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Classiques Garnier

La lisibilité de la communication financière en France L’étude de la lettre aux actionnaires

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Entreprise & Société
    2021 – 1, n° 9
    . varia
  • Auteur : Behnam (Élodie)
  • Résumé : Des nombreuses études mettent en lumière que les investisseurs ont le sentiment d’être mal informés et ont des difficultés à comprendre les informations financières. Le cadre réglementaire financier s’est ainsi intensifié afin que les sociétés cotées diffusent au marché une information plus lisible, c’est-à-dire compréhensible. Ce papier a pour objectif d’étudier le niveau de lisibilité des informations financière en France ainsi que l’influence de la réglementation sur cette lisibilité.
  • Pages : 109 à 123
  • Revue : Entreprise & Société
  • Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
  • EAN : 9782406122036
  • ISBN : 978-2-406-12203-6
  • ISSN : 2554-9626
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12203-6.p.0109
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 25/08/2021
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : lisibilité, lettre aux actionnaires, réglementation financière, communication financière
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La lisibilitÉ de la communication financiÈre en France

Létude de la lettre aux actionnaires

Élodie Behnam

EM Strasbourg Business School, Université de Strasbourg, LaRGE (EA 2364)

Introduction

Depuis la fin des années 40, de nombreuses études scientifiques ont mis en évidence que les informations financières sont « difficiles », voire « très difficiles » à lire et comprendre pour la population. Les résultats convergent indépendamment du support de communication financière étudié ou de la méthodologie utilisée (Du Troit, 2017 ; Lehavy et al., 2011 ; Loughran et McDonald, 2011 ; Li, 2008 ; Courtis, 1995 ; Subramanian et al., 1993 ; Smith et Taffler, 1992 ; Schroeder et Gibson, 1990 ; Still, 1972 ; Soper et Dolphin, 1964 ; Pashalian et Crissy, 1950). Ces recherches ont eu des répercussions au sein de la réglementation notamment américaine. En 1998, la Securities and Exchange Commission (SEC) recommande aux entreprises démettre des informations lisibles vers le marché. Elle publie une série de recommandations1 qui sarticulent autour de pratiques telles que lutilisation de phrase courte, de mot courant ou encore de la voie active. La plupart des recherches sur la lisibilité émanent du monde anglo-saxon.

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En France, depuis la loi NRE (2001), nous assistons à une intensification des recommandations en faveur de la lisibilité des informations émises dans le cadre de la communication financière. Lapplication de la lisibilité a pour but de rendre accessibles et compréhensibles les informations diffusées. En 2005, la France a introduit les normes IFRS dans le système comptable recommandant la lisibilité des informations financières. Ces normes indiquent que les entreprises doivent établir des informations financières « compréhensibles, pertinentes, fiables et comparables ». LObservatoire de la Communication Financière en France accompagne les entreprises dans lélaboration de leur communication. Elle édite en 2008 un guide intitulé Cadre et Pratiques de Communication Financière où elle y souligne que la « langue » de la communication financière est celle qui doit être comprise par tous. Ce guide est édité chaque année et révèle limportance de la problématique de lisibilité dans les supports de communication financière. En 2009, lAutorité des Marchés Financiers (AMF) place le principe de lisibilité au cœur de son rapport annuel. Elle a émis un plan daction pour répondre aux attentes des investisseurs, notamment des « utilisateurs non professionnels ». Au travers de la loi organique relative aux lois de finance, les comptes publics sont également soumis au principe de lisibilité recommandant à lÉtat la transmission dune information « fiable, lisible et utilisable » pour un public « non-comptable ».

Lobjectif de la communication financière est avant tout de répondre aux obligations légales et règlementaires (Chekkar, 2007 ; Depoers, 2000). Lintensification de la réglementation financière en faveur de la lisibilité nous amène à poser la question de son application par les sociétés cotées. Notre recherche a pour but détudier la lisibilité de la communication financière des sociétés cotées en France dune part et de voir si elle est influencée par les recommandations de la réglementation financière dautre part.

