenant la Singularité ». R. Kurzweil, The Singularity is near, Op. cit., p. 5. Cette compréhension fait de ceux qui la portent des « singularitarians » et cette « destinée est “The intelligent destiny of the cosmos” » (p. 20)

47 F. Bailly et G. Longo, Mathématiques et sciences de la nature ; la singularité physique du vivant, Paris, Hermann, 2006, Les citations suivantes, p. 247-248.

48 A. M. Turing (1950) Computing Machinery and Intelligence. Mind 49 : 433-460. Les travaux de Turing sont largement discutés par Kurtzweil (op. cit.) et par Bailly et Longo (op. cit., p. 108 et suivantes notamment).

49 R. Kurzweil, The Singularity is near, Op. cit., p. 7. Il ajoute : “What, then, is the Singularity ? Its a future period during which the pace of technological change will be so rapid, its impact so deep, that human life will be irreversibly transformed” / « Quest-ce donc que la Singularité ? Cest une période future au cours de laquelle le rythme de lévolution technologique sera tellement rapide et son impact si profond que la vie humaine sera transformée de manière irréversible. »

50 F. Bailly, & G. Longo, Ibid., p. 125, 234…

51 Rappelons là encore William James : « les philosophes prétendent donner de lexistence du mal une explication logique ; tandis que les adeptes de la mind-cure, si jentends bien leurs doctrines, ne prétendent donner aucune explication théorique du mal qui existe dans le monde, cest-à-dire des consciences individuelles qui sont égoïstes, souffrantes, timorées. Lexistence du mal est un fait empirique pour eux comme pour tous les hommes, mais chez eux cest le point de vue pratique qui lemporte : il serait peu conforme à lesprit de leur doctrine de perdre du temps à sen inquiéter comme dun redoutable mystère, ou den vouloir tirer des leçons terribles et salutaires, à la façon des chrétiens évangéliques. Ne raisonnons pas là-dessus ; jetons un coup dœil et passons ». W. James, Lexpérience religieuse, op. cit., p. 89-90.

52 Op. cit., Épilogue, p. 487.