Afin détudier la lisibilité des supports de communication financière, notre recherche se concentre sur la lettre aux actionnaires et particulièrement sur le mot du Président. Lintérêt danalyser ce support est quil est composé dun contenu narratif et favorise un langage non technique (Subramanian et al., 1993). Ce support est une tribune où le dirigeant exprime le point de vue de lorganisation présentant la stratégie de lentreprise, les principaux évènements durant lannée passée et les perspectives de lorganisation (Kranich, 2011).

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Notre étude a été menée à travers la méthode des scores de lisibilité qui est une représentation quantitative de la difficulté de compréhension et de lecture dun texte (Beaudet, 2001 ; Courtis, 1998). Les résultats de létude ont révélé que la lettre aux actionnaires est difficilement lisible en France. Nos résultats ont également montré que la réglementation na pas nécessairement influencé la lisibilité des informations financières diffusées par les entreprises cotées.

Sur un plan scientifique, notre recherche enrichit la littérature traitant de la lisibilité. Premièrement, nous étudions la lisibilité financière en France. Les principales recherches avaient jusque-là été menées dans un contexte anglo-saxon. Secondement, nous étudions la lisibilité financière à travers un nouveau support de communication, la lettre aux actionnaires.

Sur le plan managérial, notre recherche fait prendre conscience aux professionnels que la communication financière ne répond pas aux recommandations en vigueur et que des efforts dadaptation doivent être menés afin daméliorer la lisibilité des informations financières.

Nous présenterons dans un premier temps une revue de littérature consacrée à la lisibilité que nous préciserons dans un contexte comptable et financier. Dans un deuxième temps, nous appliquerons la méthodologie des scores de lisibilité afin de tester nos hypothèses de recherche. Enfin, nous présenterons nos résultats qui donneront lieu à une discussion.

1. Revue de littÉrature

1.1. LÉtude de la lisibilitÉ des documents narratifs

La lisibilité a été traitée dans de nombreux champs disciplinaires et a été définie dautant de manières. Malgré la multiplicité des définitions, les chercheurs saccordent à dire que la lisibilité est laptitude dun texte à être facilement compris (Bourque, 1990 ; Richaudeau, 1978). La lisibilité est opérationnalisée autour de deux déterminants : la compréhensibilité et la mémorisation (Ehrlich et Tardieu 1985).

La compréhensibilité repose sur la longueur des mots : plus un mot possède de caractère, plus la distance à laccès lexical du lecteur sera grande. Les mots longs sont plus difficiles à traiter, car le processus 112dinterprétation est donc plus long. Les études sur la lexicométrie indiquant notamment que les mots les plus courants sont les mots les plus courts (Labasse, 1999).

La mémorisation repose sur la longueur dune phrase. Un lecteur retient immédiatement des phrases denviron 7 mots et/ou chiffres. Les phrases longues ralentissent le processus de mémorisation, car leur reconstruction syntaxique est difficile (Chomsky, 1976). Labasse (1999) illustre ce sujet en indiquant que les phrases dune œuvre contiennent en moyenne une dizaine de mots et que les phrases proustienne, connues pour leur complexité contiennent en moyenne 38 mots et peuvent contenir jusquà 500 mots.

Lively et Pressey (1923) élaborent la première approche statistique qui évalue la difficulté de lisibilité dun texte en identifiant le vocabulaire complexe des manuels scientifiques scolaires. Leurs recherches ont permis une meilleure sélection des manuels scolaires pour les classes de collège et ont servi de socles à de nombreuses formules de lisibilité (Kandel et Moles, 1958 ; Gunning, 1952 ; Flesch, 1948). Ces formules reposent sur la longueur des mots et la longueur des phrases, déterminants de la lisibilité dun texte.

Bien que ces formules soient fondées sur de solides acquis théoriques et empiriques, lapproche structuro-cognitive de la lisibilité considère que les formules sont insuffisantes pour relater lensemble de la lisibilité (Beaudet, 2001 ; Préfontaine et Lecavalier, 1996 ; Timbal-Duclaux, 1985 ; Richaudeau, 1976). Par exemple, les formules de lisibilité nintègrent pas lordonnance des mots. Des mots placés de façon aléatoire ou structurée formeraient des phrases dont les formules attribueraient le même niveau de lisibilité. Depuis les années 1990, les chercheurs tentent dintégrer des déterminants de cohérence et de cohésion aux formules de lisibilité. Ils souhaitent également davantage prendre en compte les capacités cognitives du lecteur ainsi que le contexte du discours (Beaudet, 2001 ; Sorin, 1996 ; Boyer, 1992) qui optimisent la compréhension du message. Lapproche structuro-cognitive considère donc que la prise en compte de ces déterminants permet de réduire le champ de liberté dinterprétation dun texte. Toutefois, la subjectivité de leur déterminant limite leur validation au sein des formules.

Les formules classiques de lisibilité ont largement été utilisées en sciences comptables permettant ainsi aux chercheurs de mettre en 113évidence la difficulté de lisibilité des documents comptables et financiers. Elles ont aussi pour intérêt de constituer un point de comparabilité aux recherches sur la lisibilité financière. Ces études ont surtout été menées dans un contexte anglo-saxon.

1.2. La lisibilitÉ de la communication financiÈre

La lisibilité contribue à réduire la distance cognitive entre le préparateur et lutilisateur de linformation. Elle a dautant plus dimportance lorsque les informations transmises sont moins usuelles (Labasse, 1999) telles que les informations financières.

Les études mettent en évidence que ces informations sont inaccessibles pour une large partie des investisseurs (Du Troit, 2017 ; Jones et Shoemaker, 1994) et montrent quune minorité de la population est capable dinterpréter les documents. Les formules de lisibilité évaluent le niveau de difficulté de lisibilité des informations financières similaire à des informations techniques (Li, 2008) et scientifiques. Smith et Smith (1971) fournissent les premiers résultats sur la lisibilité de la communication financière. Ils montrent quaux États-Unis seulement 19 % de population est susceptible de comprendre les notes des états financiers. Au Canada, Courtis (1986) révèle que seulement 40 % des actionnaires ont le niveau nécessaire pour comprendre les documents financiers. Rapporté à la population totale âgée de plus de 15 ans ce pourcentage sélève à 8 %. Ce constat sétend également aux personnes dont les connaissances en finance sont plus développées (Lehavy et al., 2011 ; Courtis, 1995 ; Smith et Taffler, 1992). Selon Courtis (1995), la littérature montre depuis « 40 ans » que près de 90 % de population anglo-saxonne est exclue de la communication financière. Létude de Du Toit (2017) prolonge ce constat en indiquant que les rapports intégrés sont difficiles à lire et ne sont utiles que pour une partie ciblée de la population.

Les formules de lisibilité évaluent le niveau de lisibilité des documents financiers à « difficiles », voire « très difficiles » (Du Troit, 2017 ; Lehavy et al., 2011 ; Loughran et McDonald, 2011 ; Li, 2008 ; Courtis, 1995 ; Subramanian et al., 1993 ; Smith et Taffler, 1992 ; Schroeder et Gibson, 1990 ; Still, 1972 ; Soper et Dolphin, 1964 ; Pashalian et Crissy, 1950). La multiplication des recherches en volume et dans le temps révèle lintérêt des sciences comptables sur la lisibilité des informations financières.

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1.3. DÉveloppement des hypothÈses

Les recherches reposent majoritairement sur lanalyse de rapport annuel ainsi que sur des sociétés anglo-saxonnes : américaines (Lehavy et al., 2011 ; Li, 2008 ; Subramanian et al., 1993 ; Schroeder et Gibson, 1990 ; Smith et Smith, 1971 ; Soper et Dolphin, 1964 ; Pashalian et Crissy, 1952), britanniques (Clatworthy et Jones, 2001 ; Smith et Taffler, 1992), australiennes (Hrasky et Smith, 2008 ; Lewis et al., 1986), néozélandaises (Healy, 1977 ; Richards et Van Staden, 2015), canadiennes (Courtis, 1986) ou encore sud-africaine (Du Troit 2017).

Certaines études se sont concentrées sur létude de la lettre aux actionnaires ou du mot du Président (Rahman, 2014 ; Hrasky et Smith, 2008 ; Clatworthy et Jones, 2001 ; Courtis, 1995 ; Subramanian et al., 1993). Ces supports présentent une forte dimension narrative (Subramanian et al., 1993) et permettent à lentreprise de mobiliser un langage non technique pour expliquer la vie de lentreprise. Létude de ces supports, qui sont un espace favorisant lexpression usuelle, a pour intérêt de répondre à certaines remarques qui soulignent que le langage complexe du rapport annuel est dû à sa diffusion dinformations complexes (Bushee et al., 2018).

Le mot du Président ou la lettre aux actionnaires sont aussi destinés à un lectorat hétérogène, sadressant tant aux professionnels financiers quaux petits porteurs. En France2, la dimension relationnelle et communicationnelle y est plus développée que dans le rapport annuel.

La lettre aux actionnaires offre en espace favorisant lapplication de la lisibilité par les entreprises. Toutefois, les études montrent que ce support est aussi difficilement lisible (Rahman, 2014 ; Hrasky et Smith, 2008 ; Subramanian et al., 1993). Son format nest pas règlementé ce qui octroie aux entreprises une marge discrétionnaire dans lélaboration de leur communication financière.

En nous appuyant sur les études précédentes, nous testons lhypothèse suivante :

H : La lettre aux actionnaires des sociétés cotées françaises est difficilement lisible.

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Selon Li (2008), les directives de la SEC en 1998 ainsi que la loi Sarbanes-Oxley ont contribué à lamélioration de la lisibilité de rapports annuels. Loughran et McDonald (2014) montrent une amélioration de la lisibilité à la suite des recommandations émises par la SEC. Cependant, pour Li (2008) cette relation nest pas pérenne dans le temps et ce constat sinverse après 2002. Nous supposons que les recommandations successives ninfluencent pas lisibilité dans le temps.

Nous émettons ainsi lhypothèse suivante :

H 2  : La lisibilité de la lettre aux actionnaires des sociétés cotées françaises ne varie pas dans le temps.

2. MÉthodologie de la recherche

2.1. Échantillon

Notre échantillon est construit à partir des sociétés du CAC 40 proposant la lettre aux actionnaires qui est fortement lue et utilisée dans la prise de décision des investisseurs (Hooghiemstra, 2010 ; Kohut et Segars, 1992). Notre échantillon est centré sur le mot dans lequel les qualités inhérentes à lensemble de la lettre aux actionnaires sont polarisées. Les sociétés du CAC 40 ont été privilégiées, car leur notoriété et leur exposition publiques engagent ces entreprises à mieux répondre aux normes textuelles en faveur de la lisibilité. Notre collecte porte sur 3 périodes : 2005, 2008 et 2011, et ce afin de mettre en évidence lévolution de la lisibilité. Lintroduction des normes IFRS en 2005 ainsi que lédition de la loi NRE amorcent le principe de lisibilité des informations financières. En 2008, la crise financière et le renforcement de la directive de transparence de lAMF vont encourager lapplication de la lisibilité dans les documents financiers. Enfin, notre collecte prend en compte lannée 2011 afin de constater linfluence du Plan stratégique 2009 de lAMF placé sous le signe de la lisibilité. Notre échantillon se compose de 90 observations.

116

2.2. MÉthode de la recherche

Nous étudions la lisibilité de la lettre aux actionnaires à travers les formules de lisibilité. Elles reposent une régression linéaire composée dune variable prédictive lexicale et une variable prédictive syntaxique (De Landsheere, 1963 ; Kandel et Moles, 1958 ; Gunning, 1952 ; Flesch, 1948). Lindice de Flesch est la formule la plus connue. Elle est aussi la plus utilisée dans la littérature comptable (Courtis, 1995 ; Smith et Taffler, 1992 ; Smith et Smith, 1971 ; Soper et Dolphin, 1964 ; Pashalian et Crissy, 1952). Toutefois, lindice de Flesch mesure la lisibilité des documents rédigés en langue anglaise. Nous utilisons lindice de Kandel et Moles (1958) qui ont adapté les coefficients de lindice de Flesch à la langue française en prenant en compte le fait que les mots français sont plus longs.

Les auteurs mathématisent la difficulté de lisibilité dun texte de la manière suivante :

Lisibilité = 207 - 1,015 (M/P) - 0,736 (S/M)

Lisibilité : score de lisibilité compris entre 100 (très facile) et 0 (très difficile) ;

M/P : nombre moyen de mots par phrase ;

S/M : nombre moyen de syllabes pour 100 mots.

La grille dinterprétation des résultats de cet indice est la même que ceux de lindice de Flesch. Elle correspond au Tableau 1.

Tab. 1 – Interprétation de lindice de Flesch.

Niveau de lisibilité

Interprétation

Type de lecture

90 à 100

Très lisible

Bandes dessinées

80 à 90

Lisible

Roman de gare

70 à 80

Assez lisible

Roman de fiction

60 à 70

Standard

Magazine

50 à 60

Peu lisible

Littérature de qualité

30 à 50

Difficilement lisible

Ouvrage académique

0 à 30

Très difficilement lisible

Ouvrage scientifique

Notre recherche a pour but de tester deux hypothèses. Nous devons mesurer la lisibilité de la lettre aux actionnaires des entreprises françaises 117cotées dune part et étudier lévolution de cette lisibilité dautre part. Une fois, les niveaux de lisibilité récoltés nous effectuons un test de Student univarié afin de valider ou rejeter nos hypothèses.

3. RÉsultats

Nos résultats indiquent que le niveau de lisibilité de la lettre aux actionnaires se situe entre 28 et 57 pour lannée 2005. Le niveau varie entre 24 et 57 pour lannée 2008 puis entre 23 et 60 pour lannée 2011. En nous référant au tableau dinterprétation des résultats de lindice de Flesch (Tableau 1), la lisibilité de la lettre aux actionnaires en France varie de « peu lisible » à « très difficilement lisible ».

Nous considérons quun texte est lisible si son score est supérieur à 60. Léchelle varie entre 0 et 100 : 0 correspond à un texte « très difficilement lisible » et 100 à un texte « très lisible ». Notre hypothèse 1 revient donc à tester si le score moyen de lisibilité est significativement inférieur à 60. Pour ce faire, nous procédons pour chaque année à un test de Student univarié unilatéral. Nos résultats présentés dans le tableau 2 sont significatifs au seuil de p<0,0001. Notre hypothèse 1 est donc validée, la lettre aux actionnaires des sociétés cotées françaises est difficilement lisible.

Tab. 2 – Statistiques descriptives univariées des scores de lisibilité.

2011

2008

2005

Moyenne

43,3

42,2

43,1

Écart-type

7,2

7,8

7,3

Min

23

24

28

1er quartile

40

39

39

Médiane

44

44

44

3e quartile

48

47

47

Max

60

57

57

p-value test de normalité (Shapiro-Wilk)

0,3186

0,0448

0,6202

p-value test-t univarié unilatéral

<0,0001

<0,0001

<0,0001

118

Dans un deuxième temps, nous postulons que la lisibilité de la lettre aux actionnaires des sociétés cotées françaises ne varie pas dans le temps. Les moyennes varient entre 43,1 et 43,3 respectivement entre 2005 et 2011. Le tableau 3 compare les résultats de deux années, en prenant en compte la différence des niveaux de lisibilité. Le test statistique indique quil ny a aucune différence significative entre 2005 et 2008, entre 2005 et 2011 puis, entre 2008 et 2011. Notre hypothèse 2 est également validée.

Tab. 3 – Statistiques descriptives univariées des différences de scores.

Difference scores 2011-2008

Difference scores 2011-2005

Difference scores 2008-2005

Moyenne

1,2

0,2

-0,9

Ecart-type

10,8

10,3

10,2

Min

-25

-24

-21

1er quartile

-5

-5

-7

Médiane

1

3

1

3e quartile

5

7

5

Max

27

18

19

p-value test de normalité (Shapiro-Wilk)

0,5591

0,3369

0,821

p-value test-t univarié unilatéral

0,2795

0,4509

0,6908

4. Discussion

Notre recherche met en évidence la difficulté de lisibilité des lettres aux actionnaires pour la population française. Kranich, (2011) souligne que les lettres aux actionnaires en France sont caractérisées par des phrases longues dues à lutilisation dexpressions épistémiques. Les expressions épistémiques sont des éléments linguistiques qui alourdissent les phrases et détournent la vérité en rendant le discours vague.

119

Nos résultats sont conformes à ceux des études menées dans les pays anglo-saxons (Hrasky et Smith, 2008 ; Clatworthy et Jones, 2001 ; Courtis, 1995 ; Subramanian et al., 1993). La lettre aux actionnaires des sociétés cotées est difficilement lisible. Nous soulignons toutefois que la diffusion de ce support est différente entre les pays anglo-saxons et la France. En effet, si la lettre aux actionnaires aux États-Unis est incluse dans le rapport annuel, ce nest pas le cas pour les entreprises françaises qui diffusent séparément les deux documents. Nos résultats viennent ainsi enrichir la littérature en diversifiant létude de la lisibilité de la communication financière par lanalyse dun nouveau support.

Notre deuxième série de résultats met en évidence que les entreprises ne sont pas influencées par la réglementation en faveur de la lisibilité. Malgré lintensification de la réglementation dans le temps, la lisibilité de la lettre aux actionnaires ne varie pas. Ces résultats rejoignent létude de Li (2008) qui constate une absence de relation valide entre la réglementation et la lisibilité.

Conclusion

Lobjectif principal de cette recherche est détudier la lisibilité de la communication financière en France, à travers lanalyse de la lettre aux actionnaires. Notre étude met en lumière que cet outil de communication financière est peu lisible pour la population, et ce malgré les recommandations de la réglementation financière en faveur de la lisibilité. Les résultats de cette recherche sont conformes aux précédentes études menées dans un contexte anglo-saxon. Ils montrent que le niveau de lisibilité varie de « peu lisible » à « très difficilement lisible ». En étendant létude la lisibilité financière au contexte français, notre recherche vient enrichir la littérature à ce sujet.

Sur le plan managérial, cette recherche dresse un état des lieux de la lisibilité des informations financières en France. Elle montre que les entreprises peuvent améliorer la facilité de lecture des informations financières et ainsi répondre aux recommandations règlementaires et aux besoins des investisseurs. La crise financière a ébréché la confiance des 120investisseurs en linformation comptable et financière. La lisibilité offre ainsi aux entreprises lopportunité de regagner la confiance du marché en améliorant leur communication avec les investisseurs.

La principale limite de notre recherche est quelle repose sur la méthode des formules de lisibilité. Cette mesure comprend la longueur des phrases et la longueur des mots, facteurs représentatifs de la lisibilité dun texte. Cette méthode est majoritairement utilisée en sciences comptables. Néanmoins, la littérature émet certaines limites à cette méthode. Les principales critiques concernent sa validité interne (Beaudet, 2001). Lapproche structuro-cognitive considère que dautres paramètres interviennent dans la mesure de la lisibilité. Des paramètres structurels et cognitifs tels que la cohésion et le contexte du texte doivent être pris en compte. Le domaine financier est un domaine technique. Il serait intéressant dadapter la mesure de la lisibilité à des variables spécifiques à ce domaine sans pour autant adopter lapproche structuro-cognitive qui atteint elle-même ses limites dans son automatisation. En effet, la subjectivité de ces variables contraint leur quantification. De plus, notre étude porte principalement sur le mot du Président. Il serait intéressant danalyser lensemble de la lettre aux actionnaires afin de mener une étude plus complète de la lisibilité de ce support. Enfin, il serait également intéressant détudier lévolution de la lisibilité avant et après lapplication des IFRS puis détendre la période détude.

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1 Les recommandations sont présentées dans louvrage SEC (1998), A plain English handbook : How to create clear SEC disclosure documents, United States, The Office.

2 Propos édités dans le livre blanc pour la promotion de lactionnariat individuel direct et salarié en sortie de crise, novembre 2009.